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Book Confiscation internationale: instruments internationaux, droit de l'Union européenne, droit suisse PAVLIDIS, Georgios Abstract La confiscation fait partie des stratégies contre la criminalité, en particulier contre la délinquance financière ; ces stratégies sont de plus en plus centrées sur les profits. Dans la première partie de l'étude, nous examinons les instruments internationaux contenant des dispositions relatives à la confiscation et à l'entraide aux fins de confiscation. Dans la deuxième partie, l'accent est mis sur les initiatives de l'UE dans le cadre du renforcement de la coopération judiciaire pénale, en particulier à des fins de confiscation. Dans la troisième partie, nous examinons les dispositions du droit suisse de la confiscation. Il ressort de notre analyse la nécessité d'une adaptation ciblée des instruments nationaux et internationaux en matière de saisie et de confiscation. A cet égard, il faut optimiser, d'une part, l'efficacité de l'"asset tracing"; d'autre part, il faut assurer la protection des droits des personnes touchées par la saisie et la confiscation. Reference PAVLIDIS, Georgios. Confiscation internationale: instruments internationaux, droit de l’Union européenne, droit suisse. Genève : Schulthess, 2012, 344 p. Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:19338 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. [ Downloaded 07/02/2017 at 23:59:33 ] Georgios Pavlidis Confiscation internationale: instruments internationaux, droit de l’Union européenne, droit suisse CG Collection Genevoise Georgios Pavlidis Confiscation internationale: instruments internationaux, droit de l’Union européenne, droit suisse CG Collection Genevoise Georgios Pavlidis Confiscation internationale: instruments internationaux, droit de l’Union européenne, droit suisse Thèse n° 827 de la Faculté de droit de l’Université de Genève La Faculté de droit autorise l’impression de la présente dissertation sans entendre émettre par là une opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées. Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http://dnb.d-nb.de. Tous droits réservés. Toute traduction, reproduction, représentation ou adaptation intégrale ou partielle de cette publication, par quelque procédé que ce soit (graphique, électronique ou mécanique, y compris photocopie et microfilm), et toutes formes d’enregistrement sont strictement interdites sans l’autorisation expresse et écrite de l’éditeur. © Schulthess Médias Juridiques SA, Genève · Zurich · Bâle 2012 ISBN 978-3-7255-6546-7 ISBN Collection genevoise: 1661-8963 www.schulthess.com Remerciements Mes très sincères remerciements vont, en premier lieu, à ma directrice de thèse, Madame la Professeure Ursula CASSANI, pour son aide compétente, sa patience et la confiance qu’elle m'accordée tout au long du projet. J’adresse aussi mes vifs remerciements aux membres du jury: Monsieur le Doyen Christian BOVET, Monsieur le Professeur Robert ROTH, Monsieur le Professeur Mark PIETH et Monsieur le Juge Bernard BERTOSSA. Je tiens aussi à remercier mes professeures de français, Madame Maria SAVVIDOU-GINI et Madame Bénédicte TIPHAINE-AGORASTOU. Mes remerciements chaleureux vont enfin à ma famille qui m’a soutenu et encouragé tout au long de mes études. V Table des matières Remerciements .................................................................................................................................... V Table des matières ............................................................................................................................ VII Abréviations ..................................................................................................................................... XIII INTRODUCTION ............................................................................................................................... 1 1. La lutte contre la criminalité : les stratégies centrées sur les profits ........................... 3 2. La confiscation, la saisie et l’entraide judiciaire internationale .................................. 4 3. Les buts de la confiscation et son pouvoir dissuasif...................................................... 4 4. Le crime « désorganisé » : la confiscation est-elle une réponse à un risque surestimé ? ........................................................................................................................... 6 5. La confiscation est-elle une « fragile bulle de savon » ?................................................ 7 6. La confiscation et les défis posés par l’internationalisation du crime ........................ 8 7. Les hypothèses et les objectifs de la recherche ............................................................... 9 PREMIÈRE PARTIE : LES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX ........................................ 13 I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux ................................... 15 1. La CEEJ (1959) ................................................................................................................... 15 2. La Convention de Vienne (1988) .................................................................................... 15 3. La Convention n° 141 du Conseil de l’Europe (1990).................................................. 21 4. La Convention de l’OCDE contre la corruption (1997) ............................................... 24 5. La Convention n° 173 du Conseil de l’Europe (1999).................................................. 26 6. La Convention de Palerme (2000) .................................................................................. 28 7. La recommandation no 3 du GAFI (2003) ..................................................................... 30 8. La Convention de Mérida (2003) .................................................................................... 36 9. La Convention n° 198 du Conseil de l’Europe (2005).................................................. 38 10. La confiscation du point de vue des droits de l’homme ............................................. 40 II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux .......................................................................................................................... 45 1. La CEEJ (1959) et son deuxième Protocole (2001) ........................................................ 47 2. La Convention de Vienne (1988) .................................................................................... 50 3. La Convention n° 141 du Conseil de l’Europe (1990).................................................. 53 VII Table des matières 4. La Convention de l’OCDE contre la corruption (1997) ............................................... 58 5. La Convention no 173 du Conseil de l’Europe (1999) .................................................. 58 6. La Convention de Palerme (2000) .................................................................................. 60 7. Les recommandations du GAFI (2003) en matière d’entraide ................................... 62 8. La Convention de Mérida (2003) .................................................................................... 65 9. La Convention n° 198 du Conseil de l’Europe (2005).................................................. 69 10. Les investigations financières : la recherche et la localisation d'actifs dans un contexte international ....................................................................................... 71 11. L’entraide à des fins de confiscation du point de vue des droits de l’homme ............................................................................................................................. 76 III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme .................................................................................................................................. 77 1. Le régime ordinaire : la CRFT (1999) ............................................................................. 79 2. Le régime ordinaire : la Convention n° 198 du Conseil de l’Europe (2005) ............. 82 3. Le régime d’exception : les résolutions du Conseil de sécurité ................................. 83 4. Le régime d’exception des sanctions ciblées : perspectives ....................................... 89 5. Le gel des avoirs terroristes et les garanties fondamentales ...................................... 91 6. Les recommandations spéciales du GAFI (2001) ......................................................... 93 IV. Conclusions intermédiaires : les instruments internationaux en matière de confiscation .............................................................................................................................. 98 DEUXIÈME PARTIE : LE DROIT DE L’UE ............................................................................... 103 I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE ................................................. 105 1. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE : du Traité de Maastricht (1992) au Traité de Lisbonne (2007) ......................................................... 105 2. L’évolution du principe de reconnaissance mutuelle en matière de coopération judiciaire pénale ........................................................................................ 115 3. La coopération judiciaire pénale dans l’espace Schengen ........................................ 119 II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale ......................................................................................................................... 122 VIII 1. L’action commune 98/427/JAI .................................................................................... 123 2. L’action commune 98/699/JAI .................................................................................... 124 3. L’UEEJ (2000) .................................................................................................................. 127 4. La décision cadre 2001/500/JAI................................................................................... 131 5. Le Protocole UEEJ (2001) ............................................................................................... 133 6. La décision cadre 2003/577/JAI................................................................................... 140 Table des matières 7. La décision cadre 2005/212/JAI................................................................................... 144 8. La décision cadre 2006/783/JAI................................................................................... 148 9. La décision cadre 2008/978/JAI................................................................................... 153 10. Quels mécanismes européens pour la coordination des procédures de saisie et de confiscation ? ......................................................................................... 160 III. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la lutte contre le financement du terrorisme .................................................................................................. 169 1. La définition des « actes terroristes » au niveau de l’UE ............................................ 169 2. La position commune 2001/931/PESC ....................................................................... 170 3. Le règlement 2580/2001/CE ......................................................................................... 172 4. Le règlement 881/2002/CE ........................................................................................... 175 5. L’affaire SWIFT et les limites de l’« asset tracing ».................................................... 177 6. La jurisprudence de la CJCE concernant les actes pris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ...................................................................................... 179 IV. Conclusions intermédiaires : le droit de l’UE en matière de confiscation ................. 182 TROISIÈME PARTIE : LE DROIT SUISSE................................................................................ 189 I. La confiscation dans le CP suisse ....................................................................................... 191 1. La confiscation en vertu des articles 69 ss CP ............................................................ 191 2. La nature de la confiscation .......................................................................................... 192 3. La compétence confiscatoire du juge suisse ............................................................... 196 2.1. D’autres normes de confiscation contenues dans le CP et les lois fédérales... 195 3.1. L’application des articles 3 à 8 CP à la confiscation ........................................... 196 3.2. La compétence locale en Suisse ............................................................................. 199 3.3. La compétence matérielle ....................................................................................... 200 4. La confiscation d’objets dangereux en vertu de l’article 69 CP ............................... 201 4.1. L’objet de la confiscation ........................................................................................ 202 4.2. La commission d’une infraction et le lien de connexité ..................................... 202 4.3. Le fait de compromettre la sécurité des personnes, la morale ou l’ordre public ........................................................................................................... 205 4.4. Le principe de la proportionnalité ........................................................................ 206 4.5. Questions de procédure.......................................................................................... 207 4.6. La prescription ......................................................................................................... 208 5. La confiscation de valeurs patrimoniales en vertu de l’article 70 CP ..................... 208 5.1. La finalité de la confiscation de nature compensatoire ...................................... 208 5.2. L’objet de la confiscation ........................................................................................ 209 IX Table des matières 5.3. La commission d’une infraction et le lien de connexité ..................................... 210 5.4. La méthode du calcul de l’avantage illicite ......................................................... 213 5.5. La restitution immédiate au lésé ........................................................................... 216 5.6. La protection des droits des tiers .......................................................................... 218 5.7. Questions de procédure.......................................................................................... 221 5.8. La prescription ......................................................................................................... 221 6. La créance compensatrice de l’Etat en vertu de l’article 71 CP ................................ 223 6.1. Les conditions d’application de l’article 71 CP ................................................... 223 6.2. Le montant de la créance compensatrice ............................................................. 224 6.3. Questions de procédure.......................................................................................... 225 6.4. La prescription ......................................................................................................... 226 7. La confiscation des avoirs d’une organisation criminelle en vertu de l’art. 72 CP ....................................................................................................................... 226 7.1. La notion d’organisation criminelle ...................................................................... 227 7.2. Le pouvoir de disposition de l’organisation criminelle ..................................... 229 7.3. Le renversement du fardeau de la preuve ........................................................... 230 7.4. Vers un renversement général du fardeau de la preuve pour les infractions du droit pénal économique ? ............................................................. 232 7.5. La protection des droits des tiers .......................................................................... 235 7.6. La prescription ......................................................................................................... 235 8. L’allocation au lésé en vertu de l’article 73 CP ........................................................... 236 8.1. Les conditions d’application .................................................................................. 237 8.2. Questions de procédure.......................................................................................... 240 9. Le séquestre pénal .......................................................................................................... 241 10. Le cas particulier du gel des avoirs dans la mise en œuvre des sanctions internationales................................................................................................................. 245 10.1. Le gel d’avoirs sur la base de l’art. 184 al. 3 Cst. féd. et de la LRAI ............... 246 10.2. Le gel d’avoirs en vertu de la loi sur les embargos........................................... 247 10.3. La mise en œuvre du gel d’avoirs en vertu de la résolution 1267 (1999) ...... 248 11. La conformité du droit suisse avec les instruments internationaux en matière de saisie et de confiscation .............................................................................. 251 11.1. La Convention no 141 du Conseil de l’Europe .................................................. 251 11.2. La Convention de l’OCDE.................................................................................... 253 11.3. La CRFT .................................................................................................................. 253 11.4. La Convention de Vienne ..................................................................................... 254 11.5. La Convention no 173 du Conseil de l’Europe .................................................. 255 11.6. La Convention de Palerme ................................................................................... 257 11.7. La Convention de Mérida..................................................................................... 258 II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse ................................... 262 X Table des matières 1. Les formes de l’entraide judiciaire en droit suisse..................................................... 262 1.1. La distinction entre l’entraide judiciaire et l’assistance administrative .......... 262 1.2. La distinction entre l’entraide judiciaire et la collaboration policière ............. 263 1.3. L’entraide judiciaire accessoire ............................................................................. 264 2. L’entraide judiciaire en vertu de la CEEJ et du deuxième Protocole additionnel ...................................................................................................................... 264 2.1. La CEEJ ..................................................................................................................... 264 2.2. Le deuxième Protocole additionnel ..................................................................... 265 3. La loi sur l’entraide internationale en matière pénale (EIMP) ................................. 266 3.1. Les conditions générales de recevabilité d’une demande d’entraide à des fins de mesures provisoires ou de remise de valeurs .............................. 267 3.2. L’entraide à des fins de mesures provisoires (article 18 EIMP) ....................... 271 3.3. La remise d’objets dans le cadre d’une procédure d’extradition (article 59 EIMP) ...................................................................................................... 274 3.4. La remise à titre probatoire (article 74 EIMP) ..................................................... 277 3.5. La remise de valeurs en vue de confiscation ou de restitution (article 74a EIMP) .................................................................................................... 280 3.6. L'exécution des décisions rendues à l'étranger (articles 94 ss EIMP) .............. 285 3.7. Les voies de recours ............................................................................................... 287 4. La loi fédérale sur la restitution des avoirs illicites (LRAI) ...................................... 289 4.1. Le blocage des avoirs en vertu de la LRAI .......................................................... 291 4.2. La confiscation en vertu de la LRAI : nature et buts.......................................... 291 4.3. Une forme nouvelle de présomption d'illicéité .................................................. 292 5. La loi fédérale sur la coopération avec la Cour Pénale Internationale (LCPI) ............................................................................................................................... 294 6. La loi fédérale sur le partage des valeurs patrimoniales confisquées (LVPC) .............................................................................................................................. 297 6.1. Le partage sur le plan interne ............................................................................... 298 6.2. Le partage sur le plan international ..................................................................... 298 7. L’entraide judiciaire en matière pénale dans le cadre des Accords bilatéraux II conclus entre la Suisse et l’UE ................................................................ 301 7.1. L'Accord sur l’association à l’acquis de Schengen ............................................. 301 7.2. L'Accord pour lutter contre la fraude .................................................................. 303 7.3. L'Accord sur la fiscalité de l’épargne ................................................................... 305 8. La conformité du droit suisse avec les instruments internationaux en matière d’entraide à des fins de confiscation ............................................................................ 307 8.1. La CEEJ ..................................................................................................................... 307 8.2. La Convention no 141 du Conseil de l’Europe .................................................... 307 8.3. La Convention de l’OCDE...................................................................................... 308 8.4. La CRFT .................................................................................................................... 308 XI Table des matières 8.5. La Convention de Vienne ....................................................................................... 308 8.6. La Convention no 173 du Conseil de l’Europe .................................................... 309 8.7. La Convention de Palerme ..................................................................................... 309 8.8. La Convention de Mérida....................................................................................... 309 CONCLUSIONS .............................................................................................................................. 311 Bibliographie.................................................................................................................................... 317 A. Doctrine............................................................................................................................ 317 B. Sources officielles ........................................................................................................... 335 Registre de mots clés ............................................................................................................... 343 XII Abréviations AAS al. AP-CP art. ATF BK StGB BO BOCE BOCN BRA c. CAAS CC CDB CDBF CEDH CEEJ CEExtr cf. CFB CHF Circ. CJCE CO COM consid. Cour EDH Accord entre la Confédération suisse, l’Union européenne et la Communauté européenne sur l’association de la Confédération suisse à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen (RS 0.360.268.1) Alinéa Avant-projet et rapport explicatif du Département fédéral de justice et de police : modification du code pénal et du code pénal militaire concernant la punissabilité de l'organisation criminelle, la confiscation, le droit de communication du financier, ainsi que la responsabilité de l'entreprise, mars 1991 Article Arrêts du Tribunal fédéral (Recueil officiel) Basler Kommentar Strafgesetzbuch Bulletin officiel (de l'Assemblée fédérale) Bulletin officiel du Conseil des Etats Bulletin officiel du Conseil national Bureau(x) de recouvrement des avoirs Contre Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernement des Etats de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, Journal officiel n° L 239 du 22.09.2000 p. 1 Code civil suisse du 10 décembre 1907 (RS 210) Convention relative à l'obligation de diligence des banques entre l’Association suisse des banquiers et les banques signataires (actuellement CDB 08 du 7 avril 2008) Centre de droit bancaire et financier Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (Convention européenne des droits de l’homme ; RS 0.101) Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, STE n° 30 (RS 0.351.1.) Convention européenne d’entraide judiciaire d’extradition du 13 décembre 1957 (RS 0.353.1) Confer Commission fédérale des banques (voir : FINMA) Francs suisses Circulaire Cour de justice des Communautés européennes Code des obligations du 30 mars 1911 (RS 220) Communication Considérant Cour européenne des droits de l’homme XIII Abréviations CP CPI CPP CRF CRFT Cst. féd DEA DPA DFE DFF DFJP EEE EHRR EIMP ELSJ EuZ FF FINMA FSA GAFI GBP ibid. i.e. ILM JDBF JdT JO LAsi LAVI LB LBA Lcart LCD LCPI XIV Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (RS 311.0) Cour pénale internationale Code de procédure pénale du 5 octobre 2007 (RS 312.0) Cellule de renseignements financiers Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme Constitution fédérale Drug Enforcement Administration (US Department of Justice) Loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif (RS 313.0) Département fédéral de l'économie Département fédéral des finances Département fédéral de justice et de police Espace économique européen European Human Rights Reports Loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'entraide internationale en matière pénale (RS 351.1) Espace de liberté, de sécurité et de justice Zeitschrift für Europarecht Feuille fédérale Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers Financial Services Authority (Royaume-Uni) Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux Pound sterling / livre sterling ibidem id est, c’est-à-dire International Legal Materials Journée de droit bancaire et financier Journal des tribunaux Journal officiel de l'Union européenne (remplaçant le Journal officiel des Communautés européennes, dès le 1er février 2003) Loi du 26 juin 1998 sur l’asile (RS 142.31) Loi fédérale du 23 mars 2007 sur l'aide aux victimes d'infractions (RS 312.5) Loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d'épargne (RS 952.0) Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier (RS 955.0) Loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (RS 251) Loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (RS 241) Loi fédérale du 22 juin 2001 sur la coopération avec la Cour pénale internationale (RS 351.6) Abréviations Lemb let. LExtr LFINMA LFMG LHID LIFD LP LRAI Lstup LTF LVPC MPC MROS N. n. no OBAFINMA 1 OCDE OEIMP OFJ OJ OLAF ONU op. cit. OSCE par. p.ex. Pacte II de l’ONU PJA Loi fédérale du 22 mars 2002 sur l’application de sanctions internationales ou Loi sur les embargos (RS 946.231) lettre Loi fédérale sur l'extradition aux Etats étrangers du 22 janvier 1892 (RO 12 727) Loi fédérale du 22 juin 2007 sur l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (RS 956.1) Loi fédérale du 13 décembre 1996 sur le matériel de guerre (RS 514.51) Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (RS 642.14) Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct (RS 642.11) Loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite (RS 281.1) Loi fédérale sur la restitution des avoirs illicites (RS 196.1) Loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants et les substances psychotropes (RS 812.121) Loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (RS 173.110) Loi fédérale du 19 mars 2004 sur le partage des valeurs patrimoniales confisquées (RS 312.4) Ministère public de la Confédération Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent Numéro marginal Note Numéro Ordonnance du 18 décembre 2002 de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers sur la prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme dans le domaine des banques, des négociants en valeurs mobilières et des placements collectifs (RS 955.022) Organisation de coopération et de développement économiques Ordonnance sur l'entraide internationale en matière pénale du 24 février 1982 (Ordonnance sur l'entraide pénale internationale ; RS 351.11) Office fédéral de la justice Loi fédérale d’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (RS 3.521) Office européen de lutte antifraude Organisations des Nations Unies ouvrage cité Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe Paragraphe Par exemple Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, résolution 2200 A (XXI) de l’Assemblée générale de l’ONU. Pratique juridique actuelle XV Abréviations PPF POCA 2002 PPE Pra. Protocole UEEJ RCADI RDS RSDIE RICO RO RPS RS RSDA RSJ SECO SJ sect. ss SWIFT TCE TEJUS TEXUS TF TPF TPI TUE UE UEEJ UN UNODC USD vol. ZBJV XVI Loi sur la procédure pénale fédérale (abrogée par le CPP) Proceeds of Crime Act 2002 (Royaume-Uni) Personne Politiquement Exposée Die Praxis des Schweizerischen Bundesgerichts Protocole du 16 octobre 2001 à la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'UE du 29 mai 2000. Recueil de cours de l’Académie de droit international Revue de droit suisse Revue suisse de droit international et européen Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act (Etats-Unis) Recueil officiel des lois fédérales Revue pénale suisse Recueil systématique des lois fédérales Revue suisse de droit des affaires Revue suisse de jurisprudence Secrétariat d'Etat à l'économie du Département fédéral de l'économie Semaine judiciaire Section Et suivant(e)s Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication Traité instituant la Communauté européenne (Traité de Rome du 25 mars 1957) Traité du 25 mai 1973 entre la Confédération suisse et les Etats-Unis d'Amérique sur l'entraide judiciaire en matière pénale (RS 0.351.933.6) Traité d'extradition du 14 novembre 1990 entre la Confédération suisse et les Etats-Unis d'Amérique (RS 0.353.933.6) Tribunal fédéral Tribunal pénal fédéral Tribunal de première instance des Communautés européennes Traité sur l'Union européenne (Traité de Maastricht du 7 février 1992) Union européenne Convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'UE du 29 mai 2000. United Nations United Nations Office for Drug Control and Crime Prevention US dollars Volume Zeitschrift des Bernischen Juristenvereins INTRODUCTION Introduction 1. La lutte contre la criminalité : les stratégies centrées sur les profits Depuis les années 1980, les stratégies contre la criminalité, en particulier contre la délinquance financière, sont de plus en plus centrées sur les profits. L’initiative ambitieuse du gouvernement américain, la guerre contre les stupéfiants (« War on Drugs »1) déclarée par le Président R. Reagan, mettait effectivement un accent particulier sur les profits issus du trafic illicite. Plusieurs pays ont mis en valeur des stratégies de ce type pour lutter contre le trafic illicite de stupéfiants et, progressivement, contre toutes les formes de criminalité. Quatre objectifs peuvent actuellement être mis en évidence2 : 1. la répression du blanchiment d’argent, 2. le renforcement des dispositions sur la saisie et la confiscation des gains illicites, 3. la réglementation optimale des marchés financiers et 4. la coopération internationale étroite dans tous ces domaines. La position soutenue dans le présent travail est que la confiscation des profits illicites peut jouer un rôle important dans la lutte contre la criminalité, surtout contre la délinquance financière, à l’échelle nationale et internationale. Dans ce contexte, la confiscation doit être combinée avec les autres méthodes mentionnées ci-dessus pour créer un dispositif cohérent et efficace. La complémentarité des objectifs s’impose, car chaque méthode a ses avantages et ses limites. Par exemple, les obligations de diligence imposées aux intermédiaires financiers par la législation de plusieurs pays (identification du client et de l’ayant droit économique, conservation de documents, communication de soupçons de blanchiment d’argent, blocage interne d’avoirs, « no tipping-off rule » etc.) peuvent faciliter considérablement le travail des autorités pénales lors des procédures de saisie et de confiscation des valeurs patrimoniales. Outre la complémentarité, la cohérence des méthodes employées est d’importance ; par exemple, une modification des dispositions pénales réprimant le blanchiment d’argent peut avoir un impact sur l’étendue des obligations des intermédiaires financiers, ainsi que sur la confiscation et l’entraide. Le législateur doit donc faire preuve d’une vue globale du dispositif dans ces quatre domaines et opter pour des solutions cohérentes, une tâche 1 2 L’expression « War on Drugs » a été utilisée pour la première fois en 1972 par le Président Richard Nixon et fait référence à l’initiative « War on Poverty » du Président Lyndon Johnson de 1964 et au paradigme « War on Crime » des années 1920-1930. En tant que terme de propagande, l’expression a été récemment reprise par le Président George W. Bush dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, « War on Terrorism ». Il est intéressant de noter que l’administration du Président Barack Obama opte pour l’expression « overseas contingency operations », qui est moins chargée idéologiquement. CASSANI (2008), p. 272 ss ; GILMORE (2005), p. 255 s ; KILCHLING (2002), p. 3 s. 3 Introduction rarement aisée, en raison de la diversification des sources normatives en la matière3. 2. La confiscation, la saisie et l’entraide judiciaire internationale Il convient ici d’entreprendre une première définition du terme « confiscation ». La confiscation est une sanction aboutissant à la privation permanente d'une valeur patrimoniale, à la suite d’une procédure portant sur une infraction pénale. Les éléments particuliers du régime de confiscation peuvent différer d’un pays à l’autre4. Le droit interne peut ainsi considérer la confiscation comme une peine ou une mesure de sûreté. Le droit interne peut déterminer que, outre le cadre de la procédure pénale, la confiscation peut aussi être prononcée dans le cadre d’une procédure civile qui porte sur une infraction pénale. Il peut de même définir de manière large ou restrictive les infractions dont le produit peut faire l’objet de confiscation. Enfin, il peut fixer de manière large ou restrictive les modalités de la restitution au lésé. Toutefois, deux éléments principaux caractérisent la confiscation : la privation permanente d’une valeur patrimoniale et le lien entre cette valeur et l’infraction pénale. Le premier élément différencie la confiscation de la saisie ; le terme « saisie » se réfère à une mesure provisoire interdisant temporairement le transfert, la conversion et la disposition de valeurs patrimoniales, qui sont susceptibles d’être confisquées ultérieurement. Enfin, la saisie et la confiscation peuvent faire l’objet d’une demande d’entraide judiciaire internationale ; à la suite d’une telle demande de l’Etat requérant, les autorités compétentes de l'Etat requis accomplissent, sur leur territoire, des actes de procédure en matière de saisie et de confiscation. 3. Les buts de la confiscation et son pouvoir dissuasif En mettant en place un dispositif de confiscation, la motivation du législateur est éthique et utilitaire à la fois. Le but éthique de la confiscation est de priver le criminel de ses gains, car le crime ne doit pas payer5. Punir l’auteur de l’infraction en lui permettant de demeurer en possession des produits illicites serait incontestablement une situation insatisfaisante du point de vue moral6. 3 4 5 6 4 CASSANI (2008), p. 235. KILCHLING (2001), p. 270 ; NILSSON (1992), p. 464 s ; DESSECKER (1992), p. 175 s. GILMORE (2005), p. 22 s ; KILCHLING (2002), p. 5 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 3 ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 10 ; TRECHSEL (2008), Art. 70 CP, N. 1 ; BRIDGES (1997), p. 26. GAILLARD (1985), p. 157 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 3 ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 10. Introduction A notre avis, cette nature éthique est l’argument le plus fort en faveur de la confiscation. Outre les motifs moraux, la confiscation des produits de la criminalité s’appuie aussi sur des motifs de nature plus pratique, en particulier la nécessité d’empêcher la « contamination de l’économie licite »7 (prévention générale). Le préambule de la Convention de Vienne (1988)8 se réfère à cet effet de « contamination » et constate que les profits illicites permettent aux criminels et aux organisations criminelles de « pénétrer, contaminer et corrompre les structures de l’Etat, les activités commerciales et financières légitimes et la société à tous les niveaux ». Les gains illicites aident effectivement les criminels à étendre leur emprise sur la société civile, ce que la confiscation vise à enrayer. Une question générale qui se pose est de savoir si la confiscation, en tant que privation permanente de valeurs patrimoniales, peut avoir un pouvoir dissuasif individuel susceptible d’évaluation. Dans les années 1970 et 1980, un courant d’études s’est centré à la fois sur les coûts du crime et sur la mesure scientifique des effets intimidants des sanctions pénales9. Le crime est devenu un objet privilégié d’application de la thèse du choix rationnel, selon laquelle l’être humain est capable de calcul et de pensée stratégique, et tente toujours de maximiser ses gains et de minimiser ses coûts. Suivant cette logique, le criminel prend en considération le bénéfice qu’il entend retirer de l’infraction et les risques de se faire prendre et sanctionner10. Cela est particulièrement vrai dans le cadre de la délinquance financière, lorsque les auteurs potentiels ont un niveau d’éducation élevé. Si nous admettons que les criminels potentiels sont des êtres rationnels, ce qui n’est pas toujours le cas, nous devons affirmer que la certitude ou la forte probabilité de sanctions pénales peut les dissuader11. Une telle affirmation, valide pour les peines privatives de liberté et les peines pécuniaires, est plus difficilement admise en ce qui concerne la confiscation des produits de l’infraction : le criminel risque d’être privé de ses gains illicites, mais la confiscation n’engendre pas d’autres inconvénients par rapport à sa situation avant la commission de l’infraction12. La certitude de la confiscation compromet simplement la rentabilité du plan criminel, en le rendant trop risqué et nettement moins avantageux. Selon le raisonnement inverse, si les profits tirés de l’activité criminelle ne sont pas confisqués, 7 8 9 10 11 12 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil - Produits du crime organisé : garantir que « le crime ne paie pas », COM (2008) 766 final du 20.11.2008, section 2. Pour une analyse de cet instrument, voir p. 15 ss de la présente étude. POUPART (2002), p. 134. CORNISH / CLARKE (1986), p. 72 ss ; VETTORI (2006), p. 2. KILCHLING (2001), p. 265 ; pour une analyse détaillée, voir SAVONA (2006), p. 60 ss et les références citées. Contra : NELEN (2004), p. 524 ss et les références citées. En outre, les criminels potentiels peuvent planifier leurs activités, en prenant en considération le risque de confiscation ; LEVI / OSOFSKY (1995), p. 13. Il y a parfois des exceptions, notamment lorsque la confiscation s’étend aux gains bruts. Cf. p. 213 infra. 5 Introduction l’auteur de l’infraction est récompensé et sa motivation à commettre d’autres infractions ne peut qu’être renforcée. Cela serait une source d’effets pervers (« aléa moral ») non seulement au niveau de la prévention spéciale, mais aussi au niveau de la prévention générale, en signalant l’existence des possibilités d'abus aux personnes qui voudraient exploiter une telle lacune du droit pénal. Même si nous n’admettons pas le pouvoir dissuasif de la confiscation, il faut admettre une fonction préventive à un autre niveau ; la confiscation empêche notamment que les profits tirés d’une infraction puissent financer d’autres activités illicites à l’avenir. Les gains illicites entre les mains du criminel représentent un danger pour la société, car ils risquent d’être réinvestis dans le crime, c’est-à-dire de servir à commettre une nouvelle infraction. Certains criminels peuvent même « continuer à diriger leurs trafics depuis l’intérieur de la maison d’arrêt, parce qu’on les a laissés en possession de leurs avoirs, et qu’ils ont donc la possibilité de faire fonctionner leur entreprise criminelle »13. La neutralisation financière de l’auteur de l’infraction s’ajoute donc aux objectifs de la confiscation, en tant que sanction pénale. La finalité réparatrice de la confiscation doit aussi être prise en considération. Si nous admettons que la victime doit occuper un rôle essentiel dans la procédure pénale, nous devons aussi reconnaître la nécessité d’adapter les instruments du droit pénal, dont la confiscation, pour mieux protéger les prétentions de la victime14. L’Etat doit ainsi envisager à titre prioritaire la restitution des biens confisqués aux propriétaires légitimes antérieurs ou aux victimes de l’infraction en tant que dédommagement. Dans le cas des infractions contre des biens collectifs, où l’identification des victimes n’est pas facile, la réparation du dommage peut prendre la forme de projets ciblés financés par l’argent confisqué. 4. Le crime « désorganisé » : la confiscation est-elle une réponse à un risque surestimé ? La confiscation est couramment considérée comme faisant partie des outils de lutte contre la criminalité organisée. Les profits illicites permettent aux organisations criminelles de financer leurs opérations, de récompenser leurs membres et de s’accroître ; la volonté d’obtenir des profits est donc particulièrement fort dans le contexte de la criminalité organisée15. Certains auteurs font même une analogie entre les groupes criminels et les sociétés 13 14 15 6 ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE (2009), Rapport fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur la proposition de loi de MM. Jean-Luc Warsmann et Guy Geoffroy (N° 1255), visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, rapport n° 1689, 20 mai 2009, p. 162. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73, N. 3. KILCHLING (2001), p. 264 ; VETTORI (2006), p. 2 ss. Introduction multinationales, en prenant en considération des caractéristiques comme la complexité des structures organisationnelles, la diversification des activités et la dimension internationale16. Toutefois, en raison de son ambiguïté, la notion de « criminalité organisée » et les estimations officielles du risque qu’elle représente pour la société doivent être admises avec précaution et seulement après une réflexion critique. M. Levi compare la notion de « criminalité organisée » aux taches du test du psychiatre Rorschach, car « one can read almost anything into it »17. Premièrement, il n’y a pas de consensus clair sur la définition précise de la notion18. Deuxièmement, le phénomène de la « criminalité organisée » repose sur certaines constatations qui sont loin d’être indiscutables (le lien entre les divers groupes de criminels nationaux, leur homogénéité, leur action coordonnée et cohérente, etc.)19. Troisièmement, la répression de la « criminalité organisée » pose le dilemme entre efficacité et protection des droits fondamentaux ; la menace de la criminalité organisée ne doit pas être surestimée afin de justifier l’adoption de mesures répressives qui annulent la protection des droits fondamentaux20. Ces trois observations doivent être prises en considération lorsque la confiscation est employée dans la lutte contre la criminalité organisée. 5. La confiscation est-elle une « fragile bulle de savon » ? Le courant majoritaire de la doctrine internationale est plutôt favorable à la mesure de confiscation21. Néanmoins, l’efficacité de la confiscation dans la lutte contre la criminalité a été mise en doute. Selon R. Naylor, le concept de la confiscation n’est qu’une « fragile bulle de savon », alors que la nécessité de développer des régimes de confiscation ne repose que sur « une série de suppositions inexactes, ou du moins invérifiables »22. L’efficacité de la confiscation est donc mise en doute, parce qu’il est difficile de déterminer avec certitude ses effets sur le comportement des délinquants. 16 17 18 19 20 21 22 GILMORE (2005), p. 20 ; ORGANISATION DES NATIONS UNIES (1994), Problèmes et dangers causés par la criminalité organisée dans les diverses régions du monde, rapport de la Conférence Ministérielle Mondiale sur la criminalité transnationale organisée, UN Doc. E/Conf. 88/2, 18 août 1994, p. 23. LEVI (2002), p. 887 ; LEVI (2007), p. 261. Pour une analyse de cette notion, voir Arzt (2007), Art. 260ter CP, N. 15 ss et N. 85 ss ; DEN BOER (2002), p. 115 ; PAOLI / FIJNAUT (2004), p. 5 ; PAOLI / FIJNAUT (2006), p. 309 ss ; QueLoz (1997), p. 767 ss ; SYMEONIDOU-KASTANIDOU (2007), p. 92 ; VAN DUYNE (2004), in toto ; MILITELLO / HUBER (2001), in toto. Certains auteurs parlent de « crime désorganisé » ; cf. notamment REUTERS (1983), in toto. En outre, «hard statistical information is lacking » en matière de criminalité organisée ; House of Commons (2007), Justice and home affairs issues at European Union level, Home Affairs Committee, 3rd Report of Session 2006–07, HC Paper 76-I, 5 June 2007, p. 12. Cf. aussi NELEN (2004), p. 525. Comme l’indique N. Queloz, il est important de « ne pas combler le déficit de sécurité par un déficit démocratique » ; QUELOZ (1997), p. 784. GILMORE (2005), p. 255 ; STESSENS (2006), p. 209 ; KILCHLING (2002), p. 449. NAYLOR (2003), p. 190 ; voir aussi LEVI (2007), p. 262 et 269 ; NElen (2004), p. 522. 7 Introduction Il s’agit d’une argumentation intéressante qui se prête au débat, surtout parce qu’elle va contre le courant majoritaire de la doctrine. A notre avis, même si la confiscation ne constitue pas une panacée, elle peut contribuer considérablement à la lutte contre la criminalité : elle prive l’auteur de l’infraction de ressources financières et canalise ces ressources vers l’Etat (ou vers le lésé de l’infraction en cas de restitution). Dans ce sens, il ne faut pas considérer la confiscation et les peines privatives de liberté comme des éléments antagoniques de la politique criminelle ; ces éléments peuvent et doivent se compléter pour aboutir à un résultat optimal23. Comme le démontrent les données statistiques (Tableau 1 en page 12), l’efficacité des régimes de confiscation s’améliore dans plusieurs pays, alors que les autorités compétentes nationales se familiarisent progressivement avec les instruments en matière de confiscation. L’augmentation des sommes saisies et confisquées, c’est-à-dire la diminution des valeurs patrimoniales soumises au pouvoir de disposition des criminels, est une tendance qui devrait s'inscrire dans la durée et confirme l’importance des mécanismes de confiscation. Selon une autre critique, la confiscation déforme les priorités des organismes de lutte contre la criminalité, en détournant leur attention des criminels violents, « pour se concentrer sur les criminels les plus prospères »24. Pour illustrer cette déformation de priorités, l’auteur se réfère au fait que les policiers reçoivent des bonifications et des primes qui dépendent surtout de la quantité d’argent saisi. Ce dernier argument est encore plus difficile à admettre, non seulement parce qu’il n’est pas fondé sur des statistiques ou sur des recherches empiriques concrètes, mais aussi parce qu’il ne fait pas justice à la motivation et aux efforts continus des autorités policières dans la lutte contre les crimes violents. En outre, il y a souvent un lien de connexité entre les profits et la violence, comme dans le cas du trafic de stupéfiants. 6. La confiscation et les défis posés par l’internationalisation du crime Les criminels ont incontestablement tiré avantage de la mondialisation économique25, notamment des circuits de blanchiment internationaux. L’internationalisation des activités criminelles n’a pas rendu obsolètes les frontières nationales ; pourtant, il faut admettre qu’elle a rendu plus difficile la 23 24 25 8 KILCHLING (2001), p. 264 ; GILMORE (2005), p. 255 ; DESSECKER (1992), p. 380. NAYLOR (2003), p. 183 ; cf. aussi KILLIAS / KUHN / DONGOIS /AEBI (2008), p. 278, N. 1545 et les références citées. CASSANI (2008), p. 234 ; GILMORE (2005), p. 25 ; NILSSON (1992), p. 457 ; FIJNAUT (2000), p. 122. Introduction lutte des autorités nationales contre le crime26. Les stratégies nationales contre la criminalité doivent forcément être fondées sur la coopération internationale. Cette constatation fondamentale, qui a pris forme au XIXe siècle (mise au point graduelle du système d’extradition), devient d'actualité en raison de la mondialisation économique et entraîne une réflexion sur la valorisation de l’entraide judiciaire en matière pénale27. La dimension internationale de la lutte contre la criminalité doit être prise en considération dans le contexte particulier de la confiscation. Les valeurs patrimoniales qui peuvent faire l’objet de confiscation, qu’il s’agisse d’objets matériels corporels, de droits, de créances ou de papiers valeurs, peuvent être transportées ou transférées d’un pays à l’autre. La globalisation financière et l’internationalisation accrue des montages employés par les blanchisseurs compliquent davantage la localisation des valeurs patrimoniales et l’identification du propriétaire et de l’ayant droit économique. Dans ce contexte, le renforcement du dispositif de l’entraide judiciaire s’avère nécessaire dans toutes les phases de la procédure de confiscation28. 7. Les hypothèses et les objectifs de la recherche A l’heure actuelle, il existe de nombreux instruments en matière de confiscation, adoptés successivement par des instances différentes. Il est donc utile d’examiner les dispositions de ces instruments et leurs interactions réciproques. L’objectif ultérieur est d’évaluer la capacité de ces instruments à produire des résultats positifs dans la lutte contre la criminalité, en particulier contre la criminalité économique. Une telle évaluation comprend nécessairement l’identification de lacunes, d’incohérences et de conflits normatifs dans le dispositif de la confiscation, au niveau national et international ; cette évaluation doit mettre en relief les enjeux et les défis du droit de la confiscation, en vue de l’améliorer. L’exercice d’évaluation affirme la nécessité d’une adaptation ciblée des instruments nationaux et internationaux en matière de saisie et de confiscation. Notre proposition pour l’amélioration ciblée de ces instruments dépend des facteurs suivants. La première question qui se pose est de savoir quels principes et quelles conditions doivent s’appliquer à la saisie et à la confiscation, en particulier à la confiscation autonome (action in rem, civile ou pénale), aux procédures de 26 27 28 Cela est tout particulièrement vrai au sein de l'UE, où la disparition des contrôles quant aux mouvements de personnes, de biens et de capitaux offre des opportunités aux réseaux criminels et constitue un défi majeur pour les autorités des Etats membres ; NILSSON (2006), p. 56 ; rapport précité (note 19), p. 24. GILMORE (2005), p. 16 ; HOUSE OF LORDS (2009), Money laundering and the financing of terrorism, European Union Committee, 19th Report of Session 2008–09, HL Paper 132–I, 22.07.2009, p. 11. GILMORE (2005), p. 63 ; CaSsella (2002b), p. 268 ; MCCLEAN (1989), p. 339. 9 Introduction recouvrement de la créance compensatrice, etc. Dans tous les cas de confiscation, il faut définir les types de valeurs patrimoniales confiscables, les infractions en amont, le lien de connexité entre l’infraction et les valeurs patrimoniales, etc. A cet égard, nous étudierons en détail les solutions avancées en droit international, européen et suisse. La démarche relève non seulement du droit comparé, mais aussi du droit de l’entraide judiciaire en matière pénale. Deuxièmement, il convient d’examiner quels outils législatifs et quelles structures institutionnelles peuvent faciliter l’« asset tracing » au niveau national et international (p.ex. les obligations imposées aux intermédiaires financiers, le suivi d’opérations bancaires, le renversement du fardeau de la preuve, etc.). Ces outils, qui sont mis à la disposition des autorités judiciaires, doivent être modernes et efficaces pour garantir que « le crime ne paie pas ». La modernisation des outils législatifs en matière d’« asset tracing » doit s’accompagner de la simplification et de l’accélération du processus de l’entraide judiciaire. La présente étude vise à contribuer au débat à propos de ces outils, en particulier en ce qui concerne le renversement du fardeau de la preuve quant à l’origine des valeurs patrimoniales à confisquer. Au niveau institutionnel, il convient d’examiner le rôle des bureaux de recouvrement des avoirs (BRA), nouveauté très importante dans le domaine de l’« asset tracing ». Troisièmement, la question se pose de savoir si un nouvel instrument global en matière de confiscation serait nécessaire. Faute de consensus international à cet égard, l’harmonisation « à bas seuil », tant obligatoire que volontaire, demeure la formule privilégiée dans le domaine de la confiscation internationale. Toutefois, cette méthode a ses limites. Par ailleurs, l’harmonisation « à bas seuil » s’accompagne d’une approche de « segmentation » dans l’élaboration de normes. Ainsi, les différences, qui opposent les législations nationales, continuent à affecter sensiblement l’efficacité de la confiscation sur le plan international. La dissimulation des profits illicites est facilitée par la fragmentation des dispositifs nationaux. Sans doute, un haut degré d'harmonisation doit-il être atteint pour faire face à l’internationalisation du crime. Le degré d'harmonisation dépend de la volonté politique et de l'importance des divergences juridiques à surmonter. Quatrièmement, il convient de faire un examen global et approfondi des mécanismes de coopération internationale dans toutes les phases de la confiscation (investigations, saisie, confiscation, restitution, partage des avoirs). La dimension internationale de la lutte contre la criminalité exige le renforcement de ces mécanismes. A ce sujet, il faut voir si une transition graduelle de l’entraide classique à la reconnaissance mutuelle peut être mise en évidence. La reconnaissance mutuelle constitue déjà une piste à laquelle l’UE recourt de plus en plus. 10 Introduction Cinquièmement, il reste à examiner si la protection des droits fondamentaux (procès équitable, présomption d’innocence, garantie de la propriété) est adéquate dans toutes les phases de la confiscation. L’importance de cette protection n'appelle pas de commentaire particulier. Les deux méthodes déjà mentionnées (harmonisation du droit de la confiscation, reconnaissance mutuelle des décisions de confiscation) doivent se fonder sur un niveau élevé de protection des droits fondamentaux. Le législateur doit assurer l’équilibre entre cette protection et l’efficacité de la saisie et de la confiscation du point de vue des autorités judiciaires. Toutefois, les efforts du législateur pour renforcer cet équilibre, cette cohérence interne dans le dispositif de confiscation, rencontrent un succès mitigé, ce qui se reflète dans la jurisprudence de la Cour EDH. Sixièmement, il faut évaluer le régime des sanctions ciblées (gel d’avoirs) en matière de lutte contre le terrorisme. Les instruments internationaux, en particulier les résolutions du Conseil de sécurité, créent un régime assez compliqué, peu transparent et lacunaire du point de vue des garanties procédurales. Le gel, en tant que sanction ciblée internationale, a pourtant certains avantages au niveau de sa mise en œuvre. Pour cette raison, nous devons peut-être explorer l’idée d’étendre ce régime à d’autres catégories de personnes et entités (p. ex. barons du trafic de stupéfiants). Des questions relatives à la confiscation et à l’entraide aux fins de confiscation ont été abordées dans des ouvrages spécialisés, comme les monographies et articles écrits par F. Baumann, P. Bernasconi, U. Cassani, A. Donatsch, M. Harari, M. Pieth, N. Schmid, G. Stratenwerth, M. Vouilloz, R. Zimmermann, pour ne mentionner que les représentants de la doctrine suisse29. La présente étude vise à s’ajouter aux recherches antérieures, en insistant, cependant, sur les évolutions survenues récemment et en analysant, outre les dispositions du droit suisse, les textes adoptés par des instances internationales. L’étude est organisée en trois parties. Dans la première partie, nous examinons les instruments internationaux contenant des dispositions relatives à la confiscation et à l’entraide aux fins de confiscation (travaux de l’ONU, du Conseil de l’Europe et du GAFI). Dans la deuxième partie, l’accent est mis sur les initiatives de l’UE dans le cadre du renforcement de la coopération judiciaire pénale, en particulier à des fins de confiscation. Dans la troisième partie, nous examinons les dispositions du droit suisse relatives à la confiscation et l’entraide à des fins de confiscation. 29 Voir Bibliographie, p. 317 de la présente étude. 11 Introduction Tendances en matière de confiscation Allemagne Année Nombre de décisions de confiscation 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 17 744 18 092 20 548 25 676 27 788 35 569 39 858 Source: Statistisches Bundesamt (2002-2008), Strafverfolgungsstatistik, Fachserie 10 Reihe 3 (Verfall und Einziehung) Etats-Unis Année 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Valeurs confisquées (a) - $564.5 millions $614.4 millions $767.4 millions - - - Valeurs confisquées (b) - $538 millions $593 millions $761 millions $1 192 millions $1 584 millions $1 411 millions 2009 $1 442 millions (a) Source : GAFI (2006), Rapport d’évaluation mutuelle des Etats-Unis, p. 49 citant des données du DOJ (Department of Justice). (b) Source : Assets Forfeiture Fund & Seized Asset Deposit Fund (2003-2009), Annual reports to the Congress, FY 2003-FY 2009, Summary of Forfeited Property by Disposition Method and Property Type France Année Nombre de décisions de confiscation 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 11 597 12 654 12 908 11 280 - - - Source: Ministère de la Justice (2008), Annuaire statistique de la Justice, p. 159 (valeurs provisoires exclues) Italie Année 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Valeurs confisquées (c) € 56,4 million s € 112 millions € 134.5 millions - - - - Valeurs confisquées (d) - - - - - - € 630 million s 2009 € 737 millions (c) Source: GAFI (2005), Rapport d’évaluation mutuelle de l’Italie, p. 33 (d) Source: Ministero della Giustizia (2009), Valore stimato dei beni immobili confiscati e assegnati, Statistiche 31.07.2008 & 30.11.2009 Royaume-Uni Année 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 £127.8 millions - - - - - £136 millions £148 millions Valeurs confisquées (e) - - £129.9 million s Valeurs confisquées (f) - - - (e) Source : GAFI (2007), Rapport d’évaluation mutuelle du Royaume-Uni, p. 57 citant des données du JARD (Joint Asset Recovery Database) (f) Source : Home Office (2009), Extending Our Reach: A Comprehensive Approach to Tackling Serious Organised Crime, p. 54 citant des données du JARD (Joint Asset Recovery Database) 12 PREMIÈRE PARTIE : LES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux Les instruments internationaux contenant des dispositions relatives à la confiscation (chapitre I) et à l’entraide aux fins de confiscation (chapitre II) seront étudiés en ordre chronologique. En raison de ses spécificités, la thématique du gel des avoirs terroristes est examinée séparément (chapitre III). L’objectif est d’identifier pour chaque instrument les déficiences et les éléments de plus-value. Nous pouvons ainsi déterminer les aspects du système actuel qui sont susceptibles d’amélioration. 1. La CEEJ (1959) La Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 195930 (ci-après CEEJ) constitue une initiative réussie du Conseil de l’Europe ; la CEEJ a été ratifiée par tous les membres de l’organisation, dont la Suisse31. L’importance de la CEEJ réside dans ses dispositions facilitant l’entraide judiciaire, que nous examinerons ultérieurement32 ; la CEEJ n’impose aux Etats Parties aucune obligation en matière de procédures de confiscation. Cette lacune est compréhensible, dès lors que la confiscation n’est devenue un outil privilégié de lutte contre la criminalité que beaucoup plus tard, notamment dans les années 1980. 2. La Convention de Vienne (1988) La Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (ci-après Convention de Vienne)33, signée le 19 décembre 1988 et entrée en vigueur le 11 novembre 1990, marque un tournant dans la lutte contre le trafic de drogues. Déjà ratifiée par de nombreux pays34, 30 31 32 33 34 Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, STE n° 30, Strasbourg (20 avril 1959); RS 0.351.1. Message du Conseil fédéral relatif à l'approbation de six conventions du Conseil de l'Europe, FF 1966 I 465 ; Arrêté fédéral du 27 septembre 1966, RO 1967 845. En Suisse, la CEEJ est entrée en vigueur le 20 mars 1967. Voir p. 47 de la présente étude. Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, adoptée par la Conférence des Nations Unies tenue à Vienne du 25 novembre au 20 décembre 1988 ; RS 0.812.121.03. A l’heure actuelle (avril 2011), il y a 185 ratifications ; pour l’état des ratifications, voir : http://treaties.un.org 15 Première partie : les instruments internationaux dont la Suisse35, elle a fixé des standards sur lesquels se sont modelées plusieurs conventions ultérieures. Son importance est reconnue par plusieurs instances, comme le Conseil de l’Europe36 et le GAFI37. L’article 5 par. 1 de la Convention de Vienne impose aux Etats Parties l’obligation d’adopter les mesures qui se révèlent nécessaires pour permettre la confiscation des valeurs patrimoniales énumérées sous les let. a et b. Il s’agit là d’une des caractéristiques majeures de l’approche adoptée dans la rédaction de cet instrument international38. L’article 1 let. f de la Convention de Vienne définit le terme « confiscation » comme une dépossession permanente de biens sur décision d’un tribunal ou d’une autre autorité compétente. Les auteurs de la Convention de Vienne ont opté pour le terme « confiscation » au lieu du terme « forfeiture », parce qu’il est plus souvent employé dans la pratique internationale39. La portée de l’article 5 n’est pas limitée par des clauses de sauvegarde. Il y a pourtant un élément de souplesse ; comme l’indique le rapport explicatif, «[t]he paragraph as drafted […] gives each party some discretion as to the nature of the measures that are necessary. It will be noted that the obligation is to “enable” confiscation ; a party is not obliged to make confiscation mandatory in all or even specific cases »40. L’art 5 de la Convention de Vienne ne précise pas si la confiscation dépend de la condamnation. Comme l’affirme le rapport explicatif, la disposition couvre les mesures de confiscation qui relèvent des procédures de nature pénale, ainsi que les procédures de confiscation « in rem » (civile ou pénale), indépendantes de toute poursuite à l’encontre de l'auteur41. Dans le cas de procédures de ce type, l’action est dirigée non pas contre l’auteur de l’infraction, mais contre les instruments ou les produits d’une infraction. La législation nationale détermine si la confiscation est conditionnée par la poursuite et la condamnation de l’accusé ou si elle peut être prononcée hors et indépendamment du procès pénal42. Tel est le cas du droit du Royaume-Uni, qui autorise la confiscation de biens en l’absence de poursuite pénale (POCA 35 36 37 38 39 40 41 42 16 Message du Conseil fédéral du 29 novembre 1995 concernant la Convention internationale de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, FF 1996 I 557 ; Arrêté fédéral du 16 mars 2005, RO 2006 561. En Suisse, la Convention de Vienne est entrée en vigueur le 13 décembre 2005. Rapport explicatif à la Convention n° 141, par. 14 ; rapport explicatif à la Convention n° 198, par. 30 ; les rapports explicatifs de conventions, quoique utiles, ne constituent ni des sources de droit international ni des instruments d’interprétation authentique des conventions ; Yasseen (1976); Politis (1935), p. 374 ss ; article 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (RS 0.111). La recommandation no 35 du GAFI incite les pays membres à ratifier cette convention sans réserves ; GAFI (2003), Les 40 recommandations (version révisée 2003). GILMORE (2005), p. 60. Commentary of the United Nations Convention against the Illicit Traffic in Narcotic Drugs and Psychotropic Substances, p. 118, par. 5.5. Commentary (note 39), p. 118, par. 5.4. Commentary (note 39), p. 120, par. 5.9 et 5.10. GAFI (1997), Evaluation des lois et systèmes des membres du GAFI relatifs à la confiscation des biens et aux mesures provisoires, par. 7 ; Commentary (note 39), p. 120, par. 5.10 I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux 2002, part 5 : « civil recovery of the proceeds etc. of unlawful conduct »)43. Le droit des Etats-Unis prévoit également des procédures de confiscation autonome (18 USC 981, « civil forfeiture »)44. Le droit suisse permet, enfin, au juge pénal d’ordonner une confiscation autonome, indépendamment d’une condamnation pénale ou de l’engagement de poursuites pénales45. Les infractions intentionnelles établies conformément à l’article 3 par. 1 de la Convention de Vienne sont des infractions en amont au sens de l’article 5. L’article 3 par. 1 let. a se réfère notamment à la production, fabrication, extraction, préparation, offre, mise en vente, distribution, etc., des stupéfiants ou des substances psychotropes46, ainsi qu’à la détention et à l’achat de stupéfiants ou de substances psychotropes aux fins d’une de ces activités. L’article 3 par. 1 let. a couvre aussi la fabrication, le transport ou la distribution d’équipements et de matériels, l’organisation, la direction et le financement de toutes ces activités. Le blanchiment d’argent en vertu de l’article 3 par. 1 let. b de la Convention de Vienne est une autre infraction en amont au sens de l’article 5, ce qui élargit le champ d’application de la confiscation. L’expression « blanchiment d’argent » est absente de l’intitulé et du texte de la disposition ; selon le commentaire de la convention, cette expression était une nouveauté et posait des problèmes de traduction, raison pour laquelle elle a été expressément écartée47. En vertu de l’article 3 par. 1 let. b de la Convention de Vienne, les Etats Parties sont donc tenus d’incriminer la conversion ou le transfert de biens provenant du trafic de drogues, si ces actes sont accomplis dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite des biens. Les Etats Parties doivent aussi incriminer la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement, ou de la propriété réelle de biens ou de droits y relatifs, lorsque l’auteur a connaissance de leur provenance du trafic de stupéfiants. Comme le précise l’article 3 par. 11, la définition des infractions visées et des moyens juridiques de défense y relatifs relève exclusivement du droit interne de chaque Etat Partie. L’article 5 vise trois catégories de valeurs patrimoniales soumises à la confiscation : en premier lieu, les stupéfiants, substances psychotropes, matériels et équipements ou autres instruments utilisés ou destinés à être utilisés de quelque manière que ce soit pour les infractions en amont que nous 43 44 45 46 47 Pour une analyse de cette loi, voir CASSANI (2004), p. 280 ss ; DICKSON (2009), p. 444 ss. Sur la confiscation en droit américain, voir ACKERMANN (1992), p. 315 ss; SCHMID (1993) p. 178 ; cf. aussi ZAGARIS (2005), p. 525 ss ; GARRETSON (2008), p. 47 ss ; CASSELLA (2008a), section II et les références citées. Dès lors que la procedure n’est pas dirigée contre une personne mais contre des avoirs, la manière de citation suivante est employée aux Etats-Unis : United States v. $160'000 in US Currency, ou United States v. Contents of Account Number 12345 at XYZ Bank Held in the Name of Jones ; cf. CASSELLA (2008b), p. 9. Voir p. 193 de la présente étude. Pour une définition de ces deux termes voir l’article 1 let. n et let. r de la Convention de Vienne. Commentary (note 39), p. 65, par. 3.51. 17 Première partie : les instruments internationaux venons d’examiner (article 5, par. 1 let. b) ; en second lieu, les produits tirés d’infractions en amont (article 5, par. 1 let. a) ; en troisième lieu, les biens dont la valeur correspond à celle desdits produits (article 5, par. 1 let. a, in fine). La disposition fait preuve de souplesse et tient compte des différentes approches nationales en matière de confiscation48. Plus précisément, l’article 1 let. p de la Convention de Vienne indique que le terme « produit » désigne tout bien provenant directement ou indirectement du trafic de drogues. Conformément à l’article 1 let. q, le terme « biens » désigne tous les types d’avoirs (corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, tangibles ou intangibles, ainsi que les actes juridiques ou documents attestant la propriété de ces avoirs ou des droits y relatifs). Outre l’article 1 let. p de la Convention de Vienne, l’article 5 par. 6 let. a confirme que, en plus des produits directs, les valeurs de remplacement sont aussi soumises à la confiscation. Selon cette disposition, si les produits du trafic illicite ont été transformés ou convertis en d’autres biens, ces biens peuvent faire l'objet de mesures de confiscation en lieu et place des produits directs. Selon le rapport explicatif, « […] this subparagraph applied whether the proceeds were still in the hands of the offender or had been passed on to another natural or juridical person »49. L’article 6 let. b concerne le mélange du produit du trafic illicite à des biens acquis légitimement et permet la confiscation de ces biens à concurrence de la valeur estimée des produits qui y ont été mêlés. En pratique, cela exige la réalisation des biens confisqués. Les revenus et autres avantages tirés des produits du trafic illicite sont aussi soumis à la confiscation (les intérêts, les dividendes etc.)50. Le produit du blanchiment d’argent en vertu de l’article 3 par. 1 let. b est également visé. Cela élargit davantage la notion de « produit » et permet d’appréhender la conversion et le transfert des valeurs originales. La troisième catégorie de valeurs patrimoniales confiscables au sens de l’article 5 comprend les biens dont la valeur correspond à celle des produits du trafic illicite de stupéfiants (article 5, par. 1 let. a, in fine). Certaines législations pénales n’autorisent que la confiscation des valeurs patrimoniales provenant directement ou indirectement de l’infraction en question (« property based system »). A la suite d'une telle confiscation, les droits de propriété sont transférés à l'Etat51. Dans d’autres pays, dont la Suisse, si la valeur obtenue par l’infraction ne se trouve plus dans le patrimoine de l'auteur, le tribunal peut ordonner une créance compensatrice de l’Etat ou des mesures équivalentes (« value based system »)52. La question du lien entre le bien confisqué et l'infraction n’a pas de pertinence, s’il s’agit d’une procédure de recouvrement de la créance compensatrice. La dissimulation, le transfert, la destruction etc. 48 49 50 51 52 18 GILMORE (2005), p. 61. Commentary (note 39), p. 133, par. 5.43. Article 5 par. 6 let. c, Convention de Vienne ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 59. NILSSON (1992), p. 464. Sur cette question voir : BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 22-23. I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux du produit de l’infraction n’importe donc pas, dès lors qu’il est possible de confisquer des valeurs patrimoniales acquises de manière licite, ce qui constitue par ailleurs l’avantage principale de cette méthode53. La somme d’argent à verser est calculée d'après une estimation de la valeur des produits de l’infraction. A défaut de paiement, la confiscation de la valeur est exécutée de la même manière que les amendes ou les décisions de justice en matière civile. L’article 5, par. 1 let. a, in fine de la Convention de Vienne permet donc la confiscation de la valeur, outre la confiscation proprement dite. Il est intéressant de noter que la Convention de Vienne propose aux Etats Parties de considérer l’idée du renversement du fardeau de la preuve quant à l’origine des valeurs patrimoniales à confisquer (article 5 par. 7)54. Cela signifie que, dans la mesure où le droit interne le permet, l’accusé (ou le tiers détenteur des avoirs) est tenu de prouver l’origine licite des avoirs. L’article 5 par. 7 de la Convention de Vienne ne propose pas de standards de preuve. Selon le rapport explicatif, « [t]he phrase is perhaps more appropriate to national systems in which criminal procedure is based on an adversarial model, but is capable of being applied under any procedural model»55. Le renversement du fardeau de la preuve peut être utile dans les cas où les valeurs patrimoniales proviennent d’actes commis à l’étranger, et où l’accusation ne peut pas facilement établir le lien entre les valeurs en question et l’infraction56. Le droit du Royaume-Uni prévoit un renversement du fardeau de la preuve dans le cadre de la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants, en introduisant une présomption réfragable concernant la provenance illicite des avoirs acquis six ans avant la condamnation57. Selon l’article 5 par. 8 de la Convention de Vienne, l’interprétation des dispositions sur la confiscation ne doit en aucun cas porter atteinte aux droits des tiers de bonne foi. Il s’agit de la protection des droits d’une personne qui n’est pas elle-même impliquée dans la commission de l’infraction, mais qui détient le produit d’activités criminelles. Les complices ou co-auteurs de l’infraction ne sont donc pas protégés. Cette disposition a été influencée par le droit des Etats-Unis, qui reconnaît la défense de l’« innocent owner »58. L’article 53 54 55 56 57 58 KILCHLING (2001), p. 272. Cf. aussi article 12 par. 7 de la Convention de Palerme ; article 31 par. 8 de la Convention de Mérida ; recommandation no 3 du GAFI. Commentary (note 39), p. 136, par. 5.54. STESSENS (2000), p. 67 ; pour une analyse de la jurisprudence de la Cour EDH sur la question particulière du renversement du fardeau de la preuve, voir p. 41 ss de la présente étude. La Commission européenne envisage l’idée de recourir à la méthode du renversement du fardeau de la preuve quant à l’origine illicite des avoirs ; selon cette proposition, les avoirs devraient être présumés comme le produit d’activités criminelles, si elles sont disproportionnées par rapport aux revenus déclarés de leur propriétaire et si celui-ci entretient habituellement des contacts avec des personnes connues pour leurs agissements criminels. Communication de la Commission (note 7), section 3.3.2 ; Zagaris (2009), p. 87 ss. Article 2 par. 3, Drug Trafficking Offences Act 1994 ; KILCHLING (2001), p. 272. CASSELLA (2009), section II ; GARRETSON (2008), p. 59 ss ; EVANS (1996), p. 199; GORDON (1995), p. 751. 19 Première partie : les instruments internationaux 5 par. 8 de la Convention de Vienne laisse aux Etats Parties la liberté de régler les détails de la protection des tiers59. Au niveau des mesures provisoires, l’article 1 let. l de la Convention définit les termes « gel » et « saisie » comme « l’interdiction temporaire du transfert, de la conversion, de la disposition ou du mouvement de biens ou le fait d’assumer temporairement la garde ou le contrôle de biens sur décision d’un tribunal ou d’une autre autorité compétente ». Selon l’article 5 par. 2 de la Convention de Vienne, les Etats Parties sont tenus d’adopter des mesures sur le plan national permettant aux autorités compétentes de geler ou saisir des biens susceptibles de faire l'objet d'une confiscation ultérieure. Pour une mise en œuvre efficace de mesures provisoires, les tribunaux ou autres autorités compétentes doivent être habilités à ordonner la production ou la saisie de documents bancaires financiers ou commerciaux. Les dispositions relatives au secret bancaire constituent une nouveauté importante de la Convention de Vienne. En particulier, selon l’article 5 par. 3 (et l’article 7 par. 5 en matière d’entraide), les Etats Parties ne peuvent pas invoquer le secret bancaire pour refuser de donner effet aux dispositions relatives à la confiscation. En ce qui concerne le sort des valeurs confisquées, la Convention de Vienne affirme le principe selon lequel la disposition de ces valeurs relève du droit interne et des procédures administratives de l’Etat qui confisque des produits ou des biens en application de l’article 5 par. 1 (article 5 par. 5 let. a). La Convention de Vienne ne prévoit pas la mise en place d’un régime pour la gestion des actifs saisis et confisqués, ce qui constitue un point faible de l’instrument60. Le rapport explicatif admet la nécessité d’un tel régime : « It will be necessary for the appropriate authority to […] manage or otherwise deal with the property in question. This might include the need, for example, to run restrained businesses, ranging from restaurants to ski resorts, to dispose of perishable or rapidly depreciating property, and to compensate innocent creditors »61. Ces questions ont pourtant été laissées à la discrétion des Etats. Comme l’indique un rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC)62, un nombre satisfaisant de pays a déjà introduit les mesures législatives exigées par la Convention de Vienne, telles que l’incrimination du blanchiment d’argent provenant du trafic de stupéfiants et la mise en place d’un dispositif de confiscation. Il faut cependant noter que 59 60 61 62 20 Commentary (note 39), p. 136, par. 5.54. GILMORE (2005), p. 61. Commentary (note 39), p. 141, par. 5.65. United Nations (2001), Report of the informal expert working group on mutual legal assistance casework best practice, United Nations Office for Drug Control and Crime Prevention, Vienna, 2001, p. 5. I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux certains Etats Parties se montrent récalcitrants au niveau de la mise en application de ces obligations63. 3. La Convention n° 141 du Conseil de l’Europe (1990) Depuis le début des années 1980, le Conseil de l'Europe travaille sur la question de la confiscation des produits du crime64. Le résultat de ce travail est la Convention no 141 du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime du 8 novembre 1990 (ci-après Convention no 141)65, qui constitue un texte de référence au niveau européen. A l'heure actuelle (avril 2011), 48 pays, dont la Suisse66, ont ratifié cet instrument international. L’« approche sur trois fronts » du Conseil de l’Europe repose sur la ratification de la Convention no 141, la surveillance de la capacité des Etats membres à combattre le problème du blanchiment d’argent (Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ; MONEYVAL) et, si cela se révèle nécessaire, la fourniture d’une assistance technique67. En vertu de l’article 2 par. 1 de la Convention no 141, les Etats Parties sont tenus d’adopter les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour permettre la confiscation des instruments et des produits ou des biens dont la valeur correspond à ces produits. Comme l’indique le rapport explicatif sur la Convention no 141 du Conseil de l’Europe, les dispositions pertinentes de la Convention de Vienne (article 5) ont constamment été prises en compte68. Selon l'article 1 let. d de la Convention no 141, le terme « confiscation » désigne une peine ou une mesure aboutissant à la privation permanente d'un bien. Cette définition est très proche de celle employée par la Convention de Vienne69. La confiscation doit être ordonnée par un tribunal à la suite d’une procédure portant sur une infraction pénale. Il n’importe pas de savoir si le droit interne considère cette décision comme une peine ou comme une mesure de sûreté. L'élément principal est la privation permanente d'un bien dans le 63 64 65 66 67 68 69 FISHER K. (2003), p. 428 ; DALEY (2000), p. 198. Recommandation du Conseil de l’Europe du 27 juin 1980 relative aux mesures contre le transfert et la mise à l’abri de capitaux d’origine criminelle, n° R (80)10 ; cf. aussi NILSSON (1992), p. 460 s. Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, STE n° 141, Strasbourg (8 novembre 1990); RS 0.311.53. Message du Conseil fédéral concernant la ratification par la Suisse de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, FF 1992 VI 8 ; Arrêté fédéral du 2 mars 1993, RO 1993 2384. Discours prononcé par M. Terry Davis, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, à la réunion plénière conjointe de MONEYVAL et du Groupe d'action financière (GAFI), Strasbourg, 21 février 2007. Rapport explicatif à la Convention n° 141 (note 36), par. 14 ; rapport explicatif à la Convention n° 198 (note 36), par. 30. Cf. aussi NILSSON (1992), p. 464. Article 1 let. f, Convention de Vienne, voir p. 15 ss de la présente étude. 21 Première partie : les instruments internationaux cadre de la procédure pénale ou d’une procédure « in rem » (civile ou pénale) indépendante de toute poursuite à l’encontre de l'auteur. En ce qui concerne les infractions en amont, l’article 1 let. a se réfère à l’avantage économique « tiré d'infractions pénales ». Le produit de toutes les infractions pénales peut donc faire l’objet de confiscation au sens de l’article 2 par. 1 de la Convention no 141 («all crimes approach»). A cet égard, le champ d’application de la Convention no 141 est plus large que celui de la Convention de Vienne, qui prévoit seulement la confiscation des produits du trafic de stupéfiants. Toutefois, en vertu de l’article 2 par. 2 de la Convention no 141, les Etats Parties peuvent faire une déclaration au moment de la ratification, limitant l’application de la confiscation au produit de certaines infractions ou catégories d’infractions. Il s’agit d’une faculté d’ « opting out », prévue aussi à l’article 6 par. 4 du même instrument en matière d’incrimination du blanchiment d’argent. Les valeurs patrimoniales soumises à la confiscation au sens de l’article 2 par. 1 de la Convention n° 141 sont les « instruments » et les « produits » des infractions. Le terme d’«instruments», qui n’a pas été défini à l’article 5 par. 1 let b la Convention de Vienne70, désigne tous objets employés ou destinés à être employés de quelque façon que ce soit, en tout ou partie, pour commettre une ou des infractions pénales (article 1 let. c de la Convention n° 141). Pour sa part, l’article 1 let. a de la Convention n° 141 définit l’expression « produits » de manière aussi large que possible, pour inclure « tout avantage économique tiré d'infractions pénales »71. Contrairement à l’article 5 par. 6 let. a de la Convention de Vienne, la Convention n° 141 ne précise pas si le lien de provenance doit être direct ou indirect72. A notre avis et selon le rapport explicatif, en employant une notion si large, la Convention n° 141 soumet à la confiscation non seulement les produits directs de l’infraction, mais aussi les valeurs de remplacement et tout avantage récompensant l’auteur de l’infraction73. L’article 2 par. 1 et l’article 1 let. a de la Convention no 141 sont rédigés de manière à englober les systèmes de confiscation principaux, en particulier, la confiscation du bien et la confiscation de la valeur74. Plus précisément, l’article 1 let. a, in fine permet, outre la confiscation des produits tirés d’une infraction, la confiscation « des biens dont la valeur correspond à ces produits ». Selon le rapport explicatif, une telle décision est exécutée de manière analogue à ce qui se passe pour les amendes ou les décisions de justice en matière civile75. Selon 70 71 72 73 74 75 22 Commentary (note 39), p. 120, par. 5.11. Le terme de « produits » est aussi très important au niveau de la définition de l’infraction du blanchiment d’argent (article 6) ; NILSSON (1992), p. 467. STESSENS (2000), p. 49. Rapport explicatif à la Convention n° 141 (note 36), par. 21 ; sur le droit des Etats-Unis voir : GARRETSON (2008), p. 52 ss. Rapport précité (note 42). Rapport explicatif à la Convention n° 141 (note 36), par. 15. I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux le même rapport, l'expression « tout bien disponible » vise aussi les biens en possession de tiers, y inclus le cas où une action révocatoire (action paulienne) peut être ouverte en droit interne76. Contrairement à la Convention de Vienne (article 5 par. 7), la Convention no 141 ne prévoit pas la faculté d’un renversement du fardeau de la preuve quant à l’origine des biens à confisquer. La protection des droits des tiers de bonne foi, consacrée de manière générale par la Convention de Vienne (article 5 par. 8), n’est pas mentionnée expressément dans l’article 2 de la Convention no 141 qui porte sur la confiscation. Néanmoins, l’article 5 de la Convention no 141 impose aux Etats Parties une obligation plus concrète au niveau de la procédure pénale, c’est-àdire l’obligation de mettre en place des « recours juridiques effectifs », pour que les personnes affectées par les mesures prévues aux articles 2 et 3 puissent préserver leurs droits. Outre les tiers, cette disposition semble aussi protéger l’accusé ou la personne directement affectée par la confiscation77. Le rapport explicatif précise la notion de « recours juridiques effectifs »78 : les personnes affectées doivent être informées à temps par les autorités des possibilités de contestation des décisions ou mesures prises ; de telles contestations doivent être possibles, même si la décision de confiscation est déjà devenue exécutoire, si la personne n'a pas eu la possibilité de le faire plus tôt. Les recours supposent aussi le droit d'être entendu par un juge, le droit d'être assisté ou représenté par un avocat, de faire citer des témoins et de produire des éléments de preuve79. L’article 3 de la Convention n° 141 concerne les mesures d’investigations et les mesures provisoires, dont la saisie. Cette disposition oblige les Etats à adopter les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour leur permettre d'identifier et de rechercher les biens soumis à la confiscation conformément à l'article 2 par. 180. Parmi les mesures exigées se trouve notamment l’outil de la communication de soupçons en matière de blanchiment d’argent, outil qui facilite nettement l’identification des profits illicites81. Les mesures au sens de l’article 3 doivent aussi permettre de prévenir « toute opération, tout transfert ou toute aliénation relativement à ces 76 77 78 79 80 81 Cf. par exemple, les actions révocatoires prévues aux articles 285 ss LP ; ATF 134 III 452 ; ATF 110 III 81. NILSSON (1992), p. 470. Rapport explicatif à la Convention n° 141 (note 36), par. 31. Le fait que des tiers n'ont pas eu une possibilité suffisante de faire valoir leurs droits constitue un motif de refus de la reconnaissance de décisions étrangères, conformément à l’article 22 par. 2 let. a de la Convention n° 141. Sur le droit d’être informé de la confiscation dans le contexte de l’entraide, voir : CASSELLA (2002b), p. 273. Sur les investigations financières dans un contexte international, voir p. 75 de la présente étude. NILSSON (1992), p. 468 ; cependant, M. Levi indique que l’efficacité de cet outil « remains largely unexplored scientifically » ; LEVI (2007), p. 270 23 Première partie : les instruments internationaux biens »82. Outre la saisie conservatoire au sens de l’article 3, l’article 4 par. 1 prévoit la saisie probatoire, en particulier la communication ou la saisie de dossiers bancaires, financiers ou commerciaux. Selon la même disposition, le secret bancaire ne peut pas être invoqué dans le contexte de cette communication ou saisie. En vertu de l’article 4 par 2 de la Convention n° 141, les Etats Parties doivent aussi adopter des mesures d’investigation spéciales, facilitant l'identification et la recherche du produit des infractions, ainsi que la réunion de preuves. L’article 4 par. 2 fournit une liste non exhaustive de techniques d’investigation de ce type, telles que « les ordonnances de surveillance de comptes bancaires, l'observation, l'interception de télécommunications, l'accès à des systèmes informatiques et les ordonnances de production de documents déterminés ». Ces méthodes, en particulier la surveillance de comptes bancaires, peuvent faciliter la localisation et l’évaluation des valeurs patrimoniales soumises à la confiscation et aider à établir le lien de connexité nécessaire entre les valeurs et l’infraction. En pratique, l’utilisation de méthodes de ce type demeure pourtant limitée83. 4. La Convention de l’OCDE contre la corruption (1997) Le phénomène de la corruption a un impact négatif sur la vie économique, les institutions démocratiques et l’Etat de droit84. Des liens existent aussi entre la corruption et les autres formes de criminalité, particulièrement le blanchiment d'argent et autres manifestations de délinquance économique au niveau tant national qu'international85. Le caractère transnational de la corruption, l’importance des sommes en jeu, les risques que la corruption suscite pour l’intérêt public, ont attiré l’attention des gouvernements et des organisations internationales gouvernementales et non-gouvernementales. La lutte internationale contre la corruption est effectivement un bon exemple de la « multiplication des intervenants dans le processus d’élaboration des normes »86, tendance qui caractérise le droit pénal économique et relativise, à un certain degré, le pouvoir normatif de l’Etat87. 82 83 84 85 86 87 24 A cet égard, le droit national peut prévoir des moyens, comme les ordonnances de production de documents, les ordres de rapatriement (Royaume-Uni) ; CASSANI (2004), p. 331 ss ; WICKI (1999), p. 168 ss, concernant la « Mareva Injunction », mesure provisoire de droit anglais interdisant la disposition des avoirs du défendeur. VETTORI (2006), p. 111. JOSITSCH (2004), p. 62. Union interparlementaire (2001), Le rôle des parlements dans la lutte contre la corruption, Document d'information établi par l'Union interparlementaire à l'attention du Deuxième Forum mondial sur la lutte contre la corruption et sur la préservation de l'intégrité, La Haye (Pays-Bas), 28-31 mai 2001 ; KILCHLING (2001), p. 266. CASSANI (2008), p. 237. DE MAILLARD (2001), p. 87 ss ; RUELLE (2002), p. 521. I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux Historiquement, la Convention de l’OCDE de 1997 concernant l'incrimination de la corruption d'agents publics étrangers, dans le cadre des transactions commerciales internationales (ci-après Convention de l’OCDE) a exercé une influence déterminante sur les initiatives internationales de lutte contre la corruption88. A l'heure actuelle (avril 2011), 38 pays89, dont la Suisse90, ont ratifié cet instrument international. L’adoption de mesures de confiscation en droit national est prévue à l’article 3 par. 3 de la Convention de l’OCDE, selon lequel « [c]haque Partie prend les mesures nécessaires pour assurer que l’instrument et les produits de la corruption d’un agent public étranger ou des avoirs d’une valeur équivalente à celle de ces produits puissent faire l’objet d’une saisie et d’une confiscation ou que des sanctions pécuniaires d’un effet comparable soient prévues». Le commentaire de la Convention de l’OCDE précise que le terme « confiscation » comprend la déchéance de droits et signifie la privation permanente de biens par décision d’un tribunal ou d’une autre autorité compétente91. L’infraction en amont, dont le produit peut faire l’objet de confiscation, est établie à l’article 1 de la Convention de l’OCDE, qui oblige les Etats Parties à incriminer la corruption active d’agents publics étrangers ; la Convention de l’OCDE se limite aussi aux cas de corruption survenus dans le cadre des transactions commerciales internationales92. En ce qui concerne les valeurs patrimoniales soumises à la confiscation, l’article 3 par. 3 de la Convention de l’OCDE vise les « produits » de la corruption, ce qui comprend les profits et bénéfices du corrupteur et « tout autre avantage indu obtenu ou conservé au moyen de l’acte de corruption »93. L’expression « sanctions pécuniaires d’un effet comparable » comprend à notre avis les procédures de recouvrement de la créance compensatrice. Comme l’indique la doctrine suisse, la Convention de l’OCDE laisse ouverte la 88 89 90 91 92 93 RS 0.311.21. Pour une analyse détaillée des dispositions de cet instrument, voir Crutchfield / Lacey / Birmele (2000), p. 501 ss. Toutefois, ce fut un traité adopté par l’UE qui a incriminé cet acte pour la première fois ; cf. la Convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés Européennes ou des Etats membres de l'Union européenne, adoptée le 26 mai 1997. En outre, « [m]uch of the leadership in the implementation of the OECD Convention came from member nations of the EU », PACINI / SWINGEN / ROGERS (2002), p. 401. Pour l’état des ratifications, voir : www.oecd.org/daf/anticorruption/convention Message du 19 avril 1999 concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire (révision des dispositions pénales applicables à la corruption) et l'adhésion de la Suisse à la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, FF 1999 5045 ; Arrêté fédéral du 9 décembre 1999, RO 2003 4241. La Convention de l’OCDE est entrée en vigueur pour la Suisse le 30 juillet 2000. Commentaires relatifs à la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, adoptés par la Conférence de négociations le 21 novembre 1997, par. 22. Cf. aussi CRUTCHFIELD / LACEY / BIRMELE (2000), p. 501 ss. Commentaires (note 91), par. 21. Cf. aussi la recommandation révisée du Conseil sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales, adoptée par le Conseil le 23 mai 1997, Annexe, par. 5 : « Il devrait être prévu la confiscation des instruments de la corruption et des avantages qu'elle a procurés ainsi que des avantages découlant des transactions obtenues par corruption ». 25 Première partie : les instruments internationaux question de la détermination concrète de l'avantage confiscable obtenu par le corrupteur94. Le commentaire précise que la saisie et la confiscation ne préjugent pas les droits des victimes de la corruption95. Ni la Convention de l’OCDE, ni son commentaire ne se réfèrent à la protection des droits des tiers de bonne foi. 5. La Convention n° 173 du Conseil de l’Europe (1999) Le Conseil de l’Europe s’intéresse depuis longtemps à la thématique de la lutte contre la corruption96. Dans ce domaine, il existe deux Conventions élaborées sous son égide en 1999 : la Convention civile sur la corruption97 et la Convention pénale sur la corruption (ci-après Convention no 173)98, qui sera examinée dans le présent chapitre. En 1999, une nouvelle institution, le Groupe d’Etats contre la Corruption (GRECO), a aussi été créée au sein du Conseil de l’Europe pour améliorer la capacité de ses membres à lutter contre la corruption et pour veiller à la mise en œuvre de leurs engagements dans ce domaine99. La Convention no 173, déjà ratifiée par de nombreux pays100 parmi lesquels la Suisse101, a été influencée par les travaux de l'OCDE, notamment par la Convention de l’OCDE de 1997, que nous venons d’étudier. Néanmoins, contrairement à la Convention de l'OCDE, la Convention n° 173 concerne à la fois la corruption active et la corruption passive d'agents publics étrangers, ainsi que la corruption active et passive d’agents publics nationaux. En outre, la corruption en vertu des dispositions de la Convention n° 173 est poursuivie sans souci du contexte dans lequel elle survient ; contrairement à la Convention de l’OCDE, la Convention no 173 ne se limite donc pas aux cas de 94 95 96 97 98 99 BERTOSSA (2009), p. 380 ss ; PIETH et al. (2007), p. 259 ss. Commentaires (note 91), par. 22. Nous pouvons ici mentionner le Programme d’action contre la corruption, adopté par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en novembre 1996, la résolution (97) 24 portant sur les 20 principes directeurs pour la lutte contre la corruption, adoptée par le Comité des Ministres le 6 novembre 1997, etc. Convention civile du Conseil de l’Europe sur la corruption, STE no 174, Strasbourg (4 novembre 1999). Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption, STE no 173, Strasbourg (27 janvier 1999) ; RS 0.311.55. CONSEIL DE L’EUROPE (1999), Résolution (99) 5 instituant le « Groupe d’Etats contre la Corruption – GRECO », adoptée par le Comité des Ministres, 1er mai 1999 ; cf. aussi CONSEIL DE L’EUROPE (1998), Résolution (98) 7 portant autorisation de créer l’Accord partiel élargi établissant le « Groupe d’Etats contre la Corruption – GRECO », adoptée par le Comité des Ministres, 4 mai 1998. 100 101 26 A l’heure actuelle (avril 2011), il y a 43 ratifications ; pour l’état des ratifications, voir : http://conventions.coe.int/ Cf. Message du Conseil fédéral du 10 novembre 2004 concernant l’approbation et la mise en œuvre de la Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption et du protocole additionnel à ladite convention (Modification du code pénal et de la loi fédérale contre la concurrence déloyale), FF 2004 6549. Arrêté fédéral du 7 octobre 2005, RO 2006 2371. La Convention est entrée en vigueur le 1er juillet 2006. I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux corruption survenus dans le contexte des transactions commerciales internationales. La Convention no 173 contient une seule disposition, peu détaillée, relative à la confiscation102. Il s’agit de l’article 19 par. 3, qui impose aux Etats Parties l'obligation d’adopter des instruments juridiques appropriés pour permettre « de confisquer ou de priver autrement des instruments et des produits […] ou des biens dont la valeur correspond à ces produits ». Cette disposition se réfère à la confiscation et aux autres formes de privation juridiques, par exemple, la confiscation autonome dite « in rem ». L’expression « biens dont la valeur correspond à ces produits » fait allusion aux procédures de recouvrement de la créance compensatrice. La Convention no 173 ne précise pas si les produits indirects des infractions visées peuvent être confisqués. Comme l’indique le rapport explicatif, l’article 19 par. 3 de la Convention no 173 doit être examiné en tenant compte de la Convention no 141 du Conseil de l'Europe, en particulier de son article 1 let. a qui couvre les produits directs et indirects. Des questions importantes telles que la protection des droits des tiers de bonne foi, la faculté de renversement du fardeau de la preuve et le sort des biens confisqués ne sont pas traitées dans la Convention no 173. En ce qui concerne les infractions en amont au sens de l’article 19 par. 3, il s’agit des infractions établies conformément aux articles 2 à 14 de la Convention no 173. La Convention no 173 propose, pour la première fois, une définition complète applicable à l’infraction de la corruption, approche reprise ultérieurement par la Convention de Mérida (2003)103. Une distinction est faite entre la corruption active et passive d'agents publics nationaux (articles 2 et 3). Les auteurs de la Convention adoptent ainsi la position dominante dans la théorie et la pratique du droit pénal, selon laquelle la corruption active et la corruption passive sont des infractions distinctes, même si les deux actes forment une unité d’action104. L’éventail d’infractions liées à la corruption et visées par la Convention n° 173 comprend également la corruption active et passive d’agents publics étrangers (articles 5), de fonctionnaires internationaux (article 9), de membres d’assemblées publiques nationales (article 4) et étrangères (articles 6), ainsi que le trafic d’influence (article 12) et la corruption active et passive dans le secteur privé (articles 7 et 8). Le blanchiment du produit de toutes ces infractions est aussi visé par la Convention n° 173, en vertu de son article 13. Le produit de toutes ces infractions peut faire l’objet de confiscation en vertu de l’article 19 par. 3 de la Convention n° 173. 102 103 104 Lors de sa 101e session, le 6 novembre 1997, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté les 20 Principes directeurs pour la lutte contre la corruption. Parmi ses principes se trouve l’engagement des ministres à prendre des mesures appropriées en vue de la saisie et de la confiscation des produits de la corruption (Principe 4). Ce principe directeur assume une forme juridique concrète et obligatoire en 1999, lorsqu’il est repris et mis en œuvre par la Convention n° 173. Article 15 de la Convention de Mérida ; voir p. 37 ss de la présente étude. Rapport explicatif à la Convention pénale sur la corruption (STE n° 173), par. 32. 27 Première partie : les instruments internationaux Au niveau des mesures d’investigation et mesures provisoires, chaque Etat Partie doit faciliter la collecte de preuves et la confiscation des produits (article 23). Ces mesures, « y compris celles permettant l’utilisation de techniques d’investigation spéciales »105, sont particulièrement utiles au niveau de l’identification et de la recherche des instruments et des produits de la corruption. Pour déterminer comment les profits ont été dissimulés, les autorités compétentes peuvent donc prendre des mesures telles que l’ordonnance de communication ou de saisie de dossiers bancaires, financiers ou commerciaux106. L’article 23 par. 3 de la Convention n° 173 prévoit qu’à ce stade important, qui mène ultérieurement à la confiscation, le secret bancaire ne peut pas être invoqué pour bloquer les investigations des autorités de poursuite pénale. 6. La Convention de Palerme (2000) La Convention de l’ONU contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000 (ci-après Convention de Palerme)107 vise à promouvoir la coopération internationale au niveau de la prévention et de la répression de la criminalité transnationale organisée108. Le problème est abordé dans son ensemble : la Convention de Palerme propose une définition uniforme des principales infractions en la matière, nonobstant les autres instruments internationaux « sectoriels » qui insistent sur des infractions spécifiques comme la corruption, le blanchiment, la cybercriminalité, le trafic de stupéfiants, etc.109 La Convention de Palerme a été ratifiée par plusieurs pays110, dont la Suisse111. Des instances internationales comme le GAFI attirent aussi l’attention de leurs membres sur la Convention de Palerme112. 105 Rapport explicatif à la Convention n° 173 (note 104), par. 114 ; la Convention no 173 n'énumère pas ces techniques, mais « les rédacteurs de la convention pensaient notamment aux agents infiltrés, à la mise sur écoute d'une ligne téléphonique, à l'interception de télécommunications et à l'accès aux systèmes informatiques ». 106 107 108 109 110 111 112 28 Sur les investigations financières dans un contexte international, voir p. 75 de la présente étude. Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, résolution A/RES/55/25 du 15 novembre 2000 ; RS 0.311.54. La Convention est accompagnée de protocoles, qui traitent des questions comme le trafic de migrants, le trafic d'être humains et le trafic d'armes. Voir aussi p. 6 de la présente étude. FALLETTI (2003), p. 600 ; BRUGGEMAN (2001), p. 289. A l’heure actuelle (avril 2011), il y a 159 ratifications ; pour l’état des ratifications, voir : http://treaties.un.org Cf. Message du Conseil fédéral du 26 octobre 2005 concernant l’approbation de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, de son Protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, ainsi que de son Protocole additionnel contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, FF 2005 6269 ; Arrêté fédéral du 23 juin 2006, RO 2006 5859. La Convention de Palerme est entrée en vigueur le 26 novembre 2006. La recommandation 35 du GAFI incite les pays à ratifier sans réserves la Convention de Palerme. I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux L’article 12 de la Convention de Palerme impose aux Etats Parties l’obligation d’adopter, dans le cadre de leurs systèmes juridiques nationaux, les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des produits de certaines infractions en amont. Selon l’article 2 let. g de la Convention de Palerme, qui est similaire à l’article 1 let. f de la Convention de Vienne, le terme « confiscation » désigne la dépossession permanente de biens sur décision d’un tribunal ou d’une autre autorité compétente. Cette définition inclut des sanctions prises contre le patrimoine, sanctions que le droit national peut caractériser comme des peines ou des mesures113. Les infractions pénales établies en vertu de la Convention de Palerme sont des infractions en amont aux fins de confiscation, conformément à l’article 12. Il s’agit d’abord des infractions dites « autonomes ». Parmi ces infractions se trouvent la participation à un groupe criminel organisé (article 5), le blanchiment d’argent (article 6), la corruption (article 8) et l’entrave au bon fonctionnement de la justice (article 23). En plus des infractions autonomes, la Convention s’applique aux infractions graves, c’est-à-dire aux infractions passibles d’une peine privative de liberté « dont le maximum ne doit pas être inférieur à quatre ans ou d’une peine plus lourde»114. Il y a cependant deux conditions supplémentaires115 : premièrement, l’infraction doit être de nature transnationale (article 3 par. 2). Deuxièmement, l’infraction doit être commise par un groupe criminel organisé (article 2 let. a)116. En ce qui concerne les valeurs patrimoniales confiscables, la Convention de Palerme soumet à la confiscation les instruments et les produits d’infractions en amont (article 12 par. 1 let. a et b). Tous les types d’avoirs peuvent être confisqués, s’ils proviennent directement ou indirectement de la commission d’une infraction (article 2 let. d et e). Il s’agit là de la même formule qui avait été employée à l’article 1 let. p et q de la Convention de Vienne. D’autres similarités entre ces deux instruments peuvent être mises en évidence. L’article 12 par. 3 de la Convention de Palerme confirme la possibilité de confisquer les valeurs de remplacement, dans les cas où le produit du crime a été transformé ou converti, en partie ou en totalité, en d’autres biens. L’article 12 par. 5 soumet aussi à la confiscation tous les revenus ou autres avantages tirés du produit du crime. En cas de mélange du produit de l’infraction à des biens acquis légitimement, ces biens peuvent être 113 114 115 Message (note 111), FF 2005 6269, p. 6292. Article 2 let. b, Convention de Palerme. ORGANISATION DES NATIONS UNIES (2000), Notes interprétatives pour les documents officiels (travaux préparatoires) des négociations sur la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, Additif A/55/383/Add.1 in Rapport du Comité spécial sur l’élaboration d’une convention contre la criminalité transnationale organisée sur les travaux de ses première à onzième sessions, 3 novembre 2000. 116 Cette définition constitue une synthèse des approches nationales différentes quant à la notion de l’organisation criminelle : CLARK (2004), p. 170. 29 Première partie : les instruments internationaux confisqués « à concurrence de la valeur estimée du produit qui y a été mêlé », conformément à l’article 12 par. 4 de la Convention de Palerme, qui reprend l’article 6 let. b de la Convention de Vienne. Selon l’article 12 par. 8, les procédures de confiscation et de saisie ne doivent en aucun cas porter atteinte aux droits des tiers de bonne foi. La Convention de Palerme invite également les Etats Parties, sous réserve des principes du droit interne, à envisager l’idée du renversement du fardeau de la preuve, quant à l’origine illicite des biens (article 12 par. 7)117. Enfin, en vertu de l’article 12 par. 2 de la Convention de Palerme, les Etats Parties adoptent les mesures nécessaires pour permettre l’identification, la localisation, le gel ou la saisie des avoirs qui peuvent faire l’objet d’une confiscation. Pour définir les termes « gel » et « saisie », l’article 2 let. f de la Convention de Palerme reprend mot à mot l’article 1 let. l de la Convention de Vienne. 7. La recommandation no 3 du GAFI (2003) Le Groupe d’action financière contre le blanchiment de capitaux (GAFI), organisation internationale créée à Paris en 1989 (15e sommet économique du G7, dit de l'Arche), étudie le phénomène du blanchiment d’argent et propose des mesures dans le domaine de la lutte anti-blanchiment118. A l’heure actuelle (avril 2011), le GAFI compte 36 membres (34 pays et territoires membres et deux organisations internationales) et plusieurs observateurs. En tant qu’organisme à caractère multidisciplinaire, le GAFI réunit des experts dans les domaines du droit, de la finance et de la police119. Les 40 recommandations du GAFI ont été formulées en 1990 et révisées une première fois en 1996 afin de s’adapter à l'évolution du phénomène de blanchiment de capitaux120. Une révision plus profonde a eu lieu en 2003121. Les 40 recommandations révisées, combinées avec les 9 recommandations spéciales sur le financement du terrorisme, visent au renforcement des mesures à prendre dans le domaine de la lutte anti-blanchiment et de la lutte contre le financement du terrorisme. Les recommandations couvrent des aspects tels que l’incrimination du blanchiment, la réglementation du système 117 118 119 120 121 30 En Suisse, cette idée a été mise en œuvre en 1994, avant la ratification de la Convention de Palerme (adoption de l’ancien article 59 ch. 3 CP) ; voir p. 226 de la présente étude. Cf. aussi article 5 par. 7 de la Convention de Vienne ; article 31 par. 8 de la Convention de Mérida ; recommandation no 3 du GAFI. En vertu de son mandat initial, le GAFI aurait normalement dû terminer ses travaux en 1990 ; cependant, le G7 a prolongé la mission du GAFI à plusieurs reprises. SPREUTELS (1996), p. 343 ss. GILMORE (2005), p. 109 ss ; QUELOZ (2004), p. 416. Parmi les modifications apportées en 1996 se trouve l’extension du champ d’application du blanchiment d’argent aux infractions graves, bien au-delà des infractions en matière de stupéfiants. Cf. recommandation no 4 (version 1996). Pour une analyse des principaux enjeux de cette révision, voir : CASSANI (2008), p. 260 ss. I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux financier, la confiscation des produits du blanchiment, la coopération internationale, etc. En ce qui concerne la nature juridique des textes élaborés par le GAFI, il faut noter que ses recommandations et ses notes interprétatives constituent des normes de droit mou (soft law), qui ne créent pas d’obligations juridiquement sanctionnées122. Ces actes sont sans valeur obligatoire stricto sensu. Toutefois, cette affirmation ne s’accorde pas logiquement avec le niveau de mise en conformité élevé123. Les membres du GAFI se sont solidement engagés, sur le plan politique, à transposer les recommandations dans leurs droits internes. Il faut, cependant, noter que les obligations internationales imposées par une convention demeurent supérieures, en cas de conflit de normes. Les normes obligatoires du droit international assurent mieux l’homogénéité au niveau de leur application, alors que les normes de droit mou offrent des avantages à d’autres niveaux (flexibilité, modification plus facile et rapide). Pour assurer la transposition des recommandations sur le plan national, le GAFI examine les législations et les pratiques des pays membres sur une base régulière. Il s’agit du système d’évaluation mutuelle124, développé par le GAFI et devenu un processus préconisé de suivi de la mise en œuvre d’instruments internationaux. De cette manière et grâce à l’engagement politique des pays membres, les 40 recommandations sont devenues le texte de référence pour les stratégies anti-blanchiment dans le monde entier et ont influencé les travaux d’autres instances internationales125. Selon la recommandation no 3 du GAFI (recommandation no 8 dans la version de 1990), les pays doivent mettre en place un dispositif de confiscation. A cet égard, les pays doivent tenir compte de la Convention de Vienne, dont la ratification est recommandée. En substance, la recommandation no 3 confirme les principes contenus dans cet instrument international126. La recommandation no 35 invite également les pays membres à mettre en œuvre 122 123 124 125 126 ZAGARIS / CASTILLA (1993), p. 879; GUYMON (2000), p. 71. CASSANI (2008), p. 235. En octobre 2002, le GAFI a travaillé avec le FMI, la Banque mondiale et le groupe Egmont pour élaborer une méthodologie pour l’évaluation du respect des normes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme. Cette méthodologie a été actualisée en 2004 et en 2008 ; cf. GAFI (2008), Méthodologie pour l'évaluation de la conformité aux 40 recommandations du GAFI et aux 9 recommandations Spéciales du GAFI, 28 mars 2008. La notation de la conformité avec chacune des 40 + 9 recommandations du GAFI se fait sur la base des quatre niveaux de conformité: conforme (C), en grande partie conforme, (GPC), partiellement conforme (PC) et non-conforme (NC). Pour une analyse des influences croisées entre les travaux du GAFI et les textes d’autres instances internationales, voir Cassani (2008), p. 235 ss. En particulier, les 40 recommandations ont influencé les travaux du Conseil de l’Europe, comme le démontre l’article 13 de la Convention no 198. Les recommandations du GAFI ont aussi influencé les travaux de l’Union européenne, plus précisément, l’élaboration de la directive européenne 91/308/CEE du 10 juin 1991 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ; SPREUTELS / SCOHIER (1998), p. 166 ; GILMORE (2005), p. 213 ; rapport précité (note 27), p. 16. GILMORE (2005), p. 105. 31 Première partie : les instruments internationaux « sans restrictions » d’autres instruments internationaux ayant rapport à la question de la confiscation internationale127. La confiscation au sens de la recommandation no 3 peut être ordonnée dans le cadre d’une procédure pénale, mais les pays peuvent aussi envisager d'adopter des mesures de confiscation « sans condamnation pénale préalable »128. Selon le Secrétaire exécutif de MONEYVAL, « the Council of Europe may press the merits of civil recovery in the review of the FATF Recommendations »129. Le champ d’application de la confiscation au sens de la recommandation no 3 est défini par rapport à l’infraction du blanchiment d’argent et des infractions préalables au blanchiment. Plus précisément, la confiscation doit viser « les biens blanchis, les produits découlant du blanchiment de capitaux ou des infractions sous-jacentes, ainsi que les instruments utilisés ou destinés à être utilisés pour commettre ces infractions ». Selon la recommandation no 1, le blanchiment est incriminé sur la base des dispositions de la Convention de Vienne et de la Convention de Palerme. En ce qui concerne la définition des infractions préalables au blanchiment d’argent, l’ancienne version des 40 recommandations (1996) abandonnait aux Etats cette décision. Selon la recommandation no 4, les Etats étaient invités à réprimer le blanchiment en matière de stupéfiants et à étendre le dispositif anti-blanchiment aux infractions graves « qui génèrent un montant important de produits ». La nouvelle version des 40 recommandations (2003) va plus loin130 et vise à couvrir la gamme la plus large possible d'infractions préalables. Selon la recommandation no 1, les pays doivent donc « appliquer l'infraction de blanchiment de capitaux à toutes les infractions graves ». En général, il s’agit des infractions relevant de la catégorie des infractions graves en vertu du droit interne, ou « les infractions qui sont passibles d'une peine maximale de plus d'un an d'emprisonnement ». La recommandation no 1, qui renvoie au Glossaire des 40 recommandations, désigne certaines infractions graves qui doivent impérativement être caractérisées comme des infractions préalables131. 127 128 129 130 131 32 En plus de la Convention de Vienne, la recommandation no 35 du GAFI se réfère à la Convention de Palerme, à la CRFT, à la Convention no 141 du Conseil de l’Europe et à la Convention interaméricaine de 2002 contre le terrorisme. La Commission européenne a soumis en débat l’idée de créer un nouvel instrument sur la confiscation civile, qui transposerait ainsi la recommandation no 3 du GAFI. Communication de la Commission (note 7), section 3.3.1. La Commission propose des cas dans lesquels la confiscation pourrait intervenir sans condamnation pénale préalable : i) lorsqu’il est soupçonné que les avoirs concernés sont le produit de graves infractions, compte tenu de leur disproportion par rapport aux revenus déclarés de leur propriétaire et du fait que celuici entretient habituellement des contacts avec des personnes connues pour leurs agissements criminels ; ii) lorsque la personne soupçonnée de certaines infractions graves est décédée, en fuite depuis un certain temps ou ne peut, pour tout autre motif, faire l’objet de poursuites ; iii) lorsque de l’argent liquide est saisi par les autorités douanières en violation du règlement communautaire relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté. Rapport précité (note 27), p. 53. CASSANI (2005), p. 33. Parmi ces infractions se trouvent : la participation à un groupe criminel organisé et à un racket ; le terrorisme, y compris son financement ; la traite d’êtres humains et le trafic illicite de migrants ; l’exploitation sexuelle, y compris celle des enfants ; le trafic illicite de stupéfiants et de substances I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux L’adoption de cette formule juridique signifie que les mesures de confiscation seront envisageables pour une gamme étendue d’infractions. En ce qui concerne le lien de provenance, la recommandation no 3 se réfère à des produits « découlant du blanchiment de capitaux ou des infractions sousjacentes », sans préciser si le lien doit être direct ou indirect. La référence à des mesures de confiscation « similaires à celles indiquées dans les Conventions de Vienne et de Palerme » nous permet d’affirmer que le lien indirect suffit, dès lors qu’un tel lien est admis par les deux instruments internationaux. La recommandation no 3 vise aussi les procédures en recouvrement d’une créance compensatrice, en prévoyant la possibilité de confisquer des « biens d’une valeur équivalente ». Comme l’indique la recommandation no 3, la protection des droits des tiers de bonne foi doit être respectée dans le cadre d’une procédure en confiscation. Une étude du GAFI132 cite des exemples de situations dans lesquelles des biens détenus par des tiers qui ne sont pas inculpés peuvent donner lieu à confiscation: la personne sait que le bien provient d’une infraction pénale, le bien constitue un don direct ou indirect d’une personne incriminée, ou la personne incriminée exerce encore un contrôle effectif sur le bien, quel qu'en soit le propriétaire nominal. Une autre étude du GAFI133 mentionne l’exemple d’un blanchisseur qui loue sa propriété à une société extraterritoriale, appartenant elle-même au blanchisseur. Ainsi, en cas d’arrestation du blanchisseur, les autorités ne peuvent pas confisquer le bien sans établir le lien de propriété entre le blanchisseur suspect et la société qui possède le bien. Le critère du « contrôle effectif » sur le bien doit être utilisé avec prudence pour ne pas entamer injustement les droits du détenteur ou propriétaire nominal du bien. Selon la recommandation no 3, les pays peuvent aussi envisager d'adopter des mesures faisant obligation à l'auteur présumé de l'infraction « d'établir la preuve de l'origine licite des biens présumés passibles de confiscation ». La question du fardeau de la preuve est très importante et a été abordée par plusieurs conventions internationales134. Cependant, comme l’indique la recommandation no 3, l’obligation du renversement du fardeau de la preuve n’est envisageable que dans la mesure où une telle obligation est conforme aux principes du droit interne. 132 133 134 psychotropes ; le trafic d’armes ; le trafic illicite de biens volés et autres biens ; la corruption ; la fraude et escroquerie; la contrefaçon de monnaie ; la contrefaçon et le piratage de produits ; les crimes contre l’environnement ; les meurtres et les blessures corporelles graves ; l’enlèvement, la séquestration et la prise d’otages ; le vol ; la contrebande ; l’extorsion ; le faux ; la piraterie ; les délits d’initiés et la manipulation de marchés. GAFI (1997), rapport précité (note 42), par. 12. GAFI (2000), Rapport sur les typologies du blanchiment de l’argent 1999-2000, par. 65. Cf. article 5 par. 7 de la Convention de Vienne ; article 12 par. 7 de la Convention de Palerme ; article 31 par. 8 de la Convention de Mérida. Cf. aussi KILCHLING (2001), p. 271 ss. 33 Première partie : les instruments internationaux Selon la recommandation no 3, des mesures doivent être prises par les pays membres permettant « d'identifier, retrouver et estimer les biens faisant l'objet d'une mesure de confiscation ». Selon la même recommandation, les pays doivent aussi « prendre toutes les mesures d'enquête appropriées » dans le cadre d’une procédure de confiscation. Il faut ici souligner le rôle important des déclarations de transactions suspectes : la grande majorité des affaires ayant donné lieu à des enquêtes ou des poursuites sont liées, d'une façon ou d'une autre, à ces déclarations135. Les pays sont aussi encouragés à recourir à la technique de livraison surveillée des actifs connus ou présumés être le produit du crime (recommandation no 27)136. En ce qui concerne la mise en œuvre de la recommandation no 3 en matière de confiscation, les pays évalués dans le cadre du troisième cycle d’évaluation mutuelle du GAFI ont obtenu des notations de conformité plutôt satisfaisantes (7 pays conformes, dont la Suisse, 20 pays en grande partie conformes, 9 pays partiellement conformes)137. Cependant, depuis l’adoption des 40 recommandations révisées en 2003, le niveau de mise en conformité semble décliner, comme l’indique une étude de J. Johnson138. 135 136 137 138 34 GAGNON / BACHER (2004), p. 433. Cf. également l’article 11, Convention de Vienne ; article 50, Convention de Mérida ; article 20, Convention de Palerme. Voir Table p. 37 . JOHNSON (2008), p. 59. I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux Recommandation no 3 du GAFI Notation de conformité 3e exercice d’évaluation mutuelle du GAFI Membres du GAFI Rapport d’évaluation mutuelle février 2009 mars 2010 octobre 2005 juin 2009 juin 2005 juin 2010 février 2008 juin 2007 avril 2008 Notation Afrique du Sud C Allemagne GPC Australie C Autriche PC Belgique GPC Brésil PC Canada GPC Chine GPC Conseil de Coopération du Golfe GPC (CCG) GPC Émirats Arabes Unis (EAU) Qatar Corée juin 2009 PC Danemark juin 2006 GPC Espagne juin 2006 GPC Etats-Unis juin 2006 GPC France février 2011 PC Fédération de Russie juin 2008 C Finlande octobre 2007 GPC Grèce juin 2007 PC Hong Kong, Chine juin 2008 PC Inde juillet 2010 PC Irlande février 2006 C Islande octobre 2006 GPC Italie octobre 2005 GPC Japon octobre 2008 GPC Luxembourg février 2010 PC Mexique octobre 2008 GPC Norvège juin 2005 C Nouvelle-Zélande octobre 2009 GPC Pays-Bas février 2011 GPC Portugal octobre 2006 GPC Royaume d'Arabie saoudite juillet 2010 PC Royaume-Uni juin 2007 C Singapour février 2008 GPC Suède février 2006 GPC Suisse octobre 2005 C Turquie février 2007 GPC Source : rapports disponibles sur le site web du GAFI, http://www.fatf-gafi.org Note : conforme (C), en grande partie conforme, (GPC), partiellement conforme (PC) et nonconforme (NC). 35 Première partie : les instruments internationaux 8. La Convention de Mérida (2003) La Convention de l’ONU contre la corruption du 9 décembre 2003 (ci-après Convention de Mérida)139 est la première initiative véritablement globale en matière de lutte contre la corruption140. Plusieurs pays, dont la Suisse141, ont déjà ratifié cet instrument international142, qui permet de compléter d’autres efforts d’harmonisation à l’échelle mondiale et régionale, tels que la Convention no 173 du Conseil de l’Europe143 ou la Convention de l’OCDE. Comme l’indique B. Bertossa, même si ces instruments n’utilisent pas de termes parfaitement identiques, « la ratio legis de ces normes est univoque: il s'agit de faire en sorte que le crime de corruption ne profite pas à ses auteurs»144. La Convention de Mérida propose la mise en place de mécanismes de confiscation, de la même manière que l’a fait la Convention de Palerme. Les deux instruments utilisent la même terminologie et la même systématique. Ainsi, la Convention de Mérida reprend la définition du terme « confiscation » employée par la Convention de Palerme. En ce qui concerne la confiscation des produits indirects, l’article 31 par. 4 et 6 de la Convention de Mérida est inspiré de l’article 12 par. 3 et 5 de la Convention de Palerme. La confiscation des biens doit être possible, même en l’absence de condamnation pénale, par exemple lorsque l’auteur de l’infraction ne peut être poursuivi pour cause de décès, de fuite ou d’absence etc. ; cependant, il ne s’agit pas ici d’une exigence, mais d’une disposition potestative (article 54 par. 1 let. c). En ce qui concerne les infractions en amont, le champ d’application de la Convention de Mérida couvre un éventail d’infractions de corruption, ainsi que le blanchiment du produit de ces infractions. A l’obligation d’incriminer la corruption s’ajoute l’obligation de prendre les mesures nécessaires à la prévention et la détection des transferts du produit du crime, conformément à l’article 52 de la Convention de Mérida. Cette disposition qui n'a pas de contrepartie dans la Convention de Palerme, a été influencée par les amendements de 2003 du GAFI et vise au contrôle renforcé des affaires des PPEs145. 139 140 141 142 143 144 145 Convention des Nations Unies contre la corruption, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, résolution A/RES/58/4 du 31 octobre 2003 ; RS 0.311.56. MURPHY (2004), p. 184 ; JOSITSCH (2004), p. 253. Cf. Message du Conseil fédéral du 21 septembre 2007 concernant la Convention des Nations Unies contre la corruption, FF 2007 6931. Arrêté fédéral du 20 mars 2009, RO 2009 5465. La Convention de Mérida est entrée en vigueur le 24 octobre 2009. A l’heure actuelle (avril 2011), il y a 151 ratifications ; pour l’état des ratifications, voir : http://treaties.un.org Message (note 141), FF 2007 6931, p. 6996. BERTOSSA (2009), p. 372. GILMORE (2005), p. 77 ss. Le Glossaire des 40 recommandations du GAFI définit l’expression « personne politiquement exposée » (PPE). Il s’agit d’« une personne qui exerce ou a exercé d’importantes fonctions publiques dans un pays étranger ; par exemple, de Chef d’État ou de gouvernement, de politiciens de haut rang, de hauts responsables au sein des pouvoirs publics, de magistrats ou militaires de haut rang, de 36 I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux Comme l’article 5 par. 7 de la Convention de Vienne et l’article 12 par. 7 de la Convention de Palerme, la Convention de Mérida invite les Etats Parties, sous réserve des principes du droit interne, à envisager l’idée du renversement du fardeau de la preuve, quant à l’origine illicite des biens (article 31 par. 8). La Convention de Mérida réaffirme aussi le principe de la protection des droits des tiers de bonne foi (article 31 par. 9), en s’inspirant de l’article 5 par. 8 de la Convention de Vienne et de l’article 12 par. 8 de la Convention de Palerme. Au niveau des mesures provisoires, l’article 31 par. 2 de la Convention de Mérida prévoit que les Etats Parties doivent prendre des mesures nécessaires pour permettre l’identification, la localisation, le gel ou la saisie des produits de la corruption, à des fins de confiscation éventuelle. Selon l’article 31 par. 10, qui reprend l’article 5 par. 9 de la Convention de Vienne, les mesures de confiscation et de saisie sont définies et exécutées conformément au droit interne. En ce qui concerne le sort des biens gelés, saisis ou confisqués, les Etats Parties sont tenus d’adopter, conformément à leur droit interne, les mesures législatives et autres nécessaires pour réglementer l’administration des biens (article 31 par. 3 de la Convention de Mérida). Enfin, il convient de mentionner que les affaires de corruption relèvent souvent du problème de l’immunité de dirigeants politiques146. Le droit des gens reconnaît que les chefs d’Etat bénéficient à l’étranger d’une protection absolue qui les protège contre toute poursuite judiciaire. Ce privilège couvre également les chefs de gouvernement, les premiers ministres et autres membres du gouvernement, s’ils se trouvent à l’étranger dans l’exercice de leurs fonctions. Ce privilège pourrait constituer un obstacle à la confiscation des avoirs que d’anciens dirigeants ont détournés à l’étranger. L’article 30 de la Convention de Mérida aborde cette question de manière plus satisfaisante que l’article 16 de la Convention no 173 du Conseil de l’Europe ; il précise que les Etats Parties doivent établir ou maintenir, conformément à leur système juridique et à leurs principes constitutionnels, « un équilibre approprié » entre les immunités et privilèges de juridiction accordés aux agents publics dans l’exercice de leurs fonctions, et la possibilité de poursuivre et de juger les infractions de corruption, ce qui comprend aussi la possibilité de confisquer les produits de la corruption. dirigeants d’une entreprise publique ou de responsables de parti politique. Les relations d’affaires avec les membres de la famille d’une PPE ou les personnes qui lui sont étroitement associées présentent, sur le plan de la réputation, des risques similaires à ceux liés aux PPE elles-mêmes. Cette expression ne couvre pas les personnes de rang moyen ou inférieur relevant des catégories mentionnées ci-dessus ». 146 HENZELIN (2002), p. 184 ss. 37 Première partie : les instruments internationaux Estimation de fonds prétendument détournés dans 9 pays Dirigeant Pays Avoirs détournés ($milliards) PNB annuel ($milliards) Mohamed Suharto (1967–98) Indonésie 15 à 35 86.6 Ferdinand Marcos (1972–86) Philippines 5 à 10 23.9 Mobutu Sese Seko (1965–97) Zaïre 5 8.8 Sani Abacha (1993–98) Nigeria 2à5 27.1 Slobodan Milosevic (1989–2000) Serbie/Yougoslavie 1 12.7 Jean-Claude Duvalier (1971–86) Haïti 0.3 à 0.8 1.2 Alberto Fujimori (1990–2000) Pérou 0.6 44.5 Pavlo Lazarenko (1996–97) Ukraine 0.114 à 0.2 46.7 Arnoldo Alemán (1997–2002) Nicaragua 0.1 3.4 Joseph Estrada (1998–2001) Philippines 0.07 à 0.08 77.6 Source: Transparency International (2004), Global Corruption Report 2004. Special Focus: Political Corruption, London (Pluto Press) 2004. 9. La Convention n° 198 du Conseil de l’Europe (2005) Dès 1998, le Conseil de l'Europe a entamé des discussions au sujet d'éventuelles modifications de la Convention n° 141 , pouvant conduire à un projet de protocole additionnel. En raison de la grande ampleur des modifications envisagées, le Conseil de l'Europe a opté pour la rédaction d’une nouvelle convention autonome, plutôt que pour l’élaboration d’un simple protocole147. Il s'agit de la Convention n° 198 du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du 147 38 Rapport explicatif à la Convention n° 198 (note 36), par. 13-17. Un comité d'experts, établi en juin 2003, a étudié les évolutions récentes dans le domaine du blanchiment, afin de proposer une mise à jour du texte de la Convention n° 141. Le mandat de ce comité a été par la suite étendu, afin d'inclure les mesures contre le financement du terrorisme. I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux crime et au financement du terrorisme du 16 mai 2005 (ci-après Convention n° 198)148. A l'heure actuelle (avril 2011), 34 pays ont signé la Convention n° 198, dont 22 pays qui l'ont ratifiée. Avec l’augmentation du nombre de ratifications, la Convention n° 198 va graduellement remplacer la Convention n° 141, comme instrument européen de référence dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent. En ce qui concerne les mesures de confiscation, l’article 3 par. 1 de la Convention no 198 reprend l’article 2 par. 1 de la Convention no 141. Les traités du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme, qui ont été adoptés antérieurement ne contiennent aucune disposition relative à la confiscation ou à l’entraide aux fins de confiscation. Par ordre chronologique, il s’agit de la Convention n° 90 pour la répression du terrorisme (1977)149, du Protocole n° 190 (2003)150, et de la Convention n° 196 sur la prévention du terrorisme (2005)151. Contrairement au cas du blanchiment d’argent, le financement du terrorisme peut impliquer des fonds d’origine licite152. L’article 2 de la Convention n° 198 se réfère à des biens « d’origine licite ou illicite, utilisés ou destinés à être utilisés par quelque moyen que ce soit, en tout ou partie, pour le financement du terrorisme ». Un nouvel élément introduit par la Convention n° 198 est la définition des termes « gel » et « saisie » dans l’article 1 let. g. L’ancienne Convention n° 141 fait référence à ces deux termes dans l'article 11, sans pourtant fournir de 148 149 150 151 152 Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme, STE n° 198, Varsovie (16 mai 2005). La Convention a été ouverte à la signature à Varsovie le 16 mai 2005 et est entrée en vigueur sur le plan international le 1er mai 2008. Le Conseil de l’Europe avait abordé le problème du terrorisme, même avant 1977: en mai 1973, l'Assemblée consultative a adopté la recommandation 703(1973) relative au terrorisme international ; en janvier 1974, le Comité des Ministres a adopté la résolution (74) 3 sur le terrorisme international ; enfin, en juin 1975, le Comité des Ministres a autorisé la convocation d'un comité d'experts gouvernementaux, qui préparerait une Convention européenne pour la répression du terrorisme. L’élément principal de la Convention n° 90 est la dépolitisation des infractions du terrorisme : les Etats Parties ne doivent pas considérer comme politiques, pour les besoins de l'extradition, les infractions visées aux articles 1 et 2 ; FORSTER (2005), p. 219 ; cf. aussi l'article 14 CRFT. Protocole n° 190 du 15 mai 2003, amendant la Convention n° 90. L’objectif du Protocole est de dépolitiser les infractions terroristes aux fins de coopération judiciaire pénale. La Convention n° 196 du Conseil de l’Europe sur la prévention du terrorisme s’intègre dans le cadre d’initiatives prises par le Conseil de l’Europe à la suite des attentats terroristes commis aux Etats-Unis d’Amérique le 11 septembre 2001 ; recommandation 1550 (2002) sur la lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l’homme, recommandation 1644 (2004) le terrorisme : une menace pour les démocraties. Les Etats Parties sont tenus d’incriminer la provocation publique à commettre une infraction terroriste (article 5), le recrutement pour le terrorisme (article 6), l’entraînement pour le terrorisme (article 7) et les actes accessoires (article 9). Un deuxième axe de la Convention est le renforcement des mécanismes de la coopération internationale en matière de prévention, en particulier des échanges d’informations (article 4). Les pays doivent aussi adopter des stratégies, comme la transmission spontanée d'informations et l'établissement de la responsabilité pénale des personnes morales. LEVI (2007), p. 260 ; BANTEKAS (2003), section II ; CASSANI (2003), p. 305 ; BALDWIN (2002), p. 116 ss. 39 Première partie : les instruments internationaux définition. La Convention no 198 remédie à cette lacune, en reprenant mot à mot la définition employée à l’article 1 let. l de la Convention de Vienne. 10. La confiscation du point de vue des droits de l’homme A plusieurs reprises153, la Cour EDH a examiné la légalité des mesures de saisie et de confiscation sous l’angle de la CEDH, y compris les protocoles et, en particulier, le Protocole n° 1. La première question qui se pose est de savoir quelle est la nature de la confiscation selon la jurisprudence de la Cour EDH. Il faut admettre que les arrêts de la Cour ne fournissent pas de réponse cohérente, peut-être en raison du « caractère relativement récent » de la jurisprudence de la Cour EDH en matière de confiscation154. Selon les arrêts AGOSI, Air Canada et Phillips155, la procédure de confiscation n’a pas le caractère d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 § 2 CEDH156. Les décisions en matière de confiscation constituent des contestations civiles au sens de l'article 6 § 1 CEDH157. Cependant, dans l’arrêt Welch (application de l’article 7 CEDH à la confiscation) la confiscation a été caractérisée comme une peine158 ; son application rétroactive constitue donc une violation de l’article 7 CEDH. En examinant les notions d’« accusation pénale » et de « peine », la Cour a utilisé des critères semblables159 ; cependant, elle est arrivée à des solutions différentes (la 153 154 155 156 157 158 159 40 Cour EDH, arrêt Phillips c. Royaume-Uni du 5 juillet 2001, no 41087/98, Recueil CourEDH 2001-VII, §§ 28 ss; arrêt Raimondo c. Italie du 22 février 1994, série A no 281-A, §§ 27-30 ; arrêt Butler c. Royaume-Uni du 26 juin 2002, no 41661/98, Recueil CourEDH 2002-VI, consid. D. GILMORE (2005), p. 200. Cour EDH, arrêt AGOSI c. Royaume-Uni du 24 octobre 1986, série A, no 108 ; arrêt Air Canada c. RoyaumeUni du 5 mai 1995, série A, no 316-A ; arrêt Phillips c. Royaume-Uni du 5 juillet 2001, no 41087/98, Recueil CourEDH 2001-VIII, § 36. Dans son arrêt Geerings c. Pays-Bas du 1er mars 2007, n° 30810/03, Recueil CourEDH 2007, § 41, la Cour EDH a distingué l’affaire d'un certain nombre de précédents ; selon cet arrêt, une ordonnance de confiscation faisant suite à des infractions pour lesquelles le requérant avait été relaxé viole l’article 6 par. 2 CEDH ; cf. note d'information no 95 sur la jurisprudence de la Cour EDH, mars 2007. Selon cette disposition, la présomption d’innocence doit être respectée dans le cadre des accusations pénales. Plus précisément : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Cour EDH, arrêt Raimondo c. Italie du 22 février 1994, série A no 281-A, § 43 ; ATF 125 II 417 consid. 4b. Selon l’article 6 par. 1 CEDH, les décisions de confiscation doivent être rendues par un juge, soit un tribunal indépendant et impartial. Un organe non juridictionnel ne satisfait a priori pas à ces garanties conventionnelles, mais il peut rendre une décision de confiscation. Dans ce cas, le justiciable doit disposer d'un recours devant un organe judiciaire indépendant, qui jouit d'une pleine cognition en fait et en droit ; arrêt du Tribunal fédéral du 12 août 2007, 6B.226/2007, consid. 2.1 ; ATF 126 IV 107 consid. 1b/cc; ATF 108 IV 154 consid. 2 ; cf. enfin Cour EDH, arrêt Linnekogel c. Suisse du 1er mars 2005, no 43874/98, § 32. Sur la possibilité de solliciter une audience publique devant les chambres spécialisées des tribunaux et des cours d'appel, voir : Cour EDH, arrêt Leone c. Italie du 2 février 2010, requête no 30506/07, §29. Cour EDH, arrêt Welch c. Royaume-Uni du 9 février 1995, série A no 307-A, § 35. Moins clair : Cour EDH, arrêt Bowler International Unit c. France du 23 juillet 2009, requête no 1946/06, §§ 64-68, et les références citées. Le lien entre la sanction en cause et une infraction, le but répressif et l’importance de la sanction, les procédures y associées. La classification de l'infraction en cause dans le droit national n'est pas décisive ; cf. I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux confiscation est une peine, mais la procédure de confiscation n’a pas le caractère d’une accusation en matière pénale). Apparemment, la Cour a voulu que les articles 6 § 1 CEDH et 7 CEDH s’appliquent aux procédures de confiscation et que l’article 6 § 2 CEDH soit exclu. Cette solution est critiquée par G. Stessens, selon lequel les garanties de la CEDH, en particulier, la présomption d’innocence, doivent régir les procédures de confiscation, qui tombent essentiellement sous la définition d’une « accusation en matière pénale »160. La présomption d'innocence, consacrée par l'article 6 § 2 CEDH, est un droit fondamental de procédure pénale, qui a donné lieu au développement d’une doctrine importante161. Sans entreprendre une analyse détaillée de cette doctrine, on peut ici exposer ses éléments principaux. Au stade du jugement, le fardeau de la preuve de la culpabilité de l'accusé appartient à l'accusation ; l'accusé n'est pas appelé à démontrer son innocence. En outre, la condamnation n’est pas possible lorsque le juge aurait dû éprouver des doutes importants et irréductibles quant à la culpabilité de l'accusé au vu de la situation objective et des éléments de preuve. La question qui se pose est de savoir si la présomption d’innocence s’applique aussi en matière de confiscation. La doctrine formule d'importantes réserves162. La jurisprudence de la Cour EDH admet que la présomption d’innocence n’est pas opposable, lorsque la mesure de confiscation est menée indépendamment de la procédure pénale proprement dite, ou lorsqu’elle frappe une personne qui n’est pas accusée163. La présomption d’innocence ne s’applique pas aux procédures de confiscation, car celles-ci ne visent pas à établir la culpabilité d’une personne, mais à constater l’existence de liens entre une infraction donnée et des objets spécifiques. Par son arrêt dans l’affaire Geerings164, la Cour EDH a conclu à la violation de l’article 6 § 2 CEDH, car elle a estimé que la situation était différente de celle qui a donné lieu aux arrêts dans les affaires AGOSI, Air Canada et Phillips. La procédure de confiscation après condamnation dans l’affaire Geerings était différente pour deux raisons importantes : il n’a jamais été démontré que la personne touchée par la confiscation détenait des biens dont elle ne pouvait expliquer l’origine de manière satisfaisante ; l’ordonnance de confiscation invoquait des infractions pour lesquelles cette personne avait été relaxée. Une telle ordonnance violait, selon la Cour EDH, la règle consacrée à 160 161 162 163 164 Cour EDH, arrêt Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A, no 22 ; cf. aussi Cour EDH, arrêt Ravnsborg c. Suède du 23 mars 1994, série A, no 283-B. STESSENS (2000) p. 64 ss. PIQUEREZ (2000), p. 401 ; HAEFLIGER / SCHÜRMANN (1999) p. 210, etc. SCHMID (1995) p. 363. Cour EDH, arrêt Butler c. Royaume-Uni du 27 juin 2002, no 41661/98, Recueil CourEDH 2002-VI, consid. c; arrêt Phillips c. Royaume-Uni du 5 juillet 2001, no 41087/98, Recueil CourEDH 2001-VII, § 36 ; cf. aussi ATF 117 IV 233 consid. 2. Cour EDH, arrêt Geerings c. Pays-Bas du 1er mars 2007, n° 30810/03, Recueil CourEDH 2007, § 41 ss. 41 Première partie : les instruments internationaux l’article 6 § 2 CEDH, qui n’autorise pas même la formulation d’un doute sur l’innocence lorsqu’une décision de relaxe ou d’acquittement est définitive. Selon la jurisprudence de la Cour EDH, la garantie du procès équitable n’empêche pas de faire passer le fardeau de la preuve à la défense dans le cadre d’une procédure en confiscation165. En général, la garantie du procès équitable n’empêche pas d’établir des présomptions de fait ou de droit défavorables à l’accusé. Le législateur doit respecter certaines conditions lorsqu’il établit de telles présomptions. Selon la jurisprudence de la Cour EDH, les présomptions doivent être raisonnables, respecter le principe de la proportionnalité et tenir compte de la gravité de l’enjeu et du respect des droits de la défense166. En outre, les présomptions défavorables à l’accusé doivent être susceptibles d’être combattues par une preuve contraire. Dans un arrêt plus récent, la Cour EDH a confirmé que les présomptions défavorables à l’accusé ne violent pas l’article 6 § 1 CEDH, si elles sont raisonnables et si la procédure garantit le respect des droits de la défense167. Une autre question qui se pose est celle du rapport entre le renversement du fardeau de la preuve et un principe important du droit pénal, la protection contre l’auto-incrimination168. Ce privilège est reconnu par l’article 14 par. 3 let. g Pacte II de l’ONU, alors qu’au niveau européen la jurisprudence de la Cour EDH admet que ce principe est une partie indispensable du droit protégé par l'article 6 § 1 CEDH169. Nous pouvons argumenter que, si le fardeau de la preuve est renversé, le silence de l'accusé a invariablement comme effet la confiscation de ses avoirs. Toutefois, selon l'interprétation adoptée par CEDH, le silence de l'accusé est une chose différente de son incapacité de donner des explications plausibles sur des questions qui demandent des réponses170. Une dernière question qui se pose est celle de savoir si la saisie ou la confiscation violent les droits de propriété de manière contraire au Protocole n° 1 à la CEDH171. La confiscation, « deliberately Draconian in character»172, signifie pour l’individu une dépossession de son bien, dont la propriété est 165 166 167 168 169 170 171 172 42 Cour EDH, arrêt Butler c. Royaume-Uni du 27 juin 2002, no 41661/98, Recueil CourEDH 2002-VI, § C. Cour EDH, arrêt Phillips c. Royaume-Uni du 5 juillet 2001, no 41087/98, ECHR 2001-VII, § 40. Cf. aussi Cour EDH, arrêt Salabiaku c. France du 7 octobre 1988, série A no 141-A, § 28; Cour EDH, arrêt John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, § 51. Cour EDH, arrêt Grayson et Barnham c. Royaume-Uni du 23 septembre 2008, nos 19955/05 et 15085/06, Note d’information sur la jurisprudence de la Cour EDH, no 111, août-septembre 2008. L’affaire portait sur la charge de la preuve partiellement déplacée sur le défendeur en vue de calculer le montant d’une ordonnance de confiscation dans des affaires de trafic de stupéfiants. STESSENS (2000) p. 75. Cour EDH, arrêt Funke c. France du 25 février 1993, série A, no 256-A, § 44; Cour EDH, arrêt John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, § 45. Cour EDH, arrêt John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, § 51 ; sur cette question voir aussi Arzt (1993), p. 78 ss. R.S. 0.101 Commentary (note 39), p. 144, par. 5.73. I. La saisie et la confiscation dans les instruments internationaux transférée à l’Etat173. La Cour EDH a reconnu que l’ordonnance de confiscation, en tant que privation permanente de valeurs patrimoniales, porte une atteinte aux droits du requérant ; cependant, cette atteinte est justifiée pour des raisons d’intérêt général174. Cette solution est conforme à l’article 1er du Protocole no 1, selon lequel l’Etat possède le droit de « réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ». La lutte contre la criminalité organisée est dans l’intérêt général de la société, ce qui justifie la mise en place de procédures de confiscation. En outre, une confiscation par le juge pénal n’est possible que sur la base d’une loi formelle et du respect des garanties procédurales. La jurisprudence de la Cour EDH fait aussi référence au respect du principe de la proportionnalité, selon lequel le dommage entraîné par la saisie ou la confiscation ne doit pas dépasser « les limites de l’inévitable »175. Le caractère disproportionné doit être établi au regard du manquement commis, et non du patrimoine176. Les mesures provisoires sont aussi compatibles avec la CEDH, en particulier avec l’article 1er du Protocole no 1 à la CEDH, comme l’affirme la Cour EDH dans son arrêt Raimondo c. Italie177 ; cet arrêt tient compte du danger que la Mafia représente pour la société et l’Etat italiens178. Enfin, il faut noter que la garantie constitutionnelle de la propriété ne s’applique pas aux stupéfiants acquis ou détenus de manière illicite, car ceuxci sont des choses hors commerce et ne peuvent faire l’objet d’un droit de propriété179. 173 174 175 176 177 178 Pour les effets de la confiscation en droit suisse, voir p. 194 de la présente étude. Selon la jurisprudence de la Cour EDH, l’article 1er du Protocole no 1 protège aussi les créances ; cf. Cour EDH, arrêt Denisova et Moiseyeva c. Russie du 1er avril 2010, no 16903/03, § 47 et les références citées. Cour EDH, arrêt Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, série A, no 24, § 63. Cour EDH, arrêt Raimondo c. Italie du 22 février 1994, série A no 281-A, § 33 ; Cour EDH, arrêt Jucys c. Lituanie du 8 janvier 2008, no 5457/03, § 36. Les droits des tiers affectés par la confiscation doivent aussi être respectés (p.ex. recours juridiques effectifs); Cour EDH, arrêt Denisova et Moiseyeva c. Russie du 1er avril 2010, no 16903/03, § 64. Dans l’arrêt Grifhorst, la Cour EDH a conclu que la sanction imposée au requérant, cumulant la confiscation et l’amende, était disproportionnée au regard du manquement commis et que le juste équilibre n’avait pas été respecté ; Cour EDH, arrêt Grifhorst c. France du 26 février 2009, requête no 28336/02, §§ 102-105 ; cf. aussi Cour EDH, décision sur la recevabilité du 2 février 2010 dans l’affaire Monedero c. France, requête no 32798/06, § 2b. Cour EDH, arrêt Raimondo c. Italie du 22 février 1994, série A no 281-A, § 27; Bell (2000), p. 785. Sur le droit interne italien en matière de mesures de prévention à l'encontre de « personnes dangereuses pour la sécurité et pour la moralité publiques », voir : Cour EDH, arrêt Bocellari et Rizza c. Italie du 13 novembre 2007, requête no 399/02, §§ 25-26 ; voir aussi : VETTORI (2006), p. 79 ss. KILCHLING (2001), p. 280. Selon la juridprudence de la Cour EDH, « [l]es profits démesurés que les associations de type mafieux tirent de leurs activités illicites leur donnent un pouvoir dont l'existence remet en cause la primauté du droit dans l'Etat. Ainsi, les moyens adoptés pour combattre ce pouvoir économique, notamment la confiscation litigieuse, peuvent apparaître comme indispensables pour lutter efficacement contre lesdites associations » (Cour EDH, arrêt Bongiorno c. Italie du 5 janvier 2010, requête no 4514/07, 179 § 45 et les références citées). La jurisprudence du Tribunal fédéral affirme que « l'acquisition illicite de stupéfiants ne fonde pas un droit de propriété juridiquement reconnu et protégé » ; ATF 122 IV 179, consid. 3d ; ATF 124 IV 102, consid. 2 ; CASSANI (2002), p. 398 ss. 43 Première partie : les instruments internationaux Récapitulatif de la jurisprudence de la Cour EDH en matière de confiscation Disposition de la CEDH La position de la Cour EDH Article 6 § 1 CEDH (garantie du procès équitable) La garantie du procès équitable s’applique à la confiscation (tribunal indépendant et impartial, délai raisonnable). Article 6 § 1 CEDH et le renversement du fardeau de la preuve La CEDH ne prohibe pas les présomptions de fait ou de droit en matière pénale. Conditions : limites raisonnables, respect des droits de la défense. La CEDH favorise les présomptions réfragables. L’article 6 § 2 CEDH ne s’applique pas à la confiscation ; la confiscation ne s’analyse pas en une accusation pénale. Article 6 § 2 CEDH (présomption d’innocence) Article 6 § 2 CEDH et le renversement du fardeau de la preuve Article 7 CEDH (légalité et non rétroactivité) Article 1 Protocole additionnel (garantie de la propriété) 44 Les arrêts de la Cour EDH -Arrêt Phillips contre Royaume-Uni, du 5 juillet 2001, §§ 32 et 39 ; - Arrêt Grayson et Barnham contre Royaume-Uni, du 23 septembre 2008, § 37 ss. - Arrêt Radio France contre France, du 30 mars 2004, § 24 ; - Arrêt Phillips contre RoyaumeUni, du 5 juillet 2001, §§ 40 et 47. - Arrêt AGOSI contre RoyaumeUni, du 24 octobre 1986, § 64 ; - Arrêt Air Canada contre RoyaumeUni, du 5 mai 1995, § 56. La procédure de confiscation après la condamnation n’est pas une nouvelle accusation pénale. - Arrêt Phillips contre RoyaumeUni, du 5 juillet 2001, § 28 ss. La confiscation, comme mesure préventive contre la criminalité organisée, n’implique pas un jugement de culpabilité. - Arrêt Raimondo contre Italie, du 22 février 1994, § 43. La procédure de confiscation civile n’est pas une accusation pénale. Contra : L’article 6 § 2 CEDH s’applique à la confiscation, si la personne touchée avait été acquittée pour l’infraction en amont. L’article 6 § 2 CEDH prohibe le renversement du fardeau de la preuve, si ce renversement porte essentiellement un jugement sur la culpabilité. La confiscation est une peine au sens de l’article 7 CEDH. Le principe de la légalité et de la non rétroactivité s’applique à la confiscation. La confiscation est une réglementation de l’usage des biens, conformément à l’intérêt général, au sens de l’article 1 du Protocole. La lutte contre la criminalité est un but compatible avec l’intérêt général. - Décision sur la recevabilité Butler contre Royaume-Uni, du 27 juin 2002. - Arrêt Geerings contre Pays-Bas, du 1er mars 2007, § 50 ss. - Arrêt Geerings contre Pays-Bas, du 1er mars 2007, § 46. - Arrêt Welch contre Royaume-Uni, du 9 février 1995 ; - Arrêt Phillips contre RoyaumeUni, du 5 juillet 2001, § 34 ; - Arrêt Sud Fondi c. Italie, du 20 janvier 2009, § 118. - Arrêt Raimondo contre Italie, du 22 février 1994, § 30 ; - Arrêt Phillips contre RoyaumeUni, du 5 juillet 2001, § 52. II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux En droit international, le principe bien établi de la souveraineté implique qu’un Etat souverain ait l’autorité suprême et exclusive de légiférer et d’appliquer des lois dans son propre territoire180. En d’autres termes, la compétence des autorités étatiques ne s’étend pas au territoire d’autres Etats souverains, car cela constituerait une atteinte à leur souveraineté territoriale. Dans le contexte de l’application des lois pénales, le principe de souveraineté empêche les autorités de police et les autorités judiciaires d’effectuer des actes officiels sur le territoire d’un Etat étranger181. Cet élément peut être exploité par les criminels. Les réseaux criminels se jouent des frontières nationales et profitent du manque de coordination entre les Etats pour bien mener des activités criminelles et dissimuler les profits de ces activités182. La logique de l’entraide judiciaire internationale en matière pénale est précisément de remédier à ces problèmes, dès lors que les Etats souverains se prêtent mutuellement assistance dans la lutte contre la criminalité à l’échelle internationale. L’entraide comprend donc un Etat requérant et un Etat requis, alors que parmi les actes officiels demandés se trouvent l’extradition, l’audition de témoins, la notification d’actes judiciaires, la saisie de valeurs patrimoniales, la confiscation, etc. Des mécanismes d’entraide internationale pénale peuvent être établis par des conventions bilatérales183 ou sur une base multilatérale. Les conventions que nous avons examinées dans les sections précédentes (CEEJ, Convention de Vienne, Convention no 141, etc.) contiennent des dispositions relatives à l’entraide judiciaire en matière pénale, en particulier l’entraide judiciaire aux fins de confiscation. La situation où l’infraction est commise dans un pays et où les profits issus de cette infraction sont transférés à l’étranger n’est pas rare. Ces actifs d’origine criminelle qui sont situés à l’étranger ne peuvent être confisqués que par le biais de l’entraide judiciaire. La mise en place de mécanismes de ce type aide à garantir que « le crime ne paie pas », en empêchant l’auteur de l’infraction de protéger son butin contre la confiscation en le transférant à l’étranger. Outre l’entraide à des fins de confiscation, nous allons examiner l’entraide à des fins d’investigation, en vue d’une confiscation ultérieure. Les investigations constituent la première étape du long processus qui aboutit à la 180 CHAUMONT (1960), p. 114 ss ; ANAND (1986); ORGANISATION Unies, 1 U.N.T.S. XVI, 1976 Y.B.U.N. 1043, article 2 par. 4. 181 182 183 DES NATIONS UNIES (1945), Charte des Nations Sur une analyse de ce principe en droit pénal, voir: CASSANI (1999), p. 261 ; EVANS (1996), p. 215. CASSELLA (2002a), p. 25. Voir, par exemple, le Traité entre la Confédération Suisse et les Etats-Unis d’Amérique sur l'entraide judiciaire en matière pénale, RS 0.351.933.6. 45 Première partie : les instruments internationaux confiscation des produits du crime, car elles permettent la réunion des preuves et la localisation des valeurs patrimoniales soumises à la confiscation184. L’identification et la localisation d’actifs cachés et situés dans le territoire d’un Etat étranger est loin d’être une tâche facile185. Dans ce cas, la coopération des autorités compétentes de l’Etat étranger est indispensable pour mener à bien l’identification et la localisation du produit de l’infraction. Comme l’a démontré l’affaire Swift186, il n’est plus « illusoire de vouloir surveiller l’ensemble des flux financiers dans le monde »187. Il faut pourtant opter pour les mécanismes institutionnels légitimes ; la surveillance d’un compte et la divulgation de données financières doit avoir lieu dans le respect des dispositions légales, en particulier des modalités de l’entraide internationale. L’affaire de la LGT188 constitue un autre contre-exemple de comportement qui viole le principe de la légalité dans le cadre de l’entraide à des fins d’investigation. Quant à l’entraide aux fins de mesures provisoires, son importance devient évidente, si nous considérons tous les facteurs permettant à l’auteur de l’infraction de faire disparaître les profits illicites, en les transférant d’un pays à l’autre. Le fait que la globalisation financière facilite considérablement les mouvements de capitaux est un tel facteur. Nous pouvons aussi mentionner les retards ordinairement associés aux procédures de confiscation et à l’entraide aux fins de confiscation189. En outre, dès lors que l’auteur de l’infraction a pu transférer ses profits illicites à l’étranger (peut être avec l’aide d’experts de la finance, du droit et de la comptabilité), il ne faut pas exclure la possibilité qu’il tente à nouveau de déplacer les actifs en question. Pour toutes ces raisons, une mesure conservatoire est nécessaire, et son exécution passe par la voie de l’entraide internationale190. Une telle demande de gel ou de saisie dans le cadre de l’entraide internationale peut être fondée sur une convention multilatérale ou bilatérale. 184 185 186 187 188 189 190 46 Rapport explicatif à la Convention n° 141 (note 36), par. 36. DOTY / SULTAN (2002), p. 48. Sur les investigations financières, voir p. 69 de la présente étude. Voir p. 177 ss de la présente étude. DE MAILLARD (2001), p. 94. Une enquête allemande a été ouverte sur une vaste fraude fiscale qui impliquait les clients de la banque liechtensteinoise LGT Group. L’affaire est parvenue à la connaissance de la justice allemande grâce à une liste de données bancaires volée en 2002 et achetée par les services secrets allemands. Le gouvernement allemand a admis avoir payé plus de 4 millions d'euros pour ces données, qui ont donc été transmises de manière manifestement illégale. Le Monde (2008), Le scandale de fraude fiscale en Allemagne prend un tour international, 27.02.08 ; Les Echos (2008), L'Allemagne confrontée à une évasion fiscale massive, 15.02.08 ; L’Express (2008), Scandale fiscal: l'Allemagne n'est pas seule, 25.02.08 ; Tribune de Genève (2008), Le scandale fiscal au Liechtenstein pourrait faire tache d'huile en Europe, 25.02.08. BORGERS / MOORS (2007), p. 11 ss. STESSENS (2000), p. 358. II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux 1. La CEEJ (1959) et son deuxième Protocole (2001) La CEEJ est le premier instrument général visant au renforcement des mécanismes de coopération internationale en matière pénale. La CEEJ simplifie les relations entre les Etats Parties, dès lors qu’une seule convention s’applique en matière d’entraide191. Les Etats Parties peuvent conclure entre eux des accords bilatéraux ou multilatéraux pour compléter les dispositions de la CEEJ ou pour faciliter son application (article 26 par. 3 CEEJ)192. Le champ d’application de la CEEJ ne se limite pas à certaines catégories d’infractions, mais il couvre les procédures visant toutes les infractions « dont la répression est, au moment où l'entraide est demandée, de la compétence des autorités judiciaires de la Partie requérante» (article 1 CEEJ). Les auteurs de la CEEJ ont opté pour le critère de la compétence des autorités judiciaires du pays requérant ; ils ont ainsi évité de rédiger une liste d’infractions. En vertu de l'article 2 CEEJ, l’entraide judiciaire peut être refusée en matière d'infractions politiques et fiscales (article 2 let. a CEEJ)193, ou si l'exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de l’Etat requis (article 2 let. b CEEJ). Sur ces quatre derniers motifs de refus, l’«intérêt essentiel» est invoqué le plus souvent194. L’article 1 CEEJ impose aux Etats Parties l’obligation de s'accorder mutuellement l'entraide judiciaire la plus large possible en matière pénale. Selon l’article 3 CEEJ, l’Etat requis doit exécuter, dans les formes prévues par sa législation, les commissions rogatoires qui lui sont adressées par les autorités judiciaires de l’Etat requérant. La CEEJ suit donc le schéma d’entraide classique : une demande d’entraide, formulée par les autorités de l’Etat requérant, est adressée aux autorités de l’Etat requis ; cette demande est évaluée et exécutée selon les dispositions de la CEEJ. Néanmoins, la CEEJ ne couvre pas toutes les formes de l’entraide judiciaire, ce qui constitue son principal point faible. En vertu de l’article 3 CEEJ, les commissions rogatoires ont pour objet « d’accomplir des actes 191 192 193 194 Selon son article 26, la CEEJ abroge les dispositions des traités, conventions ou accords bilatéraux qui, entre deux Etats Parties, régissent l'entraide judiciaire en matière pénale (article 26 par. 1); cependant, la CEEJ n'affecte pas les obligations contenues dans les dispositions de toute autre convention internationale de caractère bilatéral ou multilatéral, dont certaines clauses régissent ou régiront, dans un domaine déterminé, l'entraide judiciaire sur des points particuliers (article 26 par. 2). Message (note 31), FF 1966 I, p. 466 ss. Le Premier Protocole additionnel du 17 mars 1978 à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, STE no 99, prévoit que la nature fiscale de l’infraction ne peut plus constituer un motif de refus de coopération. La Suisse a signé cet instrument le 17 novembre 1981, mais elle ne l’a pas encore ratifié. Pour cette raison, l’entraide judiciaire peut être refusée en matière de soustraction fiscale, qui n’est pas punie en droit suisse. Or, l’entraide peut être accordée en matière d’escroquerie fiscale, qui est punie par la Suisse. Rapport final sur le premier exercice d'évaluation consacré à l'entraide judiciaire en matière pénale, approuvé par le Conseil du 28 mai 2001, JO C 216 du 1.8.2001, p. 14 ss, p. 18. 47 Première partie : les instruments internationaux d’instruction ou de communiquer des pièces à conviction, des dossiers ou des documents »195. L’expression d’« actes d'instruction » employée à l’article 3 CEEJ comprend l’entraide aux fins de perquisition et saisie d’objets, telle que prévue à l’article 5 CEEJ. Néanmoins, plusieurs Etats Parties ont fait des déclarations pour se prévaloir d’une ou plusieurs des conditions prévues à l'article 5 CEEJ, qui portent sur l’exécution des commissions rogatoires aux fins de perquisition ou de saisie d’objets196. Il s’agit de la condition de double incrimination (article 5 par. 1 let. a CEEJ), la condition stipulant que l’infraction motivant la commission rogatoire puisse donner lieu à extradition dans l’Etat requis (article 5 par. 1 let. b CEEJ) et la condition de compatibilité de l’exécution de la commission rogatoire avec la loi de l’Etat requis (article 5 par. 1 let. c CEEJ) 197. La remise d’objets à titre probatoire est visée par l’article 3 CEEJ, qui se réfère à la communication « des pièces à conviction, des dossiers ou des documents ». L’Etat requis peut surseoir à la remise, si les objets demandés lui sont nécessaires pour une procédure pénale en cours (article 6 par. 1 CEEJ). Si la remise a lieu, les objets remis doivent être renvoyés aussitôt que possible par l’Etat requérant à l’Etat requis, à moins que celui-ci n'y renonce (article 6 par. 2 CEEJ). La renonciation peut intervenir avant ou après la remise des objets. Sur la question de l’entraide aux fins de confiscation, la CEEJ n’arrive pas à fournir des solutions appropriées ; elle permet la remise d'objets ou des valeurs uniquement à titre probatoire. Plus précisément, le terme « objets » employé à l’art 5 CEEJ vise les pièces à conviction dont il est question dans l'article 3 CEEJ (pièces à conviction, dossiers, documents) ; la CEEJ ne s'applique donc pas à la remise des produits de la criminalité en vue de leur confiscation ultérieure198. Après quelques hésitations199, la jurisprudence suisse a affirmé que la CEEJ ne permet pas la remise d'objets ou de valeurs à titre autre que probatoire, sans pour autant en exclure la saisie200. Si les autorités étrangères ne demandent pas la transmission de moyens de preuve, mais la remise du produit de l'infraction, elles peuvent recourir à la Convention no 141 qui règle ce problème depuis 1990. Le problème de la remise a aussi été abordé en 2001, par l'article 12 par. 1 du deuxième Protocole additionnel à la CEEJ. 195 196 197 198 199 200 48 L'audition de témoins ou d'experts est aussi possible, si la loi de l’Etat requis ne s’y oppose pas (article 3 par. 2 CEEJ). En plus des saisies conservatoires, la Suisse a soumis aux conditions de l’article 5 CEEJ « toutes les mesures coercitives entrant en ligne de compte » ; Message (note 31), FF 1966 I, pp. 491 et 505. Néanmoins, l’article 51 CAAS a modifié à la fois la portée de l’article 5 CEEJ et celle des réserves que les Etats membres de l’UE formulent sur cette disposition ; VERNIMMEN-VAN TIGGELEN / SURANO (2008), p. 12. ATF 115 Ib 517 consid. 6d. ATF 99 la 78 consid. 6 ; ATF 106 Ib 341 consid. 3. ATF 112 Ib 576 consid. 12 ; ATF 115 Ib 517 consid. 6d ; MOREILLON (2004), p. 356 et les arrêts cités ; HAUSER (1967). II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux Le deuxième Protocole additionnel du 8 novembre 2001 à la CEEJ201 vise à adapter les dispositions d’entraide judiciaire aux nouvelles exigences de la pratique202. Des dispositions de cet instrument remplacent ou complètent des articles de la CEEJ (articles 1 à 6)203, mais il existe également de nouvelles dispositions (articles 7 à 29). Le deuxième Protocole s’inspire des dispositions de la Convention du 29 mai 2000 de l’UE et de la Convention d’application de l’Accord de Schengen de 1990 (CAAS)204. Il reprend même mot à mot quelques dispositions de ces deux instruments205 Contrairement à la CEEJ, qui ne permet pas la remise d'objets ou de valeurs à titre autre que probatoire206, la remise du produit de l'infraction est prévue par l'article 12 par. 1 du deuxième Protocole additionnel à la CEEJ. L’article 12 par. 1 autorise l’Etat requis à donner suite à une demande de restitution, mais il ne crée pas de devoir de restitution207. Deux autres problèmes se posent208. D’une part, l’article 12 par. 1 du Protocole prévoit uniquement la remise en vue de restitution à l'ayant droit ; la remise en vue de confiscation doit, a contrario, être exclue. D’autre part, l’article 12 par. 1 ne mentionne que les objets obtenus par des moyens illicites, sans préciser quel doit être le lien de provenance. Le fait que l’article 12 par 1 se réfère à des « objets » et pas à des « produits » ou « valeurs » semble exclure la remise des produits indirects. Nous devons aussi admettre l’existence de deux conditions implicites pour que la remise soit possible en vertu de cette disposition : 201 202 203 204 205 206 207 208 Deuxième Protocole additionnel du 8 novembre 2001 à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, STE no 182, adopté par le Comité des ministres le 19 septembre 2001, RS 0.351.12. Cf. Message du Conseil fédéral du 26 mars 2003 relatif au Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, FF 2003 2873. Message (note 201), FF 2003 2873, p. 2876 ss. Par exemple, le deuxième Protocole va plus loin que la CEEJ, dont le champ d’application est limité aux procédures pénales pendantes devant une autorité judiciaire ; l’article 1 par. 3 du deuxième Protocole permet d’accorder l’entraide judiciaire dans des cas d’infractions aux règlements poursuivies par des autorités administratives. Cette modification a une importance particulière pour l’entraide dans le domaine des infractions économiques, où « l’enquête préliminaire est souvent menée par des autorités administratives spécialisées en lieu et place des autorités normalement chargées de l’investigation » ; Message (note 201), FF 2003 2873, p. 2879. Cela ne signifie pas que le deuxième Protocole fonde une obligation générale de coopération avec des autorités fiscales, dès lors qu’il ne modifie pas l’article 2, let. a de la CEEJ prévoyant un motif de refus de coopération pour les infractions fiscales. Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des Etats de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, JO L 239 du 22.09.2000, p. 19. Nous pouvons ici mentionner les mesures sur l’audition par vidéoconférence (article 9) ou par conférence téléphonique (article 10), sur la transmission spontanée d’informations (article 11), sur la restitution du produit de l’infraction (article 12). D’autres dispositions qui ont été reprises portent sur le transfèrement temporaire de personnes détenues sur le territoire de l’Etat requis (article 13), ainsi que sur l’observation transfrontalière (article 17), la livraison surveillée (article 18), les enquêtes discrètes (article 19 ; l’expression employée en Suisse est « investigations secrètes »), les équipes communes d’enquête (article 20), et la responsabilité pénale et civile des fonctionnaires (article 21-22). ATF 112 Ib 576 consid. 12a ; ATF (Pemex) 115 Ib 517 consid. 6d ; ATF 120 Ib 167 consid. 3b. « L’Etat requis pourrait, par exemple, refuser de donner suite à une telle demande lorsqu’il a lui-même besoin des objets réclamés comme moyen de preuve dans une procédure interne » ; Message (note 201), FF 2003 2873, p. 2889 ss. ZIMMERMANN (2009), p. 313, N. 338. 49 Première partie : les instruments internationaux l’identité du propriétaire légitime du bien doit être clairement établie et les droits des tiers de bonne foi dûment protégés209. Enfin, s’agissant des moyens de preuve remis en vertu de l’article 3 CEEJ, l’Etat requis avait déjà la faculté de renoncer au renvoi des objets transmis à l’Etat requérant (article 6, par. 2 CEEJ) ; l’article 12 par. 2 du deuxième Protocole précise que la renonciation de ce type est aussi possible aux fins de la restitution du bien à son propriétaire légitime210. 2. La Convention de Vienne (1988) Le trafic de stupéfiants est par nature mondial, dès lors qu’il implique des transferts de drogue et d’argent entre les pays producteurs et les pays consommateurs211. Cette nature mondiale du problème nécessite la mise en action de toute la communauté internationale, ce que la Convention de Vienne s’efforce d'atteindre. L’article 2 de la Convention de Vienne, intitulé « Portée de la Convention » affirme la nécessité de promouvoir la coopération internationale (article 2 par. 1), ainsi que la nécessité de respecter les principes de l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale des Etats et de la non-intervention dans les affaires intérieures d'autres Etats (article 2 par. 2 et 3). Cette affirmation vise à empêcher des opérations menées unilatéralement, de manière illégale et non coopérative, par les autorités nationales sur le territoire d’un Etat étranger (voir, par exemple, certaines opérations menées par le DEA américain sur le territoire du Mexique sans l’autorisation du gouvernement mexicain212). En vertu de l’article 7 de la Convention de Vienne, les Etats Parties sont tenus de s’accorder mutuellement l’entraide judiciaire la plus étendue dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Dans une vingtaine de paragraphes, l’article 7 précise la portée et les formes de cette entraide. En ce qui concerne les infractions pouvant donner lieu à l’entraide, l’article 7 se réfère aux infractions établies conformément à l’article 3 paragraphe l et exclut donc les infractions en vertu de l’article 3 par. 2 (détention et achat de 209 210 211 212 50 Message (note 201), FF 2003 2873, p. 2889. Selon l’article 12 par. 3, lorsque l’Etat requis a renoncé au renvoi des objets avant leur remise à l’Etat requérant, il ne peut faire valoir aucun droit de gage ni aucun autre droit de recours découlant de la législation fiscale ou douanière sur ces objets. Selon l’article 12 par. 4, en cas de renonciation conformément au par. 2, l’Etat requis peut percevoir les taxes ou les droits de douanes qui pourraient lui être dus par le propriétaire légitime de l’objet remis. GILMORE (2005), p. 17 ss. Dans l’affaire Humberto Alvarez-Machain, un citoyen mexicain avait été enlevé sur le territoire du Mexique et emmené aux Etats-Unis, pour être jugé par les tribunaux américains. Au lieu des mécanismes prévus par le traité bilatéral d’extradition, les autorités américaines ont donc opté pour un stratagème, dont la légalité n’a pas été mise en doute par la Cour Suprême des Etats-Unis. Voir United States vs. Humberto AlvarezMachain, 504 U.S. 655 (1992). II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux stupéfiants et de substances psychotropes, culture de stupéfiants destinés à la consommation personnelle)213. Dans le cadre de la lutte internationale contre le trafic de stupéfiants, l’importance de l’entraide à des fins de confiscation devient évidente, parce que l’utilité d’une décision de confiscation est très limitée, si cette décision est exécutoire uniquement dans le pays d’origine214. Néanmoins, la question se pose de savoir s’il était vraiment nécessaire de traiter l’entraide à des fins de confiscation dans une disposition séparée (article 5 par. 4), au lieu de la disposition générale sur l’entraide215. L’article 5 par. 4 let. a de la Convention de Vienne prévoit deux formes d’entraide à des fins de confiscation. D’une part, l’Etat requis peut ouvrir une procédure judiciaire selon son droit interne, qui aboutira à la prononciation d’une décision de confiscation et, ultérieurement, à l’exécution de celle-ci. L’Etat requérant doit avoir fourni une description des biens à confisquer et un exposé des faits pour permette à l’Etat requis de faire prononcer une décision de confiscation dans le cadre de son droit interne (article 5 par. 4 let. a ch. i). Lorsque des procédures internes aboutissant à une confiscation sont ouvertes, l’Etat requérant va fournir les preuves, situées le plus souvent à l’étranger, établissant le lien précis entre les valeurs patrimoniales à confisquer et l’activité criminelle. D’autre part, l’Etat requis peut, à la suite d’une demande d’entraide, reconnaître et faire exécuter une décision de confiscation prise par des autorités étrangères (article 5 par. 4 let. a ch. ii). Dans tous les cas, une clause de sauvegarde est prévue : les modalités de la procédure sont déterminées par le droit de l’Etat requis, conformément aux règles de procédure ou à tout traité bilatéral ou multilatéral liant l’Etat requis à l’Etat requérant216. La Convention de Vienne laisse donc aux Etats Parties la liberté de déterminer le statut et les effets juridiques de la décision de confiscation étrangère217. La possibilité du partage des biens entre l’Etat requérant et l’Etat requis a aussi été reconnue par l’article 5 par. 5 let. b ch. ii de la Convention de Vienne. Cette disposition encourage la conclusion des accords de partage entre les Etats Parties « systématiquement ou au cas par cas ». Le partage porte, selon cette disposition, sur les biens ou produits confisqués, ou les fonds provenant de leur vente. Le partage a lieu conformément au droit interne de l’Etat requis218 213 214 215 216 217 218 Pour une analyse de l’article 3 de la Convention de Vienne, voir p. 15 ss de la présente étude. GILMORE (2005), p. 63. Commentary (note 39), p. 127, par. 5.29. Article 5 par. 4 let. c, Convention de Vienne. Commentary (note 39), p. 147, par. 5.79. L’expression « Partie qui confisque » au sens de l’article 5 let a de la Convention de Vienne fait allusion à la confiscation effective ; cette distinction est importante dans le cas où la confiscation est ordonnée par les autoritées de l’Etat requérant et exécutée par les autorités de l’Etat requis ; Commentary (note 39), p. 132, par. 5.39. 51 Première partie : les instruments internationaux et aux accords bilatéraux ou multilatéraux conclus à cette fin219. Ces deux principes (encouragement de la conclusion d’accords de partage sur une base volontaire, respect du droit interne) ont été repris ultérieurement par d’autres instruments internationaux220. Néanmoins, concernant la conclusion d’accords de partage dans la pratique internationale, « the present position represents a very modest level of achievement given that the default position on confiscated assets was first established in the 1988 Vienna Convention»221. En ce qui concerne l’entraide aux fins des mesures d’investigation, une obligation générale de coopération est prévue à l’article 7 par. 1, sans que la Convention de Vienne fournisse d’autres précisions. Par ailleurs, selon l’article 9, intitulé « autres formes de coopération et formation », les Etats Parties sont tenus de coopérer pour mener des enquêtes concernant le mouvement des produits et des biens provenant de la commission des infractions visées à l’article 3 par. 1 (article 9 par. 1 let. b ch. ii). Les Etats Parties sont aussi tenus de s’accorder mutuellement l’entraide judiciaire la plus étendue au niveau des mesures provisoires (article 5 par. 4 let. b, article 7 par. 2 let. c)222. La Convention n’impose pas aux Etats Parties l’obligation de reconnaître l’extraterritorialité des décisions de gel prises par les autorités étrangères223. Indépendamment de l’existence d’une décision de gel, les autorités répressives et judiciaires doivent recourir à la coopération de leurs collègues étrangers, pour empêcher le déplacement des instruments et des produits des activités délictueuses. Pour parvenir à cet objectif, il peut être nécessaire de geler des comptes bancaires, de saisir des biens ou d’ordonner d'autres mesures provisoires224. Ces mesures portent sur les instruments, les produits d’infractions (ou la valeur correspondant à celle des produits), les stupéfiants et substances psychotropes et toute autre chose visée à l’article 5 par. 4. Si le régime de confiscation est fondé sur la valeur, tout bien peut faire l’objet de mesures provisoires. La possibilité d’entraide aux fins de saisie probatoire et de remise de pièces à conviction est prévue à l’article 7 par. 2 let. c, e, f. Des motifs de refus de coopération peuvent être invoqués légitimement. Le secret bancaire ne fait pas partie de ces motifs (article 7 par. 5 et article 5 par. 3). Le fait que l’Etat requis subordonne l’adoption des mesures de confiscation à l’existence d’un traité en la matière est aussi exclu en tant que 219 220 221 222 223 224 52 Cf. Model bilateral agreement on the sharing of confiscated proceeds of crime or property covered by the United Nations Convention against Transnational Organized Crime and the United Nations Convention against Illicit Traffic in Narcotic Drugs and Psychotropic Substances of 1988, UN Economic and Social Council, ECOSOC Resolution 2005/14 of 22 July 2005. Cf. article 14 par. 3 let. b de la Convention de Palerme ; article 15 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe ; article 25 par. 3 de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe ; recommandation no 38 du GAFI. Rapport précité (note 27), p. 27. Article 7 par. 2 let. c, Convention de Vienne. Commentary (note 39), p. 121, par. 5.14. Cassella (2002b), p. 268 ss. II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux motif de refus : les Etats Parties doivent considérer la Convention de Vienne comme une «base conventionnelle nécessaire et suffisante » à cet égard (article 5 par. 4 let f). Par contre, l’entraide peut être refusée si les formalités prévues par la Convention de Vienne n’ont pas été respectées (article 7 par. 10 et article 7 par. 15 let. a), dans la mesure où le problème ne peut pas être remédié par un complément d’information (article 7 par. 11). L’entraide peut aussi être refusée si l’Etat requis estime que l’exécution de la demande peut porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à son ordre public ou à d’autres intérêts essentiels (article 7 par. 15 let. b). Le principe ne bis in idem225 (article 7 par. 15 let. c) interdit l’exécution de la mesure demandée si les autorités de l’Etat requis ont déjà ouvert une enquête, des poursuites pénales ou une procédure judiciaire dans le cadre de leur propre compétence pour une « infraction analogue ». L’exécution de la demande d’entraide ne peut pas être contraire au système juridique de l’Etat requis (article 7 par. 15 let. d). La question de la double incrimination ne se pose pas dans l’application de la Convention de Vienne ; l'infraction à la base de la demande d’entraide sera nécessairement une infraction au regard du droit de l’Etat requis, qui doit avoir transposé l’article 3 de la Convention de Vienne, comme d’ailleurs l’Etat requérant. Outre les motifs de refus de coopération, la Convention de Vienne prévoit un motif de report, l’entrave à une enquête, aux poursuites pénales ou à une procédure judiciaire en cours dans l’Etat requis (article 7 par. 17). 3. La Convention n° 141 du Conseil de l’Europe (1990) La Convention no 141 est une convention spéciale qui complète la CEEJ), au sens de l’article 26 CEEJ226. Le rapport explicatif indique que les Etats Parties doivent, « en l'absence de motifs s'y opposant », s'efforcer d'appliquer la Convention no 141 en cas de conflit entre ces deux instruments227. A notre avis, il faut appliquer le texte qui est plus favorable à l’entraide. Par ailleurs, le texte de l’article 39 par. 3 de la Convention no 141 est clair sur ce sujet : si des dispositions d’autres traités facilitent davantage la coopération internationale, les Etats Parties ont la faculté de les appliquer au lieu des dispositions de la Convention no 141. Les Etats Parties sont tenus de coopérer le plus possible à des fins de procédures de confiscation (article 7 par. 1 et par. 2 let. a). En ce qui concerne les formes de coopération possibles en matière de confiscation, l’article 13 de 225 226 227 Pour une analyse de ce principe, voir STESSENS (2000), p. 79 ; HENZELIN (2005), p. 345 ss ; ACKERMANN / EBENSPERGER (1999), p. 823 ss ; ROTH, in BRAUM / WEYEMBERGH (2009), p. 132 ss. MOREILLON (2004), p. 357. Rapport explicatif à la Convention no 141 (note 36), par. 36. 53 Première partie : les instruments internationaux la Convention no 141, en prévoit principalement deux, exactement comme l’article 5 par. 4 let. a de la Convention de Vienne : l'exécution par l'Etat requis, à la demande d'un autre Etat, d'une décision de confiscation rendue à l'étranger (article 13 par. 1 let. a) ; l'ouverture par l'Etat requis, à la demande d'un autre Etat, de procédures internes aboutissant à une confiscation (article 13 par. 1 let. b). L’obligation de coopération est respectée se l’Etat requis accorde une de ces deux possibilités228. Selon l'article 13 par. 3 de la Convention no 141, la demande d’entraide peut aussi porter sur la confiscation de valeur ; l’Etat requis confisque donc une somme d'argent correspondant à la valeur du produit, si des biens sur lesquels peut porter la confiscation se trouvent sur son territoire. Les Etats Parties peuvent aussi convenir que l’Etat requis procède à une confiscation de valeur, même si la demande de confiscation vise un bien déterminé (article 13 par. 4). Comme l’indique Gilmore, les dispositions de la Convention no 141 peuvent remédier à une faiblesse de la Convention de Vienne, c’est-à-dire à l’absence d’une « approche obligatoire unique en matière de confiscation »229 ; l’article 7 par. 2 let. a et l'article 13 par. 3 de la Convention no 141 placent les deux systèmes internes de confiscation (confiscation de biens, confiscation de la valeur) « sur un pied d’égalité »230. La Convention n° 141 n’aborde pas la question de la restitution des valeurs confisquées à l’ayant droit231. Il y a également des facteurs qui peuvent faciliter l'exécution des décisions de confiscation rendues à l’étranger. La désignation d’une autorité centrale, chargée de la coordination des demandes d'entraide est un tel facteur, exigé par la plupart des instruments internationaux, dont la Convention no 141 (article 23)232. Un autre facteur facilitant l’entraide est le fait que, contrairement à la Convention de Vienne, l’article 29 de la Convention no 141 propose une solution dans le cas de concours des demandes d’entraide (consultation des Parties requérantes)233. Qu’il s’agisse de confiscation de biens ou de confiscation de valeur, la loi de l’Etat requis détermine les modalités des procédures permettant d'obtenir et d'exécuter une confiscation (article 14). Par ailleurs, selon l'article 15 de la Convention n° 141, l’Etat requis dispose selon son droit interne de tous les biens confisqués par lui, sauf s'il en est convenu autrement par les Etats Parties 228 229 230 231 232 233 54 NILSSON (1992), p. 473. GILMORE (2005), p. 185. Rapport explicatif à la Convention n° 141 (note 36), par. 35 ; NILSSON (1992), p. 473 s. Office Fédéral de la Justice (2009), L’entraide judiciaire internationale en matière pénale : directives, Office fédéral de la justice, Département fédéral de justice et police, 9e édition, Berne, 2009, p. 60 ; FREY (1999), p. 81. En Suisse, l’OFJ reçoit les demandes d’entraide étrangères et lorsqu’elles sont recevables les transmet au canton compétent. L’OFJ peut aussi requérir des autorités fédérales l’exécution de l’entraide, notamment du MPC, ce qui se produit fréquemment. Commentary (note 39), p. 145, par. 5.75. II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux concernés. Le rapport explicatif incite les Etats Parties à conclure des accords de partage des biens confisqués, « de manière à tenir compte de leur participation à l'affaire »234. Avant la conclusion de la Convention n° 141, la Convention de Vienne (1988)235 incitait les pays à conclure des accords prévoyant le partage des avoirs confisqués, systématiquement ou au cas par cas, sans proposer de critères pour la répartition. Les articles 8-10 de la Convention n° 141 concernent l’entraide aux fins des investigations et sont plus détaillés que les dispositions topiques de la Convention de Vienne236. L’article 8 de la Convention n° 141 vise l'identification et le dépistage de biens des instruments, produits et autres biens susceptibles de confiscation. Plus précisément, les mesures au sens de cette disposition visent à apporter des éléments de preuve concernant « l'existence des biens […], leur emplacement ou leurs mouvements, leur nature, leur statut juridique ou leur valeur » ; selon le rapport explicatif, ce libellé devrait faire l'objet d'une interprétation large afin que, par exemple, les notifications concernant des investigations ainsi que l'évaluation de biens relèvent du champ d'application de la disposition237. Toujours selon le rapport explicatif, les expéditions dites « de pêche » (« fishing expeditions ») se situent hors du champ d'application de la Convention no 141238. Ainsi, en l’absence d’informations sur l'endroit où pourraient se trouver les biens à confisquer (article 27 par.1 let. e ch. ii), la Partie requise n'est pas tenue de dépister dans toutes les institutions financières du pays. La transmission spontanée d’informations constitue une nouvelle faculté prévue par l’article 10 de la Convention n° 141 du Conseil de l’Europe, qui a été reprise par les instruments postérieurs239. En général, la transmission d’informations concernant une infraction est effectuée à la suite d’une demande d’entraide. Cependant, la Convention n° 141 prévoit la faculté de transmettre aux autorités étrangères des informations relatives à des investigations ou des procédures pénales, sans qu’une demande préalable n’ait été déposée. Rien n’empêche le législateur national d’introduire un devoir au lieu d’une faculté240. Les informations à transmettre peuvent être recueillies par les autorités de poursuite pénale au cours d’une enquête au niveau national241. Certes, des conditions strictes s’appliquent à la transmission de documents touchant le domaine secret, notamment le secret 234 235 236 237 238 239 240 241 Rapport explicatif à la Convention n° 141 (note 36), par. 55. Article 5 par. 5 let. b ch. ii, Convention de Vienne. Article 7 par. 1 et article 9 par. 1 let. b ch. ii de la Convention de Vienne, voir p. 50 ss de la présente étude. Cf. aussi NILSSON (1992), p. 471 s. Rapport explicatif à la Convention n° 141 (note 36), par. 36. Rapport explicatif à la Convention n° 141 (note 36), par. 35 Articles 18 par. 4 et 18 par. 5, Convention de Palerme ; article 46 par. 4, Convention de Mérida ; article 20 de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe ; article 11 du Deuxième Protocole additionnel à la CEEJ. NILSSON (1992), p. 472. SCHUPP (1997), p. 194. 55 Première partie : les instruments internationaux bancaire. En outre, en vertu de l’article 33 de la Convention no 141, la Partie qui a reçu une transmission spontanée d'informations doit se conformer à toute condition de confidentialité demandée par la Partie qui transmet l'information. A la suite de la transmission spontanée d’informations, les autorités compétentes étrangères peuvent engager une procédure pénale242. Elles peuvent également formuler et déposer une demande d’entraide plus spécifique243. La Convention n° 141 régit aussi la coopération internationale en matière de mesures provisoires. Les Etats Parties doivent coopérer, c'est-à-dire prendre, à la demande d'un autre Etat, les mesures provisoires qui s'imposent, telles que le gel ou la saisie (article 11). Ces mesures permettent aux autorités pénales de prévenir « toute opération, tout transfert ou toute aliénation relativement à tout bien qui, par la suite, pourrait faire l'objet d'une demande de confiscation ou qui pourrait permettre de faire droit à une telle demande ». Comme l'indique le rapport explicatif de la Convention n° 198244, les différences terminologiques au niveau des lois nationales ne peuvent justifier un refus d’appliquer la Convention n° 141. En d'autres termes, le fait que le droit interne désigne une procédure comme « gel » et pas comme « saisie », ne permet pas à l'Etat requis de refuser de coopérer dans le cas considéré. L'article 12 de la Convention n° 141 prévoit que les mesures provisoires sont exécutées conformément au droit interne de l’Etat requis. La Convention n° 141 du Conseil de l'Europe vise à assurer une coopération aussi large que possible, ce qui se reflète dans les dispositions relatives aux motifs de refus de coopération. Ainsi, la coopération est refusée seulement dans des cas exceptionnels. En outre, les motifs de refus ne sont pas impératifs, ce qui signifie que l’Etat requis peut toujours coopérer, s'il souhaite le faire, même si un motif de refus pourrait être légitimement invoqué245. C'est pourquoi il faut recourir à la législation interne et à la pratique des pays. Toutefois, les Etats Parties à la Convention n° 141 ne peuvent justifier le refus de coopération qu'en invoquant un des motifs énumérés dans cet instrument246. En premier lieu, l’article 18 par. 1 let. a de la Convention n° 141 permet aux pays de refuser de coopérer lorsque la demande n'est pas conforme aux lois constitutionnelles et aux normes fondamentales de l'Etat requis. Par exemple, tel est le cas d'une procédure sur laquelle les exigences procédurales 242 Cette formule précisément a été mise à l’épreuve dans le cas Montesinos. Office fédéral de la justice (2002), Cas Montesinos: la Suisse remet 77 millions de dollars au Pérou, Communiqué de presse, 20.08.2002. 243 244 245 246 56 CASSANI (1999), p. 271. Rapport explicatif à la Convention n° 198 (note 36), par. 30. NILSSON (1992), p. 474. Selon un rapport de l’UNODC publié en 1993, les cas de refus de coopération sont rares ; united nations (1993), Report of the expert working group on mutual legal assistance and related international confiscation, United Nations Office for Drug Control and Crime Prevention, Vienna, 15 – 19 February 1993, consid. 2.55. II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux fondamentales pour la protection des droits de l'homme n'ont pas été respectées247. En outre, il se peut que, dans des cas particuliers, le droit interne de l’Etat requis interdise la confiscation de certains types de biens. En deuxième lieu, l'exécution de la demande peut être refusée si elle risque de porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de l’Etat requis (article 18 par. 1 let. b). Un tel risque peut émerger au niveau des investigations, si les preuves demandées dans le cadre d'une procédure étrangère constituent des renseignements confidentiels pour l’Etat requis. Au niveau de l’exécution d’une confiscation, il est un peu difficile d’imaginer comment la confiscation des avoirs de l’auteur d’une infraction porterait atteinte à la souveraineté et à la sécurité de l’Etat requis. En troisième lieu, l’Etat requis peut toujours refuser de coopérer, s’il estime que l'importance de l'affaire sur laquelle porte la demande ne justifie pas que soit prise la mesure sollicitée (article 18 par. 1 let. c). Il s’agit là d’une disposition qui met en œuvre le principe de la proportionnalité. En quatrième lieu, la demande de coopération peut être rejetée, si elle porte sur une infraction de nature fiscale ou politique (article 18 par. 1 let. d). En cinquième lieu, la mesure sollicitée ne doit pas violer le principe ne bis in idem (article 18 par. 1 let. e). En sixième lieu, si la relation entre le bien confisqué et l'infraction est de caractère trop lointain, le pays requis pourrait invoquer l'article 18 par. 4 let. b de la Convention n° 141, pour justifier son refus de coopération248. Enfin, il faut faire une référence à la question de la double incrimination. Selon les dispositions de la Convention n° 141249, la coopération peut être refusée si l'infraction à la base de la demande n’est pas une infraction au regard du droit de l’Etat requis (article 18 par. 1 let. f). Ce motif de refus ne s'applique à l’entraide aux fins d’investigations que dans la mesure où l'entraide sollicitée implique des mesures coercitives. 247 248 249 Si les droits des personnes affectées n’ont pas encore fait l’objet d’examen, l’Etat requis ne peut pas invoquer le non-respect de ces droits pour refuser de coopérer ; « […] in some States as the United Kingdom, third party rights are safeguarded at the stage of execution of the confiscation order and not at the stage of decision » ; NILSSON (1992), p. 477. Selon cet article, la coopération peut être refusée si « elle irait à l'encontre des principes du droit interne de la Partie requise en ce qui concerne les possibilités de confiscation relativement aux liens entre une infraction et i) un avantage économique qui pourrait être assimilé à son produit; ou ii) des biens qui pourraient être assimilés à ses instruments ». Article 18 par. 1 let. f, Convention no 141 du Conseil de l’Europe ; article 28 par. 1 let. g, Convention no 198 du Conseil de l’Europe. 57 Première partie : les instruments internationaux 4. La Convention de l’OCDE contre la corruption (1997) La Convention de l’OCDE concernant l'incrimination de la corruption d'agents publics étrangers, dans le cadre des transactions commerciales internationales prévoit, outre l’incrimination de la corruption active d’agents publics étrangers (article 1), l’adoption de mesures de confiscation en droit national (article 3), ainsi que la mise en place de mécanismes d’entraide (article 9)250. L’article 9 par. 1, disposition peu détaillée, impose aux Etats Parties une obligation générale de coopération « prompte et efficace », aux fins des enquêtes et des procédures pénales engagées par une Partie pour les infractions relevant de la Convention de l’OCDE251. L’entraide aux fins de confiscation n’est expressément visée ni par l’article 9, ni par son commentaire ; cependant, il est évident que ce type d’entraide tombe sous la définition de l’entraide aux fins des procédures pénales. L’absence de précisions quant aux modalités de ce type d’entraide affaiblit l’utilité pratique de l’article 9 de la Convention de l’OCDE. Le fait que la Convention de l’OCDE ne règle pas la question de la restitution du produit de la corruption est un autre point faible de cette initiative252. L’article 9 aborde ensuite la question des motifs de refus de coopération. La condition de la double incrimination, à laquelle un Etat Partie peut subordonner l’entraide judiciaire, est réputée remplie si l’infraction pour laquelle l’entraide est demandée relève de la Convention de l’OCDE (article 9 par. 2). En outre, la Convention de l’OCDE prévoit que le secret bancaire ne peut pas constituer un motif de refus de coopération concernant les infractions qui tombent sous son champ d’application (article 9 par. 2). 5. La Convention no 173 du Conseil de l’Europe (1999) Comme l’indique le rapport explicatif de la Convention no 173253, la coopération internationale dans la répression des affaires de corruption transnationales peut être compromise, d’une part, par l’absence de définition commune de la corruption254 et, d’autre part, par la complexité des 250 251 Cf. aussi CRUTCHFIELD / LACEY / BIRMELE (2000), p. 501 ss. Selon la même disposition, « [l]a Partie requise informe la Partie requérante, sans retard, de tout élément ou document additionnels qu’il est nécessaire de présenter à l’appui de la demande d’entraide et, sur demande, des suites données à cette demande d’entraide ». 252 253 254 58 BALMELLI (2004), p. 68. Rapport explicatif à la Convention n° 173 (note 104), par. 21. Pour remédier à ce problème, la Convention no 173 propose des définitions uniformes des infractions en matière de corruption ; voir p. 26 ss de la présente étude. II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux mécanismes de coopération internationale et les délais importants impliqués dans les procédures d’entraide255. C’est pourquoi les auteurs de la Convention no 173 proposent des incriminations communes et une entraide large en matière de lutte contre la corruption. En vertu de l’article 25 de la Convention no 173, les Etats Parties s'engagent donc à s'accorder l’entraide la plus large possible. Les mécanismes d’entraide prévus dans la Convention no 173 ont un caractère subsidiaire : les dispositions relatives à la coopération internationale s'appliquent en l'absence d’autres arrangements (article 25 par. 2). Plusieurs autres bases légales de l’entraide peuvent être mises en évidence. Nous pouvons mentionner des instruments multilatéraux, comme la CEEJ, la Convention no 141 ou des accords bilatéraux. Les mécanismes d’entraide peuvent aussi être fondés dans la législation nationale. Parmi les domaines de coopération internationale, que la Convention no 173 vise à renforcer, se trouve aussi l’entraide à des fins de confiscation, même si cette forme de coopération n’est pas expressément mentionnée à l’article 26256. En l’absence de dispositions précises en matière de confiscation et étant donné le caractère subsidiaire de la Convention no 173, l’article 26 doit être interprété à la lumière des dispositions topiques d’autres instruments internationaux, comme la Convention no 141. Le produit de la corruption peut aussi être rapatrié par la voie civile, sur la base de la Convention civile sur la corruption du Conseil de l’Europe (ci-après Convention no 174)257. L’article 28 de la Convention no 173 prévoit la possibilité de transmission spontanée d’informations258. Selon l’article 26 par. 2, l’entraide peut être refusée si la Partie requise considère que la demande est de nature à porter atteinte à ses intérêts fondamentaux, à la souveraineté nationale, à la sécurité nationale ou à l’ordre public. En ce qui concerne le secret bancaire, il ne peut pas être invoqué pour justifier le refus de coopération. Le droit interne peut établir une procédure de 255 256 257 258 BORGERS / MOORS (2007), p. 11 ss. Rapport explicatif à la Convention n° 173 (note 104), par. 124 La Convention no 174 prévoit la réparation des dommages résultant d'un acte de corruption. Les jugements d’indemnisation sont des jugements en matière civile ; la Convention no 174 ne traite pas de la reconnaissance et l'exécution de ces jugements dans un pays étranger. Toutefois, l'article 13 de la Convention no 174 impose aux parties l’obligation de coopération dans tous les domaines de la lutte contre la corruption. En ce qui concerne donc la reconnaissance et l'exécution des jugements d’indemnisation, les Etats doivent coopérer conformément aux instruments internationaux existants, comme les Conventions de Bruxelles (1968) et de Lugano (1988) concernant la compétence judiciaire et l'exécution des jugements en matière civile et commerciale Cf. article 18 par. 4-5, Convention de Palerme ; article 46 par. 4, Convention de Mérida ; article 10 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe ; article 20 de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe ; article 11 du Deuxième Protocole additionnel à la CEEJ. 59 Première partie : les instruments internationaux levée du secret bancaire, procédure qui doit aussi être respectée en cas de demande d’entraide (article 26 par. 3). 6. La Convention de Palerme (2000) Selon l’article 7 par. 1 let. b de la Convention de Palerme, les autorités judiciaires, administratives, de réglementation, de détection et de répression des Etats Parties sont tenues de coopérer et d’échanger des informations aux niveaux national et international. Dans ce contexte, les Etats Parties sont invités à envisager la création d’un service de renseignement financier259, responsable de collecter, d’analyser et de diffuser des informations concernant d’éventuelles opérations de blanchiment d’argent. L’article 7 par. 4 contient une déclaration politique, selon laquelle « les Etats Parties s’efforcent de développer et de promouvoir la coopération mondiale, régionale, sous-régionale et bilatérale entre les autorités judiciaires, les services de détection et de répression et les autorités de réglementation financière en vue de lutter contre le blanchiment d’argent ». L’article 18 de la Convention de Palerme fournit des règles un peu plus concrètes en matière d’entraide judiciaire. Outre l’obligation générale d’accorder l’entraide la plus large possible (article 18 par. 1), la Convention de Palerme énumère les formes d’entraide possibles (article 18 par. 3). Il s’agit notamment du recueil de témoignages ou de dépositions, de la signification d’actes judiciaires, des perquisitions et des saisies, ainsi que des gels, de l’examen d’objets et de la visite de lieux, de la fourniture d’informations, de documents ou de pièces à conviction, de l’identification ou localisation des produits du crime, des biens, des instruments ou d’autres choses afin de recueillir des éléments de preuve L’article 13 régit l’entraide à des fins de confiscation. Cette disposition prévoit deux formes de coopération, ce qui nous rappelle le schéma introduit par l’article 5 par. 4 let. a de la Convention de Vienne. Dans le premier cas, une décision de confiscation est prononcée et exécutée par les autorités compétentes de l’Etat requis, à la demande de l’Etat requérant. Dans le deuxième cas, une décision de confiscation étrangère est exécutée par les autorités de l’Etat requis conformément à l’article 12 par. 1 de la Convention de Palerme. L’article 13 par. 8 impose aussi aux Etats Parties l’obligation d’interpréter les dispositions de l’article 13 de manière à ne pas porter atteinte aux droits des tiers de bonne foi. Les dispositions de l’article 18 de la Convention de Palerme s’appliquent mutatis mutandis à l’article 13. Par exemple, selon l’article 18 par. 24, la 259 60 Cf. la définition des « cellules de renseignements financiers » dans l’article 1 let. f de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe. Cf. aussi l’article 58 de la Convention de Mérida. II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux demande d’entraide judiciaire doit être exécutée aussi promptement que possible ; les délais suggérés par l’Etat Partie requérant et qui sont motivés, de préférence dans la demande d’entraide, doivent être respectés dans toute la mesure possible. Selon la même disposition, l’Etat requis répond aux demandes raisonnables de l’Etat requérant concernant les progrès dans l’exécution de la demande d’entraide. Pour sa part, l’Etat requérant doit informer promptement l’Etat requis quand l’entraide demandée n’est plus nécessaire. L’article 18 par. 4 de la Convention de Palerme prévoit la possibilité de transmission spontanée d’informations260. Des directives détaillées quant à la mise en œuvre de cette transmission sont prévues à l’article 18 par. 5, ce qui constitue une nouveauté de la Convention de Palerme. La transmission spontanée d’informations se fait donc sans préjudice des enquêtes et poursuites pénales dans l’Etat qui communique ; cet Etat peut demander que les informations communiquées restent confidentielles (temporairement ou non) ou assortir leur utilisation de restrictions. Selon la même disposition, l’Etat Partie qui reçoit les informations peut les révéler, lors de la procédure judiciaire, à la décharge d’un prévenu. L’Etat Partie qui a communiqué les informations doit être avisé et consulté avant une telle révélation. En ce qui concerne le partage des valeurs confisquées, il faut recourir au droit interne de l’Etat qui confisque (article 14 par. 1). Toutefois, l’article 14 par. 2 de la Convention de Palerme prévoit que les Etats coopérants doivent, « dans la mesure où leur droit interne le leur permet et si la demande leur en est faite », envisager à titre prioritaire de restituer les valeurs confisquées à l’Etat requérant ; une telle remise permettra l’indemnisation des victimes de l’infraction ou la restitution à l’ayant droit. La conclusion de conventions de partage est prévue à l’article 14 par. 5 let. b de la Convention de Palerme261, alors que l’article 14 par. 5 let. a propose de verser les valeurs confisquées ou les fonds provenant de leur vente au compte spécial établi à cet effet dans le cadre d’un mécanisme de financement des Nations Unies (article 30 par. 2 let. c) ou à des organismes intergouvernementaux spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée. En vertu de l’article 13 par. 2 de la Convention de Palerme, les Etats Parties coopèrent aussi à des fins de mesures provisoires, c’est-à-dire de mesures de « gel » ou de « saisie », définies à l’article 2 let. f. 260 261 Cf. article 46 par. 4, Convention de Mérida ; article 10 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe ; article 20 de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe ; article 11 du Deuxième Protocole additionnel à la CEEJ. Cf. Model bilateral agreement on the sharing of confiscated proceeds of crime or property covered by the United Nations Convention against Transnational Organized Crime and the United Nations Convention against Illicit Traffic in Narcotic Drugs and Psychotropic Substances of 1988, UN Economic and Social Council, ECOSOC Resolution 2005/14 of 22 July 2005. 61 Première partie : les instruments internationaux En ce qui concerne les motifs de refus de coopération, l’article 12 par. 6 de la Convention de Palerme empêche les Etats Parties d’invoquer le secret bancaire pour refuser de coopérer au niveau de la production ou de la saisie de documents bancaires, financiers ou commerciaux. En vertu de l’article 18 par. 9, les Etats Parties peuvent invoquer l’absence de double incrimination pour refuser de donner suite à une demande d’entraide judiciaire ; cependant, ils peuvent décider à leur gré de fournir cette assistance, malgré l’absence de double incrimination. D’autres motifs de refus (atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de l’Etat requis, etc.) sont prévus à l’article 18 par. 21 de la Convention de Palerme. 7. Les recommandations du GAFI (2003) en matière d’entraide Le GAFI recommande d’abord la ratification de conventions multilatérales ou bilatérales pour faciliter l'entraide judiciaire (recommandation no 35) . L'échange d’informations, notamment celles concernant les transactions suspectes constitue un axe important de la coopération internationale. Comme l’indique la recommandation no 40, l’échange d’informations doit être facilité et accéléré grâce à la mise en place de dispositifs clairs et efficaces, permettant la transmission directe des informations entre les homologues de chaque pays, spontanément ou sur demande. Au niveau des investigations, la recommandation no 27 soutient l’idée des enquêtes menées en coopération avec les autorités compétentes étrangères262. Pour éviter les conflits de compétence, les pays membres du GAFI sont aussi invités à coordonner les procédures de saisie et de confiscation (recommandation no 38). Le GAFI insiste sur la nécessité de prendre des mesures rapides en réponse à des requêtes d’entraide. Les pays sont invités à coopérer dans le cadre de l’identification, du gel et de la confiscation des biens blanchis. La coopération couvre aussi le cas des créances compensatrices (« des biens d'une valeur équivalente »). En ce qui concerne la mise en œuvre de la recommandation no 38, les notations des pays évalués sont satisfaisantes263 ; cependant, « there was a gap between estimates of formal compliance with this recommendation, and what happened in practice »264. 262 263 264 Des organisations internationales, comme l’Interpol et l’Europol peuvent jouer un rôle important dans le développement des standards pour les opérations de ce type. GERSPACHER (2005), p. 424. Voir p. 64 de la présente étude. Rapport précité (note 27), p. 25. En effet, « there is a large gap between the rhetorical commitment of many governments towards international cooperation in asset recovery matters and their actual willingness to make it happen », ce qui peut démotiver les autorités de l’Etat requérant ; PAVLETIC (2009), p. 20. 62 II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux La coordination des procédures de confiscation au sens de la recommandation no 38 couvre, enfin, le partage des avoirs confisqués. La note interprétative de la recommandation no 38 indique que l’établissement de mécanismes permettant le partage des biens confisqués est la solution appropriée dans le cadre d’actions opérationnelles coordonnées265. Selon la même note interprétative, les pays membres du GAFI doivent aussi envisager la création de fonds pour gestion des actifs confisqués. Cette structure permettra l’utilisation des biens en faveur « des autorités de poursuite pénale, de santé, d’éducation ou pour toute autre utilisation appropriée ». 265 Cf. aussi article 5 par. 5 let. b ch. ii, Convention de Vienne ; article 14 par. 3 let. b Convention de Palerme ; article 15 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe ; article 25 par. 3 de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe. 63 Première partie : les instruments internationaux Recommandation no 38 du GAFI Notation de conformité 3e exercice d’évaluation mutuelle du GAFI Membres du GAFI Rapport d’évaluation mutuelle février 2009 mars 2010 octobre 2005 juin 2009 juin 2005 juin 2010 février 2008 juin 2007 avril 2008 Notation Afrique du Sud GPC Allemagne GPC Australie C Autriche PC Belgique GPC Brésil GPC Canada GPC Chine GPC PC Conseil de Coopération du Golfe PC (CCG) Émirats Arabes Unis (EAU) Qatar Corée juin 2009 GPC Danemark juin 2006 GPC Espagne juin 2006 C Etats-Unis juin 2006 GPC France février 2011 GPC Fédération de Russie juin 2008 C Finlande octobre 2007 GPC Grèce juin 2007 GPC Hong Kong, Chine juin 2008 GPC Inde juillet 2010 GPC Irlande février 2006 C Islande octobre 2006 GPC Italie octobre 2005 C Japon octobre 2008 GPC Luxembourg février 2010 GPC Mexique octobre 2008 PC Norvège juin 2005 PC Nouvelle-Zélande octobre 2009 GPC Pays-Bas février 2011 PC Portugal octobre 2006 C Royaume d'Arabie saoudite juillet 2010 PC Royaume-Uni juin 2007 C Singapour février 2008 GPC Suède février 2006 GPC Suisse octobre 2005 C Turquie février 2007 PC Source : rapports disponibles sur le site web du GAFI, http://www.fatf-gafi.org Note : conforme (C), en grande partie conforme, (GPC), partiellement conforme (PC) et nonconforme (NC). 64 II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux 8. La Convention de Mérida (2003) Suivant la formulation souvent employée dans les conventions antérieures, l’article 46 par. 1 de la Convention de Mérida impose aux Etats Parties l’obligation générale de s’accorder mutuellement l’entraide judiciaire la plus large possible. En ce qui concerne notre sujet d’étude, l’entraide peut être demandée, entre autres, aux fins des perquisitions et des saisies (article 46 par 3 let. c), aux fins de la fourniture des informations et des pièces à conviction (article 46 par 3 let. e), de l’identification, de la localisation ou du gel des instruments et des produits du crime (article 46 par 3 let. g et j) et du recouvrement des avoirs, conformément aux dispositions du chapitre V de la Convention de Mérida (article 46 par 3 let. k). Dans le cadre des travaux préparatoires à la Convention de Mérida, le comité spécial de l’ONU a identifié les obstacles au recouvrement et à la remise des fonds d’origine illicite266. D’abord, les auteurs des infractions visées peuvent tenter de dissimuler leurs transferts d’avoirs acquis illégalement ; de telles opérations de blanchiment constituent évidemment le principal obstacle pour retrouver les avoirs. Ensuite, le rapport a critiqué le manque chronique de transparence dans de nombreux systèmes financiers. Le rapport a identifié d’autres difficultés et obstacles auxquels les actions en recouvrement peuvent se heurter, comme l’absence générale d’instruments internationaux sur la reconnaissance et l’exécution des décisions de justice étrangères267. L’exécution des décisions rendues en vue du recouvrement du produit de la corruption peut se heurter à d’autres problèmes, notamment lorsque des jugements par défaut sont rendus à l’endroit d’anciens dirigeants politiques en exil. Si des biens soumis à la confiscation en vertu de l’article 31 par. 1 de la Convention de Mérida sont situés sur le territoire d’un autre Etat, l’Etat Partie ayant compétence pour connaître de l’infraction peut formuler une demande d’entraide aux fins de confiscation, comme le prévoit l’article 55 par. 1. A cet égard, la Convention de Mérida prévoit les mêmes mécanismes de coopération que l’article 5 par. 4 let. a de la Convention de Vienne : d’une part, la demande de confiscation peut être transmise aux autorités compétentes de l’Etat requis en vue de faire prononcer une décision de confiscation et de faire exécuter cette décision (article 55 par. 1 let. a); d’autre part, la demande peut porter sur l’exécution d’une décision de confiscation étrangère (article 55 par. 1 let. b). Enfin, selon l’article 59 de la Convention de Mérida les Etats Parties 266 267 Organisation des Nations Unies (2002), Étude mondiale sur le transfert de fonds d’origine illicite, en particulier de fonds provenant d’actes de corruption, Comité spécial chargé de négocier une convention contre la corruption, Quatrième session, Vienne, 13-24 janvier 2002, Examen du projet de Convention des Nations Unies contre la corruption, l’accent étant mis en particulier sur les articles 2 (définitions restantes), 3, 4, 20, 30, 32 à 39 et 40 à 85. Cf. aussi DANDURAND (2007), p. 241. 65 Première partie : les instruments internationaux envisagent de conclure des arrangements bilatéraux ou multilatéraux pour renforcer l'efficacité de la coopération. Selon l’article 55 par. 2, une entraide peut être accordée aux fins des mesures d’investigation et des mesures provisoires (demandes de perquisition, de saisie et de gel ; demandes d’identification, de localisation et d’examen d’objets, etc.). D’autres dispositions facilitent la coopération internationale dans les phases antérieures à la confiscation. Par exemple, l’article 58 de la Convention prévoit l’établissement de services de renseignement financier dans le but de prévenir et de combattre le transfert du produit de la corruption268. Ces services joueront aussi un rôle dans le recouvrement de ce produit, en recevant, analysant et communiquant aux autorités compétentes des déclarations d’opérations financières suspectes. Comme d’autres instruments internationaux269, la Convention de Mérida prévoit aussi la possibilité de la transmission spontanée d’informations270. Selon l’article article 46 par. 17 de la Convention de Mérida, les demandes d’entraide sont exécutées conformément au droit interne de l’Etat requis. L’exécution doit avoir lieu aussi promptement que possible, comme l’exige l’article article 46 par. 24. Le recouvrement direct des biens détournés est possible par le biais d’une action civile permettant de reconnaître l'existence d’un droit de propriété au profit de l'Etat spolié (article 53). La nouveauté la plus importante apportée par la Convention de Mérida est la restitution de valeurs patrimoniales acquises illicitement. Pour la première fois, un instrument international multilatéral a statué le principe de la restitution de ces valeurs, ainsi que les conditions d’une telle restitution. Le problème a été traité sur une base globale, en vue d’une harmonisation des législations nationales en la matière. L’article 51 de la Convention de Mérida énonce le principe de la restitution d’avoirs en tant que principe fondamental de la Convention ; la coopération des Etats Parties à cet égard doit être la plus étendue possible. L’article 57 régit la remise et la disposition des biens confisqués en application de la Convention Mérida. La législation des Etats Parties doit permettre aux autorités compétentes de restituer les biens confisqués, à la demande d’un autre Etat Partie et compte tenu des droits des tiers de bonne 268 269 270 66 L’article 14 par. 1 let. b invite aussi les Etats Parties à envisager la création d’un service de renseignement financier faisant office de centre national de collecte, d’analyse et de diffusion d’informations concernant d’éventuelles opérations de blanchiment d’argent. Cf. la définition des « cellules de renseignements financiers » dans l’article 1 let. f, Convention no 198 du Conseil de l’Europe. Cf. aussi l’article 7 par. 1 let. b, Convention de Palerme. Articles 18 par. 4-5, Convention de Palerme ; article 10 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe ; article 20 de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe ; article 11 du Deuxième Protocole additionnel à la CEEJ. Articles 56 et 46 par. 4, Convention de Mérida. II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux foi (article 57 par. 2). Contrairement aux instruments antérieurs, la Convention de Mérida ne laisse pas aux Etats Parties la liberté de disposition de biens confisqués, mais elle rend obligatoire la remise de ces biens271. En vertu de l’article 57 par. 3 let. a de la Convention de Mérida, l’Etat requis remet donc les biens confisqués à l’Etat Partie requérant dans les cas de soustraction de fonds publics ou de blanchiment de fonds publics soustraits, lorsque la confiscation a été exécutée conformément à l’article 55 et sur la base d’un jugement définitif rendu dans l’Etat Partie requérant. Cette remise n’est pas soumise à d’autres conditions272. Il pourrait être soutenu que l'Etat étranger a un droit prioritaire à se voir attribuer le produit de la corruption, dès lors que cet Etat a subi des préjudices économiques en raison de la soustraction de fonds publics. Il serait effectivement immoral que l’Etat requis incorpore à son patrimoine des fonds soustraits à l’Etat étranger273. Pour sa part, l’article 57 par. 3 let. b prévoit la remise du produit de toute autre infraction visée par la Convention de Mérida. Cette remise n’est pas automatique, mais soumise à certaines conditions supplémentaires. Ainsi, l’Etat Partie requérant doit fournir des preuves raisonnables de son droit de propriété antérieur sur les biens à l’Etat Partie requis ; l’Etat requis peut aussi effectuer la remise lorsqu’il reconnaît un préjudice à l’Etat Partie requérant comme base de remise des biens confisqués. Dans tous les autres cas, l’Etat requis doit simplement envisager « à titre prioritaire » la restitution des biens confisqués à l’Etat requérant, aux propriétaires légitimes antérieurs ou aux victimes de l’infraction en tant que dédommagement. La Convention de Mérida n’introduit pourtant pas de mécanismes de remise particuliers ; les mécanismes de l’entraide judiciaire internationale sont ainsi applicables. Les motifs de refus de coopération sont les mêmes dans tous les instruments de ce type. Nous pouvons ici mentionner l’atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de l’Etat requis ; l’entraide peut aussi être refusée si la mesure demandée n’est pas disponible dans le droit interne de l’Etat requis dans des situations analogues274. Un autre élément important de la Convention est la possibilité de conclure, au cas par cas, des accords ou des arrangements mutuellement acceptables pour la disposition définitive des biens confisqués (article 57 par. 5). L’Etat requis peut donc avoir sa propre opinion quant au sort des biens détournés. 271 272 273 274 CASSANI (2008), p. 387. A notre avis, l’Etat requérant devrait s’engager à gérer les avoirs restitués de manière transparente et à employer des mécanismes de suivi et d’audit efficaces ; cependant, dès lors que la remise n’est pas soumise à d’autres conditions, « any agreement on this would be a voluntary agreement » ; JIMU (2009), p. 17. HARARI (1998), p. 23. Néanmoins, la corruption n’engendre pas nécessairement un préjudice économique pour l’Etat de l’agent public corrompu. Article 46 par. 23, Convention de Mérida. 67 Première partie : les instruments internationaux Les arrangements de ce type ne constituent pas une nouveauté dans la pratique internationale et leur utilisation se généralise graduellement275. En 2007, un rapport du G8 a noté les progrès réalisés dans le domaine de la restitution et l’affectation du produit de la corruption276. Malheureusement, il faut admettre que la capacité des Etats spoliés à bien gérer les fonds rapatriés est parfois contestable. Par exemple, dans l’affaire Marcos, $683 millions ont été remis par la Suisse au Trésor des Philippines277, qui visait à financer des réformes agraires par le biais d’un Fonds spécialisé (off budget). Cependant, la Commission d’Audit a constaté qu’une partie importante des fonds rapatriés n’avait pas été utilisée de manière appropriée (financement de projets non approuvés, achats non nécessaires, achats à des prix trop élevés, etc.)278. Pour remédier à des phénomènes de ce type, la Banque Mondiale a proposé des principes pour le rapatriement du produit de la corruption279. Selon ces principes, l’Etat spolié doit certifier de manière officielle la réception des avoirs restitués (somme et date exacte), préciser de manière transparente les projets qui seront financés (budget, délais, autorité chargée de la gestion du projet) et mettre en place des mécanismes de suivi et d’audit efficaces. En septembre 2007, la Banque Mondiale et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) ont aussi lancé une nouvelle initiative, l’initiative StAR (Stolen Assets Recovery Initiative), qui vise à aider les pays en voie de développement à rapatrier les avoirs provenant de la corruption de fonctionnaires publics280. La valeur de ces avoirs est estimée à $20-40 milliards par an. Ce chiffre correspond à 20-40 pour cent des flux de l’aide officielle au développement (ODA), reçue par ces pays. Dès lors que ces avoirs sont souvent dissimulés dans des pays étrangers, il est difficile de les récupérer. Le recouvrement des avoirs peut aussi être coûteux et subir de nombreux retards, comme le démontrent les cas du Nigeria, du Pérou et des Philippines281. L’initiative StAR fournit une assistance technique et aide les pays à préparer 275 Par exemple, en 2005, des fonds provenant de la République d'Angola et bloqués en Suisse ont été restitués au pays africain par le biais d'un accord bilatéral, signé en novembre 2003. L'accord bilatéral prévoyait l'affectation des fonds à des projets humanitaires en Angola. Un nouvel accord bilatéral a été conclu en novembre 2005, précisant l'affectation des fonds à des projets donnés (la reconstruction, la construction et l'équipement d'infrastructures hospitalières, la formation professionnelle de base et la fourniture d'eau ainsi que la promotion des capacités locales, notamment la réinsertion sociale des populations déplacées). Ce deuxième accord a aussi prévu l’établissement d’un mécanisme de coordination et de suivi administratif et financier du programme. Cf. DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (2005), La Suisse et l'Angola signent un accord concernant la restitution des fonds provenant de la République d'Angola et actuellement bloqués en Suisse en vue de leur affectation à des projets humanitaires, Communiqué de presse, 276 277 278 279 280 281 68 01.11.2005 ; cf. aussi GOSSIN (2006), p. 335. G8 (2007), Report on implementation of the 2004 Ministerial Declaration on recovering the proceeds of corruption, G8 Justice and Home Affairs Ministers, May 2007. OFFICE FÉDÉRAL DE LA JUSTICE (2003), Les Philippines peuvent disposer de 683 millions de dollars ; une décision de confiscation vient clore le cas Marcos, Communiqué de presse, 05.08.2003. JIMU (2009), p. 12 et les références citées. THE WORLD BANK / THE UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2007), p. 29. THE WORLD BANK / THE UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2007), p. 5 ss. La restitution des avoirs peut aussi se heurter à des problèmes de nature politique ; PAVLETIC (2009), p. 8. II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux les demandes de recouvrement. Au niveau législatif, les pays sont appelés à ratifier la Convention de Mérida et à mettre en œuvre des mesures de confiscation efficaces. Un accent particulier est mis sur l’amélioration de la transparence des systèmes de gestion financière publique (une assistance peut être fournie pour la gestion des fonds recouvrés). L’initiative StAR, également soutenue par la Suisse282, est partie intégrante de la stratégie de lutte contre la corruption du Groupe de Banque Mondiale (Governance and Anti-Corruption Strategy). 9. La Convention n° 198 du Conseil de l’Europe (2005) La Convention n° 198 reprend les dispositions de la Convention n° 141 relatives à la coopération internationale, afin de tenir notamment compte des nouvelles techniques d’investigation. Sans doute l’aspect le plus important de l’entraide à des fins d’investigations concerne-t-il les fonds déposés dans des comptes bancaires. Trois dispositions de la nouvelle Convention n° 198 portent sur cette question. Plus précisément, l’article 17 permet l’identification de comptes bancaires dans une banque quelconque située sur le territoire de l’Etat requis. L’article 18 s’applique à la fourniture de renseignements concernant des comptes spécifiques et des opérations bancaires. Les autorités peuvent avoir connaissance de ces comptes grâce à la mesure prévue à l’article 17 ou par toute autre filière. Pour sa part, l’article 19 porte sur le suivi d’opérations bancaires réalisées sur un ou plusieurs comptes spécifiés dans la demande. Certes, cela nécessite la mise en place d’un mécanisme de surveillance d’opérations bancaires283. Selon l’article 7 par. 2 let. a de la Convention no 198, chaque Partie adopte les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour lui permettre « de déterminer si une personne physique ou morale détient ou contrôle un ou plusieurs comptes, de quelque nature que ce soit, dans une quelconque banque située sur son territoire ». Les Etats sont libres de décider de la manière de mettre en œuvre cette disposition, qui ne leur impose pas l’obligation de créer des registres centralisés des comptes bancaires284. Toutefois, en substance, la mise en place d’un registre centralisé des comptes bancaires est la seule manière pour assurer l’identification des comptes, prévues à l’article 7 par. 2 let. a. Pour les Etats membres de l’UE, une telle obligation indirecte existe déjà dans le domaine de la coopération internationale en vertu de l’article 1 par. 1 du Protocole UEEJ. 282 DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DE L'INTÉRIEUR (2007), La Banque mondiale et le BNUDC lancent une initiative en faveur de la restitution des avoirs volés, Communiqué de presse, 17.09.2007. 283 En Suisse, cette possibilité est prévue par le nouveau CPP (article 284 et 285 CPP). Rapport explicatif à la Convention n° 198 (note 36), par. 82. 284 69 Première partie : les instruments internationaux La transmission spontanée d’informations constitue une faculté introduite par la Convention n° 141285, que les auteurs de la Convention n° 198 ont reprise dans l’article 20. Une obligation particulière de transmission spontanée d’informations est prévue à l’article 22 de la Convention n° 198, dans le cadre des mesures provisoires et après leur exécution ; l’Etat requis doit ainsi fournir spontanément toute information susceptible de remettre en cause ou de modifier l’objet ou l’étendue de ces mesures. Cette disposition peut apparaître comme une expression de bonne pratique ; cependant, « les experts ont jugé qu’il était nécessaire de l’insérer afin d’assurer, pour l’exécution des mesures provisoires qui parfois ont une certaine durée, une actualisation des renseignements à disposition de la Partie requise »286. L’article 23 par. 5 constitue une nouveauté importante apportée par la Convention n° 198, qui ne permet aucune réserve sur cette disposition. Selon l’article 23 par. 5, les Etats Parties sont tenus de reconnaître et faire exécuter des décisions de confiscation autonome étrangères « dans la mesure la plus large possible en conformité avec leur droit interne ». Il s’agit notamment de l’exécution de « mesures équivalentes à la confiscation et conduisant à une privation de propriété, qui ne constituent pas des sanctions pénales ». Il suffit que cette confiscation autonome soit ordonnée par une autorité judiciaire de la Partie requérante sur la base d’une infraction pénale visée par la Convention n° 198. Sur tous ces points, la Convention n° 198 est donc plus précise que l’ancienne Convention n° 141. Avec l’augmentation du nombre de ratifications de la Convention n° 198, l’article 23 par. 5 facilitera considérablement l’exécution des décisions de confiscation autonome dans la pratique internationale, en particulier parce que « there was for practical purposes no global impetus to enforce civil confiscation under the FATF standards »287. En général, en ce qui concerne les motifs de refus de coopération, les auteurs de la Convention n° 198 ne s’éloignent pas des dispositions de la Convention n° 141. Néanmoins, comme l’indique son rapport explicatif, la Convention n° 198 introduit trois modifications importantes. Premièrement, les motifs de refus tirés de la nature fiscale ou politique de l’infraction ne peuvent plus être invoqués dans le contexte de l’infraction de financement du terrorisme (article 28 par. 1 let. d et e)288. Deuxièmement, les pays ne peuvent pas refuser d’accorder l’entraide au motif que l’individu faisant l’objet de la demande est poursuivi à la fois au titre de blanchiment et de l’infraction principale (article 28 par. 8 let. c). Troisièmement, en ce qui concerne la 285 286 287 288 70 Articles 18 par. 4 et 18 par. 5, Convention de Palerme ; article 46 par. 4, Convention de Mérida ; article 10 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe ; article 11 du Deuxième Protocole additionnel à la CEEJ. Rapport explicatif à la Convention n° 198 (note 36), par. 159. Rapport précité (note 27), p. 29. Des dispositions de ce type (clauses de dépolitisation) sont aussi incluses dans d’autres instruments internationaux en matière de terrorisme, comme la Convention européenne (STE n° 90) pour la répression du terrorisme (cf. note 149). II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux condition de double incrimination, il suffit que les Etats coopérants incriminent l’acte qui est à la base de l’infraction. Dans ce cas, la condition de double incrimination est remplie, que les Etats Parties classent ou non l’infraction dans la même catégorie d’infraction ou qu’ils utilisent ou non la même terminologie pour la désigner (article 28 par. 1 let. g). La Convention n° 198 aborde aussi la question du partage des biens confisqués, de manière un peu plus détaillée que l'ancienne Convention n° 141. L'article 25 de la nouvelle Convention suit la logique de l'article 15 de la Convention n° 141289. Selon cette approche, l’Etat sur le territoire duquel se trouvaient les avoirs confisqués a effectivement l'initiative de disposition. Le droit interne de ce pays va déterminer si et comment les avoirs confisqués vont être partagés avec un autre Etat Partie. En outre, la nouvelle Convention incite explicitement (article 25 par. 3)290 les pays à conclure des accords ou arrangements, prévoyant de partager les biens confisqués avec d’autres pays sur une base plus ou moins régulière. Comme l'indique le rapport explicatif de la Convention n° 198291, étant donné les sommes importantes impliquées, un accord fournit un fondement plus solide que la conclusion d’un arrangement ponctuel. Dans le cas contraire, une situation d’insécurité juridique risque de se produire292. En ce qui concerne les modes de répartition des biens confisqués, une première directive est fournie à l’article 25 par. 2 de la nouvelle Convention : les biens confisqués doivent être restitués à titre prioritaire à l’Etat requérant. De cette manière, celui-ci pourrait indemniser les victimes de l’infraction ou restituer ces biens à leur propriétaire légitime beaucoup plus promptement. L’UE a déjà mis en place un système de répartition, qui est conforme aux exigences de la Convention no 198293. 10. Les investigations financières : la recherche et la localisation d'actifs dans un contexte international Pour éviter la confiscation, l’auteur d’une infraction peut tenter de déplacer des actifs, de transférer leur propriété à un complice ou à une société-écran, d’employer une des nombreuses techniques mises en lumière dans les exercices du GAFI sur les typologies du blanchiment d’argent. Ces opérations 289 290 Cf. aussi article 5 par. 5 let. b ch. ii, Convention de Vienne ; article 14 par. 3 let. b Convention de Palerme ; recommandation no 38 du GAFI. « Lorsqu’une Partie agit à la demande d’une autre Partie en application des articles 23 et 24 de cette Convention, elle peut envisager spécialement de conclure des accords ou arrangements prévoyant de partager ces biens avec d’autres Parties, systématiquement ou au cas par cas, conformément à son droit interne ou à ses procédures administratives ». 291 292 293 Rapport explicatif à la Convention n° 198 (note 36), par. 193. ANTENEN (1996), p. 54 et 59. Cet auteur favorise pourtant l’introduction d’une base légale interne, plutôt que l’adoption d’un accord international. Cf. article 16 de la décision cadre 2006/783/JAI du Conseil, du 6 octobre 2006, relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation, JO L 328 du 24.11.2006. 71 Première partie : les instruments internationaux visent à dissimuler la véritable origine des fonds et leur traçabilité. L’auteur dissimule ainsi le « paper trail », le chemin qui remonte à l’infraction dont les valeurs en question sont le produit. L’incrimination de ce type de comportement est le standard international. Cependant, ni l’incrimination du blanchiment d’argent, ni la mise en place d’un dispositif de confiscation ne suffisent : elles supposent notamment la recherche efficace d’actifs (« asset tracing »). Le tableau qui suit résume les enjeux et les défis de cette recherche. Pour améliorer l’efficacité de l’« asset tracing », les pays doivent soutenir résolument le travail des unités d’investigation financière (recrutement, formation, ressources technologiques, mise en réseau avec les autorités étrangères, etc.), établir des BRA spécialisés et renforcer les outils de l’investigation financière (levée du secret bancaire, possibilité de suivi d’opérations bancaires, etc.). Les pays doivent aussi envisager la création de registres centralisés de comptes bancaires294 et assurer l’interconnexion des autres registres publics (registre foncier, registre de véhicules, etc.), ainsi que des bases de données gérées par les CRF, pour faciliter davantage l’« asset tracing». La trace dans la documentation de l’intermédiaire financier est un autre élément clé dans la recherche d’actifs295. Pour permettre aux autorités de suivre cette trace, le droit de plusieurs pays contient des dispositions sur l’identification du client et sur la traçabilité des fonds. La législation de certains pays se contente souvent d’une simple déclaration du client concernant son identité. Or, la législation d’autres pays, comme le RoyaumeUni, exige une preuve suffisante de l’identité du client et de celui pour qui il agit296. En droit suisse, la LBA impose aux intermédiaires financiers l’obligation de vérifier l’identité du cocontractant et de l’ayant droit économique (articles 3, 4 et 5 LBA). En outre, en vertu de l’article 7 LBA, les intermédiaires financiers sont aussi tenus de conserver toute la documentation relative à l’identification de leurs clients. L’importance de ces deux obligations est évidente, car la trace des transactions est conservée pour une enquête éventuelle, menée par des personnes habilitées et à la suite d’une procédure formelle297. Suivant la même logique, les recommandations du GAFI (recommandation no 6, recommandation spéciale VII) mettent un accent particulier sur l’identification du client et sur la traçabilité des fonds, en envisageant par exemple l’inclusion de renseignements complets et exacts 294 295 296 297 72 En France, le Fichier des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) sert à recenser l’ensemble des ouvertures, modifications et clôtures de comptes bancaires, postaux, d’épargne etc. La Direction générale des finances publiques (DGFIP) est responsable de ce fichier, dont l’utilité effective est pourtant limitée, car aucune information ne peut être fournie sur les opérations effectuées sur le compte (voir l’article 1649 A du code général des impôts). D’autre part, l’obligation de tenue d’une comptabilité permet de suivre les traces des transactions commerciales dans la documentation commerciale ; ROSSIDOU - PAPAKYRIAKOU (2001), p. 60. Cf. CASSANI (2004), p. 331; cf. aussi Money Laundering Sourcebook de la FSA (3.1.3 al. 2). DE MAILLARD (2001), p. 94. II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux (nom, adresse et numéro de compte du donneur d’ordre) dans tout transfert de fonds298. La recherche d’actifs est contrariée, lorsque l’auteur de l’infraction se cache derrière une société de domicile ou un réseau de sociétés de domicile, dont le siège se trouve souvent à l’étranger299. Les personnes morales, qu’on désigne par l’expression « sociétés de domicile », sont constituées d’après la loi des pays offshore, ou même des centres financiers internationaux, comme le Luxembourg, Hong Kong etc. Quelle que soit leur forme juridique (trust, fondation, société), les sociétés de domicile sont des personnes morales qui n’exercent aucune activité commerciale ou activité de fabrication dans le pays de leur siège légal. Les sociétés de ce type peuvent être employées pour cacher l’origine de valeurs patrimoniales confiscables. Pour remédier à ce risque, dans plusieurs pays le dispositif anti-blanchiment impose aux banques et, en général, aux intermédiaires financiers l’obligation d’identifier l’ayant droit d’une société de domicile300. La disparition des relations et des comptes anonymes est devenue une norme standard du régime anti-blanchiment international, norme qui facilite la procédure de l’investigation au niveau du « paper tracing »301. Toutefois, ce développement positif a été nuancé par trois facteurs, qui compliquent la recherche d’actifs. En premier lieu, le blanchisseur peut établir un réseau de sociétés de domicile, dans le cadre duquel une société sera l’ayant droit économique d’une autre, etc. Pour faire face à ce risque, la législation et la pratique bancaire peuvent déterminer que l'ayant droit économique d'une société de domicile ne peut être qu’une personne physique302 ou une personne morale qui exerce une véritable activité commerciale. Une autre solution plus radicale serait d’interdire l’ouverture de relations bancaires avec des sociétés de domicile. En deuxième lieu, le représentant d'une société de domicile qui ouvre un compte au nom de cette société donne des indications concernant l’ayant droit économique ; cependant, ces indications peuvent être fausses. La question se pose ici de déterminer si et comment l’institution financière doit vérifier l’exactitude de ces indications. En troisième lieu, dans le cas de changement de l'ayant droit économique, les fichiers de l’institution financière doivent être mis à jour. 298 299 300 301 302 En application de la recommandation spéciale VII du GAFI, l’article 15 de l’OBA-CFB stipule que pour tous les virements effectués vers l’étranger, l’intermédiaire financier est tenu d’indiquer le nom, le numéro de compte et le domicile du cocontractant donneur d’ordre ou le nom et un numéro d’identification de celui-ci. FALLETTI (2003), p. 610. Cf. DARBAR / JOHNSTON / ZEPHIRIN (2003), p. 33 ; comité de bâle (1988), Prévention de l’utilisation du système bancaire pour le blanchiment de fonds d’origine criminelle, Comité des règles et pratiques de contrôle des opérations bancaires (Comité de Bâle), décembre 1988, Principe II ; cf. aussi la recommandation no 5 du GAFI. Selon la recommandation no 5 du GAFI, « [l]es institutions financières ne devraient pas tenir de comptes anonymes, ni de comptes sous des noms manifestement fictifs » ; BERNASCONI (2001), p. 121 ss. Cependant, des hommes de paille peuvent aussi être présentés comme les actionnaires ou les directeurs de la personne morale, afin de protéger l’identité des propriétaires véritables. 73 Première partie : les instruments internationaux L'intermédiaire financier doit être tenu de revoir et de vérifier en continu les informations sur l’identité de l’ayant droit. Le client de l’intermédiaire financier doit être tenu de communiquer le changement de l'ayant droit économique. Outre l'échange de renseignements dans le cadre de l’entraide judiciaire, les échanges entre cellules de renseignement financier peuvent être utiles pour le succès d’une enquête éventuelle (p. ex. renforcement de l’Egmont Secure Web System et du système FIU.NET)303. Outre les CRF, un réseau de centres d’information sur les saisies peut aider davantage à identifier des actifs d’origine criminelle qui sont situés à l’étranger304. Comme l’indique un rapport de l’Assemblée nationale française, la poursuite, parallèlement à l’enquête pénale, d’une réelle enquête patrimoniale peut exiger la création de cellules nationales de détection des avoirs et patrimoines à l’étranger, « avec la participation des différents ministères pouvant y apporter un concours utile »305. Il faut promouvoir la mise en réseau des autorités compétentes (p. ex. BRA, autorités judiciaires) et mettre en valeur les structures internationales existantes (p. ex. CARIN). Il faut aussi renforcer la culture de l’entraide spontanée, en particulier en ce qui concerne la transmission d’informations concernant l’identification et la localisation des produits d’infractions. L’informatique peut fournir les outils nécessaires pour une recherche d’actifs réussie. Il est important de développer des modèles permettant au logiciel d’identifier les mouvements de capitaux atypiques306. Il convient ici de mentionner le logiciel développé par l’UNODC (goAML software307) et mis à la disposition des cellules de renseignement financier autour du monde. 303 304 305 306 307 74 Rapport précité (note 27), p. 23 ss. Nous pouvons ici mentionner le réseau CARIN (Camden Asset Recovery Interagency Network), le registre patrimonial européen (Criminal Assets Seizure Centre), créé au sein d’Europol, et la décision 2007/845/JAI sur la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs des Etats membres de l’UE. Rapport précité (note 13), p. 8. LEVI (2007), p. 275. Pour plus d’informations sur ce produit informatique, voir : http://goaml.unodc.org/goaml/en/index.html II. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation dans les instruments internationaux Les investigations financières : la recherche et la localisation d'actifs dans un contexte international Phase préliminaire - Planifier attentivement ; « speed and confidentiality are essential » (cf. Convention de Vienne, Commentary, section 5.64). Une fois avertie, la personne qui risque d’être touchée par la saisie et la confiscation va redoubler ses efforts pour détruire des éléments de preuve et dissimuler les profits. - Obtenir des informations sur l’existence, la situation et la valeur des actifs. Phase d’investigation. - Sources d’information envisageables: témoignages et dépositions, sources anonymes (p. ex. hotlines en matière de corruption), agents infiltrés, saisie de documentation bancaire / financière / commerciale, surveillance de comptes bancaires, informations obtenues par les CRFs. - Utiliser les registres publics afin de localiser des biens (le registre foncier, le registre des sociétés, le registre de véhicules, les casiers judiciaires, les arrêts des tribunaux, les données des abonnés téléphoniques etc.). - Faire attention à l’orthographe / transcription des noms. - Utiliser des informations open source (médias, Internet, en particulier les sites de social networking). - Utiliser la technologie pour récupérer des fichiers et des données apparemment supprimées (p. ex. disques durs physiquement endommagés, messages supprimés etc.). - Coopération internationale ; demandes d’entraide pour obtenir des informations / des ordonnances de surveillance de comptes. Phase d’évaluation / analyse des données - Reconstituer le « paper trail » - représentation graphique des flux de capitaux ; organiser les données et identifier des anomalies en utilisant un logiciel spécialisé (Account Analyser, ACL, InfoZoom, IDEA). - Identifier le véritable ayant droit. - Faire une analyse coûts / bénéfices. - Coordonner les saisies dans plusieurs pays. Phase des saisies Sources: PIETH (2009), p. 49 ss et 71 ss; O’CONNELL / OUTEN / STEPHENS (2007), p. 20 ss ; GOLOBINEK (2006), p. 28 ss ; WICKI (1999), p. 161 ss. 75 Première partie : les instruments internationaux 11. L’entraide à des fins de confiscation du point de vue des droits de l’homme Dans plusieurs arrêts, la Cour EDH a confirmé l’importance d’élargir et intensifier la coopération internationale, en favorisant la courtoisie et les bonnes relations entre Etats308. Certes, la procédure de l’entraide judiciaire à des fins de confiscation doit être en conformité avec les exigences de la CEDH. L’existence d’un traité d’entraide judiciaire ne peut pas faire obstacle à la prise en compte des droits consacrés par la CEDH309. Si le dispositif de confiscation dans l’Etat requérant viole les dispositions de la CEDH, l’entraide judiciaire doit être refusée. Tel est le cas d’une application rétroactive de la confiscation (article 7 CEDH) ou d’un renversement du fardeau de la preuve, qui viole le principe de la proportionnalité (article 6 CEDH) ; ces problèmes et la jurisprudence de la Cour EDH en la matière ont déjà fait l’objet d’analyse 310. En outre, la procédure de l’entraide judiciaire et la procédure pénale peuvent être excessivement longues, en méconnaissance de l’article 6 § 1 de la CEDH. Dans l’arrêt Sari, la Cour EDH a conclu qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition par l’Etat turc et l’Etat danois ; elle a apprécié le caractère raisonnable de la durée de la procédure « à la lumière des circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes »311. 308 309 310 311 76 Cour EDH, arrêt Öcalan c. Turquie, Recueil CourEDH 2005-IV, §§ 97 à 99 ; Cour EDH, arrêt Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, Recueil CourEDH 1999-I ; §§ 63 et 72 ; Cour EDH, arrêt AlAdsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, Recueil CourEDH 2001-XI, § 54. Cf. ATF 126 II 324, consid. 4b. Voir p. 40 ss de la présente étude. Cour EDH, arrêt Sarı c. Turquie et Danemark du 8 novembre 2001, no 21889/93, § 72 et les arrêts cités. III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme Le phénomène du terrorisme n’est pas nouveau dans l’histoire politique internationale. Comme phénomène évolutif, le terrorisme dans les années 1990 se caractérise par l’emploi de nouveaux moyens et méthodes, et par une internationalisation accrue des réseaux terroristes. Le véritable point tournant est marqué par les événements de septembre 2001 aux Etats-Unis et la déclaration par Washington d’une «guerre au terrorisme » (« War on Terrorism ») à l'échelle mondiale. Les événements de septembre 2001 ont rendu la menace évidente à tous et assuré l’engagement de la communauté internationale et surtout des Etats-Unis à faire face au terrorisme312. A cet égard, nous pouvons mettre en évidence une prolifération d’initiatives internationales et nationales, dont les initiatives contre le financement du terrorisme. L’idée de priver les terroristes de leurs moyens financiers avait été avancée déjà avant le 11 septembre 2001313. Les terroristes ont besoin de moyens pour commettre leurs attentats, pour acquérir des armes, pour recruter et former des cadres et pour communiquer314 ; le fait d’empêcher l’accès des terroristes à ces moyens peut donc contribuer à la prévention de nouveaux attentats. Toutefois, il faut tenir compte de certains problèmes inhérents à ce raisonnement. Pour commencer, les sommes d’argent nécessaires pour exécuter un attentat terroriste ne sont pas forcément importantes, contrairement aux affaires de blanchiment de capitaux, qui impliquent des sommes énormes et plus facilement détectables315. Incontestablement, la prévention du financement du terrorisme est rendue presque impossible, car des sommes d’argent modestes suffisent pour organiser des attentats graves, comme dans le cas de Madrid316. Une autre difficulté qui se pose est le fait que l’origine des ressources financières employées par les terroristes n’est pas nécessairement illicite317. Ces fonds ne proviennent pas seulement d’activités criminelles, telles que le trafic illicite de drogues ou d’armes ; des contributions peuvent être effectuées par des sympathisants des organisations terroristes autour du monde. Le 312 313 314 315 316 317 FORSTER (2003), p. 424 ; BANTEKAS (2003) ; PASSAS (2008), p. 303 ; BOVET (2002), p. 171 ss. Cf. par. 3 let. f de la résolution A/RES/51/210 du 17 décembre 1996. ORGANISATION DES NATIONS UNIES (2006), S’unir contre le terrorisme : recommandations pour une stratégie antiterroriste mondiale, rapport du Secrétaire général, A/60/825, Assemblée générale, soixantième session, 27 avril 2006, p. 9. En bref, « comme en témoigne le profil de comportement financier des pirates de l’air du 11.9.2001, il est possible de causer beaucoup de dégâts avec des moyens relativement limités » ; GILMORE (2005), p. 140 ; cf. aussi PASSAS (2008), p. 317. Un rapport d’Europol estime que la somme employée pour financer les attentats terroristes à Madrid en 2004 s’étendait de 8,000 à 15,000€ ; Europol (2007), EU Terrorism Situation and Trend Report 2007, TESAT 2007, March 2007, p. 21 ss. CASSELLA (2003), p. 92. 77 Première partie : les instruments internationaux financement du terrorisme peut provenir d’un large éventail de sources, parmi lesquelles on trouve les contributions des diasporas radicalisées, le détournement de dons charitables, etc.318. Les transferts occultes d'argent à l’aide des systèmes alternatifs de remise, comme les systèmes hawala, peuvent aussi être employés par les terroristes319. Ces systèmes opèrent sur la base de la confiance, avec un minimum de documents ; les avoirs destinés à financer des activités terroristes n’aboutissent donc pas toujours aux intermédiaires financiers des pays « coopératifs », qui sont soumises à une surveillance stricte320. Cela rend plus difficile la détection, la saisie et la confiscation des avoirs destinés à financer des activités terroristes. La lutte contre le financement du terrorisme se heurte aussi à la difficulté de proposer une distinction claire entre les actes du terrorisme et les actes de combat légitime. Cela peut créer des problèmes juridiques et politiques au niveau de l’entraide judiciaire en matière pénale321. Incontestablement, l’élaboration d’une définition universelle, contenue dans une nouvelle convention sur le terrorisme pourrait résoudre ces problèmes322. Néanmoins, nous sommes bien loin d'une telle définition universelle, même si nous pouvons identifier certains traits communs dans les diverses définitions du terrorisme323. L’utilisation effective de la violence ou la menace de violence et l’objectif de terroriser se trouvent parmi ces éléments communs324. Malgré les aspirations politiques initiales, l’approche « follow the money » en matière de financement du terrorisme n’a pas eu de résultats satisfaisants325. Le nombre de condamnations pour financement du terrorisme ne nous permet 318 KENDRY (2007) ; BANTEKAS (2003). ZAGARIS (2007), p. 160 ; Rapport précité (note 27), p. 43 ; FONDS 319 MONÉTAIRE INTERNATIONAL (2003), Informal funds transfer systems – an analysis of the informal hawala system, IMF Occasional Paper, no 222 (in toto). 320 CASSANI (2003), p. 313. SOREL (2003), p. 369 ss. PASSAS (2008), p. 307. Dans le cadre du Comité spécial sur le terrorisme (créé par la résolution 51/210 de l’Assemblée générale en date du 17 décembre 1996), les Etats membres de l’ONU négocient depuis 2000 une convention générale sur le terrorisme international (Comprehensive Convention on International Terrorism). Le 6 mars 2008 le Comité a achevé les travaux de sa douzième session et recommandé à la Sixième Commission (chargée des questions juridiques) de l’Assemblée générale d’établir, à sa soixante-troisième session, un groupe de travail chargé de finaliser le projet de convention générale sur le terrorisme international ; Cf. Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-troisième session, Supplément no 37 (A/63/37). Sur la base du rapport de ce groupe (Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-troisième session, Sixième Commission, 14e séance (A/C.6/63/SR.14), et rectificatif), l’Assemblée générale a noté que l’élaboration du projet de convention générale sur le terrorisme international a bien avancé, sans pourtant trancher la question de la définition du terrorisme. Le Comité spécial continue d’élaborer le projet de convention. Cf. résolution A/RES/63/129 adoptée par l’Assemblée générale sur la base du rapport de la Sixième Commission (A/63/444), Mesures visant à éliminer le terrorisme international, 15 janvier 2009, par. 21 ss. MOREILLON / DE COURTEN (2003), p. 121 ; selon W. Laqueur, “The only general characteristic generally agreed upon is that terrorism involves violence and the threat of violence”; Laqueur (1999), p. 6. A cet égard, nous pouvons mentionner des dispositions dans les codes pénaux nationaux, comme l’article 421-1 du Code pénal français du 1er mars 1994 ou l’article 1er du Terrorism Act 2000 au Royaume-Uni. NELEN (2004), p. 530. 321 322 323 324 325 78 III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme pas d’affirmer que cette incrimination a été un outil efficace. Par exemple, en Suisse aucune personne n’a été condamnée sur la base de l’article 260quinquies CP entre le 01.10.2003 (entrée en vigueur de la disposition) et la fin 2006. L’outil des communications de soupçons liées au financement du terrorisme ne s’est pas révélé si efficace non plus. En Suisse, le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (Money Laundering Reporting Office, MROS) n’a enregistré en 2009 que sept communications de ce type (0,8 % du nombre des communications reçues)326. 1. Le régime ordinaire : la CRFT (1999) L’intérêt de l’ONU pour le problème du terrorisme n’est pas nouveau, puisqu’il date du début des années 1970327, mais il s’est renouvelé en raison des attentats de septembre 2001 aux Etats-Unis. L’ONU avait commencé à examiner l’idée d’élaborer un instrument international contre le financement du terrorisme, en 1998, à l’initiative du gouvernement français328. La Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (CRFT)329 a été ouverte à la signature le 10 janvier 2000 et a déjà été signée et ratifiée par plusieurs pays330, dont la Suisse. Ses axes principaux sont l’incrimination du financement d’actes de terrorisme et le renforcement de la coopération internationale331. 326 327 328 329 330 331 MROS (2010), 12e rapport annuel du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent, avril 2010, p. 23. MROS a enregistré une somme record des valeurs patrimoniales communiquées: 2,23 milliards de francs (seulement 9460 francs en matière de financement du terrorisme). L’ONU a adopté les conventions suivantes concernant la lutte contre le terrorisme : Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs (La Haye, 16 décembre 1970) ; Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile (Montréal, 23 septembre 1971); Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1973; Convention internationale contre la prise d’otages, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1979; Convention internationale sur la protection physique des matières nucléaires (Vienne, 3 mars 1980) ; Protocole pour la répression d’actes illicites de violence dans les aéroports servant à l’aviation civile internationale, complémentaire à la Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile (Montréal, 24 février 1988) ; Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime (Rome, 10 mars 1988) ; Protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental (Rome, 10 mars 1988) ; Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 15 décembre 1997 ; Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire (New York, 14 septembre 2005). JOHNSON (2000), p. 268 ss ; fonds monétaire international (2003), La répression du financement du terrorisme : manuel d’aide à la rédaction des instruments législatifs, Département juridique du FMI, p. 6 ; cf. aussi par. 3 let. f de la résolution A/RES/51/210 du 17 décembre 1996. Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, résolution A/RES/54/109 du 9 décembre 1999; RS 0.353.22. A l’heure actuelle (avril 2011), il y a 173 ratifications ; pour l’état des ratifications, voir : http://treaties.un.org ; avant le 11 septembre 2001, seulement quatre pays avaient déposé des instruments de ratification auprès du Secrétaire général de l’ONU ; GILMORE (2005), p. 130. D’autres éléments importants sont le principe « aut dedere, aut iudicare » et l'universalité de la poursuite (article article 7 par. 4 et article 10) ; cf. CASSANI (2003), p. 311 ; HENZELIN (2000), p. 314 ss. La clause de dépolitisation (article 14) doit également être mentionnée ; SOREL (2003), p. 372 79 Première partie : les instruments internationaux Les Etats Parties de la CRFT sont tenus d’incriminer les infractions liées au financement d’actes de terrorisme visées dans cette convention. La CRFT se réfère à des actes de «financement », c’est-à-dire le fait de fournir ou de réunir des fonds. Selon l’article 2 par. 1, le financement peut avoir lieu « par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement ». Il n’est pas nécessaire que les fonds aient été effectivement utilisés, pour commettre un acte de terrorisme332. En ce qui concerne la culpabilité, le financement du terrorisme au sens de l’article 2 est une infraction intentionnelle : l’auteur doit avoir l’intention de voir utiliser les fonds pour financer des actes de terrorisme, ou savoir qu’ils seront utilisés à cette fin. Ni l’article 2, ni les travaux préparatoires ne clarifient pourtant si le dol éventuel suffit333. Les notions d’« intention » et de « connaissance » ne peuvent être appliquées que conformément au droit pénal général de chaque Etat Partie. Concernant la transposition de l’article 2, certains pays considèrent le financement du terrorisme comme une infraction distincte, alors que d’autres le traitent comme un acte préparatoire à une infraction terroriste ou comme une forme possible d’activité terroriste ou de support à un groupe terroriste334. La CRFT définit l’expression d’« actes de terrorisme »335, dont le financement est incriminé, en renvoyant d’abord à une liste de neuf traités internationaux, qui figurent à l’annexe de cet instrument336. Ces traités imposent aux Etats Parties l’obligation d’incriminer des actes spécifiques de terrorisme. En plus de cette liste, l’article 2 par. 1 let. b CRFT fournit une définition générale des actes de terrorisme : « tout […] acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». Contrairement aux traités antérieurs, cette disposition ne se limite pas à des cas particuliers d’actes terroristes, mais elle fournit une définition générique337. Néanmoins, le champ d’application de la CRFT ne couvre que les infractions revêtant un caractère transnational338. La CRFT n’interdit pas aux Etats Parties d’établir leur compétence dans ces affaires purement internes ; 332 333 334 335 336 337 338 Article 2 par. 3 CRFT. Rapport du groupe de travail de l'Assemblée générale des Nations Unies, Cinquante-quatrième session, Sixième Commission, du 26 octobre 1999, UN Doc. A/C.6/54/L.2, Annexe III, § 68. PASSAS (2008) p. 308 et 316. Pour une analyse des problèmes de définition voir: SYMEONIDOU-KASTANIDOU (2004), p. 18 ; SOREL (2003), p. 365 ss ; Bantekas (2003), p. 315 ss ; MCCULLOCH / PICKERING (2005), p. 477. La CRFT autorise un Etat Partie à exclure un traité de la liste, mais uniquement s’il n’est pas Partie à ce traité. THONY / PNG (2007), p. 153. Selon son article 3, la CRFT ne s’applique pas « lorsque l’infraction est commise à l’intérieur d’un seul Etat, que l’auteur présumé est un national de cet Etat et se trouve sur le territoire de cet Etat, et qu’aucun autre Etat n’a de raison, en vertu du par. 1 ou du par. 2 de l’art. 7, d’établir sa compétence » ; cf. GILMORE (2005), p. 78. 80 III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme cependant, elle ne les oblige pas à établir une telle compétence. Comme le fait remarquer Gilmore, aucune obligation spécifique n'est curieusement prévue pour incriminer le blanchiment des fonds visés à l’article 2 CRFT339. Les dispositions en matière de confiscation et d’entraide aux fins de confiscation ne s’éloignent pas de la logique des autres instruments que nous avons examinés (Convention de Vienne, Convention no 141, etc.). Ce régime ordinaire doit être distingué du régime d’exception en matière de gel des avoirs terroristes mis en place par les résolutions du Conseil de sécurité340. Selon l’article 8 par. 2 CRFT, les Etats Parties doivent prendre des mesures permettant la confiscation des fonds utilisés ou destinés à être utilisés pour la commission des infractions liées au terrorisme, ainsi que du produit de ces infractions. L’article 8 CRFT contient aussi deux normes non-contraignantes, qui favorisent, d’une part, la conclusion d’accords de partage des fonds provenant de la confiscation et (article 8 par. 3 CRFT), d’autre part, l’affection des fonds à l’indemnisation des victimes du terrorisme (article 8 par. 4 CRFT), c’est-à-dire des infractions visées à l’article 2 par. 1 al. 1 et al. 2 CRFT. L’article 8 par. 5 CRFT prévoit que ses dispositions sont appliquées sans préjudice des droits de tiers de bonne foi. L’article 8 par. 1 CRFT impose à chaque Etat Partie l’obligation de prendre les mesures nécessaires à l’identification, à la détection, au gel ou à la saisie de tous fonds utilisés ou destinés à être utilisés pour commettre les infractions liées au terrorisme. La mise en place des mécanismes de déclaration de soupçons de financement de terrorisme peut aider à la détection des avoirs terroristes, et aboutir ultérieurement à une saisie et à une confiscation (article 18 par. 1 let. b CRFT)341. La résolution 1373 (2001)342, que nous examinerons ultérieurement, prévoit des obligations de manière plus détaillée que la CRFT quant au gel des avoirs des terroristes. En ce qui concerne l’entraide judiciaire, la CRFT impose ainsi aux Etats Parties l’obligation de s’accorder mutuellement l’entraide judiciaire « la plus large possible » dans la lutte contre le financement du terrorisme (article 12 CRFT). Ces dispositions vont généralement plus loin que les neuf conventions 339 340 341 342 GILMORE (2005), p. 79. Voir p. 83 de la présente étude. L’article 18 par. 1 let. b CRFT énonce des recommandations qui n’ont pas de caractère contraignant ; GAFNER (2006), p. 78. Les Etats Parties doivent envisager l’adoption de règles imposant à l’intermédiaire financier l’obligation d’identifier le client et l’ayant droit économique (article 18 par. 1 let. b ch. i CRFT). La déclaration de transactions suspectes est une autre obligation dont l’introduction a été imposée ou encouragée par plusieurs instruments internationaux dans le contexte de la lutte contre le blanchiment d’argent et dont la CRFT vise à étendre la portée, en imposant également la déclaration de transactions suspectes liées au financement du terrorisme (article 18 par. 1 let. b ch. iii CRFT). Les mesures contre le blanchiment d’argent (AML) sont ainsi devenues AML/ CFT, à la suite de leur consolidation avec les mesures contre le financement du terrorisme ; PASSAS (2008), p. 303. Résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité de l’ONU, U.N. SCOR, 56e sess., 4385e réunion, doc. S/INF/57 (2001). 81 Première partie : les instruments internationaux énumérées à l’annexe343. L’entraide couvre toute enquête, procédure pénale ou procédure d’extradition relative au financement du terrorisme. Les Etats Parties ne peuvent invoquer le secret bancaire pour justifier un refus de coopération (article 12 par. 2). Enfin, les infractions visées dans la CRFT ne peuvent être considérées, à des fins d’extradition ou d’entraide judiciaire, comme des infractions fiscales ou politiques (articles 13 et 14)344. La Convention vise également au renforcement des mécanismes d’échanges d’informations entre les autorités compétentes nationales, comme les cellules de renseignements financiers (CRF)345. Il s'agit ici d’une forme de coopération internationale employant des moyens autres que l’entraide judiciaire. L'entraide judiciaire traditionnelle couvre l'échange de renseignements par des commissions rogatoires, qui sont réalisées par les autorités compétentes d'un pays auprès de celles d'un autre pays. L'échange de renseignements par des moyens autres que l’entraide judiciaire comprend tous les autres dispositifs, comme les échanges entre CRFs ou autres agences qui communiquent bilatéralement. A cet égard, le risque de la fragmentation de l’information entre les agences doit être pris en considération346. 2. Le régime ordinaire : la Convention n° 198 du Conseil de l’Europe (2005) La Convention n° 198 signale un changement de philosophie de la part du Conseil de l’Europe: les instruments antérieurs, élaborés sous l’égide de l’organisation, mettaient l’accent sur des problèmes comme la compétence à l’égard des infractions de terrorisme, l’extradition des terroristes, le dédommagement des victimes etc. La nouvelle Convention n° 198 attaque le phénomène du terrorisme au niveau du financement. En étendant le champ d'application de la nouvelle Convention n° 198 au financement du terrorisme, le Conseil de l'Europe évite de s'éloigner de la CRFT. En donnant mandat au Comité d’experts sur la révision de la 343 344 345 346 82 Manuel précité (note 328), p. 11. Cf. aussi Convention no 90 du Conseil de l’Europe pour la répression du terrorisme, du 27.01.1977. Article 18 par. 3 let. a CRFT. L’expression « cellule de renseignements financiers » désigne une unité nationale centrale chargée de recevoir, d’analyser et de transmettre aux autorités compétentes les données des institutions financières et autres entités soumises à l'obligation de déclaration de soupçons. En Suisse, le destinataire des déclarations de soupçons est le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent - MROS (Money Laundering Reporting Office Switzerland). La mise en place d’une CRF constitue déjà une obligation juridique pour les Etats Parties de la Convention n° 198 (article 12). Les informations échangées entre les CRF peuvent aussi être utilisées dans la lutte contre le financement du terrorisme ; Rapport explicatif à la Convention no 198 (note 36), par. 24 e. Goredema in Pieth (2009), p. 30. La méfiance à l'égard des autorités étrangères consitue un autre obstacle à l’échange d’informations. Les différences en termes de structures institutionnelles compliquent davantage l’échange; MITSILEGAS / GILMORE (2007), p. 122 ; DANDURAND / COLOMBO / PASSAS (2007), p. 288. III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme Convention n° 141, le Comité européen pour les problèmes criminels347 a insisté sur la nécessité de garder à l’esprit les développements récents et les instruments internationaux existants se rapportant aux questions concernant le blanchiment et le financement du terrorisme. Ainsi, l’article 1 let. h de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe fait référence à la définition du « financement du terrorisme » employée à l’article 2 CRFT. En ce qui concerne les avoirs liés au financement du terrorisme, les dispositions de la Convention n° 198 en matière de confiscation et d’entraide judiciaire relèvent du régime ordinaire348. Les mêmes mécanismes de confiscation et d’entraide employés par l’ancienne Convention n° 141 dans le cadre des infractions de blanchiment sont ainsi appliqués au financement du terrorisme. 3. Le régime d’exception : les résolutions du Conseil de sécurité Outre le régime ordinaire (CRFT, Convention no 198), un régime d’exception a été mis en place au niveau international pour priver les terroristes et les organisations terroristes de leurs moyens financiers. La base juridique de ce régime n’est pas le droit international conventionnel, mais les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Les mesures adoptées par le Conseil de sécurité en application du chapitre VII de la Charte de l’ONU ont un caractère contraignant : tous les membres des Nations Unies sont obligés de soutenir ces sanctions en vertu des articles 25 et 48 de la Charte349. En ce qui concerne l’objectif de ces mesures, il faut retenir que « [l]es sanctions ont pour objectif de modifier le comportement d'une partie qui menace la paix et la sécurité internationales et non de punir ou d'infliger un châtiment quelconque»350. Il s’agit de mesures de nature temporaire, qui ne peuvent pas durer indéfiniment, en particulier lorsque la paix et la sécurité internationale ne sont plus menacées351. L’action du Conseil de sécurité n’est pas sans limites ; elle doit respecter le principe de la légalité et de la proportionnalité352. Les Etats membres sont tenus de coopérer avec l’ONU et les uns avec les autres dans l’exécution des mesures décidées par le Conseil de 347 COMITÉ EUROPÉEN POUR LES PROBLÈMES CRIMINELS (2002), Rapport d’activité final concernant l’opportunité de l’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention n° 141, Doc. CDPC(2002)5. 348 Voir p. 38 ss et 69 ss de la présente étude. L’article 25 de la Charte impose aux membres de l’ONU l’obligation d’appliquer les décisions du Conseil de Sécurité. Selon l’article 48 de la Charte, les mesures nécessaires à l’exécution des décisions du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales sont prises par tous les membres des Nations Unies ou certains d’entre eux, selon l’appréciation du Conseil. Résolution du 26 septembre 1997 de l’Assemblée générale des Nations Unies, A/51/242, Annexe II, par. 5. THONY / PNG (2007), p. 155. BIANCHI (2006), p. 885 ; cf. aussi SCHWEIGMAN (2001). 349 350 351 352 83 Première partie : les instruments internationaux Sécurité353. Les pouvoirs du Conseil de sécurité sont d’un caractère coercitif non seulement vis-à-vis de l’Etat ou de l’organe coupable, mais aussi vis-à-vis des autres Etats membres de l’ONU354. Les résolutions du Conseil de sécurité en matière de lutte contre le terrorisme déterminent les principes directeurs de la lutte au niveau mondial, concernant la protection d’individus ou d’Etats, le dépistage de réseaux terroristes et la prévention du financement du terrorisme355. Les résolutions en question démontrent une tendance en faveur des sanctions ciblées (« smart sanctions »). Contrairement aux sanctions générales, qui frappent indistinctement les Etats et la population civile, les sanctions ciblées se concentrent sur les individus ou les groupes de personnes constituant une menace véritable pour la sécurité internationale. A cette catégorie de mesures appartiennent le blocage d'avoirs et l'embargo sur des biens spécifiques (armes, ressources naturelles, comme les diamants, le pétrole etc.). Le blocage d’avoirs en tant que sanction ciblée internationale est une question qui présente un intérêt particulier pour notre thème d’étude. Il s’agit d’une forme de gel, dont la base juridique est le droit international, en particulier les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU356. Les résolutions du Conseil de sécurité imposant des sanctions financières, en particulier le gel d’avoirs, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme créent un régime assez compliqué357. Dans la table qui suit nous présentons les éléments principaux de ce régime. 353 354 355 356 357 84 GILMORE (2005), p. 131. Cf. CHAMBRE D’APPEL DU TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE, Arrêt du 2 octobre 1995 relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence, Affaire Dusko Tadic (IT-94-1), ILM 1996 p. 32, par. 31. MOREILLON / DE COURTEN (2003), p. 118. La Suisse a soutenu l’idée des sanctions financières ciblées, en participant activement au processus d’Interlaken. Dans le cadre de ce processus et à l’initiative du gouvernement suisse, des experts internationaux se sont réunis à Interlaken en 1998 et 1999 ; pour les résultats de leur travail sur les sanctions financières ciblées, voir: http://www.eda.admin.ch/etc/medialib/downloads/edazen/ topics/ fmec/sanct.Par.0001.File.tmp/Handbuch %20zu%20gezielten%20Finanzsanktionen.en.pdf Cf. Directives régissant la conduite des travaux du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1267 (1999), adoptées le 7 novembre 2002, modifiées les 10 avril 2003, 21 décembre 2005, 29 novembre 2006, 12 février 2007 et 9 décembre 2008. III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme Le gel dans les résolutions du Conseil de sécurité en matière de lutte contre le terrorisme Résolution Champ d’application Résolution 1267 (1999) du 15.10.1999 Gel des fonds et autres ressources financières des Talibans ; établissement du Comité 1267 Résolution 1333 (2000) du 19.12.2000 Gel des fonds et autres avoirs financiers d’Oussama ben Laden et de l’organisation terroriste Al-Qaïda. Résolution 1363 (2001) du 30.07.2001 Mise en place d’un mécanisme de suivi de la mise en œuvre des mesures énoncées dans les deux premières résolutions. Résolution 1373 (2001) du 28.09.2001 Gel des avoirs financiers des terroristes en général ; établissement du Comité contre le terrorisme Résolution 1390 (2002) du 16.01.2002 Consolidation des mesures de gel des fonds contenues dans les deux premières résolutions. Résolution 1452 (2002) du 20.12.2002 Possibilité d’autoriser des dérogations aux mesures de gel Résolution 1455 (2003) du 17.01.2003 Rapports des Etats sur la mise en œuvre des mesures ; application des mesures de gel de fonds des résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002) Résolution 1526 (2004) du 30.01.2004 Suivi de la mise en œuvre des mesures de gel ; renforcement du mandat du Comité 1267 Résolution 1617 (2005) du 29.07.2005 Indices qu’une personne, un groupe, une entreprise ou une entité est « associé » à Al-Qaida, à Oussama ben Laden ou aux Talibans ; suivi de la mise en œuvre des sanctions (checklist) Résolution 1699 (2006) du 08.08.2006 Coopération avec Interpol Résolution 1730 (2006) du 19.12.2006 Procédure de radiation de la liste récapitulative Résolution 1735 (2006) du 22.12.2006 Modification de la résolution 1452 (2002) concernant les dérogations aux mesures de gel des avoirs Résolution 1822 (2008) du 30.06.2008 Détails de la mise en œuvre du gel ; révisions de la liste récapitulative. Résolution 1904 (2009) du 17.12.2009 Procédure de radiation ; nomination d’un médiateur 85 Première partie : les instruments internationaux Il y a un élément intéressant qui caractérise tous ces instruments. L’obligation de saisir les avoirs des personnes et organisations figurant sur des listes publiées sous l’autorité du Conseil de sécurité est une obligation indépendante de la condamnation358, les sanctions ayant une fin préventive. Ainsi, les personnes et entités visées vont subir les effets des résolutions, même si elles ne sont pas poursuivies ou condamnées pour des activités terroristes. Il n’est pas nécessaire que l’affaire concernée soit évaluée pour étayer une accusation pénale au niveau national. La législation nationale peut imposer automatiquement le gel des avoirs d’une personne ou d’une entité dès son inscription sur la liste récapitulative et la publication d’une simple disposition réglementaire par les autorités nationales359. Les mesures de gel en vertu des résolutions du Conseil rendent les avoirs temporairement indisponibles et intransférables, et ne mènent pas au transfert à l’Etat de la propriété des avoirs. Toutefois, les résolutions ne fixent pas de délai pour le gel, ce qui altère à un certain degré la nature temporaire de la mesure.360 Pour la mise en œuvre efficace des mesures de gel, les Etats doivent adopter une interprétation large des « avoirs financiers » qui sont soumis au gel en vertu des résolutions du Conseil de sécurité contre le terrorisme. En outre, l’obligation de geler les avoirs terroristes doit incomber à tous, personnes physiques ou morales, intermédiaires financiers ou non. La mesure de gel vise les personnes, groupes, entreprises ou entités inscrits sur la liste récapitulative du Comité 1267, qui à l’heure actuelle (avril 2011) compte 486 noms361. Concernant l’inscription sur la liste récapitulative, les Etats membres sont encouragés à instituer une procédure au niveau national pour désigner des personnes et évaluer les propositions devant être soumises au Comité 1267362. Les Etats membres communiquent des noms au Comité, aux fins d’inscription sur la liste récapitulative, en vertu du paragraphe 6 de la résolution 1822 (2008). La demande d’inscription doit être motivée363 et comprendre des constatations précises et des éléments de preuve de tout type (informations émanant des services de renseignement, des autorités policières, judiciaires ou des médias, déclarations faites par l’individu concerné, etc.). 358 359 360 361 362 363 86 Manuel précité (note 328), p. 64. Comité du Conseil de sécurité mis en place conformément à la résolution 1267, Expérience pratique des Etats Membres dans le domaine de l’application des mesures de sanction à l’encontre d’Al-Qaida et des Taliban, 28 juin 2007. Rapport du Président du Comité contre le terrorisme sur les problèmes rencontrés dans l’application de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité, 26 janvier 2004, S/2004/70, p. 4. Ces 486 noms sont répartis dans quatre sections : personnes associées aux Talibans (137 personnes), entités, groupes et entreprises associés aux Talibans (aucune entité), personnes associées à Al-Qaida (257 personnes), entités, groupes et entreprises associés à Al-Qaida (92 entités). Pour plus d’informations sur cette liste voir : http://www.un.org/french/sc/committees/1267/consolist.shtml Directives (note 357), section 6. Cf. paragraphe 4 de la résolution 1617 (2005), paragraphe 5 de la résolution 1735 (2006) et paragraphe 12 de la résolution 1822 (2008) III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme Selon le paragraphe 12 de la résolution 1822 (2008), les Etats précisent les éléments qui pourraient être divulgués « notamment pour que le Comité puisse élaborer le résumé décrit au paragraphe 13 […] ou pour aviser ou informer la personne ou l’entité dont le nom est porté sur la Liste, et les éléments qui pourraient être communiqués aux Etats Membres intéressés sur demande ». Le paragraphe 17 de la résolution 1822 (2008) établit une procédure pour aviser ou informer en temps voulu la personne inscrite sur la liste des mesures prises à son encontre et lui communiquer les informations sur les motifs de l’inscription. La procédure de radiation (« delisting ») d’un nom de la liste est une nouveauté bienvenue introduite par la résolution 1730 (2006)364. La personne concernée présente une demande de radiation par l'intermédiaire d’un point focal au sein de l’ONU (Service du secrétariat des organes subsidiaires du Conseil de sécurité)365 ou par l'intermédiaire de son Etat de résidence ou de nationalité. La résolution 1904 (2009) renforce les garanties de procédure en ce qui concerne la radiation : un médiateur (ombudsman) impartial et indépendant est nominé, qui a pour mission de recevoir les plaintes d’individus affectés par les sanctions antiterroristes366. Le médiateur étudie les demandes de radiation et fait rapport au Comité des sanctions. La radiation est possible si l’individu ou l’entité ne remplit plus les critères découlant des résolutions pertinentes ou si l’inscription sur la liste a eu lieu par suite d’une erreur d’identité, conformément au paragraphe 14 de la résolution 1735 (2006). Les noms d’individus décédés sont aussi radiés de la liste367. Le nombre des demandes déposées et traitées étant assez limité, la procédure de radiation ne peut pas être considérée comme un grand succès368. En vertu du paragraphe 2 de la résolution 1452 (2002) et du paragraphe 6 de la résolution 1822 (2008), les Etats peuvent autoriser le versement sur les comptes gelés des paiements destinés aux personnes, groupes, entreprises ou entités inscrits sur la liste récapitulative ; il s’agit des intérêts ou autres sommes dues au titre de ces comptes, des versements dus au titre de contrats, accords ou obligations antérieurs à la date de l’inscription sur la liste récapitulative, et de tout autre paiement, à condition que lesdits intérêts, sommes et versements soient toujours assujettis au gel des avoirs. Des dérogations aux mesures de gel des avoirs sont prévues par la résolution 1452 (2002), tel qu’amendée par le paragraphe 15 de la résolution 1735 (2006). Les Etats peuvent ainsi autoriser l’accès à des fonds, autres actifs 364 365 366 367 368 Sur l’importance de tels mécanismes de contrôle, voir : FITZGERALD (2007), p. 40 Annexe de la résolution 1730 (2006) ; Directives (note 357), section 7, let. g. En juin 2010, le Secrétaire général a nommé la juge Kimberley Prost (Canada) comme médiatrice. Après cette désignation, le mécanisme du point focal créé par la résolution 1730 (2006) ne recevra plus de demandes de radiation de la liste récapitulative. Cf. note verbale SCA/2/06(8) du 25 avril 2006. En avril 2011, les statistiques relatives au dispositif du point focal et à la liste récapitulative du Comité 1267 étaient les suivantes : 25 demandes de radiation reçues, 25 demandes traitées, 3 individus et 17 entités radiés de la liste ; les statistiques sont disponibles sur : http://www.un.org/french/sc/committees/dfp.shtml 87 Première partie : les instruments internationaux financiers ou ressources économiques gelés pour couvrir des dépenses de base, comme le prévoit le paragraphe 1 let. a de la résolution 1452 (2002). Parmi ces dépenses de base, nous pouvons mentionner celles consacrées à des vivres, des loyers ou des remboursements de prêts hypothécaires, des médicaments et des frais médicaux, des impôts, des primes d’assurance et des services collectifs, des honoraires professionnels raisonnables et des dépenses correspondant à des services juridiques, des charges ou frais correspondant à la garde ou à la gestion des ressources économiques gelées369. Le Comité 1267 est notifié et décide en trois jours ouvrables si la dérogation est justifiée. La résolution 1373 (2001) du 28 septembre 2001 sur la menace à la paix et à la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme constitue la réponse du Conseil de sécurité aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Cet instrument a une portée plus générale que les autres résolutions du Conseil de sécurité ; il déclare que tout acte de terrorisme constitue une menace récurrente à la paix et à la sécurité internationales au sens du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. L’importance de la résolution 1373 (2001) réside dans son caractère quasiment législatif370 : elle crée des obligations pour l’ensemble des Etats membres de l’ONU ; son champ d’application est large et les sanctions ne sont pas prises seulement à l’encontre d’une liste de personnes et d’organisations. Contrairement à la résolution 1267 (1999), la résolution 1373 (2001) impose le gel des avoirs financiers des terroristes en général et ne se limite pas à Oussama ben Laden, les Talibans et l’Al-Qaïda ou à une autre liste spéciale371. Les Etats membres de l’ONU doivent prendre les mesures nécessaires permettant de geler les fonds et avoirs de personnes et entités liées au terrorisme, en interdisant en même temps la mise à disposition par toute personne ou entité de fonds au bénéfice de personnes et entités liées au terrorisme. L’expression «actes de terrorisme» n’est pourtant pas définie. A un degré important, les dispositions de la résolution 1373 (2001) correspondent aux dispositions de la CRFT ; elles renforcent, toutefois, le dispositif existant à plusieurs égards. Tel est le cas de l’obligation autonome créée par le par. 1 let. d de la résolution (interdiction de mettre à disposition des fonds)372. En outre, la résolution 1373 (2001) impose à tous les Etats l’obligation d’adopter des mesures qui érigeront en infraction le financement du terrorisme, sans passer par la voie de l’élaboration d’une convention et en évitant ainsi les délais et obstacles au niveau de la ratification. La résolution 369 370 371 372 88 Directives (note 357), section 10. La résolution 1377 (2001) du 12 novembre 2001 demande aux Etats d’appliquer pleinement la résolution 1373 (2001). THONY / PNG (2007), p. 154. GILMORE (2005), p. 131. III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme 1373 (2001) établit, enfin, le Comité contre le terrorisme (CCT)373. Le CCT n’a pas la compétence d’établir une liste de personnes et entités liées au terrorisme dont les avoirs doivent être gelés. Cette compétence a été laissée à la discrétion des Etats. 4. Le régime d’exception des sanctions ciblées : perspectives Les sanctions dans le contexte de la lutte contre le terrorisme constituent un grand dossier des relations internationales et un champ d’action prioritaire dans l’agenda politique américain. A ce dossier s’ajoute un nombre d’autres régimes de sanctions, mis en place par le Conseil de sécurité. Nous pouvons ici mentionner le gel d’avoirs des personnes et des entités visées par les résolutions concernant le Libéria374, la République démocratique du Congo375, la Côte d'Ivoire376, le Soudan377, le Liban378 et la République populaire démocratique de Corée379. Or, l’étude des résolutions du Conseil de sécurité imposant des sanctions internationales engendre un certain nombre de réflexions. La méthode a évolué de manière dynamique. Du point de vue historique, la pratique des sanctions à l’encontre d’un Etat subsiste depuis l’antiquité. Le blocus et l’embargo en sont des exemples classiques. Le droit international moderne reconnaît aussi la tactique des mesures coercitives à l'encontre des Etats : le Chapitre VII de la Charte de l’ONU reconnaît ainsi la légalité de mesures coercitives non militaires, lorsque celles-ci tentent de rétablir la paix et la sécurité internationale380. Pendant la Guerre froide, des sanctions n’ont été imposées que rarement (par exemple, contre la Rhodésie en 1966, contre l’Afrique du Sud en 1977). L’ONU a inauguré la pratique des « sanctions 373 374 375 376 377 378 379 380 Composé des 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU, le CCT est chargé d’assurer la mise en œuvre intégrale de la résolution 1373 (2001), en examinant les rapports gouvernementaux. Si le CCT constate qu’un Etat membre de l’ONU ne respecte pas la résolution, il ne peut pas imposer de sanctions, mais il peut porter le cas à l’attention du Conseil de sécurité, qui a un pouvoir de coercition propre. A titre d’observation générale, il faut admettre que le système des Comités de sanctions du Conseil de sécurité tend à s’élargir et à se compliquer. Résolution 1521 (2003) du Conseil de sécurité ; cf. aussi les résolutions ultérieures, en particulier les résolutions 1523 (2004), 1683 (2006) et 1731 (2006) du Conseil de sécurité. Résolution 1533 (2004) du Conseil de sécurité ; cf. aussi les résolutions ultérieures, en particulier les résolutions 1804 (2008) et 1807 (2008). Résolution 1572 (2004) du Conseil de sécurité ; cf. aussi les résolutions ultérieures, en particulier les résolutions 1584 (2005), 1643 (2005) et 1782 (2007). Résolution 1591 (2005) du Conseil de sécurité. Résolution 1636 (2005) du Conseil de sécurité. Résolution 1718 (2006) du Conseil de sécurité. L’article 16 du Pacte de la Société des Nations prévoyait également que « si un membre de la SDN a recours à la guerre contrairement à ses engagements, il est de facto considéré comme ayant commis un acte de guerre contre tous les autres, et ceux-ci s'engagent à rompre avec lui toutes relations commerciales ou financières, à interdire tous rapports entre leurs nationaux et ceux de l'Etat en rupture du Pacte et à faire cesser toutes communications financières, commerciales ou personnelles ». 89 Première partie : les instruments internationaux ciblées » dans les années 1990381 ; la résolution 917 (1994), la réponse du Conseil de sécurité au coup d’Etat en Haïti, a été le premier instrument de l’ONU à établir une « liste noire » et à imposer des sanctions financières ciblées (gel d’avoirs). Les résolutions 1127 (1997), 1173 (1998) et 1176 (1998) du Conseil de sécurité contre les membres de l’UNITA ont affirmé la tendance en faveur des sanctions de ce type. La même stratégie a aussi été employée en 1999, lorsque le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1267 (1999) concernant l'Afghanistan et imposé des restrictions de circulation et un gel d’avoirs pour certaines personnes ou organisations. Pour sa part, le Conseil de l'UE a adopté la méthode des « sanctions ciblées » en décembre 2001, à la suite des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. Le régime des sanctions internationales présente les caractéristiques suivantes. En premier lieu, les sanctions peuvent viser non seulement des Etats, mais aussi des entités non-étatiques382, même si les dispositions pertinentes de la Charte de l’ONU ne prévoient pas expressément cette possibilité. Néanmoins, le Conseil de sécurité a dû prendre des mesures contre des entités nonétatiques à plusieurs reprises (p.ex. conflits en Rhodésie, ex-Yougoslavie, Angola). Parfois, des mesures sont prises contre des individus, même s’ils ne constituent plus une menace pour la paix et la sécurité internationale et ne sont plus au pouvoir (sanctions contre les membres de l’ancien régime de Sierra Leone). Il s’agit d’une tendance en faveur de sanctions quasi-judiciaires, au lieu de mesures dont l’objectif n’est que le rétablissement de la paix et de la sécurité383. Sans doute, l’élément le plus important, du point de vue juridique, est-il la progressivité de ces mesures, c’est-à-dire le caractère non limitatif de l’énumération des sanctions définies dans la Charte de l’ONU. S’appuyant sur l’article 41, le Conseil de sécurité peut donc imaginer d’autres mesures non militaires (diplomatiques, économiques, touchant les voyages etc.). Les sanctions financières, en particulier le gel des avoirs, font preuve de cette progressivité des sanctions internationales. Un autre élément important est le caractère collectif de la mise en œuvre des sanctions internationales modernes. Selon l’article 2 par. 5 de la Charte de l’ONU, les Etats membres sont obligés d’assister l'Organisation lorsqu'elle entreprend une action (obligation positive) et de s’abstenir de toute aide à un Etat sanctionné par l'Organisation (obligation négative). Dès lors que presque tous les pays du monde sont membres de l’ONU, les sanctions de l’ONU sont dotées d’une portée globale. Ainsi, tous les pays acceptent d’être soumis aux systèmes d’évaluation et de suivi des résolutions de l’ONU par les divers comités de sanctions. Des 381 382 383 90 BIANCHI (2006), p. 881 ss ; THONY / PNG (2007), p. 155. THONY / PNG (2007), p. 155. DE WET (2004) ; KOOIJMANS (1998), p. 333 ss ; GOWLLAND-DEBBAS (2004), p. 16 ss. III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme organisations internationales, comme INTERPOL soutiennent aussi la mise en œuvre des sanctions384. Dans ce contexte, le rôle des Etats-Unis a souvent fait l’objet de critiques. Les Etats-Unis ont soutenu la pratique des sanctions au cours des années385 et ne semblent pas être disposés à l’abandonner. Divers motifs se trouvent à l’origine de l’imposition de sanctions ; cependant, quant à la rhétorique politique, le rétablissement de la paix et la sécurité internationale, en particulier la lutte contre le terrorisme, sont parmi les arguments favoris de l’administration américaine. Les Etats-Unis optent souvent pour la voie unilatérale, en faisant ensuite pression sur la communauté internationale, afin qu’elle s’allie à l’action américaine386. En particulier, « face à la détermination des Etats-Unis de recourir fréquemment aux sanctions, notamment économiques, la marge de manœuvre des autres Etats membres du Conseil de sécurité est faible. Les EtatsUnis ont tendance à poursuivre dans le cadre des Nations Unies des politiques de sanctions qu'ils menaient auparavant de façon unilatérale contre certains Etats »387. 5. Le gel des avoirs terroristes et les garanties fondamentales La lutte contre le terrorisme ne doit pas porter atteinte à des valeurs juridiques fondamentales, comme la prééminence du droit, la démocratie et les droits de l’homme388. Ces valeurs fondamentales doivent effectivement former la première ligne de défense contre le terrorisme, car ce sont précisément ces valeurs que les terroristes cherchent avant tout à détruire389. Les droits fondamentaux des individus sur lesquels reposent les soupçons doivent être garantis sans exception. L’établissement de « listes noires » de personnes ou d’organisations soupçonnées de terrorisme ne doit pas violer les règles du droit. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a récemment invité le Conseil de 384 385 386 387 388 389 La résolution 1617 du Conseil de sécurité de l’ONU prie le Secrétaire général de l’ONU de collaborer avec INTERPOL pour mettre à disposition de meilleurs outils, afin d’aider le Comité 1267 du Conseil de sécurité à s’acquitter de son mandat au regard du gel des avoirs, de l’embargo sur les armes et de l’interdiction de voyager visant les individus et entités associés, ou appartenant à Al-Qaida et aux Talibans. Cf. INTERPOL (2008), INTERPOL va créer une nouvelle notice internationale pour aider l’ONU, Communiqué de presse, 21.09.2005. COOPER (2000), p. 640 ; SELDEN (1999), pp. 1-12. ADDIS (2003), p. 574. ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE (2001), Les sanctions internationales, Rapport d'information no 3203, déposé par la Commission des Affaires Etrangères, rapporteur: René Mangin, 27 juin 2001, pp. 17-18. COMITE DES MINISTRES DU CONSEIL DE L’EUROPE (2002), Lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, Strasbourg, 11 juillet 2002 ; assemblée parlementaire du conseil de l’europe (2002), Recommandation sur la lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l’homme, Recommandation n° 1271, Strasbourg, 2002. ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE (2002), La nécessité d’une coopération internationale intensifiée pour neutraliser les fonds destinés à des fins terroristes, rapport préparé par la Commission des questions économiques et du développement, Document no 9520, 15 juillet 2002. 91 Première partie : les instruments internationaux sécurité de l’ONU et le Conseil de l'UE à respecter ces règles : selon une résolution adoptée en 2008, « les règles de fond et de procédure actuellement appliquées par le CSNU [Conseil de sécurité des Nations Unies] et par le Conseil de l'UE […] bafouent les principes fondamentaux qui sont à la base des droits de l'homme et de la prééminence du droit »390. La personne ou organisation inscrite sur une « liste noire » doit bénéficier du droit d'être informée des accusations, du droit d'être entendue et de bénéficier d'un recours391. Très fréquemment, il n’y a pas de procès pénal intenté ou de condamnation pénale prononcée contre les personnes figurant sur la liste, alors que les mesures prises peuvent avoir un impact sévère sur les suspects392. La procédure peu transparente selon laquelle cette liste est alimentée semble être problématique du point de vue de la protection des droits des individus393. Il manque aussi des mécanismes pour que le gel soit remplacé par une confiscation394. En ce qui concerne la possibilité de retirer une personne de la liste, il est positif qu’une procédure de « delisting » soit prévue395. Comme l’affirme la jurisprudence de la Cour EDH, les Etats «ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre […] le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée»396. En outre, le fait que les mesures contestées mettent en œuvre une résolution du Conseil de sécurité, en particulier en matière de gel d’avoirs terroristes, n’empêche pas la Cour EDH d’exercer son contrôle juridictionnel. A cet égard, la décision de recevabilité dans l’affaire Behrami ne doit pas être interprétée de manière extensive397. Cette affaire portait sur les actions de la force de sécurité déployée au Kosovo sous les auspices de l’ONU. La décision n’indique pas que le contrôle juridictionnel est exclu s’agissant de toute mesure mettant en œuvre une résolution du Conseil de sécurité. Selon la décision, la Cour EDH n’avait pas de compétence ratione personae, parce les actes contestés n’étaient pas imputables aux États défendeurs, mais aux 390 391 392 393 394 395 396 397 92 ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE (2008), Listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Union européenne, Résolution n° 1597, 23 janvier 2008. Cf. Rapport de la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme, Doc. 11454, rapporteur : M. Marty. Le rapport a examiné plusieurs cas de personnes inscrites sur ces listes bien que des tribunaux nationaux aient rendu des jugements les exonérant de liens avec des activités terroristes. Le cas de l'Organisation des Moudjahidines du peuple iranien (OMPI) constitue un contre-exemple, examiné par le rapporteur de l’Assemblée Parlementaire : il s’agit d’un mouvement de résistance iranien, que l'UE refusait longtemps d’exclure de sa liste noire, en dépit d'une décision prononcée par le TPI ; TPI, arrêt Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran (OMPI) c. Conseil du 12 décembre 2006, affaire T-228/02. CATALANO (2005), p. 173 ; GUTHERIE (2004). PASSAS (2008), p. 304. CASSANI (2003), p. 308. THONY/ PNG (2007), p. 158. Voir p. 831 ss de la présente étude. Cour EDH, arrêt Klass et autres c. Allemagne du 6 septembre 1978, Série A, n° 28, § 49. Cour EDH, décision sur la recevabilité du 2 mai 2007 dans les affaires jointes Behrami c. France (n° 71412/01) et Saramati c. France, Allemagne et Norvège (n° 78166/01), §§ 121, 133 à 135. Voir aussi Cour EDH, décision sur la recevabilité du 5 juillet 2007 dans l’affaire Kasumaj c. Grèce (nº 6974/05) ; Cour EDH, décision sur la recevabilité du 28 août 2007 dans l’affaire Gajic c. Allemagne (nº 31446/02). III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme Nations unies (Conseil de sécurité), qui ne sont pas partie contractante à la CEDH. En revanche, les actes imputables aux Etats sont susceptibles d’un contrôle juridictionnel par la Cour EDH, même si ces actes sont nécessaires pour la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité398. Dans l’arrêt Segi, la Cour EDH n’a pas exclu que le gel d’avoirs puisse conférer aux personnes inscrites sur une liste de terroristes la qualité de victimes d’une violation de la CEDH399. La Cour EDH a rejeté comme irrecevable le recours introduit par l’association Segi et autres requérants à l’encontre des quinze Etats membres de l’UE, relatif à la position commune 2001/931 ; les requérants n’étaient pas concernés par les articles 2 et 3 de la position commune 2001/931 (gel des fonds mis en œuvre par le règlement 2580/2001 du 27 décembre 2001) ; d’après la liste figurant dans l’annexe à la position commune, les requérants étaient soumis uniquement à l’article 4 (obligation de coopération policière et judiciaire en matière pénale). Dès lors qu’aucun élément ne permettait de conclure que les requérants avaient fait l’objet de mesures particulières à leur encontre en application de l’article 4, la Cour EDH a dû rejeter le recours comme irrecevable. La question se pose ici de savoir si la solution aurait été différente, si l’association Segi était touchée par des mesures de gel d’avoirs en vertu de l’article 2 et 3 de la position commune ou par des mesures de contrainte concrètes en vertu de l’article 4. La jurisprudence du TPI et de la CJCE, qui sera examinée ultérieurement400, aborde de manière plus précise la question de la conformité du gel des avoirs terroristes avec la protection des droits fondamentaux. A notre avis, cette jurisprudence doit influencer la pratique de l’ONU en la matière401. 6. Les recommandations spéciales du GAFI (2001) Les recommandations spéciales du GAFI, adoptées en 2001 et 2004402, visent à combattre le financement des actes et des organisations terroristes. Elles reprennent certaines mesures qui avaient déjà été développées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme403. Par exemple, elles prévoient pour tous les Etats la ratification de la CRFT et la mise en œuvre immédiate des résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité, notamment de la résolution 1373 398 399 400 401 402 403 Cour EDH, décision de recevabilité du 16 octobre 2007 dans l’affaire Beric e.a. c. Bosnie-Herzégovine, §§ 27 à 29. Cour EDH, arrêt Segi et autres c. l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède du 23 mai 2002, n° 6422/02 et n° 9916/02, Recueil CourEDH 2002-V. Voir p. 179 de la présente étude. Rapport précité (note 27), p. 52. GAFI (2001), Recommandations spéciales sur le financement du terrorisme, du 31 octobre 2001. En octobre 2004, une neuvième recommandation spéciale a été ajoutée, selon laquelle les pays doivent bloquer les mouvements transfrontaliers d’espèces ou instruments au porteur servant au financement du terrorisme. SOREL (2003), p. 373. 93 Première partie : les instruments internationaux (recommandation spéciale I). Les Etats membres du GAFI doivent incriminer le financement du terrorisme, des actes terroristes et des organisations terroristes (recommandation spéciale II)404 ; ils doivent aussi imposer aux institutions financières (ou aux autres entreprises ou entités assujetties aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux) l’obligation de dénonciation en cas de soupçons de financement du terrorisme (recommandation spéciale IV). En octobre 2004, une neuvième recommandation spéciale a été ajoutée, selon laquelle les pays doivent bloquer les mouvements transfrontaliers d’espèces ou instruments « soupçonnés d’être liés au financement du terrorisme ou au blanchiment de capitaux, ou faisant l’objet de fausses déclarations ou divulgations »405. En ce qui concerne les procédures de saisie et de confiscation, la recommandation spéciale III suit la logique de la recommandation 3 du GAFI : les pays devraient adopter des mesures permettant à leurs autorités ou tribunaux compétents de saisir et de confisquer les biens visés. Dans le cas de la recommandation spéciale III, les biens visés sont ceux utilisés pour, ou destinés à être utilisés pour le financement du terrorisme, d’actes terroristes ou d’organisations terroristes. Les mesures à prendre sont similaires à celles indiquées dans des instruments internationaux antérieurs406, en particulier dans l’article 8 CRFT. La recommandation spéciale III répète simplement les obligations imposées par cette convention internationale, quant aux procédures de saisie et de confiscation. La terminologie employée par le GAFI dans la recommandation spéciale III et sa note interprétative ne s’éloigne pas des définitions classiques d’autres instruments internationaux, comme les Conventions de l’ONU et du Conseil de l’Europe407. 404 Comme la CRFT, la note interprétative de la recommandation spéciale II définit l’expression « actes de terrorisme » dont le financement est incriminé, en renvoyant à une liste de neuf traités de l’ONU ; elle fournit aussi une définition générique selon laquelle on entend par acte terroriste « tout autre acte destiné à provoquer le décès ou des blessures corporelles graves à un civil ou toute autre personne ne prenant pas activement part à des hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque l’objet de cet acte, par sa nature ou son contexte, est d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à commettre ou s’abstenir de commettre un acte quelconque ». 405 LEVI (2003), p. 224. Le problème est particulièrement grave en Afrique ; Goredema in Pieth (2009), p. 26 ss. En Suisse, la loi fédérale du 3 octobre 2008 sur la mise en œuvre des recommandations révisées du GAFI, en vigueur depuis le 1er fév. 2009 (RO 2009 361 367; FF 2007 5919), a introduit une nouvelle disposition, l’article 95 al. 1bis de la loi du 18 mars 2005 sur les douanes, RS 631.0, pour assurer le contrôle des transports transfrontaliers d’espèces. Toutefois, cette disposition, loin d’établir un système de déclaration, se contente d’affirmer que les autorités douanières suisses soutiennent la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le cadre de leurs tâches ; cf. CASSANI (2008), p. 376. Par exemple, cf. article 5 de la Convention de Vienne ; articles 12 à 14 de la Convention de Palerme. Ainsi, le terme de « gel » signifie l’interdiction du transfert, de la conversion, de la cession ou du déplacement de fonds ou d’autres biens « par suite d’une mesure prise par une autorité ou un tribunal compétent ». Le terme de « saisie » se réfère à des mesures de gel, qui permettent cependant à l’autorité ou au tribunal compétent « de prendre le contrôle des fonds ou autres biens concernés ». Le terme « confiscation » est défini comme « la privation permanente des fonds ou autres biens sur décision d’une autorité ou d’un tribunal compétent », ce qui implique le transfert de la propriété des biens visés à l’Etat. Enfin, la note interprétative de la recommandation spéciale III fournit la définition des termes « fonds » et « biens », et une liste non limitative d’actifs : les crédits bancaires, les chèques de voyage, les chèques bancaires, les mandats, les actions, les valeurs mobilières, les obligations, les traites ou lettres de crédit, etc. 406 407 94 III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme La recommandation spéciale III invite aussi les pays à assurer la mise en œuvre des résolutions des Nations Unies relatives à la prévention et à la répression du financement des actes terroristes. En d’autres termes, les pays doivent geler sans délai les fonds ou autres biens des terroristes et de ceux qui financent le terrorisme ou les organisations terroristes, conformément aux résolutions du Conseil de Sécurité, en particulier la résolution 1267 (1999) 408 et la résolution 1373 (2001), ainsi que de toute résolution à venir relative au gel, ou le cas échéant, la saisie de biens de terroristes. En ce qui concerne la mise en œuvre des mesures de gel, la note interprétative de la recommandation spéciale III propose deux options principales : d’une part, la loi peut désigner une autorité ou un tribunal pour administrer des mesures de gel. D’autre part, la loi peut attribuer cette responsabilité à la personne ou l’entité détenant les biens à geler, « en la soumettant à des sanctions en cas de non-respect de ladite loi ». La note interprétative fournit d’autres directives pour la mise en place de procédures de gel efficaces. Ainsi, le gel doit avoir lieu sans délai, afin de maintenir une situation existante jusqu'à l'examen d'une requête de saisie ou de confiscation. En outre, les procédures de gel doivent assurer la collaboration des institutions financières et d’autres personnes ou entités susceptibles de conserver des biens de terroristes. Entre autres, l’obligation de collaboration comprend l’obligation de ne pas informer les personnes ou entités concernées. Des systèmes efficaces doivent être prévus pour faire connaître au secteur financier, sans délai, les initiatives prises dans le cadre des mécanismes de gel. Il y a un autre aspect important que la note interprétative met en lumière : les pays doivent prévoir des procédures de radiation des listes et de déblocage des biens. Les listes des personnes ou entités terroristes sont soumises à la modification et si des personnes ou des entités sont retirées de ces listes, les pays doivent débloquer « dans les meilleurs délais » les biens gelés. S’agissant des personnes et entités inscrites sur la liste récapitulative du Comité 1267, la radiation de la liste doit être faite conformément aux procédures adoptées par ce comité. La note interprétative de la recommandation spéciale III souligne que si la personne ou l’entité concernée n’est pas en réalité une personne visée (par exemple, si ces deux personnes portent des noms identiques ou des noms présentant des ressemblances409), les pays doivent élaborer des procédures de vérification et de déblocage des biens. L’ouverture de l’accès à des fonds ou autres biens gelés doit aussi être possible dans certaines circonstances, par exemple pour couvrir des dépenses de base, pour le paiement de certains types de commissions, de frais et de rémunération de services, ou pour des dépenses extraordinaires. 408 409 La note interprétative de la recommandation spéciale III explique que le terme de « résolution 1267 (1999) » fait référence à cette résolution et aux résolutions ultérieures, comme les résolutions 1333 (2000), 1363 (2001), 1390 (2002) et 1455 (2003). Pour une analyse détaillée de ce risque voir : FITZGERALD (2007), p. 41 ss. 95 Première partie : les instruments internationaux Enfin, en étendant le mandat du GAFI à la lutte contre le financement du terrorisme, les pays ont décidé de se soumettre aux mécanismes d’évaluation de cette institution. Ces mécanismes s’étaient montrés efficaces dans le contexte des 40 recommandations et sont maintenant employés dans la lutte contre le terrorisme. C’est un nouvel élément que les 9 recommandations spéciales ajoutent au cadre juridique existant contre le terrorisme (Conventions et résolutions de l’ONU). Il faut noter que le GAFI a d’abord utilisé les autoévaluations comme source pour évaluer la mise en conformité des pays avec les recommandations spéciales410. Plus récemment, le troisième cycle d’évaluation mutuelle du GAFI a offert une occasion pour évaluer, pour la première fois de manière indépendante, la mise en conformité des droits nationaux avec les 9 recommandations spéciales du GAFI411. 410 411 96 GAFI (2002), Questionnaire d’autoévaluation : recommandations spéciales sur le financement du terrorisme (31 janvier 2002), http://www.fatf-gafi.org/TerFinance_fr.htm. JOHNSON (2008), p. 53. III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme Recommandation spéciale III du GAFI Notation de conformité 3e exercice d’évaluation mutuelle du GAFI Membres du GAFI Rapport d’évaluation mutuelle février 2009 mars 2010 octobre 2005 juin 2009 juin 2005 juin 2010 février 2008 juin 2007 avril 2008 Notation Afrique du Sud PC Allemagne PC Australie GPC Autriche PC Belgique PC Brésil NC Canada GPC Chine NC PC Conseil de Coopération du Golfe NC (CCG) Émirats Arabes Unis (EAU) Qatar Corée juin 2009 PC Danemark juin 2006 PC Espagne juin 2006 GPC France février 2011 PC Fédération de Russie juin 2008 PC Finlande octobre 2007 PC Grèce juin 2007 PC Hong Kong, Chine juin 2008 PC Inde juillet 2010 GPC Irlande février 2006 PC Islande octobre 2006 NC Italie octobre 2005 GPC Japon octobre 2008 PC Luxembourg février 2010 PC Mexique octobre 2008 NC Norvège juin 2005 PC Nouvelle-Zélande octobre 2009 PC Pays-Bas février 2011 GPC Portugal octobre 2006 PC Royaume d'Arabie saoudite juillet 2010 PC Singapour février 2008 GPC Suède février 2006 PC Suisse octobre 2005 PC Turquie février 2007 PC Royaume-Uni juin 2007 C Etats-Unis juin 2006 GPC Source : rapports disponibles sur le site web du GAFI, http://www.fatf-gafi.org Note : conforme (C), en grande partie conforme, (GPC), partiellement conforme (PC) et nonconforme (NC). 97 Première partie : les instruments internationaux IV. Conclusions intermédiaires : les instruments internationaux en matière de confiscation Dans la première partie de l’étude, nous avons examiné les instruments internationaux (travaux de l’ONU, du Conseil de l’Europe, de l’OCDE et du GAFI) contenant des dispositions relatives à la confiscation, à l’entraide aux fins de confiscation et à la question particulière du gel des avoirs terroristes. Nous pouvons ici résumer les résultats de cet examen, en insistant sur les points suivants. D’abord, une prolifération des initiatives internationales peut être mise en évidence après 1988. Une telle action et mobilisation de la communauté internationale étaient à notre avis nécessaires, car en l’absence de systèmes de contrôle la globalisation financière risquerait d’être exploitée par les criminels et les organisations criminelles412. La prolifération des initiatives a été accompagnée par une « multiplication des intervenants dans le processus d’élaboration des normes »413, tendance qui caractérise de plus en plus le droit pénal économique et qui relativise, à un certain degré, le pouvoir normatif de l’Etat414. Le législateur national doit donc tenir compte des travaux menés et des propositions avancées par les organisations internationales, les législateurs d’autres Etats, les ONG et la société civile, les «stakeholders» du secteur financier, etc. Dans ce processus d’élaboration de normes, les instruments de droit mou influencent de plus en plus les politiques criminelles des Etats. Le rôle central du GAFI en matière de lutte contre le blanchiment en est un exemple415. Même si les standards du GAFI ne sont pas juridiquement contraignants, les moyens d’action du GAFI (recommandations, évaluations mutuelles) se sont révélés très efficaces et ont amélioré la mise en conformité des Etats membres. Des interactions fortes existent aussi entre les travaux du GAFI et le droit conventionnel416 ; par exemple, la Convention no 198 du Conseil de l’Europe a été largement influencée par les travaux du GAFI. L’influence des recommandations du GAFI peut aussi être mise en évidence dans l’élaboration des normes du droit de l’UE417. De cette manière, les normes du droit mou deviennent partie du droit dur. Par ailleurs, les textes du GAFI font souvent référence aux instruments de droit conventionnel et recommandent la 412 PIETH (1998), p. 161. Cet auteur parle de l’importance d’un « level playing field amongst key competitors in order to marginalize those who fall below the benchmark » ; PIETH (2006), p. 9 ss. 413 CASSANI (2008), p. 237. DE MAILLARD (2001), p. 87 ss. Voir p. 30 ss et p. 62 ss de la présente étude. CASSANI (2008), p. 252, 262. GILMORE (2005), p. 213. 414 415 416 417 98 IV. Conclusions intermédiaires : les instruments internationaux en matière de confiscation ratification sans réserves des conventions de l’ONU en matière de droit pénal économique. En général, les instruments internationaux que nous avons étudiés imposent aux Etats Parties la double obligation de prendre certaines dispositions au niveau national et de coopérer le plus possible dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent, contre la corruption, contre la criminalité transnationale organisée etc. L’harmonisation « à bas seuil »418 demeure la méthode privilégiée lors de l’élaboration d’un instrument international dans le contexte du droit pénal économique. Comparée à l’unification du droit, l’harmonisation partielle manque peut-être d’ambition ; cependant, elle offre des avantages pratiques en facilitant la transposition de l’instrument international dans le droit national, ce qui peut encourager plus de pays à l’adopter. La confiscation et la remise de valeurs ne sont pas « standard » en pratique, même si elles sont graduellement devenues des « standards » de coopération dans les textes adoptés par des instances internationales419. Après l’adoption de la Convention de Vienne, tous les instruments internationaux en matière pénale contiennent des dispositions de ce type, qui exigent l’incrimination de comportements (trafic de stupéfiants, participation à une organisation criminelle, corruption, blanchiment d’argent et récemment financement du terrorisme), et l’adoption de mesures permettant la saisie et la confiscation du produit des infractions visées. La reconnaissance des procédures de confiscation autonome (civile ou pénale), indépendantes de toute poursuite à l’encontre de l'auteur, est une autre tendance à mettre en évidence, notamment dans les travaux du Conseil de l’Europe (Conventions no 141 et no 198) et du GAFI (recommandation no 3). Les instruments internationaux abordent aussi la question du sort des biens confisqués (dispositions sur le partage et la restitution des avoirs). A cet égard, nous soutenons la création d’un réseau étendu de conventions bilatérales, sur la base du modèle de convention de partage de l’ONU. A notre avis, un régime de confiscation efficace présuppose le renforcement de la réglementation du secteur financier. Les instruments internationaux imposent déjà aux Etats Parties l’obligation d’instituer un régime de réglementation du secteur financier420, afin de décourager et de détecter le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Dès lors que ce régime met l’accent sur les exigences en matière d’identification des clients et des ayants droit économiques, d’enregistrement d’opérations et de déclaration d’opérations suspectes, la localisation d’actifs et leur confiscation 418 419 420 CASSANI (2008), p. 235. GOSSIN (2006), p. 327. Voir, par exemple, article 7 par. 1 let. a, Convention de Palerme et l’article 14 par. 1 let. a de la Convention de Mérida. 99 Première partie : les instruments internationaux ultérieure sont facilitées. Outre la localisation d’actifs, le renforcement de la réglementation du secteur financier peut aussi assurer la disponibilité des avoirs à saisir et à confisquer421. Sans être une panacée, les exigences du GAFI en matière de réglementation du secteur financier assurent, à un degré satisfaisant, la localisation et la disponibilité des produits de la criminalité. Les instruments internationaux de coopération internationale en matière pénale font preuve d’une tendance à l’harmonisation et à la modernisation des procédures d’entraide422. Selon R. Zimmermann423, cette tendance se manifeste notamment dans l’allègement des clauses d'exclusion de l'entraide (réduction de la portée des motifs d'exclusion liés au délit politique et au délit fiscal424), dans le développement de nouvelles mesures d'entraide judiciaire et de coopération policière (équipes communes d'enquête, livraisons surveillées, etc.) et dans la communication directe entre les autorités nationales425. Cette évolution devient évidente lorsque nous comparons, par exemple, les dispositions de la CEEJ aux dispositions de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe426. Nous soulignons l’importance de l’examen périodique des instruments internationaux, en particulier des traités d’entraide bilatéraux, en vue de leur modernisation éventuelle427. Les droits internes comportent des conditions pour la reconnaissance des décisions étrangères dans le domaine de la confiscation. Les conventions internationales, comme la Convention n° 141, remettent en cause ces conditions et limitent le nombre de motifs de refus de coopération. Sans doute une reconnaissance quasi-automatique des décisions de confiscation étrangères constitue-t-elle la forme d'entraide la plus renforcée. Cela nécessite d’adopter certains standards minimaux de procédure (harmonisation), assurant que les personnes affectées par les mesures de confiscation disposent de recours juridiques effectifs pour préserver leurs droits428. Les instruments internationaux en matière de lutte contre le blanchiment, contre la corruption et contre la criminalité transnationale organisée se recoupent à un certain degré. Ce qui crée l’impression d’un manque 421 En droit suisse, voir l’article 10 LBA (obligation de blocage interne des avoirs) et 10a LBA (« no tipping- off rule »). 422 423 424 425 426 427 428 Voir p. 44 ss de la présente étude. ZIMMERMANN (2007), p. 63. Cf. par exemple l’article 14 CRFT. Cf. aussi la Convention d'entraide judiciaire de l'Union européenne. Cf. par exemple l’article 30 de la Convention no 173 du Conseil de l’Europe. Au niveau de l’UE, la communication directe devient la règle ; cf. infra, article 6 de l’Acte du Conseil du 29 mai 2000 établissant, conformément à l’article 34 TUE, la convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne, JO C 197 du 12.7.2000, p. 1. Voir p. 47 ss et p. 69 ss de la présente étude. DANDURAND (2007), p. 241. Par exemple, selon l’article 5 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe : « Chaque Partie adopte les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour faire en sorte que les personnes affectées par les mesures prévues aux articles 2 et 3 disposent de recours juridiques effectifs pour préserver leurs droits ». 100 IV. Conclusions intermédiaires : les instruments internationaux en matière de confiscation d’agencement des normes selon un plan méthodique. Cependant, il faut considérer que chaque initiative est le produit d’un long processus de négociations et de compromis, et qu’elle fait partie d’une évolution juridique reflétant le momentum politique de l’époque. Un manque de standardisation est donc à un certain degré inévitable. La question se pose de savoir si un instrument global relatif au blanchiment d’argent et à la confiscation, une sorte de Convention no 141 globale, pourrait fournir des solutions plus cohérentes qu’une série d’instruments relatifs à des infractions particulières (trafic de stupéfiants, corruption, participation à une organisation criminelle). Quels seraient donc les éléments essentiels d’un tel régime global ? D’abord, les Etats Parties seraient tenus d’adopter les mesures nécessaires pour permettre la confiscation (confiscation de biens / confiscation de la valeur). A cet égard, l’article 2 par. 1 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe pourrait assumer une portée globale, en inspirant les dispositions d’une nouvelle convention de l’ONU relative à la confiscation (et peut-être au blanchiment d’argent). Le principal défi serait de définir les infractions en amont, dont le produit ferait l’objet de confiscation, en explorant peut-être la piste de la Convention no 198 ; à cet égard, l’harmonisation demeure très incomplète. En tout cas, l’étendue de la faculté d’ « opting out » ne devrait pas compromettre l’efficacité de l’instrument. Les instruments existants définissent déjà, de manière satisfaisante, les valeurs patrimoniales soumises à la confiscation (« instruments» et « produits » des infractions en amont) ; une nouvelle convention pourrait donc simplement reprendre ces définitions. En ce qui concerne le renversement du fardeau de la preuve, un régime global en matière de confiscation pourrait avancer cette idée sur une base facultative. A long terme, il ne faudrait pas exclure l’idée de transformer cette faculté en obligation. Une convention internationale en matière de confiscation pourrait aussi faciliter l’entraide, grâce à l’harmonisation des régimes nationaux en la matière. Cela est particulièrement vrai s’agissant de la saisie et des mesures d’investigation telle que la surveillance de comptes. A son tour, l’harmonisation des régimes nationaux de l’entraide pourrait conduire à des procédures fondées sur la reconnaissance mutuelle. Néanmoins, l’idée d’élaborer une convention globale relative au blanchiment d’argent et à la confiscation semble être trop ambitieuse et difficilement réalisable. L’introduction d’un régime global en matière de confiscation risque de se heurter à des difficultés et des retards considérables, comme c’était souvent le cas avec les instruments internationaux existants. L’approche du GAFI, fondée sur le droit mou, a eu un certain succès ; cependant, cette approche se limite aux membres du GAFI, alors qu’une convention de l’ONU a une portée juridique globale. Une telle convention relative à la confiscation et, possiblement, au blanchiment d’argent pourrait 101 Première partie : les instruments internationaux constituer une base juridique de référence, à laquelle feraient renvoi les conventions de lutte contre des infractions spécifiques. A l’heure actuelle, nous ne pouvons que soumettre la proposition au débat. 102 DEUXIÈME PARTIE : LE DROIT DE L’UE I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE L’analyse des instruments juridiques que l’UE a élaborés en matière de coopération judiciaire pénale, en particulier des instruments en matière de confiscation, nécessite une présentation du droit communautaire primaire, qui constitue la base juridique pour la prise d’actes par les institutions européennes. L’analyse tient notamment compte des dispositions du Traité sur l'Union européenne (TUE, à l’origine le Traité de Maastricht du 7 février 1992) et du Traité instituant la Communauté européenne (TCE, à l’origine le Traité de Rome du 25 mars 1957)429. L’analyse tient aussi compte des dispositions du Traité de Lisbonne qui modifie les traités européens existants. Après un long processus de ratification, le Traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre 2009 et a mis fin à une période de flottement et d’incertitude juridique430. Le nouveau traité européen remplace le projet de Constitution européenne, rejeté par référendum en 2005 par la France et les Pays-Bas, et reprend une grande partie des dispositions de ce projet431. 1. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE : du Traité de Maastricht (1992) au Traité de Lisbonne (2007) L’architecture institutionnelle européenne, introduite par le Traité de Maastricht de 1992, reposait sur trois piliers. Le droit communautaire classique constituait le premier pilier, le deuxième pilier était consacré à la politique étrangère et à la politique de sécurité commune (PESC), alors que le troisième pilier regroupait les politiques relatives à la justice et aux affaires intérieures (JAI). Il est bien connu que le deuxième et le troisième pilier étaient caractérisés par l’utilisation de la méthode intergouvernementale. Cela signifie que les décisions du Conseil devaient être prises à l’unanimité, alors que le Parlement européen est simplement consulté. La Commission partageait son droit d’initiative avec les Etats membres et ne pouvait pas engager d’action en manquement si un Etat membre de l’UE ne remplissait pas ses obligations. Enfin, le deuxième et le troisième pilier étaient caractérisés par le rôle limité de la CJCE, dont la compétence préjudicielle était subordonnée à une déclaration 429 430 431 Le droit communautaire primaire est composé des traités « fondateurs » des différentes Communautés européennes et de l'Union, ainsi que des traités modificatifs, des protocoles annexés aux traités et des traités d'adhésion de pays. En juin 2008, le processus de ratification du Traité de Lisbonne a rencontré une barrière difficile à franchir: l’Irlande a rejeté le Traité de Lisbonne, en remettant ainsi en question les projets de réformes institutionnelles. Un second référendum a été organisé en octobre 2009 et les Irlandais se sont prononcés pour le Traité de Lisbonne. Cf. Le Monde (2009), Les Irlandais disent « oui » au traité de Lisbonne, 03.10.2009. CRAIG (2008), p. 139 ; MAGANZA (2008), p. 1609. 105 Deuxième partie : le droit de l’UE de chaque Etat. Il est évident qu’une telle structure institutionnelle n’assurait pas l’efficacité du processus des décisions dans les domaines du deuxième et du troisième pilier432. Après le dernier élargissement de l’UE, la règle de l’unanimité compliquait davantage la prise de décisions433. Le Traité d'Amsterdam de 1997, qui a modifié le TCE et le TUE, n’a pas introduit de réformes institutionnelles importantes ; il a pourtant concrétisé la notion d’espace judiciaire pénal européen, en assignant à l’UE l’objectif de créer un « Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice » (ELSJ)434. Cet objectif s’inscrivait dans le cadre du troisième pilier de l’UE, il était donc caractérisé par la méthode intergouvernementale. Le Traité d’Amsterdam a transféré certaines matières du troisième pilier au pilier communautaire, en élargissant ainsi le champ d'application de la méthode communautaire435. Parmi les domaines du troisième pilier qui ont été communautarisés se trouvent le contrôle des frontières extérieures, l’asile, l’immigration et la protection des droits de ressortissants de pays tiers, la coopération judiciaire en matière civile436. Par le biais du Protocole incorporant l'acquis de Schengen dans le cadre de l'UE, les Etats membres signataires des accords de Schengen ont aussi mené leur coopération renforcée concernant l’abolition des frontières intérieures dans le cadre juridique et institutionnel de l’UE. Les domaines de la coopération policière et judiciaire en matière pénale n’ont pas fait l’objet d’une communautarisation et continuaient d’être régis par la méthode intergouvernementale437. Sous le régime du Traité d’Amsterdam, l’UE pouvait adopter quatre catégories d’actes dans le cadre du troisième pilier : des conventions, des décisions cadres, des décisions et des positions communes (article 34, anciennement article K.6). En premier lieu, les conventions constituaient des instruments classiques du droit international, dont la ratification pouvait 432 433 434 DEVUYST (2008), p. 256 ; BAUN (1996), p. 139 ss. Rapport précité (note 19), pp. 22 et 80 ; MANACORDA (2006), p. 881. Selon l’article 2 TUE, l’UE se donne pour objectif « de maintenir et de développer l’Union en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène ». La notion d’espace judiciaire pénal européen a été avancée pour la première fois par le président de la République française M. Valéry Giscard d’Estaing en 1977, lors du Conseil européen de Bruxelles ; cf. ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE (2004), Rapport d'information sur le rapprochement, la reconnaissance mutuelle et l’exécution des sanctions pénales dans l’Union européenne, rapport d'information no 1730, déposé par la Délégation de l'Assemblée Nationale pour 435 436 437 l'Union européenne, 13 juillet 2004, p. 9. FRANÇOIS-PONCET J. (2008) ; pour une analyse complète des réformes introduites par le Traité d’Amsterdam, cf. NEUNREITHER / WIENER (2000); MONAR / WESSELS (2001). Plan d'action du Conseil et de la Commission concernant les modalités optimales de mise en œuvre des dispositions du Traité d'Amsterdam relatives à l'établissement d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, Conseil justice et affaires intérieures, 3 décembre 1998, JO C 19 du 23.1.1999, par. 3. Selon l’article 61(e) TCE, « [a]fin de mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice, le Conseil arrête : […] des mesures dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale visant un niveau élevé de sécurité par la prévention de la criminalité et la lutte contre ce phénomène au sein de l’Union, conformément aux dispositions du TUE ». 106 I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE impliquer des délais considérables ou des réserves438. En deuxième lieu, les décisions cadres constituaient une nouveauté introduite par le Traité d’Amsterdam ; elles ressemblaient aux directives communautaires, en ce qu’elles visaient au rapprochement des législations des Etats membres et liaient les Etats membres quant au résultat à atteindre, tout en leur laissant le choix de la forme et des moyens439. En d’autres termes, elles n'avaient pas d’effet direct. La Commission ne pouvait pas engager une procédure en manquement contre les Etats membres devant la CJCE pour imposer des mesures législatives en vue de la transposition d’une décision cadre440. En troisième lieu, les politiques européennes en matière de JAI pouvaient être déterminées par des décisions à toute autre fin conforme aux objectifs de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, à l'exclusion du rapprochement des législations. Il existait cependant un inconvénient : comme les décisions cadres, les décisions n’avaient pas d’effet direct, contrairement aux règlements et (sous certaines conditions) aux directives. L’absence d’effet direct signifiait que les décisions cadres et les décisions ne créaient pas de droits et d’obligations pour les personnes ; les dispositions ne pouvaient être mises en application que par le biais d’une transposition législative en droit interne. En quatrième lieu, la politique de l'Union en matière de justice et d’affaires intérieures pouvait être déterminée par des positions communes, actes de nature plus politique que juridique. Pour évaluer la mise en œuvre des décisions cadres, la Commission utilisait les mêmes critères que la jurisprudence pertinente de la CJCE utilise pour déterminer dans quelle mesure les Etats membres se sont conformés à une directive. Premièrement, les Etats membres sont tenus de « […] choisir, dans le cadre de la liberté qui leur est laissée […] les formes et moyens les plus appropries en vue d'assurer l'effet utile des directives, compte tenu de l'objet de cellesci »441. Deuxièmement, « il importe que chaque Etat membre donne aux directives une exécution qui corresponde pleinement a l'exigence de sécurité juridique et traduise par conséquent les termes des directives dans des dispositions internes ayant un caractère contraignant »442. Troisièmement, « la transposition n’exige pas nécessairement l’adoption d’une disposition expresse ayant exactement le même libellé; ainsi, un contexte juridique général (tel que celui des mesures déjà existantes) peut être suffisant dès lors que l’application complète de la directive est assurée d'une façon 438 439 440 441 442 KAIAFA-GBANDI (2001), p. 246. CJCE, arrêt Pupino du 16 juin 2005, affaire C-105/03, Rec. 2005, p. I-5285, consid. 33. Selon l’article 35 par. 7 TUE, la CJCE est compétente pour statuer sur tout différend entre Etats membres concernant l'interprétation ou l'application (y compris la transposition) des décisions cadres. La compétence de la CJCE pour statuer sur les dispositions d’une décision cadre est conditionnée à une déclaration d’acceptation de celle-ci de la part de chaque Etat membre. CJCE, arrêt Royer du 8 avril 1976, affaire 48/75, Rec. 1976, p. 497, consid. 73. CJCE, arrêt Commission c. Belgique du 2 décembre 1986, affaire C-239/85, Rec. 1986, p. 3645, consid. 7 ; CJCE, arrêt Commission c. Italie du 1 mars 1983, affaire C-300/81, Rec. 1983, p. 449, consid. 10. 107 Deuxième partie : le droit de l’UE suffisamment claire et précise »443. Enfin, les directives doivent être mises en œuvre dans le délai prévu par elles444. L’efficacité de la coopération judiciaire en matière pénale au sein de l’UE dépendait, à un degré important, de la volonté et de la capacité des Etats membres de transposer les textes dans des délais spécifiques445. Sous le régime du Traité d'Amsterdam, l’adoption de décisions cadres, préconisée en matière de coopération pénale, impliquait les inconvénients déjà mentionnés. Ainsi, les problèmes dans la mise en œuvre de ces textes, en particulier des décisions cadres, n’étaient pas rares446. La Commission pouvait exercer une pression politique sur les Etats membres en vue de cette transposition ; cependant, la mise en œuvre des décisions cadres était inévitablement plus difficile à assurer que celle des instruments du premier pilier communautaire. La prolifération des initiatives de l’UE touchant au développement de l’ELSJ, en particulier en matière de coopération judiciaire pénale, multipliait les problèmes au niveau de la transposition de ces textes et du suivi de leur mise en œuvre. A un certain degré, le principe de l’interprétation conforme aurait pu remédier aux problèmes de mise en œuvre des décisions cadres. En vertu de ce principe, développé par la jurisprudence de la CJCE dans le contexte du premier pilier, le juge étatique doit interpréter le droit national, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité des directives communautaires. Sous le régime du Traité d’Amsterdam, la question qui se posait était de savoir si le même principe s’appliquerait aux décisions cadres adoptées dans le cadre du troisième pilier. Dans l’arrêt Pupino, la CJCE a donné une réponse affirmative à cette question447. La CJCE a examiné la compatibilité des dispositions du code pénal italien avec la décision cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales448. Selon l’arrêt, le caractère contraignant des décisions cadres impliquait une obligation d’interprétation conforme du droit national. Les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité s'opposent 443 444 445 446 447 448 108 Premier rapport de la Commission sur la base de l'article 6 de la décision cadre du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d’argent, l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime, COM (2004) 230 final du 5.4.2004, section 1.2.2. ; CJCE, Commission c. Allemagne du 23 mai 1985, affaire C-29/84, Rec. 1985, p. 1661, consid. 23. CJCE, Commission c. Italie du 26 février 1976, affaire C-52/75, Rec. 1976, p. 277, consid. 10. Voir, généralement, les rapports annuels de la Commission sur le suivi de l'application du droit communautaire, par exemple le rapport COM (2001) 309 final. RINUY (2004), p. 519 ; MONAR (2009), p. 30 et 34. Cf. par exemple les conclusions du rapport de la Commission fondé sur l'article 14 de la décision cadre 2003/577/JAI du Conseil du 22 juillet 2003 relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve, COM (2008) 885 final du 22.12.2008 ; cf. aussi BELFIORE (2008), p. 19 ss. CJCE, arrêt Pupino du 16 juin 2005, affaire C-105/03, Rec. 2005, p. I-5285, consid. 34. Dès lors qu’il s’agissait de l’interprétation d’une décision cadre, la CJCE n’aurait pas pu fonder sa compétence, sans la déclaration d’acceptation de celle-ci de la part de l’Etat membre concerné, c’est-à-dire l’Italie (consid. 20) ; WEYEMBERGH, in BRAUM / WEYEMBERGH (2009), p. 48 ss. JO L 82 du 22.3.2001, p. 1. I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE à ce que le principe d'interprétation conforme puisse conduire à déterminer ou à aggraver la responsabilité pénale ; le principe d'interprétation conforme ne peut pas non plus conduire à fonder une interprétation contra legem du droit national449. Néanmoins, s’agissant de l’interprétation d’une décision cadre, la CJCE ne pouvait pas fonder sa compétence, sans la déclaration d’acceptation de cette compétence de la part de l’Etat membre concerné. D’ailleurs, à la suite de l’arrêt Pupino les Etats membres hésitaient à adopter des textes que la CJCE pourrait interpréter de manière à mettre en doute les standards du droit interne450 ; cela explique peut-être l’échec de la proposition de décision cadre de la Commission relative aux garanties procédurales accordées aux personnes mises en cause dans les procédures pénales451. Un autre problème qui se posait sous le régime du Traité d'Amsterdam était celui de la répartition des compétences de l’UE en matière pénale entre le premier et le troisième pilier. Le droit pénal en tant que tel ne fait pas partie des politiques communautaires, et les Etats membres n’ont pas transmis à l’UE leurs compétences quant à la répression de la criminalité452 ; cependant, certaines initiatives de l’UE peuvent relever du droit pénal. Dans ce cas, la question se posait de déterminer quelle serait la base juridique de ces initiatives sous le régime du Traité d’Amsterdam453. Les dispositions du premier pilier avaient servi de base juridique pour l’adoption des instruments contre le blanchiment d’argent. Les trois directives communautaires adoptées dans ce domaine visent à la protection du système financier contre les détournements, ce qui assure ultérieurement le bon fonctionnement du marché intérieur454. Ce dernier objectif faisait partie du premier pilier du TUE 449 450 451 452 453 454 Cf. aussi CJCE, arrêt Pfeiffer e.a. du 5 octobre 2004, affaires jointes C-397/01 à C-403/01, Rec. 2004, p. I8835, consid. 115 ; contrairement à l’arrêt Pupino (contexte pénal), l’arrêt Pfeiffer (contexte civil) permet que le principe d'interprétation conforme puisse conduire à la non-application des dispositions nationales; SAWYER (2007), p. 174. MITSILEGAS (2006), p. 1307. COM (2005) 696 final du 23 décembre 2005 KAIAFA-GBANDI (2001), p. 248 ; LARSEN, in BRAUM / WEYEMBERGH (2009), p. 13 ss. CJCE, arrêt Commission c. Conseil du 13 septembre 2005, affaire C-176/03, Rec. 2005, p. I-7879. Cet arrêt de la CJCE a mis en lumière le problème de la répartition des compétences de l’UE en matière pénale entre le premier et le troisième pilier. L’affaire portait sur l’annulation de la décision cadre 2003/80/JAI du Conseil du 27 janvier 2003 relative à la protection de l'environnement par le droit pénal. L’objectif de cette initiative était d’imposer aux Etats membres l'obligation de prescrire des sanctions pénales contre les auteurs d'infractions commises au détriment de l'environnement. Selon les arguments de la Commission, qui avait demandé l’annulation de la décision cadre, la base juridique invoquée par le Conseil des ministres était incorrecte : au lieu de l'article 29 du titre VI TUE (troisième pilier), le Conseil devrait utiliser l'article 175, paragraphe 1 du titre XIX TCE (premier pilier) en tant que base juridique. La Cour a annulé la décision cadre, en adoptant les arguments de la Commission. Cf. STUBBS / Jager, in BRAUM / WEYEMBERGH (2009), p. 25 ss. Directive 91/308/CEE du Conseil, du 10 juin 1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, JO L 166 du 28.6.1991, p. 77. Cette première directive a mis en place un cadre de lutte contre le blanchiment au niveau des établissements de crédit et des institutions financières. Elle a été modifiée par la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil, JO L 344 du 28.12.2001, p. 76. Elle a enfin été abrogée par la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, JO L 309 du 25.11.2005. Cette directive tient compte des recommandations du GAFI révisées en 2003 ; cf. Gilmore (2005), p. 213. 109 Deuxième partie : le droit de l’UE et constituait la base juridique pour l’adoption des directives en question455. D’autre part, les dispositions du troisième pilier avaient fourni à l’UE la base juridique pour l’adoption de plusieurs instruments facilitant la coopération judiciaire pénale, comme les instruments relatifs au gel et à la confiscation des produits d’infractions, que nous examinerons ultérieurement456. Le Traité de Nice, signé le 26 février 2001 et entré en vigueur le 1er février 2003457, n’a pas apporté de réformes importantes458 présentant un intérêt particulier pour l’ELSJ, excepté le fait que l’article 31 TUE a été complété avec la mention et la description des tâches d’Eurojust459. Par contre, le projet de « Traité établissant une Constitution pour l'Europe »460 contenait des dispositions beaucoup plus importantes que celles du Traité de Nice. Par exemple, l’article 111-158 du projet permettait à l’UE d'exercer des compétences dans l'ensemble des domaines de l’ELSJ, dont la coopération judiciaire en matière pénale. Comme le résume F. Falletti461, « le projet de Constitution prévoit que la matière pénale donnerait lieu à des lois européennes adoptées non plus à l’unanimité, mais à une majorité des Etats Membres ; ces lois auraient notamment pour objet de pousser à l’harmonisation des incriminations et à un rapprochement des règles de procédure pénale pour faciliter les mécanismes de l’entraide ». La « communautarisation » de la coopération judiciaire en matière pénale était également prévue à l’article 42 TUE, mais il s’agissait d’une communautarisation facultative : le Conseil, statuant à l’unanimité sur l’initiative de la Commission ou d’un Etat membre et après consultation du Parlement européen pourrait décider de transférer dans le premier pilier communautaire, tout ou partie de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Ensuite, les Etats membres devraient ratifier cette décision, conformément aux règles du droit interne. Ce processus pourrait relever du référendum ou de la révision constitutionnelle dans certains Etats membres. Dans plusieurs résolutions462, le Parlement européen a soutenu l’idée de faire usage de cette « clause passerelle ». Une telle évolution accélérerait considérablement le processus d’harmonisation des normes en matière de coopération pénale : elle permettrait l’adoption d’instruments plus contraignants et dotés d’effet direct (directives et règlements) ; une telle 455 456 457 458 459 460 461 462 110 MITSILEGAS / GILMORE (2007), p. 135 ss ; KAIAFA-GBANDI (2001), p. 247 ss. Voir p. 122 ss de la présente étude. JO C 80 du 10.3.2001, p. 1 ; le Traité de Nice et l'élargissement ont été rejetés par les Irlandais lors du référendum de juin 2001 en Irlande. Le traité a été ratifié après un second référendum en 2002. Pour une analyse du Traité de Nice cf. GALLOWAY (2001). Voir p. 160 ss de la présente étude. Projet signé à Rome le 29 octobre 2004 ; pour une analyse des dispositions de ce projet cf. DONY / BRIBOSIA (2005), in toto ; COUSSENS / DEHOUSSE (2003), in toto. FALLETTI (2005), p. 559. Résolution du Parlement européen du 14 octobre 2004, JO C 166 E du 7.7.2005, p. 58. Voir aussi résolution du Parlement européen sur les progrès enregistrés par l'UE dans la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ) (articles 2 et 39 TUE), P6_TA-PROV(2006)0525. I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE évolution renforcerait également le rôle de la Commission (possibilité d’engager une action en manquement) et de la CJCE (compétence préjudicielle sans restrictions). L’UE n’a finalement pas fait usage de la « clause passerelle »463. Le Traité de Lisbonne constitue évidemment l’évolution la plus importante des dernières années dans les domaines de l’ELSJ464. Le nouveau traité, la réponse de l’UE à l’échec du projet de Traité constitutionnel européen465, a été signé le 13 décembre 2007 après plusieurs années de négociations et est entré en vigueur le 1er décembre 2009. Le Traité de Lisbonne est loin d’être un « mini-traité » ou un traité « simplifié », comme le Président français N. Sarkozy voulait le qualifier, dès lors qu’il comporte de nombreuses modifications des traités existants et, contrairement au Traité constitutionnel européen, il n’est pas un texte facilement lisible466. L’ancienne structure en trois « piliers » est supprimée sous le régime du Traité de Lisbonne467. L’UE se substitue et succède à la CE468. La PESC a maintenu son caractère intergouvernemental; cependant, la coopération policière et la coopération judiciaire en matière pénale ont été intégrées dans le régime de l’Union469. Les dispositions du Titre VI TUE (coopération policière et judiciaire en matière pénale) ont été fusionnées avec les dispositions du Titre IV TCE (visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes). Le nouveau Titre V, troisième partie TFUE signale donc un retour à la normalité pour la coopération dans les domaines de l’ELSJ, exclue jusqu’à présent de la méthode communautaire. Ce nouveau titre constitue la base juridique « unifiée » pour l’adoption d’instruments communautaires dans ces domaines470, ce qui remédie aussi au problème de la répartition des compétences déjà mentionné471. Un régime d’« opt out » à la coopération policière et la coopération judiciaire pénale est prévu pour le Royaume-Uni et l’Irlande472, avec tous les tensions et dysfonctionnements qu’une telle différenciation peut provoquer473. Le Danemark bénéficie aussi 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 Rapport précité (note 19), p. 84. FONDATION ROBERT SCHUMAN (2007), Le Traité de Lisbonne expliqué en 10 fiches, décembre 2007, disponible sur http://www.robert-schuman.eu/. HAENEL (2007), p. 6. MAGANZA (2008), p. 1606 ; cf. aussi ATTAC FRANCE (2008), Congrès de Versailles : Attac condamne le passage en force du Traité de Lisbonne approuvé aujourd'hui par les parlementaires, article publié le 04.02.2008, disponible sur http://france.attac.org/. KADDOUS (2007), p. 608 ; MAGANZA (2008), p. 1606. Cependant, la Communauté européenne de l'énergie atomique n’a pas été supprimée. JAAG (2008), p. 31. DOUGAN (2008), p. 680. Voir p. 109 de la présente étude. Protocole (n° 21) au Traité de Lisbonne sur la position du Royaume-Uni et de l'Irlande à l'égard de l'Espace de liberté, de sécurité et de justice. Ces pays peuvent toujours décider de participer à une mesure spécifique du Titre V (« opt out / opt in ») LARAT (2009), p. 12. 111 Deuxième partie : le droit de l’UE d’une clause de non-participation, avec une obligation d’adopter toutes les mesures liées à Schengen que son statut de membre lui impose474. Le retour à la normalité dans les domaines de l’ELSJ est donc combiné avec une coopération à géométrie variable entre les Etats membres. En laissant de côté les questions institutionnelles475, il faut noter que le Traité de Lisbonne opère une classification précise des compétences des Etats membres et de l'UE. Les compétences dans l’ELSJ sont partagées entre l’UE et les Etats membres (article 4 let. j TFUE). Selon l’art 2 par. 2 TFUE, dans les domaines où une telle compétence partagée est prévue, l’UE et les Etats membres peuvent légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants. Les Etats membres exercent leur compétence dans la mesure où l'Union n'a pas exercé la sienne ou a décidé de cesser de l'exercer. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l'exercice de ces compétences, conformément à l’article 5 TUE. La procédure législative ordinaire devient la règle dans les domaines de l’ancien troisième pilier476. Dans ces domaines, le Traité de Lisbonne opte pour la procédure codécisionnelle, qui met en valeur le rôle du Parlement européen, parce qu’elle lui permet d'adopter la législation communautaire en partenariat avec le Conseil des ministres477. Le Conseil n’adopte plus d’instruments à l’unanimité, mais à la majorité qualifiée478. Parmi les spécificités prévues dans ces domaines, le Traité de Lisbonne reconnaît un droit d'initiative partagé entre la Commission européenne et au moins un quart des Etats membres479. Il est positif de noter que le nouveau traité a combiné l’action au niveau européen avec le renforcement du contrôle démocratique exercé par le Parlement européen et les parlements nationaux (article 12 let. c TCE). En ce qui concerne le contrôle judiciaire exercé par la CJCE, le champ d’intervention de la la Cour en matière de coopération pénale et policière a été élargi480. 474 475 476 477 478 479 480 112 MONAR (2009), p. 20 ss. Les dispositions du Traité de Lisbonne renforcent le rôle du Parlement européen et des parlements nationaux ; sur cette question voir : Ventrella (2008), p. 244. Le rôle du Conseil européen est également renforcé, dès lors qu’il définit « les orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice » ; article 61A TFUE. Dans une telle structure institutionnelle, la Commission doit travailler dans le cadre de la programmation législative et opérationnelle du Conseil européen, institution de nature purement intergouvernementale ; DEVUYST (2008), p. 315. Article 82 par. 1 et 2 TFUE ; DOUGAN (2008), p. 681 ; MAGANZA (2008), p. 1611 ss. Certes, il y a des exceptions, comme l’article 86(1) TFUE, selon lequel la décision pour l’institution d’un Parquet européen est soumise à la règle de l’unanimité. Si l’unanimité ne peut pas être assurée, une coopération renforcée peut être lancée. La légitimité démocratique de l'UE dans ces domaines a donc été améliorée ; rapport précité (note 19), p. 22 ; MAGANZA (2008), p. 1611. Une tendance en faveur de la majorité qualifiée caractérise le Traité de Lisbonne ; cf. DEVUYST (2008), p. 284 ; MONAR (2009), p. 32. Néanmoins, le recours à la majorité qualifiée risque d’être problématique, « if […] some countries feel that they are being ridden roughshod over » ; rapport précité (note 19), p. 82. JAAG (2008), p. 34. PEERS (2006), ch. 2 ; DOUGAN (2008), p. 681; WeyeMbergh / RICCI, in BRAUM / WEYEMBERGH (2009), p. 229 ss. I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE Le Traité de Lisbonne a étendu les compétences de l'Union en matière pénale481 et a consacré le principe de la reconnaissance mutuelle (article 82 TFUE). Selon l’article 82 par. 1 TFUE, des mesures peuvent être prises, conformément à la procédure législative ordinaire, visant « a) à établir des règles et des procédures pour assurer la reconnaissance, dans l'ensemble de l'Union, de toutes les formes de jugements et de décisions judiciaires; […] d) à faciliter la coopération entre les autorités judiciaires ou équivalentes des États membres dans le cadre des poursuites pénales et de l'exécution des décisions ». Cette disposition est très pertinente, car l’entraide à des fins de confiscation fait indubitablement partie des mesures visées. La référence explicite au principe de la reconnaissance mutuelle est une nouveauté du Traité de Lisbonne. Ce principe fera l’objet d’analyse dans une section séparée482. Le principe de reconnaissance mutuelle avait aussi été employé lors de l’élaboration des normes dans le cadre du troisième pilier483 ; le Traité de Lisbonne est pourtant le premier instrument de droit européen primaire qui énonce expressément ce principe. Par ailleurs, le Traité de Lisbonne a abordé le problème de la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontalière. Ainsi, le Parlement européen et le Conseil des ministres, à la majorité qualifiée, peuvent adopter des règles minimales (directives) définissant les infractions et les sanctions pour un certain nombre d’infractions (terrorisme, trafic de drogue et d’armes, blanchiment d’argent, exploitation sexuelle des femmes, criminalité informatique, etc.) revêtant une dimension transfrontière. La liste d’infractions n’est pas exhaustive et peut être élargie suivant la procédure prévue à l’article 83 par. 1 TFUE484. L’article 83 par. 2 TFUE fournit une deuxième base juridique pour le rapprochement des législations pénales, si celui-ci s’avère indispensable pour mettre en oeuvre une politique de l’Union dans un domaine ayant fait l’objet de mesures d’harmonisation485. La définition de « sanctions » au sens de l’article 83 TFUE ne se limite aux peines privatives de liberté et aux peines pécuniaires mais couvre également la confiscation. Néanmoins, même si nous admettons que « mutual recognition is reaching its limits as a fundamental principle of co-operation »486, le rapprochement des dispositions en matière de confiscation constitue, à notre avis, un projet trop ambitieux. 481 482 483 484 485 486 JAAG (2008), p. 35 ; il faut, cependant, noter que « [Justice and Home Affairs] issues are very closely tied up with national sovereignty, and each state’s ability to determine its own laws and manage its justice system » ; rapport précité (note 19), p. 22. Voir p. 115 ss de la présente étude. PEERS (2008), p. 511. Décision du Conseil prise à l’unanimité après approbation du Parlement européen. Cette disposition vise à remédier aux conflits entre la Commission et le Conseil au sujet de la base juridique de certaines initiatives (voir arrêt cité, n. 453) ; GILLIAUX (2007), p. 41. Rapport précité (note 19), p. 26. 113 Deuxième partie : le droit de l’UE Deux autres éléments importants peuvent avoir un impact sur le droit européen en matière de confiscation. En premier lieu, le Traité de Lisbonne a donné une valeur légale à la Charte des Droits Fondamentaux487, annexée au traité sous la forme d’une déclaration ; la Charte a donc obtenu une force juridique contraignante pour les Etats membres488. En raison de l’adoption de cette liste de droits juridiquement contraignante, la conformité des instruments de l’UE avec les droits fondamentaux fera plus souvent l’objet de contestations et d’examen juridique489. En deuxième lieu, le nouveau traité a ouvert la voie pour que l’UE adhère à la CEDH. Certes, une telle adhésion n’est pas obligatoire. Elle pose également des problèmes juridiques et pratiques qui doivent être surmontés, comme par exemple la collaboration entre la Cour EDH à Strasbourg et la CJCE à Luxembourg. Une adhésion de l’UE à la CEDH, combinée avec l’entrée en vigueur de la Charte des Droits Fondamentaux, mentionnée ci-dessus, permettra à la CJCE de faire respecter la protection des droits fondamentaux en matière de droit procédural pénal, s’appuyant sur une base juridique très solide490. La CJCE sera éventuellement appelée à examiner la conformité du droit dérivé en matière de confiscation avec la Charte et la CEDH. Le Conseil a déjà adopté un mandat de négociation relatif à l'adhésion de l'UE à la CEDH491. L’article 75 TFUE ouvre la voie à l’établissement de mécanismes de gel véritablement européens. Son champ d’application couvre la prévention du terrorisme et des activités connexes. Dans ce contexte, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, « définissent un cadre de mesures administratives concernant les mouvements de capitaux et les paiements, telles que le gel des fonds, des avoirs financiers ou des bénéfices économiques qui appartiennent à des personnes physiques ou morales, à des groupes ou à des entités non étatiques, [qui] sont en leur possession ou sont détenus par eux ». Les mesures de mise en œuvre de ce cadre juridique sont adoptées par le Conseil, sur proposition de la Commission. Selon la même disposition, les actes et les mesures visés doivent contenir les dispositions nécessaires en matière de garanties juridiques. La jurisprudence de la CJCE concernant les actes pris dans le cadre de la lutte contre le 487 488 489 490 491 114 KADDOUS (2007), p. 609 Le Royaume-Uni et la Pologne ont bénéficié d’une dérogation quant à son application. CRAIG (2008), p. 164. Il s’agit d’un « processus positif d’osmose » entre les instruments de l’UE et du Conseil de l’Europe ; CATALANO (2005), p. 172. CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE (2009), Projet de programme de dix-huit mois du Conseil, Note des futures présidences espagnole, belge et hongroise au Coreper/Conseil, Bruxelles, le 27 novembre 2009, p. 74 ; cf. aussi CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE (2009), Le programme de Stockholm : une Europe ouverte et sûre au service des citoyens, Annexe III aux Conclusions du Conseil, DOC/09/6, 11.12.2009, par. 2.1 ; en ce qui concerne les négotiations, voir : Note from Presidency to COREPER/Council, Accession of the European Union to the European Convention on Human Rights, document 6582/10 du 17.02.2010. I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE terrorisme avait affirmé cette exigence, même avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne492. En vertu du Protocole sur les dispositions transitoires493, les effets juridiques des actes adoptés sur la base du TUE avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne sont préservés aussi longtemps que ces actes n'auront pas été abrogés, annulés ou modifiés en application des traités. En vertu de l’article 10 du Protocole, un régime transitoire est mis en place concernant le pouvoir d’examen de la CJCE dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale. Ainsi, la Commission peut dans un délai de cinq ans (soit au 1er janvier 2014) introduire des recours en manquement concernant les mesures relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale prises avant l’entrée en vigueur du Traité. Les Etats membres ne pourront donc pas être sanctionnés durant ce délai. Le Royaume-Uni a conservé la faculté de ne pas être soumis au contrôle de la CJCE, même à l’expiration du délai494. Nous considérons que l’UE doit profiter de la période de transition pour procéder au réexamen des décisions cadres existantes, en vue de leur modernisation et consolidation. 2. L’évolution du principe de reconnaissance mutuelle en matière de coopération judiciaire pénale La méthode de la reconnaissance mutuelle s’est affirmée progressivement comme « clé de voûte » de l’ELSJ, alors que les efforts pour le rapprochement substantiel semblent être moins intenses495. La notion de reconnaissance mutuelle n’est ni une nouveauté ni une originalité du troisième pilier ; la notion a d’abord été développée par la CJCE, en particulier sa jurisprudence en matière de libre circulation des marchandises (arrêt Cassis de Dijon496). La reconnaissance mutuelle est une forme d’extraterritorialité, car l’autorité d’un Etat s’exerce ainsi sur le territoire d’un Etat étranger ; cependant, il s’agit d’une forme d’extraterritorialité sur une base réciproque, négociée et institutionnalisée497. La reconnaissance mutuelle constitue une condition 492 493 494 495 496 497 Voir p. 179 ss de la présente étude. cf. Protocole (n° 36) au Traité de Lisbonne sur les dispositions transitoires (Titre VII Dispositions transitoires relatives aux actes adoptés sur la base des titres V et VI du Traité sur l'Union européenne avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne). Si le Royaume-Uni recourt à cette faculté, toutes les mesures concernant la coopération policière et la coopération judiciaire en matière pénale cessent de lui être applicables ; cf. Protocole précité (note 493), article 10 par. 4 ; HAENEL H. (2007), p. 6. MANACORDA (2006), p. 881 ss. CJCE, arrêt Cassis de Dijon du 20 février 1979, affaire 120/78, Rec. 1979, p. 649. Dans un contexte commercial, le principe oblige les Etats membres de l'UE de reconnaître mutuellement leurs réglementations, ainsi que les produits légalement commercialisés dans l'un des Etats membres puissent être commercialisés dans tous les autres Etats membres. Voir aussi FICHERA / JANSSENS (2007), p. 179. NIKOLAIDIS / SHAFFER (2005), p. 277. 115 Deuxième partie : le droit de l’UE implicite pour le bon fonctionnement de tout système économique ou politique intégré et pluraliste498. L’UE étant un tel système, le principe de la reconnaissance mutuelle peut être utile à plusieurs domaines, dont la lutte contre la criminalité. Dans le cadre de l’ELSJ, il implique l’assimilation aux décisions judiciaires nationales de toutes les décisions rendues dans les autres Etats membres, ce qui est radicalement différent du mécanisme classique appliqué en matière d’entraide judiciaire499. Une telle libre circulation des décisions pénales va logiquement de pair avec la disponibilité de l’information en matière répressive, qui assure la libre circulation des informations. Il faut ici distinguer entre l'application directe (la décision a un effet plein et direct dans toute l'UE) et celle indirecte (la décision étrangère doit être convertie en une décision nationale). L’UE opte pour le modèle de l’application directe des décisions500. Une telle application du principe de la reconnaissance mutuelle correspond vraiment à une « forme particulièrement avancée d’intégration politique »501. L’idée d’une reconnaissance mutuelle des jugements en matière pénale a vu le jour au Conseil européen de Cardiff les 15 et 16 juin 1998502 et a été admise pleinement par le Conseil européen de Tampere les 16 et 17 octobre 1999. Dans les conclusions de ce Conseil européen, les Etats membres de l’UE ont souligné l’importance de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, en la caractérisant comme la « pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l’Union »503. La reconnaissance mutuelle des décisions en matière pénale a le soutien de la Commission européenne504. Quant à la jurisprudence de la CJCE, nous pouvons mentionner l’arrêt rendu en la matière dans les affaires Gözütok et Brüggem (2003), où la Cour a souligné l’importance de la « confiance mutuelle des Etats Membres dans leurs systèmes judiciaires respectifs » et a reconnu que chaque Etat membre doit accepter l’application du droit pénal en vigueur dans les autres Etats membres, « quand bien même la mise en œuvre de son propre droit 498 499 500 501 502 503 504 116 NIKOLAIDIS / SHAFFER (2005), p. 317. BARBE (2005), p. 107. Cf. Communication de la Commission au Conseil et au Parlement sur la reconnaissance mutuelle des décisions finales en matière pénale, COM (2000) 495 du 26.7.2000 LARAT (2009), p. 10. La question se pose aussi de savoir si la reconnaissance mutuelle doit être limitée aux infractions graves ; si l'exigence de la double incrimination doit être maintenue comme condition de reconnaissance ; si des mécanismes de protection des droits des tiers et des victimes doivent être établis ; si les motifs de refus de la reconnaissance doivent être limités ou élargis, etc. Conclusion n° 39 de la Présidence. Les conclusions du Conseil européen de Tampere ont constitué la base pour l’adoption par le Conseil du programme de reconnaissance mutuelle en matière pénale (JO C 12 du 15.1.2001, p. 10), visant l’ensemble des décisions susceptibles d’être prises dans le cadre de la procédure pénale, aussi bien les décisions finales, que les décisions préalables au jugement. Cf. Communication de la Commission (note 500) ; Cf. aussi Livre Vert de la Commission sur le rapprochement, la reconnaissance mutuelle et l’exécution des sanctions pénales dans l’Union européenne, COM (2004) 334 final du 30.04.2004. I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE national conduirait à des solutions différentes »505. Une attitude généralement positive à l’égard de la reconnaissance mutuelle peut aussi être mise en évidence dans la jurisprudence des cours constitutionnelles des Etats membres506. La mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale a fait partie des objectifs du programme de La Haye (20052009) et du programme de Stockholm (2010-2014)507. Nous constatons donc une prolifération de programmes et de plans d’action, mais il reste à examiner s’il y a un progrès concret vers la réalisation des objectifs énoncés. Acceptant que le principe de reconnaissance mutuelle doit s'appliquer à tous les stades de la procédure pénale, l’UE a élaboré des instruments spécifiques concernant la procédure pénale, depuis la phase préparatoire et jusqu’au procès et la phase d'exécution des peines et des mesures508. La reconnaissance mutuelle de décisions finales semble être plus facile, car ces décisions s’entourent de plus de garanties procédurales ; selon d’autres arguments, il est plus facile de reconnaître les décisions de la phase préparatoire, dès lors que leur portée et leurs conséquences sont limitées509. L’UE semble utiliser les mêmes standards, en particulier les mêmes motifs de refus, pour les deux catégories de décisions. La décision cadre 2002/582/JAI relative au mandat d’arrêt européen510 a concrétisé et mis en application le principe de reconnaissance mutuelle dans la phase préalable au procès511. Elle vise à la simplification des procédures d’extradition traditionnelles, en instaurant une simple procédure judiciaire de remise pour quasiment tous les types de criminalité512. La décision cadre 2002/582/JAI est une initiative réussie513 et a été suivie par d’autres qui consacrant le principe de la reconnaissance mutuelle (p.ex. la décision cadre 505 506 507 508 509 510 511 512 513 CJCE, arrêts Gözütok et Brügge du 11 février 2003, affaires C-187/01 et C-385/01, Rec. 2003, p. I-1345, consid. 33 ; FICHERA / JANSSENS (2007), p. 192 ss. VERNIMMEN-VAN TIGGELEN / SURANO (2008), p. 15 et les arrêts cités. CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENE (2004), Le Programme de la Haye: renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l'Union européenne, Annexe I aux Conclusions de la Présidence du Conseil Justice et affaires intérieures, Bruxelles, 4 et 5 novembre 2004 ; rapport précité (note 19), p. 24 ss ; CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE (2009), Le programme de Stockholm : une Europe ouverte et sûre au service des citoyens, Annexe III aux Conclusions du Conseil, DOC/09/6, 11.12.2009, par. 3.1. JÉGOUZO (2006), p. 99. Vernimmen-Van Tiggelen / Surano (2008), p. 10. Décision cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, JO L 190 du 18.7.2002, p. 1 ss. Sur la jurisprudence de la CJCE et des cours nationales, voir : BOT, in BRAUM / WEYEMBERGH (2009), p. 67 ss. BARBE (2005), p. 112 ; BANTEKAS (2007), p. 376. VENTRELLA (2008), p. 227 ; contrairement à l’extradition traditionnelle, la demande est traitée par les autorités judiciaires et pas par des autorités administratives (article 6). La décision cadre relative au mandat d’arrêt européen a limité l’importance de l’exception de la nationalité et a aboli le principe de la double incrimination, motif de refus classique dans le domaine de l’extradition (article 2). Cela a initié un débat sur la compatibilité de l’abolition de l’exigence de double incrimination avec les règles constitutionnelles de certains Etats membres de l’UE ; VERNIMMEN-VAN TIGGELEN / SURANO (2008), p. 9 ; cf. notamment l’arrêt de la Cour Constitutionnelle de la République Tchèque, n° Pl. Us. 66/04 du 03.05.2006. EUROPEAN COMMISSION (2009), An extended report on the evaluation of the Hague Programme, SEC (2009) 766 final, 10.06.2009, p. 88 ss ; rapport précité (note 19), p. 48. 117 Deuxième partie : le droit de l’UE relative à l’application du principe de la reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires514, etc.). En ce qui concerne notre thème d’étude, l’UE a adopté des instruments visant à assurer la reconnaissance mutuelle des mesures provisoires et des décisions de confiscation (p. ex. les décisions cadres 2003/577/JAI, la décision cadre 2006/783/JAI et, plus récemment la décision cadre 2008/978/JAI)515. La question se pose de savoir si, en général, ces initiatives pourraient aboutir à l’adoption d’un instrument unique de reconnaissance mutuelle. La proposition est intéressante, dès lors qu’elle réoriente la philosophie de la coopération judiciaire en matière pénale : le système actuel d'entraide dans son ensemble pourrait être remplacé par un système fondé sur la reconnaissance mutuelle. Le Traité de Lisbonne, en particulier l’article 82 TFUE, a consacré le principe de la reconnaissance mutuelle, qui devient ainsi un objectif de la coopération judicaire pénale consacré par le droit primaire de l’UE. La communautarisation du troisième pilier permettra de mettre en œuvre le principe de la reconnaissance mutuelle par le biais des instruments plus contraignants et dotés d’effet direct ; le renforcement du rôle de la Commission, en particulier la possibilité d’engager une action en manquement, assurera une mise en œuvre plus efficace des instruments qui consacrent le principe de la reconnaissance mutuelle. En effet, les systèmes fondés sur la reconnaissance mutuelle nécessitent la mise en place de mécanismes de suivi, évaluation ou contrôle, au niveau supranational516 ; une telle fonction peut être assurée par la Commission et la CJCE. A notre avis, le développement du principe de la reconnaissance mutuelle risque d’être problématique, à moins qu’il se fasse dans le respect des droits fondamentaux et des garanties procédurales dans le pays requis517. En reconnaissant la décision étrangère, l’Etat d’exécution ne doit pas apporter son soutien à une violation des droits fondamentaux, commise dans l’Etat d’émission. Il y a, cependant, un risque : le principe de reconnaissance mutuelle peut être remis en cause par des dispositions qui subordonnent l’exécution de la décision judiciaire à la vérification préalable de sa conformité aux droits fondamentaux. Des dispositions qui exigent ou permettent cette vérification risquent de réintroduire le contrôle du juge de l’Etat d’exécution sur la 514 515 516 517 118 JO L 76 du 22.03.2005, p. 16. Pour une analyse de ces trois instruments, voir p. 140 ss, p. 148 ss et p. 153 ss de la présente étude. NIKOLAIDIS / SHAFFER (2005), p. 277 DE BIOLLEY, in BRAUM / WEYEMBERGH (2009), p. 319 ; NILSSON (2005), in toto. FICHERA / JANSSENS (2007), p. 185. Des préoccupations de ce type se trouvent à l’origine d’initiatives comme la proposition de décision cadre de la Commission relative aux garanties procédurales accordées aux personnes mises en cause dans les procédures pénales ; COM (2005) 696 final du 23 décembre 2005. Cette proposition, qui a fait l’objet de plusieurs critiques, en particulier en ce qui concernait sa base juridique, n’a pas abouti ; MITSILEGAS (2006), p. 1304 ss. I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE décision rendue dans l’Etat membre d’émission, ce qui annulerait en pratique le processus de reconnaissance mutuelle qui pourrait être développé518. Les précautions prises par les Etats membres de l’UE en matière de droits fondamentaux, en tant que mesures compensatoires de la reconnaissance mutuelle, démontrent un certain manque de confiance mutuelle519. Il faut pourtant retenir que les cas de refus de la reconnaissance sur la base des droits fondamentaux sont extrêmement limités, puisque les autorités judiciaires ne font qu’un usage marginal de la possibilité de contrôler le respect de ces droits520. 3. La coopération judiciaire pénale dans l’espace Schengen L’accord de Schengen de 1985, complété par la Convention d'application de l’accord de Schengen de 1990 (CAAS)521, abolit les contrôles d'identité systématiques aux frontières communes des Etats participants et crée un territoire sans frontière appelé « espace Schengen »522. Ces accords ont été intégrés dans le cadre juridique et institutionnel de l’UE par le Traité d'Amsterdam, qui incorpore l’ « acquis de Schengen »523 et le soumet au contrôle parlementaire et juridictionnel. L’espace et la coopération Schengen sont des 518 519 520 521 522 523 Rapport précité (note 434), p. 44. La création d’un mécanisme d’évaluation mutuelle de la justice, suivant la logique de l’article III-161 du projet de la Constitution européenne pourrait renforcer la confiance des Etats membres de l’UE en matière de droits fondamentaux et promouvoir ainsi le principe de la reconnaissance mutuelle ; DE KERCHOVE / WEYEMBERGH (2004), p. 147 ss. VERNIMMEN-VAN TIGGELEN / SURANO (2008), p. 10. Nous considérons comme positive l’adoption de la Décision cadre 2009/299/JAI du Conseil du 26 février 2009 portant modification des décisions cadres 2002/584/JAI, 2005/214/JAI, 2006/783/JAI, 2008/909/JAI et 2008/947/JAI, renforçant les droits procéduraux des personnes et favorisant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions rendues en l’absence de la personne concernée lors du procès, JO L 81 du 27.03.2009, p. 24 ss ; cf. rapport précité (note 19), p. 57. Convention d'application de l'Accord de Schengen (CAAS) du 14 juin 1985 entre les gouvernements des Etats de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, JO L 239 du 22.09.2000, p. 19. Au cœur de l'accord Schengen se trouve le Système d'information de Schengen (SIS). Il s'agit d'une banque de données qui facilite la coopération policière et judiciaire, en accélérant la transmission d'informations sur les personnes et objets recherchés par la police. L’« acquis de Schengen » comprend l'accord signé le 14 juin 1985, la convention d'application de cet accord signée le 19 juin 1990, les protocoles et accords d'adhésion qui ont suivi, les décisions et déclarations adoptées par le Comité exécutif institué par la CAAS de 1990, ainsi que les actes adoptés en vue de la mise en œuvre de la convention par les instances auxquelles le Comité exécutif a conféré des pouvoirs de décision. 119 Deuxième partie : le droit de l’UE concepts à géométrie variable524 ; la Suisse est devenue membre de l’espace Schengen en 2008525. En matière d'entraide judiciaire, les articles 48 à 66 CAAS facilitent l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats européens, en complétant la CEEJ ). Selon son article 48 par. 2, la CAAS n'affecte pas l'application des dispositions plus larges des accords en vigueur entre les Etats Parties. En laissant de côté les dispositions des articles 59 ss CAAS en matière d’extradition, les cas particuliers d’entraide « accessoire » prévus à l’article 49 CAAS526 et les questions techniques réglées par l’article 52 CAAS527, nous allons mettre l’accent sur l’article 50 CAAS et l’article 51 CAAS. L’article 50 CAAS prévoit que l'entraide doit être accordée en matière d'accises, de TVA et de douanes ; l’entraide en matière de fiscalité directe n’est donc pas couverte. L’entraide prévue à l’article 50 CAAS est soumise au principe de la spécialité (50 par. 3 CAAS) ; la possibilité de refus d’entraide pour les cas de peu d’importance est aussi prévue (50 par. 4 CAAS). Selon l'article 51 CAAS, qui modifie la portée de l’article 5 CEEJ528, ainsi que la portée des réserves des Etats membres, la recevabilité des commissions rogatoires aux fins de perquisition et de saisie ne peut être subordonnée qu’à deux conditions : « a) le fait qui a donné lieu à la commission rogatoire est punissable selon le droit des deux Parties Contractantes d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté restreignant la liberté d'un maximum d'au moins six mois, ou punissable selon le droit d'une des deux Parties Contractantes d'une sanction équivalente et selon le droit de l'autre Partie Contractante au titre d'infraction aux règlements poursuivie par des autorités administratives dont la décision peut donner lieu à un recours devant une juridiction compétente notamment en matière pénale; b) l'exécution de la commission rogatoire est compatible avec le droit de la Partie Contractante requise ». L’article 51 CAAS retient donc la condition de double incrimination529. Les mesures prévues à l’article 51 CAAS sont susceptibles de conduire à la levée du secret bancaire. 524 525 526 527 528 529 120 L'Irlande et le Royaume-Uni ne participent pas à toutes les dispositions de l'acquis de Schengen ; le Danemark a aussi une position particulière, régie par les dispositions pertinentes du protocole sur la position du Danemark. L'Islande, la Norvège et la Suisse ne sont pas membres de l’UE, mais sont associés à la mise en œuvre de l'acquis de Schengen et à la poursuite de son développement. Comme l’indique W. Bruggeman, « Europe can be considered, in policing terms, as being made up of a series of concentric and overlapping circles », BRUGGEMAN (2001), p. 284. Pour une analyse de l’Accord sur l'association de la Confédération suisse à l'acquis de Schengen, voir p. 254 ss de la présente étude. Cette disposition régit l’entraide dans des procédures d'indemnisation pour des mesures de poursuites ou des condamnations injustifiées, l’entraide dans les procédures de grâce, l’entraide dans les actions civiles jointes aux actions pénales, tant que la juridiction répressive n'a pas encore définitivement statué sur l'action pénale, etc. Par exemple, l’article 52 CAAS permet d'envoyer des actes judiciaires directement à la personne concernée, par la poste. Voir p. 47 ss de la présente étude. EPINEY (2003), p. 424; PFENNIGER (2006), p. 344. I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE L’entraide peut aussi être accordée s’il s’agit d’une infraction aux règlements poursuivie par une autorité administrative ; il faut pourtant que la décision de l’autorité administrative puisse donner lieu à un recours devant une juridiction compétente notamment en matière pénale (article 51 let. a CAAS). La même disposition prévoit un motif de refus (article 51 let. b CAAS), empêchant l'exécution de la commission rogatoire, si cette exécution est incompatible avec le droit de l'Etat requis. 121 Deuxième partie : le droit de l’UE II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale L’UE a reconnu que la lutte contre la criminalité organisée doit être centrée sur les profits illicites : « [l]e fait de priver les organisations criminelles des moyens de blanchir leurs capitaux ou de financer leurs agissements portera un coup sérieux à leur motivation et à leur fonctionnement »530. La lutte contre le blanchiment de capitaux occupe une place prioritaire dans l’agenda judiciaire de l’UE531. Le Conseil européen réuni à Tampere les 15 et 16 octobre 1999 a souligné que le blanchiment d’argent est « au cœur même de la criminalité organisée et [qu’]il faut l’éradiquer partout où il existe » (point 51). Pour ces raisons, le Conseil européen de Tampere de 1999 a soutenu l’adoption de mesures concrètes pour dépister, geler, saisir et confisquer les produits du crime, en recommandant également le rapprochement des dispositions de droit et de procédure en matière pénale sur le blanchiment d’argent (point 55). Les travaux de l’UE en vue de la pleine réalisation du marché intérieur affectent, à un degré important, la lutte contre la criminalité transnationale. La disparition des contrôles quant aux mouvements de personnes, de biens et de capitaux au sein de l'Union européenne constitue une grande opportunité pour les réseaux criminels et un défi énorme pour les autorités pénales532. Cette nouvelle réalité exige l’adaptation des règles relatives à la coopération judiciaire pénale au niveau européen et une mise en valeur du dispositif juridique et institutionnel de l’UE. Heureusement pour l’UE, son niveau d’intégration est assez élevé533 pour permettre cette adaptation. Néanmoins, la création d’instruments « multiples, complexes et parfois trop ciblés » risque de compromettre la mise en œuvre des modifications législatives successives534. Dans les paragraphes suivants, nous allons examiner les travaux de l’UE exécutés en vue de renforcement du dispositif de la coopération judiciaire pénale. Un accent particulier sera mis sur les questions relatives à la confiscation internationale. 530 531 532 533 534 122 Communication de la Commission (note 704). GILMORE (2005), p. 236. NILSSON (2006), p. 56 ; FICHERA / JANSSENS (2007), p. 182. Un exemple d’intégration juridique est l’Accord de Schengen, conclu en 1985, pour créer un espace de libre circulation pour les citoyens européens. Voir aussi la Convention d’application des accords de Schengen (JO L239 du 22.9.1990). L’Accord de Schengen a été intégré à l’acquis communautaire par un Protocole au Traité d’Amsterdam (02.10.1997). VERNIMMEN-VAN TIGGELEN / SURANO (2008), p. 9 ; cf. aussi NILSSON (2006), p. 54. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale 1. L’action commune 98/427/JAI Le 29 juin 1998, le Conseil a adopté l’action commune 98/427/JAI relative aux bonnes pratiques d'entraide judiciaire en matière pénale535. Le même jour, le Conseil a adopté l'action commune 98/428/JAI concernant la création d'un réseau judiciaire européen536, dont l’objectif est d’accélérer l'exécution des demandes internationales grâce à l’aide des correspondants du réseau. Le fonctionnement du réseau judiciaire européen se lie à l’action commune 98/427/JAI relative aux bonnes pratiques d'entraide judiciaire en matière pénale537. En premier lieu, l’article 1er par. 1 de l’action commune 98/427/JAI impose aux Etats membres l’obligation d’élaborer et de déposer des déclarations de bonnes pratiques dans l'exécution des demandes d'entraide judiciaire en matière pénale538. Par l’intermédiaire du secrétariat général du Conseil, ces déclarations sont traduites dans les langues officielles de l’UE et communiquées aux Etats membres, comme le prévoit l’article 2 de l’action commune. En deuxième lieu, l’action 98/427/JAI impose aux Etats membres l’obligation de promouvoir, conformément à leur législation nationale et à leurs procédures judiciaires, certaines pratiques, dans l'exécution des demandes d'entraide judiciaire en matière pénale émanant des autres Etats membres. Ces bonnes pratiques, décrites par l’article 1er par. 3 de l’action commune 98/427/JAI, portent sur des aspects techniques de l’entraide, dont l’utilité n’est cependant pas négligeable (traitement des demandes urgentes, traitements des demandes d’entraide de manière comparable aux procédures analogues engagées par les autorités nationales539, etc.). 535 536 537 JO L 191 du 7.7.1998, p. 1. La base juridique pour l’adoption de cet instrument était l'article K.3 TUE. JO L 191 du 7.7.1998, p. 4. Par exemple, les déclarations de bonnes pratiques, visées à l'article 1er de cet instrument, sont mises à la disposition du réseau par le Secrétariat général du Conseil. Selon l’article 3 du même instrument, « [l]e réseau fait le point sur ces déclarations à la lumière de ses propres compétences et de son expérience, et peut faire toutes [les] propositions qu'il estime appropriées en vue d'améliorer l'entraide judiciaire en matière pénale, notamment concernant des méthodes communes d'évaluation du respect des engagements ». 538 539 Cf. Bonnes pratiques d’entraide judiciaire en matière pénale : Déclarations des Etats membres de l’UE, SN 1371/00 DG H III, disponible sur : http://ue.eu.int/uedocs/cmsUpload/declaration_fr.pdf Sur ce principe cf. aussi l’article 4 de la décision cadre 2001/500/JAI du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d'argent, l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime, JO L 182 du 5.7.2001 p. 1 ss. Selon cet article « [l]es Etats membres prennent les mesures nécessaires afin que toutes les demandes présentées par les autres Etats membres en ce qui concerne l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des avoirs soient traitées avec le même degré de priorité que celui accordé à de telles mesures dans les procédures internes ». 123 Deuxième partie : le droit de l’UE 2. L’action commune 98/699/JAI L’action commune 98/699/JAI du 3 décembre 1998540, concernant l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime, constitue un développement important en vue de l’amélioration de la coordination entre les autorités répressives européennes. Les dispositions de l’action commune ont été renforcées et mises à jour par la décision cadre 2001/500/JAI, que nous examinerons ultérieurement541. Le point faible de l’action commune 98/699/JAI est l’incertitude quant à sa valeur juridique, incertitude inhérente aux actions communes542. Cette initiative a tiré profit du fait que tous les pays membres de l’UE ont ratifié la Convention no 141 du Conseil de l’Europe543. Les Etats membres de l’UE se sont engagés à restreindre la possibilité des réserves concernant l’article 2 de la Convention no 141 du Conseil de l'Europe, portant sur la confiscation544 ; selon l’article 1er de l’action commune, ces réserves doivent porter seulement sur des infractions d'une certaine gravité545. Un autre aspect important est le fait que l’UE a repris les principales définitions employées par le Conseil de l’Europe. Ainsi, pour définir les termes « biens », « produits » et « confiscation », l’article 1 par. 2 de l’action commune renvoie à l'article 1 de la Convention no 141. A cet égard, comme l’indique le préambule de l’action commune, l’UE a pris formellement en considération l'adhésion des Etats membres aux principes de la Convention no 141. Enfin, selon la pratique courante, l’action commune a clarifié que les formes de coopération prévues sont sans préjudice d'autres formes de coopération bilatérale ou multilatérale. En ce qui concerne la question de la confiscation internationale, les Etats membres se sont engagés à adopter des mesures permettant la confiscation des produits de la criminalité, y compris les mesures de confiscation de la valeur qui correspond à ces produits. Cette deuxième formule, qui correspond au recouvrement de la créance compensatrice, doit être possible dans le cadre des procédures purement internes, mais aussi dans le cadre de l’entraide 540 541 542 543 544 545 124 JO L 333 du 9.12.1998, p. 1 ss. La base juridique pour l’adoption de cet instrument était l'article K.3 TUE. Voir p. 131 ss de la présente étude ; cf. aussi la section « Action spécifique de lutte contre le blanchiment d’argent » dans les conclusions de la présidence du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 : « Le Conseil européen est déterminé à veiller à ce que soient adoptées des mesures concrètes pour dépister, geler, saisir et confisquer les produits du crime ». MITSILEGAS (2006), p. 1278 ; FICHERA / JANSSENS (2007), p. 182. GILMORE (2005), p. 235. Cf. aussi l’article 1er de la décision cadre 2001/500/JAI du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d'argent, l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime, JO L 182 du 5.7.2001 p. 1 ss. Selon l’article 1 let. a de l’action commune, aucune réserve ne doit être formulée ou confirmée concernant l’article 2 de la Convention no 141 « dans la mesure où l'infraction est punie d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté d'une durée maximale supérieure à un an » ; l’article 1 prévoit pourtant que des réserves peuvent être formulées s’il s’agit d'infractions fiscales. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale internationale (article 1 par. 2)546. Une exception est prévue pour les infractions de moindre gravité : dans ce cas, les Etats Parties peuvent exclure la possibilité de confiscation de valeur. A notre avis, une telle exclusion n’est pas conforme aux conventions internationales qui prévoient expressément la possibilité de confiscation de valeur547. L’action commune contient des dispositions importantes relatives à la question de la coopération internationale à des fins de confiscation. Ainsi, les Etats membres de l’UE se sont engagés à adapter leurs législations afin de permettre d'identifier et de dépister des avoirs à la suite d’une demande d’entraide (article 1 par. 3). Le dépistage porte sur « les produits suspects d'être les produits de crimes lorsqu'il y a toutes raisons de soupçonner qu'une infraction pénale a été commise ». Le fait que le texte de l’action commune se réfère parfois à des « crimes » peut créer une confusion ; le terme d’ « infraction » serait plus approprié. Au niveau du dépistage, l’article 1 par. 3 de l’action commune impose un usage limité des motifs facultatifs de refus qui sont prévus dans l'article 18, paragraphes 2 et 3, de la Convention no 141. De cette manière, le dépistage des biens situés à l’étranger peut avoir lieu dès les tout premiers stades d'une enquête. En outre, la coopération à des fins de confiscation est facilitée grâce au fonctionnement du réseau judiciaire européen. Ce réseau de points de contact judiciaires, destiné à faciliter la coopération judiciaire entre les Etats membres, coordonne l’exécution de demandes mais il peut aussi fournir des informations juridiques et pratiques utiles. Dans ce contexte et selon l’article 2 de l’action commune 98/699/JAI, les Etats membres doivent élaborer des guides à l’intention des autorités étrangères requérantes. Ces guides, que les Etats membres doivent tenir à jour, précisent les types de coopération disponibles en matière d'identification, de dépistage, de gel ou de saisie et de confiscation des instruments et des produits du crime. Quant à leur diffusion, les guides sont envoyés au Secrétariat général du Conseil de l'Union européenne, pour être traduits dans les langues officielles de l’UE et pour être diffusés aux Etats membres, au réseau judiciaire européen et à Europol. De cette manière, les autorités étrangères sont toujours informées sur les modalités de coopération et les restrictions découlant de la législation de l’Etat requis. Ce système est complété par l’organisation de programmes de formation à l’intention des fonctionnaires concernés par la coopération internationale en matière d'identification, de dépistage, de gel ou de saisie et de confiscation des avoirs (article 6). Une autre disposition importante de l’action commune est l’article 3, en vertu duquel « les Etats membres accordent à toutes les demandes présentées par les autres Etats membres en ce qui concerne l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie 546 547 KILCHLING (2001), p. 272. Cf. article 13 par. 3 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe ; NILSSON (1992), p. 473 ss. 125 Deuxième partie : le droit de l’UE et la confiscation des avoirs la même priorité que celle qui est accordée à de telles mesures dans les procédures internes ». Cet article aborde un problème qui peut compromettre l’efficacité de l’entraide judiciaire en matière pénale : les autorités de l’Etat requis s’intéressent parfois plus activement aux affaires internes qu’aux demandes d’entraide présentées par des autorités étrangères. Toutefois, le fait que l’action commune énonce l’obligation de traiter de manière comparable les deux catégories de procédures ne suffit pas pour remédier à cette situation. La mise en œuvre de ce principe est difficile à être assurée, car elle dépend en pratique de la volonté et de la bonne foi des autorités de l’Etat requis. Par ailleurs, l’action commune aborde en détail des questions techniques, telles que les modalités de coopération entre les autorités compétentes (enquêteurs, magistrats instructeurs, procureurs) des Etats membres. L’article 4 encourage ainsi les contacts directs entre ces autorités. Grâce à ces contacts, une demande d’entraide ne sera présentée par les voies officielles que dans les cas où cela est nécessaire. L’article 4 répète, peut-être de manière superflue, l’obligation de l’Etat membre requérant d’établir la demande « correctement », en respectant « toutes les exigences de l'Etat membre destinataire ». Pour sa part, l'Etat requis s'efforce d'exécuter la demande de la manière attendue par l’Etat requérant ou, lorsque cela n'est pas possible, d'une autre manière, « après concertation appropriée avec l'Etat requérant, tout en respectant pleinement la législation nationale et les obligations internationales ». Enfin, la demande doit être précise. En particulier, si elle porte la mention « urgent » ou si elle indique un délai, elle doit préciser les motifs justifiant l'urgence ou le délai. L’action commune reprend également l’obligation d’adopter des mesures permettant le gel et la saisie d’avoirs. L’article 5 met en avant la nécessité de « minimiser les risques de disparition des avoirs ». Comme l’indique l’article 5 par. 1 la mise en place d’un dispositif permettant la saisie doit aussi couvrir les cas d’entraide judiciaire. Un rapport de 2001 avait pourtant identifié un problème pratique au niveau de la saisie : les pièces et les objets appréhendés lors d'une saisie dans le cadre de l’entraide ne sont pas transférés directement à l’Etat étranger, mais « il arrive assez souvent qu'une autorité judiciaire doive examiner si tous les objets et les documents saisis se rapportent bien aux infractions définies dans la demande et qu'elle ait, le cas échéant, à soustraire ceux qui ne s'y rapportent pas »548. Il s’agit là évidemment d’une étape supplémentaire inutile, qui crée des retards sans pourtant apporter de garanties supplémentaires. 548 126 Rapport précité (note 194), p. 21. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale 3. L’UEEJ (2000) La Convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'UE549 (ci-après UEEJ) vise à rendre la coopération en matière pénale plus rapide, plus souple et plus efficace, en clarifiant et simplifiant les demandes d’entraide. La forme juridique employée est celle de la convention, instrument juridique que l’UE peut utiliser en matière de JAI. L’UEEJ a été signée par tous les Etats membres550 et est entrée en vigueur le 23 août 2005 ; à l’heure actuelle (avril 2011), 24 Etats membres l’ont ratifiée, ce qui confirme la faiblesse principale des instruments de ce type, c’est-à-dire le fait que la ratification implique souvent des délais considérables551. Une autre faiblesse évidente de l’UEEJ est la longueur et la complexité de son texte552. La question se pose aussi de déterminer la relation de l’UEEJ avec les autres instruments internationaux en matière d’entraide judiciaire. a. Une géométrie variable. L’UEEJ n’est pas un instrument autonome, mais elle vise à compléter les dispositions d’autres instruments internationaux dans le domaine de l'entraide judiciaire en matière pénale553. Les Etats membres de l'UE s’engagent à faciliter l'application des conventions énumérées à l’article 1, en particulier la CEEJ, son Protocole additionnel du 17 mars 1978, la CAAS de 1990 etc. La même méthode, qui opte pour l’élaboration d’un instrument complémentaire au lieu d’un instrument autonome, avait aussi été utilisée dans le cas de la Convention relative à l'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne de 1996 (article 1er). En raison de son caractère complémentaire, l’UEEJ ne peut pas être invoquée pour constituer la seule base d'une demande d'entraide judiciaire. En outre, elle n’affecte pas l’application de dispositions plus favorables dans le cadre d’accords bilatéraux ou multilatéraux conclus entre les Etats membres554. Elle n’affecte pas non plus l’application d’arrangements conclus dans le domaine de l’entraide judiciaire en matière pénale sur la base d’une législation uniforme555. Enfin, elle n’affecte pas les dispositions des instruments visés 549 550 551 552 553 554 555 Acte du Conseil du 29 mai 2000 établissant, conformément à l’article 34 TUE, la convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne, JO C 197 du 12.7.2000, p. 1 ss. Deux Etats non membres, la Norvège et l'Islande, ont informé le Conseil qu'elles mettaient en œuvre les dispositions de la convention qui leur étaient applicables. KAIAFA-GBANDI (2001), p. 246. A l’heure actuelle (avril 2011), il manque 3 ratifications (Grèce, Italie, Irlande) ; pour l’état des ratifications, voir : http://www.consilium.europa.eu/App/accords/ GILMORE (2005), p. 233. En tenant compte du champ d’application large de la Convention, nous pourrions même parler d’un instrument « quasi-autonome » ; BELFIORE (2008), p. 12. Tel est le cas des accords d’entraide conclus entre les pays nordiques ; rapport explicatif concernant la convention du 29 mai 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne, JO C 379 du 29.12.2000, p. 7. Cf. article 26 par. 4 CEEJ. 127 Deuxième partie : le droit de l’UE dans l’article 1 dans les domaines qui ne relèvent pas de son champ d'application. Dans les domaines qui relèvent du champ d'application de l’UEEJ, les dispositions de la convention prévalent en cas de divergence avec les instruments généraux. L’adoption de l’UEEJ par les Etats membres de l’UE crée effectivement une sorte de géométrie variable, puisque les Etats membres du Conseil de l’Europe, qui ne font pas partie de l’UE, ne sont pas affectés. Pour leur part, la Norvège et l'Islande, qui ne sont pas membres de l’UE, ont déclaré qu'elles acceptaient le contenu des dispositions de l’UEEJ qui leur étaient applicables. En ce qui concerne les interactions entre les travaux de l’UE et du Conseil de l’Europe, un grand nombre des dispositions du deuxième Protocole additionnel à la CEEJ s’inspirent des normes de l’UEEJ556. b. Les nouvelles dispositions relatives à l’entraide judiciaire. L’objectif principal de la convention, en particulier des articles 3 à 9 UEEJ, est de renforcer les procédures d’entraide entre les pays membres de l’UE557. L’UEEJ a été critiquée, car « elle s’abstient de supprimer la double incrimination comme motif de refus de coopérer » 558. Toutefois, l’UEEJ augmente le nombre des cas où l'entraide judiciaire peut être demandée. Par exemple, selon l’article 3 UEEJ, l'entraide judiciaire peut être demandée pour certaines catégories de procédures administratives559. A cet égard, l’UEEJ se différencie de la CEEJ, qui ne couvre que les procédures judiciaires. En ce qui concerne les formalités et procédures à respecter lors de l’exécution d’une demande d’entraide, l’Etat membre requis doit, dans toute la mesure du possible, prendre des mesures conformément aux formalités et procédures expressément indiquées par l'Etat requérant (articles 4 par. 1 et 4 par. 3 UEEJ). A cet égard, l’UEEJ se différencie de la CEEJ, dont l'article 3 exige que les demandes soient exécutées dans les formes prévues par la législation de l'Etat requis560. L’exécution de la demande peut être refusée si elle est contraire aux principes fondamentaux du droit de l’Etat requis. Pour accélérer l’exécution des demandes d’entraide, l’article 4 par. 2 UEEJ impose aux Etats membres l’obligation de tenir compte au mieux de toute 556 557 558 559 560 128 Message (note 201), FF 2003 2873, p. 2909. Cf. aussi p. 49 de la présente étude. BARBE (2005), p. 112. GILMORE (2005), p. 233. Il s’agit des procédures administratives qui concernent des infractions aux règlements administratifs, c’est-àdire des faits punissables selon le droit national administratif de l'Etat membre requérant ou de l'Etat membre requis. Comme l’indique le rapport explicatif (note 554, commentaire de l’article 3), il est essentiel que cette infraction puisse, « à un stade ultérieur, être portée devant une juridiction compétente notamment en matière pénale ». Le rapport explicatif invoque l’exemple de l' « Ordnungswidrigkeit », infraction du droit allemand, qui ne constitue pas formellement une infraction pénale, mais qui est passible d'une amende infligée par les autorités administratives. FICHERA / JANSSENS (2007), p. 183. Par exemple, l’Etat requérant indique dans sa demande qu'un représentant de ses autorités judiciaires ou un représentant de la défense doit être autorisé à assister à la déposition d'un témoin ; rapport explicatif (note 554), commentaire de l’article 4. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale échéance qui peut être fixée par la demande. Comme l’indique le rapport explicatif, cette disposition doit être invoquée avec prudence561. Les autorités des Etats membres ne doivent pas abuser de cette possibilité, mais elles doivent fixer des échéances raisonnables et nécessaires en fonction des circonstances particulières. Si le délai indiqué ne peut pas être respecté, l'Etat membre requis doit informer l’Etat requérant sur le temps estimé nécessaire pour l'exécution de la demande (article 4 par. 4 UEEJ). De cette manière, les autorités de l'Etat requérant peuvent décider si la demande doit continuer à être traitée. En outre, dans le cas où l’exécution de la demande est impossible, l'Etat membre requis est tenu d'informer sans délai les autorités requérantes de l’impossibilité, en proposant éventuellement des conditions complémentaires, comme la fourniture de documents. L’article 5 UEEJ concerne la remise de pièces de procédure et accélère leur envoi ou remise par un Etat membre lorsque le destinataire se trouve sur le territoire d'un autre Etat membre. Dans ce cas, l’envoi a donc lieu directement par voie postale. Il y a cependant des exceptions à l'utilisation de la voie postale : si cette utilisation est impossible ou inappropriée, la communication aura lieu par le biais de la voie officielle. Une autre disposition d’importance pratique est l’article 5 par. 3 UEEJ qui exige la traduction des pièces de procédure dans une langue de l'Etat membre où le destinataire se trouve. En ce qui concerne l’expression « pièces de procédure », l’article 5 UEEJ ne la définit pas. Ainsi, comme dans le cas de l'article 52 CAAS, l’expression « pièces de procédure » doit être interprétée au sens large, de manière à couvrir, par exemple, les citations et les décisions judiciaires. L’UEEJ introduit une autre nouveauté : la transmission directe des demandes d'entraide (article 6 par. 1 UEEJ). Les instruments internationaux antérieurs optaient, en principe, pour une transmission des demandes d'entraide judiciaire entre ministères de la justice. Ce dernier système est notamment prévu par la CEEJ (article 15). En adoptant l’UEEJ, les Etats membres de l’UE ont réorienté la philosophie de l’entraide judiciaire : ils ont donné aux autorités judiciaires la faculté de communiquer directement entre elles, même s’il y a certaines exceptions à cette règle. Par exemple, selon l’article 6 par. 2 UEEJ, le recours aux services des autorités centrales peut être opportun dans des cas complexes ou lorsque la demande est adressée à plus d'une autorité compétente de l'Etat membre requis. Quant aux échanges spontanés d'informations, la communication directe n’est pas une faculté, mais une obligation. Même si la transmission directe des requêtes d’entraide et le contact direct entre autorités pénales deviennent peu à peu la règle au niveau européen562, il y a des pays comme le Royaume-Uni qui témoignent d’une 561 562 Rapport explicatif (note 554), commentaire de l’article 4. Cf. par exemple l’article 53 CAAS. 129 Deuxième partie : le droit de l’UE certaine réticence vis-à-vis de cette technique563, raison pour laquelle les instruments européens leur laissent la possibilité d’« opting out »564. Il y a, enfin, une autre nouveauté importante du point de vue pratique: la transmission des demandes peut être faite non seulement par écrit, mais aussi par télécopie et courrier électronique (article 6 par. 1 UEEJ)565. Il suffit qu’une trace écrite puisse être obtenue dans des conditions permettant à l'Etat membre destinataire d’en vérifier l'authenticité. Grâce à cette faculté, on peut éviter des retards bureaucratiques, qui permettent aux réseaux criminels de faire disparaître les produits de leurs activités entre-temps566. c. Les dispositions relatives à la confiscation internationale. L’article 8 UEEJ traite de la restitution de biens au propriétaire légitime. Plus précisément, à la suite d’une demande d’entraide, l’Etat membre requis peut mettre des objets obtenus par des moyens illicites à la disposition de l’Etat requérant « en vue de leur restitution à leur propriétaire légitime ». L’article 8 UEEJ ne se réfère pas directement aux mesures de confiscation. Selon le rapport explicatif, cette disposition ne vise pas à modifier en quoi que ce soit les dispositions de droit interne relatives à la confiscation567. Le champ d’application de l’article 8 UEEJ est donc limité et ne couvre que la question de la restitution des biens à l’ayant droit. L’article 8 UEEJ ne traite que les cas où il n'y a aucun doute quant à l'identité du propriétaire légitime du bien. Une question qui se pose est de savoir si la remise en vue d’honorer une créance compensatrice est également couverte. Le texte de l’article 8 UEEJ se réfère à des « objets obtenus par des moyens illicites », ce qui exclut une telle remise. La restitution des valeurs confisquées est une question importante, qui n’est pas abordée par la Convention no 141 du Conseil de l’Europe568. Toutefois, la possibilité de restitution à l’ayant droit est prévue par l'article 12 par. 1 du deuxième Protocole additionnel à la CEEJ. En l’absence de dispositions spécifiques sur les motifs de non-exécution d’une demande d’entraide en vertu de l’UEEJ, les dispositions pertinentes des autres instruments internationaux, tels que la CEEJ et la CAAS, s’appliquent569. 563 564 565 566 567 568 569 130 CASSANI (2004), p. 339. En plus de l’article 6 par. 2 UEEJ, on peut ici mentionner l’article 4 par. 3 de la décision cadre relative à l’exécution des décisions de gel, JO L 196 du 02.08.2005. Comme l’indique P. Schupp, dans le domaine de l'entraide judiciaire, « des mesures d'extrême urgence sont souvent prises sur la base d'un simple fax, voire d'un appel téléphonique » ; SCHUPP (1997), p. 184. BORGERS / MOORS (2007), p. 12. D’autres dispositions de la convention, comme les articles 10 UEEJ (audition par vidéoconférence), 11 UEEJ (auditions de témoins et d’experts par téléconférence) et 17 ss UEEJ (interception de télécommunications), renforcent le dispositif de l’entraide en proposant des mesures modernes, adaptées aux évolutions technologiques. Un aspect important de la convention concerne aussi la protection des données à caractère personnel, assurée par l’article 23 UEEJ. Rapport explicatif (note 554), commentaire de l’article 8. Directives OFJ (note 231), p. 60. BELFIORE (2008), p. 15. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale Comme l’indique le rapport explicatif, l’article 8 UEEJ autorise, mais n'oblige pas, l'Etat membre requis à donner suite à une demande en ce sens570. Le rapport explicatif utilise l’exemple des biens saisis pour servir d'élément de preuve dans l’Etat membre requis ; dans ce cas, l’Etat requis a un motif légitime pour refuser de restituer les biens en question. L’Etat requis peut aussi refuser de restituer les biens, s’il y a des doutes quant à l'identité de leur propriétaire légitime. En ce qui concerne les droits des tiers, l’article 8 UEEJ indique que la restitution doit avoir lieu « sans préjudice des droits des tiers de bonne foi ». Même si elle suit le modèle traditionnelle des commissions rogatoires et non celui de la reconnaissance mutuelle, l’UEEJ offre un avantage important par rapport à la décision cadre 2008/978/JAI relative au mandat européen d’obtention de preuves571 : elle n’exclut pas certains catégories de moyens de preuve de son champ d’application572, ce qui renforce son utilité pratique. 4. La décision cadre 2001/500/JAI Après l’adoption de l'action commune 98/699/JAI, les organes de l’UE ont reconnu la nécessité de renforcer et de compléter ce dispositif573. Ainsi, le 26 juin 2001, le Conseil a adopté la décision cadre concernant le blanchiment d’argent, l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime574. La forme juridique employée est celle de la décision cadre, instrument juridique que l’UE utilise souvent en matière de JAI575. 570 571 572 573 574 575 Rapport explicatif (note 554), commentaire de l’article 8. Voir p. 153 ss de la présente étude. BELFIORE (2008), p. 12. Cf. Conclusions de la présidence du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, section « Action spécifique de lutte contre le blanchiment d’argent » : « [l]e Conseil européen est déterminé à veiller à ce que soient adoptées des mesures concrètes pour dépister, geler, saisir et confisquer les produits du crime ». Cette nécessité a également donné lieu à l'initiative de la République française en vue de l'adoption de la décision cadre du Conseil concernant le blanchiment d'argent, l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime ; Initiative de la République française en vue de l’adoption d’une convention relative à l’amélioration de l’entraide judiciaire en matière pénale, notamment dans le domaine de la lutte contre la criminalité organisée, le blanchiment du produit d’infractions et la criminalité en matière financière, 10213/2000 - C5-0394/2000 - 2000/0815(CNS), JO C 243/9 du 24.8.2000. En 2000, le Parlement européen a examiné les questions relatives à la confiscation (rapport Marinho) ; Commission des libertés et des droits des citoyens, de la justice et des affaires intérieures, rapporteur: Luis Marinho, rapport sur une initiative de la République française en vue de l'adoption de la décision cadre du Conseil concernant le blanchiment d'argent, l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime, 10232/2000 – C5-0393/2000 – 2000/0814(CNS), 25 octobre 2000. Décision cadre 2001/500/JAI du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d'argent, l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime, JO L 182 du 5.7.2001 p. 1 ss. En adoptant cette forme juridique au lieu de celle de l’action commune, l’UE évite l’incertitude juridique quant au caractère contraignant des normes ; MITSILEGAS / GILMORE (2007), p. 121. 131 Deuxième partie : le droit de l’UE La décision cadre 2001/500/JAI constitue un exemple des interactions fortes qui existent entre les travaux du Conseil de l’Europe et les instruments de l’UE. L’article 1er de la décision cadre invite les Etats membres de l’UE à supprimer leurs réserves en vertu des articles 2 et 6 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe reconnaît que l’initiative de l’UE constitue « une nette évolution vers une application harmonisée de certaines dispositions essentielles de la Convention no 141 »576. La décision cadre 2001/500/JAI a trois axes principaux : en premier lieu, elle généralise l’infraction de blanchiment au sein de l’Union577. Cette généralisation repose principalement sur une harmonisation minimale des sanctions dans ce domaine578. Les Etats membres sont obligés d’inclure certaines infractions dans le champ des infractions préalables (article 1er let. b)579. Cette disposition démontre la volonté d’harmonisation au sein de l’Union européenne, qui « conduit à la recherche d’incriminations, de définitions et même de sanctions communes dans de nombreux domaines »580. En second lieu, la décision cadre aborde la question de la confiscation des produits du crime. Enfin, elle traite de la coopération internationale, en imposant aux Etats membres l’obligation de limiter les motifs de refus de coopération en matière de dépistage, de gel et de saisie des produits d’infractions graves. En ce qui concerne la confiscation, l’article 3 de la décision cadre prévoit l'introduction, dans les législations des Etats membres, de la possibilité de recouvrement de la créance compensatrice (confiscation en valeur) . Cette disposition est conforme aux conventions internationales qui prévoient expressément la possibilité de confiscation de valeur, notamment à l’article 5, par. 1 let. a, in fine de la Convention de Vienne et les articles 2 et 13 par. 3 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe581. Selon l’article 3 de la décision cadre 2001/500/JAI, la confiscation en valeur doit être possible non seulement dans le cadre des procédures internes, mais aussi dans le cadre de l’entraide internationale (décision de confiscation prononcée à la demande d’un Etat étranger ou exécution d’une décision de confiscation prise par des autorités étrangères). 576 577 578 579 580 581 132 Rapport explicatif à la Convention no 198 (note 36), par. 9. ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE (2001), La lutte contre le terrorisme : un révélateur des progrès et des insuffisances de l’Union européenne, rapport d'information no 3504, déposé par la Délégation de l'Assemblée Nationale pour l'Union européenne, 20 décembre 2001, p. 28. GILMORE (2005), p. 235 ; KAIAFA-GBANDI (2001), p. 245. Selon l’article 2 de la décision cadre, le blanchiment d’argent doit être passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins quatre ans. Les Etats sont invités à renoncer à leurs réserves en cas d'infractions graves, c'est-à-dire en cas d’infractions « punies d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté d'une durée maximale supérieure à un an, ou, dans les Etats dont le système juridique prévoit pour les infractions un seuil minimal, les infractions punies d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté d'une durée minimale supérieure à six mois » RUELLE (2002), p. 518. Cf. NILSSON (1992), p. 473 ss ; cf. aussi p. 15 ss et p. 21 ss de la présente étude. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale Un autre point important de la décision cadre est la disposition selon laquelle les demandes de coopération présentées par d'autres Etats membres doivent être traitées avec le même degré de priorité que les procédures internes (article 4). La décision cadre suit donc la philosophie de l’action commune 98/427/JAI, selon laquelle les demandes d’entraide doivent être traitées de la même manière et avec le même degré de priorité que les procédures analogues engagées par les autorités nationales582. Cette assimilation constitue un élément important de la création d’un espace judiciaire européen, qui fait actuellement partie des objectifs de l’UE ; cependant, nous avons déjà mentionné les difficultés de mise en œuvre et de suivi de la mise en œuvre de cette assimilation. L'article 6 de la décision cadre du Conseil du 26 juin 2001 a mis en place un mécanisme de suivi de l’application, qui n’est pourtant pas accompagné de sanctions en cas de violation des obligations des Etats membres. Plus précisément, la Commission doit établir un rapport écrit sur les mesures prises par les Etats membres pour se conformer à la décision cadre583. Contrairement au cas des instruments adoptés au titre du premier pilier, la Commission n’a pas la possibilité d’invoquer des instruments relevant du troisième pilier pour engager une procédure en manquement contre un Etat membre. Pour cette raison, la mise en œuvre d’une décision cadre est difficilement assurée. Or, « comme la Commission participe pleinement aux questions relevant du troisième pilier, il est logique de lui assigner la tâche d'une évaluation factuelle des mesures de mise en œuvre permettant au Conseil d'évaluer la mesure dans laquelle les Etats membres ont pris les mesures nécessaires pour se conformer à cette décision cadre »584. A la fin de 2008, la Commission a affirmé que, globalement, la décision cadre 2001/500/JAI a été bien transposée dans la plupart des Etats membres585. 5. Le Protocole UEEJ (2001) Le Protocole à la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne (ci-après Protocole UEEJ) a été adopté par le Conseil et signé par tous les Etats membres le 16 octobre 2001586. Ces 582 583 584 585 586 Cf. article 1er par. 3 let. c, deuxième phrase de l’action commune 98/427/JAI relative aux bonnes pratiques d'entraide judiciaire en matière pénale, JO L 191 du 7.7.1998, p. 1. Deux rapports ont été élaborés : Cf. Premier rapport de la Commission sur la base de l'article 6 de la décision cadre du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d’argent, l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime, COM (2004) 230 final du 5.4.2004. Cf. Deuxième rapport de la Commission sur la base de l'article 6 de la décision cadre du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d'argent, l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime, Bruxelles, le 21.2.2006, COM (2006) 72 final. Premier rapport précité (note 583), p. 5. Communication de la Commission (note 7), section 3.1. Acte du Conseil du 16 octobre 2001 établissant, conformément à l’article 34 TUE, le protocole à la convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne, JO C 326 du 21.11.2001, p. 1 ss ; cf. aussi le rapport explicatif concernant le Protocole à la Convention de 133 Deuxième partie : le droit de l’UE deux instruments doivent être considérés comme une unité ; le préambule du Protocole indique effectivement que les dispositions de celui-ci sont annexées à l’UEEJ587. La ratification du Protocole s’est heurtée à des retards considérables et cet instrument n’est pas encore entré en vigueur entre tous les Etats membres (avril 2011)588. Certains aspects du projet initial, élaboré à l’initiative du gouvernement français589, étaient très innovateurs, comme la proposition de supprimer complètement l'exigence de double incrimination dans le cadre des demandes d'entraide : dans le cadre de l’UE, organisation dont les membres garantissent invariablement les droits de personnes, la coopération judiciaire ne peut pas être fondée sur les règles traditionnelles, comme la double incrimination, qui témoignent d’une méfiance à l’égard des systèmes juridiques étrangers. Toutefois, il n’y a pas eu de consensus des Etats membres sur cette question et cette disposition du projet français n’a pas été reprise dans le texte final du Protocole. L’idée d’un abandon complet du principe de la double incrimination a fait l’objet de critiques du point de vue de la protection des droits fondamentaux590. Le champ d’application du Protocole est large et couvre toutes les infractions, à l’exception de l'article 1 (demande d'information sur des comptes bancaires) qui s'applique exclusivement à certaines d’entre elles591. Le Protocole ne s'applique donc pas uniquement au blanchiment d’argent et aux infractions du droit pénal économique. a. L'entraide en matière de comptes bancaires. Les demandes d'information sur des comptes et transactions bancaires sont importantes pour la réussite d’une enquête. Dans ce contexte, il faut souvent se procurer des informations sur des comptes bancaires à l’étranger. Les articles 1 à 4 du Protocole, facilitent considérablement l’entraide en ce qui concerne les informations détenues par les banques. L’article 1er du Protocole oblige chaque 587 588 589 590 591 134 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne, JO C 257 du 24.10.2002, p. 1 ss. Comme l’indique le rapport explicatif, « les dispositions de la convention s'appliquent à celles du protocole et réciproquement, de la même manière que si elles avaient toutes fait partie du même instrument » ; rapport explicatif (note 586), p. 1. Rapport précité (note 27), p. 17 ; « This is a situation which Professor Gilles de Kerchove, the EU Counterterrorism Coordinator described as “shocking”[… ] We think this is not too strong a word ». A l’heure actuelle (avril 2011), il manque 4 ratifications (Estonie, Grèce, Italie, Irlande) ; pour l’état des ratifications, voir : http://www.consilium.europa.eu/App/accords/ Rapport précité (note 577), p. 28. BANTEKAS (2007), p. 376 ; PEERS (2004), p. 34. Selon l’article 1 par. 3, « [l]'obligation prévue au présent article s'applique uniquement si l'enquête concerne: un fait punissable d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté privative de liberté d'un maximum d'au moins quatre ans dans l'Etat membre requérant et d'au moins deux ans dans l'Etat membre requis, ou une infraction visée à l'article 2 de la convention de 1995 portant création d'un Office européen de police (convention Europol) ou à l'annexe de cette convention, telle que modifiée, ou dans la mesure où elle ne serait pas couverte par la convention Europol, une infraction visée dans la convention de 1995 relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, son protocole de 1996 ou son deuxième protocole de 1997 ». II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale Etat membre à fournir des informations de ce type, sur demande des autorités d’un autre Etat membre. Les Etats membres doivent donc rechercher des comptes bancaires situés sur leur territoire, dans le cadre d’une procédure d’entraide. L’article 1 n'oblige pas les Etats membres à créer un registre centralisé des comptes bancaires. En outre, le Protocole n'impose aucune nouvelle obligation de conserver des renseignements relatifs aux comptes bancaires. L’article 1 par. 2 précise que l'obligation ne s'applique que dans la mesure où la banque qui gère le compte possède ces renseignements. L'entraide en matière de comptes bancaires n’est pas sans limites592. En vertu de l’article 1, elle ne porte que sur les comptes détenus ou contrôlés par une personne physique ou morale faisant l'objet d'une enquête pénale. L’obligation de fournir des informations concerne également les comptes pour lesquels la personne visée a procuration (article 1 par. 1 in fine). La question qui se pose est de savoir si l’article 1 couvre également les comptes dont la personne visée est le bénéficiaire économique sans en être le titulaire. Comme l’indique le rapport explicatif, la réponse affirmative a été avancée lors des négociations593. De cette manière, une entraide peut être accordée soit si la personne faisant l'objet d'une enquête pénale est le titulaire, soit si cette personne constitue le véritable bénéficiaire économique. Cette interprétation est particulièrement utile dans le cas de comptes « de fonds fiduciaires ou de tout autre instrument de gestion d'un patrimoine d'affectation dont l'identité des constituants ou des bénéficiaires n'est pas connue »594. En ce qui concerne, enfin, la notion de bénéficiaire économique, l'article 3 par. 5 de la directive européenne sur le blanchiment de capitaux fournit des directions interprétatives595. Il existe d’autres limites à l'entraide en matière de comptes bancaires en vertu de l’article 1. D’une part, l’article 1 par. 3 stipule que l’entraide en matière de comptes bancaires n’est possible que pour trois catégories d'infractions : les infractions punies d’une peine privative de liberté de quatre ans dans l'Etat membre requérant et de deux ans dans l'Etat membre requis ; la liste des infractions figurant dans la Convention Europol596 ; les infractions couvertes par les instruments relatifs à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes. D’autre part, l’article 1 par. 4 prévoit que les informations demandées doivent être « susceptibles d'être fondamentales pour l'enquête portant sur l'infraction ». Par conséquent, l’Etat membre requérant doit « tenter de limiter sa demande à certains types de comptes bancaires et/ou aux comptes tenus par certaines banques ». 592 593 594 595 596 GILMORE (2005), p. 234. Rapport explicatif (note 586), p. 2. Rapport explicatif (note 586), p. 2 ; sur les fonds fiduciaires voir : BAKER / SHORROCK in PIETH (2009), p. 83. Directive 91/308/CEE du Conseil du 10 juin 1991 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (JO L 166 du 28.6.1991, p. 77), modifiée par la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 décembre 2001 (JO L 344 du 28.12.2001, p. 76). Le protocole couvre les infractions énumérées à l'article 2 de cette convention et dans son annexe. 135 Deuxième partie : le droit de l’UE L'article 2 vise à faciliter l'entraide en vue d'obtenir des renseignements concernant des opérations réalisées pendant une période déterminée sur un compte bancaire spécifié. L'article 2 n'introduit pas de nouvelles obligations, mais il précise et complète simplement une mesure qui est déjà possible sous le régime de la CEEJ. Il n’importe pas de quelle manière les autorités de l'Etat requérant ont eu connaissance du compte. Il se peut que des renseignements aient été obtenus par le biais de l'article 1. L’article 2 introduit une mesure indépendante, et l’existence du compte en question peut être découverte par tout autre moyen ou voie. Contrairement à l’article 2, l’article 3 constitue une nouveauté introduite par le Protocole UEEJ. Il s’agit de l'entraide en matière de suivi d'opérations qui pourraient, à l'avenir, être réalisées sur un compte bancaire spécifié. En introduisant cette mesure, le Conseil s'inspire de l'article 12 UEEJ, qui régit les livraisons surveillées. Le suivi d’opérations bancaires, tel que l’envisagent les auteurs du Protocole, n'existait dans aucun des instruments précédents relatifs à l'entraide judiciaire en matière pénale ; l’idée a été reprise ultérieurement par la Convention no 198 du Conseil de l’Europe (article 19). Il est vrai que l’article 3 n’est pas très détaillé. Cependant, les autorités compétentes des Etats membres requérant et requis peuvent conclure des accords sur des questions spécifiques de la mise en œuvre. De cette manière, les Etats membres intéressés pourront déterminer les modalités du suivi, par exemple, si celui-ci a lieu sur une base hebdomadaire, journalière ou même en temps réel. L'article 4, inspiré largement par les directives européennes contre le blanchiment de capitaux597, vise à garantir la confidentialité des procédures visées aux articles 1 à 3. Si l’entraide judiciaire est fournie conformément à ces dispositions, ni les titulaires de comptes bancaires ni les tiers n’en sont informés. Même avant l’adoption de cette directive, les pratiques internationales établies empêchaient les autorités centrales de dévoiler l’existence ou le contenu des commissions rogatoires en dehors des services gouvernementaux ou des autorités répressives compétentes598. Toutefois, l’article 4 ne précise pas quelles sont les modalités d'application. Selon le rapport explicatif, les Etats membres peuvent envisager de prononcer une interdiction expresse de divulgation, mais ils peuvent sanctionner de manière plus générale tout comportement susceptible de porter préjudice à une enquête en cours599. 597 598 599 136 GILMORE (2005), p. 234. Comme l’indique le rapport explicatif, cette disposition est proche de l'article 8 de la directive sur le blanchiment de capitaux. MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR DU ROYAUME-UNI (2004), Guide d’entraide judiciaire: obtenir une assistance au Royaume-Uni, Autorité centrale du Royaume-Uni, Unité de coopération judiciaire, 1e édition, Londres, avril 2004. Rapport explicatif (note 586), p. 6. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale En pratique « cooperation in customer information and account monitoring remains relatively rare », surtout parce que les Etats membres ne peuvent pas assurer le suivi d’opérations bancaires de manière expéditive600. b. Les demandes complémentaires. En plus de l'entraide en matière de comptes bancaires, le Protocole UEEJ aborde un autre aspect intéressant de l’entraide : la question des mesures complémentaires. Les dispositions topiques, à savoir les articles 5 et 6, s'appliquent à toutes les formes de demandes d'entraide judiciaire et non seulement à l'entraide en matière de comptes bancaires. L’entraide à des fins de saisie et de confiscation est donc aussi couverte. Les articles 5 et 6 du Protocole visent à faire face à une situation qui survient souvent au cours d’une procédure d’entraide : en cours d'exécution d'une demande d'entraide judiciaire, une mesure complémentaire peut être nécessaire. Le principe « nec eat judex ultra petita » peut constituer un obstacle à la coopération internationale entre les autorités pénales. D’après ce principe, les autorités de l’Etat requis exécutent la demande de l’entraide de manière très stricte, en insistant sur la lettre de cette demande. Comme l’indique P. Bernasconi601, il s’agit d’une attitude restrictive, qui peut entraver les procédures menées contre des blanchisseurs. Prenons l’exemple d’une demande dont l’objet est la transmission de documents sur un compte bancaire spécifique. Les autorités de l’Etat requis peuvent constater que les fonds déposés sur ce compte bancaire ont été transférés auprès d’un autre. Dans ce cas, une utilisation stricte et systématique du principe « nec eat judex ultra petita », pratique usuelle dans les pays offshore602, obligerait les autorités de l’Etat requérant à présenter, chaque fois, une nouvelle demande d’entraide visant le nouveau compte bancaire. Evidemment, une telle utilisation du principe risque d’entraîner des délais importants. Pour cette raison, les Etats membres de l’UE ont envisagé une procédure simplifiée pour les demandes complémentaires603. Premièrement, la question se pose de savoir ce qui se passe si les autorités de l’Etat requis jugent opportun de prendre des mesures complémentaires, même si la demande d’entraide à exécuter ne les spécifie pas. En vertu de l'article 5, l'Etat membre requis est tenu d'informer sans délai l'autorité requérante sur la nécessité de mesures de ce type. Une telle communication doit avoir lieu de manière opportune et, comme l’indique le rapport explicatif, « avant même que la réponse officielle à la demande ne puisse être donnée »604. Le champ d'application de l’article 5 ne se limite pas aux procédures d’entraide 600 601 602 603 604 Rapport précité (note 27), p. 17. BERNASCONI (2001), p. 125. THONY (2003), p. 79 ; le rejet de la requête pour des raisons futiles de procédure assure une protection de facto contre les enquêtes. Cf. les articles 5 et 6 du Protocole UEEJ (note 586). Rapport explicatif (note 586), p. 6. 137 Deuxième partie : le droit de l’UE couvertes par le Protocole. La nécessité de prendre des mesures complémentaires peut concerner un autre Etat membre ou un Etat tiers. Le rapport explicatif fournit l’exemple de l'exécution d'une demande au titre de l'article 2, dans le cadre de laquelle il s'avère que de l'argent a été versé sur un compte détenu par une banque dans un autre Etat membre ou un Etat tiers605. Deuxièmement, la question se pose de déterminer la procédure d’exécution des mesures complémentaires. L’utilité pratique de cette procédure, établie par l’article 6 par. 1 du Protocole, repose sur sa simplicité : si une mesure complémentaire est nécessaire et si cette mesure concerne la même enquête ou procédure que la mesure initialement demandée, l'Etat requérant n'est pas tenu d'introduire une demande réellement nouvelle. La nouvelle demande, contenant des informations complémentaires, doit simplement faire référence à la demande initiale. Un autre aspect intéressant concerne les personnes compétentes pour effectuer une demande d'entraide judiciaire (article 6 par. 2) : si la compétence de ces personnes est établie conformément à l'article 24 de la CEEJ ou de l'article 24 UEEJ, la demande complémentaire peut être faite sur place. En d’autres termes, si une personne compétente de l’Etat requérant est présente sur le territoire de l'Etat requis, elle peut adresser la demande complémentaire sur place. c. Les motifs de rejet. Les articles 7 à 10 du Protocole UEEJ imposent des limites quant à l’usage de motifs de rejet dans le contexte des procédures d’entraide. Ces dispositions sont de caractère général : elles s'appliquent à toutes les formes de demandes d'entraide judiciaire entre les Etats membres de l'UE et non seulement à l'entraide en matière de comptes bancaires. L’article 7 du Protocole UEEJ se réfère à la question du secret bancaire et introduit le principe de l’inopposabilité du secret bancaire dans le cadre des procédures d’entraide. Il est intéressant de noter que l’article 7 du Protocole reprend effectivement la première phrase de l'article 18 par. 7 de la Convention no 141. L’expression « secret bancaire » doit être interprétée au sens large, en tenant compte des règles du droit communautaire et du droit national qui sont applicables dans le secteur financier606. L'article 8 du Protocole UEEJ concerne les infractions fiscales. La disposition de l’article 8 est similaire à celle de l'article 1er du Protocole additionnel de 1978 à la CEEJ. Il existe pourtant une différence entre ces deux instruments607 : contrairement au Protocole de 1978, le Protocole UEEJ ne permet aucune réserve sur cette disposition (article 11). En ce qui concerne le rapport entre le Protocole UEEJ et la CAAS, l’article 8 UEEJ remplace et précise l'article 50 CAAS. 605 606 607 138 Rapport explicatif (note 586), p. 6. Rapport explicatif (note 586), p. 7. Rapport explicatif (note 586), p. 7. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale L’article 9 du Protocole UEEJ contient une clause de dépolitisation des infractions, qui exclut l’exception du délit politique aux fins de l'entraide judiciaire entre les Etats membres de l’UE. Cette disposition suit une tendance générale dans le cadre de l’UE608, comme en témoigne aussi l'article 5 de la Convention de l'UE de 1996 relative à l'extradition. L’article 6 par. 2 du Protocole permet des dérogations pour les Etats membres qui décident de faire une déclaration à cet égard. Toutefois, aucune dérogation n'est possible en ce qui concerne les infractions terroristes. L’article 9 par. 3 du Protocole UEEJ limite expressément la possibilité de réserves formulées au titre de l’article 13 de la Convention européenne pour la répression du terrorisme609 (nature politique de l’infraction); ces réserves ne s'appliquent donc pas à l'entraide judiciaire entre les Etats membres pour la répression du terrorisme. Il est intéressant de noter que le Protocole UEEJ définit l’expression d’« infractions terroristes ». Il s’agit, d’une part, des infractions visées par la Convention européenne pour la répression du terrorisme (articles 1er et 2), infractions telles que la prise d'otage, l'utilisation d'armes à feu et d'explosifs, etc. Il s’agit, d’autre part, des infractions de conspiration ou d'association de malfaiteurs610 contribuant à la perpétration des infractions du premier groupe. Il faut, enfin, mentionner l’article 10, autre nouveauté du Protocole UEEJ. Cette disposition traite de la transmission au Conseil des décisions de rejet d’une demande d’entraide. Ainsi, sous certaines conditions, l’Etat membre requis qui rejette une demande d'entraide judiciaire est tenu de transmettre sa décision formelle au Conseil. Pour sa part, le Conseil effectue une évaluation de la décision et de la manière dont elle affecte la coopération judiciaire entre les Etats membres. Du point de vue pratique, l'obligation d'informer le Conseil ne couvre pas la transmission d’informations confidentielles ou sensibles qui pourraient figurer dans le dossier à transmettre. En outre, cette possibilité ne concerne pas les procédures d’entraide pendantes, ce qui assure le respect de l'indépendance du système judiciaire. Enfin, aucune transmission n’est nécessaire si l'Etat membre requérant accepte la décision de l’Etat requis et qu’il ne persiste pas dans sa demande. L’article 10 du Protocole UEEJ traite également du rôle d'Eurojust611. Les autorités compétentes d'un Etat membre pourront recourir à Eurojust pour résoudre toute difficulté concernant l'exécution d'une demande d’entraide, 608 609 610 611 Cette tendance de dépolitisation se reflète également dans les textes de l’ONU et du Conseil de l’Europe. Convention du Conseil de l’Europe pour la répression du terrorisme, du 27 janvier 1977, RS 0. 353. 3 ; Protocole portant amendement à la Convention du Conseil de l’Europe pour la répression du terrorisme, du 15 mai 2003. Elles correspondent au comportement décrit à l'article 3, paragraphe 4, de la convention du 27 septembre 1996 relative à l'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne (JO C 313 du 23.10.1996, p. 11). Voir p. 160 ss de la présente étude. 139 Deuxième partie : le droit de l’UE pour ce qui est des dispositions visées à l’article 10 par. 1 du Protocole UEEJ612. Les compétences d’Eurojust sont fixées dans la décision 2002/187/JAI du Conseil du 28 février 2002 et, comme l’indique le rapport explicatif, l'article 10 par. 2 ne confère aucune nouvelle compétence à Eurojust613. Cette institution peut pourtant jouer un rôle en cas de difficulté relative à l'exécution d’une demande d’entraide. Dans ce cas, les membres d'Eurojust représentant l'Etat requérant et l'Etat requis « peuvent être informés du conflit et aider à trouver une solution qui soit acceptable pour les deux Etats »614. La possibilité de faire appel à l'assistance d'Eurojust ne se limite pas aux cas conclus, mais elle s’applique également aux cas pendants. 6. La décision cadre 2003/577/JAI A l’initiative de la France, de la Suède et de la Belgique615, l’UE a adopté la décision cadre 2003/577/JAI du 22 juillet 2003 relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve616. L’UE a, une fois de plus, opté pour la forme juridique de la décision cadre. La décision cadre 2003/577/JAI facilite la coopération judiciaire internationale dans la phase qui précède le jugement, en appliquant le principe de la reconnaissance mutuelle au gel d'éléments de preuve et de biens. La décision cadre 2003/577/JAI diffère des textes précédents en ce qu'elle s'occupe exclusivement du gel. Néanmoins, deux problèmes se posent. D’une part, la décision cadre 2003/577/JAI ne traite que partiellement de la coopération judiciaire en matière pénale concernant les preuves, alors que le transfert ultérieur des éléments de preuve demeure régi par les procédures d’entraide judiciaire ; le nouvel instrument créant le mandat européen d’obtention de preuves vise à remédier à cette faiblesse de la décision cadre 2003/577/JAI617. D’autre part, la reconnaissance mutuelle et l'exécution directe des décisions de confiscation ne sont pas couvertes par la décision cadre 2003/577/JAI ; ces questions ont fait l’objet de débats au sein de l’UE618 612 613 614 615 616 617 618 140 Il s’agit des demandes rejetées sur la base de l'article 2, point b CEEJ, de l'article 22, par. 2, point b du traité Benelux, de l'article 51 CAAS, de l'article 5 de la CEEJ, de l'article 1er par. 5 et de l'article 2, par. 4 du Protocole UEEJ. Rapport explicatif (note 586), p. 8. Rapport explicatif (note 586), p. 8. JO C 75 du 7.3.2001, p. 3. JO L 196 du 2.8.2003, p. 45. La base juridique pour l’adoption de cet instrument était l’article 31 let. a TUE et l’article 34 par. 2 let. b TUE. Décision cadre 2008/978/JAI du Conseil, du 18 décembre 2008, relative au mandat européen d’obtention de preuves visant à recueillir des objets, des documents et des données en vue de leur utilisation dans le cadre de procédures pénales, JO L 350/72 du 30.12.2008. Voir p. 153 ss de la présente étude. Voir, par exemple, l’initiative du Royaume du Danemark en vue de l'adoption de la décision cadre du Conseil relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de confiscation ; voir aussi le rapport élaboré dans le cadre de la procédure de consultation ; COMMISSION DES LIBERTÉS ET DES DROITS DES CITOYENS, DE LA JUSTICE II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale et ont abouti à l’adoption d’un instrument spécifique en 2006619. La décision cadre 2003/577/JAI s'occupe donc exclusivement du gel, « tout en élargissant les raisons d'y recourir, non seulement confiscatoires, mais également probatoires »620. L’article 2 de la décision cadre 2003/577/JAI décrit les parties impliquées dans une procédure de ce type : d’une part, les autorités judiciaires de l’« Etat d'émission » (Etat requérant) prennent d'une façon quelconque une décision de gel dans le cadre d'une procédure pénale ; d’autre part, les autorités de l’« Etat d'exécution » (Etat requis), sur le territoire duquel le bien ou l'élément de preuve se trouve, doivent exécuter cette décision de gel621. En ce qui concerne la définition de l’expression « décision de gel », la décision cadre se réfère à toute mesure empêchant provisoirement « toute opération de destruction, de transformation, de déplacement, de transfert ou d'aliénation relative à un bien susceptible de faire l'objet d'une confiscation ou à un élément de preuve ». La décision cadre 2003/577/JAI a donc repris, dans ses grandes lignes, la définition employée dans les instruments de l’ONU622. Tout bien (corporel ou incorporel, meuble ou immeuble ainsi que les actes juridiques ou documents attestant d'un titre ou d'un droit sur ce bien) peut être gelé dans le cadre de la coopération internationale, si ce bien constitue l’objet, l’instrument ou le produit d'une infraction visée à l'article 3 par. 2623. Par ailleurs, tout bien (objet, document ou donnée) peut être gelé s’il constitue un élément de preuve, c'est-à-dire s’il est susceptible de servir de pièce à conviction dans le cadre d'une procédure pénale relative à l'une des infractions visées. La disposition la plus importante de la décision cadre 2003/577/JAI est l’article 5, qui traite de la reconnaissance et de l’exécution immédiate des décisions de gel. Selon cette disposition, les Etats membres reconnaissent mutuellement les décisions de gel. Cette reconnaissance est quasiautomatique624 : elle ne requiert pas de formalités, alors que la décision de gel ET DES AFFAIRES INTÉRIEURES, rapporteur: Giuseppe Di Lello Finuoli, Rapport 1. Sur l'initiative du Royaume du Danemark en vue de l'adoption de la décision cadre du Conseil relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens du crime 2. Sur l'initiative du Royaume du Danemark en vue de l'adoption de la décision cadre du Conseil relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de confiscation, 619 620 621 622 623 624 7 novembre 2002, FINAL A5-0383/2002. Décision cadre 2006/783/JAI du Conseil, du 6 octobre 2006, relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation, JO L 328 du 24.11.2006. Voir p. 148 ss de la présente étude. MASSE (2006), p. 465. A cet égard, la décision cadre va plus loin que la Convention no 141 et son système d’entraide classique ; GOLOBINEK (2006), p. 11. Article 1 par. 1, Convention de Vienne ; article 2 let. f, Convention de Palerme ; article 2 let. f, Convention de Mérida. Parmi ces infractions se trouvent la participation à une organisation criminelle, le terrorisme, le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes, la corruption, le blanchiment du produit du crime, etc. Cette liste peut être modifiée par le Conseil, qui statue à l'unanimité après consultation du Parlement européen, comme le prévoit l’article 3 par. 3 Des motifs de non-reconnaissance sont prévus, comme c’est souvent le cas dans les instruments de reconnaissance mutuelle ; Nikolaidis et Shaffer, qui étudient la mise en œuvre du principe dans un contexte 141 Deuxième partie : le droit de l’UE étranger doit être exécutée sans délai, de la même manière que les décisions de gel prises par une autorité de l'Etat d'exécution. En principe, l’exécution de la décision de gel étrangère a lieu conformément au droit de l'Etat d'exécution. Toutefois, la décision cadre 2003/577/JAI permet d’observer « les formalités et procédures expressément indiquées par l'autorité judiciaire compétente de l'Etat d'émission ». Cette exception est conditionnée par le respect des principes fondamentaux du droit de l'Etat d'exécution. Selon l’article 5 par. 3, les autorités judiciaires compétentes de l'Etat d'exécution doivent se prononcer sur une décision de gel, si possible, dans les 24 heures suivant la réception de ladite décision de gel ; elles doivent aussi communiquer leur décision dans les meilleurs délais. Ces dispositions visent à éviter des retards et à empêcher la disparition des avoirs à geler entre-temps. La décision cadre 2003/577/JAI prévoit également des motifs de nonreconnaissance ou de non-exécution. La liste de motifs incluse dans l’article 7 est exhaustive625. Premièrement, le refus est justifié si les modalités de la demande ne sont pas accomplies, en particulier si le certificat prévu à l'article 9 n’est pas établi de manière appropriée. Toutefois, la décision cadre 2003/577/JAI prévoit la possibilité de compléter ou de rectifier la demande. Deuxièmement, le refus est justifié si l'exécution de la décision de gel est contrariée par une immunité ou un privilège accordé par la législation de l’Etat d’exécution. Troisièmement, l’exécution de la décision de gel peut être refusée si elle est contraire au principe ne bis in idem. Quatrièmement, l’exécution peut être refusée si l’infraction qui est à la base de la décision de gel ne constitue pas une infraction au regard du droit de l'Etat d'exécution ; ce contrôle de la double incrimination est admis seulement pour les infractions hors la liste de l’article 3. Contrairement à d’autres instruments de reconnaissance mutuelle, la décision cadre 2003/577/JAI n’admet pas la clause territoriale à titre de motif de refus (la circonstance que l’acte incriminé a été commis en tout ou en partie sur le territoire de l’Etat d’exécution)626. Si les autorités de l’Etat requis refusent d’exécuter une décision de gel étrangère, elles doivent notifier sans délai et par écrit les autorités judiciaires compétentes de l'Etat d'émission. Une distinction doit être faite entre les motifs de non-reconnaissance, prévus à l'article 7 et les motifs de report, prévus à l'article 8. Dans le cas du report, l’exécution de la décision de gel est suspendue, jusqu’à ce que le motif de report cesse d'exister. Premièrement, l’exécution est reportée, lorsque son commercial, affirment que « [i]n practice, mutual recognition, in all its incarnations, is conditional. Mutual recognition regimes set the conditions governing the recognition of the validity of foreign laws, regulations, standards, and certification procedures among states in order to assure host country regulatory officials and citizens that their application within their borders is “compatible” with their own » ; NIKOLAIDIS / SHAFFER 625 626 142 (2005), p. 264 ; cf. aussi PANAYIDES (2006), p. 143. Selon l’article 7 par. 1, « [l]es autorités judiciaires compétentes de l'Etat d'exécution ne peuvent refuser la reconnaissance ou l'exécution de la décision de gel que […] » VERNIMMEN-VAN TIGGELEN / SURANO (2008), p. 13. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale exécution risque de nuire à une enquête pénale en cours. Deuxièmement, la possibilité de report est prévue lorsque les biens ou les éléments de preuve visés ont déjà fait l'objet d'une mesure de gel dans le cadre d'une procédure pénale. Troisièmement, si le gel a lieu dans le cadre d'une procédure pénale en vue de confiscation ultérieure des biens et si ces biens font déjà l'objet d'une décision arrêtée dans le cadre d'une autre procédure dans l'Etat requis, l’exécution peut être reportée jusqu'à ce que cette décision prioritaire ait été levée. Selon l’article 8 par. 2 de la décision cadre, l’Etat requis est obligé d’informer les autorités étrangères sur le report de l'exécution de la mesure de gel ; cette communication doit aussi comprendre les motifs du report et, si possible, la durée prévue du report. Dès lors que le gel est une mesure de nature temporaire, il faut déterminer le sort des biens gelés. L’article 6, qui traite de la durée du gel, prévoit que cette mesure est maintenue dans l'État d'exécution jusqu'à ce que celui-ci ait donné un traitement définitif à la demande visée à l'article 10. En premier lieu, les biens gelés peuvent être transférés en tant qu’éléments de preuve vers l'Etat requérant (article 10 par. 1 let. a). En deuxième lieu, la procédure de gel peut être suivie d’une procédure en confiscation (article 10 par. 1 let. b). En troisième lieu, le bien gelé peut être maintenu dans l'Etat d'exécution dans l'attente d'une demande de transfert ou d’une demande de confiscation (article 10 par. 1 let. c). Certes, l’Etat requérant doit donner des instructions à cette fin, en indiquant également la date à laquelle il présentera la demande de transfert ou de confiscation. Les demandes visées à l’article 10 par. 1 let. a et b sont transmises et traitées conformément aux règles applicables à l'entraide judiciaire en matière pénale. L’article 10 par. 3 de la décision cadre 2003/577/JAI introduit une dérogation à ces règles, en prévoyant que « l'Etat d'exécution ne peut refuser les demandes […], en invoquant l'absence de double incrimination, si ces demandes concernent les infractions visées à l'article 3, paragraphe 2, et que ces infractions sont punies dans l'Etat d'émission d'une peine privative de liberté d'au moins trois ans ». Pour protéger les droits de l’accusé et des tiers dans le contexte des procédures de gel, la décision cadre 2003/577/JAI prévoit la mise en place de voies de recours (article 11). Des moyens de recours dépourvus d’effet suspensif doivent être mis à la disposition de toute personne concernée, y compris des tiers de bonne foi627. Pour préserver leurs intérêts légitimes, ces personnes peuvent engager une action devant un tribunal de l'Etat d'émission ou de l'Etat d'exécution conformément à la législation nationale de chacun de ces Etats. Toutefois, selon l’article 11 par. 2 de la décision cadre 2003/577/JAI, une action contestant les raisons substantielles qui sont à l'origine de 627 STESSENS (2000), p. 76 ss. 143 Deuxième partie : le droit de l’UE l'émission de la décision de gel ne peut être engagée que devant un tribunal de l'Etat d'émission. Par ailleurs, les Etats membres doivent faciliter l’exercice des moyens de recours, notamment en fournissant toutes les informations nécessaires aux personnes concernées et en prévoyant des délais raisonnables pour l'exercice effectif de ce droit. Comme l’indique un rapport de la Commission, l'exécution rapide des demandes de gel semble assurée, mais la mise en œuvre de l’instrument n’est pas satisfaisante628. Par exemple, certains Etats membres ont introduit des motifs de refus supplémentaires dans leur législation nationale, même si la décision cadre énumère exhaustivement les motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution admissibles. En outre, les Etats membres ont souvent transposé comme des motifs obligatoires les quatre motifs facultatifs de nonreconnaissance ou de non-exécution de la décision de gel mentionnés à l’article 7. Les législations nationales reçues par la Commission présentent ainsi « de nombreuses omissions et erreurs d'interprétation ». A la fin de 2008, la Commission a identifié un autre problème de mise en œuvre : les autorités judiciaires estiment que le certificat par lequel elles demandent l’exécution de décisions de gel est plutôt difficile à compléter et qu’il ne contient pas tous les champs nécessaires. Pour cette raison les formulaires-types d’entraide judiciaire sont souvent utilisés au lieu de ce certificat, tendance qui empêche la décision cadre d’atteindre pleinement ses objectifs629. Les praticiens considèrent aussi la décision cadre 2003/577/JAI comme un instrument plus compliqué que la CEEJ, la CAAS et la Convention d’entraide judiciaire en matière pénale de l’UE630. 7. La décision cadre 2005/212/JAI La décision cadre 2005/212/JAI631, adoptée à l’initiative du Royaume du Danemark632 vise à compléter les dispositions de la décision cadre 2001/500/JAI. Selon le rapport Di Lello Finuoli, l’amélioration du dispositif juridique en matière de confiscation s’avère nécessaire633 ; comme l’indique aussi le préambule de la décision cadre 2005/212/JAI, « les instruments qui existent dans ce domaine n’ont pas suffisamment contribué à assurer une coopération transfrontalière efficace en matière de confiscation ». 628 629 630 631 632 633 144 Rapport de la Commission (note 446), conclusions. Communication de la Commission (note 7), section 3.1. Rapport précité (note 513), p. 89 ss. Décision cadre 2005/212/JAI du Conseil du 24 février 2005 relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime, JO L 68 du 15.3.2005. Les bases juridiques du nouvel instrument, , sont l’article 29 TUE, l’article 31 par. 1 let. c TUE et l’article 34 par. 2 let. b TUE JO C 184 du 2.8.2002, p. 3. Rapport précité (note 618), p. 14. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale L’objectif de la décision cadre 2005/212/JAI est de garantir que tous les Etats membres de l’UE disposent d’une réglementation efficace en matière de confiscation des produits du crime, notamment en ce qui concerne la charge de la preuve quant à l’origine des avoirs. Sans doute, le rapprochement des dispositions sur la confiscation facilite-il la reconnaissance mutuelle des décisions de confiscation634. Au niveau terminologique, la décision cadre emploie, en substance, les mêmes définitions que la Convention no 141 du Conseil de l’Europe. Cette uniformité terminologique devient évidente, si on compare l’article 1 de la Convention no 141 avec l’article 1 de la décision cadre 2005/212/JAI635. Toutefois, selon un rapport de la Commission, en l'absence d’informations détaillées sur la transposition de l’article 1, « il est parfois difficile, voire impossible, pour la Commission d'être certaine que les dispositions de la décision cadre ont été correctement transposées »636. Selon l’article 2 de la décision cadre 2005/212/JAI, la confiscation doit être possible lorsque les instruments et les produits proviennent de certaines infractions préalables. Il s’agit des infractions pénales passibles d'une peine privative de liberté d'une durée supérieure à un an. L’article 2 de la décision cadre 2005/212/JAI a donc employé le même seuil que celui retenu dans la décision cadre du Conseil 2001/500/JAI ; la différence entre les deux instruments tient au fait que la nouvelle décision cadre supprime la possibilité de réserves qui permettait de ne pas prévoir de confiscation en cas d’infraction fiscale637. Certains Etats membres ne prévoient pas de seuil minimum car ils appliquent la confiscation à tous les crimes638. Il est positif que, outre la confiscation des produits des infractions, l’article 2 par. 1 de la décision cadre 2005/212/JAI couvre également le recouvrement de la créance compensatrice (« confiscation […] de biens dont la valeur correspond à ces produits »)639. L’article 2 par. 2 de la décision cadre fait une référence à la question délicate des infractions fiscales ; selon cette disposition, les procédures pénales ne sont pas le seul moyen pour priver l’auteur des produits de l’infraction. D’autres procédures, telles que les procédures administratives, peuvent être efficaces à cet égard. Le droit de certains Etats membres, comme la Belgique, la 634 635 636 637 638 639 MITSILEGAS (2006), p. 1286 ; MASSE (2006), p. 468. Le terme de « produit » est ainsi défini de manière à inclure tout avantage économique tiré d’infractions pénales. Le terme de « bien » est aussi défini de manière large, afin de couvrir tous les biens de tout type, corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, « ainsi que les actes juridiques ou documents attestant d’un titre ou d’un droit sur le bien ». Enfin, le terme d’« instrument » de l’infraction pénale est conçu de manière à inclure tous les objets qui sont employés ou destinés à être employés, de quelque façon que ce soit, en tout ou partie, pour commettre une telle infraction. Rapport de la Commission sur la base de l'article 6 de la décision cadre du Conseil du 24 février 2005 concernant la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime (2005/212/JAI), COM (2007) 805 final du 17.12.2007. Rapport précité (note 636), p. 4. Rapport précité (note 636), p. 4. L’article 3 de la décision cadre 2001/500/JAI prévoit aussi cette possibilité ; voir p. 132 de la présente étude. 145 Deuxième partie : le droit de l’UE Bulgarie et la Lituanie, prévoit un tel recours à des procédures autres que pénales afin de priver l’auteur des produits d’infraction fiscales. Sans doute, l’article 3, intitulé « pouvoirs de confiscation élargis », constitue-til la disposition la plus importante de la décision cadre 2005/212/JAI. Selon la Commission, « [b]ien que restant en deçà des ambitions de la proposition initiale de l'instrument, l’article 3 est la véritable plus value de cette décision cadre »640. Les Etats membres sont tenus de permettre la confiscation des avoirs détenus par une personne reconnue coupable d’une infraction liée à la criminalité organisée. La notion de la criminalité organisée, qui soulève bien des controverses doctrinales641, est définie au niveau de l’UE par l’action commune 98/733/JAI du 21 décembre 1998 relative à l’incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les Etats membres de l’UE642. Cependant, selon l’article 3 de la décision cadre 2005/212/JAI, l’infraction ne doit pas seulement être liée à la criminalité organisée, mais elle doit aussi faire partie de la liste d’infractions fournie à l’article 3 par. 1 let. a (faux-monnayage en vue de la mise en circulation de l’euro, blanchiment d’argent, traite des êtres humains, aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers, exploitation sexuelle des enfants, trafic de drogue, terrorisme etc.). Il s’agit là d’une liste limitative d'infractions harmonisées et établies en application de six décisions cadres643. A cette liste s’ajoutent les infractions de terrorisme644 (article 3 par. 1 let. b de la décision cadre 2005/212/JAI), qui ne doivent pas nécessairement être commises dans le cadre d’une organisation criminelle, contrairement aux infractions énumérées à l’article 3 par. 1 let. a. Dans tous ces cas, les biens de la personne reconnue coupable de l’infraction seront confisqués. L’obligation de prévoir une possibilité de confiscation élargie implique que l'infraction doit être de nature à générer des bénéfices ; cependant, de nombreux Etats membres n’ont pas repris cette condition, ce qui permet une plus grande souplesse dans la mise en œuvre de la décision cadre. 640 641 642 643 644 146 Rapport précité (note 636), p. 5. Voir p. 6 de la présente étude. JO L 351 du 29.12.1998, p. 1. Décision cadre 2000/383/JAI du Conseil du 29 mai 2000 visant à renforcer par des sanctions pénales et autres la protection contre le faux-monnayage en vue de la mise en circulation de l’euro (JO L 140 du 14.6.2000, p. 1) ; décision cadre 2001/500/JAI du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d’argent, l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime (JO L 182 du 5.7.2001, p. 1) ; décision cadre 2002/629/JAI du Conseil du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains (JO L 203 du 1.8.2002, p. 1) ; décision cadre 2002/946/JAI du Conseil du 28 novembre 2002 visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers (JO L 328 du 5.12.2002, p. 1) ; décision cadre 2004/68/JAI du Conseil du 22 décembre 2003 relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie (JO L 13 du 20.1.2004, p. 44) ; décision cadre 2004/757/JAI du Conseil du 25 octobre 2004 concernant l’établissement des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue (JO L 335 du 11.11.2004, p. 8). Les infractions qui relèvent de la décision cadre 2002/475/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme (JO L 164 du 22.6.2002, p. 3). II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale Pour sa part, l’article 3 par. 2 de la décision cadre offre trois solutions, quant aux standards de la preuve. Premièrement, la confiscation sera possible dans les cas où un tribunal national est pleinement convaincu que les biens en question proviennent d’activités criminelles de la personne condamnée (article 3 par. 2 let. a). Cette mesure concerne les biens acquis par la personne condamnée au cours d’une période antérieure à la condamnation, période déterminée par le tribunal selon les circonstances de l’espèce. Deuxièmement, la confiscation sera possible dans les cas où un tribunal national est pleinement convaincu, « sur la base d’éléments concrets », que les biens en question proviennent d’activités criminelles « similaires » de la personne condamnée au cours de cette période raisonnable antérieure à la condamnation (article 3 par. 2 let. b). Enfin, la confiscation sera possible dans les cas où la valeur des biens est disproportionnée par rapport au revenu légal de la personne condamnée (article 3 par. 2 let. c). Dans ce dernier cas, le tribunal doit être pleinement convaincu de l’origine criminelle des biens par l’existence d’éléments concrets. La Commission a fait remarquer que la mise en œuvre du paragraphe 2 de l'article 3 a posé le plus de difficultés, notamment liées aux principes fondamentaux, « à l'administration de la charge de la preuve, le lien habituellement exigé entre l’infraction qui donne lieu à condamnation et ce qui est confisqué, le droit à un procès équitable, mais aussi la proportionnalité entre la peine et les faits reprochés »645. La décision cadre aborde également la question de la confiscation des biens, qui n’appartiennent pas directement à la personne concernée. Les opérations de blanchiment d’argent impliquent souvent le recours aux services d’hommes de paille ou de sociétés vitrines. Pour faire face à des stratagèmes de ce type, l’article 3 par. 3 de la décision cadre soutient l’adoption des mesures permettant la confiscation de tout ou partie « des biens acquis par les associés de la personne concernée, ainsi que des biens transférés à une personne morale sur laquelle la personne concernée exerce, seule ou par l’intermédiaire de ses associés, une influence déterminante » . Pour tout ou partie, un tel dispositif est prévu par la législation d’Etats membres comme la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, la Finlande, etc. Le critère employé est principalement celui du contrôle effectif. Toutefois, la décision cadre ajoute le critère de l’intérêt financier : si la personne concernée perçoit une part importante des gains de la personne morale, les biens de cette société peuvent être confisqués. La transposition de la décision cadre 2005/212/JAI a fait l’objet d’un rapport de la Commission646, comme le prévoit l’article 6. La Commission a évalué les mesures de transposition adoptées par 16 Etats membres647. Selon ce 645 646 647 Rapport précité (note 636), p. 6. Rapport précité (note 636). Plus précisément : 16 Etats membres ont participé à l’évaluation (BE, BG, CZ, DE, DK, EE, FI, FR, HU, IE, LT, MT, NL, PL, RO, SE). 5 Etats membres (EL, IT, LV, LU, PT) ont déclaré que leurs actes législatifs respectifs 147 Deuxième partie : le droit de l’UE rapport, « la Commission juge préoccupant que la transposition de cette décision cadre soit toujours aussi peu avancée dans les Etats membres ». La Commission a souligné de nouveau l’importance de l'adoption de « dispositions législatives solides et complètes au niveau national » pour assurer une lutte efficace contre la criminalité organisée au niveau de l’Union européenne. Pour cette raison, elle a encouragé les Etats membres, qui étaient en train d’élaborer les dispositions législatives requises, à les adopter au plus vite et à en communiquer le texte à la Commission. A la fin de 2008, la Commission a identifié deux autres faiblesses de la décision cadre 2005/212/JAI648 : d’une part, un manque de clarté des dispositions du texte, qui conduit à une transposition fragmentaire ; d’autre part, la marge de manœuvre quant aux critères à appliquer aux fins de la confiscation élargie, qui limite de facto la portée de la reconnaissance mutuelle. 8. La décision cadre 2006/783/JAI Les travaux de l’Union européenne en matière de confiscation internationale ont progressé davantage en 2006. Le dénouement le plus important est l’adoption de la décision cadre 2006/783/JAI du Conseil, du 6 octobre 2006, relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation649. Cet instrument renforce la coopération entre les Etats membres en introduisant le principe de reconnaissance mutuelle dans le domaine de la confiscation internationale650. La décision cadre 2006/783/JAI fait aussi pendant à la décision cadre 2005/212/JAI, examinée dans la section précédente. Les Etats membres ont dû adopter les mesures nécessaires à la mise en œuvre du nouvel instrument au plus tard le 24 novembre 2008. La décision cadre 2006/783/JAI a deux axes principaux. D’une part, elle prévoit l'exécution directe et immédiate des décisions judiciaires de confiscation des produits d’infractions et simplifie les procédures pour la reconnaissance de ces décisions entre les Etats membres ; cependant, elle ne traite pas de la restitution des biens à leurs propriétaires légitimes. D’autre part, la décision cadre 2006/783/JAI aborde la question du partage des avoirs 648 649 650 148 étaient en cours d'élaboration et 6 Etats membres (AT, CY, ES, SK, SI, UK) n’ont pas communiqué à la Commission leurs mesures nationales. Communication de la Commission (note 7), section 3.1. Décision cadre 2006/783/JAI du Conseil, du 6 octobre 2006, relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation, JO L 328 du 24.11.2006. Cf. aussi Décision cadre 2009/299/JAI du Conseil du 26 février 2009 portant modification des décisions cadres 2002/584/JAI, 2005/214/JAI, 2006/783/JAI, 2008/909/JAI et 2008/947/JAI, renforçant les droits procéduraux des personnes et favorisant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions rendues en l’absence de la personne concernée lors du procès, JO L 81 du 27.03.2009, p. 24 ss. La décision cadre 2006/783/JAI et l’évolution du principe de la reconnaissance mutuelle s’intègrent au processus commencé à Tampere (Conseil européen de Tampere, octobre 1999) et élaboré dans la mesure 19 du programme de mesures destinées à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale ; JO C 12 du 15.1.2001, p. 10. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale confisqués entre l'Etat membre requérant (Etat membre d'émission) et l’Etat membre requis (Etat membre d'exécution) ; la question de l’affectation des fonds confisqués n’est pas abordée. Enfin, la décision cadre permet aux Etats membres d'appliquer les dispositions plus favorables des accords bilatéraux ou multilatéraux. La décision cadre 2006/783/JAI définit d’abord l’expression «décision de confiscation». Selon l’article 2 let. c, il s’agit d’une mesure ordonnée par une autorité judiciaire visant à priver le sujet concerné d'un bien à titre définitif. Comme l’indique la Commission, le champ d’application de la décision cadre 2006/783/JAI semble couvrir seulement les décisions de confiscation arrêtées dans le cadre de procédures pénales651 ; il n’est donc pas évident que tous les Etats membres puissent exécuter les décisions de confiscation arrêtées dans le cadre de procédures de confiscation de droit civil ou d’une utilisation étendue de compétences fiscales. Dans les pays de common law, les tribunaux peuvent rendre des décisions de ce type. La décision cadre ne réglemente donc pas la nature le contenu de la confiscation en tant que sanction pénale ; elle utilise un critère formel, c’est-à-dire la nature de l’autorité ordonnant la confiscation, pour imposer l'exécution directe et immédiate des décisions judiciaires de confiscation. Comme d’autres instruments en matière de confiscation, la décision cadre 2006/783/JAI définit également les notions d’« instrument » et de « produit du crime » (article 2 let. e, f)652. Des « pouvoirs de confiscation élargis » sont prévus à l’article 2 let. d ch. iii et iv. Ces pouvoirs élargis sont prévus soit à la décision cadre 2005/212/JAI653, soit dans la la législation de l’État d’émission. L’article 7 par. 5 prévoit la possibilité d’indiquer dans une déclaration déposée auprès du secrétariat général du Conseil que les autorités compétentes ne reconnaissent ni n’exécutent des décisions de confiscation visées à l’article 2 let. d ch. iv, c’est-àdire les décisions de confiscation « en application de toute autre disposition relative aux pouvoirs de confiscation élargis au regard de la législation de l’État d’émission ». La décision cadre prévoit que le secrétariat général du Conseil de l'Union maintient les coordonnées des autorités judiciaires compétentes des Etats membres et qu’elle met ces informations à la disposition de tous les Etats membres et de la Commission (article 3). La décision de confiscation, accompagnée d'un certificat standardisé654, est directement envoyée à l'autorité judiciaire compétente étrangère. La confiscation est transmise aux 651 652 653 654 Communication de la Commission (note 7), section 3.1 ; ZAGARIS (2009), p. 87 ss. La première notion couvre tout bien (corporel ou incorporel) employé ou destiné à commettre une infraction pénale, alors que la deuxième notion couvre tout avantage économique dérivant d'un acte criminel. L’article 2 let. d ch. iii de la décision cadre 2006/783/JAI fait référence à l’article 3, paragraphes 1 et 2 de la décision cadre 2005/212/JAI (p. ex. confiscation d’avoirs des organisations criminelles, etc.) Ce certificat, dont le modèle figure à l’annexe de la décision cadre, doit être traduit dans la langue officielle de l'Etat d'exécution ou dans l’une des langues officielles de cet Etat (article 19). 149 Deuxième partie : le droit de l’UE autorités du pays où la personne concernée a sa résidence habituelle (personnes physiques) ou son siège (personnes morales) et/ou possède des biens ou des revenus. Dans le cadre de ses enquêtes, l'Etat d'émission peut recourir à l’aide du Réseau judiciaire européen pour identifier les pays qui peuvent être concernés. Le fait que les autorités de l’Etat d’émission utilisent la décision cadre 2006/783/JAI pour transmettre une décision de confiscation à l’étranger n’exclut pas la possibilité d’exécuter cette décision sur le territoire de l’Etat d’émission655. Pour sa part, l'Etat d'exécution reconnaît et exécute immédiatement la décision en application des dispositions de son droit interne et selon les modalités décidées par ses autorités. Cette reconnaissance automatique des décisions de confiscation repose sur « la certitude que les décisions à reconnaître et à exécuter sont toujours rendues dans le respect des principes de légalité, de subsidiarité et de proportionnalité » 656. La reconnaissance et l’exécution de la décision de confiscation doivent donc avoir lieu sans délai et sans qu'aucune formalité ne soit requise. L'Etat d'exécution ne peut réviser la décision, que sur demande de l’Etat d’émission. Il est intéressant de noter qu’une décision de confiscation envers les personnes morales doit être exécutée même si le droit de l'Etat d'exécution n’admet pas la responsabilité pénale des personnes juridiques. Les autorités de l’Etat d'exécution décident l'ordre d'exécution dans le cas où plusieurs demandes d'exécution concernent la même personne. Pour déterminer l’ordre d’exécution les autorités de l’Etat d'exécution tiennent compte de la gravité des infractions et de toute autre circonstance pertinente. En ce qui concerne le partage des valeurs confisquées, l’article 16 de la décision cadre 2006/783/JAI établit un système de répartition. Pour les montants modestes, qui ne dépassent pas les € 10’000 ou l’équivalent de ce montant, la somme revient à l'Etat d'exécution. Si le montant recouvré est important, à savoir s’il est supérieur à € 10’000, la moitié est transférée par l'Etat d'exécution à l'Etat d'émission. L’art 16 par. 2 prévoit des règles quant à la disposition des biens, autres que les sommes d’argent, recouvrés en application de la décision de confiscation. Ainsi, l’Etat d’exécution peut vendre les biens et répartir le produit de la vente conformément aux règles de l’article 16 par. 1 ; l’Etat d’exécution peut aussi transférer les biens à l’Etat d’émission657. Si aucune de ces méthodes n’est possible, l’article 16 par. 2 permet à l’Etat d’exécution de disposer les biens d’une autre manière conformément à sa législation. L’UE a ainsi établi des règles détaillées sur le partage des valeurs confisquées. Le partage des valeurs confisquées entre un Etat membre de l’UE et un pays tiers n’est pas régi par la décision cadre 655 656 657 150 Dans ce cas, les autorités de l’Etat d’émission sont tenues d’en informer les autorités compétentes de l'Etat d'exécution. Cf. point 9 du préambule, décision cadre 2006/783/JAI. Comme le précise l’article 16 al. 2 let. b, l’Etat d’émission doit consentir à un tel transfert dans le cas où la décision de confiscation vise une somme d’argent. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale 2006/783/JAI, ainsi que la conclusion d’un accord de partage est toujours exigée dans ces cas658. Un autre élément important de la décision cadre 2006/783/JAI est l'abolition partielle de la double incrimination. Cette abolition concerne les infractions qui doivent être punies par l'Etat membre d'émission avec une peine privative de liberté d'une durée maximale d'au moins 3 ans. En reprenant la liste d'infractions fournie par la décision cadre concernant le mandat d'arrêt européen, la décision cadre 2006/783/JAI abolit la double incrimination pour certaines infractions graves. Parmi ces infractions se trouvent la participation à une organisation criminelle, la traite des êtres humains, la pédopornographie, le terrorisme, le trafic illicite de stupéfiants, la corruption, les crimes sous la juridiction de la CPI, etc. Pour les autres infractions qui n’appartiennent pas à cette liste, la double incrimination demeure une condition à laquelle l’Etat d’exécution peut subordonner la reconnaissance et l'exécution de la décision. Cette distinction entre deux catégories d’infractions (les infractions « listées » à l’égard desquelles le contrôle de la double incrimination n’est pas admis et celles « hors liste ») est souvent employée dans les instruments de reconnaissance mutuelle qui portent sur l’entraide judiciaire mineure (décisions cadres sur le gel, le mandat d’arrêt européen et le mandat d’obtention de preuves)659. En ce qui concerne le respect des droits fondamentaux, la décision cadre 2006/783/JAI affirme, dans son préambule, l’importance des principes reconnus par l’article 6 TUE et reflétés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment son chapitre VI. Pour cette raison, les dispositions de la décision cadre ne peuvent pas être interprétées de manière à permettre la confiscation de biens, « s’il y a des raisons de croire, sur la base d’éléments objectifs, que ladite décision a été rendue dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses convictions politiques ou de son orientation sexuelle » (préambule, point 13). Néanmoins, cette clause risque d’être utilisée pour subordonner l’exécution de la décision judiciaire à la vérification préalable de sa conformité aux droits fondamentaux ; le fait de réintroduire le contrôle du juge de l’Etat d’exécution sur la décision rendue dans l’Etat membre d’émission est contraire au principe de reconnaissance mutuelle660. Suivant la logique d’autres instruments en matière d’entraide, la décision cadre 2006/783/JAI prévoit des motifs permettant à l'Etat membre d'exécution 658 659 660 Rapport précité (note 27), p. 27. VERNIMMEN-VAN TIGGELEN / SURANO (2008), p. 12 ; le contrôle de la double incrimination est autorisé pour les infractions « hors liste » ; la question se pose donc de savoir si ce contrôle est aussi autorisé dans l’exécution de mesures qui n’y étaient pas subordonnées dans le cadre de l’assistance mutuelle traditionnelle. S’agit-il ici d’un « recul paradoxal » dans la coopération judiciaire entre les Etats membres ? Rapport précité (note 434), p. 44. 151 Deuxième partie : le droit de l’UE de refuser de reconnaître la décision. En premier lieu, l’exécution peut être refusée si le certificat est manquant, incomplet ou non conforme à la décision de confiscation. En deuxième lieu, l’exécution de la décision ne doit pas violer le principe ne bis in idem, c’est-à-dire qu’aucune décision de confiscation ne doit exister à l'encontre de la même personne pour les mêmes faits ; or, l'exécution de la décision de confiscation peut être reportée si elle risque de nuire à une enquête ou une procédure pénale en cours dans l'Etat d'exécution. En troisième lieu, le droit de l'Etat d'exécution peut prévoir des immunités ou des privilèges, raison pour laquelle l’exécution de la décision de confiscation peut être refusée. En quatrième lieu, l'exécution de la décision ne doit pas violer les droits des parties intéressées et des tiers de bonne foi. En cinquième lieu, dans le cas où l’intéressé n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision de confiscation, les exigences du nouvel article 8, par. 2 let. e661 doivent être respectées (citation ou connaissance établie du procès en temps utile, possibilité de faire appel ou de former opposition, signification de la décision de confiscation, non-contestation de cette décision). En sixième lieu, quant aux infractions commises entièrement ou partiellement sur le territoire de l'Etat d'exécution ou hors du territoire de l'Etat d'émission, l'Etat d'exécution peut refuser d’exécuter la décision de confiscation si son droit interne ne prévoit pas l'instauration d'une procédure légale à l'égard de ces infractions. Enfin, l’Etat d'exécution peut invoquer la prescription de la décision de confiscation en application de son droit national. La décision cadre 2006/783/JAI impose également l’adoption des mesures nécessaires pour garantir la possibilité de recours, devant un tribunal de l'Etat d'exécution (article 9). Les raisons substantielles qui ont conduit au prononcé de la décision de confiscation ne peuvent pas faire l’objet de contestation lors de ce recours. Le droit de recours de la personne concernée et des tiers de bonne foi peut être renforcé par l’effet suspensif du recours contre la décision de confiscation (article 10 let. b). Comme c’est souvent le cas avec les instruments européens de reconnaissance mutuelle, la transposition de la décision-cadre 2006/783/JAI dans le droit national n'est pas satisfaisante. Le principal problème, selon la Commission, est le fait que « […] presque tous les États membres ont inclus dans leur législation nationale plusieurs motifs supplémentaires. Cette pratique n'est pas conforme à la décision-cadre »662 ; pour cette raison, la Commission a indiqué son intention d’examiner « […] la nécessité de réviser cette décision-cadre selon les dispositions du traité de Lisbonne » . 661 662 152 Disposition modifiée par la décision cadre 2009/299/JAI du Conseil du 26 février 2009 portant modification des décisions cadres 2002/584/JAI, 2005/214/JAI, 2006/783/JAI, 2008/909/JAI et 2008/947/JAI, renforçant les droits procéduraux des personnes et favorisant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions rendues en l’absence de la personne concernée lors du procès, JO L 81 du 27.03.2009, p. 24 ss. Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil fondé sur l'article 22 de la décision cadre 2006/783/JAI du Conseil du 6 octobre 2006 relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation, COM(2010) 428 final du 23.8.2010, Conclusions. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale 9. La décision cadre 2008/978/JAI En décembre 2008, le Conseil a adopté la décision cadre 2008/978/JAI relative au mandat européen d’obtention de preuves663. Le mandat de ce type, qui peut être remis pour recueillir des objets, des documents et des données en vue de leur utilisation dans le cadre de procédures pénales, vise à remplacer le système d’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres aux fins d’obtention de preuves. L’UE a ici employé le modèle de la reconnaissance mutuelle, modèle plus pratique que celui de l’unification des règles en matière de la preuve, dont la mise en œuvre semble actuellement illusoire664. L’adoption de la décision cadre 2008/978/JAI fait partie du programme de mesures destinées à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales665. Elle fait aussi suite à l’adoption d’un autre instrument important, la décision cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen666 et concrétise la tendance en faveur du renforcement du principe de reconnaissance mutuelle, sous la forme de « mandats européens ». Le mandat d’obtention de preuves complète aussi la décision cadre 2003/577/JAI relative à l’exécution des décisions de gel de biens ou d’éléments de preuve, qui « ne traite […] que partiellement de la coopération judiciaire en matière pénale concernant les preuves et prévoit que le transfert ultérieur des éléments de preuve demeure régi par les procédures d’entraide judiciaire »667. En ce qui concerne le rapport entre le mandat européen d’obtention de preuves et les autres procédures d’entraide en vigueur668, une coexistence transitoire est inévitable « jusqu’à ce que, conformément au programme de La Haye, les modes d’obtention de preuves exclus de la présente décision cadre fassent également l’objet d’un instrument de reconnaissance mutuelle, dont l’adoption créerait un régime complet de reconnaissance mutuelle destiné à se substituer aux procédures d’entraide »669. Les procédures d’entraide judiciaire peuvent être employées pour obtenir les objets, documents ou données qui relèvent du champ d’application de la décision cadre, si cela 663 664 665 666 667 668 669 Décision cadre 2008/978/JAI du 18 décembre 2008 relative au mandat européen d’obtention de preuves visant à recueillir des objets, des documents et des données en vue de leur utilisation dans le cadre de procédures pénales, JO L 350/72 du 30.12.2008. Délai pour la mise en œuvre : 19 janvier 2011. La décision cadre 2008/978/JAI est fondée sur l’article 31 et l’article 34, paragraphe 2, point b TUE, dispositions qui régissent respectivement l’action en commun dans le domaine de la coopération judiciaire et la possibilité d’arrêter des décisions cadres aux fins du rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres. Contra : SPENCER (2003), p. 36. Cf. Conclusions du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, point 33 ; cf. aussi programme du Conseil du 29 novembre 2000 sur les mesures destinées à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales, points 5 et 6, JO C 12 du 15.1.2001, p. 10 ; programme de La Haye, annexé aux conclusions du Conseil européen des 4 et 5 novembre 2004, point 3.3.1, JO C 53 du 3.3.2005, p. 1. Voir aussi BARBE (2005), p. 114 ss. Décision cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, JO L 190 du 18.7.2002, p. 1. Consid. 5 de la décision cadre 2008/978/JAI. La remise de moyens de preuve est aussi prévue par la CEEJ, la CAAS et l’UEEJ. Consid. 25 de la décision cadre 2008/978/JAI. 153 Deuxième partie : le droit de l’UE faciliterait la coopération entre l’Etat d’émission et l’Etat d’exécution dans le cas d’espèce (article 21 par. 3). L’article 1 définit le mandat européen d’obtention de preuves comme une « décision judiciaire émise par une autorité compétente d’un Etat membre afin d’obtenir des objets, des documents et des données d’un autre Etat membre » en vue de leur utilisation dans le cadre des procédures pénales. En vertu de l’article 2 let. c, l’autorité d’émission doit effectivement être « un juge, une juridiction, un magistrat instructeur ou un procureur » ou toute autre autorité judiciaire définie par l’Etat d’émission, « agissant en qualité d’autorité chargée des enquêtes dans le cadre des procédures pénales »670. La notion de « procédure pénale » couvre d’abord les procédures engagées par une autorité judiciaire ou à engager devant celle-ci, concernant une infraction pénale conformément au droit national de l’Etat d’émission (article 5 let. a). Il s’agit ensuite des procédures concernant une infraction aux règlements poursuivies par des autorités administratives ou des autorités judiciaires, si la décision peut donner lieu à un recours devant une juridiction compétente, notamment en matière pénale (article 5 let. b et c). Les faits ou les infractions pouvant engager la responsabilité d’une personne morale ou entraîner une peine à son encontre dans l’Etat d’émission sont aussi visés (article 5 let. d). La décision cadre ne couvre que la coopération judiciaire en matière pénale ; elle n’englobe donc pas la coopération en matière policière, douanière, frontalière et administrative. En ce qui concerne les moyens de preuve visés, le mandat peut être émis notamment pour les objets, documents ou données détenus par un tiers ou résultant de la perquisition, y compris au domicile d’un suspect, les relevés de l’utilisation de tous services, y compris de transactions financières, les procèsverbaux des dépositions, des interrogatoires et des auditions, et les autres documents, dont les résultats de techniques d’enquête spéciales671. Toutefois, en vertu de l’article 4 par. 2, des catégories de preuves importantes sont exclues du champ d’application du mandat européen d’obtention de preuves. Selon cette disposition, « [l]e mandat européen d’obtention de preuves ne peut être émis en vue de demander à l’autorité d’exécution: a) de mener des interrogatoires, de prendre des dépositions ou de procéder à d’autres types d’auditions de suspects, de témoins, d’experts ou de toute autre personne; b) de procéder à un examen ou de prélever du matériel biologique ou des données biométriques directement sur le corps d’une personne, y compris des échantillons d’ADN ou des empreintes digitales; c) de recueillir des informations en temps réel en faisant, par exemple, intercepter les communications, de procéder à une surveillance 670 671 154 Selon l’article 3 de la 2008/978/JAI, les Etats membres doivent informer le secrétariat général du Conseil de l’autorité ou des autorités qui, conformément à leur droit interne, sont compétentes en application de l’article 2. Ces informations sont ensuite mises à la disposition de tous les Etats membres et de la Commission. Consid. 7 de la décision cadre 2008/978/JAI. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale discrète ou de surveiller les comptes bancaires; d) d’analyser des objets, des documents ou des données existants; et e) d’obtenir des données de communication conservées par les fournisseurs de services de communications électroniques accessibles au public ou un réseau de communications public » . Si ces objets, documents ou données sont déjà en la possession de l’autorité d’exécution, leur obtention peut faire l’objet d’un mandat. Cependant, dans ce cas, il est plus difficile que les conditions d’admissibilité des preuves en vertu du droit de l’Etat d’émission puissent être respectées672. En ce qui concerne la forme du mandat européen d’obtention de preuves, un formulaire standardisé figure en annexe de la décision cadre, comme c’est souvent le cas dans les instruments européens de reconnaissance mutuelle673. Le formulaire doit être rempli, signé, et son contenu certifié exact, par l’autorité d’émission (article 6 par. 1). L’autorité d’émission rédige ou fait traduire le formulaire dans l’une des langues officielles de l’Etat d’exécution (article 6 par. 2). Ce formulaire est ensuite transmis par l’autorité d’émission à l’autorité d’exécution, « par tout moyen permettant de laisser une trace écrite et dans des conditions permettant à l’Etat d’exécution d’en établir l’authenticité » (article 8 par. 1). La transmission du mandat et toute autre communication officielle sont donc effectuées directement entre l’autorité d’émission et l’autorité d’exécution. L’article 8 prévoit deux autres possibilités, en particulier la possibilité de désigner une autorité centrale pour assister les autorités judiciaires compétentes (article 8 par. 2) et la possibilité de transmettre le mandat par le biais du système de télécommunication sécurisé du réseau judiciaire européen (article 8 par. 3). Le mandat européen d’obtention de preuves doit être reconnu et exécuté par l’autorité d’exécution sans délai et sans qu’aucune autre formalité ne soit requise (article 11). Il doit être exécuté sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et de la même manière que si les objets, les documents ou les données devaient être obtenus par une autorité de l’Etat d’exécution. Dans ce contexte, la méthode de l’équivalence fonctionnelle est employée : l’Etat d’exécution va choisir les mesures (y inclus des mesures coercitives) qui, en vertu de son droit national et ses règles de procédure, lui permettront de fournir les objets, les documents ou les données requis par un mandat européen d’obtention de preuves. S’il n’est pas possible d’exécuter le mandat européen d’obtention de preuves au moyen des mesures dont dispose l’autorité d’exécution dans le cas d’espèce, l’exécution peut être refusée (article 13 let. c). L’exécution du mandat doit aussi avoir lieu dans le respect des formalités et procédures expressément indiquées par l’autorité d’émission, sous réserve que ces formalités et procédures ne soient pas contraires aux 672 673 BELFIORE (2009), p. 5 ; en général, voir SPENCER (2003), p. 34 ss. PEERS (2004), p. 10. 155 Deuxième partie : le droit de l’UE principes fondamentaux du droit de l’Etat d’exécution (article 12)674. En ce qui concerne la remise des moyens de preuve, l’article 15 par. 5 prévoit qu’en l’absence de recours ou de motifs de report, « l’Etat d’exécution transfère dans les meilleurs délais à l’Etat d’émission les objets, documents ou données obtenus en vertu du mandat européen d’obtention de preuves », en précisant si elle en exige la restitution dès qu’ils ne sont plus nécessaires à l’Etat d’émission (article 15 par. 6). La décision cadre contient des garanties afin de protéger les droits fondamentaux et de favoriser ainsi la confiance entre les Etats membres, qui constitue la base de la reconnaissance mutuelle675. Premièrement, le mandat européen d’obtention de preuves doit être émis par des autorités judiciaires déterminées par les Etats membres conformément à la décision cadre (article 2). Deuxièmement, le mandat est émis uniquement lorsqu’il est nécessaire et proportionné de recueillir des objets, des documents ou des données demandés aux fins des procédures concernées (article 7 let. a). Troisièmement, il est émis uniquement lorsque les objets, documents ou données visés pourraient être obtenus, en vertu du droit de l’Etat d’émission, dans le cadre d’une procédure comparable (article 7 let. b). En vertu de l’article 7, le respect de ces conditions est vérifié uniquement par l’autorité d’émission ; ces conditions ne constituent donc pas des motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution et ne peuvent être contestés que par une action intentée devant une juridiction de l’Etat d’émission. Quatrièmement, l’article 10 établit les conditions d’utilisation des données à caractère personnel obtenues en vertu de la décision cadre. Enfin, l’article 18 oblige les Etats membres à prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir que la reconnaissance et l’exécution de tout mandat européen d’obtention de preuves puissent faire l’objet « d’un recours de la part de toute personne concernée, y compris des tiers de bonne foi, en vue de préserver leur intérêt légitime » . L’efficacité de la coopération judiciaire en matière pénale peut être compromise par la faculté de refuser de reconnaître ou d’exécuter le mandat européen d’obtention de preuves, ainsi que la faculté de reporter l’exécution. L’article 13 traite des motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution, tels que le principe ne bis in idem (article 13 let. a) et le principe de la double incrimination dans les situations visées à l’article 14 (article 13 let. b). Le mandat européen d’obtention de preuves peut aussi être refusé lorsque sa reconnaissance ou son exécution dans l’Etat d’exécution porterait atteinte à 674 675 156 Cf. consid. 14 de la décision cadre 2008/978/JAI ; l’autorité d’émission devrait avoir la possibilité de demander à l’autorité d’exécution de respecter certaines formalités et procédures dans les actes juridiques ou administratifs. Ces formalités sont souvent nécessaires pour rendre les preuves demandées admissibles dans l’Etat d’émission (l’apposition d’un cachet officiel sur un document, la présence d’un représentant de l’Etat d’émission ou l’enregistrement d’heures ou de dates, dans le but de créer une chaîne de preuves). Consid. 8 de la décision cadre 2008/978/JAI. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale une immunité ou à un privilège dans cet Etat (article 13 let. d)676. A ces motifs de refus s’ajoute le non respect des formalités pour l’émission du mandat (article 13 let. e, h), les intérêts nationaux essentiels en matière de sécurité, la nécessité de ne pas compromettre la source d’information et la nécessité de protéger des informations classifiées se rapportant à des activités de renseignement particulières (article 13 let. g). En ce qui concerne le principe de double incrimination, son contrôle est possible uniquement s’il est nécessaire d’opérer une perquisition ou une saisie (article 14). Même dans ce cas, le contrôle est exclu pour certaines infractions graves, énumérées à l’article 14 par. 2 (participation à une organisation criminelle, terrorisme, corruption, blanchiment d’argent, trafic illicite de stupéfiants, d’armes, de biens culturels etc.), si ces infractions sont punies dans l’Etat d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins trois ans. La même technique est employée dans d’autres instruments de reconnaissance mutuelle qui portent sur l’entraide judiciaire mineure, à savoir les décisions cadres sur le gel et le mandat d’arrêt européen677. La liste de l’article 14 par. 2 est extensive, ce qui implique l’abolition de la double incrimination dans la coopération judicaire européenne aux fins d’obtention de preuves. Les motifs de report sont prévus à l’article 16 et comprennent le non respect des formalités d’émission du mandat, le risque de nuire à une enquête criminelle ou à des poursuites pénales en cours et le fait que les objets, documents ou données concernés sont déjà utilisés dans le cadre d’une autre procédure. Dans ces cas, l’exécution du mandat est reportée jusqu’à ce que le motif de report cesse d’exister. L’autorité d’exécution prend alors sans délai les mesures nécessaires à l’exécution du mandat européen d’obtention de preuves et en informe l’autorité compétente concernée de l’Etat d’émission (article 16 par. 5). En conclusion, la décision cadre 2008/978/JAI met en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle grâce à trois éléments importants: la transmission directe des mandats d’obtention de preuves entre les autorités judiciaires ; la restriction des motifs de refus et l’abolition de la double incrimination ; le respect des délais assurant une coopération rapide678. Au lieu d’une procédure d’exequatur, l’exécution du mandat a lieu de manière quasi-automatique, si les formalités prévues par la décision cadre sont respectées. L’existence de motifs de refus, quoique limités, ne nous permet pas de parler d’une exécution directe et automatique. En outre, certaines catégories de preuves sont exclues du champ d’application de ce nouvel instrument ; cependant, le programme 676 677 678 En l’absence de définition commune de ce qui constitue une immunité ou un privilège dans l’Union européenne, ces termes sont définis en droit national ; cf. consid. 17 de la décision cadre 2008/978/JAI. Les protections applicables aux professions médicales et juridiques peuvent être englobées, mais seulement dans le respect de l’article 7 du Protocole UEEJ. Rapport précité (note 19), p. 54 et les références citées. BELFIORE (2009), p. 5. 157 Deuxième partie : le droit de l’UE de La Haye prévoyait que ces modes d’obtention de preuves feraient aussi l’objet d’un instrument de reconnaissance mutuelle, ce qui créerait un régime complet de reconnaissance mutuelle destiné à se substituer aux procédures d’entraide entre les Etats membres de l’UE679. L’efficacité d’un tel instrument serait nécessairement limitée dans une procédure qui nécessite des mesures d’assistance mutuelle ; dans ce sens, « la politique des petits pas dans la réalisation du programme de reconnaissance mutuelle est perçue, surtout en ce qui concerne les décisions pré-sentencielles, comme une erreur stratégique »680. L’UE examine toujours la possibilité de mettre en place un instrument général, destiné à remplacer le mandat européen d'obtention de preuves ; selon le projet de l’UE, qui n’est pas encore finalisé, cet instrument pourrait être appelé « décision d'instruction européenne » (« European Investigation Order »)681. 679 680 681 158 Consid. 25 de la décision cadre 2008/978/JAI. VERNIMMEN-VAN TIGGELEN / SURANO (2008), p. 17. Projet précité (note 491), p. 75. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale Les rapports entre les instruments de l’UE en matière de confiscation Instrument (ordre chronologique) Eléments principaux Action commune 98/427/JAI Elle propose des bonnes pratiques d'entraide judiciaire en matière pénale. Action commune 98/699/JAI Elle concerne le blanchiment d’argent, le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime. Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne (2000) Décision cadre 2001/500/JAI Elle complète les dispositions des instruments énumérés à l’article 1, en particulier de la CEEJ, de son Protocole additionnel du 17 mars 1978, de la CAAS de 1990. Elle concerne le blanchiment d’argent, le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime. L’article 3 concerne la confiscation. Protocole du 16 octobre 2001 Il concerne notamment l'entraide en matière de comptes bancaires, les demandes complémentaires et les motifs de rejet. Décision cadre 2003/577/JAI Elle s'occupe exclusivement du gel. Décision cadre 2005/212/JAI Décision cadre 2006/783/JAI Décision cadre 2008/978/JAI Elle introduit des « pouvoirs de confiscation élargis » et propose des standards de preuve. Elle adopte le principe de reconnaissance mutuelle dans le domaine de la confiscation. Elle impose l’exécution directe et immédiate des décisions de confiscation. Elle aborde la question du partage des avoirs confisqués. Elle introduit le mandat européen d’obtention de preuves. Rapport avec les autres instruments Ses dispositions ont été renforcées par les décisions cadres 2001/500/JAI et 2005/212/JAI. Ses dispositions ont été renforcées par le Protocole du 16 octobre 2001. Ses dispositions ont été renforcées par la décision cadre 2005/212/JAI. Il complète les dispositions de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne. Ses dispositions ont été renforcées par la décision cadre 2008/978/JAI Elle complète les dispositions de la décision cadre 2001/500/JAI Elle complète les dispositions de la décision cadre 2003/577/JAI 159 Deuxième partie : le droit de l’UE 10. Quels mécanismes européens pour la coordination des procédures de saisie et de confiscation ? La question se pose ici de savoir s’il serait utile de créer un clearing house pour la coordination de l’« asset tracing » au niveau européen et pour le traitement des dossiers de saisie et de confiscation impliquant plusieurs pays membres de l’UE. Une option serait de confier ce rôle à un organe européen, en particulier Eurojust ou Europol. Une autre option serait la mise en réseau des autorités nationales compétentes, c’est-à-dire des bureaux de recouvrement des avoirs (BRA). Nous examinerons ces deux options dans les paragraphes suivants. Eurojust. En 2001, l’UE a créé une « unité provisoire de coopération judiciaire »682 pour promouvoir la coopération entre les autorités judiciaires des Etats membres. En 2002, cette unité provisoire a été remplacée par Eurojust. La création de cette nouvelle institution ne signale pas un radical changement de paradigme, mais la philosophie d’Eurojust va certainement plus loin que l’entraide traditionnelle683. Même si sa vocation ne couvre pas tous les cas de conflits de juridiction, Eurojust est un forum « utilisé de plus en plus et avec succès »684. Ce nouvel organe de l’Union, institué par la décision du Conseil du 28 février 2002685 est doté de la personnalité juridique ; il peut par exemple conclure des accords de coopération avec des pays tiers, comme la Suisse686. L’Eurojust et le Réseau judiciaire européen créé par l'action commune 98/428/JAI entretiennent des relations privilégiées, comme l’exige l’article 27 de la décision du Conseil instituant Eurojust. En 2007, 771 cas ont été soumis à Eurojust (1085 cas en 2006)687. En ce qui concerne sa compétence, Eurojust est chargé de faciliter l'entraide judiciaire internationale et de promouvoir la coordination entre les autorités judiciaires des Etats membres, en identifiant des liens entre des affaires en cours dans différents pays. Eurojust peut ainsi faciliter la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation688. La coordination porte sur les infractions relevant de la compétence d’Eurojust. Parmi les infractions couvertes se trouvent principalement celles définies par la Convention 682 683 684 685 686 687 Décision du Conseil 2000/799/JAI du 14 décembre 2000, JO L 324 du 21 décembre 2000, p. 2 ss. NILSSON (2006), p. 55. VERNIMMEN-VAN TIGGELEN / SURANO (2008), p. 17. Décision du Conseil 2002/187/JAI du 28 février 2002, instituant Eurojust afin de lutter contre les formes graves de criminalité, JO L 63 du 6 mars 2002, p. 1 ss. En octobre 2008, la Suisse et Eurojust ont signé un tel accord, visant à renforcer la lutte commune contre la criminalité internationale et le terrorisme. Cet accord de coopération règle notamment l’échange d’informations entre la Suisse et Eurojust. cf. DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DE JUSTICE ET POLICE (2008), Schengen / Dublin : début de la coopération opérationnelle le 12 décembre 2008, Communiqué de presse, 27.11.2008. Rapport annuel d’Eurojust 2007. Néanmoins, « Eurojust’s capacity is limited by some Member States’ unwillingness to use it fully […] Eurojust itself says that it has the capability and possibility to go further but it cannot work when no cases are referred to it » ; rapport précité (note 19), p. 47. 688 160 En 2007, sur plus de 1000 dossiers traités par Eurojust, 30 se rapportaient à cette matière ; Communication de la Commission (note 7), section 4.3. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale d’Europol689, le blanchiment d’argent, la fraude et la corruption, la participation à une organisation criminelle, et toute autre infraction commise en liaison avec une de ces infractions. Cependant, à la demande d’une autorité judiciaire d’un Etat membre, Eurojust peut s’occuper d’autres types d’infractions, en particulier des crimes graves. Un bon nombre de dossiers qui ont été traités par Eurojust concernent des affaires de blanchiment690. Le Traité de Lisbonne définit le rôle et les compétences d’Eurojust (article 85 TFUE). Eurojust appuie « la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave affectant deux ou plusieurs États membres ou exigeant une poursuite sur des bases communes ». Selon la même disposition, les tâches d’Eurojust comprennent le déclenchement d'enquêtes pénales, la proposition de déclenchement de poursuites conduites par les autorités nationales compétentes, la coordination des enquêtes et poursuites visées, la résolution de conflits de compétences et la coopération avec le Réseau judiciaire européen691. En ce qui concerne son organisation, Eurojust est composé d’un magistrat détaché par chaque pays membre (procureurs, juges et policiers dotés de pouvoirs de procureurs)692. L’Office agit par l’intermédiaire de ces représentants nationaux. L’Office agit en tant que collège à la demande d’un membre national concerné ou lorsque les enquêtes ou les poursuites en question ont une incidence au niveau de l'Union ou lorsque « une question générale relative à la réalisation de ses objectifs se pose ». Il convient de présenter ici, de manière plus détaillée, les tâches qu’Eurojust exerce par l’intermédiaire des représentants nationaux et celles qu’elle exerce en tant que collège. La première catégorie de tâches est définie dans l’article 6 de la décision 2002/187/JAI instituant Eurojust. Plus précisément, par l'intermédiaire des membres nationaux, Eurojust peut demander aux autorités compétentes des Etats membres concernés d'envisager d'entreprendre ou de coordonner des enquêtes ou des poursuites sur des faits précis. Les membres nationaux peuvent travailler sur la mise en place d’équipes d'enquête communes (joint investigation teams)693. Ils peuvent aussi assurer la fourniture d’information 689 690 691 692 693 Cf. Article 2 de la Convention Europol du 26 juillet 1995. ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE (2002), La lutte contre le blanchiment des capitaux en France : un combat à poursuivre, rapport no 2311, Mission parlementaire d’information commune sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe, tome II, vol. 2, avril 2002, p. 146. L’article 85 TFUE prévoit que le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements (procédure législative ordinaire), déterminent en détail la structure, le fonctionnement et les tâches d'Eurojust. Selon M. Kaiafa-Gbandi, « the harmonization-process in the field of criminal law is being advanced in practice within the EU with common cooperation networks of penal repression » ; KAIAFA-GBANDI (2001), p. 240. Cf. Recommandation du Conseil du 25 avril 2002 relative à l'amélioration des méthodes d'enquête opérationnelle dans la lutte contre la criminalité liée au trafic organisé de drogue: enquête simultanée sur les opérations de trafic de drogue menées par des organisations criminelles et sur les finances et le patrimoine de celles-ci, JO C 114 du 15.05.2002, p. 1. 161 Deuxième partie : le droit de l’UE de la part des Etats membres à Eurojust ou aux autorités compétentes des Etats membres concernés. Ils apportent leurs concours afin d'améliorer la coopération et peuvent, dans certains cas, soutenir des enquêtes et des poursuites concernant les autorités compétentes d'un seul Etat membre. Ils peuvent aussi jouer un rôle dans la transmission des demandes d'entraide judiciaire entre les autorités compétentes des Etats membres, si cette intervention est nécessaire, en vue d'une exécution coordonnée. La deuxième catégorie de tâches, celles qu’Eurojust exerce en tant que collège, est décrite dans l’article 7 de la décision 2002/187/JAI instituant Eurojust. Le collège d’Eurojust peut donc demander, de manière motivée, aux autorités compétentes des Etats membres concernés d'entreprendre une enquête ou des poursuites. Il peut aussi leur demander de coordonner leur action avec les autorités compétentes d’autres Etats membres concernés ou de mettre en place une équipe d'enquête commune. A la demande du collège, les Etats membres doivent fournir des informations à Eurojust ou à des autorités compétentes d’autres Etats membres sur des enquêtes et des poursuites données. Eurojust apporte son concours aux Etats membres et à Europol. Dans certains cas, ce concours prend la forme de soutien logistique (aide pour la traduction, l'interprétation et l'organisation de réunions de coordination). Enfin, dans certains cas694, les autorités compétentes d'un Etat membre peuvent signaler à Eurojust toute difficulté liée à l'exécution d'une demande d’entraide, en vue d'une éventuelle solution pratique, conformément aux dispositions de la décision 2002/187/JAI. Le renforcement de la coopération judiciaire, « y compris par la résolution de conflits de compétences », fait partie des objectifs d’Eurojust, selon l’article 85 par. 1 let. c TFUE. Une caractéristique d’Eurojust est le fait que les parquets et autres autorités nationales de poursuites ne sont pas obligés d’accepter le concours que leur offre l’unité. On constate donc une liberté de décision face à une demande d'ouverture d'enquête, présentée par le collège Eurojust. Cependant, du point de vue politique, il est difficile d’articuler des motivations de refus convaincantes et des considérations d'intérêt supérieur face à une demande formelle et bien fondée, présentée par le collège695. Europol. Europol est une création du Traité de Maastricht sur l’Union européenne, du 7 février 1992 et sa mission est de faciliter la coordination entre les autorités policières des Etats membres696. La Convention Europol de 694 695 696 162 Article 10 du Protocole UEEJ. ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE (2002), La lutte contre le blanchiment des capitaux en France : un combat à poursuivre, Rapport no 2311, Mission parlementaire d’information commune sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe, tome II, vol. 1, avril 2002, p. 140. Le Conseil des ministres de la justice et des affaires intérieures supervise les fonctions de l’unité. L’organe principal d’Europol est le conseil d’administration, composé de représentants des Etats membres. Europol a négocié des accords opérationnels ou stratégiques bilatéraux avec d’autres Etats, comme la Suisse, et des organisations internationales, comme l’UNODC. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale 1995 a déjà été ratifiée par tous les Etats membres de l’UE et est entrée en vigueur le 1er octobre 1998. Cependant, en raison du statut intergouvernemental d’Europol, toute modification à la Convention de 1995 devait être approuvée à l'unanimité par le Conseil, avant d’être ratifiée par les Etats membres. Par exemple, les Protocoles à la Convention Europol, adoptés en 2000, 2002 et 2003, ont pris en moyenne plus de cinq ans pour être ratifiés. Pour faire face à des problèmes de ce type, la Convention Europol a récemment été remplacée par une décision du Conseil des affaires intérieures de l'UE. L’Office aura donc le statut d’agence de l’UE à compter du 1er janvier 2010697. Comme l’indique la Commission698, la décision a pour principal avantage d'être relativement facile à adapter à l'évolution des circonstances car elle ne nécessite pas de ratification, comme la Convention699. Le Traité de Lisbonne a reconnu l’existence de l’Office européen de police (Europol), qu’il a chargé de l’appui de l’action des polices nationales dans la collecte et l’analyse des informations. En outre, selon le traité, l’Europol peut aussi coordonner, organiser et même réaliser des enquêtes et des opérations conjointement avec des équipes de police nationales. En ce qui concerne ses fonctions, Europol travaille sur les domaines suivants. Premièrement, Europol joue un rôle important dans l’échange d’informations en tant que clearing house de renseignements policiers700. Les échanges d’informations ont lieu entre les officiers de liaison Europol (OLE), qui représentent les autorités répressives nationales et qui sont détachés auprès de l’Office par les Etats membres701. Deuxièmement, Europol élabore des rapports de type stratégique (analyses / évaluations) et des analyses opérationnelles pour les opérations menées. Troisièmement, Europol cherche à promouvoir la coopération policière, en fournissant son expertise et son assistance technique au niveau des enquêtes. Pour mieux atteindre ces objectifs, la Convention Europol a mis en place un système informatisé permettant l’introduction, l’accès et l’analyse de données (système informatique d’Europol-TECS). Contrairement à son prédécesseur (Unité Drogues Europol ; EDU)702, la nouvelle Europol ne se limite pas à la lutte contre la drogue. La coopération dans le domaine de l’application des lois et du traitement des renseignements relatifs aux activités criminelles est ainsi possible pour une série d’infractions : 697 698 699 700 701 702 UNION EUROPÉENNE (2008), Europol deviendra une agence de l'Union en 2010, Communiqué de presse IP/08/610, 18.04.2008. COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (2006), Proposition de décision du Conseil portant création de l'Office européen de police (Europol), SEC(2006) 1682. Un autre avantage de la « communautarisation » d’Europol est le remplacement du financement intergouvernemental par un financement communautaire. GERSPACHER (2005), p. 420. Néanmoins, « the effectiveness of Europol is being undermined by the fact that not all Member States use it or provide information to the same degree » ; rapport précité (note 19), p. 32. Action commune 95/73/JAI, du 10 mars 1995, concernant l'unité "Drogues" Europol, JO L 62 du 20.03.1995. 163 Deuxième partie : le droit de l’UE dès le 1er janvier 2002, le mandat d’Europol s’étend à toutes les formes graves de la criminalité internationale visées à l’annexe de la Convention Europol. Parmi ces formes de criminalité se trouve le trafic illicite de stupéfiants, les réseaux d’immigration clandestine, le terrorisme, la contrefaçon de l’euro, la traite des êtres humains et le blanchiment d’argent. La lutte contre le financement du terrorisme et la lutte contre le blanchiment d’argent demeurent deux domaines prioritaires. Selon l’article 2 par. 2 de la Convention d’Europol, l’office traite des infractions « commises ou susceptibles d’être commises dans le cadre d’activités de terrorisme ». D’ailleurs, l’article 2 par. 3 sur le blanchiment d’argent a été complété par un protocole en 2000, qui étend la portée du blanchiment de capitaux, de manière à inclure toute infraction ayant généré le produit à blanchir703. Les bureaux de recouvrement des avoirs (BRA). Les bureaux de recouvrement des avoirs (BRA) constituent, à notre avis, la nouveauté institutionnelle la plus importante dans le domaine de la confiscation internationale. L’objectif des BRA est de faciliter le dépistage des avoirs d'origine illicite, de participer aux procédures de confiscation et d’assurer la bonne gestion des avoirs saisis. Les BRA jouent aussi le rôle de points de contact nationaux pour les activités en matière de confiscation704. L’idée a été mise à l’épreuve pour la première fois en 2002, avec la création du le réseau CARIN (Camden Asset Recovery Interagency Network)705, qui se spécialise dans la saisie et la confiscation. Ce réseau informel, qui est soutenu par la Commission européenne sans pourtant être une agence de l’UE, est composé de points de contacts qui échangent des informations sur les actifs de provenance criminelle (renseignements sur l'existence de ces avoirs, puis conseils pour effectuer les démarches judiciaires visant à la saisie). Europol fonctionne comme Secrétariat du réseau. Suivant la même logique, un registre patrimonial européen (Criminal Assets Seizure Centre) a été créé au sein d’Europol706, pour aider les Etats membres à identifier des actifs d’origine criminelle qui sont situés à l’étranger. Toutefois, un rapport de l’Assemblée nationale française a fait remarquer un « manque de cohérence entre les différents 703 704 705 706 164 GILMORE (2005), p. 231. La création d’un « centre d'information sur les saisies » pourrait, selon la Commission, faciliter le dépistage des avoirs d'origine criminelle dans le cadre des grandes enquêtes pénales menées par les Etats membres : Communication de la Commission au Conseil et au Parlement Européen sur la prévention et la lutte contre la criminalité organisée dans le secteur financier, COM (2004) 262 final. Le réseau CARIN a été créé en octobre 2002 lors d'une réunion de représentants d'Europol et de services européens chargés de la lutte contre le blanchiment d'argent. Cette réunion a eu lieu à Dublin (Camden Court Hotel). En 2004, le réseau a été officiellement mis en place par l'assemblée générale constitutive tenue à La Haye. Parmi les membres et les observateurs du groupe se trouvent les 27 pays membres de l’UE, 19 pays tiers et 6 organisations internationales (Europol, Eurojust, OLAF, Interpol, Groupe Egmont, UNODC). EUROPOL (2006), Financial & property crimes, January 2006, p. 2. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale canaux de coopération internationale, notamment entre les canaux organisés (Interpol, Europol) et les réseaux informels, tel le réseau CARIN »707. La décision 2007/845/JAI relative à la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs des Etats membres708 pourrait mettre fin à cette incohérence au niveau européen. Les Etats membres sont tenus d’instituer ou désigner, pour le 18 décembre 2008 au plus tard, des BRA nationaux709, alors qu’une première évaluation de mise en œuvre aura lieu, au plus tard le 18 décembre 2010. Cette décision complète le réseau CARIN en fournissant une base juridique aux échanges d’informations entre les BRA710. La décision 2007/845/JAI explore la piste de la mise en réseau des autorités nationales ; l’ELSJ développe souvent des mécanismes d’intégration « à la fois verticaux (entre les institutions et agences communautaires, d’une part, et les ordres juridiques et administratifs nationaux, d’autre part, et horizontaux (entre les institutions et administrations des différents États membres) »711. L’article premier de la décision 2007/845/JAI impose aux Etats membres l’obligation de mettre en place ou de désigner un BRA qui facilitera le dépistage et l’identification des produits du crime et des autres biens en rapport avec le crime qui sont susceptibles de faire l’objet d’un gel, d’une saisie ou d’une confiscation. Selon la même disposition, les mesures de saisie ou de confiscation peuvent être ordonnées par une autorité judiciaire compétente dans le cadre de poursuites pénales ou, dans la mesure où le droit interne de l’Etat membre concerné le permet, dans le cadre de poursuites civiles. L’article 2 de la décision 2007/845/JAI crée ensuite une obligation de coopération, quant à l’échange des informations et des bonnes pratiques, sur demande (article 3) ou de manière spontanée (article 4). Dans le cadre de ces procédures d’échange d’informations, les règles établies en matière de protection des données sont applicables en vertu de l’article 5 de la décision. A notre avis, les échanges d’informations entre les BRA pourraient éventuellement devenir l’objet privilégié d’application du principe de la disponibilité (« principle of availability »)712. La décision ne détermine ni le statut713 des BRA nationaux ni les standards de leur organisation, ce qui laisse aux Etats membres une marge de manœuvre. Comme l’indique clairement son article 7, la décision 707 708 709 710 711 712 713 Rapport précité (note 13), p. 21. Décision 2007/845/JAI du Conseil du 6 décembre 2007 relative à la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs des Etats membres en matière de dépistage et d’identification des produits du crime ou des autres biens en rapport avec le crime, JO L 332/103 du 18.12.2007. La liste est disponible à la p. 167 de la présente étude. BORGERS / MOORS (2007), p. 18. LARAT (2009), p. 13. Rapport précité (note 19), p. 41 ss. Selon l’article 2 par. 2 de la décision, « [l]es Etats membres veillent à ce que le statut des bureaux de recouvrement des avoirs en vertu du droit national n’entrave pas cette coopération, que ces bureaux fassent partie d’un service administratif, répressif ou judiciaire ». 165 Deuxième partie : le droit de l’UE 2007/845/JAI s’applique sans préjudice des modalités de coopération prévues par les instruments de l’UE relatifs à l’entraide judiciaire ou à la reconnaissance mutuelle des décisions en matière pénale, d’accords ou d’arrangements bilatéraux ou multilatéraux entre les Etats membres et des pays tiers concernant l’entraide judiciaire, ainsi que de la décision 2000/642/JAI714 et de la décision cadre 2006/960/JAI715. En ce qui concerne la gestion des biens saisis, la création de BRA pleinement efficaces est primordiale. Nous somme d’avis qu’il faut ôter cette charge aux enquêteurs et aux magistrats et la confier aux BRA, en tant qu’agences spécialisées. La gestion des avoirs saisis implique, en effet, des difficultés importantes : les choses saisies peuvent se déprécier par nature, des immeubles risquent d’être laissés à l’abandon, l’entretien et le gardiennage des biens peut impliqués des coûts et des formalités imprévus, etc716. En général, il s’agit pourtant d’avoirs en compte ou de titres, voire liquides. Certains Etats membres pratiquent le diagnostic de pré-saisie, développé par les Anglosaxons, selon lequel les autorités pénales ne vont pas saisir des « quantités astronomiques » de biens, si elles ne peuvent pas les stocker, ni assurer la restitution de ces biens en bon état717. 714 715 716 717 166 Décision 2000/642/JAI du Conseil du 17 octobre 2000 relative aux modalités de coopération entre les cellules de renseignement financier des Etats membres en ce qui concerne l’échange d’informations, JO L 271 du 24.10.2000, p. 4. Cet instrument règle les modalités de coopération entre les CRF des Etats membres (échange d’informations) ; Cf. aussi l’article 7 par. 1 let. b, Convention de Palerme ; article 58, Convention de Mérida ; article 1, let. f, Convention no 198 du Conseil de l’Europe. Décision cadre 2006/960/JAI du Conseil du 18 décembre 2006 relative à la simplification de l’échange d’informations et de renseignements entre les services répressifs des Etats membres de l’Union européenne, JO L 386 du 29.12.2006, p. 89. LEVI / OSOFSKY (1995), p. 51. Par exemple, un magistrat français a été confronté à d’importantes difficultés pratiques et juridiques après avoir saisi une vingtaine de bateaux, qu’il voulait faire placer dans le port de Marseille ; rapport précité (note 13), p. 164 ss. Voir aussi Cour EDH, décision sur la recevabilité du 10 novembre 2009 dans l’affaire Jezek c. République tchèque, requête no 6047/02. La Cour EDH a rejeté les griefs en application de l’article 35 §§ 3 et 4 CEDH (non-épuisement des voies de recours internes) et n’a pas examiné l’argument du requérant selon lequel « le défaut de sécurisation de ses biens par la police durant sa détention [a] facilité leur confiscation, pillage, perte et détérioration » (violation de l’article 1er du Protocole no 1). Rapport précité (note 13), p. 172. II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale Bureaux de recouvrement des avoirs (BRA), désignés conformément à la décision 2007/845/JAI Etat membre Allemagne Bundesamt für Justiz (BfJ) & Bundeskriminalamt (BKA) Autriche Austrian Federal Investigation Bureau, Asset Recovery Section Belgique Central Office for Seizure and Confiscation Bulgarie Supreme Prosecutor’s Office of Cassation & Commission for establishing of property acquired from criminal activity Chypre Unit for Combating Money Laundering (MOKAS) Danemark Public Prosecutor for Serious Economic Crime Espagne Centro de Inteligencia contra el Crimen Organizado (CICOC) & Fiscalia Especial Antidroga Estonie Central Criminal Police, Investigation Department, V Division Finlande National Bureau of Investigation, Criminal Intelligence Division France Plateforme d’Identification des Avoirs Criminels (PIAC) & Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) Grèce - Hongrie National Investigation Office [Nemzeti Nyomozo Iroda] Irlande Criminal Assets Bureau Italie - Lettonie Economic Police Department of Central Criminal Police Department of State Police Lituanie Lithuanian Criminal Police Bureau & Office of the Prosecutor General of the Republic Luxembourg Parquet du Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg, Section éco-fin. Malte - Pays-Bas Public Prosecution Service Recovery Office [Bureau Ontnemingswetgeving Openbaar Ministerie (BOOM)] Pologne General Headquarters of Police, Criminal Bureau, Asset Recovery Unit Portugal - République tchèque Police of the Czech Republic, Unit Combating Corruption and Financial Crimes (UOKFK) Roumanie - RoyaumeUni Serious Organised Crime Agency (SOCA) [Angleterre, Irlande du Nord, Pays de Galles] & Scottish Crime and Drug Enforcement Agency (SCDEA) [Écosse] Financial Intelligence Unit, Bureau of Combating Organised Crime, Presidium of Police Force Slovaquie Slovénie - Suède National Police Board, National Economic Crimes Bureau Source : Notifications des Etats membres au Conseil de l’UE (état : avril 2011). Voir : registre public des documents du Conseil, disponible sur http://www.consilium.europa.eu/ 167 Deuxième partie : le droit de l’UE En théorie, il y a plusieurs degrés possibles d’intégration (points de contact, points de liaison, coordination de l’action, action commune, lois parallèles, harmonisation du droit « à bas seuil », unification des législations)718. A l’heure actuelle, « [les BRA européens] présentent des différences notables en termes de structure, de pouvoirs et de pratiques »719. En instaurant un simple système de mise en réseau, la décision 2007/845/JAI ne va pas très loin. Elle introduit pourtant un nouvel acteur et un nouvel outil dans la lutte contre la criminalité : les BRA et l’échange d’informations en matière de saisie et de confiscation. Compte tenu des travaux de CARIN, la Commission a formulé des recommandations concernant la création de BRA pleinement efficaces720. La Commission est en faveur d’une structure pluridisciplinaire « réunissant des spécialistes des services policiers, judiciaires, fiscaux, sociaux et douaniers, ainsi que de tout autre service compétent »721. Les BRA doivent servir de point d’entrée central pour toutes les demandes d’assistance provenant d'autres pays. Ils doivent échanger des informations avec rapidité (l’établissement d’un canal de communication sécurisé et standardisé entre les BRA serait très utile) et recueillir des statistiques sur les saisies et confiscations d'avoirs722. La Commission soutient également la révision des formulaires d’entraide judiciaire et des certificats de demande d'exécution des décisions de gel et de confiscation, « dans l’optique d’une utilisation plus aisée »723. La Commission propose aux Etats membres d’accorder aux BRA un pouvoir d’accès à toutes les bases de données pertinentes, (par exemple, les bases de données des établissements financiers, de la police, de l'administration fiscale, des organes de sécurité sociale, etc.). A notre avis, les Etats membres doivent aussi accorder aux BRA les pouvoirs coercitifs nécessaires pour obtenir des données, pour mener des enquêtes conjointes avec d'autres autorités et pour geler provisoirement les avoirs à la suite de leur identification et avant l'exécution d'une décision judiciaire de saisie ou de confiscation. 718 719 720 721 722 723 168 BRUGGEMAN (2001), p. 285. Communication de la Commission (note 7), section 4.1. Communication de la Commission (note 7), section 4.2 ; ZAGARIS (2009), p. 87 ss. Communication de la Commission (note 7), section 4.2.1 ; la coopération avec des agences privées de recouvrement d’avoirs est une méthode qui doit être employée avec caution (coûts élevés, risque que l’agent commette une infraction, risque que l’agent soit un « agent double », etc.) ; WICKI (1999), p. 164. Il manque souvent de statistiques de qualité en matière de confiscation et d’entraide. Sur ce problème, voir en général: VETTORI (2006), p. 13. Cf. aussi le plan d'action 2006-2010 de l'UE sur les statistiques criminelles. La création d’un « instrumentum » commun et efficace est une caractéristique importante de la « nouvelle coopération judiciaire » ; MASSE (2006), p. 474. III. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la lutte contre le financement du terrorisme III. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la lutte contre le financement du terrorisme L’UE a graduellement mis au point des outils pour lutter contre le terrorisme et son financement724. Nous pouvons ici mentionner les règlements sur le gel des avoirs, instruments fondés sur le premier pilier, ainsi que la décision cadre de 2002, relative à la lutte contre le terrorisme, fondée sur le troisième pilier. En laissant de côté d’autres aspects intéressants de la lutte contre le terrorisme725, l’accent est mis sur les mesures de la première catégorie (gel d’avoirs), attaquant le problème sur le front financier, afin de priver les organisations terroristes de leurs ressources financières. 1. La définition des « actes terroristes » au niveau de l’UE Quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001, un Conseil européen extraordinaire a été convoqué (21 septembre 2001), où la lutte contre le terrorisme a été identifiée comme l'un des objectifs prioritaires de l'UE. Cette volonté politique de l’UE se concrétise principalement par la décision cadre 2002/475/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative à la lutte contre le terrorisme726, qui impose aux Etats membres l’obligation de réprimer les actes de terrorisme727. La question qui se pose à cet égard est de savoir ce que l’UE entend par l’expression d’« actes de terrorisme ». La décision cadre 2002/475/JAI définit les actes terroristes comme des actes commis de manière intentionnelle, pouvant menacer la population ou porter atteinte à une organisation internationale ou à un pays. L’UE cherche à réaliser un équilibre entre la protection des libertés et des droits fondamentaux et la nécessité de lutter contre le terrorisme728. Pour assurer que les actions légitimes (activités syndicales, mouvements anti-globalistes, etc.) n’entrent pas 724 725 726 727 728 Communication de la Commission sur les mesures à prendre pour lutter contre le terrorisme et d'autres formes graves de criminalité, et notamment pour améliorer l'échange d'informations, COM (2004) 221 du 29.3.2004. Par exemple, la «Stratégie de l’Union européenne visant à lutter contre le terrorisme » de décembre 2005 a insisté sur la nécessité de coopération entre les autorités de police et les autres agences d’investigation européennes ; Conseil des chefs d’Etat et de gouvernements de l’UE Bruxelles, les 15-16 décembre 2005. L’UE a aussi envisagé l’usage d’instruments de politique extérieure (« Stratégie relative à la dimension extérieure de la JAI: liberté, sécurité et justice au niveau mondial » d’avril 2006), ce qui pourrait inclure des opérations militaires ou d’autres actions dans le cadre de la défense commune ; Communiqué de presse, Conseil des ministres JAI, 2725ème session, Luxembourg, les 27-28 avril 2006. Décision cadre 2002/475/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme, JO L 164 du 22 juin 2002. Pour une analyse détaillée de cet instrument, voir : SYMEONIDOU-KASTANIDOU (2004), p. 23 ss. Le Conseil de l’Europe est aussi à la recherche de ce point d’équilible ; CATALANO (2005), p. 175. 169 Deuxième partie : le droit de l’UE dans son champ d'application729, la décision cadre énumère des exemples d’actes terroristes. Parmi les actes de ce type on retrouve « la capture d'aéronef et de navires ou d'autres moyens de transport collectif ou de marchandises, celles en relation avec la fabrication, la possession, l'acquisition, le transport ou l'utilisation d'armes à feu, d'explosifs, d'armes nucléaires, biologiques ou chimiques […], celles comprenant la libération de substances dangereuses, ou la provocation d'incendies, d'inondations ou d'explosions ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines ». Le droit européen opte donc pour la technique de l'exemplification et ne propose pas une définition générique730. Les Etats membres doivent établir leur compétence en relation avec les actes terroristes731. Ils doivent aussi introduire des sanctions pénales « effectives, proportionnées et dissuasives, qui peuvent entraîner l'extradition ». Sous certaines conditions, en particulier, si une infraction a été commise « pour le compte de la personne morale », le système de sanctions de la décision cadre 2002/475/JAI s’applique également contre les personnes morales. Selon R. Roth, ce texte représentera à son tour un modèle d'un « droit européen de la responsabilité pénale de la personne morale » en voie de gestation732. 2. La position commune 2001/931/PESC La position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre 2001, relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme733 transpose les dispositions de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité de l’ONU. L’UE prend des mesures pour la mise en application de cette résolution, concernant le gel des fonds et des autres avoirs financiers dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme734. La position commune 2001/931/PESC établit aussi la liste des personnes, groupes et entités terroristes dont les avoirs seront gelés. La position commune 2001/931/PESC a une double base juridique : les articles 15 TUE (deuxième pilier) et 34 TUE (troisième pilier), ce qui est rare dans le pratique des 729 730 731 732 733 734 170 MOREILLON / DE COURTEN (2003), p. 127. MOREILLON / DE COURTEN (2003), p. 121. La décision cadre 2002/475/JAI prévoit également une obligation de coordination des procédures, lorsque plusieurs Etats membres sont concernés. Il existe d’autres instruments européens qui peuvent s’avérer utiles dans ce contexte: la Convention Europol suite aux modifications introduites par la décision du Conseil du 3 décembre 1998; l'action commune 96/610/JAI relative à la création d'un répertoire de connaissances en matière de lutte contre le terrorisme; la décision 2005/671/JAI du Conseil du 20 septembre 2005 relative à l’échange d’informations et à la coopération concernant les infractions terroristes, qui abroge la décision 2003/48/JAI du Conseil du 19 décembre 2002 relative à l’application de mesures spécifiques de coopération policière et judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme. Cf. aussi CATALANO (2005), p. 178. ROTH (2003), p. 18. Position commune 2001/931/PESC du Conseil du 27 décembre 2001, JO L 344 du 28 décembre 2001, p. 93. La position commune 2001/931/PESC détaille des questions laissées sous silence par une position commune antérieure, celle de 2001/930/PESC du Conseil du 27 décembre 2001, relative à la lutte contre le terrorisme, JO L 344 du 28 décembre 2001, p. 90. III. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la lutte contre le financement du terrorisme institutions européennes735. Il s’agit d’une approche résolument « transpiliers », qui a recensé des actions relevant de la PESC, de la coopération judiciaire et de la Communauté736. Le gel des fonds prévu par la législation communautaire est un gel à titre conservatoire et n’entraîne pas une confiscation des avoirs en tant que produits du crime. Cette mesure ne constitue pas une sanction et n’implique aucune accusation de cette nature et aucune constatation qu’une infraction a effectivement été commise. Le gel est adopté dans le cadre et aux fins d’une « procédure de nature administrative ayant une fonction conservatoire et pour unique but de permettre au Conseil de poursuivre efficacement la lutte contre le financement du terrorisme »737. Contrairement à la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité, la position commune 2001/931/PESC fournit une définition des « actes terroristes » (article 1 par. 3 de la position commune)738. Les « personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme » sont visés, lorsqu'ils ont commis, tentent de commettre ou facilitent la préparation d'actes terroristes. Cette caractérisation doit être fondée sur la base d'informations précises. La notion des « actes de terrorisme » est aussi employée pour définir le groupe terroriste comme une association structurée de personnes agissant de façon concertée en vue de commettre des actes terroristes. La disposition la plus importante de la position commune est l’article 1er, qui organise la procédure de « listing » de personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme. L'annexe de la position commune contient la liste de personnes et entité visées. Cette liste n’est pas définitive, mais elle est complétée et revue semestriellement, « sur la base d’informations précises » que fournissent les autorités compétentes des Etats membres (article 1er par. 4-6)739. Les Etats membres enquêtent et poursuivent les personnes et entités figurant sur la liste et prennent toutes les mesures nécessaires pour le gel de leurs avoirs. Nous pouvons ici mentionner quelques exemples d’entités qui font partie de cette liste : l'ETA (Pays basque et liberté), 735 736 737 738 739 L’action commune 96/668/PESC organisant les réactions de l’Union européenne aux législations extraterritoriales américaines s’était aussi appuyée sur deux bases juridiques (titres V et VI TUE). Cf. BENOIT (2002). TPI, arrêt El Morabit du 2 septembre 2009, affaires jointes T-37/07 et T-323/07, consid. 43-44 et les arrêts cités. Cf. aussi TPI, arrêt Bank Melli Iran c. Conseil du 14 octobre 2009, affaire T-390/08, consid. 111-112. La décision cadre 2002/475/JAI fournit une définition plus récente, voir p. 146 ss de la présente étude. En vertu de la position commune, les « actes terroristes » sont des actes intentionnels qui peuvent nuire gravement à un pays ou à une organisation internationale ; la simple menace de commettre l'un de ces crimes doit être jugée comme une infraction terroriste. Ces actes intimident la population, déstabilisent ou détruisent les structures fondamentales d’un pays ; cf. SOREL (2003), p. 370 ss. Parmi la liste d’actes terroristes, visés par la position commune se trouvent : l’atteinte à la vie d'une personne ou à son intégrité physique, l’enlèvement ou la prise d'otage, la destruction massive d'une installation publique ou privée, y compris le système informatique, la capture des moyens de transport collectif (aéronefs ou navires), etc. ; cf. PIETH (2002), p. 126, pour une analyse des risques associés à une définition vague des actes de terrorisme. Cette revue semestriellement constitue une occasion pour le « de-listing » de personnes et entités. 171 Deuxième partie : le droit de l’UE l'IRA (armée républicaine irlandaise), le GRAPO (groupe de résistance antifasciste du premier octobre), la branche terroriste du Hamas, le Djihad islamique palestinien, etc. En ce qui concerne Oussama ben Laden et des personnes et entités associées à celui-ci, elles sont inscrites sur une autre liste, celle établie par la position commune 2002/402/PESC du Conseil du 27 mai 2002 concernant des mesures restrictives à l'encontre d'Oussama ben Laden, des membres de l'organisation Al-Qaïda ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés740. 3. Le règlement 2580/2001/CE Pour la mise en œuvre des mesures qui relèvent de la position commune 2001/931/PESC, le Conseil a adopté le règlement 2580/2001/CE, concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme741. Cet instrument attaque le problème du financement des activités terroristes, en imposant le gel des fonds et autres avoirs financiers liés au terrorisme La base juridique pour l’adoption de ce règlement sont les articles 60, 301 et 308 TCE. Une action de la Communauté a été jugée nécessaire et, conformément à l’article 60 TCE et à la procédure prévue à l'article 301 TCE, des mesures urgentes ont été prises en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements (premier pilier). Plus précisément, l’article 60 TCE permet l’adoption de mesures restrictives quant au mouvement international de capitaux, lorsque des raisons urgentes rendent ces mesures nécessaires. Pour sa part, l’article 301 TCE prévoit l’adoption des mesures économiques restrictives, dans le cadre de la politique étrangère commune et dans des cas d’urgence. L’article 30 TCE prévoit la possibilité d’imposer des restrictions au mouvement des biens, si des raisons de sécurité justifient cette dérogation. Les articles 60 CE et 301 TCE envisagent une action communautaire prise à l’encontre de pays tiers ; pour cette raison, le règlement 2580/2001 ne s’applique qu’à l’égard des personnes et entités ayant des liens avec des pays tiers742. Pour sa part, l’article 308 TCE autorise l’action de la Communauté, si cela apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le TCE ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet. Par sa nature juridique, le règlement est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tous les Etats membres. 740 741 742 172 Cf. règlement 881/2002/CE. La position 2002/402/PESC abroge les positions communes 96/746/PESC, 1999/727/PESC, 2001/154/PESC et 2001/771/PESC. JO L 344 du 28.12.2001, p. 70. MOINY (2007), p. 202 ; TPI, arrêt Ahmend Ali Yusuf et Al Barakkat c. Conseil du 21 septembre 2005, affaire T-306/01, Rec. 2005, p. II-3533, consid. 131 ss. III. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la lutte contre le financement du terrorisme Pour définir la notion des « actes de terrorismes » le règlement fait un renvoi à l’article 1 par. 3 de la position commune 2001/931/PESC. L’article 2 du règlement prévoit une interdiction de fournir tout service financier aux personnes, groupes ou entités listées (article 2 par. 2), ainsi qu’une interdiction de mettre à leur disposition des fonds ou d’autres ressources économiques (article 2 par. 1). La disposition la plus pertinente est l’article 2 par. 3 du règlement, qui impose aux Etats membres l’obligation de geler les avoirs financiers et autres ressources économiques des personnes, groupes ou entités figurant sur une liste établie par le Conseil. Le terme de « gel » se réfère à la mesure qui empêche « tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui auraient pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, y compris la gestion de portefeuille ». La gamme des biens qui peuvent faire l’objet d’une telle mesure est étendue : les biens à geler peuvent ainsi être des avoirs de toute nature, « corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, acquis par quelque moyen que ce soit, et les documents ou instruments légaux sous quelque forme que ce soit, y compris sous forme électronique ou numérique, qui prouvent un droit de propriété ou un intérêt sur ces avoirs »743. Dès lors que le gel est par sa nature une mesure de nature temporaire, le règlement 2580/2001 prévoit des dérogations en vue de permettre le dégel des avoirs dans certains cas. Par exemple, l’article 5 permet l’utilisation des fonds « pour le couverture de besoins humanitaires essentiels ». Chaque Etat membre détermine les sanctions à l’égard de toute personne qui viendrait à violer ces obligations (article 9). L’article 2 ne détaille pas les personnes auxquelles incombe l’obligation de gel et l’interdiction de fournir de services ; cependant, cette disposition peut être interprétée à la lumière de l’article 4744, qui traite de la collaboration avec les autorités compétentes et vise de manière expresse « les banques, les autres institutions financières, les compagnies d’assurance et les autres organismes et personnes ». En vertu de l’article 4, ces institutions sont tenues de fournir aux autorités compétentes toute information susceptible de faciliter l'observation du règlement (comptes et montants, transactions effectuées etc.). Cette transmission d’information est sans préjudice des règles en matière de confidentialité et de secret professionnel. La coopération des institutions financières et la transmission d’informations sont importantes pour le succès des mesures de gel. La liste permet aux institutions financières d’identifier des opérations suspectes 743 744 Selon l’article 1 par. 1, les avoirs à geler incluent, « mais non exclusivement, les crédits bancaires, les chèques de voyage, les chèques bancaires, les mandats, les actions, les titres, les obligations, les traites et les lettres de crédit ». MOINY (2007), p. 201. 173 Deuxième partie : le droit de l’UE impliquant des personnes et entités qui y figurent745. La transmission éventuelle des déclarations d’opérations suspectes peut aboutir au déclenchement d’enquêtes et à la confiscation des fonds liés au terrorisme746. La troisième directive relative à la lutte contre le blanchiment vise également à empêcher l’exploitation du système financier à des fins de financement du terrorisme, ce qui crée un certain recouvrement de champs d’application747. Le champ d’application du règlement est considérablement élargi en raison de l’article 2 par. 3. Selon cette disposition, les mesures de gel s’appliquent à deux catégories d’entités, qui ressemblent à deux cycles concentriques. Le premier cycle comprend les personnes physiques et morales, les groupes ou les entités commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation. Le deuxième cycle homocentre est plus grand et comprend les personnes morales, groupes ou entités « détenus »748 ou « contrôlés »749 par une personne du premier groupe ; il comprend également les personnes morales, groupes ou entités « agissant pour le compte » ou « agissant sous les ordres » d'une des personnes visées. Cette construction juridique augmente le nombre des personnes dont les avoirs peuvent être gelés et empêche les réseaux terroristes de contourner les dispositions du règlement en établissant simplement des sociétés vitrines. Un autre aspect important du règlement n° 2580/2001 est la mise en place d’un mécanisme de suivi et de mise à jour de la liste des personnes et des entités visées. Selon l'article 2, paragraphe 3, le Conseil établit, révise et modifie cette liste. Depuis 2001, le Conseil a effectué plusieurs révisions de la liste, en adoptant successivement des règlements et des décisions750. La procédure de « listing » a fait l’objet d’examen par le TPI dans l’affaire OMPI751. Le Conseil dispose donc « d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures de sanctions économiques et financières sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 TCE »752. Même si l’obligation pour le Conseil de motiver sa décision pose une limite à ce pouvoir d’appréciation753, il n’y a pas de critères précis quant à la manière 745 746 747 748 GAFI (2003b), p. 30. L’efficacité de cet outil en matière de lutte contre le financement du terrorisme est loin d’être indiscutable ; LEVI (2007), p. 278. MOINY (2007), p. 199. Selon l’article 1 par. 5, « détenir une personne morale, un groupe ou une entité» signifie être en possession de 50 % ou plus des droits de propriété d'une personne morale, d'un groupe ou d'une entité ou détenir une participation majoritaire en son sein ». 749 750 751 752 753 174 L’article 1 par. 6 propose plusieurs critères utiles, comme le droit de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes, le contrôle de la majorité des droits de vote et le critère un peu ambiguë de l’influence dominante. Cf. par exemple, décision n° 2005/930/CE du Conseil du 21 décembre 2005, JO L 340 du 23.12.2005. TPI, arrêt Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran (OMPI) c. Conseil du 12 décembre 2006, affaire T-228/02. Arrêt précité (note 751), consid. 159. Arrêt précité (note 751), consid. 144 ss ; la décision initiale doit porter sur les informations émanant d’autorités judiciaires et, le cas échéant, des représentants des Etats membres ; une décision subséquente III. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la lutte contre le financement du terrorisme d’identifier et de désigner les personnes qui vont figurer sur la liste754. L’importance de la mise à jour de cette liste sur une base régulière est évidente ; nous soulignons aussi l’importance du recours juridictionnel à l’encontre de la décision à l’origine de l’insertion à la liste. Dans l’affaire OMPI, le TPI a affirmé la compétence du juge communautaire pour connaître d’un tel recours755. 4. Le règlement 881/2002/CE Un régime de sanctions particulier s’applique à Oussama ben Laden et aux personnes et entités associées à celui-ci. Ces personnes ne sont pas inscrites sur la liste établie par la position commune 2001/931/PESC du Conseil et le règlement 2580/2001/CE. Au lieu de cela, elles sont inscrites sur la liste établie par la position commune 2002/402/PESC du Conseil du 27 mai 2002 concernant des mesures restrictives à l'encontre d'Oussama ben Laden, des membres de l'organisation Al-Qaïda ainsi que des Talibans et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés756. La position commune 2002/402/PESC forme une unité avec le règlement 881/2002/CE du Conseil du 27 mai 2002757. Ces initiatives de l’UE sont étroitement liées aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU758. En effet, elles sont de nature supplémentaire : elles s’ajoutent aux initiatives de l’ONU, mais elles les renforcent considérablement, car elles bénéficient de la dynamique de l’intégration européenne. A la suite de l’action de l’ONU, l’UE a ainsi adopté le règlement 467/2001/CE, qui a été ultérieurement remplacé par le règlement 881/2002/CE. Conformément donc aux résolutions du Conseil de Sécurité, l’UE décide de geler les fonds et les autres avoirs financiers des Talibans. Comme l’indique le préambule du règlement : « Pour assurer un maximum de sécurité juridique dans la Communauté, les noms et d'autres données pertinentes concernant les personnes physiques ou morales, les groupes ou les entités dont les fonds doivent être gelés suite à leur désignation par les autorités des Nations Unies, devraient être rendus publics et 754 755 756 757 758 doit indiquer « les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, après réexamen, que le gel des fonds de l’intéressé reste justifié ». Lors de la la procédure de « listing », les Etats membres doivent établir que les actes allégués revêtent la qualification d’actes de terrorisme, au sens de l’article 1er par. 3 de la position commune 2001/931 ; cf. TPI, arrêt Sison du 30 septembre 2009, affaire T-341/07, consid. 133-134, 138. Arrêt précité (note 751), consid. 155 ss. Cf. règlement 881/2002/CE, JO L 139 p. 9. La position 2002/402/PESC abroge les positions communes 96/746/PESC, 1999/727/PESC, 2001/154/PESC et 2001/771/PESC. Cet instrument a abrogé le règlement 467/2001/CE du Conseil interdisant l'exportation de certaines marchandises et de certains services vers l'Afghanistan, renforçant l'interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidées à l'encontre des Talibans d'Afghanistan, JO L 139 du 29.05.2002. Voir p. 83 ss de la présente étude. 175 Deuxième partie : le droit de l’UE une procédure de modification de ces listes devrait être instaurée au sein de la Communauté »759. La base juridique du règlement 881/2002/CE est le TCE, et notamment les articles 60, 301 et 30 TCE760. Le gel d’avoirs des Talibans est une mesure restrictive, comme l’envisagent ces dispositions. Il constitue évidemment une dérogation aux règles concernant le libre mouvement des capitaux. Cette dérogation est cependant justifiée par des circonstances urgentes et des raisons de sécurité. La forme juridique du règlement correspond à cette affirmation, car les instruments de ce type sont obligatoires dans tous ses éléments et directement applicables dans tout Etat membre. Étant donné que le gel des fonds doit être efficace et opportun, la forme juridique du règlement a été choisie pour que le gel soit mis en œuvre de manière rapide et uniforme. L’article 2 du règlement prévoit le gel de « tous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de ou détenus par une personne physique ou morale, un groupe ou une entité désignés par le comité des sanctions et énumérés à l'annexe I ». Les règlements 881/2002 et 2580/2001 emploient la même définition du terme de « gel »761. Quant à la définition des expressions « fonds » et « ressources économiques », le règlement 881/2002 les décrit de manière encore plus détaillée que le règlement 2580/2001. Outre le gel, l’article 2 prévoit une autre mesure de lutte contre le financement du terrorisme, c’est-à-dire la prohibition de mettre des fonds et des ressources économiques, directement ou indirectement, à la disposition des personnes visées. Il est également interdit d’utiliser des fonds et des ressources économiques au bénéfice de ces personnes. Cette prohibition est complétée par l’article 10, qui oblige les Etats membres à déterminer les sanctions à imposer en cas de violation du règlement. La question des sanctions sera examinée plus loin ; cependant, il convient de noter que ces sanctions doivent être « efficaces, proportionnelles et dissuasives » . Par ailleurs, en vertu de l’article 4, « il est interdit de participer, sciemment ou volontairement, aux activités ayant pour objet ou pour effet, direct ou indirect, de contourner l'article 2 ». Les réseaux terroristes et leurs collaborateurs peuvent tenter de protéger leurs fonds contre les mesures de gel. Si les biens en question proviennent des activités illicites, ce cas est couvert par le dispositif anti-blanchiment. Normalement, s’il s’agit des fonds acquis de manière légitime, aucune loi n’est violée, lorsque ces fonds sont dissimulés. L’article 4 du règlement introduit une exception : il interdit la dissimulation 759 760 761 Préambule, point 5. Voir p. 172 ss de la présente étude, en particulier l’analyse de la base juridique du règlement 2580/2001/CE. « Tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui auraient pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, y compris la gestion de portefeuille ». 176 III. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la lutte contre le financement du terrorisme des fonds, si cette opération vise à contourner l’article 2 et protéger les fonds contre la mesure du gel. Selon l’article 4 par. 2 du règlement, toute information concernant un tel contournement doit être prise en considération par les autorités compétentes des Etats membres, qui doivent aussi la transmettre à la Commission. Afin de protéger les institutions financières qui exécutent le gel (« la personne physique ou morale, le groupe ou l'entité […], ses directeurs ou ses employés »), l’article 6 du règlement exclut leur responsabilité, sous certaines conditions. La première condition est la conviction d'agir de bonne foi conformément au règlement. Deuxièmement, le gel ne doit pas résulter d'une faute de la personne qui l’exécute. L’article 6 exclut donc la responsabilité pénale et civile des institutions financières, notamment en vertu des règles applicables en matière de communication d'informations, de confidentialité et de secret professionnel. L’article 6 protège les personnes morales et les entités qui sont établies ou constituées selon la législation d'un Etat membre. En vertu de l’article 11, le règlement s’applique également « à toute personne morale, tout groupe ou toute entité qui entretient des relations commerciales dans la Communauté ». La question se pose de savoir si l’article 6 protège les institutions financières des pays tiers qui entretiennent des relations de ce type dans la Communauté. Selon l'article 7 du règlement 881/2002, la Commission peut modifier ou compléter la liste des personnes et des entités, qui figurent à l’annexe I. Ces modifications prennent la forme juridique du règlement et ont lieu sur la base des recensements effectués soit par le Conseil de sécurité de l’ONU, soit par le Comité 1267. La Commission entretient avec le Comité 1267 tous les contacts nécessaires à la bonne mise en œuvre du règlement. En outre, l’UE peut modifier la liste des personnes et des entités, qui figurent à l’annexe II, sur la base d'informations fournies par les Etats membres. 5. L’affaire SWIFT et les limites de l’« asset tracing » La coopération transatlantique sur les questions de justice et d'affaires intérieures (lutte contre le trafic illicite de stupéfiants, le trafic des êtres humains, la cybercriminalité) remonte aux années 1990 et a été confirmée à plusieurs reprises aux sommets UE-Etats-Unis762. A la suite des agressions 762 Cf. Sommet UE-Etats-Unis, Déclaration de la présidence de la PESC, Communiqué de presse n° 12296, 03.12.1995 ; Sommet UE-Etats-Unis, Washington, Communiqué de presse n° 14074, 17.12.1999, etc. Les bases du dialogue institutionnel transatlantique ont été instituées en 1990, lorsque la Communauté économique européenne et ses Etats membres ont adopté la Déclaration transatlantique avec les Etats-Unis, afin d'intensifier la collaboration euro-américaine. Le nouvel agenda transatlantique (NAT) de 1995 a permis d'améliorer sensiblement cette coopération transatlantique pour un certain nombre de dossiers stratégiques. La réponse aux défis mondiaux, tels que la lutte contre le terrorisme international, fait partie de ces dossiers. 177 Deuxième partie : le droit de l’UE terroristes du 11 septembre 2001, l’UE a exprimé sa solidarité763 avec la nation américaine et affirmé son engagement dans la lutte internationale contre le terrorisme. Toutefois, les relations transatlantiques ont été mises à l’épreuve en 2006 par les révélations prouvant que la CIA et le département du Trésor américain ont surveillé pendant des années, des millions de données transitant par le réseau de la société SWIFT. Cette affaire reflète un problème plus général, celui de la divergence de mentalités entre l’UE et les Etats-Unis. La réaction des Etats-Unis au terrorisme international est effectivement caractérisée par trois éléments qui engendrent le scepticisme des européens: l’urgence, la militarisation et l’unilatéralisme764. Après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, le Département américain du Trésor a développé un programme de traque du financement du terrorisme (Terrorist Finance Tracking Program, TFTP), afin de poursuivre le financement du terrorisme. Dans le cadre du TFTP, le Trésor américain a délivré à la SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) des injonctions administratives invitant SWIFT (Etats-Unis) à lui transférer un volume restreint de données financières personnelles stockées sur son serveur américain, données susceptibles d'être utilisées pour contrer les activités terroristes de certains individus ou entités suspects. En 2007, le Trésor américain s'est engagé unilatéralement envers l'UE765 à utiliser les données SWIFT en provenance de l'UE exclusivement à des fins de lutte contre le terrorisme, à ne pas conserver les données au-delà de délais déterminés dans les circonstances appropriées, et à procéder régulièrement à des contrôles afin d'identifier et d'effacer toute donnée qui ne serait pas nécessaire pour lutter contre le terrorisme. Les engagements autorisent aussi la Commission à désigner une « personnalité européenne éminente » ayant pour mission d'évaluer si le Trésor américain met bien en œuvre le TFTP conformément aux dits engagements. En février 2008, la Commission européenne a chargé le juge Jean-Louis Bruguière d'entreprendre, pour le compte de l'UE, une étude des procédures que le Département du Trésor américain applique au traitement des données en provenance de l'UE que lui a transmises le réseau SWIFT766. L'objectif est de vérifier si ces procédures sont mises en œuvre dans le respect des engagements qu'a unilatéralement pris le Trésor américain envers l'UE en 2007767. 763 764 765 766 767 178 Attentats terroristes aux USA: Déclaration commune des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, de la présidente du Parlement européen, du président de la Commission européenne et du Haut-Représentant pour la PESC, 14/09/2001. GNESOTTO (2002) ; DE GOEDE (2008), p. 162. JO C 166 du 20.7.2007, p. 17. UNION EUROPÉENNE (2008), L'examen par l'UE du « programme de traque du financement du terrorisme » des Etats-Unis, Communiqué de presse, IP/08/400, 07.02.2008. En Suisse, le Conseil fédéral, le DFF et la Commission fédérale des banques n'ont pu constater aucune violation du secret bancaire dans cette pratique des autorités américaines. Voir : COMMISSION DE GESTION DU III. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la lutte contre le financement du terrorisme 6. La jurisprudence de la CJCE concernant les actes pris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme La constitution de listes de personnes et d'entités dont les avoirs doivent être gelés n'est pas une simple question technique, mais elle engendre également des problèmes juridiques. La légalité des mesures imposant le gel de fonds et d’autres ressources financières a effectivement été contestée à plusieurs reprises devant le TPI et la CJCE768. Dans les arrêts T-306/01 et T-315/01 (affaires jointes Al Barakaat et Kadi), le TPI a reconnu la compétence de l’UE pour ordonner le gel des fonds des particuliers, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international769. La question se posait de savoir si le TPI et la CJCE ont la compétence pour contrôler la légalité des règlements arrêtés en exécution de résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU (p.ex. règlement 881/2002/CE770) au regard des principes fondamentaux régissant l’ordre juridique communautaire. Plus précisément, en 2005, à l'occasion d'une demande d'annulation du règlement 467/01 du 6 mars 2001 (ultérieurement remplacé par le règlement 881/2002/CE), le TPI a examiné la légalité de la constitution des « listes noires » ; les arrêts du 21 septembre 2005, rendus dans les affaires T-306/01 et T-315/01, abordent la question du contrôle judiciaire. Selon ces arrêts, l'objectif du règlement attaqué était de mettre en œuvre, au niveau de l'UE, des décisions du Conseil de sécurité. Le TPI a affirmé le principe de la primauté du droit de l’ONU sur le droit communautaire. Ensuite, le TPI a précisé que tout contrôle de la légalité interne de ce règlement impliquerait un examen, de façon indirecte, de la légalité des décisions du Conseil de sécurité. Toutefois, cela échapperait au contrôle juridictionnel du TPI, précisément à cause du principe de la primauté : le TPI a donc refusé de contrôler la conformité des résolutions du Conseil de sécurité avec la CEDH ou avec les droits protégés par le droit de l’UE. Toujours selon les arrêts du TPI, le contrôle de la légalité couvre néanmoins le respect des principes du jus cogens, notamment des droits fondamentaux, par les organes de l’ONU. Comme le clarifie le Tribunal dans son arrêt T-306/01, « au demeurant la Charte des Nations Unies elle-même CONSEIL NATIONAL (2007), Transmission, par SWIFT, de données relatives à des transactions financières internationales: évaluation du point de vue de la Suisse, 17 avril 2007. 768 769 770 Cf. TPI, arrêt Ahmend Ali Yusuf et Al Barakkat c. Conseil du 21 septembre 2005, affaire T-306/01, Rec. 2005, p. II-3533 ; TPI, arrêt Yassin Abdullah Kadi c. Conseil du 21 septembre 2005, affaire T-315/01, Rec. 2005, p. II-3649 ; cf. aussi TPI, arrêt Chafiq Ayadi c. Conseil du 12 juillet 2006, T-253/02, Rec. 2006 p. II2139 ; TPI, arrêt Faraj Hassan c. Conseil et Commission du 12 juillet 2006, T-49/04, Rec. 2006 p. II-52. Le requérant invoquait en premier lieu l’incompétence du Conseil de l’UE à adopter le règlement en cause et, en deuxième lieu, la violation de ses droits fondamentaux (le droit de propriété et droit d’être entendu). Le TPI a rejeté tous ces arguments du requérant ; TPI arrêt Kadi précité (note 768), par. 135, 276 et 291 ; cf . HALTERN (2007), p. 537 ss. Voir p. 175 ss de la présente étude. 179 Deuxième partie : le droit de l’UE présuppose l'existence de principes impératifs de droit international, et notamment la protection des droits fondamentaux de la personne humaine […] Le droit international permet ainsi de considérer qu'il existe une limite au principe de l'effet obligatoire des résolutions du Conseil de sécurité: elles doivent respecter les dispositions péremptoires fondamentales du jus cogens. Dans le cas contraire, aussi improbable soit-il, elles ne lieraient pas les Etats membres de l'ONU ni, dès lors, la Communauté ». Par conséquent, en ce qui concerne la constitution des listes par le Conseil de sécurité, le contrôle de la légalité au niveau de l’UE ne peut avoir lieu qu'au regard de règles supérieures du droit international général, comme les règles de jus cogens. Ces règles d'ordre public international sont impératives pour les Etats, mais également pour les instances de l'ONU. Dans le cadre d’un pourvoi contre ces deux arrêts, la CJCE est allée plus loin, en renversant l’argumentation du TPI en faveur d’une protection renforcée des libertés fondamentales771. En fait, « selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le respect des droits de l’homme constitue une condition de la légalité des actes communautaires […] et que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect de ceux-ci »772. La TPI a adopté cette solution dans son arrêt Othman773 ; le TPI a ainsi annulé le règlement 881/2002/CE du Conseil dans la mesure où il gelait les fonds du requérant au motif que cet instrument avait été adopté en violation des droits fondamentaux du requérant, notamment les droits de la défense, le droit à un contrôle juridictionnel effectif et le droit de propriété. Comme le confirme l’arrêt récent Hassan et Ayadi de la CJCE, des garanties juridiques sont nécessaires, permettant aux personnes visées d’exposer leur cause aux autorités compétentes, après être informées des éléments justifiant l’inclusion de leurs noms dans la liste774. Cela est nécessaire eu égard à la portée générale et à la persistance effective des mesures de gel. Nous considérons que la nouvelle jurisprudence post-Kadi est très positive ; elle affirme l’importance du contrôle judiciaire des travaux législatifs de l’UE en matière de lutte contre le financement du terrorisme, qui ont souvent été critiquées, à notre avis à juste titre, pour leur « optique sécuritaire univoque »775. La question se pose aussi de savoir si la réparation du préjudice subi du fait de l’inscription sur une liste noire est possible. Dans l’arrêt Segi, la CJCE a 771 772 773 774 775 180 CJCE, arrêts Kadi c. Conseil et Al Barakaat c. Conseil du 3 septembre 2008, affaires jointes C-402/05 P et C415/05 P, Rec. 2008, p. I-6351. Voir : GLESS / SCHAFFNER, in BRAUM / WEYEMBERGH (2009), p. 185 ss Ibid. par. 283 ss. TPI, arrêt Omar Mohammed Othman c. Conseil & Commission du 11 juin 2009, affaire T-318/01, Rec. 2009 (à paraître). CJCE, arrêt Faraj Hassan et Chafiq Ayadi c. Conseil du 3 décembre 2009, affaires jointes C-399/06 P et C403/06 P, Rec. 2009 (à paraître). DELMAS-MARTY (2004), p. 298 ; DIMITROULIAS (2006), p. 123 ; rapport précité (note 27), p. 20 ss. III. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la lutte contre le financement du terrorisme affirmé que les dispositions du TCE relative à la compétence de la Cour ne sont applicables au titre VI TUE que dans les conditions prévues à l'article 35 TUE, qui n'attribue pas à la CJCE la compétence pour connaître des recours en indemnité776. Les dispositions en matière de réparation de dommages causés par les institutions de l’UE (articles 235 et 288 par. 2 TCE) ne sont pas applicables dans les domaines visés au titre VI TUE, ce qui découle de l’article 41 par. 1 TUE. Le titre VI ne prévoit donc aucun recours en responsabilité. Néanmoins, selon la déclaration du Conseil du 18 décembre 2001, « toute erreur quant aux personnes, groupes ou entités visés donne le droit à la partie lésée de demander réparation en justice »777. Dans l’arrêt Segi, la CJCE a précisé qu’une telle déclaration ne suffit pas à créer une voie de droit qui n'est pas prévue par les textes applicables et ne saurait donc suffire à attribuer à la Cour compétence à cet égard. La Cour EDH avait aussi rejeté comme irrecevable le recours introduit par l’association Segi et les autres requérants à l’encontre des quinze Etats membres, relatif à la position commune 2001/931, au motif que la situation dénoncée ne leur conférait pas la qualité de victimes d’une violation de CEDH778. 776 777 778 CJCE, arrêt Segi et autres contre Conseil de l'Union européenne du 27 février 2007, affaire C-355/04 P, Rec. 2007, p. I-1657, consid. 44, 46-48, 60-61 ; cf. aussi TPI, ordonnance Segi et autres c. Conseil du 7 juin 2004, affaire T-338/02, Rec. 2004 p. II-1647, consid. 34 ss. Cf. Annexe du procès-verbal de l’adoption de la position commune 2001/931 et du règlement nº 2580/2001. Cour EDH, arrêt Segi et autres c. l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède du 23 mai 2002, n° 6422/02 et n° 9916/02, Recueil CourEDH 2002-V. Il faut retenir que les requérants n’étaient pas concernés par les articles 2 et 3 de la position commune 2001/931 (gel des fonds ; mise en œuvre par le règlement du Conseil 2580/2001 du 27 décembre 2001) ; d’après la liste figurant dans l’annexe à la position commune, ils étaient soumis uniquement à l’article 4 (« Les Etats membres s’accordent mutuellement, par le biais de la coopération policière et judiciaire en matière pénale dans le cadre du titre VI TUE, l’assistance la plus large possible pour prévenir et combattre les actes de terrorisme. A cette fin, pour les enquêtes et les poursuites effectuées par leurs autorités concernant une des personnes, un des groupes ou une des entités dont la liste figure à l’annexe, ils exploitent pleinement, sur demande, les pouvoirs qu’ils détiennent conformément aux actes de l’Union européenne et à d’autres accords, arrangements et conventions internationaux liant les Etats membres »). Les requérants n’ont apporté aucun élément permettant de conclure qu’ils ont fait l’objet de mesures particulières à leur encontre en application de l’article 4. 181 Deuxième partie : le droit de l’UE IV. Conclusions intermédiaires : le droit de l’UE en matière de confiscation L’UE a adopté une attitude active en vue de la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Les principaux objectifs de la coopération judiciaire en matière pénale ont été décidés lors du sommet de Tampere en octobre 1999. Parmi les idées admises pleinement par le Conseil européen de Tampere se trouvent la nécessité de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, l’adoption de mesures pour dépister, saisir et confisquer les produits du crime, ainsi que le rapprochement des dispositions pénales sur le blanchiment d’argent. Dans le présent chapitre, nous avons examiné les instruments juridiques que l’UE utilise en matière de coopération judiciaire pénale, avec un accent particulier sur la question de la confiscation internationale. Il convient ici de résumer les conclusions principales de cette analyse. En ce qui concerne le droit communautaire primaire, qui constitue la base juridique pour la prise d’actes par les institutions communautaires, l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne constitue certainement un développement très important. Ce traité constitue une nouvelle étape dans un processus difficile, le processus de réforme continue qui caractérise les institutions européennes779. Ce traité a un impact important dans le domaine de la justice et des affaires intérieures : la coopération policière et la coopération judiciaire en matière pénale sont intégrées dans le régime de l’Union (« communautarisation » du troisième pilier)780 avec toutes les conséquences juridiques d’une telle intégration (possibilité d’adopter des instruments plus contraignants et dotés d’effet direct ; renforcement du rôle de la Commission et possibilité d’engager une action en manquement ; compétence préjudicielle de la CJCE sans restrictions). Sous le régime du Traité de Lisbonne, la CJCE aura l’occasion de se prononcer sur les instruments européens en matière de confiscation et d’examiner leur compatibilité avec le droit de l’UE (en particulier le principe de la proportionnalité) et la CEDH. Il reste à voir si la jurisprudence de la CJCE sur la confiscation sera plus claire et cohérente que celle de la Cour EDH. Plusieurs instruments de droit européen dérivé ont été adoptés au cours des années en matière de lutte contre la criminalité. Nous pouvons mettre en évidence trois grandes unités qui présentent un intérêt pour notre étude : les initiatives bien connues de l’UE contre le blanchiment d’argent (directives anti-blanchiment), les initiatives en matière de lutte contre le financement du terrorisme (en particulier la mise en œuvre des sanctions internationales) et les initiatives en matière de coopération judiciaire pénale. Cette troisième catégorie comprend des instruments de portée générale, comme l’UEEJ, ainsi 779 780 182 DEVUYST (2008), p. 315. JAAG (2008), p. 31. IV. Conclusions intermédiaires : le droit de l’UE en matière de confiscation que des instruments portant sur des questions spécifiques, comme la confiscation. Contrairement aux autres instruments internationaux, les instruments élaborés dans le cadre de l’UE mettent un accent particulier sur l’organisation et les aspects techniques de la coopération judiciaire à des fins de confiscation. Nous pouvons ici mettre en évidence un changement de terminologie intéressant: l'Etat requérant devient graduellement l'Etat d'émission et l'Etat requis devient l'Etat d'exécution781. La multiplication des initiatives législatives de la part de l'UE démontre sa volonté de créer un véritable espace judiciaire pénal en Europe ; cependant, les initiatives de l’UE peuvent faire l’objet de critiques, en raison de leur multiplicité et complexité, de l’absence de rapport explicatif, du fait que les nouveaux Etats membres n’ont pas participé à l’élaboration des normes, de la qualité de certaines versions linguistiques, des retards et des blocages dans la transposition des textes782. A ces problèmes s’ajoutent les différences en matière d’intérêt national, de traditions juridiques et de capacités administratives des États membres783. La Commission a confirmé que la transposition des instruments juridiques dans les domaines de l’ELSJ est parfois problématique (cas de non-respect, cas d’application incorrecte, manquements à notifier les mesures de transposition, etc.)784. Sans sousestimer ces problèmes, nous considérons que ces éléments ne témoignent pas d’un manque de conviction : il est évident que la coopération judiciaire européenne en matière pénale a été renforcée dans les 10 dernières années, ce qui est un progrès remarquable, si nous le comparons à la réalisation du marché commun, qui a exigé beaucoup plus de temps. L’existence de nombreux instruments en matière de coopération judiciaire pénale (en particulier en matière d’obtention de preuves, de gel et de confiscation) invite peut-être à procéder à une codification, en tenant surtout compte des « risques inhérents au reformatage »785. Le développement de droit communautaire dérivé en matière de coopération judiciaire pénale est régi par certains principes, dont la reconnaissance mutuelle. Nous pouvons mettre en évidence une tendance en faveur de ce principe ; nous avons déjà examiné certains exemples importants de sa mise en œuvre : la décision cadre 2003/577/JAI relative à l'exécution 781 782 MOLO (2006), p. 575. VERNIMMEN-VAN TIGGELEN / SURANO (2008), p. 9 et 19; BORGERS / MOORS (2007), p. 15 ; rapport précité (note 27), p. 17 ; rapport précité (note 19), p. 79, selon lequel « third-pillar procedures lead to stalled measures and poor quality compromises […] decision making can be slow and on occasions lead to application of the lowest common denominator approach ». 783 784 785 LARAT (2009), p. 11. COMMISSION EUROPÉENNE (2008), Rapport de la Commission européenne sur la mise en œuvre du programme de La Haye en 2007, COM (2008) 373, 2 juillet 2008, p. 14 ss. Le coordonnateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme a identifié les mêmes problèmes dans son rapport de 2008 : COORDINATEUR POUR L’UE DE LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME (2008), Mise en œuvre de la stratégie et du plan d’action pour combattre le terrorisme, Conseil de l’Union européenne, document no 15912/08, du 19 novembre 2008. Vernimmen-Van Tiggelen / Surano (2008), p. 17. 183 Deuxième partie : le droit de l’UE dans l'UE des décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve, la décision cadre 2006/783/JAI relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation et, plus récemment, la décision cadre 2008/978/JAI relative au mandat européen d’obtention de preuves. En vertu des deux premiers instruments, les Etats membres reconnaissent mutuellement les décisions de gel et les décisions de confiscation des produits du crime ; les motifs de non-reconnaissance sont limités, alors que les décisions sont exécutées sans délai, de la même manière que les décisions prises par une autorité de l'Etat d'exécution. En vertu du troisième instrument, une décision judiciaire émise par une autorité compétente d’un Etat membre permet d’obtenir des objets, des documents et des données d’un autre Etat membre en vue de leur utilisation dans le cadre des procédures pénales. Les motifs de non-reconnaissance sont limités et l’autorité d’exécution reconnaît tout mandat européen d’obtention de preuves sans qu’aucune autre formalité ne soit requise. Il est évident que le droit communautaire dérivé va plus loin que les instruments de droit conventionnel, qui prévoient des mécanismes d’entraide traditionnels. Il est aussi évident que la prolifération des instruments de reconnaissance mutuelle rend nécessaire la consolidation / codification des approches786. Une autre tendance concerne le principe du rapprochement des législations au niveau de l’UE. Ce principe implique l’adoption de règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions. Néanmoins, alors que la méthode de la reconnaissance mutuelle se renforce progressivement, les efforts pour le rapprochement substantiel semblent être moins intenses787. Comme l’indique la Commission européenne, en raison de l’abolition de la double incrimination dans les instruments de reconnaissance mutuelle, certains pays membres hésitent à exécuter des décisions étrangères (p.ex. en matière de collecte de moyens de preuve), hésitation à laquelle le rapprochement des législations peut remédier788. L’article 83 TFUE, qui reprend l’article III-172 du projet de la Constitution européenne, traite du rapprochement du droit pénal matériel et utilise deux critères : la gravité des infractions et leur dimension transfrontière. A contrario, le rapprochement du droit pénal matériel des Etats membres, visant l’ensemble de la criminalité, est exclu, en vertu du Traité de Lisbonne. Le rapprochement des législations peut être conçu comme un complément du principe de reconnaissance mutuelle ; ainsi, le rapprochement n’est pas un objectif en soi, autonome789. L’article 82 par. 2, qui reprend l’article III-171.2 de la Constitution européenne, affirme 786 787 788 789 Rapport précité (note 513), p. 95. MANACORDA (2006), p. 881 ss. Rapport précité (note 513), p. 92. Rapport précité (note 434), p. 51. Selon un autre rapport, « [m]utual recognition and harmonisation are not mutually exclusive approaches. It is often argued that for mutual recognition to be truly effective, at least some common standards may be necessary, to ensure that Member States can have the required high degree of trust in the justice systems of other Member States » ; rapport précité (note 19), p. 56. 184 IV. Conclusions intermédiaires : le droit de l’UE en matière de confiscation aussi que le rapprochement des législations n’est que le complément du principe de reconnaissance mutuelle. Suivant cette logique, le fonctionnement de la reconnaissance mutuelle peut exiger une harmonisation minimale des standards790 et avoir un effet « spill-over » pour l’adoption des mesures en la matière, comme le témoigne l’expérience du marché commun791. Toutefois, il faut retenir que « presque tous les domaines couverts par l’ELSJ le sont aussi déjà par des législations nationales détaillées et bien établies, et qui, dans la plupart des cas, sont solidement ancrées dans de longues traditions juridiques, des normes constitutionnelles ainsi que par des conceptions de l’administration de la justice et du maintien de l’ordre public admises de longue date »792, ce qui complique considérablement le rapprochement des règles au niveau européen. Nous soutenons que la protection des droits individuels est d’une importance particulière au niveau de la coopération judiciaire pénale, et encore plus, dans la lutte contre le terrorisme. Le renforcement de la coopération pénale ne peut avoir lieu que dans le strict respect de l'Etat de droit et du droit international793. A cet égard, l’intégration de la Charte des droits fondamentaux dans le droit communautaire primaire et l’adhésion de l’UE à la CEDH signifient une avancée dans la défense des droits fondamentaux des citoyens européens. La jurisprudence post-Kadi de la CJCE est une excellente occasion pour que l’UE assume « la responsabilité de se constituer en une « puissance » régionale « civilisatrice » et « médiatrice », plus apte à affronter les défis de la terreur, sans pour autant sacrifier la justice à des considérations d’opportunité ou d’efficacité »794. Le « Programme de Stockholm » (2010-2014) est le nouveau programme multi-annuel destiné à remplacer le « Programme de La Haye » (2005-2009) ; le nouveau programme détermine les objectifs pour le développement de l’ELSJ à partir de 2010795. L’UE reconnaît que « the confiscation of assets of criminals should be made more efficient and cooperation between Asset Recovery Offices made stronger »796. Il convient aussi de mentionner le plan d’action « Droits fondamentaux et justice » et le programme spécifique « Justice pénale » pour la période 2007-2013797. Parmi les objectifs de ce programme, se trouvent la 790 Selon l’article 82 par. 2 TFUE, les règles minimales peuvent porter sur « a) l'admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres; b) les droits des personnes dans la procédure pénale; c) les droits des victimes de la criminalité; d) d'autres éléments spécifiques de la procédure pénale, que le Conseil aura identifiés préalablement par une décision ». 791 MITSILEGAS (2006), p. 1280 ; selon cet auteur, le principe de la reconnaissance mutuelle doit être employé avec beaucoup de caution dans le contexte de la justice pénale, car « EU intervention in criminal matters may not be equated with intervention regarding the internal market ». MOLAR (2009), p. 27. KAIAFA-GBANDI (2001), p. 242. DIMITROULIAS (2006), p. 116. Programmes de La Haye et de Stockholm précités (note 507). Programme de Stockholm précité (note 507), par. 4.4.5. Sur l’importance de la reconnaissance mutuelle, cf. par. 3.1. Décision 2007/126/JAI, JO L 58 du 24.02.2007. 792 793 794 795 796 797 185 Deuxième partie : le droit de l’UE promotion de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, le rapprochement des systèmes judiciaires des Etats membres en matière pénale et la définition de normes minimales en matière de procédure pénale. Ce programme vise également à l'intensification de la coopération des Etats membres avec Eurojust et à la mise en place d'un système informatisé d'échange d'informations sur les casiers judiciaires. Tous ces objectifs correspondent aux préoccupations des citoyens européens, comme le témoignent les Eurobaromètres récents798. Il peut encore être tôt pour dresser une comparaison systématique et complète de la réalisation de l’ELSJ dans chacun des États membres de l’UE799 ; cependant, selon le rapport de la Commission sur la mise en œuvre du Programme de La Haye, les taux de réalisation sont peu satisfaisants dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale : moins de 20% des mesures prévues par ce programme avaient bien été adoptées800. A un certain degré, ce résultat peut être expliqué par la prolifération des objectifs dans ce domaine et le fait que « les priorités changent souvent, au moins partiellement, d’une présidence à l’autre »801. En outre, à la fin de 2008, la Commission a constaté que « le nombre global de confiscations opérées dans l’Union européenne est resté relativement limité, et les montants recouvrés sont modestes, surtout en comparaison des revenus estimatifs des organisations criminelles. Un recours accru aux procédures de confiscation serait, par conséquent, souhaitable »802. La Commission a aussi constaté une transposition inégale des décisions cadres en matière de confiscation en droit national803. Les problèmes identifiés par la Commission en 1998 persistent donc toujours804. Par ailleurs, comme l’indique un rapport de l’Assemblée nationale française, « la coopération entre États reste insuffisante et laisse encore trop souvent aux délinquants organisés la jouissance des produits de leurs trafics »805. La Commission a ainsi envisagé la refonte du cadre juridique de l’UE en matière de confiscation. Parmi les propositions soumises en débat se trouve l’idée de créer un nouvel instrument juridique sur la confiscation autonome (civile ou pénale) . Un tel instrument pourrait prévoir des cas dans lesquels la confiscation intervient sans condamnation pénale préalable, conformément à 798 799 800 801 802 803 804 805 186 En septembre 2009, l’Eurobaromètre a montré que la majorité d’Européens soutient une action commune au sein de l’Union européenne en matière de lutte contre le terrorisme (81 %) et de lutte contre la criminalité organisée (78 %) [http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/eb/eb71/eb71_fr.htm]. LARAT (2009), p. 10. Rapport précité (note 784), p. 3. MONAR (2009), p. 17. Communication de la Commission (note 7), section 2. Communication de la Commission (note 7), section 3.2. Deuxième rapport de la Commission à l’intention du Parlement et du Conseil européens sur la mise en œuvre de la directive relative au blanchiment de capitaux, COM (1998) 401 final du 01.07.1998. Rapport précité (note 13), p. 23. IV. Conclusions intermédiaires : le droit de l’UE en matière de confiscation la recommandation no 3 du GAFI, par exemple « i) lorsqu’il est soupçonné que les avoirs concernés sont le produit de graves infractions, compte tenu de leur disproportion par rapport aux revenus déclarés de leur propriétaire et du fait que celuici entretient habituellement des contacts avec des personnes connues pour leurs agissements criminels806 […]; ii) lorsque la personne soupçonnée de certaines infractions graves est décédée, en fuite depuis un certain temps ou ne peut, pour tout autre motif, faire l’objet de poursuites ; iii) dans certains cas, lorsque de l’argent liquide est saisi par les autorités douanières en violation du règlement communautaire relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté ». En ce qui concerne les BRA, ils constituent une nouveauté institutionnelle bienvenue. L’établissement de BRA peut être complété par l’institution de registres centralisés nationaux, dont les données permettront l’identification et le dépistage des avoirs d’origine criminelle. Pour recourir efficacement à la technique de l'enquête simultanée, il est nécessaire de faciliter « la collaboration entre les autorités compétentes - répressives, judiciaires et fiscales - et les responsables des différents registres publics ou privés de propriété afin d'obtenir des informations sur les biens, quels qu'ils soient, accélérant le traitement des demandes d'informations présentées par lesdites autorités »807. Néanmoins, plusieurs États membres ne donnent suite à une demande d'entraide sollicitant des mesures conservatoires que si les avoirs sont parfaitement identifiés ; certains États membres se refusent à entreprendre « des recherches qu'ils considèrent comme trop vastes et qu'ils qualifient de recherches tous azimuts »808, ce qui s'applique notamment aux comptes bancaires. Selon la Commission, dans les cas où des registres centraux répertoriant tous les comptes bancaires n'existent pas, les Etats membres devraient être encouragés à les constituer809. De cette manière, l’Etat requis ne devrait pas interroger tous les établissements bancaires sur son territoire. La Commission propose aussi d'améliorer la disponibilité de l’information concernant les décisions de gel et de confiscation encore pendantes dans l'UE, notamment par la création d'une liste / base de données. 806 807 808 809 La Commission a aussi soumis en débat l’idée de créer une nouvelle infraction pénale pour détention des actifs de ce type, mais sans que la charge de la preuve soit totalement renversée. Recommandation précitée (note 693), let. c. Rapport précité (note 194), p. 19. Communication de la Commission (note 7), section 6.1. 187 TROISIÈME PARTIE : LE DROIT SUISSE I. La confiscation dans le CP suisse I. La confiscation dans le CP suisse 1. La confiscation en vertu des articles 69 ss CP En tant que place financière internationale, la Suisse a dû protéger sa réputation, en empêchant l’abus de son secteur financier par les réseaux criminels810. La lutte contre la criminalité organisée, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ont exigé le renforcement du dispositif pénal suisse. Le développement de ce dispositif a été favorisé par une série d’affaires pénales (Pizza Connection en 1985, affaire Kopp en 1989/90, affaire Marcos en 1997) et influencé par l’évolution de la réglementation au niveau international. Il faut noter que le système a prouvé, comme l’indique M. Pieth, une certaine « capacité d’autorégénération »811. Les dispositions en matière de confiscation constituent un volet important de ce dispositif. Le droit pénal suisse prévoit la possibilité de confisquer les instruments et les produits de l’activité criminelle. Les dispositions topiques sont les articles 69 ss CP, qui remplacent les anciens articles 58 ss CP812. Les nouvelles dispositions pénales régissant la confiscation, adoptées à l’occasion de la révision du CP de 2002 et entrées en vigueur le 1er janvier 2007, n’introduisent pas de modifications importantes, à l’exception d’une subdivision plus claire du point de vue de la technique législative : les quatre chiffres de l’ancien article 59 CP ont été réaménagés en trois articles, en particulier les articles 70, 71 et 72 CP813. A cela s’ajoutent certaines modification mineures d’ordre rédactionnel814. Avant d’entreprendre une analyse détaillée des articles 69 ss CP, il convient de présenter les éléments principaux du système de confiscation suisse. Premièrement, le droit suisse prévoit, d’une part, la mise en place de mesures provisoires (séquestre pénal)815 et, d’autre part, la mise en place de mesures de confiscation. Deuxièmement, en droit pénal suisse, la distinction 810 Comme l’indique le Conseil fédéral, « [l]a place financière suisse ne doit pas être utilisée à des fins criminelles. La Suisse a donc un intérêt primordial, en matière de criminalité transfrontalière de grande envergure, d’offrir une collaboration efficace et rapide aux autorités poursuivantes étrangères » ; Décision 811 812 813 814 815 du Conseil fédéral du 26 octobre 2005, Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération, JAAC 70.5. PIETH (2003), p. 5. Message du Conseil fédéral du 21 septembre 1998 concernant la modification du Code pénal suisse, FF 1999 1787 ; le 13 décembre 2002, les Chambres fédérales ont adopté cette modification de la partie générale du Code pénal, FF 2002 7658. Ce réaménagement est conforme aux directives sur la technique législative publiées par la Chancellerie fédéral ; Message (note 812), FF 1999 1787, p. 1915 ss. Cf. aussi CASSANI (2008), p. 336 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 69 CP, N. 4 ; HURTADO POZO (2008), p. 528. Dans la version française les verbes au futur sont remplacés par des formes au présent, comme c’était déjà le cas dans les versions allemande et italienne du CP. Dans la version allemande, le terme « Gericht » est remplacé par celui de « Richter », qui correspond aux termes utilisés dans la version française et italienne. L’expression « strafbare Handlung » est enfin remplacée par le terme « Straftat ». Voir p. 241 ss de la présente étude. 191 Troisième partie : le droit suisse est faite entre la confiscation d'objets dangereux, prévue par l’article 69 CP (ancien article 58 CP) et la confiscation de valeurs patrimoniales, prévue par l’article 70 CP (ancien article 59 CP). Troisièmement, le droit suisse fait une distinction entre la confiscation (articles 69, 70 et 72 CP) et la créance compensatrice (article 71 CP). Toutes ces notions feront l’objet d’une analyse plus détaillée dans des sections séparées de la présente étude. Il faut, enfin, retenir qu’un acte propre à entraver la confiscation de valeurs patrimoniales est un élément constitutif objectif de l’infraction du blanchiment d’argent en vertu de l’article 305bis CP816. 2. La nature de la confiscation La première question qui se pose est de savoir quelle est la nature de la confiscation en droit suisse. Comme dans sa version avant la réforme législative de 2002 (articles 58 et 59 CP), le nouveau CP (articles 69 ss CP) ne range la confiscation ni dans les sanctions in personam, ni dans les peines accessoires. Les articles 69 ss CP introduisent des sanctions in rem817. La confiscation d’objets dangereux en vertu de l’article 69 CP est clairement une mesure, dès lors que son but n’est pas la répression pénale, mais la protection de la société de la menace que présente l’utilisation de certains objets818. En ce qui concerne la nature de la confiscation en vertu de l’article 70 CP, la doctrine reconnaît certains éléments répressifs, sans pourtant mettre ouvertement en doute le caractère de mesure819. Par ailleurs, dans le système du CP, la confiscation est rangée parmi les mesures. La confiscation est ordonnée impérativement lorsque les conditions fixées par le CP sont remplies, examen que le juge opère d’office820. En outre, la confiscation ne doit pas être conçue comme une forme de réparation du dommage. Elle se différencie de l’action aquilienne prévue par l’article 41 CO (« Celui qui cause, d’une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer »). 816 817 818 819 820 192 CORBOZ (2002), art. 305bis CP, N. 36 ; DONATSCH / WOHLERS (2004), p. 412 ss. ; CASSANI (1996), art. 305bis CP ; PIETH (2007), BK StGB II, art. 305bis CP, N. 30 ss ; STRATENWERTH / BOMMER (2008), BT II, § 55, N. 21 ss, etc. SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 13 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 69 CP, N. 3. GAUTHIER (1977) p. 369 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 69 CP, N. 3 ; TRECHSEL (2008), Vor Art. 69 CP, N. 10 ; MASONI (2006), p. 323. La confiscation en vertu de l’article 69 CP n’a pas de caractère répressif, même si certains arrêts semblent admettre cette thèse ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 13 et les références citées. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 7 ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 10 et les références citées. ATF 115 IV 173, consid. 3 ; TRECHSEL (2008), Art. 69 CP, N. 6 ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 14. Une convention civile entre l’auteur de l’infraction et le lésé, par le biais de laquelle le lésé renonce à l’indemnisation n’empêche pas l’application des dispositions du CP en matière de confiscation ; VOUILLOZ (2009), Art. 70 CP, N. 4 et l’arrêt cité. I. La confiscation dans le CP suisse La confiscation peut être ordonnée contre l’accusé dans le cadre d’une procédure pénale ordinaire. Ce type de confiscation, qui s’intègre pleinement dans le contexte des poursuites et du jugement pénal, est connu comme confiscation accessoire. La confiscation accessoire est ordonnée par le juge pénal et fait partie du jugement pénal. Le droit pénal suisse permet aussi la confiscation de valeurs patrimoniales indépendamment de la procédure pénale, pour autant que la compétence territoriale suisse soit donnée821. Ce type de confiscation, qu’on appelle confiscation indépendante ou autonome822, ne dépend pas d’une condamnation pénale ou de l’engagement de poursuites pénales et est conforme à la recommandation no 3 du GAFI. La confiscation indépendante peut être ordonnée, par exemple, si l’auteur de l’infraction est inconnu, décédé ou irresponsable823. Nous pouvons aussi mentionner le cas où l’auteur s’est enfui à l’étranger et qu’il n’a pas été extradé824. La confiscation indépendante est aussi possible dans les cas où l’affaire est classée pour des raisons d’opportunité (renonciation à la poursuite pénale), dans la situation où il n’y a pas de plainte, pour des infractions poursuivies sur plainte825. La confiscation indépendante peut aussi être prononcée dans les cas où l’action pénale est impossible pour cause de prescription, ce qui ne concerne pourtant que les contraventions826. La jurisprudence admet que la présomption d’innocence ne s’applique pas dans le cadre des procédures de confiscation autonome827. Comme l’indique F. Baumann, la confiscation autonome ne doit être prononcée qu’exceptionnellement, lorsque le prononcé de la confiscation ne peut pas avoir lieu en même temps que le jugement pénal828. La procédure de confiscation de ce type est régie par les articles 376 ss CPP (possibilité de séquestre, ordonnance du ministère public, procédure d’opposition)829. La procédure de confiscation aboutit au transfert du pouvoir de disposition à l’Etat sans recourir à la procédure d’exécution forcée. Contrairement au Message du Conseil fédéral du 30 juin 1993, le texte des dispositions pertinentes du CP n’indique pas que l’Etat devient propriétaire 821 822 823 824 825 826 827 828 829 ATF 128 IV 145 (Al Kasar), consid. 2d. Articles 376 ss CPP. PIQUEREZ (2006), p. 178. ATF 128 IV 145 (Al Kasar), consid. 2c ATF 129 IV 305, consid. 4.2.3 à 4.2.6 ; contra: GAUTHIER (1977), p. 371 ; GAILLARD (1985), p. 162 ; PONCET / MACALUSO (2001), p. 229. VOUILLOZ (2009), Art. 69 CP, N. 38 ; selon l’article 109 CP, l’action pénale en cas de contravention se prescrit par trois ans ; le délai prévu à l’article 70 al. 3 CP est de sept ans. Dans le cas des délits (article 10 al. 3 CP) et des crimes (article 10 al. 2 CP), l’action pénale se prescrit par sept et quinze ans respectivement (article 97 CP), ce problème ne peut donc pas se produire. ATF 132 II 178, consid. 4.1 et les références citées. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 20. En ce qui concerne le for en cas de confiscation autonome, voir p. 199 ss de la présente étude. Message du Conseil fédéral du 21 décembre 2005 relatif à l’unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1057. 193 Troisième partie : le droit suisse civil830. La doctrine admet également que la confiscation n’implique pas le transfert de la propriété au sens du droit civil831. Une telle solution est avantageuse car elle permet éventuellement la restitution au propriétaire (l’auteur de l’infraction ou un tiers) ou une allocation au lésé au sens de l’article 73 CP832. D. Piotet propose la figure juridique d’une « maîtrise de droit public » sur les valeurs confisquées, durant les cinq ans qui suivent l’avis officiel de la confiscation (article 70 al. 4 CP)833. La confiscation porte atteinte à la garantie de la propriété (article 26 al. 1 Cst. féd.) ; cependant, la Constitution fédérale permet au législateur de restreindre un droit fondamental, si certaines conditions sont remplies (article 36 Cst. féd.). En premier lieu, la restriction doit être fondée sur une base légale ; une loi au sens formel est nécessaire dans le cas des atteintes graves aux droits fondamentaux (article 36 al. 1 Cst. féd.)834. Les articles 69 ss CP, sur lesquels repose l’atteinte à la garantie de la propriété, remplissent clairement ce premier critère. En second lieu, la restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (article 36 al. 2 Cst. féd.). Les articles 69 ss CP remplissent ce critère, car ils protègent des intérêts publics tels que la sécurité, la morale et l’ordre public (confiscation en vertu de l’article 69 CP), le principe selon lequel le crime ne doit pas payer (confiscation en vertu de l’article 70 CP) et la protection de la société contre le crime organisé (confiscation en vertu de l’article 72 CP). Enfin, la restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé (article 36 al. 3 Cst. féd.). Nous examinerons ultérieurement l’application de ce principe à chacun type de confiscation. La confiscation contrarie les intérêts des créanciers légitimes du propriétaire des valeurs à confisquer. La confiscation pénale privilégie effectivement l’Etat par rapport aux créanciers légitimes de la personne touchée par cette mesure. Cela découle aussi de l’article 44 LP, selon lequel « [l]a réalisation d’objets confisqués en vertu des lois pénales et fiscales de la Confédération et des cantons s’opère en conformité des dispositions de ces lois »835. Selon les critiques, cette situation n’est pas admissible, car l’Etat semble s’enrichir au détriment de créanciers de bonne foi836. Pour cette raison, il y a des arguments837 en faveur de l’application, par analogie, de l’article 70 ch. 2 830 Cf. FF 1993 III 269, p. 307 : « le jugement de confiscation ayant pour effet de transférer à l’Etat la propriété des valeurs patrimoniales assujetties […] » 831 PIOTET (1995), p. 17 ss N. 29 ss ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 66 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 13 ; GREINER / AKIKOL (2005), p. 1344 ; selon C. Lombardini, la confiscation emporte le transfert de propriété à l'Etat des valeurs concernées ; cependant, cette affirmation n’est pas soutenue par une analyse juridique ; LOMBARDINI (2006), p. 59. SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 66 et les références citées. PIOTET (1995), p. 23 N. 48. ATF 130 I 360, consid. 1.2. RS 281.1 ; SCHMID (2007) Art. 69 CP N. 24 et les arrêts cités. LOMBARDINI (2006), p. 59 ; BAUMANN (1999), p. 120. LOMBARDINI (2006), p. 59. 832 833 834 835 836 837 194 I. La confiscation dans le CP suisse CP (ancien article 59 ch. 1 al. 2 CP)838. Néanmoins, si l’on permet à l’auteur de l’infraction d’indemniser ses créanciers, qu’ils soient ou non de bonne foi, au moyen des produits de son infraction, on enrichit l’auteur en diminuant ses dettes. 2.1. D’autres normes de confiscation contenues dans le CP et les lois fédérales Les articles 69 ss CP ne sont pas les seuls à régler la confiscation. Outre la partie générale du CP, la partie spéciale contient des dispositions remplissant une fonction analogue. Nous pouvons ici mentionner les articles 135 al. 2 CP (représentation de la violence), 197 ch. 3 CP (pornographie dure), 235 ch. 3 CP (altération de fourrages), 236 ch. 3 CP (mise en circulation de fourrages altérés), 249 CP (confiscation de valeurs falsifiées), etc. Dans ces cas, les dispositions spéciales prévalent sur les articles 69 ss CP839. Les articles 69 ss CP ne s’appliquent pas seulement aux infractions en vertu du CP. Beaucoup de lois fédérales comprennent des dispositions pénales, en particulier des dispositions en matière de confiscation. Ces lois peuvent renvoyer à la partie générale du CP, y compris les articles 69 ss CP (par exemple, l’article 68 LPM840) ou contenir des dispositions particulières en matière de confiscation (articles 38 et 39 LFMG841, article 57b III LCR842, 838 839 840 841 842 Voir p. 218 ss de la présente étude. SCHMID (2007) Art. 69 CP N. 60 ; par conséquent, la confiscation en vertu des dispositions spéciales est possible, même si les conditions prévues aux articles 69 ss CP ne sont pas remplies. Loi fédérale du 28 août 1992 sur la protection des marques et des indications de provenance (Loi sur la protection des marques, LPM), RS 232.11 ; « art. 68 Confiscation lors de la procédure pénale : L’art. 69 du code pénal est applicable; le juge peut ordonner la confiscation de tout l’objet sur lequel une marque ou une indication de provenance a été illicitement apposée ». Loi fédérale du 13 décembre 1996 sur le matériel de guerre (LFMG), RS 514.51 ; « art. 38 Confiscation de matériel de guerre : Indépendamment du fait qu’une personne est punissable ou non, le juge ordonne la confiscation du matériel de guerre concerné s’il n’y a pas de garantie qu’il sera utilisé à l’avenir d’une manière conforme au droit» ; « art. 39 Confiscation de valeurs patrimoniales : Les valeurs patrimoniales confisquées et les créances compensatoires sont dévolues à la Confédération, sous réserve de l’application de la loi fédérale du 19 mars 2004 sur le partage des valeurs patrimoniales confisquées ». Loi fédérale du 19 décembre 1958 sur la circulation routière (LCR) RS 741.01 ; « art. 57b 1. Les appareils et les dispositifs qui peuvent rendre plus difficile, perturber, voire rendre inefficace, le contrôle officiel du trafic routier (p. ex. les détecteurs de radar) ne doivent pas être mis sur le marché ou acquis, ni installés ou emportés dans des véhicules, ni fixés sur ceux-ci, ni utilisés de quelque manière que ce soit [...] 3.Les organes de contrôle saisiront de tels appareils ou dispositifs; le juge en ordonnera la confiscation et la destruction ». Cf. p.ex. ATF 135 IV 97, consid. 2. 195 Troisième partie : le droit suisse article 24 LStup843, article 28 LDAI844, article 69 LBI845). Dans le deuxième cas, le conflit de lois est résolu par l’article 333 al. 1 CP, qui met en œuvre le principe de « lex specialis derogat generali »846. Par conséquent, les dispositions spéciales en matière de confiscation, contenues dans d’autres lois fédérales, prévalent sur les articles 69 ss CP. Toutefois, dans le cas de « dispositions désuètes sur la confiscation, qui figurent dans une quelconque loi spéciale, réglant de façon rudimentaire la confiscation », ce sont les articles 69 qui s’appliquent847. Concernant le rapport entre « lex posterior » et « lex prior », la question s’est posée de savoir si les articles 69 ss CP prévalent sur des dispositions spéciales mais plus anciennes848. Par ailleurs, la dévolution des avoirs peut être prévue dans des dispositions de droit civil (p.ex. article 57 al. 3 CC849) ; dans ce cas, les dispositions du CP ont la primauté, si elles sont aussi applicables850. 3. La compétence confiscatoire du juge suisse 3.1. L’application des articles 3 à 8 CP à la confiscation Selon l'interprétation faite par le Tribunal fédéral dans l'arrêt Al Kassar851, à défaut d'une requête d'entraide valable émanant de l'Etat étranger ou d'un blanchiment des fonds en Suisse, la confiscation en vertu de l'article 70 CP n'est possible que si l'infraction à l'origine des valeurs à confisquer peut être rattachée à la Suisse en application des articles 3 à 8 CP ou d’une disposition spécifique852. 843 Loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants et les substances psychotropes (Loi sur les stupéfiants, LStup) RS 812.121 ; « art. 24 : Les avantages pécuniaires illicites qui se trouvent en Suisse seront également acquis à l’Etat lorsque l’infraction aura été commise à l’étranger. A défaut de for selon l’art. 348 du code pénal suisse [actuellement l’art. 342], le canton dans lequel se trouvent les biens est compétent pour la confiscation ». 844 845 846 847 848 849 Loi fédérale du 9 octobre 1992 sur les denrées alimentaires et les objets usuels (Loi sur les denrées alimentaires, LDAI), RS 817.0 ; « art. 28 Marchandises contestées 1 Les organes de contrôle décident si les marchandises contestées: […] c. doivent être confisquées, puis rendues inoffensives, utilisées ou éliminées de façon inoffensive, aux frais des intéressés ». Loi fédérale du 25 juin 1954 sur les brevets d’invention (Loi sur les brevets, LBI) RS 232.14 ; « art. 69 D. Vente ou destruction de produits ou d’installations : 1 En cas de condamnation, le juge peut ordonner la confiscation et la réalisation ou la destruction des produits fabriqués illicitement ou des instruments, de l’outillage et des autres moyens destinés principalement à leur fabrication ». ATF 117 IV 336, consid. 2 ; SCHMID (1995), p. 327 ; TRECHSEL (2008), Vor Art. 69 CP, N. 13. ATF 129 IV 107, consid. 3.3.2. SCHMID (2007) Art. 69 CP N. 18 ; ATF 113 IV 338. Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC) RS 210 ; « art. 57 […] 3. La dévolution au profit d’une corporation publique aura lieu, nonobstant toute autre disposition, si la personne morale est dissoute parce que son but était illicite ou contraire aux mœurs ». 850 851 852 196 SCHMID (2007) Art. 70-72 CP N. 14 ; VOUILLOZ (2009), Art. 70 CP, N. 8. ATF 128 IV 145, consid. 2d. ATF 132 II 178 consid. 5.1. Une telle disposition spécifique est l’article 24 LStup qui soumet la confiscation au principe de l’universalité. I. La confiscation dans le CP suisse Selon la doctrine minoritaire, la compétence territoriale pour la confiscation est toujours établie pour le tribunal du lieu où se trouve la valeur à confisquer (forum rei sitae), même si la compétence pour l'action pénale contre l'auteur ne peut pas être établie853. Selon cette interprétation, il suffit que l'infraction soit punissable aussi bien dans l'Etat où elle a été commise qu'en Suisse (principe de la double incrimination abstraite). L’argument principal de la doctrine minoritaire est fondé sur le libellé de l'article 69 CP, selon lequel une confiscation peut être prononcée « alors même qu'aucune personne déterminée n'est punissable ». Selon la doctrine minoritaire, cette clause règle aussi la compétence territoriale. Une telle solution n’est admise ni par la doctrine dominante854 ni par la jurisprudence855. Les articles 3 à 8 CP posent les règles d'application du CP, dont les articles 69 ss CP font précisément partie, raison pour laquelle une confiscation ne peut être ordonnée que si le juge suisse est compétent pour poursuivre l’infraction856. La révision du CP en 2002 (article 69 ss CP) n’a pas modifié cette solution. Selon cette approche, si le législateur fédéral avait voulu ouvrir la confiscation indépendamment de toute compétence pour l’action pénale contre l’auteur, il l’aurait clairement spécifié, comme il l’a par exemple fait à l’article 24 LStup857. La jurisprudence admet la même solution pour la confiscation prévue à l'article 72 CP858. Dans ce cas, la juridiction suisse doit être compétente pour poursuivre la personne propriétaire des valeurs délictueuses pour appartenance à une organisation criminelle au sens de l'article 260ter CP859. Dès lors que la compétence en matière de confiscation est régie par les mêmes principes qui régissent la compétence territoriale pour le jugement de l’auteur, il convient d’étudier brièvement les dispositions topiques du CP. 853 854 855 856 857 SCHMID (1995), p. 321 ss ; SCHMID (2007) Art. 69 CP, N 32 et Art. 70-72 CP, N. 28 ; HARARI (1998), p. 13; dans un arrêt de 1996, le TF a indiqué que la question fait l'objet d'une controverse, en citant les arguments de Schmid, ATF 122 IV 91, SJ 1996 557, consid. 3b. Cf. aussi arrêt de la Cour de justice de Genève (chambre pénale) du 27 août 2001, consid. 2 b. (ACJP/210/01). BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 19 ; CASSANI (1999), p. 263 ss ; PIETH (2007), p. 503 ; cf. aussi les références citées dans : ATF 122 IV 91 consid. 3b. ATF 128 IV 145, consid. 2d ; ATF 117 IV 233 consid. 4 ; ATF 115 Ib 517 consid. 7g/aa et 13.c ; arrêt du Tribunal fédéral du 8 novembre 1993, 1P.299/1993 ; cf. aussi MOREILLON (2004), p. 350 et les arrêts cités. ATF 128 IV 145, consid. 2d. Une initiative parlementaire récente propose la modification du CP « afin de permettre la confiscation au sens de l'article 70 CP de valeurs patrimoniales se trouvant en Suisse et provenant d'un crime ou d'un délit commis à l'étranger, même en l'absence de tout rattachement de cette infraction avec la Suisse tel que défini aux articles 3 à 8 CP » ; Initiative parlementaire 07.445, Renforcement des moyens de confiscation 858 859 des valeurs patrimoniales en Suisse de dictateurs ou potentats, déposé le 22.06.2007 au Conseil national par le Groupe socialiste. Cette proposition n’a pas encore été traitée au conseil (01.03.2010). Arrêt du Tribunal fédéral du 7 janvier 2005, 6P.142/2004; ATF 134 IV 187, consid. 2.1. Certes, « [i]l ne faut […] pas minimiser la compétence du juge suisse en matière de répression de l'organisation criminelle. L'art. 260ter ch. 3 aCP prévoit en effet qu'est également punissable celui qui aura commis l'infraction à l'étranger si l'organisation exerce ou doit exercer son activité criminelle en tout ou en partie en Suisse » ; ATF 134 IV 187, consid. 2.1. 197 Troisième partie : le droit suisse Les articles 3 à 8 CP, qui modifient les anciens articles 3 à 7 CP, traitent de la compétence territoriale du juge suisse860. En vertu du principe de la territorialité, le critère principal est la commission d’une infraction par un auteur agissant sur le sol suisse (article 3 CP). L’article 8 (principe de l’ubiquité) concerne les délits matériels et fixe le lieu de commission en utilisant deux critères principaux, c’est-à-dire le lieu où l’auteur a agi ou aurait dû agir et le lieu où le résultat s’est produit861. La jurisprudence considère aussi comme lieu de résultat le lieu où le dessein d’enrichissement illégitime de l’auteur s’est réalisé, lorsque l’infraction suppose un tel dessein862. Cela élargit le champ d’application des dispositions sur la confiscation. Néanmoins, cette jurisprudence se limite à l’escroquerie, au contraire de la doctrine qui soutient une interprétation élargie de cette thèse863. La confiscation est aussi possible si l'infraction à l'origine des valeurs à confisquer peut être rattachée à la Suisse en application d’un des principes extraterritoriaux prévus aux articles 4 à 7 CP. En vertu de l’article 4 CP (principe réel), la justice pénale suisse peut poursuivre les infractions énumérées. L’article 6 CP (principe de l’universalité) prévoit que le CP est applicable à quiconque commet à l’étranger un crime ou un délit que la Suisse s’est engagée à poursuivre en vertu d’un accord international864. Il faut cependant que l’acte soit réprimé aussi dans l’Etat où il a été commis, que l’auteur se trouve en Suisse et qu’il ne soit pas extradé à l’étranger. La compétence universelle du juge suisse peut aussi être fondée sur l’article 5 CP (infractions commises à l’étranger sur des mineurs) ou l’article 7 al. 2 let. b CP865. Si l’auteur ou la victime de l’infraction commise à l’étranger est de nationalité suisse, la compétence du juge suisse peut être fondée sur l’article 7 al. 1 CP (principes de la personnalité active et de la personnalité passive)866. Enfin, des lois spéciales reconnaissent la compétence du juge suisse pour les infractions commises à bord d’avions et de bateaux suisses (principe du pavillon). Dans tous ces cas, les autorités pénales suisses sont compétentes 860 861 862 863 864 865 866 198 Des dispositions spéciales peuvent également définir la compétence territoriale du juge pénal suisse ; cf. articles 19 ch. 4 et 24 LStup ; article 4 al. 2 de la loi fédérale du 23 septembre 1953 sur la navigation sous pavillon suisse, RS 747.30 ; article 97 de la loi fédérale du 21 décembre 1948 sur l’aviation, RS 748.0 (principe du pavillon). ATF 105 IV 326, consid. 3c à 3g ; cet arrêt traite de la notion de « lieu du résultat » ; il s’agit notamment du lieu où se produit une modification du monde extérieur, qui fait partie des éléments constitutifs d’une infraction. En ce qui concerne les infractions comportant le dessein d’enrichissement illégitime en tant qu’élément constitutif subjectif, la doctrine admet que le lieu de l’enrichissement constitue également un lieu de résultat ; cf. CASSANI (2008), p. 381 et les références citées. ATF 109 IV 1, consid. 3c. ROTH (1994), p. 6 ; CASSANI (2008), p. 381 ; CASSANI (1999), p. 264 et les références citées ; contra : POPP / LEVANTE (2007), BK StGB I, Art. 8 CP, N. 4. L’accord international doit envisager expressément une obligation d’appliquer le principe de l’universalité. Cette forme de compétence subsidiaire peut être fondée, si la demande d’extradition a été rejetée pour un motif autre que la nature de l’acte ou si l’auteur a commis un crime particulièrement grave proscrit par la communauté internationale. Pour les problèmes d’interprétation posés par ces deux notions, cf. CASSANI (2008), p. 383 et les références citées. Cette disposition, subsidiaire aux articles 4,5 et 6 CP I. La confiscation dans le CP suisse pour poursuivre l’infraction, pour prononcer un jugement et pour ordonner la confiscation en vertu des articles 69 ss CP. La situation où l’infraction préalable a été commise à l’étranger et les fonds issus de cette infraction sont déposés en Suisse n’est pas rare. Les réseaux criminels peuvent tenter d’utiliser la place financière suisse pour blanchir des fonds, qui proviennent des activités criminelles entreprises à l’étranger. Dès lors que nous n’admettons pas de compétence générale pour le prononcé d’une confiscation au lieu de situation des avoirs, il faut une base juridique pour la confiscation de ces avoirs. Par exemple, l'ouverture d'une procédure de confiscation autonome est possible sur la base de l’article 24 LStup, lorsque des valeurs patrimoniales provenant d’infractions à la LStup commises à l'étranger sont déposées en Suisse867. L’article 305bis ch. 3 CP réprime le blanchiment d’argent, lorsque l’infraction préalable a été commise à l’étranger, ce qui concerne aussi la compétence pour confisquer868. Dans ce cas, il y a un lien de connexité en Suisse et la compétence territoriale du juge suisse en matière de confiscation peut être établie. En premier lieu, il faut un acte de blanchiment, au sens de l’article 305bis ch. 1 commis en Suisse. En second lieu, il faut que l'infraction principale commise à l'étranger soit punissable dans l'Etat où elle a été commise. Enfin, il faut que l'infraction principale soit un crime au regard du droit suisse869. Il y a pourtant un problème, si nous admettons que « l’Etat requérant n’est pas nécessairement tenu de préciser en quoi consiste l’infraction principale »870. Si toutes ces conditions sont remplies, les valeurs patrimoniales blanchies en Suisse peuvent être considérées comme le produit d’une infraction (305bis CP) commise en Suisse. Ainsi, la compétence du juge suisse est établie en vertu de l’article 3 CP et les valeurs patrimoniales provenant de ce blanchiment peuvent être confisquées en vertu des articles 70 et 305bis ch. 3 CP. 3.2. La compétence locale en Suisse En ce qui concerne la compétence locale, l’autorité compétente pour la confiscation est celle qui est compétente pour le jugement d’une infraction. L’ancien article 340 CP, abrogé par le CPP avec effet au 1er janvier 2011, donnait compétence au juge du lieu de commission de l’acte. L’article 31 CPP reprend la teneur de l’article 340 CP, en apportant seulement quelques 867 868 869 870 ATF 122 IV 91 consid. 3b. CASSANI (1999) p. 264 ; ATF 128 IV 145, consid. 2d. En général, voir: CORBOZ (2002), art. 305bis CP ; DONATSCH / WOHLERS (2004), p. 395 ss ; CASSANI (1996), art. 305bis CP ; PIETH (2007), BK StGB II, Art. 305bis CP, N. 51 ; STRATENWERTH / BOMMER (2008), BT II, § 55, N. 23 ss, etc. Selon l’article 10 al. 2 CP, « [s]ont des crimes les infractions passibles d’une peine privative de liberté de plus de trois ans ». MOREILLON (2004), p. 69 et les références citées. 199 Troisième partie : le droit suisse modifications rédactionnelles871. Le critère est le lieu où l’auteur a agi. Le lieu de résultat est aussi relevant : « [s]i le lieu où le résultat s’est produit est seul situé en Suisse, l’autorité compétente est celle de ce lieu ». En outre, « 2. [s]i l’infraction a été commise ou si son résultat s’est produit en différents lieux, l’autorité compétente est celle du lieu où les premiers actes de poursuite ont été entrepris ». En cas de confiscation indépendante, l’article 31 CPP n’est pas applicable872. Dès lors que ce type de confiscation ne dépend pas d’une condamnation pénale ou de l’engagement de poursuites pénales, nous ne pouvons pas recourir à la règle générale selon laquelle le tribunal compétent pour juger de l’infraction pénale a aussi la compétence pour prononcer la confiscation. Le nouveau code de procédure pénale suisse, en particulier l’article 37 CPP873, dont l’al. 2 reprend sans changement la teneur de l’ancien article 344a CP874, détermine le for en cas de confiscation indépendante. Selon cette disposition, la confiscation autonome doit être exécutée au lieu où se trouvent les objets ou les valeurs patrimoniales à confisquer. S’agissant d’objets ou de valeurs patrimoniales qui se trouvent dans plusieurs cantons et sont en relation avec une même infraction ou un même auteur, l’article 37 al. 2 CPP prévoit que l’autorité compétente est celle du lieu où la procédure de confiscation a été ouverte en premier lieu (forum praeventionis). 3.3. La compétence matérielle Selon les articles 69 ss CP, la décision de confiscation émane d’un juge suisse, c’est-à-dire d’un tribunal compétent. Le tribunal compétent pour juger de l’infraction pénale a aussi la compétence pour prononcer la confiscation. En droit suisse, il faut d’abord recourir aux articles 22 ss CPP, relatifs à la répartition des compétences entre les tribunaux fédéraux et les tribunaux cantonaux875. Si l’infraction n’est pas soumise à la juridiction fédérale, mais à la juridiction cantonale, il faut évidemment déterminer dans quel canton se trouve le for (articles 31 ss CPP). Ensuite, il faut recourir à la loi sur l’organisation judiciaire de ce canton pour établir quelle est l’autorité compétente pour la poursuite et le jugement de l’infraction. 871 Par exemple, la notion « d’instruction » figurant à l’article 340 al. 2 CP a été remplacée par celle « d’actes de poursuite ». 872 873 Cf. PIQUEREZ (2006), p. 178. Selon l’article 37 CPP (For en cas de confiscation indépendante d’une procédure pénale) : « 1. Les confiscations indépendantes d’une procédure pénale (articles 376 à 378) sont exécutées au lieu où se trouvent les objets ou les valeurs patrimoniales à confisquer. 2 Lorsque des objets ou des valeurs patrimoniales à confisquer se trouvent dans plusieurs cantons et qu’ils ont un rapport avec la même infraction ou avec les mêmes auteurs, l’autorité compétente est celle du lieu où la première procédure de confiscation a été ouverte ». 874 875 200 Disposition introduite par la LVPC Cf. ch. 1 de l’annexe à la loi fédérale du 19 mars 2004 sur le partage des valeurs patrimoniales confisquées (RS 312.4). Pour une analyse de cette loi voir p. 297 ss de la présente étude. Anciens articles 336 ss CP. I. La confiscation dans le CP suisse Une autre question qui se pose est de savoir si, outre des autorités judiciaires, les autorités administratives peuvent également avoir la compétence d’ordonner une confiscation. Les articles 69 CP exigent explicitement une décision du juge ; une autorité administrative ne peut ordonner une confiscation qu’à condition que cette possibilité soit prévue par des lois administratives876. Par exemple, l’article 10 al. 4 LAsi permet aux autorités administratives compétentes de confisquer ou saisir des documents faux ou falsifiés ou les documents authentiques utilisés abusivement. L’article 35 LFINMA constitue un autre exemple ; selon cette disposition, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, autorité administrative, peut confisquer « le gain acquis par un assujetti ou une personne qui exerce une fonction dirigeante en violant gravement le droit de la surveillance »877. 4. La confiscation d’objets dangereux en vertu de l’article 69 CP L’article 69 CP (ancien article 58 CP) traite de la confiscation d’objets dangereux (« Sicherungseinziehung »)878. L’article 69 CP ne vise pas à la protection des intérêts du lésé, mais remplit une fonction préventive, consistant à empêcher que certains objets dangereux soient utilisés à nouveau pour menacer la société879. Selon N. Schmid, l’application cumulative de l’article 69 CP et des articles 70-72 CP est possible, si les conditions respectives de ces dispositions sont remplies880. Toutefois, en cas de conflit de normes, la confiscation en vertu de l’article 69 CP l’emporte sur la confiscation en vertu des articles 70-72 CP881. 876 877 878 879 880 881 SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 19. Pour résoudre les conflits de lois, la loi administrative peut préciser, comme le fait l’article 35 al. 5 LFINMA, que la confiscation au sens des art. 70 à 72 CP prime la confiscation en vertu de la loi administrative. Sur cette question voir p. 195 ss de la présente étude ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 16a. Cette disposition n’a pas été substantiellement modifiée lors des révisions du 18 mars 1994 et du 13 décembre 2002. Message concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire (Révision du droit de la confiscation, punissabilité de l’organisation criminelle, droit de communication du financier) du 30 juin 1993, FF 1993 III 269, p. 297 ss ; Message (note 812), FF 1999 1787, p. 1914 ss. Cf. aussi SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 3-8a. SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 13 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 69 CP, N. 2 ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 1, N. 70 ; HURTADO POZO (2008), p. 528 ; MASONI (2006), p. 323. Sur la nature de la confiscation, voir p. 192 ss de la présente étude. SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 15. SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 15 ; PIOTET (1995), p. 132, N. 372. 201 Troisième partie : le droit suisse 4.1. L’objet de la confiscation L’article 69 CP se réfère à des « objets », à savoir à des objets corporels matériels, mobiliers ou immobiliers882. A contrario, il faut exclure du champ d’application de l’article 69 CP les droits immatériels et les créances883. Selon N. Schmid, les données informatiques peuvent faire l’objet de confiscation en vertu de cette disposition, même s’ils ne sont pas des biens tangibles884. Cette solution est peu convaincante et ne correspond pas à la lettre de la disposition. Selon la même logique, un site Internet n’est pas soumis à la confiscation885. Nous pouvons pourtant admettre que les supports corporels matériels des données informatiques (disques durs, CDs, disquettes) peuvent faire l’objet de confiscation886. Les personnes morales ne peuvent pas être considérées comme des objets au sens de l’article 69 CP, faute de caractère corporel887. 4.2. La commission d’une infraction et le lien de connexité Selon l’article 69 CP, la confiscation peut être ordonnée, d’une part, pour les instruments d’une infraction (instrumenta sceleris)888, c’est-à-dire pour les choses qui ont servi ou devaient servir à commettre une infraction. D’autre part, la confiscation peut porter sur les produits d’une infraction (producta sceleris) 889. Il doit donc y avoir un lien de connexité entre les objets dangereux et la commission d’une infraction déterminée890. Le seul fait que de tels objets sont propres ou destinés d'une manière générale à être utilisés d'une façon qui peut être délictueuse ne suffit pas à justifier la mesure de confiscation891. Il n'est pas nécessaire qu'une infraction ait été commise ou tentée, mais il suffit que le détenteur de l'objet ait pris des dispositions en vue de commettre une infraction concrète avec cet objet ou que les circonstances donnent 882 883 884 885 886 887 888 889 890 891 202 Les biens immobiliers, de même que les choses mobilières, sont des objets au sens de l’article 69 CP. Par exemple, si une maison constitue un moyen essentiel de réaliser un service de renseignement illicite (objet servant à commettre l'infraction), elle peut être confisquée ; ATF 114 IV 98, consid. 4 ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 22. STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 69 CP, N. 1. SCHMID (1995), p. 326 ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 39 et 57. Favre /Pellet /Stoudmann (2007), Art. 69 N 1.12. STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 59 ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 69 CP, N. 1. Contra : SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 22. TRECHSEL (2008), Art. 69 CP, N. 3; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 64 ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 39. TRECHSEL (2008), Art. 69 CP, N. 4; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 66 ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 55. SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 27 ss ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 69 CP, N. 7 ; SCHWARZENEGGER / HUG / JOSITSCH (2007), p. 202 ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 63 ; KILLIAS / KUHN / DONGOIS /AEBI (2008), p. 278 TRECHSEL (2008), Art. 69 CP, N. 2; ATF 103 IV 76, consid. 2 ; ATF 129 IV 81, consid. 4.1 ; ATF 125 IV 185 consid. 2a ; ATF 112 IV 71 consid. 1a ; ATF 89 IV 62 consid. 2c. I. La confiscation dans le CP suisse sérieusement à penser que l’objet pourrait concrètement servir à la commission d’une infraction892. Tous les types d’infractions peuvent entrer en considération893 (crimes, délits, contraventions, infractions en vertu du droit fédéral, cantonal ou communal, infractions de mise en danger, infractions de lésion, infractions intentionnelles et par négligence, etc.). Le fait que le CP exige un acte typiquement illégal (éléments constitutifs objectifs et subjectifs) et illicite a deux conséquences : la confiscation n’est pas possible s’il y a une cause d'exclusion d’illicéité (état de nécessité, légitime défense), alors qu’elle demeure possible s’il y a une cause d'exclusion de la culpabilité (erreur sur l’illicéité, irresponsabilité)894. La confiscation d’objets dangereux en vertu de l’article 69 CP (comme la confiscation en vertu de l’article 70 CP) ne dépend pas de la punissabilité895. Il suffit qu’il existe le lien de connexité entre les objets dangereux et une infraction concrète, même si la punissabilité de l’auteur est ultérieurement exclue. Les objets dangereux peuvent donc être confisqués en vertu de l’article 69 CP, même si l’auteur de l’infraction est inconnu, irresponsable, ou décédé896. A notre avis, la légalité de la confiscation en vertu de l’article 69 CP est difficile à admettre dans le cas du décès de l’auteur de l’infraction, si l’objet ne présente aucun danger en main des héritiers897. La confiscation d’une voiture ayant servi à la commission d’une infraction à la LCR898 pose certains problèmes, en cas d’« Autoraserei »899. Il s’agit notamment de « chauffards », des conducteurs qui commettent à plusieurs reprises des infractions moyennement graves ou graves à la LCR, en négligeant intentionnellement les règles élémentaires de la circulation et s’accommodant du fort risque d’accident. Selon l’article 102 LCR, « [à] défaut de prescriptions contraires de la présente loi, les dispositions générales du code pénal suisse sont applicables ». Ainsi, si le véhicule appartient à l’auteur de l’infraction, la confiscation est possible en vertu de l’article 69 CP, si les conditions respectives sont remplies et si le principe de la proportionnalité est respecté900. Si le véhicule n’appartient pas à l’auteur de l’infraction, la confiscation est 892 893 894 895 896 897 898 899 900 SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 52; SCHWARZENEGGER / HUG / JOSITSCH (2007), p. 204 ; Arrêt du Tribunal fédéral du 10 octobre 2006, 6S.317/2006 ; ATF 125 IV 185, consid. 2. Contra: STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 69 CP, N. 4, qui exigent au moins une tentative punissable. ATF 125 IV 4, consid. 2a/bb ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 27 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 69 CP, N. 6. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 69 CP, N. 7 et les arrêts cités ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 33 ss. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 17 et les références citées ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 30 ; ARZT (1996), p. 97. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 299 ; TRECHSEL (2008), Vor Art. 69 CP, N. 11 et les arrêts cites ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 30. Selon Poncet / Macaluso, la confiscation est aussi possible, même si l’auteur de l’infraction a déjà fait l’objet d’une condamnation (principe ne bis in idem). PONCET / MACALUSO (2001), p. 228. RS 741.01. SCHUBARTH (2005), in toto. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 69 CP, N. 14b et les références citées ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 25. 203 Troisième partie : le droit suisse possible, s’il y a un risque vraisemblable que le propriétaire du véhicule (le père, un ami, une société leasing, etc.) le mette de nouveau à la disposition de l’auteur de l’infraction, même s’il connaît la dangerosité de ce conducteur901. A notre avis, la question de la confiscation des véhicules des chauffards doit être réglée par une disposition spéciale de la LCR ou du CP. La Commission des affaires juridiques du Conseil national a récemment décidé de donner suite à trois initiatives cantonales et sept initiatives parlementaires, qui visent à instaurer des mesures plus sévères à l’encontre des chauffards902. En matière de confiscation, deux de ces initiatives parlementaires portent sur la « modification de l'article 69 CP visant à permettre explicitement la confiscation des véhicules des chauffards, comme objets ayant servi à commettre une infraction, et à lever les incertitudes juridiques relatives à la confiscation de ces véhicules » 903. Le rapport des valeurs patrimoniales avec l’infraction Valeurs patrimoniales Exemples - les outils d’un cambrioleur ; Instrument de - les armes à feu et les munitions (ATF 103 IV 76); l’infraction (instrumentum sceleris) - un immeuble servant à un service de renseignements illicite (ATF 114 IV 98) ; - un hôtel appartenant à un proxénète professionnel au sens des art. 198 et 199 CP de 1992 qui en loue les chambres à des prostituées (Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération, JAAC 1995.134) ; - un alambic servant à la distillation illicite de l'absinthe (ATF 81 IV 217) ; l'interdiction de 1910 a été levée et de distillation de l'absinthe a été légalisée à nouveau en 2005; - des revues et des CD servant à commettre l'infraction de discrimination raciale (ATF 124 IV 121) ; - un appareil détecteur de radar installé dans un véhicule (ATF 112 IV 71) . - le matériel de guerre en cas d'infraction à la LFMG (117 IV 336) ; Corps de l’infraction - un logiciel relevant de la détérioration de données; (obiectum sceleris) ; - des représentations obscènes relevant de la pornographie dure (ATF 109 il peut aussi être IV 121) ; considéré soit comme le produit, soit comme -des explosifs ou des gaz toxiques destinés à un emploi délictueux ; - les faux billets de banque (ATF 123 IV 55) ; l’instrument de - les stupéfiants au sens de la LStup. l’infraction. 901 902 903 204 SCHUBARTH (2005), p. 533. COMMISSION DES AFFAIRES JURIDIQUES DU CONSEIL NATIONAL (2010), Mesures plus sévères à l’encontre des chauffards, Communiqué de presse, 30.04.2010. Initiative parlementaire 09.447, Confisquer les véhicules des chauffards, déposée le 10.06.2009 au Conseil national par P. Malama. Voir aussi : Initiative parlementaire 09.450, Indemnisation des victimes de chauffards avec le produit de la réalisation des véhicules de ces derniers, déposée le 10.06.2009 au Conseil national par F. Teuscher. I. La confiscation dans le CP suisse Produit de l’infraction (productum sceleris) - le produit de la vente de matériel de guerre en cas d'infraction à la LFMG ; - le produit de l’aliénation d’animaux protégés par la loi sur la chasse (RS 922.0) ; - le butin d’une infraction contre le patrimoine (vol, brigandage, escroquerie etc.); - le pot-de-vin en cas de corruption. - les provisions encaissées à titre de rétribution pour le transfert d'argent sale (ATF 129 IV 338) ; - la rémunération d’un tueur à gages ; - la rétribution payée par un cambrioleur pour un bon tuyau. Avantage destiné à rétribuer l'auteur de l’infraction (pretium sceleris) ; il peut aussi être considéré comme le produit de l’infraction Source : Trechsel (2008), p. 410 ss et 415 ; Schmid (2007), Art. 69 CP, N. 39 ss & Art. 70-72 CP, N. 38 ss ; Vouilloz (2009), N. 23 ss ; 4.3. Le fait de compromettre la sécurité des personnes, la morale ou l’ordre public La confiscation des instruments ou des produits de l’infraction en vertu de l’article 69 CP n’est possible que si ces objets sont dangereux904. Le champ d’application de la confiscation en vertu de cette disposition est notamment limité par l’expression « si ces objets compromettent la sécurité des personnes, la morale ou l’ordre public »905. Nous pouvons mentionner l’exemple des armes, des produits stupéfiants, des produits pornographiques interdits, etc. Qu’il s’agisse d’objets dangereux par leur nature (absolute Gefährlichkeit) ou dangereux dans les mains d’une personne particulière (relative Gefährlichkeit), il faut aussi un risque vraisemblable que l’objet puisse être dangereux dans les circonstances particulières906. Quant au degré de ce danger, les exigences ne sont pas élevées907. Selon le TF, « il suffit qu'il soit vraisemblable qu'il y ait un danger si l'objet n'est pas confisqué en mains de l'ayant droit »908. Par exemple, les graines de cannabis ne représentent pas de danger en elles-mêmes ; cependant, dans des circonstances particulières, elles peuvent être utilisées pour la production de stupéfiants909, ce qui crée un danger pour la sécurité des personnes, la morale ou l'ordre public. Les circonstances particulières et 904 905 906 907 908 909 BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 69 CP, N. 13 ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 58 ss ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 68. Selon G. Stratenwerth, les deux dernières notions sont plutôt anachroniques et risquent de créer une situation d’insécurité juridique ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 68. SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 59 et 61 ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 69. TRECHSEL (2008), Art. 69 CP, N. 5; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 69 CP, N. 13 ; Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 297. ATF 125 IV 185, consid. 2a ; ATF 124 IV 121, consid. 2a ; ATF 116 IV 117, consid. 2a. ATF 125 IV 185, consid. 2c. 205 Troisième partie : le droit suisse concrètes de l’affaire doivent donc donner sérieusement à penser (prévision) que les objets en question pourraient être dangereux ; si cela n’est pas le cas, ou si le danger a été complètement écarté, la confiscation au sens de l’article 69 CP n’est pas possible910. Il est évident que le problème de la confiscation des valeurs de remplacement ne se pose pas dans le contexte de l’article 69 CP911. Dans l’hypothèse où la valeur patrimoniale reçue en échange de l’objet dangereux original compromet elle aussi la sécurité des personnes, la morale ou l’ordre public, cette valeur peut être confisquée en vertu de l’article 69 CP, si le lien de connexité est établi912. Il faut qu’elle soit un instrument ou le produit d’une infraction, ce qui est le cas du fait de l’échange ou de la production. 4.4. Le principe de la proportionnalité Le droit de confisquer des objets dangereux en vertu de l’article 69 est soumis au principe de la proportionnalité913. Dès lors que cette mesure est susceptible de porter atteinte aux droits de propriété, garantis par la Constitution fédérale (article 26 Cst. féd.), il y a des limites que le juge doit respecter914 ; la jurisprudence affirme ainsi que la confiscation doit être conforme au principe de la proportionnalité915. Il en découle que seule la partie dangereuse d'un objet doit être confisquée, si une séparation est possible, sans dégâts considérables de l'objet et sans dépense disproportionnée916. Le principe de la proportionnalité exclut aussi la confiscation, si la neutralisation du danger peut être atteinte par le biais des mesures moins graves, telle que la modification de l’objet917. Si l’auteur de l’infraction n’est pas le propriétaire de l’objet, le principe de la proportionnalité impose la confiscation au bénéfice de l’ayant droit, pourvu que l’objet ne présente un danger qu’en main de l’auteur de l’infraction918. 910 911 912 913 914 915 916 917 918 206 ATF 117 IV 233, consid. 5. TRECHSEL (2008), Art. 69 CP, N. 5; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 23 ; SCHMID (1995) p. 328 ss. Voir aussi p. 209 ss de la présente étude. Ce dernier élément est pourtant problématique dans le cas des valeurs de remplacement ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 23. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 69 CP, N. 14 ; SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 67 ; TRECHSEL (2008), Art. 69 CP, N. 7; KILLIAS / KUHN / DONGOIS /AEBI (2008), p. 279 ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 71. Sur la conformité de la confiscation à la Constitution fédérale, voir p. 192 ss de la présente étude. ATF 125 IV 185, consid. 2a ; ATF 124 IV 121 consid. 2c ; ATF 117 IV 345 consid. 2a. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 306 ; TRECHSEL (2008), Art. 69 CP, N. 7; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 74. ATF 123 IV 55, consid. 2.f ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 69 CP, N. 7. VOUILLOZ (2009), Art. 69 CP, N. 32. I. La confiscation dans le CP suisse 4.5. Questions de procédure L’article 69 ch. 2 règle la mise hors d’usage d’objets confisqués. Selon cet article, « le juge peut ordonner que les objets confisqués soient mis hors d’usage ou détruits ». Il faut d’abord que la mesure de destruction soit expressément prévue par le jugement confiscatoire919. Nous avons déjà mentionné que la mise hors d’usage est soumise au principe de la proportionnalité et que la destruction doit être évitée, si des mesures moins drastiques peuvent être envisagées920. Par exemple, des objets confisqués dans le cadre d’une affaire d’espionnage ont été mis à la disposition du Ministère public de la Confédération pour être utilisés à des fins d'instruction921. Le droit cantonal d’exécution détermine les détails de la mise en œuvre de l’ordonnance de destruction. Le droit administratif cantonal peut aussi prévoir la restitution du matériel détruit922, qui paraît cependant exclue, si celle-ci compromet en luimême la sécurité des personnes, la morale ou l’ordre public. La réalisation d'objets confisqués pour des raisons de sécurité est possible, s'il s'agit de biens pouvant être acquis et détenus légalement, ayant une valeur vénale et pouvant être utilisés conformément à la loi923. Dans ce cas, il y a lieu d'envisager de réaliser l’objet confisqué et de verser le produit de vente à l'ayant droit. Ce procédé porte une atteinte moins grave à la garantie de la propriété que la destruction sans indemnité ou la réalisation au profit de l'Etat. L’ancien article 58bis let. a CP, supprimé lors de la révision de 1994, faisait une référence à la protection des droits des tiers. La confiscation d’objets dangereux était donc expressément subordonnée aux droits des tiers. Même sans une réservation expresse, l’article 69 CP, à l’instar de l’ancien article 58 CP (1994), protège les droits des tiers924. Si les biens confisqués présentent un danger en possession de l’auteur de l’infraction, le juge doit ordonner la réalisation de ces biens au bénéfice du propriétaire ou des ayants droit (principe de la proportionnalité)925. Si le juge décide d’ordonner la destruction ou la mise hors d’usage des objets, les objets mis hors d’usage et le matériel des objets détruits peuvent être restitués à l’ayant droit, dès lors qu’ils ne présentent plus aucun danger926. 919 920 921 922 923 924 925 926 RJN 1985 88. TRECHSEL (2008), Art. 69 CP, N. 8; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 73. ATF 101 IV 177, consid. III.4. ATF 117 IV 345, consid. 2a. ATF 135 I 209, consid. 2-4 ; PIOTET (1995), p. 132, N. 372 ; selon D. Piotet, il n’est pas envisageable que l’Etat puisse réaliser un objet dangereux. Toutefois, cet argument ne s’applique que dans le cas d’objets dangereux par leur nature. Si l’objet ne compromet la sécurité des personnes, la morale ou l'ordre public qu’en main de l’auteur de l’infraction, la réalisation ne doit pas être exclue. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 298. PIOTET (1995), p. 132, N. 372. STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 80 ss. 207 Troisième partie : le droit suisse 4.6. La prescription Le droit de confisquer des objets dangereux en vertu de l’article 69 n’est pas soumis à la prescription927. D’une part, l’article 69 CP lui-même ne fixe aucun délai de prescription. D’autre part, il faut retenir que l’article 69 CP établit une mesure de sécurité préventive928, que le tribunal peut prononcer aussi longtemps que l’objet constitue un danger pour la sécurité des personnes, la morale ou l'ordre public. Le droit de confisquer est étroitement lié à la nature dangereuse de l’objet. Ce droit disparaît donc au moment où l’objet en question ne compromet plus la sécurité et l’ordre public929. 5. La confiscation de valeurs patrimoniales en vertu de l’article 70 CP Selon l’article 70 ch. 1 (ancien article 59 ch. 1 CP), « le juge prononce la confiscation des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d’une infraction ou qui étaient destinées à décider ou à récompenser l’auteur d’une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits ». L’expression confiscation de compensation (en allemand : « Ausgleichseinziehung » ou « Abschöpfungseinziehung ») est également employée pour désigner ce type de confiscation de valeurs patrimoniales. La confiscation pénale l’emporte sur les mesures exécutées antérieurement, en particulier un séquestre civil ou une mesure d’exécution forcée930. 5.1. La finalité de la confiscation de nature compensatoire La confiscation de nature compensatoire au sens de l’article 70 CP sert principalement des motifs d’éthique sociale931. Du point de vue moral, l’auteur de l’infraction ne doit pas demeurer en possession de biens patrimoniaux qu’il a acquis de manière illégale ; évidemment, il serait moralement insatisfaisant de punir l’auteur de l’infraction, en lui permettant de demeurer en possession de ces biens932. Dans la lutte contre la criminalité à 927 928 929 930 931 932 208 Message (note 878), FF 1993 III 269, pp. 298 et 306 ; TRECHSEL (2008), Art. 69 CP, N. 9. HURTADO POZO (2008), p. 528. ATF 117 IV 233, consid. 5. Tribunal fédéral, 4 mai 1999, SJ 1999 I p. 417 ss ; PIOTET (2000), p. 1030 ss ; LOMBARDINI (2002), p. 690 ; cependant, dans le cadre du recouvrement d’une créance compensatrice, l’Etat ne jouit d’aucune préférence, par rapport aux autres créanciers. SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 10 ; TRECHSEL (2008), Art. 70 CP, N. 1; VOUILLOZ (2009), Art. 70 CP, N. 5. GAILLARD (1985), p. 157; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 3. I. La confiscation dans le CP suisse l’échelle nationale et internationale, la jurisprudence a affirmé le principe selon lequel le crime ne doit pas payer933. La confiscation de valeurs patrimoniales ne vise pas à infliger une punition supplémentaire à l’auteur de l’infraction934 ; la doctrine parle du caractère mixte de cette mesure935, alors que la jurisprudence du TF reconnaît que la confiscation au sens de l’article 70 CP a un caractère répressif et qu’elle se rapproche de la notion de peine936. Toutefois, toujours selon le TF, le fait que la confiscation de ce type remplit une telle fonction ne signifie pas qu’elle perde son caractère de mesure937. La finalité réparatrice de la confiscation compensatoire, en particulier des articles 70 ch. 1 in fine CP et 73 CP, doit aussi être prise en considération938. Outre ces fonctions, la confiscation des produits du crime remplit également une certaine fonction préventive, dès lors qu’elle empêche que les profits tirés d’une infraction puissent financer d’autres activités illicites à l’avenir939. Toutefois, il convient de noter que, contrairement à l’article 69 CP, il ne s’agit pas ici d’un danger social suffisamment spécifique940. 5.2. L’objet de la confiscation Le code pénal ne définit pas la notion de « valeur patrimoniale » . Outre les articles 70 ss CP, le code pénal se réfère à cette notion dans nombre de ses dispositions941. Cette notion a pour fonction de supprimer la limitation de l'application de certaines règles du droit pénal aux seules choses mobilières942. La confiscation au sens de l'article 70 al. 1 CP se différencie donc de la confiscation au sens de l'article 69 CP, car elle ne porte pas seulement sur des objets matériels corporels, mais également sur des droits (droits réels limités, droits immatériels), des créances ou des papiers valeurs943. La notion de 933 934 935 936 937 938 939 940 941 942 943 ATF 105 IV 169, consid. 1c ; ATF 106 IV 9, consid. 2 ; ATF 100 IV 104, consid. 1 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 3 ; HURTADO POZO (2008), p. 528. HURTADO POZO (2008), p. 528 ; KILLIAS / KUHN / DONGOIS /AEBI (2008), p. 278 ; MASONI (2006), p. 323. GAILLARD (1985), p. 158 ; GAUTHIER (1977), p. 371 ; TRECHSEL (2008), Vor Art. 69 CP, N. 10. Contra : BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 7 ; cet auteur n’admet pas le caractère répressif de la confiscation compensatoire. ATF 105 IV 169, consid. 1c ; ATF 115 Ib 517, consid. 8bb ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 70 CP, N. 4. ATF 110 IV 48, consid. 3d ; voir aussi p. 164 ss de la présente étude. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 3b. Voir respectivement p. 184 ss et p. 201 ss de la présente étude. HURTADO POZO (2008), p. 528 ; OCDE / GAFI (1999), Money laundering, OECD Policy Brief, p. 3. TRECHSEL (2008), Vor Art. 69 CP, N. 10. Cf. articles 138 (abus de confiance), 141bis (utilisation sans droit de valeurs patrimoniales), 163, 164, 165 et 169 (crimes ou délits dans la faillite et la poursuite pour dettes), 305bis (blanchiment d'argent), 305ter (défaut de vigilance en matière d'opérations financières et de droit de communication), 344a (for en cas de confiscation indépendante). NIGGLI (2007), BK StGB II, vor Art. 137, N. 52; STRATENWERTH / JENNY (2003), BT I, § 13, N. 55 ; cf. aussi Arrêt du Tribunal fédéral du 25 juin 2008, 6B.313/2008. ATF 119 IV 10 consid. 4c/bb. 209 Troisième partie : le droit suisse « valeur patrimoniale » recouvre tout avantage ayant une valeur économique944 (l'argent et toutes autres choses mobilières945) et susceptible d’être estimée ou chiffrée. La notion peut revêtir la forme d'une augmentation de l'actif et d'une diminution du passif946. La non-augmentation du passif et la non-diminution de l'actif ne peuvent pas être considérées comme des valeurs patrimoniales disponibles au sens de l’article 70 CP ; dans le cas de tels avantages abstraits, une créance compensatrice doit être prononcée947. 5.3. La commission d’une infraction et le lien de connexité Selon l’article 70 CP, la valeur patrimoniale susceptible de confiscation doit être le résultat d’une infraction ou être destinée à décider ou à récompenser l’auteur d’une infraction. L’infraction peut être un crime, un délit ou une contravention ; il peut s’agir d’une infraction intentionnelle ou par négligence, d’une infraction de lésion ou de mise en danger, etc.948. Il faut démontrer que l’acte commis réunit les éléments objectifs et subjectifs d’une infraction pénale du droit fédéral ou cantonal949. La participation et la tentative (achevée ou inachevée) sont aussi couvertes950. La confiscation de valeurs patrimoniales en application de l’article 70 CP ne dépend pas de la punissabilité951. Contrairement à l’article 69 CP, l’article 70 CP ne mentionne pas cette condition, qui est pourtant généralement admise par la jurisprudence et la doctrine952. Les valeurs patrimoniales « qui sont le résultat d’une infraction ou qui étaient destinées à décider ou à récompenser l’auteur d’une infraction » peuvent donc être confisquées, même si l’auteur de l’infraction est irresponsable ou décédé953. La confiscation est aussi possible même si l’auteur de l’infraction n’a pas été identifié ou poursuivi954. 944 945 946 947 948 949 950 951 952 953 954 210 Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 307 ; cf. aussi BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 29 ; PIETH (2007), BK StGB II, art. 305bis, N. 5 ; STRATENWERTH / BOMMER (2008), BT II, § 55, N. 26 ; CORBOZ (2002), art. 305bis CP, N. 9; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 87. CASSANI (1996), N. 7. ; ACKERMANN in SCHMID (1998), N. 192. Arrêt du Tribunal fédéral du 19 février 2001, 6S.667/2000, SJ 2001 I 330, consid. 2b ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 70 CP, N. 2. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 14 et les références citées. ATF 125 IV 4, consid. 2a/bb. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 16 ; TRECHSEL (2008), Art. 70 CP, N. 3 ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 91; ATF 117 IV 233, consid. 4. TRECHSEL (2008), Art. 70 CP, N. 3 ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 24 ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 70 CP, N. 9. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 17 et les références citées ; TRECHSEL (2008), Vor Art. 69 CP, N. 11. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 17 ; TRECHSEL (2008), Vor Art. 69 CP, N. 11 et les arrêts cités. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 299. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 307; ATF 122 IV 91, consid. 3b. I. La confiscation dans le CP suisse Il faut ensuite démontrer qu’un lien de connexité existe entre cette infraction et les valeurs à confisquer955. L’article 70 CP vise, d’une part, le produit de l’infraction (productum sceleris) et, d’autre part, l’avantage destiné à rétribuer l'auteur de l’infraction (pretium sceleris). Dans ce contexte, la jurisprudence du TF met l’accent sur l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’infraction et l’obtention des valeurs en question. Plus précisément, « l’infraction doit être la cause essentielle et adéquate de l’obtention des valeurs patrimoniales et celles-ci doivent typiquement provenir de l’infraction en question. Il doit donc exister, entre l’infraction et l’obtention des valeurs patrimoniales, un lien de causalité tel que la seconde apparaît comme la conséquence directe et immédiate de la première. C’est en particulier le cas lorsque l’obtention des valeurs patrimoniales est un élément objectif ou subjectif de l’infraction ou lorsqu’elle constitue un avantage direct découlant de la commission de l’infraction »956. Les valeurs patrimoniales qui sont le résultat de l’infraction doivent être identifiables de façon certaine et documentée, de manière que la trace (« paper trail ») puisse être reconstituée957. Le lien de connexité peut, en premier lieu, être direct. Les valeurs patrimoniales qui sont le résultat direct de la commission d’une infraction peuvent donc être confisquées en vertu de l’article 70 al. 1 CP. En second lieu, il convient d’aborder la discussion concernant la valeur de remplacement (Surrogatseinziehung) , qui élargit considérablement la notion de « produit de l'infraction ». Il s’agit de la valeur reçue en échange du produit de l’infraction958. Selon une interprétation, le principe de la spécialité empêche la confiscation de toute valeur de remplacement, si la valeur qui constitue directement le résultat ou la rétribution de l'infraction est une chose (mobilière ou immobilière). Dans ce cas, selon le Message du Conseil fédéral, les valeurs de remplacement, telles que le produit de la vente ou de l'échange de l'objet assujetti à la confiscation, ne peuvent pas être confisquées par substitution, si les valeurs patrimoniales originales ne sont plus disponibles chez l'auteur959. Les valeurs de remplacement doivent plutôt être placées sous séquestre en vue 955 956 957 958 959 Cour de Cassation, Genève, 22 novembre 1996, SJ 1997 p. 186 ss. Arrêt du Tribunal fédéral 19 février 2001, 6S.667/2000, SJ 2001 I 330, consid. 3.a; Arrêt du Tribunal fédéral du 4 mai 1999, SJ 1999 I 417 ; cf. aussi SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 29 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 31. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 299 ss ; Arrêt du Tribunal fédéral du 19 février 2001, 6S.667/2000, SJ 2001 I 330 ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 70 CP, N. 5 ; MASONI (2006), p. 324. HARARI (1997), p. 178 ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 95 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 40. Message (note 878), FF 1993 III 269, pp. 299, 300, 308 : « Si [les valeurs patrimoniales] ne sont plus disponibles chez l'auteur, ou chez leur destinataire, leurs valeurs de remplacement ne sauraient être confisquées par substitution; ainsi le produit de la vente ou de l'échange de l'objet assujetti à la confiscation n'est pas lui-même assujetti [...] S'agissant des choses, mobilières ou immobilières, seules celles qui constituent directement le résultat ou la rétribution de l'infraction peuvent être confisquées »; Selon D. Piotet, une simple référence figurant dans les travaux préparatoires est insuffisante, et cette solution, « très incisive quant à la garantie de la propriété », devrait être consacrée exprèssement dans le texte de la loi pénale ; PIOTET (1995), p. 30 N 71. 211 Troisième partie : le droit suisse de l’exécution d’une créance compensatrice, dans le cas où les valeurs originales ne sont plus disponibles chez l’auteur de l’infraction. Toujours selon l’interprétation du Conseil fédéral, les valeurs de remplacement peuvent être confisquées en cas de remploi improprement dit, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit des valeurs destinées à la circulation, telles que les billets de banques, les devises, les chèques etc. et lorsque le « paper trail » peut être établi960. L’opinion du Conseil fédéral n’est pas partagée par la doctrine, selon laquelle le CP permet la confiscation des valeurs de remplacement961 : en cas de remploi proprement dit (echte Surrogate ; valeurs acquises par les valeurs originales) et en cas de remploi improprement dit (unechte Surrogate ; valeurs destinées à circuler), la confiscation des valeurs patrimoniales doit être admise, sous la condition que le « paper trail » puisse être clairement établi. La confiscation doit être admise pour les valeurs patrimoniales obtenues directement, mais aussi indirectement, en échange du produit original de l’infraction, car, dans le cas contraire, toute transformation du produit initial de l’infraction en un succédané pourrait interrompre la chaîne des actes constitutifs de blanchiment d'argent962. Le Tribunal fédéral a admis cette solution, en affirmant que les valeurs de remplacement de l'infraction peuvent être confisquées dans la mesure où elles sont identifiables963. Cet élément nous amène à la condition de la disponibilité. La confiscation au sens de l’article 70 CP exige que le résultat de l’infraction soit disponible. Cette condition découle aussi a contrario de l’article 71 CP. Selon cette disposition, « lorsque les valeurs patrimoniales à confisquer ne sont plus disponibles, le juge ordonnera leur remplacement par une créance compensatrice de l'Etat ». Le juge prononce donc une créance compensatrice au lieu de la confiscation, si la valeur patrimoniale qui provient de l’infraction (ou était destinée à décider ou à récompenser l’auteur de l’infraction) n’est plus disponible, c’est-à-dire si le « paper trail » ne peut pas être établi. Un problème d’application fait son apparition en cas de mélange du produit de l’infraction au reste du patrimoine. En insistant sur le lien de connexité, le Tribunal fédéral a précisé que les valeurs patrimoniales peuvent être confisquées dans la mesure où elles sont encore identifiables964. Le mélange du produit de l’infraction au reste du patrimoine crée des problèmes d’identification, en particulier si ce produit a été crédité sur un compte en banque. Si d’autres opérations et mouvements suivent, il devient de plus en 960 961 962 963 964 212 TRECHSEL (2008), Art. 70, N. 8. SCHMID (1995), p. 334 ss; cf. aussi STRATENWERTH (2009), p. 119 ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 95. L’interprétation avancée dans le Message, qui exclut la faculté de confisquer des objets de remplacement proprement dits, avait aussi fait l’objet de critiques lors des travaux parlementaires; BOCN 1994 63 (interventions Koller et Leuenberger). CASSANI (2008), p. 318 ss et p. 336. ATF 126 I 97, consid. 3c/cc. ATF 126 I 97, consid. 3c/cc. I. La confiscation dans le CP suisse plus difficile d’établir le lien entre les fonds existant sur le compte et une infraction donnée965. Dans ce cas, il faut recourir au critère du « paper trail » , c’est-à-dire le critère de la disponibilité : la confiscation en vertu de l’article 70 CP n’est donc possible que si le mouvement des valeurs et le lien avec l’infraction peuvent être identifiés et documentés. 5.4. La méthode du calcul de l’avantage illicite L’estimation des valeurs soumises à confiscation est faite conformément à l’article 70 ch. 5 CP. Selon cette disposition, « si le montant des valeurs soumises à confiscation ne peut être précisément déterminé ou si cette détermination requiert des moyens disproportionnés, le juge peut procéder à une estimation ». Il peut être difficile de déterminer avec suffisamment de précision le montant du profit illicite, notamment dans le cas du trafic de drogue966. L’article 70 ch. 5 CP remédie à ce problème pratique, en permettant au juge de procéder à une estimation. Il s’agit de l’ancien article 59 ch. 4 CP, qui a été ajouté lors de la révision de 1994. Avant cette date, l’avantage économique de l’auteur de l’infraction ne pouvait pas faire l’objet d’une estimation ; cependant, la jurisprudence suisse a parfois fait application, praeter legem, du principe découlant de l’article 73 du Code pénal allemand, qui permettait cette possibilité967. Concernant les standards de preuve, la législation suisse ne s'éloigne donc pas de la pratique internationale, qui n’exige pas de prouver avec certitude le montant du produit de l’infraction968. En tout cas, il va de soi que l’avantage économique de l’auteur de l’infraction doit être appréciable en argent, c’est-à-dire susceptible d’être estimé et chiffré. A des fins d’estimation, il importe aussi de savoir la date où l’avantage illicite a été retiré et, pour cela, « il faut se placer au moment de l'infraction et non à celui du jugement »969. Quant à la méthode du calcul de l'avantage patrimonial provenant d’une infraction, la question se pose de savoir s’il faut inclure tous les revenus reçus (principe brut) ou déduire le prix d’achat et les dépenses (principe net)970. Le 965 966 967 968 969 970 Cour de Justice, Genève, 23 octobre 2000, cause 237/00 consid. 6a ; LOMBARDINI (2006), p. 62. KILLIAS / KUHN / DONGOIS /AEBI (2008), p. 280 ; MASONI (2006), p. 325. VOUILLOZ (2009), Art. 70 CP, N. 45 ; jugement du tribunal supérieur du canton de Berne du 23 février 1988, Plädoyer 3/1990, p. 67 ss. Comme l’indique M. Kilchling, « […] in all the cited countries more lenient rules of evidence apply for the estimation procedure which deviate from the otherwise strict standards of proof in criminal law » ; KILCHING (1997), p 354. ATF 100 IV 104, consid. 4 ; VOUILLOZ (2009), Art. 70 CP, N. 15 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 34. TRECHSEL (2008), Art. 70 CP, N. 6 et les arrêts cités ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 32. Pour les transactions illicites ou contraires aux mœurs, il est difficile de connaître les prix pratiqués sur le marché noir, cf. arrêt du Tribunal fédéral du 19 février 2007, 6S.6/2007, consid. 3.1.1. Des difficultés peuvent aussi surgir dans des situations où la transaction est licite, mais il n’y a pas de véritable marché. B. Bertossa mentionne ici l’exemple du marché de l'armement : « Comment fixer la valeur réelle d'un navire de guerre, d'un blindé ou d'un avion de combat que le corrupteur est seul à produire? » BERTOSSA (2009), p. 381. 213 Troisième partie : le droit suisse législateur a laissé cette question ouverte, alors qu’il aurait pu l’aborder notamment à l’occasion de la révision de 2002. Si notre point de départ est le principe que le crime ne doit pas payer, le principe net semble être plus approprié, en ce qu’il ne permet d’attaquer que la plus-value (Mehrwert) obtenue grâce à la commission de l’infraction971. La jurisprudence du TF se prononce en général en faveur de la méthode brute972. Selon la doctrine une distinction doit être faite à cet égard973. Il est clair que le principe brut doit s’appliquer dans le cas d’activités et d’opérations illicites, comme le trafic de stupéfiants : le juge doit ordonner la confiscation de toutes les valeurs patrimoniales qui ont été obtenues par la commission de l’infraction et, si une partie de ces valeurs a été dépensée pour couvrir les dépenses du trafic, le juge doit prononcer une créance compensatrice974. La situation est moins claire lorsque l’infraction est liée à une activité licite en soi, comme par exemple un contrat obtenu par la corruption. Dans ce cas, la rémunération du corrupteur doit être confisquée après la déduction de ses dépenses licites, c’est-à-dire que seul le gain est confisqué en application du principe net975. Le principe de la valeur nette se justifie aussi s'agissant du produit d'une activité licite, « qui a été exercée […] sans autorisation et pour laquelle la valeur nette peut être déterminée sans difficultés particulières au moyen de pièces comptables »976. A notre avis, cette solution assure aussi le respect du principe de la proportionnalité, auquel est, en tout cas, soumis le principe brut ; nous pouvons pourtant aller un peu plus loin et parler de principe brut relativisé (gemässigtes Bruttoprinzip)977. Selon cette variante, le tribunal ne prend en considération que certains dépenses de l’auteur de l’infraction. Le tribunal doit faire son choix en examinant chaque cas particulier sous l’angle de deux principes : le principe selon lequel le crime ne doit pas payer, ainsi que le principe de la proportionnalité978. 971 972 973 974 975 976 977 978 214 STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 110 ss et les références citées. Arrêt du Tribunal fédéral du 22 septembre 2006, 6P.138/2006, consid. 5.1 ; ATF 123 IV 70, consid. 3 et commentaire par U. CASSANI in PJA 1998 p. 116 ss ; ATF 119 IV 17, consid. 2a ; ATF 109 IV 121, consid. 2b. SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 56 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 32. Arrêt du Tribunal fédéral du 22 septembre 2006, 6P.138/2006 ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 70 CP, N. 12. BERTOSSA (2009), p. 379. Cependant, lorsque le gain n’est que partiellement le produit d’une infraction, la confiscation porte seulement sur l’avantage obtenu de manière illégale ; VOUILLOZ (2009), Art. 71 CP, N. 10. ATF 123 IV 70 et commentaire par U. CASSANI in PJA 1998 p. 118. Arrêt du Tribunal fédéral du 23 mars 2007, 6P.236/2006, consid. 11.4 et 11.5 ; arrêt du Tribunal fédéral du 22 septembre 2006, 6P.138/2006, consid. 5.2 ; ATF 124 I 6. BAUMANN (2007), BK STGB I, Art. 70/71 CP, N. 32. SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 56 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 32 ; SCHWARZENEGGER / HUG / JOSITSCH (2007), p. 209 ; BERTOSSA (2009), p. 382. I. La confiscation dans le CP suisse Principe brut ou principe net : exemples d’application Confiscation des recettes brutes (chiffre d’affaires) Confiscation des recettes nettes (profits illicites) Interruption de grossesse punissable (118 CP) Voir : SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 57. Moins claire la jurisprudence sur l’ancien art. 120 ch. 2 CP ; ATF 103 IV 3, consid. 2.c. Falsification de marchandises (155 CP). Voir : SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 58 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 39. Pornographie (197 CP) Voir : SJZ 74 (1978) Nr. 41 p. 225, concernant l’ancien article 204 aCP ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 57 ; Contra: STRATENWERTH, AT II § 13 N 111. Exploitation de la connaissance de faits confidentiels (161 CP) et manipulation de cours (161bis CP). Voir : SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 58 Mise en circulation de fausse monnaie (242 CP). Voir : SJ 129 (2007) 271, 276 Infractions fiscales. Voir : SCHMID (2007), Art. 7072 CP, N. 58 Blanchiment d’argent (305bis CP). Voir : SJ 129 (2007) 271, 276 ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 57 ; TPF, arrêt du 21.11.2007, BB.2007.56, consid. 2.2. Infractions en vertu de la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD ; RS 241) Voir : SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 58 Infractions contre les devoirs de fonction (318 ss CP) et corruption passive (322quater CP, 322sexies CP, 322septies al. 2 CP). Voir : SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 57 ; SCHWARZENEGGER / HUG / JOSITSCH (2007), p. 209. Corruption active (322ter CP, 322quinquies CP, 322septies al. 1 CP), s’agissant d’une activité licite en soi, p. ex. d’un contrat obtenu par la corruption. Voir : SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 36c in fine ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 57d ; BERTOSSA (2009), p. 379 ; JOSITSCH (2004), p. 426 ss. Mise sur le marché de stupéfiants (LStup). Voir : SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 57. Plus réticent : STRATENWERTH, AT II § 13 N 112a. Mise sur le marché de matériel de guerre en violation de la loi fédérale du 13 décembre 1996 sur le matériel de guerre (LFMG, RS 514.51). Voir : SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 57. Contra: TPF, arrêt du 26.03.2009, SK.2008.20, consid. 5. Infractions en vertu de la loi fédérale du 18 décembre 1998 sur les jeux de hasard et les maisons de jeu (LMJ ; RS 935.52). Voir : SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 57 ; arrêt du tribunal fédéral du 9 janvier 2007, 1P.407/2006, consid. 4.2. Mise sur le marché de médicaments en violation de la loi fédérale du 15 décembre 2000 sur les médicaments et les dispositifs médicaux (LPTh ; RS 812.21). Voir : SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 57 ; ATF 124 I 6, consid. 4b/cc ; STRATENWERTH, AT II § 13 N 111. Empaillage d’animaux en violation de la loi fédérale du 20 juin 1986 sur la chasse (LChP ; RS 922.0). Voir : ATF 123 IV 74, avec commentaire par U. Cassani, PJA (1998) p. 116 s. (contra). 215 Troisième partie : le droit suisse 5.5. La restitution immédiate au lésé La confiscation de valeurs patrimoniales est possible seulement « si [les valeurs patrimoniales] ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits ». Cette disposition est dorénavant complétée par l’article 267 CPP. Le lésé a donc droit à la restitution. La restitution de ce type (restitution immédiate) qui intervient avant la confiscation, ne doit pas être confondue avec l’allocation au lésé sur la base de l’article 73 CP, qui sera examinée dans une section séparée979. La restitution en vertu de l’article 70 CP l’emporte sur la confiscation ; en d’autres termes, la confiscation compensatoire est subsidiaire à la restitution au lésé en rétablissement de ses droits980. L’article 70 al. 1 in fine CP couvre les droits réels ou les droits réels limités sur des choses981 ; la jurisprudence admet pourtant que les prétentions de nature obligationnelle sont aussi visées982. Une question qui se pose est de savoir si les valeurs de remplacement peuvent être restituées en vertu de cette disposition. Selon N. Schmid, le cas de remploi improprement dit (valeurs destinées à circuler) est couvert ; la restitution de ces valeurs doit être admise, sous la condition que le « paper trail » puisse être clairement établi983. Néanmoins, cette interprétation privilégie de manière exorbitante le lésé par rapport à d’autres créanciers et n’est pas conforme au texte et à la finalité de l’article 70 al. 1 in fine CP984. La restitution ne porte pas sur le produit de n’importe quelle infraction. Selon la jurisprudence, les valeurs à restituer au lésé en rétablissement de ses droits doivent être le produit de l’infraction dont le lésé a été lui-même victime985. L’importance de ce principe est évidente en présence de prétentions concurrentes de lésés. La provenance des valeurs à restituer doit aussi être identifiable précisément et avec certitude, et la restitution avant la confiscation doit intervenir dès lors que le droit du lésé est clair986. L’article 70 CP se réfère au lésé et pas au propriétaire, contrairement à l’article 58bis CP, abrogé en 1994. Ainsi, les valeurs peuvent être restituées non seulement à leur propriétaire, mais aussi au titulaire de droits réels 979 980 981 982 983 984 985 986 216 Voir p. 236 ss de la présente étude. La restitution immédiate en vertu de l’article 70 ch. 1 in fine CP limite l’importance pratique de l’article 73 CP ; SCHMID (2007), Art. 73 CP, N. 11 ; SCHMID (1999), p. 33 ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 142. BAUMANN (2007), BK STGB I, Art. 70/71 CP, N. 42 ; TRECHSEL (2008), Art. 70 CP, N. 9; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 104 ; PONCET / MACALUSO (2001), p. 225; ATF 129 IV 322, consid. 2.2.4. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 309. ATF 122 IV 374 ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 70a et les références citées. SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 70. Cet auteur exclut la possibilité de la restitution en cas de remploi proprement dit. BAUMANN (2007), BK STGB I, Art. 70/71 CP, N. 42 et les références citées. Cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral du 9 août 2005, 6S.68/2004, consid. 7.2.4. ATF 122 IV 365, consid. III.2b ; l’Etat n’est pas une personne lésée par l’infraction de la corruption publique; SCHMID (1999), p. 24 ss. ATF 122 IV 365, consid. III.2b. I. La confiscation dans le CP suisse restreints987. En cas de doute sur la propriété de la valeur patrimoniale, la restitution profite au possesseur. Si la question de la possession est contestée, l’autorité pénale doit différer la restitution de la chose séquestrée, afin que le juge civil soit saisi dans le cadre d’une procédure séparée988. L’article 70 CP profite seulement aux personnes directement lésées par l'infraction et non aux cessionnaires de leurs droits989. Si le lésé n’est pas connu ou s’il est de domicile inconnu, le juge prononce la confiscation ; si le lésé est finalement identifié après la confiscation, seule l’allocation par le biais de l’article 73 CP est possible. Dans ce cas, le lésé a droit à l’allocation des valeurs confisquées ou du produit de leur réalisation ultérieure990. Le lésé doit présenter formellement ses prétentions dans un délai de cinq ans à compter de l’avis officiel de la confiscation, comme le prévoit l’article 70 ch. 4 CP. Ce délai est important, car il limite le droit de l’Etat de réaliser les valeurs patrimoniales confisquées. La réalisation de ces valeurs peut pourtant s’avérer nécessaire, si elle sont par leur nature susceptibles de se déprécier. La confiscation peut être ordonnée aussi longtemps que l’auteur maintient son avantage illicite, dans les limites de l’article 70 al. 3 CP (prescription) 991. Dans ce contexte, un problème se pose : dès lors que la confiscation n’exclut pas la réparation des dommages du lésé, l’auteur de l’infraction risque de payer deux fois992. Plus précisément, si une confiscation a lieu, le lésé peut demander la restitution des valeurs confisquées, mais il n’est pas tenu de le faire. Au lieu de cela, il peut engager une action indépendante contre l'auteur pour la réparation des dommages. L’allocation n’est possible que sur requête du lésé lui-même ; le juge ne peut donc pas allouer spontanément au lésé les valeurs confisquées. Pour ces raisons, l’auteur de l’infraction risque d’être confronté non seulement à la confiscation prononcée par le juge pénal, mais également à une condamnation à réparer le dommage du lésé. A notre avis, un tel résultat viole le principe de la proportionnalité ; la jurisprudence affirme que l'auteur doit être protégé contre le risque de devoir payer deux fois993. Si l’action civile est engagée la première, le juge pénal ne doit pas procéder à une allocation au lésé, sauf « s’il y a lieu de craindre que l’auteur ne réparera pas le dommage ou le tort moral ». Il se peut aussi que la confiscation ait lieu et que l’action civile soit intentée postérieurement à l’action pénale. Dans ce cas, la réparation des dommages devrait être refusée sur la base du principe de la proportionnalité et des principes généraux du 987 988 989 990 991 992 993 SCHMID (1995), p. 340 ss. ATF 120 Ia 120, consid. 1b ; ATF 128 I 129, consid. 3.1.3. Tribunal fédéral, 19 mai 2004, 1P.152/2004, considérant 2.3. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 302. Voir p. 221 ss de la présente étude. TRECHSEL (2008), Art. 70 CP, N. 9c ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 44. ATF 129 IV 322, consid. 2.2.4 ; SCHMID (1999), p. 23. 217 Troisième partie : le droit suisse droit civil. Cette solution n’est pas très satisfaisante. A notre avis, une nouvelle disposition du CO peut régler la question de manière beaucoup plus claire. Une telle disposition pourrait exclure expressément la possibilité d’ordonner réparation des dommages du lésé, si une confiscation pénale a lieu. 5.6. La protection des droits des tiers La protection des droits des tiers est assurée par l’article 70 ch. 2 CP, selon lequel « la confiscation n’est pas prononcée lorsqu’un tiers a acquis les valeurs dans l’ignorance des faits qui l’auraient justifiée, et cela dans la mesure où il a fourni une contre-prestation adéquate ou si la confiscation se révèle d’une rigueur excessive ». Le juge ne peut donc prononcer une confiscation contre l'acquéreur que si les conditions de l’article 70 ch. 2 CP sont remplies. A cet égard, le droit suisse assure un niveau de protection plus élevé que celui prévu par les conventions internationales994 ; ces instruments ne contiennent pas de dispositions détaillées sur ce sujet ; elles énoncent simplement que les droits des tiers de bonne foi ne doivent pas être atteints lors d’une procédure en confiscation995. L’article 70 ch. 2 se réfère à des tiers, c’est-à-dire à des personnes, physiques ou morales, qui ne sont pas impliquées dans les agissements délictueux. Le tiers doit avoir « acquis » les valeurs patrimoniales, c’est-à-dire un droit réel (propriété ou droit réel limité) sur celles-ci. Selon le Message du Conseil fédéral, la protection ne couvre que les droits réels ou les droits réels limités sur des choses, alors que les prétentions de nature obligationnelle, comme le prêt, ne sont pas couvertes996. Selon F. Baumann, il ne s'agit pas là d’un silence qualifié997. La jurisprudence a récemment opté pour une solution différente, en faisant remarquer que la notion de valeurs patrimoniales doit être définie de la même manière dans les alinéas 1 et 2 de l’article 70 CP998. Contrairement à l'avant-projet de mars 1991999, la confiscation auprès des tiers n’est pas subordonnée à la condition que ceux-ci se trouvent enrichis. Les Chambres fédérales ont suivi la proposition du Conseil fédéral d'autoriser, à certaines conditions, la confiscation à l'égard des tiers qui ne sont pas enrichis1000 ; l'article 59 ch. 1 al. 2 CP de 1994 a été remplacé sans modifications par le nouvel article 70 ch. 2 CP, lors de la révision du CP en 2002. Cependant, des résultats inéquitables peuvent se produire en raison de l'abandon du 994 995 996 997 998 999 1000 218 CASSANI (2008), p. 337. Cf. article 12 par. 8, Convention de Palerme ; article 31 par. 9, Convention de Mérida. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 301 ; SCHMID (1995), p. 343. BAUMANN (1999), p. 117. Arrêt du Tribunal fédéral du 18 janvier 2008, 6B.523/2007. PIETH (1992), annexe, p. 207 ss. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 281. I. La confiscation dans le CP suisse critère de l'enrichissement, tels que la possibilité « d'ordonner une confiscation des valeurs délictueuses auprès du tiers qui détient les valeurs délictueuses et de prononcer une créance compensatrice à l'encontre de toutes les personnes qui ont détenu successivement les valeurs patrimoniales, ce qui peut conduire à des confiscations en chaîne ou en cascade»1001. Le tiers est protégé, si les conditions cumulatives suivantes sont remplies : I. le tiers ignore les raisons justifiant la mesure et II. le tiers a fourni une contre-prestation adéquate OU la mesure apparaît à son égard d’une rigueur excessive. I. Le tiers doit avoir acquis la valeur patrimoniale dans l’ignorance des faits qui auraient justifié la confiscation (« in Unkenntnis der Einziehungsgründe »). Dans ce contexte aussi, le principe de la proportionnalité1002 doit être respecté. Selon la jurisprudence du TF, ce principe implique précisément une interprétation large de l’expression d’« ignorance des faits qui auraient justifié la confiscation »1003. La confiscation ne peut pas être prononcée si le tiers sait simplement qu'une procédure pénale a été ouverte, sans qu’il dispose d'informations particulières sur les faits justifiant la confiscation1004. Selon S. Nadelhofer, seule la connaissance certaine de ces faits peut exclure la protection du tiers1005. A notre avis, cette solution n’est pas conforme au principe de la proportionnalité qui exige l’interprétation large du terme d’« ignorance ». Ainsi, le tiers n’est pas protégé s’il a une connaissance certaine des faits qui auraient justifié la confiscation ou s’il considère l’existence de ces faits comme sérieusement possible. Ce schéma correspond grosso modo à l’absence de dessein et de dol direct, ainsi qu’à l’absence de dol éventuel relatif aux faits justifiant la confiscation1006, alors que la négligence ne suffit pas pour exclure la protection du tiers. Il n’incombe pas au tiers de prouver son ignorance des faits qui auraient justifié la confiscation ; le fardeau de la preuve quant à cet élément n’est donc pas renversé1007. 1001 1002 1003 1004 1005 1006 1007 Arrêt du Tribunal fédéral du 24 février 2006, 6S.298/2005, consid. 4.2. Cf. article 5 ch 2 de la Constitution fédérale : « L’activité de l’Etat doit répondre à un intérêt public et être proportionnée au but visé ». Arrêt du Tribunal fédéral du 24 février 2006, 6S.298/2005, consid. 4.2. SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 84 ; PIOTET (1995), p. 73 ss N. 187 ss. NADELHOFER (2007), N. 22. SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 84. ARZT (1996), p. 100. 219 Troisième partie : le droit suisse N. Schmid considère qu’il faut imputer à la personne morale la connaissance des organes et des représentants1008. A notre avis, cette solution est compatible avec les principes énoncés à l’article 102 CP. II. Outre la condition de l’ignorance, une des deux conditions alternatives suivantes doit être remplie pour que le tiers soit protégé : II.a. Le tiers doit avoir fourni une contre-prestation adéquate. La notion de « contre-prestation adéquate » n’est pas facile à définir avec précision, dès lors qu’il y a parfois certaines zones de prix gris (prix « intéressant », mais pas « suspect »1009). Une autre question qui se pose est de savoir si l’élément de « bonne foi » doit être présent seulement au moment de l’acquisition des valeurs patrimoniales par le tiers ou si cet élément doit aussi exister au moment de la contre-prestation. La jurisprudence du TF a adopté la deuxième solution1010 ; ainsi la confiscation n’est exclue que si la contre-prestation a déjà été fournie par le tiers au moment où ce dernier ignorait les faits justifiant la confiscation. Si l’auteur a fourni une contre-prestation qui n’est pas adéquate, la confiscation ne doit porter que sur la différence entre le prix payé et la véritable valeur des biens acquis1011. Sans introduire un renversement du fardeau de la preuve, la jurisprudence admet que le tiers doit s’expliquer plus précisément sur le contexte de la contre-prestation fournie1012. II.b. Même si le tiers n’a fourni aucune contre-prestation, ses droits seront protégés, si la mesure apparaît à son égard d’une rigueur excessive. Dans ce cas, il faut que la mesure frappe de manière particulièrement incisive le tiers dans sa situation économique1013. A titre d’observation générale, les règles sur la confiscation à l'égard des tiers cherchent à réaliser un équilibre entre l’intérêt collectif (éthique et préventif) de la confiscation et les intérêts privés en jeu. Sans doute, l’objectif est-il ambitieux et difficile à atteindre. Les critères que nous venons d’examiner, en particulier la notion de la contre-prestation adéquate, ne permettent pas toujours d’atteindre un équilibre satisfaisant entre ces intérêts. De nombreuses questions restent ouvertes, notamment s’agissant de la protection du tiers dans des constellations particulières (partage d’un régime matrimonial, succession, dissolution d’une société simple, banque faisant valoir d’un nantissement sur un compte, etc.). Le cas échéant, des principes correcteurs doivent atténuer les effets injustes. D’une part, les règles sur la confiscation à l'égard des tiers doivent être appliquées de manière 1008 1009 1010 1011 1012 1013 220 SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 20 et 79; SCHMID (1995), p. 343 ; TRECHSEL (2008), Art. 70 CP, N. 12, qui n’admet cette idée que pour les organes. KILLIAS / KUHN / DONGOIS /AEBI (2008), p. 280. Arrêt du Tribunal fédéral du 9 janvier 2004, 6S.482/2002, consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral du 5 mai 2006, 1S.5/2006 et 1S.6/2006, consid. 3.2.1. SCHWARZENEGGER / HUG / JOSITSCH (2007), p. 210 ; VOUILLOZ (2009), Art. 70 CP, N. 37. SJ 1997 186, cité par VOUILLOZ (2009), Art. 70 CP, N. 37. SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 94. I. La confiscation dans le CP suisse restrictive1014. D’autre part, il faut recourir au principe de la proportionnalité1015, ainsi qu’à la clause de rigueur qui permet au juge de renoncer à la confiscation lorsque celle-ci se révèle à l'égard du tiers d'une rigueur excessive (article 70 ch. 2 in fine CP). 5.7. Questions de procédure En ce qui concerne le régime de la preuve, l'accusation doit apporter la preuve que les conditions de la confiscation sont remplies (commission d’une infraction, lien de connexité, etc.), selon les dispositions du droit de la procédure pénale1016. La décision de confiscation, qui émane d’un tribunal compétent1017, fait l’objet d’un avis officiel (article 70 ch. 4 CP). 5.8. La prescription Dans le cadre de la révision du CP de 2002, le délai de prescription de cinq ans prévu à l’ancien article 59 aCP a été porté à sept ans, en vue d’adaptation aux nouveaux délais de l’article 97 CP1018. Ainsi, selon l’article 70 ch. 3 CP, le droit d’ordonner la confiscation de valeurs se prescrit par sept ans, « à moins que la poursuite de l’infraction en cause ne soit soumise à une prescription d’une durée plus longue; celle-ci est alors applicable ». Tel est le cas des crimes (article 10 al. 2 CP) qui se prescrivent par 15 ans (article 97 al. 1 let. b CP). Selon l’article 109 CP, l’action pénale en cas de contravention se prescrit par trois ans, mais le droit d’ordonner la confiscation (autonome) du produit d’une contravention se prescrit par sept ans en vertu de l’article 70 ch. 3 CP1019. L’article 98 CP (point de départ de la prescription de l’action pénale) est applicable par analogie1020. Le délai prévu à l’article 70 ch. 3 CP est important pour déterminer si le blanchiment d’argent en vertu de l’article 305bis CP est prescrit : si la confiscation est prescrite, il ne peut pas y avoir d’acte propre à entraver la confiscation du produit d’un crime, comme l’exige l’article 305bis CP. 1014 1015 1016 1017 1018 1019 1020 SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 77. Sur la compatibilité de cette disposition avec l’article 933 CC, voir la critique de G. Stratenwerth, qui parle d’expropriation sans indemnité ; STRATENWERTH (2009), p. 120. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 50 ; PIOTET (1995), p. 5 ss N. 10 ss. SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 210 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 35a et les références citées. STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 70 CP, N. 15 ; ATF 108 IV 157. MASONI (2006), p. 323. ATF 129 IV 305, consid. 4.2.2 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 51. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 315; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 51. 221 Troisième partie : le droit suisse Dans le cas des infractions commises à l’étranger, la jurisprudence précise que le délai de prescription prévu par la législation étrangère est applicable, si ce délai est plus long1021. Une solution différente risquerait de permettre au criminel de se protéger contre la confiscation, en transférant simplement les valeurs patrimoniales d’origine illicite dans un pays dont la législation prévoit de courts délais de prescription1022. Contravention Délit Crime Prescription de l’action pénale 3 ans 7 ans 15 ans Prescription du droit d’ordonner la confiscation 7 ans 7 ans 15 ans Point de départ du délai Commission de l’infraction Commission de l’infraction Commission de l’infraction La prescription de la confiscation en cas de blanchiment d’argent Crime préalable au blanchiment Prescription de l’action pénale Prescription du droit d’ordonner la confiscation Point de départ du délai 15 ans1023 15 ans Commission du crime préalable Actes de blanchiment d’argent successifs (305bis ch. 1 CP) 7 ans (15 ans dans le cas aggravé, 305bis ch. 2 CP) 7 ans (15 ans dans le cas aggravé, 305bis ch. 2 CP) Commission de l’acte de blanchiment d’argent (la confiscation du produit du crime préalable ne doit pas être prescrite) 1021 1022 1023 222 ATF 126 IV 255, consid. 3b/bb ; TRECHSEL (2008), Art. 70, N. 15 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 52. ATF 126 IV 255, consid. 3b/bb ; SCHMID (2007), Art. 70-72, N. 220. Sur les infractions commises à l’étranger, voir p. 2211 de la présente étude. I. La confiscation dans le CP suisse 6. La créance compensatrice de l’Etat en vertu de l’article 71 CP Si l’auteur de l’infraction s’est déjà débarrassé des actifs correspondant à l’avantage économique de l’infraction, la confiscation au sens de l’article 70 CP n’est pas possible. Les valeurs patrimoniales ne sont pas disponibles, au sens de cette disposition, lorsque le lien de connexité entre l’infraction et les valeurs patrimoniales (« paper trail ») ne peut plus être établi1024. Pour remédier à cette situation, l’article 71 CP (ancien article 59 ch. 2 CP) introduit la possibilité de prononcer la créance compensatrice (Ersatzforderung), qui se substitue à la confiscation. Selon le TF, « la créance compensatrice […] a pour but d'éviter que celui qui a disposé des objets ou valeurs à confisquer soit privilégié par rapport à celui qui les a conservés »1025. Cette disposition est conforme au principe selon lequel le crime ne doit pas payer, ainsi qu’aux dispositions des conventions internationales prévoyant la possibilité de confiscation de valeur, comme les articles 2 et 13 par. 3 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe1026. 6.1. Les conditions d’application de l’article 71 CP La créance compensatrice doit être ordonnée par le juge lorsque les conditions de l’article 71 CP sont remplies1027. Il s’agit essentiellement des mêmes conditions que celles prévues à l’article 70 CP, sauf bien sûr le critère de la disponibilité des valeurs. La raison pour laquelle le produit original de l’infraction n'existe plus et la manière dont l'auteur de l’infraction s'est débarrassé de la valeur patrimoniale n’entrent pas en considération1028. Les valeurs illicites peuvent avoir été consommées, dissimulées, ou perdues ; la créance compensatrice est prononcée, si le lien de connexité entre les valeurs patrimoniales et l’infraction ne peut pas être établi. Si les valeurs illicites originales ne peuvent être localisées, identifiées et recouvrées qu’en employant des moyens disproportionnés, ces valeurs ne peuvent pas être considérées comme « disponibles » et une créance compensatrice doit être prononcée1029. La créance compensatrice ne doit engendrer, par rapport à la confiscation, ni avantage ni inconvénient. La doctrine1030 et la jurisprudence1031 affirment ce 1024 1025 1026 1027 1028 1029 1030 1031 STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 121 ; MASONI (2006), p. 325. ATF 119 IV 17, consid. 2a ; ATF 109 IV 121, consid. 2b ; ATF 106 IV 336 consid. 3b/aa ; ATF 105 IV 21, consid. 2. Cf. NILSSON (1992), p. 473 ss ; cf. aussi les p. 151 ss et p. 21 ss de la présente étude. ATF 115 IV 173, consid. 3 TRECHSEL (2008), Art. 71 CP, N. 1 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 55. Le principe de la proportionnalité doit pourtant être respecté. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 55 ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 100. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 53 ; SCHMID (1995), p. 321 ss ; TRECHSEL (2008), Art. 71 CP, N. 1. ATF 109 IV 121, consid. 2b ; ATF 124 I 6, consid. 4b/bb; ATF 123 IV 70 consid. 3. 223 Troisième partie : le droit suisse caractère subsidiaire de la créance compensatrice : la créance compensatrice est prononcée lorsque la confiscation au sens de l’article 70 CP ne peut pas l’être, car les biens à confisquer ne sont plus disponibles1032. En raison de ce caractère subsidiaire, la créance compensatrice ne peut être ordonnée que si, dans l'hypothèse où les valeurs patrimoniales provenant de l'infraction auraient été disponibles, la confiscation eût été prononcée1033. La doctrine affirme enfin que l’article 71 CP n’est pas subsidiaire aux articles 69 CP et 72 CP1034. 6.2. Le montant de la créance compensatrice Le montant de la créance compensatrice doit être « équivalent » à la valeur des biens initialement assujettis à la confiscation1035. Il en découle que l’avantage économique qui a disparu doit être estimable en argent1036 ; il en découle aussi qu’il faut appliquer la même méthode de calcul que dans le cas de la confiscation. Le calcul de l'avantage patrimonial pose les mêmes problèmes que nous avons identifiés dans l’analyse de l’article 70 CP1037. Pour le calcul du montant de la créance compensatrice, il importe de déterminer le moment où le bien confiscable a disparu, c’est-à-dire le moment où le « paper trail » est définitivement interrompu1038. Selon l’article 71 al. 2 CP, la créance compensatrice peut être supprimée ou réduite lorsqu’il est à prévoir que le recouvrement de cette créance n’est pas possible. Cette possibilité est aussi prévue lorsque la créance compensatrice risque concrètement de compromettre la réinsertion sociale de la personne concernée1039. Pour l’estimation de ce risque, le juge prend en considération la situation globale de la personne touchée. Des motifs précis doivent rendre la renonciation à la créance compensatrice indispensable pour la réinsertion sociale. Avant la révision de 1994, les tribunaux prononçaient ordinairement de lourdes créances compensatrices dans le cadre des condamnations pour trafic de stupéfiants1040. Ces créances compensatrices portaient souvent sur des 1032 1033 1034 1035 1036 1037 1038 1039 1040 224 Arrêt du Tribunal fédéral du 14 juillet 2008, 6B.362/2008, consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral du 30 novembre 2007, 1B.185/2007, consid. 10.1. Arrêt du Tribunal fédéral du 30 novembre 2007, 1B.185/2007, consid. 10.1. STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 71 CP, N. 2. ATF 104 IV 3, consid. 2. ATF 119 IV 17, consid. 2c. Voir p. 2131 de la présente étude. Sur cette question, voir : SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 109 ; SCHWARZENEGGER / HUG / JOSITSCH (2007), p. 213. Dans le cadre de la réforme législative du 13 décembre 2002, le terme d’« intéressé » a été remplacé par l’expression « personne concernée » dans plusieurs dispositions du CP (anciens articles 45 ch. 1, 59 ch. 2, 100ter ch. 2, 179quater, 321, 321bis ch. 2, 321bis ch. 3, 321bis ch. 5.), y inclus l’ancien article 59 CP. Les deux termes doivent être considérés comme des synonymes et le législateur a opté pour le deuxième pour des raisons d’uniformité. KILLIAS / KUHN / DONGOIS /AEBI (2008), p. 280 ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 128 ss et les arrêts cités. I. La confiscation dans le CP suisse sommes trop élevées et démesurées par rapport aux ressources financières de la personne touchée. Pour faciliter la réinsertion des personnes condamnées, souvent des trafiquants-consommateurs de drogue (Bedarfshändler)1041, la révision de 1994 a permis au juge de renoncer totalement ou partiellement à la créance, sous les conditions déjà mentionnées. C’est donc au juge d’aménager l’équilibre entre deux intérêts : d’une part, l’intérêt à la resocialisation de l’auteur de l’infraction et, d’autre part, l’intérêt à sa neutralisation financière. 6.3. Questions de procédure L’article 71 al. 3 prévoit la possibilité de placer sous séquestre, en vue de l’exécution d’une créance compensatrice, des valeurs patrimoniales appartenant à la personne concernée. Il s’agit d’une mesure de nature provisoire et conservatoire, qui touche des valeurs d’origine licite. Les effets du séquestre en vertu de l’article 71 al. 3 CP sont maintenus, jusqu’à ce qu’une mesure du droit des poursuites prenne le relais1042. Enfin, ce type de séquestre ne crée aucun droit de préférence en faveur de l’Etat lors de l’exécution forcée de la créance compensatrice. Nous examinerons ultérieurement la procédure de séquestre en vertu du nouveau CPP1043. Au niveau de la réalisation des valeurs patrimoniales, la créance compensatrice est exécutée par la voie de la poursuite pour dettes (LP). Il ne s’agit donc pas ici d’attribuer à l’Etat le pouvoir de disposition sur des biens en vertu d’une décision pénale. C’est encore un élément qui différencie la créance compensatrice de la confiscation1044. L’Etat doit concourir avec d’autres créanciers. Au lieu de ce recouvrement, l’Etat peut suivre la voie de la confiscation, s’il prouve que les valeurs en question découlent causalement de l’infraction, par exemple en tant que valeurs de remplacement, si le « paper trail » peut être établi1045. La créance compensatrice est en règle générale ordonnée à l'encontre de l'auteur de l'infraction. Toutefois, l’article 71 al. 1 CP permet de prononcer une créance compensatrice contre un tiers. Dans ce contexte, l’article 71, al. 1, 2e phrase CP renvoie à l’article 70 al. 2, pour assurer la protection des droits des tiers. La créance compensatrice ne peut être prononcée lorsque ce tiers a acquis les valeurs dans l’ignorance des faits qui l’auraient justifiée, et cela dans la mesure où il a fourni une contre-prestation adéquate1046. Même en l’absence de contre-prestation, les droits de l’acquéreur seront protégés et la créance 1041 1042 1043 1044 1045 1046 STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 126 ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 71 CP, N. 4. VOUILLOZ (2009), Art. 71 CP, N. 21. Voir p. 241 ss de la présente étude. CASSANI (2008), p. 336 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 53. STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 95. SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 112. 225 Troisième partie : le droit suisse compensatrice ne peut pas être prononcée, si la mesure se révèle d’une rigueur excessive. Selon G. Stratenwerth, le juge doit renoncer à la créance compensatrice, si le tiers n’est plus enrichi1047. Néanmoins, si le législateur voulait utiliser le critère de l’enrichissement, il aurait pu l’ajouter de manière expresse à l’article 71 al. 2 CP, lors de la révision de 1994. 6.4. La prescription La créance compensatrice est soumise au même délai de prescription que la confiscation1048. Cela découle du fait que certaines conditions énoncées aux articles 69 CP et 70 CP s’appliquent aussi à l’article 71 CP1049. Selon le Message du Conseil fédéral, l’exécution de la créance compensatrice est également soumise à un délai de prescription (10 ans), comme les autres créances du droit public1050. 7. La confiscation des avoirs d’une organisation criminelle en vertu de l’art. 72 CP Selon l’article 72 CP (ancien article 59 ch. 3 CP), « le juge prononce la confiscation de toutes les valeurs patrimoniales sur lesquelles une organisation criminelle exerce un pouvoir de disposition. Les valeurs appartenant à une personne qui a participé ou apporté son soutien à une organisation criminelle (article 260ter) sont présumées soumises, jusqu’à preuve du contraire, au pouvoir de disposition de l’organisation ». Cette disposition, adoptée lors de la révision législative de 19941051, va plus loin que les standards internationaux de l’époque ; la Convention no 141 du Conseil de l’Europe ne contient aucune disposition exigeant ce que l’article 72 CP prévoit1052. L’objectif de cette nouvelle disposition est d’attaquer la capacité de fonctionnement des organisations criminelles en les privant de leurs sources économiques1053. A cet égard, la confiscation en vertu de l’article 72 CP 1047 1048 1049 1050 1051 1052 1053 STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 129 ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 71 CP, N. 5 ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 114. Voir p. 221 de la présente étude. Voir p. 223 de la présente étude. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 316 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 70/71 CP, N. 51. Message (note 878), FF 1993 III 269. L’adoption de l’article 72 CP est intervenue en même temps que celle de l’article 260ter CP. CASSANI (2008), p. 336. « Cette confiscation facilitée a été prévue d’une part pour améliorer les moyens d’action contre les organisations de ce genre et d’autre part pour permettre à la justice d’avoir accès à leurs fonds de roulement. L’effet recherché dans ce type de cas est aussi préventif dans la mesure où l’on tente de saper les bases financières de l’organisation criminelle en cause » (Message relatif aux Conventions internationales pour la répression du financement du terrorisme et pour la répression des attentats terroristes à l’explosif 226 I. La confiscation dans le CP suisse ressemble à la confiscation en vertu de l’article 69 CP, en ce qu’elle remplit une certaine fonction préventive1054. Selon F. Baumann, la confiscation en vertu de l’article 72 CP ressemble plus à la confiscation en vertu de l’article 70 CP, car on peut raisonnablement présumer l’origine illicite des valeurs patrimoniales qui sont dans le pouvoir de disposition d’une organisation criminelle1055. L’article 72 CP renforce la portée des dispositions en matière d’entraide1056, ainsi que la portée de l’article 305bis CP, qui incrimine le blanchiment d’argent, c’est-à-dire l’entrave à la confiscation de valeurs patrimoniales issues d’un crime1057. 7.1. La notion d’organisation criminelle La première question qui se pose est celle de la définition de l’« organisation criminelle », dans le pouvoir de disposition de laquelle sont les valeurs à confisquer en vertu de l’article 72 CP. La notion de la criminalité organisée soulève souvent des controverses1058. En droit pénal suisse, la définition de l’expression « organisation criminelle » est fournie par l’article 260ter CP, qui a été introduit par le second train de mesures contre le blanchiment d’argent et la criminalité organisée1059. Selon cette disposition, il s’agit d’une organisation « qui tient sa structure et son effectif secrets et qui poursuit le but de commettre des actes de violence criminels ou de se procurer des revenus par des moyens criminels». Le nombre des jugements suisses ayant retenu l'infraction d'organisation criminelle est si limité que l’article 260ter CP peut être considéré comme un échec au niveau de son application directe1060. Dans le domaine de l'entraide, l’adoption de l'article 260ter CP a eu une influence positive « dans de très nombreux cas »1061. Malheureusement, l’absence de statistiques en matière de confiscation ne nous permet pas d’évaluer avec précision l’impact de l’article 72 CP sur la pratique des tribunaux1062. 1054 1055 1056 1057 1058 1059 1060 1061 1062 ainsi qu’à la modification du code pénal et à l’adaptation d’autres lois fédérales du 26 juin 2002, FF 2002 5014, p. 5032). ATF 131 II 169 (Abacha), consid. 9 ; STEGMANN (2004), p. 82 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 72 CP, N. 2 ; HURTADO POZO (2008), p. 528 ; VOUILLOZ (2009), Art. 69 CP, N. 12 ; TSCHIGG (2003), n. 123. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 72 CP, N. 2. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 316 ; TRECHSEL (2008), Art. 260ter CP, N. 1 & art. 72 CP, N. 1 ; ATF 131 II 169 (Abacha), consid. 9.1. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 316 ; AUGSBURGER-BUCHELI / PERRIN (2006), p.265; Cf. aussi ARZT (1996), p. 95. Voir p. 6 de la présente étude. Message (note 878), FF 1993 III 269 ; DONATSCH / WOHLERS (2004), p. 191 ss. Les données de l’Office fédéral de la statistique (juillet 2010) confirment cette afffirmation : entre 1994 et 2008 il n’y a eu que 35 condamnations selon l’article 260ter CP (date d’entrée en vigueur de la disposition: 01.08.1994). DE VRIES REILINGH (2002), p. 291. Sur ce problème, voir en général: VETTORI (2006), p. 13 ; il est important de savoir le nombre des confiscations prononcées, les bases légales utilisées, les catégories d’infractions en amont, la valeur et le sort des avoirs confisqués. 227 Troisième partie : le droit suisse a. La notion d’ « organisation ». La notion d’ « organisation » est plus étroite que celle de groupement (275ter CP) ou de bande (articles 139 ch. 3 al. 2 et 140 ch. 3 al. 1 CP). Le terme fait allusion à l'existence d’un groupe de trois personnes ou plus1063. Selon G. Arzt, l’organisation doit compter au moins sept membres1064. Dès lors que le nombre de personnes est un critère du reste critiquable, l’accent doit être mis sur la volonté des membres « d’entreprendre leurs activités de manière durable et selon un plan arrêté qui permet de faire la distinction avec les autres formes de criminalité de groupe, comme par exemple la bande dont la constitution et les activités dépendent plus d'un certain opportunisme »1065. Le groupe est créé pour durer longtemps et indépendamment d'une modification de la composition de ses effectifs1066. En outre, le groupe doit être organisé, c’est-à-dire qu’il doit y avoir une structure, des règles et une répartition des tâches entre les membres. La définition d’ « organisation » inclut des éléments comme « la soumission à des règles, une répartition des tâches, l'absence de transparence ainsi que le professionnalisme qui prévaut aux différents stades de son activité criminelle; on peut notamment songer aux groupes qui caractérisent le crime organisé, aux groupements terroristes, etc. ». b. La notion de « secret ». Pour être qualifiée d’organisation criminelle aux termes de l'article 260ter CP, l'organisation doit tenir sa structure et son effectif secrets1067. Le secret porte sur ces deux éléments et pas sur l’existence de l’organisation criminelle. Selon le TF, il s’agit d’une « dissimulation qualifiée et systématique, qui ne doit pas nécessairement porter sur l'existence de l'organisation elle-même mais sur la structure interne de celle-ci et le cercle de ses membres et auxiliaires ». Cette définition fait allusion à un niveau de secret plus élevé que la discrétion associée aux activités délictueuses ordinaires. c. La notion de « but particulier ». Le groupe structuré poursuit le but de commettre des crimes violents ou de s’enrichir au moyen de crimes1068 ; cependant, il peut également entreprendre des activités légales, en particulier, pour camoufler sa nature véritable1069. Selon la jurisprudence, le but est « [l]e but criminel doit être le but propre de l'organisation, dont l'activité doit concerner pour l'essentiel - mais non pas exclusivement - la commission de crimes, c'est-à-dire en tout cas d'infractions que le droit suisse qualifie de crimes »1070. Si l’activité illicite de l’organisation se limite à la commission de délits ou de contraventions, il ne s’agit pas d’une organisation criminelle au sens de l’article 260ter CP. Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser que l’article 260ter CP est également 1063 1064 1065 1066 1067 1068 1069 1070 228 Message (note 878), FF 1993 III 269, 290 ; TRECHSEL (2008), Art. 260ter CP, N. 4. ARZT (2007), Art. 260ter CP, N. 121 ; cf. aussi DONATSCH / WOHLERS (2004), p. 192. DE VRIES REILINGH (2002), p. 293. ARZT (2007), Art. 260ter CP, N. 119 ss. TRECHSEL (2008), Art. 260ter CP, N. 5 ; ARZT (2007), Art. 260ter CP, N. 136 ss ; DONATSCH / WOHLERS (2004), p. 193. ARZT (2007), Art. 260ter CP, N. 148 ss. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 289 ; TRECHSEL (2008), Art. 260ter CP, N. 6. Arrêt du Tribunal fédéral du 27 août 1996, 6S.463/1996, SJ 1997, 1 ss. I. La confiscation dans le CP suisse applicable aux groupements terroristes1071, ce qui était aussi clair au regard du Message fédéral1072. 7.2. Le pouvoir de disposition de l’organisation criminelle La première phrase de l’article 72 CP prévoit la confiscation de toutes les valeurs patrimoniales sur lesquelles une organisation criminelle exerce un pouvoir de disposition. Les valeurs sont assujetties à la confiscation non parce qu’elle proviennent d’une infraction, ce qui peut être le cas, mais parce qu’elles appartiennent au pouvoir de disposition de l’organisation criminelle. La question se pose donc de définir cette dernière notion. Le pouvoir de disposition constitue une forme de « maîtrise » sur des valeurs patrimoniales. Toutefois, dès lors que l’organisation criminelle est une organisation illégale, sans personnalité juridique, qui dissimule son existence, nous ne pouvons parler ni de droit réel opposable, ni de maîtrise au sens classique du droit civil1073. La maîtrise de la chose implique, d’une part, une relation étroite et durable avec la chose et, d’autre part, la volonté d'exercer cette maîtrise. En examinant ces deux éléments, il est difficile d’admettre que l’organisation criminelle (entité illégale, sans personnalité juridique) peut exercer un pouvoir de disposition secret, que la loi ne reconnaît pas. Dans ce contexte, l’élément déterminant doit être la maîtrise de fait ou la puissance effective exercée sur les valeurs patrimoniales à confisquer sur la base de l’article 72 CP1074. L’organisation criminelle doit être en position de saisir les valeurs patrimoniales conformément à ses besoins. Il faut ainsi mettre l’accent sur les relations économiques et non sur celles de nature juridique1075. L’article 72 CP se réfère à des valeurs patrimoniales. Nous avons eu l’occasion de préciser que cette notion, employée également à l’article 70 CP, recouvre tout avantage ayant principalement une valeur économique1076. Toutefois, il faut exclure les avantages abstraits, tels que la non-augmentation du passif et la non-diminution de l'actif, car il ne peut pas y avoir de « pouvoir de disposition » au sens de l’article 72 CP1077. La confiscation de personnes 1071 1072 1073 1074 1075 1076 1077 ATF 125 II 569, consid. 5c. Selon la jurisprudence du TF sur le terrorisme, les « Brigate rosse » italiennes, l’organisation basque ETA, l’Armée de libération du Kosovo ou le réseau international Al-Qaïda sont des organisations criminelles au sens de l’article 260ter CP ; ATF 1A.50/2005 consid. 2.6, qui fait référence aux ATF 128 II 355 consid. 2.2, et ATF 125 II 569 consid. 5c à 5d ; ATF 131 II 235, consid. 2.12 à 2.14. Message (note 1053), FF 2002 5014, p. 5061 ; Message (note 878), FF 1993 III 269, 288. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 72 CP, N. 3 ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 72 CP, N. 2. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 309 ; STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 136. TRECHSEL (2008), Art. 72 CP, N. 2 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 72 CP, N. 4. PIETH (2007), BK StGB II, Art. 305bis, N. 5 ; STRATENWERTH / BOMMER (2008), BT II, § 55, N. 26 ; CORBOZ (2002), Art. 305bis CP, N. 9. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 72, N. 7. 229 Troisième partie : le droit suisse morales et d’entreprises (plus précisément : des actions / titres de propriété) est aussi possible au sens de cette disposition1078. 7.3. Le renversement du fardeau de la preuve La deuxième phrase de l’article 72 CP introduit une présomption défavorable aux personnes physiques ou morales qui ont participé ou apporté leur soutien à une organisation criminelle (article 260ter CP). Ainsi, les valeurs patrimoniales appartenant aux membres de l’organisation criminelle ou aux personnes qui soutiennent une telle organisation sont présumées soumises au pouvoir de disposition de l'organisation et peuvent être confisquées1079. Il suffit que la personne visée soit punissable en vertu de l’article 260ter CP1080. L’article 72 CP remonte de ce fait à l’existence de pouvoir de disposition de l’organisation criminelle sur les valeurs patrimoniales. Ainsi, il n'est pas nécessaire de prouver que la personne a commis une infraction déterminée, ni que les valeurs proviennent d'une infraction1081. La présomption remédie aux stratégies de gestion de l’organisation criminelle, en particulier l’emploi de personnes interchangeables ; comme l’indique M. Kilchling, « […] money typically flows through a large number of nominee accounts so that it cannot be attributed to a particular person with any degree of certainty »1082. Une condamnation n'est pas nécessaire : si aucun jugement ne se prononce sur l'appartenance à l’organisation criminelle, le juge de confiscation devra trancher si la personne concernée a participé ou apporté son soutien à une organisation criminelle au sens de l'article 260ter CP1083. Selon la jurisprudence, la participation à une organisation criminelle implique que le membre s'y intègre et y déploie une activité concourant à la poursuite du but criminel de l'organisation1084. L’appartenance suffit ; il n’est donc pas nécessaire de prouver que le membre a effectivement participé à la commission d’une infraction concrète en tant que membre de l’organisation criminelle. Le soutien à l'activité d'organisation criminelle implique qu’une 1078 1079 1080 1081 1082 1083 1084 230 SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 128 et les références citées ; SCHWARZENEGGER / HUG / JOSITSCH (2007), p. 214. Il est intéressant de noter que la Commission européenne a récemment proposé la création d’un nouvel instrument juridique permettant la confiscation d’actifs disproportionnés par rapport aux revenus déclarés de leur propriétaire, si celui-ci « entretient habituellement des contacts avec des personnes connues pour leurs agissements criminels ». Un tel renversement du fardeau de la preuve ressemble beaucoup à celui introduit par l’article 72 CP en droit suisse ; cf. Communication de la Commission (note 7), section 3.3.2. Sur les « pouvoirs de confiscation élargis » en droit de l’UE voir p. 144 ss et p. 148 ss de la présente étude. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 310; TRECHSEL (2008), Art. 72 CP, N. 3 ; MASONI (2006), p. 326. Arrêt du Tribunal pénal fédéral du 24 juillet 2006, BB.2006.16, consid. 5.1. KILCHLING (1997), p. 358. Arrêt du Tribunal pénal fédéral du 7 février 2005, 6P.142/2004, consid. 4.1 ; cf. aussi STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 137 ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 72 CP, N. 3 ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 192. ATF 125 II 569, consid. 4b ; ARZT (2007), Art. 260ter CP, N. 152 ss. I. La confiscation dans le CP suisse personne externe à cette organisation (« outsider »)1085 contribue, notamment comme intermédiaire, à cette activité, encourage ou favorise celle-ci ou fournit une aide servant directement le but criminel. Contrairement à la complicité au sens de l’article 25 CP, il ne faut pas ici établir un rapport de causalité entre le comportement de l'auteur et la commission d'une infraction déterminée1086. S’agissant d’un soutien limité, le renversement en vertu de l’article 72 CP est problématique sous l’angle du principe de la proportionnalité1087. La personne concernée doit connaître l'existence d'une organisation et soutenir ses buts illicites au moins par dol éventuel, en les envisageant et en les acceptant1088. La jurisprudence cite à titre d'exemple le cas de celui qui, « bien que conscient des liens existant entre sa prestation et le but poursuivi par l'organisation, fournit à cette dernière des armes qui seront retrouvées ultérieurement à l'occasion d'attentats ou encore de celui qui gère des fonds en sachant pertinemment que sa prestation de service profite à l'organisation criminelle »1089. Le fait qu’une personne morale peut être auteur de l’infraction au sens de l’article 260ter CP (102 al. 2 CP) élargit le champ d’application de la confiscation en vertu de l’article 72 CP. L’expression « jusqu'à preuve du contraire » signifie que la présomption est réfragable. Il s’agit ici de la technique du renversement du fardeau de la preuve. La question se pose de savoir ce que la personne touchée par l’article 72 CP doit prouver pour se protéger contre la confiscation. Selon la lettre de la disposition, le fardeau de la preuve étant renversé, il incombe à la personne concernée de prouver l’inexistence du pouvoir de disposition de l’organisation criminelle. Certes, il est difficile de prouver l’inexistence d’un fait ou d’un rapport (probatio diabolica). Selon une partie de la doctrine, il faut une preuve positive ; la personne concernée doit notamment tenter de prouver qu’elle a acquis légalement les valeurs patrimoniales en question1090. Toutefois, selon G. Strantenwerth, la preuve de l’origine licite ne suffit pas, car l’article 72 CP prévoit formellement la confiscation de toutes les valeurs patrimoniales (d’origine licite ou illicite) sur lesquelles une organisation criminelle exerce un pouvoir de disposition1091. Cet argument est à notre avis plus convaincant du point de vue méthodologique, même si le résultat pratique n’est pas très satisfaisant (nécessité de prouver l’inexistence de pouvoir de disposition de 1085 1086 1087 1088 1089 1090 1091 TRECHSEL (2008), Art. 260ter CP, N. 10 ; ARZT (2007), Art. 260ter CP, N. 159 ss ; DONATSCH / WOHLERS (2004), p. 194. Le soutien au sens de l’article 260ter CP et la complicité à une infraction concrète sont en concours idéal ; ATF 128 II 335. SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 202. Cet auteur est en faveur d’une différenciation en fonction du rôle de la personne dans l’organisation criminelle. CASSANI (2003), p. 304. ATF 125 II 569, consid. 4b. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 311. STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 72 CP, N. 3. Voir aussi : arrêt du Tribunal fédéral du 7 juin 2005, 1S.16/2005, consid. 2. 231 Troisième partie : le droit suisse l’organisation criminelle). Si nous admettons la solution de la preuve négative, les exigences quant aux standards de la preuve ne doivent pas être très élevés1092. Il appartient au législateur de clarifier la manière dont la « preuve du contraire » peut être apportée. Il faut examiner si le renversement du fardeau de la preuve introduit par l’article 72 CP viole la présomption d’innocence, consacrée par l'article 6 § 2 CEDH et l’article 32 al. 1 Cst. féd1093. Une partie de la doctrine considère ce renversement du fardeau comme une disposition problématique1094. Néanmoins, nous pouvons mentionner deux éléments qui relativisent la portée de la présomption légale introduite par la deuxième phrase de l’article 72 CP. D’une part, le renversement ne porte pas sur toutes les infractions du CP ; il faut établir que la personne touchée est membre d'une organisation criminelle, aux termes de l'article 260ter CP. D’autre part, la présomption n'est pas irréfragable et la personne touchée peut protéger ses droits de propriété en établissant que les avoirs en question ne sont pas sous le contrôle de l’organisation criminelle (solution plus appropriée : établir l’origine licite des avoirs). 7.4. Vers un renversement général du fardeau de la preuve pour les infractions du droit pénal économique ? Le droit suisse ne prévoit pas de renversement général du fardeau de la preuve, comme le font les conventions internationales à titre facultatif1095. La proposition, avancée dans le cadre de la révision législative de 1994, d’introduire un allègement de la preuve (article 58ter AP-CP1096) a suscité des controverses et n’a pas été adoptée. Cette « confiscation facilitée » concernait les cas où il était prouvé que des avantages illicites d'un montant considérable avaient été obtenus par le biais de crimes continus ou répétés ; l’article 58ter AP-CP permettait ainsi au juge d’ordonner la confiscation de « toutes les valeurs patrimoniales obtenues par la personne en cause durant un laps de temps en rapport avec les infractions et dont l'acquisition licite ne pouvait être rendue plausible »1097. A notre avis, l’article 58ter AP-CP ou une disposition de ce type pourrait être utile dans les cas d’infractions particulièrement graves. 1092 1093 1094 1095 1096 1097 232 SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 200 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 72, N. 11. Voir p. 40 ss de la présente étude. STRATENWERTH (2009), p. 120 ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 190 ; SCHMID (1995), p. 349, 354 ; ARZT (1993), p. 77 ss. CASSANI (2008), p. 336 ; CASSANI (2009), p. 241. Modification du code pénal et du code pénal militaire concernant la punissabilité de l'organisation criminelle, la confiscation, le droit de communication du financier, ainsi que la responsabilité de l'entreprise, Avantprojet et rapport explicatif du DFJP, mars 1991 ; ARZT (1993), p. 83 ss. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 281. I. La confiscation dans le CP suisse L’idée d’introduire un renversement du fardeau de la preuve concernant la provenance illicite des avoirs des dirigeants politiques corrompus est intéressante et moralement solide1098 ; cette idée a été mise en œuvre par la LRAI1099. A notre avis, la voie pénale (modification du CP) serait une solution plus satisfaisante du point de vue méthodologique1100. En outre, la question se pose de savoir si l’établissement de présomptions de manière « sectorielle », en particulier dans des lois administratives en matière de confiscation, est vraiment satisfaisant du point de vue de la technique législative. Nous ne contestons pas le fait que la corruption de dirigeants politiques étrangers est une forme de criminalité économique grave ; cependant, pourquoi introduire un renversement du fardeau de la preuve uniquement dans ce cas et pas, p. ex., pour les avoirs détenus par les personnes condamnées de blanchiment d’argent ou d’autres infractions du droit pénal économique ? L’étude de la législation danoise, irlandaise, italienne et britannique en matière de confiscation (voir tableau) démontre qu’il n’y a pas d’uniformité ou de consensus sur les critères à employer en matière de renversement du fardeau de la preuve. Parmi ces critères se trouvent : la commission d’une infraction (pas nécessairement en matière de stupéfiants), la condamnation pénale, l’accroissement du patrimoine disproportionné par rapport à l’activité économique, la définition d’une période « suspecte » pour l’obtention des avoirs, etc. La difficulté principale qui se pose est de déterminer quelles infractions du droit pénal économique (et pas seulement) constitueraient des infractions en amont à propos de ce renversement. Dans ce contexte, l’étude du droit comparé peut constituer une source d’inspiration pour ceux qui envisagent un renversement général du fardeau de la preuve. Même si cette proposition va très loin et n’est pas actuellement discutée en Suisse, l’article 58ter AP-CP devrait, à notre avis, être soumis à un réexamen de la part du législateur et de la doctrine. 1098 1099 PIETH (2007), p. 505 ; CASSANI (2009), p. 251. Voir p. 289 ss de la présente étude. Voir aussi OCDE (2004), Suisse : rapport sur l’application de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales et de la recommandation de 1997 sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales, rapport approuvé et adopté par le Groupe de travail sur la corruption dans le 1100 cadre de transactions commerciales internationales le 24 décembre 2004, p. 48. CASSANI (2009), p. 251 ss. 233 Troisième partie : le droit suisse Renversement du fardeau de la preuve en matière de confiscation : exemples Pays Danemark Irlande Italie RoyaumeUni 234 Base légale et conditions du renversement Article 76a CP danois Si les conditions suivantes sont remplies, les avoirs sont présumés d’origine illicite et sont confisqués, sauf si la personne touchée par la confiscation établit leur origine licite : 1. Infractions en matière de stupéfiants ou infractions passible d’une peine d’emprisonnement de 6 ans ou plus ; 2. Acte propre à générer des gains financiers importants ; 3. Avoirs appartenant à l’auteur de l’infraction ; 4. Avoir acquis par certains tiers : l’époux ou le cohabitant de l’auteur de l’infraction (al. 2) ou une morale sur laquelle l’auteur de l’infraction a un contrôle décisif (al. 3) ; dans ce cas, le transfert doit avoir lieu 5 ans avant la commission de l’infraction. Sections 5 et 8 Criminal Justice Act (15/1994) Si les conditions suivantes sont remplies, les avoirs sont présumés d’origine illicite et sont confisqués, sauf si la personne touchée par la confiscation établit leur origine licite : 1. Infractions en matière de stupéfiants ; 2. Avoirs obtenus / dépenses faites par l’accusé six ans avant la poursuite. Article 12sexies de la loi 356 du 7 août 1992 Si les conditions suivantes sont remplies, les avoirs sont présumés d’origine illicite et sont confisqués, sauf si la personne touchée par la confiscation établit leur origine licite : 1. Infractions énumérées (infractions en matière de stupéfiants, participation à une organisation criminelle, blanchiment d’argent, etc.) ; 2. Condamnation ; 3. Avoirs appartenant au pouvoir de disposition de la personne condamnée. Article 2ter de la loi 575 du 31 mai 1965 Si les conditions suivantes sont remplies, les avoirs sont présumés d’origine illicite et sont bloqués (et confisqués), sauf si la personne touchée par le gel établit leur origine licite : 1. Personne soupçonnée d’appartenir à une organisation mafieuse ; 2. Accroissement du patrimoine disproportionné par rapport à l’activité économique. Sections 6, 10 et 75 Proceeds of Crime Act Si les conditions suivantes sont remplies, les avoirs sont présumés d’origine illicite et sont confisqués, sauf si la personne touchée par la confiscation établit leur origine licite : 1. Condamnation ; 2. « Criminal lifestyle ». Trois conditions alternatives : a. Infraction énumérée au Schedule 2 (infractions en matière de stupéfiants, blanchiment d’argent, trafic illicite d’armes, etc.); b. « course of criminal activity » et gain financier retiré d’au moins £5,000 ; infraction commise dans une période d’au moins six mois et gain financier retiré d’au moins £5,000 3. Avoirs obtenus six ans avant la poursuite. I. La confiscation dans le CP suisse Suisse 7.5. Article 72 CP Si les conditions suivantes sont remplies, les avoirs sont présumés d’origine illicite et sont confisqués, sauf si la personne touchée par la confiscation établit leur origine licite : 1. Participation ou soutien d’une personne à une organisation criminelle ; 2. Valeurs patrimoniales appartenant à cette personne. Article 6 LRAI Si les conditions suivantes sont remplies, les avoirs sont présumés d’origine illicite et sont confisqués, sauf si la personne touchée par la confiscation établit leur origine licite : 1. PPE qui exerce ou a exercé une fonction publique ; 2. Valeurs patrimoniales bloquées ; 3. Pouvoir de disposition appartenant à une PPE ou à son entourage ; 4. Accroissement du patrimoine exorbitant en relation avec l'exercice de la fonction ; 5. Corruption notoire de l’Etat d'origine ou de la PPE durant la période d'exercice de la fonction publique de celle-ci. La protection des droits des tiers L’application par analogie de l’article 70 ch. 1 in fine CP a été proposée pour permettre de restituer au lésé les valeurs patrimoniales qui sont confiscables en vertu de l’article 72 CP1101. Si les valeurs originales ne sont plus disponibles, la question se pose de savoir si l’allocation au lésé est possible en vertu des l’article 73 CP1102. Enfin, dès lors que l’article 72 CP ne prévoit aucune forme de protection des tiers de bonne foi, la doctrine propose l’application par analogie de l’article 70 ch. 1 in fine CP1103. 7.6. La prescription En ce qui concerne la prescription, il faut ici bien séparer entre l’article 72 1e phrase CP et l’article 72 2e phrase CP (renversement du fardeau de la preuve). En appliquant par analogie les dispositions du CP relatives à la prescription de l’action pénale, nous admettons qu’un délai de sept ans commence à courir au moment où le pouvoir de disposition prend fin1104. En outre, la confiscation n’est pas possible si l’organisation criminelle n’est plus active et il y a prescription en vertu des articles article 260ter CP et 97 CP (affaire Duvalier)1105. La prescription de l’infraction dont proviennent effectivement les valeurs à 1101 1102 1103 1104 1105 SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 135 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 72, N. 15. Sur ce rapport entre les articles 72 et 73 CP voir p. 237 ss de la présente étude. SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 136 ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 72, N. 15. VOUILLOZ (2009), Art. 72 CP, N. 26. Arrêt du Tribunal fédéral du 12 janvier 2010, 1C.374/2009, consid. 6.5. 235 Troisième partie : le droit suisse confisquer n’importe pas, car le critère pour la confiscation au sens l’article 72 CP n’est pas la provenance illicite des avoirs mais le pouvoir disposition d’une organisation criminelle sur ces avoirs. La confiscation vertu de l’article 72 2e phrase CP n’est pas possible si la poursuite l’infraction en cause (article 260ter CP) est prescrite. 8. de de en de L’allocation au lésé en vertu de l’article 73 CP L’objectif de l’article 73 ch. 1 CP est d’assurer que le lésé sera indemnisé pour le dommage causé par l’auteur de l’infraction1106. Le CP, dans sa version de 1942, prévoyait également cette possibilité à l’article 60, considéré pourtant par la jurisprudence comme une disposition potestative1107. A la suite d’un changement de jurisprudence1108, la disposition a été modifiée en 19911109 ; l’allocation au lésé est ainsi ordonnée impérativement, lorsque les conditions fixées par le CP sont remplies1110. Pour leur part, les révisions du CP de 1994 et de 2002 n’ont pas apporté de modifications importantes1111 au texte de la disposition, devenue désormais l’article 73 CP. A la suite d’une confiscation, l’auteur de l’infraction risque de ne plus être en mesure d’indemniser le lésé1112. L’objectif de réparation du dommage subi par une infraction occupe une place de plus en plus importante dans le droit pénal moderne1113. Suivant cette logique, la confiscation ne doit pas compromettre le dédommagement du lésé, ce qui constitue précisément l’objectif de l’article 73 CP. En ce qui concerne sa nature juridique, la prétention fondée sur l’article 73 CP tend au versement de prestations par l'Etat et relève du droit public1114 ; elle ne constitue donc pas une contestation civile au sens de l’article 120 al. 1 1106 1107 1108 1109 1110 1111 1112 1113 1114 HURTADO POZO (2008), p. 528. ATF 89 IV 171, consid. 2c : « le juge peut admettre ou rejeter la requête en vertu du pouvoir d'appréciation que lui confère la loi ». ATF 117 IV 107, consid. 2c. Loi fédérale du 4 octobre 1991 sur l’aide aux victimes d’infractions (LAVI), RS 312.5, entrée en vigueur le 1er janvier 1993. Message du Conseil fédéral du 25 avril 1990, FF 1990 II 909, 996 ; TRECHSEL (2008), Art. 73 CP, N. 2. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73 CP, N. 1. Par exemple, lors de la révision de 2002, l’élément de la peine pécuniaire a été ajouté à l’article 73 ch. 1 let. a CP ; l’expression « s’il est à prévoir » de l’ancien article 60 CP a ainsi été remplacée par « s’il y a lieu de craindre » ; l’expression « judiciairement ou par accord » a été remplacée par « par un jugement ou par une transaction » BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73 CP, N. 2-3 ; SCHMID (2007), Art. 73 CP, N. 8 ; KILLIAS / KUHN / DONGOIS /AEBI (2008), p. 281. TRECHSEL (1997), p. 270 ; TULKENS / VAN DE KERCHOVE (2005), p. 61 ss ; MASONI (2006), p. 326. ATF 104 IV 71 consid. 3c et les arrêts cités. 236 I. La confiscation dans le CP suisse let. b LTF (ancien article 42 OJ)1115. Il en découle que l’allocation au lésé au sens de l’article 73 CP l’emporte sur les prétentions civiles de tiers1116. L’importance pratique de l’article 73 CP est pourtant limitée en raison de la possibilité de restitution immédiate en vertu de l’article 70 ch. 1 in fine CP1117. Si les conditions de la restitution immédiate sont remplies, il n’y a pas lieu d’ordonner une confiscation et, ultérieurement, une allocation en vertu de l’article 73 CP1118. Selon la doctrine, l’institution prévue à l’article 73 CP est beaucoup plus utile dans le cadre de l’allocation au lésé du montant de la peine pécuniaire, étant donné l’importance des peines pécuniaires dans la philosophie de la sanction pénale1119. L’absence de statistiques en matière de confiscation nous empêche pourtant d’évaluer l’importance pratique de ces dispositions. La question des valeurs susceptibles d’être allouées au lésé ne pose pas de difficultés, sauf pour l’allocation du montant de la créance compensatrice. Celle-ci confère simplement au lésé une créance dont l’exécution relève de la LP. 8.1. Les conditions d’application L’article 73 CP définit la notion de « lésé » en se référant à la notion de « dommage » . Toutes les formes de dommage reconnues par le droit civil sont couvertes1120, en particulier la perte éprouvée (damnum emergens) et le gain manqué (lucrum cessans). La doctrine admet que le bénéfice manqué (entgangener Gewinn) doit être indemnisé1121, dès lors que la victime d’une infraction doit souvent faire face à une telle situation désagréable. D’autres dispositions de droit civil peuvent introduire une responsabilité civile délictuelle, en prévoyant des prétentions en restitution des profits1122 ; ces prétentions sont couvertes par l’article 73 CP. Les prétentions découlant d’un contrat ou de l’enrichissement illégitime ne sont pas couvertes, sauf si les conditions de l’article 41 CO sont remplies. L’article 73 CP se réfère expressément à la réparation du tort moral, ce qui constitue une nouveauté1123. Le tort moral est une notion développée dans le cadre du droit civil, et sa réparation est prévue par les articles 47 et 49 CO. La 1115 1116 1117 1118 1119 1120 1121 1122 1123 ATF 118 Ib 263, consid. 3. VOUILLOZ (2009), Art. 73 CP, N. 5. STRATENWERTH (2006), AT II, § 13, N. 142. ATF 122 IV 365, consid. 2b. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73 CP, N. 2 ; HURTADO POZO (2008), p. 529. Cf. articles 41 ss CO; TRECHSEL (2008), Art. 73 CP, N. 3; MASONI (2006), p. 326. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73 CP, N. 7 ; SCHMID (2007), Art. 73 CP, N. 21. Cf. par exemple, article 423 al. 1 CO ; ATF 126 III 382, consid. 4 HURTADO POZO (2008), p. 528 ; MASONI (2006), p. 326. L’ancien article 60 CP n’était pas clair sur ce sujet. 237 Troisième partie : le droit suisse doctrine proposait une interprétation plus flexible de l’ancien article 60 CP, qui permettrait l’extension du champ d’application au tort moral1124. Cette interprétation a été admise par la jurisprudence, plus précisément par un arrêt du Tribunal fédéral du 12 septembre 19971125. Finalement, cette position de la doctrine et de la jurisprudence a été prise en considération par le législateur lors de la révision du CP de 2002. La notion de « lésé » est plus large que celle de « victime »1126, définie dans l’article 1 LAVI comme la personne « qui a subi, du fait d’une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle ». Toute personne qui a subi un dommage à la suite d’une infraction peut demander une allocation au sens de l’article 73 CP. Le champ d’application de l’article 73 CP couvre les personnes physiques et les personnes morales1127. L’article 73 CP protège le titulaire du bien juridique lésé par l’infraction. En ce qui concerne les tiers qui ont subi un tel dommage, la situation est moins claire1128. La jurisprudence a reconnu la possibilité de faire bénéficier de l’allocation au lésé celui qui subit un dommage réflexe ou indirect1129. La jurisprudence se base sur l’idée que l’Etat ne doit pas s’enrichir au détriment du lésé (direct ou indirect). Pour qu’une telle allocation soit possible, il faut que le lésé direct soit entièrement dédommagé et qu’il n’y ait pas de prétentions préférables de tiers sur les biens confisqués. L’auteur et la personne qui a indemnisé le lésé peuvent répondre sur la base d’une solidarité parfaite ou imparfaite. Selon N. Schmid, les valeurs confisquées ne peuvent servir à indemniser que le lésé et non les personnes qui ont acquis une créance en réparation par cession ou par subrogation légale1130. Cette interprétation est, à notre avis, plus proche du texte de l’article 73 CP. En outre, il faut un double lien entre l’infraction, le dommage et les valeurs patrimoniales à allouer. Il faut d’abord établir un lien de causalité entre l’infraction et le dommage. Le lésé doit avoir subi un dommage, par suite d’un crime ou d’un délit (en vertu de l’article 104 CP, le dommage subi par suite d’une contravention est aussi couvert). Toutefois, cela ne suffit pas. Il faut établir un deuxième lien de causalité, cette fois entre l’infraction et les valeurs à allouer (les valeurs confisquées, l’amende, la peine pécuniaire). Les valeurs patrimoniales provenant d’une infraction commise au préjudice d’un lésé déterminé doivent donc être allouées à ce lésé seul, même si le même 1124 1125 1126 1127 1128 1129 1130 238 SCHMID (1995), p. 360. ATF 123 IV 145 consid. 4. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73 CP, N. 5 ; STRATENWERTH / WOHLERS (2009), Art. 73 CP, N. 2. Les personnes morales du droit public sont exclues : l’article 73 CP en leur faveur n’impliquerait que la redistribution de fonds à l’intérieur du secteur public ; SCHMID (2007), Art. 73 CP, N. 16. MASONI (2006), p. 326. Arrêt du Tribunal fédéral du 1er juillet 2008, 6B.344/2007, consid. 5.3. ; arrêt du Tribunal fédéral du 26 mai 2003, 6S.709/2000 et 6S.710/2000, consid. 7. Dans un autre arrêt, le TF n’a pas admis cette interprétation large du « lésé » (arrêt du Tribunal fédéral du 19 mai 2004, 1P.152/2004, consid. 2.5). SCHMID (2007), Art. 73, N. 20 ; arrêt du Tribunal fédéral du 19 mai 2004, 1P.152/2004, consid. 2.5. I. La confiscation dans le CP suisse auteur a commis plusieurs autres infractions au préjudice de différentes victimes1131. Selon F. Baumann, ce double lien ne peut pas être établi dans le cas de la confiscation en vertu de l’article 72 CP1132 ; dans ce cas, l’élément décisif est le pouvoir de disposition d’une organisation criminelle et non la commission d’une infraction particulière. Cette interprétation exclut la possibilité d’une allocation en vertu de l’article 73 CP dans le cas où les valeurs patrimoniales ont été confisquées sur la base de l’article 72 CP. Même si ce résultat ne nous paraît pas satisfaisant du point de vue moral, nous devons admettre qu’il est méthodologiquement correct. Il est difficile d’affirmer que les valeurs confiscables proviennent de l’infraction à l’article 260ter CP, commise au préjudice des victimes de l’organisation criminelle : les valeurs patrimoniales sont soumises à la confiscation en vertu de l’article 72 CP indépendamment de leur provenance licite ou illicite ; il suffit qu’elles soient soumises au pouvoir de disposition d’une organisation criminelle. L’article 72 CP devrait ainsi être modifié pour permettre l’allocation des valeurs confisquées aux victimes des activités de l’organisation criminelle. Pour que l’allocation au lésé en vertu de l’article 73 CP soit possible, le dommage ne doit être couvert par aucune assurance. Cette restriction est raisonnable, car le lésé ne doit pas s’enrichir en employant le mécanisme prévu à l’article 73 CP1133. La forme d’assurance et la personne qui l’a souscrite n’importent pas1134. Le contrat d’assurance doit prévoir que l'assureur indemnise le dommage subi ; l'assureur est ensuite qualifié pour exercer son recours contre le responsable du dommage (Anspruchskonkurrenz)1135. L’assureur qui indemnise le dommage du lésé subit un dommage réflexe, forme de dommage qu’une partie de la jurisprudence admet comme base suffisante pour l’allocation au sens de l’article 73 CP1136. Les prestations de l’Etat en vertu de la LAVI ne peuvent pas être qualifiées d’ « assurance » au sens de l’article 73 CP. Selon l’article 4 LAVI, « [l]es prestations d’aide aux victimes ne sont accordées définitivement que lorsque l’auteur de l’infraction ou un autre débiteur ne versent aucune prestation ou ne versent que des prestations insuffisantes » ; la LAVI est donc subsidiaire à l’article 73 CP1137. La 1131 1132 1133 1134 1135 1136 1137 Schmid (2007), Art. 73, N. 24 ; Schwarzenegger / Hug / Jositsch (2007), p. 217. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73 CP, N. 12 ; VOUILLOZ (2009), Art. 73 CP, N. 15. Contra: SCHMID (2007), Art. 73, N. 24. TRECHSEL (2008), Art. 73 CP, N. 6. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73 CP, N. 13. Les cas d’Anspruchskumulation ne sont pas couverts ; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73 CP, N. 13. Cf. arrêts cités (note 1129). Voir aussi la loi abrogée du 4 octobre 1991 sur l’aide aux victimes d’infractions [RO 1992 2465, 1997 2952 ch. III, 2002 2997, 2005 5685 annexe ch. 20]. Selon l’article 14 al.1 de cette loi, « [l]es prestations que la victime a reçues à titre de réparation du dommage matériel sont déduites du montant de l’indemnité. […] Les prestations reçues à titre de réparation du tort moral sont déduites de la même manière de la somme allouée à titre de réparation morale » ; TRECHSEL (2008), Art. 73 CP, N. 9. 239 Troisième partie : le droit suisse nouvelle LAVI a résolu un problème pratique de l’ancien droit: en vertu de l’article 16 ch. 3 aLAVI, la victime devait introduire ses demandes d’indemnisation et de réparation morale auprès de l’autorité compétente dans un délai de deux ans à compter de la date de l’infraction. Dès lors que ce délai était assez court, les prétentions de la victime risquaient d’être périmées, si le tribunal n’ordonnait pas promptement l’allocation en vertu de l’article 73 CP. La nouvelle LAVI prévoit un délai de cinq ans (article 25 LAVI). En pratique, la victime introduit en même temps la demande d’indemnisation en vertu de la LAVI et la demande d’allocation au lésé en vertu de l’article 73 CP1138. Il existe deux autres conditions qui limitent le champ d’application de l’article 73 CP. D’une part, l’article 73 al. 1 CP prévoit que l’allocation au lésé n’est possible que « s’il y a lieu de craindre que l’auteur ne réparera pas le dommage ou le tort moral ». Selon N. Schmid, l’allocation au lésé doit être exclue, s’il est raisonnable de présumer que la demande d'indemnisation civile aboutira1139. A notre avis, il faut encore que les dommages-intérêts soient effectivement versés. D’autre part, selon l’article 73 al. 2 CP, le juge ne peut ordonner l’allocation au lésé que si celui-ci cède à l’Etat une part correspondante de sa créance1140. Cette restriction est raisonnable est justifiée, car autrement l’auteur de l’infraction risquerait de payer deux fois1141. 8.2. Questions de procédure En ce qui concerne les conditions procédurales, l’allocation au lésé n’est possible qu’à la demande de celui-ci. Cette demande peut être introduite dans la phase de l’instruction, dans le procès pénal ou après le jugement qui ordonne la confiscation (l’article 73 ch. 3 se réfère expressément à cette situation). Le juge pénal compétent, matériellement et territorialement, est aussi compétent pour ordonner l’allocation au lésé. L’article 378 CPP prévoit qu’en cas de confiscation autonome, le Ministère public ou le tribunal statue sur les demandes du lésé portant sur l’allocation en leur faveur des objets et des valeurs patrimoniales confisqués. Selon l’article 378 CPP, l’article 267, al. 3 à 6 CPP (décision concernant les objets et valeurs patrimoniales séquestrés) est applicable par analogie. Ainsi, l’allocation au lésé est prononcée dans la décision finale (article 267, al. 3 CPP, par analogie)1142. S’il y a plusieurs lésés, le tribunal peut statuer sur l’attribution des valeurs patrimoniales (267, al. 4 CPP, par analogie). En outre, l’autorité pénale peut attribuer les objets ou les valeurs patrimoniales à une 1138 1139 1140 1141 1142 240 TRECHSEL (2008), Art. 73 CP, N. 9; BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73 CP, N. 13. SCHMID (2007), Art. 73 CP, N. 33-34. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73 CP, N. 17. TRECHSEL (2008), Art. 73 CP, N. 7; KILLIAS / KUHN / DONGOIS /AEBI (2008), p. 282. JOSITSCH (2009), p. 191, N. 576. I. La confiscation dans le CP suisse personne et fixer aux autres réclamants un délai pour intenter une action civile (267, al. 5 CPP, par analogie). Si le lésé n’est pas connu, le ministère public ou le tribunal publie la liste des objets et valeurs patrimoniales à confisquer pour que le lésé puisse demander leur allocation en sa faveur. Si dans les cinq ans qui suivent la publication, personne ne demande l’allocation, les valeurs patrimoniales sont acquises au canton ou à la Confédération (267, al. 3 CPP, par analogie). La doctrine propose l’application par analogie de l’article 73 CP à toutes les situations où le dédommagement du lésé risque d’être compromis par la mise en œuvre de sanctions (par exemple, articles 12 et 50 LCart)1143. 9. Le séquestre pénal Le succès d’une action en confiscation dépend largement des mesures de contrainte, interdisant temporairement le transfert, la conversion, la disposition ou le mouvement de biens (saisie pénale ou séquestre pénal). En général, les mesures provisoires visent au maintien d’une situation existante, à la protection des intérêts menacés ou à la préservation des moyens de preuve1144. L’article 196 CPP définit les mesures de contrainte comme des actes de procédure des autorités pénales qui portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes intéressées. Selon la même disposition, les mesures de ce type servent à mettre les preuves en sûreté, assurer la présence de certaines personnes durant la procédure ou garantir l’exécution de la décision finale. Le séquestre restreint la garantie de la propriété (article 26 Cst. féd.), mais cette restriction est compatible avec les conditions prévues à l’article 36 Cst. féd. (base légale, intérêt public, proportionnalité au but visé, respect de l’essence des droits fondamentaux)1145. Selon B. Sträuli, la mesure de la saisie pénale peut être définie comme « l'acte par lequel l'autorité compétente met un objet ou une valeur sous main de justice en acquérant sa maîtrise physique ou en signifiant à son détenteur actuel une restriction au pouvoir d'en disposer »1146. Une telle mesure est une restriction du droit de propriété, mais elle affecte seulement la possession et ne comporte pas de transfert de propriété. Les éléments de preuve découverts lors d’une perquisition ou au cours de l’enquête sont donc saisis et conservés avec le consentement ou contre la volonté de leur détenteur, pour les besoins 1143 1144 1145 1146 BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 73 CP, N. 4 ; SCHMID (2007), Art. 73 CP, N. 13. TRECHSEL (2008), Vor Art. 69 CP, N. 4; FREY (1999), p. 76 ; PIQUEREZ (2007), p. 490 ss. VOUILLOZ F. (2008), p. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral du 10 janvier 2006, 1P.694/2005. STRÄULI (1995), p. 126-127, et les références citées. 241 Troisième partie : le droit suisse du procès ou pour leur confiscation ultérieure1147. En droit suisse, cette fonction est remplie par la procédure du séquestre pénal, régie par les articles 263 ss CPP. Les codes de procédure de la Confédération1148 et des cantons1149, que le CPP a remplacés, prévoyaient également la mesure du séquestre. L’article 263 al. 1 let. a à let. d du nouveau CPP prévoit quatre volets, en fonction des valeurs patrimoniales qui peuvent être mises sous séquestre. Premièrement, il est possible de séquestrer des valeurs patrimoniales, lorsqu’il est probable que celles-ci seront utilisées comme moyens de preuves (saisie probatoire)1150. Deuxièmement, le séquestre est possible, si les valeurs patrimoniales doivent être utilisées pour garantir « le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités » (let. b)1151. Troisièmement, l’article 263 CPP prévoit le séquestre en vue de la restitution au lésé (let. c). Quatrièmement, les valeurs patrimoniales peuvent être mises sous séquestre en vue de leur confiscation (let. d). En tout cas, le caractère provisoire de la saisie implique que cette mesure doit être remplacée par la décision matérielle de confiscation ou de restitution à l'ayant droit1152. Les rapports de droit civil existant sur les valeurs patrimoniales qui font l'objet d’un séquestre conservatoire ne sont pas affectés1153. Il faut que des indices suffisants permettent de suspecter que les valeurs patrimoniales peuvent servir de pièces à conviction, tant à charge qu’à décharge (saisie probatoire) ou que ces valeurs ont servi à commettre une infraction par leur détenteur ou par un tiers ou en sont le produit (saisie confiscatoire)1154. Un rapport de connexité doit être établi entre l’acte 1147 1148 1149 1150 1151 PIQUEREZ (2006), n. 911 ; VOUILLOZ F. (2008), p. 2. Art. 65 ss de la loi fédérale du 15 juin 1934 sur la procédure pénale (PPF). Cf. article 107 al. 2 1ère phrase, 115 A et 181-182 CPP GE; articles 96-97 et 106-106b CPP ZH, article 223 al. 1 CPP VD etc. Les mesures de saisie conservatoire de valeurs patrimoniales étaient connues des procédures cantonales dès avant la ratification de la Convention no 141 ; cf. CASSANI (2008), p. 338. Cela correspond à l’article 65 PPF, qui permettait la mise sous séquestre des objets pouvant servir de pièces à conviction. Ce type de séquestre est régi en détail par l’article 268 CPP. Comme l’indique le Message du Conseil fédéral (note 829), FF 2006 1057, p. 1229, le principe de proportionnalité doit être observé aussi dans le contexte du séquestre en couverture de frais. Plus précisément, « le principe de proportionnalité doit d’abord être pris en considération lorsqu’il s’agit de décider de l’opportunité du séquestre en couverture de frais. On doit disposer d’indices laissant supposer que la mesure est nécessaire, ce qui peut être le cas, par exemple, si le prévenu procède à des transferts de biens aux fins d’empêcher une soustraction ultérieure ou si le prévenu tente de se soustraire à la procédure par la fuite, sans avoir fourni aucune garantie. Le principe de proportionnalité doit ensuite aussi être pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer la valeur des biens mis sous séquestre. C’est à cet aspect que font référence les al. 2 et 3 ». 1152 1153 1154 242 HARARI (1997), p. 171. En tant que simple mesure procédurale provisoire, le séquestre ne préjuge pas de la décision matérielle de confiscation ; ATF 124 IV 313, consid. 4; ATF 120 IV 365, consid. 1c ; arrêt du Tribunal fédéral du 22 avril 2003, 8G.12/2003, consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral du 7 février 2006, BB.2005.106, consid. 4.1. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 305 ; SCHMID (2009), p. 494, N. 1109. Arrêt du Tribunal fédéral du 14 septembre 2005, BB.2005.42, consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral du 28 juillet 2008, BB.2008.38, consid. 3. I. La confiscation dans le CP suisse punissable et les objets à saisir1155. Dans ce cas, l'intérêt public commande que ces valeurs patrimoniales demeurent à la disposition de la justice1156. Certes, cela présuppose l'existence de « présomptions concrètes de culpabilité, même si, au début de l'enquête, un simple soupçon peut suffire à justifier la saisie […] Pour que le maintien du séquestre pendant une période prolongée se justifie, il importe que ces présomptions se renforcent en cours d'enquête et que l'existence d'un lien de causalité adéquat entre les valeurs saisies et les actes délictueux puisse être considérée comme hautement vraisemblable »1157. En tant que mesure d'instruction, le séquestre ne nécessite pas une motivation approfondie1158 ; cependant, le principe de la proportionnalité doit être respecté : le séquestre n’est proportionné que si on peut admettre que les avoirs en question seront vraisemblablement confisqués en application du droit pénal1159. Le séquestre en vue de restitution a comme base juridique la disposition de la let. c. Quant au fond, la restitution est régie à l’article 70 al. 1 2ème phrase CP. Le champ d’application de ce type de séquestre est limité aux valeurs patrimoniales que la personne lésée s’est vue soustraire directement du fait de l’infraction1160. En ce qui concerne le séquestre confiscatoire, l’autorité compétente doit évaluer les faits et les indices de l’affaire et établir que les biens en question peuvent ultérieurement faire l’objet de confiscation en application des articles 69 ss CP. La distinction entre la saisie probatoire et la saisie confiscatoire est sans utilité pratique1161. La possibilité de séquestrer les objets et les valeurs patrimoniales en vue d'une confiscation était également prévue par l'article 65 PPF1162. La possibilité de placer sous séquestre des valeurs patrimoniales est aussi prévue dans le cadre de l’exécution d’une créance compensatrice1163. Le séquestre en vue de l’exécution d’une créance compensatrice est prévu à l’article 71 ch. 3 CP et découle de la Convention no 1411164. La confiscation prononcée par le jugement au fond remplace le séquestre. Selon l’article 353 al. 1 let. h CPP, l’ordonnance pénale doit contenir la mention des objets et valeurs patrimoniales séquestrés à restituer ou à confisquer. 1155 1156 1157 1158 1159 1160 1161 1162 1163 1164 Piquerez (2007), p. 493 ; Albertini G. / Fehr B. / Voser B. (2008), p. 416-417. Arrêt du Tribunal fédéral du 7 juillet 2005, BB.2005.28, consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral du 7 février 2006, BB.2005.106, consid. 4.1 ; ATF 125 IV 222, consid. 2 ; ATF 124 IV 313, consid. 3b et 4. ATF 122 IV 91, consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral du 7 février 2006, BB.2005.106, consid. 4.1. ATF 120 IV 297, consid. 3e. Arrêt du Tribunal fédéral du 9 août 2002, 1P.239/2002, consid. 3.1. Cf. Message (note 829), FF 2006 1057, p. 1227 et la doctrine citée ; cf. aussi ATF 116 IV 193, consid. 8c/aa; ATF 117 Ia 424, consid. 21 ; SCHMID (2009), p. 496, N. 1114. SCHMID (2009), p. 498, N. 1116. Les pièces à conviction saisies peuvent être confisquées en vertu des articles 69 ss CP, alors que les valeurs patrimoniales saisies en vertu de l’article 263 al. 1 let. d CPP peuvent servir de pièces à conviction. Phrase introduite par le ch. I de la LF du 22 déc. 1999, en vigueur depuis le 1er janvier 2002 (RO 2001 3308 3314; FF 1998 1253) TRECHSEL (2008), Art. 71 CP, N. 3; SCHMID (2009), p. 497, N. 1115. CASSANI (2008), p. 338. 243 Troisième partie : le droit suisse Le séquestre pénal est ordonné par voie d’ordonnance écrite, brièvement motivée (article 263 al. 2 CPP)1165. Il n’est pas nécessaire d’établir un mandat séparé : le séquestre peut aussi figurer, par exemple, sur un mandat de perquisition1166. Le séquestre peut en principe être ordonné par le Ministère public et les tribunaux (article 198 CPP). Lorsqu’il y a péril en la demeure, la police ou des particuliers1167 peuvent provisoirement mettre en sûreté des objets et des valeurs patrimoniales à l’intention du Ministère public ou du tribunal (article 263 al. 3 CPP), qui peuvent alors ordonner la mise sous séquestre. S'il s'agit d'immeubles, une restriction au droit de les aliéner peut être ordonnée et mentionnée au registre foncier1168. Le Conseil fédéral a édicté une réglementation pour le placement des valeurs patrimoniales séquestrées (article 266 al. 6 CPP) 1169. Le but de l’ordonnance en question1170, entrée en vigueur le 1er janvier 2011, est que les valeurs séquestrées ne se déprécient pas et que leur placement soit sûr. Les valeurs séquestrées doivent aussi produire un rendement (article 2 de l’ordonnance), sans pourtant que les autorités pénales répondent « des éventuelles fluctuations du cours des titres et des parts de fonds de placement »1171. La possibilité de recours est prévue à l’article 393 CPP. Selon l’ancien droit, pour les voies de recours contre un séquestre pénal, il fallait se référer aux codes de procédure cantonaux. Au niveau fédéral, la voie de recours disponible était celle de droit public1172. Le séquestre conservatoire ne constituait pas une décision préjudicielle ou incidente susceptible d'être attaquée par la voie du pourvoi en nullité1173. Aujourd’hui, une mesure de séquestre peut être portée devant le TF par le recours de droit pénal, si elle cause un préjudice irréparable (article 78 LTF). Pour ce qui concerne leur durée, les mesures provisoires sont levées lorsque les raisons qui les ont justifiées disparaissent. Lorsque la mesure n’est plus nécessaire pour les besoins de l’enquête, l’autorité pénale doit lever le 1165 Selon la 263 al. 2, deuxième phrase CPP, « [e]n cas d’urgence, [le séquestre] peut être ordonné oralement; toutefois, par la suite, l’ordre doit être confirmé par écrit ». 1166 Message (note 829), FF 2006 1057, p. 1227. Par exemple lors d’une arrestation selon l’article 218 CPP. Cette disposition faisait aussi partie de l’ancien droit (PPF) et avait été introduite par le ch. l de la LF du 22 décembre 1999, entré en vigueur le 1er janvier 2002 (RO 2001 3308 3314; FF 1998 1253). Comme l’indique le Message (note 829), FF 2006 1057, p. 1228, cette réglementation supplantera les Directives du groupe de travail criminalité économique de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police (CCDJP) du 24 mars 1999 relatives à l’administration de valeurs patrimoniales mises sous séquestre ainsi que la circulaire n° 1429 de l’Association suisse des banquiers du 26. 3. 1999. Ces normes, qui étaient observées par les autorités pénales et les banques, mais qui n’étaient pas contraignantes, assument ainsi une force obligatoire. Ordonnance du 3 décembre 2010 sur le placement des valeurs patrimoniales séquestrées, RS 312.057 DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DE JUSTICE ET POLICE (2010), Placement des valeurs patrimoniales séquestrées, Communiqué de presse, 03.12.2010. ATF 101 IV 371, consid. I. ATF 123 IV 252 consid. 1. 1167 1168 1169 1170 1171 1172 1173 244 I. La confiscation dans le CP suisse séquestre1174 et restituer l’objet à son possesseur1175. Si l’autorité de jugement n’ordonne pas la confiscation de l’objet séquestré, cet objet doit être restitué sans autre décision à son possesseur antérieur1176. Le doute quant à la propriété de l’objet séquestré constitue une question de droits réels, qui doit être tranchée par le juge civil1177 ; pour cette raison, l’autorité pénale doit différer la restitution de la chose séquestrée, afin que le tiers revendiquant puisse saisir le juge civil et en obtenir la protection provisoire nécessaire1178. Le séquestre pénal ne doit pas être confondu avec le blocage interne en vertu de la LBA. L’intermédiaire financier qui sait ou présume, sur la base de soupçons fondés, que les valeurs patrimoniales impliquées dans la relation d’affaires « 1. ont un rapport avec une des infractions mentionnées aux art. 260ter, ch. 1, ou 305bis CP, 2. proviennent d’un crime, 3. sont soumises au pouvoir de disposition d’une organisation criminelle, 4. servent au financement du terrorisme (art. 260quinquies, al. 1, CP) » informe immédiatement le MROS (article 9 LBA) et bloque les valeurs patrimoniales qui lui sont confiées (article 10 al. 1 LBA). Ce blocage interne effectué par l’intermédiaire financier n’est pas une mesure de contrainte pénale, même s’il peut ultérieurement être utile pour la saisie et la confiscation. Il est maintenu jusqu’à la réception d’une décision de l’autorité de poursuite pénale compétente, mais au maximum durant cinq jours ouvrables à compter du moment où l’intermédiaire financier a informé le MROS (article 10 al. 2 LBA). Ce type de blocage va de pair avec le devoir de ne pas informer les personnes concernées ou des tiers (« no tipping-off rule »), conformément à l’article 10a LBA. Si l’autorité de poursuite pénale n’ordonne pas la saisie durant les cinq jours, le blocage interne doit être levé. 10. Le cas particulier du gel des avoirs dans la mise en œuvre des sanctions internationales Nous avons déjà eu l’occasion d’examiner l’ensemble des résolutions du Conseil de sécurité en matière de lutte contre le terrorisme, en particulier, la question du gel des avoirs1179. Il suffit ici de répéter que ces résolutions instaurent un dispositif de sanctions internationales contre des personnes commettant ou facilitant des actes terroristes et énumérées dans la liste récapitulative établie par le Comité 1267 de l'ONU. Comme l’affirme la 1174 1175 1176 1177 1178 1179 ATF 120 Ia 120, consid. 1b ; ATF 115 Ib 517, consid. 6b ; PIQUEREZ (2007), p. 496 ; JOSITSCH (2009), p. 143, N. 428. Il s’agit du possesseur qui bénéficie de la présomption de propriété de l’article 930 CC ; cf. ATF 120 Ia 120, consid. 1b. VOUILLOZ (2009), Art. 69 CP, N. 41 et les arrêts cites. VOUILLOZ F. (2008), p. 7. ATF 120 Ia 120, consid. 1b ; ATF 128 I 129, consid. 3.1.3.. Voir p. 83 ss de la présente étude. 245 Troisième partie : le droit suisse jurisprudence1180, la Suisse est liée par les décisions de sanctions prises par le Conseil de sécurité de l’ONU, pour autant que ces décisions ne violent pas les normes impératives du droit international. 10.1. Le gel d’avoirs sur la base de l’art. 184 al. 3 Cst. féd. et de la LRAI Selon l’ancienne pratique, le Conseil fédéral mettait en œuvre les sanctions internationales, au cas par cas, au moyen d’ordonnances fondées directement sur l’article 184 al. 3 Cst. féd.1181. En s'appuyant directement sur cette disposition1182, le Conseil fédéral peut prendre des mesures pour la sauvegarde des intérêts du pays, ce qui comprend aussi la compétence pour décider de la participation de la Suisse à des sanctions internationales1183. La loi sur les embargos (LEmb) n'a pas remis en cause cette compétence1184. Dès la date d’entrée en vigueur d’une ordonnance fondée sur l’art. 184 al. 3 Cst. féd., les avoirs sont gelés de plein droit, et toute personne qui détient ou gère des fonds tombant sous l’effet d’un blocage a l’obligation de les annoncer immédiatement au SECO. Le Conseil fédéral a souvent recouru à l’art. 184 al. 3 Cst. féd. pour appliquer les sanctions financières (gel de fonds et interdiction de mise à disposition de fonds) décrétées par le Conseil de sécurité depuis le début des années 19901185 ; il a aussi employé cette voie dans le contexte de l’entraide (p. ex. affaires Marcos, Mobutu), ainsi que nous le verrons cidessous1186. L’article 2 LRAI vise à donner une base légale plus solide à la pratique du Conseil fédéral en matière de blocage d'avoirs de PPE corrompues, « afin que [le gel] ne doive plus se fonder sur l’art. 184 al. 3 Cst., dont telle n’est pas la finalité initiale »1187. 1180 1181 1182 1183 1184 1185 1186 1187 246 ATF 133 II 450, consid. 3-7 (affaire Nada). BOVET (2002), p. 180. Cf. aussi ATF 132 I 229, consid. 4.3. Par exemple, l’ordonnance du Conseil fédéral mettant en œuvre la résolution 1483 (2003) du Conseil de sécurité a été fondée sur l'article 184 al. 3 Cst. féd. ; Ordonnance du 18 mai 2004 sur la confiscation des avoirs et ressources économiques irakiens gelés et leur transfert au Fonds de développement pour l'Irak, 946.206.1. Entrée en vigueur 1er juillet 2004, RO 2004, p. 2873. Message du 20 décembre 2000 concernant la loi fédérale sur l'application de sanctions internationales, FF 2001 1341. Rapport concernant la lutte antiterroriste présenté par la Suisse au Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1373 (2001), S/2001/1224, 19 décembre 2001, p. 4. La Suisse a déjà élaboré cinq rapports sur la mise en œuvre de la résolution 1373 (2001) à l’intention du CCT. Ces rapports, dont le dernier en 2006, sont disponibles sur http://www.eda.admin.ch/terrorism Voir p. 271 ss de la présente étude. Rapport explicatif, Projet de Loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées (Loi sur la restitution des avoirs illicites, LRAI), 15 février 2010, p. 13. I. La confiscation dans le CP suisse 10.2. Le gel d’avoirs en vertu de la loi sur les embargos La loi fédérale du 22 mars 2002 sur l’application de sanctions internationales (loi sur les embargos, LEmb)1188 est une loi-cadre qui donne au Conseil fédéral le moyen de mettre en œuvre des mesures de coercition décidées par des instances internationales. Le Conseil des Etats a complété le projet de loi par un alinéa précisant que la Suisse pouvait prendre des mesures d'embargo de manière autonome, sans attendre que d'autres pays ouvrent la voie1189. La LEmb tient aussi compte de l'utilisation croissante de mesures de coercition ciblées (« smart sanctions ») 1190. Outre son rôle en tant qu'instrument de politique étrangère, la nouvelle loi fédérale constitue également la base juridique pour l'application de sanctions décrétées par l’ONU, l’OSCE ou les principaux partenaires commerciaux de la Suisse, en particulier l'UE1191. En vertu de la loi sur les embargos, l'autorité compétente pour la publication et pour l’application des ordonnances est le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) du Département fédéral de l'économie (DFE). Les personnes concernées par les mesures de coercition sont tenues de coopérer avec les autorités et de tolérer des contrôles. Les données de ces personnes peuvent être traitées par les autorités fédérales, dans la mesure où l'exécution l’exige. En matière de gel, les intermédiaires financiers sont donc tenus de se tenir informés sur les sanctions, de les appliquer et de renseigner le SECO sur les avoirs gelés. En matière de confiscation, l’article 13 al. 2 LEmb précise que le matériel et les valeurs confisquées ainsi que le produit éventuel de leur réalisation sont dévolus à la Confédération, « sous réserve de l’application de la LVPC »1192. Le dispositif de gel des avoirs des personnes frappées par les sanctions internationales a fait l’objet de critiques, car, du point de vue des droits individuels, il instaure des « mesures coercitives lourdes » dont l'application est confiée à une autorité administrative1193. Ainsi, dans le cadre des ordonnances mettant en œuvre des sanctions de l'ONU, le blocage est de durée indéterminée, contrairement au séquestre pénal et au blocage interne en vertu de l’article 10 LBA. Aucune intervention de la justice pénale n’est prévue dans le cadre du gel des avoirs des personnes frappées par les sanctions internationales ; ce type de gel n’est donc pas remplacé par un séquestre pénal. 1188 1189 1190 1191 1192 1193 Loi fédérale sur l'application des sanctions internationales, du 22 mars 2002, RS 946.231 ; cf. Message (note 1184), FF 2001 1341 ; la LEmb est entrée en vigueur le 1er janvier 2003. Au cours de la procédure d’élimination des divergences, le Conseil national a biffé cette disposition ; le Conseil des Etats a maintenu sa décision et le Conseil national l’a finalement acceptée sans discussion. Message (note 1184), FF 2001 1341. Selon une proposition déposée par R. Gysin au Conseil national, le champ d’application de la loi ne devrait couvrir que les sanctions de l’ONU, de l’OSCE et de l’UE. La proposition a été rejetée par le Conseil ; cf. Rétrospective de la législature 1999-2003 de l’Assemblée fédérale, p. 184. Réserve ajoutée par la LVPC, RO 2004 3503. CASSANI (2003), p. 308. 247 Troisième partie : le droit suisse La levée de cette mesure n’est possible que dans le cadre de la procédure de « delisting » prévue au niveau du Conseil de sécurité l’ONU. Le fait que les garanties sont lacunaires sur le plan international est un problème général de la lutte contre le terrorisme1194. 10.3. La mise en œuvre du gel d’avoirs en vertu de la résolution 1267 (1999) La Suisse a mis en œuvre les sanctions financières contre Al-Qaïda et les Talibans aux termes de la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité et de ceux qui lui ont succédé1195, par le biais de l’ordonnance du 2 octobre 2000 instituant des mesures à l’encontre de personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au groupe Al-Qaïda ou aux Talibans1196. La base juridique de cette ordonnance était l’article 184, al. 3 Cst. féd, mais depuis le 1er janv. 2003, l’ordonnance est fondée sur l’article 2 LEmb1197. L’ordonnance contient des mesures de sanctions, dont le gel d’avoirs, ainsi que la liste des personnes physiques et morales, groupes et entités soumis aux sanctions (annexe 2 de l’ordonnance). L’article 3 de l’Ordonnance impose, d’une part, le gel des avoirs et des ressources économiques appartenant aux personnes et aux entités citées dans la liste (article 3 al. 1). Le gel est mis en œuvre par les autorités compétentes sur instruction du SECO et peut inclure des mesures, telles que la mention d’un blocage du registre foncier, la saisie ou la mise sous scellé des biens. Les termes « avoirs » et « ressources économiques » sont définis de manière très large à l’article 5 de l’Ordonnance1198. D’autre part, l’Ordonnance impose une interdiction générale de fournir des fonds aux personnes et aux entités citées, ainsi que de mettre à leur disposition, directement ou indirectement, des fonds ou des ressources économiques (article 3 al. 2). Des exceptions de ces interdictions sont prévues aux al. 3 et 4 de l’article 3, pour alléger un peu ce 1194 1195 1196 1197 1198 Voir p. 91 ss de la présente étude. Cf. résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU 1333 (2000), 1363 (2001), 1390 (2002) et 1455 (2003). Ordonnance du 2 octobre 2000 instituant des mesures à l’encontre de personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au groupe « Al-Qaïda » ou aux Taliban, RS 946.203 ; l’ordonnance est entrée en vigueur le 3 octobre 2000. RO 2002 3955. « Art. 5 Définitions : Au sens de la présente ordonnance, on entend par: […] b. Avoirs: tous les actifs financiers, y compris le numéraire, les chèques, les créances monétaires, les lettres de change, les mandats ou autres moyens de paiement, les dépôts, les créances et reconnaissances de dette, les titres et titres de dette, les certificats de titres, les obligations, les titres de créances, les options, les lettres de gage, les dérivés; les recettes d’intérêts, les dividendes ou autres revenus ou plus-values engendrés par des biens en capital; les crédits, les droits à des compensations, les cautions, les garanties d’exécution de contrats ou autres engagements financiers; les accréditifs, les connaissements, les contrats d’assurance, les documents de titrisation de parts à des fonds ou à d’autres ressources financières et tout autre instrument de financement des exportations; […] d. ressources économiques: les valeurs de quelque nature que ce soit, corporelles ou incorporelles, mobilières ou immobilières, en particulier les immeubles et les biens de luxe, à l’exception des avoirs au sens de la let. b ». 248 I. La confiscation dans le CP suisse régime de sanctions lourdes1199. Selon l’article 6 de l’Ordonnance, la violation des interdictions est punie conformément à l’article 9 de la loi sur les embargos. La liste des personnes et entités visées est établie par le Comité 1267 de l’ONU et est régulièrement mise à jour ; le DFE effectue ensuite cette adaptation dans le cadre d’une procédure simplifiée, dans laquelle le Conseil fédéral n’intervient pas. La Suisse est donc en conformité avec la RS III en ce qui concerne la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité1200. 1199 Ainsi, le SECO peut exempter les « paiements liés à des projets en faveur de la démocratisation ou à des activités humanitaires » (article 3 al. 3). Le SECO peut aussi autoriser « des versements prélevés sur des comptes bloqués, des transferts de biens en capital gelés et le déblocage de ressources économiques gelées afin de protéger des intérêts suisses ou de prévenir des cas de rigueur ». (article 3 al. 4) 1200 GAFI (2005), Suisse, 3ème rapport d’évaluation mutuelle de la lutte anti-blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme, novembre 2005, par. 9. 249 Troisième partie : le droit suisse Signature par la Suisse Instrument Approbation par les chambres fédérales Entrée en vigueur en Suisse Instrument de ratification CEEJ 29.11.1965 27.09.1966 RO 1967 845 20.12.1966 20.03.1967 Convention no 141 du Conseil de l’Europe 23.8.1991 02.03.1993 RO 1993 2384 11.05.1993 01.09.1993 Convention de l’OCDE contre la corruption 17.12.1997 09.12.1999 RO 2003 4241 31.05.2000 30.07.2000 CRFT 16.05.2001 12.03.2003 RO 2004 2519 23.09.2003 23.10.2003 Deuxième Protocole additionnel à la CEEJ 15.02.2002 19.03.2004 RO 2005 331 04.10.2004 01.02.2005 Convention de Vienne 16.11.1989 16.03.2005 RO 2006 529 14.09.2005 13.12.2005 Convention no 173 du Conseil de l’Europe 26.02.2001 07.10.2005 RO 2006 2371 31.03.2006 01.07.2006 Convention de Palerme 12.12.2000 23.06.2006 RO 2006 5859 27.10.2006 26.11.2006 Convention de Mérida 10.12.2003 20.03.2009 RO 2009 5465 24.09.2009 24.10.2009 Convention no 198 du Conseil de l’Europe - - - - 250 I. La confiscation dans le CP suisse 11. La conformité du droit suisse avec les instruments internationaux en matière de saisie et de confiscation Dans ce chapitre, nous examinons la transposition en droit suisse des instruments internationaux contenant des dispositions relatives à la confiscation. Ces instruments seront étudiés en ordre chronologique, l’élément déterminant étant la date d’entrée en vigueur. 11.1. La Convention no 141 du Conseil de l’Europe La Convention no 141 du Conseil de l’Europe a déjà fait l’objet d’analyse1201. La Suisse était l’un des trois premiers pays à signer cet instrument international, qui est entré en vigueur le 1er septembre 19931202. Comme l’indique le Message du Conseil fédéral, « pour autant que la Suisse, lors de la ratification, formule les réserves envisagées, le droit suisse actuel est en mesure de satisfaire aux exigences de la Convention »1203. Toutefois, « des dispositions conçues de façon plus efficace dans le sens du projet d’un deuxième train de mesures relatives à la lutte contre le crime organisé s’approcheraient davantage encore des buts de la Convention »1204. Ces dispositions, faisant partie du deuxième train de mesures contre le crime organisé, sont entrées en vigueur le 1er août 19941205. En ce qui concerne l’incrimination du blanchiment d’argent, la législation suisse correspond en grande partie1206 aux exigences de la Convention no 141, y inclus les exigences facultatives de la Convention (article 6 par. 3 let. a). L’incrimination du blanchiment d’argent en droit suisse est le produit d’un processus antérieur à l’adoption de la Convention no 1411207. L’article 305bis CP incrimine les actes propres à entraver la confiscation, à l’exclusion des actes 1201 1202 1203 1204 1205 1206 1207 Voir p. 21 ss et p. 53 ss de la présente étude. RS 0.311.53. Message (note 66), FF 1992 VI 8, p. 9. Aucune des normes que la Convention no 141 contient n’est d’application directe ; Message (note 66), FF 1992 VI 8, p. 32. Toutefois, une partie de la doctrine admet que les normes en matière d’entraide judiciaire, en particulier l’article 13 de la Convention no 141, sont d’application directe : SCHMID (2007), Art. 69 CP, N. 10, n. 22 et les arrêts cités ; HARARI (1998), p. 17 ss. Message (note 66), FF 1992 VI 8, p. 12. Le 30 juin 1993, le Conseil fédéral a finalisé ces modifications ; Message (note 878), FF 1993 III 269. Le 18 mars 1994, les deux Chambres fédérales ont adopté à l’unanimité ce deuxième train de mesures contre le crime organisé. RO 1994 1614. La Suisse a émis une réserve s'agissant de l'article 6 par. 1 de la Convention no 141, pour préciser que le blanchiment ne sera réprimé en Suisse que si l'infraction préalable est qualifiée de crime selon le droit suisse. En 1986, à la suite de l’affaire de la « Pizza Connection » de 1984, un premier projet de disposition pénale en matière de blanchiment a été soumis au Département fédéral de justice et police par P. Bernasconi, ancien Procureur général du Sottoceneri. En 1988, à la suite de l’affaire de la « Lebanon Connection », un projet de loi a été élaboré par le Conseil fédéral ; Message du Conseil fédéral du 12 juin 1989, FF 1989 II 961. Les Chambres ont approuvé ce projet de loi à l'unanimité (BOCN 1989 II p. 1873; BOCE 1990 p. 202), et les dispositions incriminant le blanchiment d’argent et le défaut de vigilance en matière d'opérations financières sont entrées en vigueur le 1er août 1990. Pour une analyse détaillée, voir CASSANI (2008), p. 274 ss. 251 Troisième partie : le droit suisse qui rendent plus difficile l’exécution d’une créance compensatrice. Dans leur rapport d’évaluation de la Suisse, les experts du GAFI affirment pourtant que des valeurs patrimoniales sont susceptibles de blanchiment dans le cadre d’une décision de créance compensatrice, ce qui n’est pas une interprétation juste1208. En ce qui concerne la confiscation, la Suisse adopte une approche « all crimes » et renonce à la possibilité d’« opting out » offerte par l’article 2 par. 2 de la Convention no 1411209. En droit suisse, toute infraction (crimes, délits et contraventions) peut donc conduire à une confiscation ; le champ d’application des articles 69 ss CP ne se limite ni aux infractions graves ni au contexte du blanchiment d’argent. En cela, le droit suisse en matière de confiscation va plus loin que les exigences de l’article 2 de la Convention no 141. Au niveau de la terminologie employée par la Convention no 141 (article 1), les définitions des termes « produits », « instruments », « bien » sont parfaitement couvertes par le droit suisse de la confiscation, c’est-à-dire par les articles 69 ss CP (anciens articles 58 ss CP). Le terme de « confiscation » au sens de l’article 1 se réfère à des sanctions dirigées contre le patrimoine, qui, en Suisse, sont qualifiées de mesures. Concernant la confiscation des valeurs sur lesquelles une organisation criminelle exerce un pouvoir de disposition (article 72 CP, ancien article 59 ch. 3 CP), la révision législative de 1993/4 s’est montrée beaucoup plus ambitieuse que la Convention no 141, qui n’exige nulle part l’introduction d’une disposition relative à la confiscation des avoirs d’une organisation criminelle1210. Quant à la transposition de l’article 4 par. 1 de la Convention no 141, l’intermédiaire financier suisse était et continue à être tenu de donner suite à une requête tendant à la production de dossiers1211. La divulgation de données financières peut avoir lieu dans le cadre des procédures internes ou dans le cadre d’une demande d'entraide judiciaire internationale. Ainsi, comme l’indique le Message du Conseil fédéral, « en matière de secret bancaire également, le droit suisse se révèle conforme à la Convention ». 1208 1209 1210 1211 252 Rapport précité (note 1200), par. 101 ; CASSANI (2008), p. 318. CASSANI (2008), p. 337. CASSANI (2008), p. 336. Cf. les articles 246 ss CPP (perquisition de documents et enregistrements), articles 263 ss CPP (séquestre) et articles 284-285 CPP (surveillance des relations bancaires). I. La confiscation dans le CP suisse 11.2. La Convention de l’OCDE Jusqu’en 2000, le droit suisse ne fournissait pas de bases légales satisfaisantes pour la confiscation de valeurs patrimoniales provenant de la corruption d’agents publics étrangers1212 sauf par la voie de l’entraide1213. En 1999, le droit pénal suisse a été révisé pour incriminer la corruption (active) de fonctionnaires étrangers (322septies CP de 1999, actuellement 322septies al. 1 CP)1214. Cette modification a permis à la Suisse de ratifier la Convention de l’OCDE, qui est entrée en vigueur le 30 juillet 20001215. Ainsi, les dispositions du droit pénal en matière de confiscation permettent de satisfaire aux exigences de l’article 3 de la Convention de l'OCDE1216. En s'appuyant sur l’article 70 CP, le juge peut effectivement ordonner la confiscation des valeurs patrimoniales ayant servi à la corruption, avant ou après leur remise, chez le corrompu ou chez le corrupteur1217. Comme l’affirment les examinateurs de l’OCDE, la mise en œuvre des dispositions en matière de confiscation par la Suisse est jugée réussie1218. 11.3. La CRFT Dans le contexte de la transposition de la CRFT, une nouvelle infraction (article 260quinquies CP) a été introduite dans le CP suisse pour réprimer le financement du terrorisme1219. La disposition a souvent fait l’objet de critiques par la doctrine1220. Le financement du terrorisme au sens de l’article 260quinquies CP est une infraction distincte, sans pourtant que le terrorisme le soit aussi. Dès lors que la révision de 2003 ne fait pas du terrorisme une infraction autonome, la question se pose de définir l’activité dont le financement doit 1212 1213 1214 1215 1216 1217 1218 1219 1220 Dans l’affaire Pavel Borodine et consorts (enquête pénale P/4880/99), le Parquet genevois avait conclu que le blanchiment d’argent en Suisse provenant de la corruption à l’étranger était possible et donc aussi la confiscation ; par une ordonnance de condamnation, le procureur général de Genève, M. Bernard Bertossa, a infligé à M. Borodine une amende de CHF 300’000 pour blanchiment d’argent. Arrêt du Tribunal fédéral du 29 mars 1993, SJ 1994 109, consid. 5. F. CASSANI (2002), p. 295 ; JOSITSCH (2004), p. 391; KAISER (1999), p. 102 ss ; cf. aussi HARARI (1998), p. 4 ss. Arrêté fédéral du 9 décembre 1999, RO 2003 4241. Message (note 90), FF 1999 5045, p. 5092 ss. Quant au principe de calcul et étant donné que le contrat en cause n'est pas nécessairement illégal, la question se pose de savoir si les dépenses peuvent être déduites. Sur cette question voir p. 181 de la présente étude ; cf. aussi SCHMID (1995), p. 238 ; ARZT (1996), p. 97. Rapport précité (note 1099), par. 127 : « [l]es examinateurs principaux se félicitent de la politique proactive menée par la Suisse en matière de confiscation des valeurs patrimoniales provenant de la corruption, ou liées à celle-ci ». Le projet initial du Conseil fédéral a fait l’objet de critiques, dès lors qu’il « dépassait nettement ce qui était nécessaire et raisonnable, en proposant, dans un souci relevant manifestement de l’opération de relations publiques, des dispositions dont la portée était avant tout symbolique» ; CASSANI (2003), p. 294. Pour remédier aux faiblesses du projet initial, l’OFJ a élaboré un nouveau projet, adopté par les Chambres fédérales le 21 mars 2003 ; Loi fédérale concernant la modification du code pénal et de la loi fédérale sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (Financement du terrorisme), modification du 21 mars 2003, RO 2003 3043. Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er octobre 2003. STRATENWERTH (2009), p. 123 et les références citées. 253 Troisième partie : le droit suisse être réprimé. L’article 260quinquies CP donne la solution en se référant au financement des actes de violence criminelle qui visent à « intimider une population ou à contraindre un Etat ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». L'élément objectif de cette infraction consiste à réunir ou à mettre à disposition des fonds, à savoir des valeurs patrimoniales de toute nature. La notion de « fonds » dans l’article 260quinquies CP est conçue de manière à inclure toute forme de financement, en conformité avec l’article 1 par. 1 CRFT1221. Par « réunir des fonds », on entend le fait de collecter des valeurs patrimoniales, de les rassembler pour une utilisation future, sans qu’un transfert effectif des fonds soit nécessaire. Par « mettre à disposition des fonds », on entend le transfert de valeurs patrimoniales. Ces expressions sont conformes à la définition du financement du terrorisme employée par la CRFT1222. En ce qui concerne la culpabilité de l’infraction de financement du terrorisme, le législateur suisse a exclu le dol éventuel, pour éviter toute ambiguïté conceptuelle1223. De cette manière, « le texte légal suisse tranche clairement une question restée floue »1224 dans l’article 2 par. 1 CRFT. La ratification de la CRFT a exigé d’autres adaptations du droit suisse ; elle a accéléré l'entrée en vigueur des dispositions gouvernant la responsabilité pénale de l'entreprise, déjà adoptées par les Chambres fédérales dans le cadre de la révision totale de la partie générale du CP (13 décembre 2002). En ce qui concerne la confiscation, le Message du Conseil fédéral indique que « le droit pénal suisse est doté de dispositions efficaces qui satisfont aux exigences de la Convention »1225. En outre, dès lors que les organisations terroristes peuvent tomber sous le coup de l’article 260ter CP, les possibilités de saisie et de confiscation de valeurs sont particulièrement étendues, grâce à l’article 72 CP. La disposition potestative de l’article 8 par. 3 CRFT propose aux Etats Parties d’envisager de partager les fonds confisqués avec d’autres Etats. En Suisse, le partage des valeurs confisquées est régi par la LVPC1226. 11.4. La Convention de Vienne La Convention de Vienne a été signée par la Suisse le 16 novembre 1989, mais le processus de la ratification a duré longtemps. Même si le Conseil des 1221 1222 1223 1224 1225 1226 254 GAFNER (2006), p. 199. CASSANI (2003), p. 296 ; FORSTER (2003), p. 443 ; Message (note 1053), FF 2002 5014, p. 5065. BOVET (2002), p. 179. CASSANI (2003), p. 297. Message (note 1053), FF 2002 5014, p. 5031. Voir p. 297 de la présente étude. I. La confiscation dans le CP suisse Etats a voté l’adhésion, le Conseil national hésitait à approuver la ratification pour des motifs liés à la politique de répression en matière de consommation de stupéfiants1227. Le Conseil fédéral avait recommandé la ratification de cette convention en 19951228 ; cependant l'examen du dossier a été reporté deux fois1229. La ratification de cette convention était nécessaire pour la mise en application de l'Accord d'association à Schengen, conclu entre la Suisse et l’UE. L'arrêté fédéral d’approbation de la convention a enfin été adopté le 16 mars 20051230, et ce traité international est entré en vigueur le 13 décembre 2005. Comme le confirme le Message du Conseil fédéral, la mise en application de la Convention de Vienne n'a exigé aucune modification du droit de confiscation, qui avait fait l’objet d’une révision importante en 19941231. L’approbation a eu lieu avec deux réserves qui ne concernent pourtant pas les dispositions de la Convention de Vienne en matière de confiscation1232. 11.5. La Convention no 173 du Conseil de l’Europe La Convention no 173 du Conseil de l’Europe, approuvée par les Chambres fédérales le 7 octobre 2005, est entrée en vigueur pour la Suisse le 1er juillet 20061233. De par son adhésion à cet instrument international, la Suisse est simultanément devenue membre du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO)1234 et est donc soumise à son examen1235. 1227 1228 1229 1230 1231 1232 BOCN 2004 1898, BOCE 2005 280. Message (note 35), FF 1996 I 557. L'examen avait été reporté en attendant le résultat de la votation sur l'initiative populaire « pour une politique raisonnable en matière de drogue » (initiative Droleg), rejetée par la majorité du peuple et des cantons le 29 novembre 1998. L'examen avait aussi été reporté dans l'attente de la révision de la loi sur les stupéfiants, La révision de la LStup a été adoptée par les Chambres fédérales le 20 mars 2008 (FF 2008 2055) et approuvée par le peuple le 30 novembre 2008. Le Conseil fédéral a fixé au 1er janvier 2010 l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la LStup. RO 2006 561. Message (note 35), FF 1996 I 557, p. 570 ss ; Message (note 878), FF 1993 III 269 ; RO 1994 1614. Voir p. 251 ss de la présente étude. La réserve la plus importante concerne l’article 3, alinéa 2 de la Convention de Vienne, en particulier les actes préliminaires à la consommation personnelle (culture, achat et détention de stupéfiants destinés à la consommation personnelle). Quant à de tels actes, la Suisse ne se considère pas comme étant liée, « en ce qui concerne le maintien ou l’adoption de normes pénales relevant de la législation sur les stupéfiants ». La deuxième réserve concerne les mesures de détection et de répression (alinéa 6), la question de la libération anticipée ou conditionnelle de personnes reconnues coupables de ces infractions (alinéa 7), et la période de prescription (alinéa 8). Ces dispositions ne sont considérées comme contraignantes pour la Suisse « que dans la mesure où elles sont compatibles avec la législation pénale et la politique suisse en matière de criminalité ». 1233 1234 1235 Arrêté fédéral du 7 octobre 2005, RO 2006 2371. Cf. Message (note 101), FF 2004 6549. Rapport annuel du Conseil fédéral sur les activités de la Suisse au Conseil de l’Europe en 2006, FF 2007, p. 4975. Cf. rapport d’évaluation sur la Suisse, adopté par le GRECO lors de sa 37e réunion plénière, Strasbourg, 4 avril 2008. 255 Troisième partie : le droit suisse Comme l’indique le Message du Conseil fédéral, le droit pénal applicable à la corruption « satisfait à nombre d’exigences posées par la convention du Conseil de l’Europe et, sur certains points, va même plus loin qu’elle »1236. Les dispositions en matière de lutte contre la corruption ont été révisées en l’an 2000, à l’occasion de la ratification de la Convention de l’OCDE. Le nouvel instrument permet de remédier à certaines lacunes du droit pénal réprimant la corruption1237. En ce qui concerne la confiscation internationale (article 19 de la Convention no 173), les exigences de la convention sont entièrement remplies, dès lors que les (anciens) articles 58 ss CP « apportent les moyens adéquats »1238. La confiscation en vertu de l’article 70 CP peut frapper, d’une part, les valeurs qui ont servi à la commission de la corruption et, d’autre part, les valeurs qui sont le produit de cette infraction. Ainsi, la somme ou la prestation versée en vue de corrompre peut être confisquée avant ou après son transfert, soit auprès du corrupteur, soit auprès du corrompu. La question de savoir si le produit d’un négoce conclu par corruption peut aussi être confisqué est controversée1239. Une dernière catégorie des valeurs patrimoniales à examiner comprend les valeurs placées en Suisse qui proviennent d’une infraction de corruption. Celles-ci peuvent être également confisquées comme produit du blanchiment (article 305bis ch. 1 et 3 CP). Une difficulté peut surgir lorsque les organes ou les employés d’une personne morale se rendent coupables de corruption active et que les fruits de l'activité criminelle reviennent ensuite directement à l'entreprise. Jusqu’à la révision du CP en 2002, la personne morale ne pouvait pas être auteur d'une infraction. A l’occasion de la ratification de la Convention de l’OCDE, la Suisse avait même fait une déclaration signalant l’absence de « sanctions pénales à l'encontre des personnes morales » selon le droit en vigueur1240. Par l’introduction de la responsabilité pénale de l’entreprise (actuellement article 102 CP) la personne morale peut être auteur d’une infraction1241, et donc soumise à la 1236 1237 1238 1239 1240 1241 256 Message (note 101), FF 2004 6549. Par exemple, l’adhésion à la Convention no 173 du Conseil de l’Europe a exigé une modification de la loi fédérale contre la concurrence déloyale, en particulier quant à l’incrimination de la corruption passive dans le secteur privé (article 4a LCD). La Convention no 173 a aussi rendu nécessaire la modification du code pénal de manière à incriminer la corruption passive de fonctionnaires étrangers et internationaux (article 322septies al. 2 CP). Message (note 101), FF 2004 6549, p. 6589 SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 58. Déclaration interprétative de la Suisse, du 23 mai 2000. Cf. aussi article 5 CRFT. L’article 102 al. 1 CP prévoit une responsabilité pénale générale, mais subsidiaire, des personnes morales lorsqu’une infraction ne peut être imputée à aucune personne physique déterminée en raison d’un manque d’organisation de l’entreprise. Selon l’article 102 al. 2 CP, la responsabilité pénale de l’entreprise est primaire et indépendante de la punissabilité des personnes physiques pour certaines catégories d’infractions, s’il doit lui être reproché de ne pas avoir pris toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher une telle infraction. Parmi ces infractions se trouve la corruption active d’agents publics nationaux (322ter CP), la corruption active d’agents publics étrangers (article 322septies al. 1 CP), l’octroi d’un avantage (article 322quinquies CP), la corruption privée active (article 4a al. 1 LCD), la participation à une organisation I. La confiscation dans le CP suisse confiscation. En matière de lutte contre la corruption, les infractions de corruption active figurent sur la liste de l’article 102 al. 2 CP. L’accusation doit établir que l’infraction a été commise au sein de l’entreprise, et que l’entreprise n’a pas pris toutes les mesures nécessaires en matière d’organisation pour empêcher l’acte de corruption. Si l’avantage obtenu grâce à la corruption profite à l’entreprise, la question est de savoir si cette dernière peut être considérée comme un tiers1242. 11.6. La Convention de Palerme La Convention de Palerme, approuvée par les Chambres fédérales le 23 juin 2006, est entrée en vigueur le 26 novembre 20061243. Il s’agissait certainement d’une ratification qui ne posait pas de difficultés importantes. Comme l’indique le Conseil fédéral dans son Message du 26 octobre 2005, « le droit suisse en vigueur satisfait déjà dans une très large mesure aux exigences de la Convention contre la criminalité transnationale organisée et de ses deux protocoles additionnels »1244. En matière de confiscation, le Conseil fédéral observe que les dispositions du CP (anciens articles 58 ss CP) sont efficaces, répondent aux normes établies par la convention (article 12 de la Convention de Palerme)1245 et offrent des possibilités de confiscation et de saisie étendues, en particulier, dans le cas de valeurs sur lesquelles une organisation criminelle exerce un pouvoir de disposition1246. L’article 72 CP (ancien article 59 ch. 3 CP), antérieur à la Convention de Palerme, introduit un renversement du fardeau de la preuve qui est conforme à l’article 12 par. 7 de cet instrument international. Enfin, le droit suisse, en particulier la loi fédérale sur le partage des valeurs patrimoniales confisquées1247 est conforme aux exigences de la Convention de Palerme, en particulier à son article 14 par. 3 let. b1248. 1242 1243 1244 1245 1246 1247 1248 criminelle (article 260ter CP), le financement du terrorisme (article 260quinquies CP) et le blanchiment d’argent (article 305bis CP). Voir à ce sujet BERTOSSA (2009), p. 382 ss. Arrêté fédéral du 23 juin 2006, RO 2006 5859 ; cf. Message (note 111), FF 2005 6269. Message (note 111), FF 2005 6269, p. 6271. Voir p. 28 ss de la présente étude. Message (note 111), FF 2005 6269, p. 6303. Voir p. 297 de la présente étude. Cf. aussi article 5 par. 5 let. b-ii, Convention de Vienne ; article 15 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe ; article 25 par. 3 de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe. 257 Troisième partie : le droit suisse 11.7. La Convention de Mérida La Convention de Mérida, approuvée par les Chambres fédérales le 20 mars 2009, est entrée en vigueur le 24 novembre 20091249. La Convention de Mérida n’est pas incompatible avec d’autres instruments contre la corruption que la Suisse a ratifiés, tels que la Convention no 173 du Conseil de l’Europe1250. Les dispositions pénales de droit suisse en la matière avaient été révisées entièrement lors de l’adhésion à d’autres instruments internationaux. Ainsi, le droit suisse est déjà compatible avec les règles de la Convention de Mérida. Les articles 322ter à 322octies CP répriment la corruption active et passive d’agents publics suisses, l'octroi et l'acceptation d'un avantage et la corruption active et passive d'agents publics étrangers. Le produit de toutes ces infractions peut faire l’objet de confiscation ; comme l’indique le Message du Conseil fédéral, « avec les articles 69 à 72 CP, la Suisse s’est dotée de dispositions efficaces en matière de confiscation, lesquelles répondent aux exigences des par. 1 et 2 de la convention »1251. En outre, la corruption active et passive d'agents publics suisses et la corruption active d'agents publics étrangers sont des crimes au sens de l'article 10 CP al. 2 CP. Leur produit peut donc être l'objet de l'infraction de blanchiment. En ce qui concerne l’immunité des dirigeants politiques en droit suisse, la jurisprudence du Tribunal fédéral1252 affirme que le chef d’Etat ne bénéficie pas du privilège de l’immunité, lorsque l’Etat renonce expressément à l’immunité de celui-ci. L’immunité ne couvre que les actes que le dirigeant politique a accomplis dans l’exercice de ses fonctions officielles1253. Comme l’indique M. Henzelin, l’immunité pénale pour les actes de corruption « tend progressivement vers une restriction » dans les pays développés1254 ; il est impossible de considérer comme actes de la fonction, des actes de corruption, détournement de fonds publics, blanchiment d'argent, ou des actes de nature analogue1255. Cette solution assure l’« équilibre approprié », exigée par l’article 30 de la Convention de Mérida, entre les immunités et privilèges de juridiction accordés aux dirigeants politiques, et la possibilité de poursuivre les actes de corruption. 1249 1250 1251 1252 1253 1254 1255 258 Arrêté fédéral du 20 mars 2009, FF 2009 1827 ; cf. Message (note 141), FF 2007 6931. Message (note 141), FF 2007 6931, p. 6996. Message (note 141), FF 2007 6931, p. 6972. ATF 115 Ib 496, consid. 5c (affaire Marcos) Arrêt du Tribunal fédéral du 8 décembre 2000, 1P.582/2000 (affaire République du Kazakhstan). HENZELIN, in VERHOEVEN (2004), p. 251; cf. aussi HENZELIN (2002), p. 184 ss. DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (2005), Principes régissant l'immunité en droit international coutumier, Avis de droit de la Direction du droit international public du 23 mai 2005, Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération, JAAC 70.65 et les références citées. I. La confiscation dans le CP suisse Les grandes affaires d’entraide judiciaire à des fins de saisie et de confiscation Affaire Abacha (Nigeria) Affaire Duvalier (Haïti) Affaire Marcos (Philippines) Affaire Menem (Argentine) Faits allégués : détournement de fonds par l'ex-dictateur nigérien. Résumé : demande d'entraide judiciaire (1999) ; procédure d'enquête pénale ouverte en Suisse pour blanchiment d'argent, saisie de fonds par la justice, gel de fonds par l’OFJ (octobre 1999) ; l’OFJ indique que la majeure partie des fonds bloqués en Suisse, sont manifestement d'origine délictueuse et ordonne la restitution (août 2004) ; recours ; le Tribunal fédéral considère qu'il appartient aux détenteurs de ces fonds d'apporter la preuve de l’origine licite, faute de quoi l'OFJ ordonne leur restitution au Nigeria (février 2005) ; restitution de 507 millions de dollars (septembre novembre 2005) ; le fils du dictateur Abacha est condamné par voie d'ordonnance à Genève, reconnu coupable de participation à une organisation criminelle (2009) ; ordonnance de confiscation des 350 millions de dollars saisis lors de l'enquête au Luxembourg et aux Bahamas ; le fils Abacha est reconnu coupable de participation à une organisation criminelle par le Tribunal de police de Genève, qui confirme la confiscation des fonds saisis (juin 2010); recours. Faits allégués : détournement de fonds par l'ex-dictateur de l’Haïti. Résumé : demande d’entraide judiciaire (1986) ; blocage des fonds par le Conseil fédéral sur la base de la Cst. féd. (2002); blocage prolongé à plusieurs reprises ; la demande d'entraide est complétée (mai 2008) ; l’OFJ décide que les détenteurs des comptes bloqués doivent prouver que les avoirs sont d'origine licite (juillet 2008) ; décision de restitution des fonds (février 2009) ; recours ; le Tribunal fédéral invalide la décision de l’OFJ (janvier 2010) ; nouveau blocage des fonds par le Conseil fédéral sur la base de la Cst. féd. Faits allégués : détournement de fonds par l'ex-dictateur des Philippines. Résumé : le Conseil fédéral ordonne le blocage des comptes (1986) ; le Tribunal fédéral autorise la remise aux Philippines des documents bancaires et exige que les fonds ne soient restitués que lorsqu'une cour des Philippines aurait rendu un jugement exécutoire (1990) ; le Tribunal fédéral constate que la plupart des avoirs des fondations Marcos sont manifestement d'origine délictueuse et autorise le transfert anticipé de ces fonds sur un compte bloqué (1997) ; la Cour suprême des Philippines ordonne la confiscation (août 2003) ; transmission à la Suisse du jugement exigeant la restitution des avoirs (2006) ; recours ; le TPF rejette ce recours / restitution des derniers fonds Marcos aux Philippines (janvier 2009). Faits allégués : détournement de fonds par l’ancien président argentin. Résumé : demande d'entraide judiciaire (août 2001); les autorités suisses ne découvrent aucun compte appartenant aux personnes en question ; nouvelle demande d'entraide (novembre 2001) ; manque d'informations précises sur les faits incriminés et les comptes à bloquer ; la recherche de preuves ne peut pas être conduite au hasard, comme une partie de pêche (« fishing expédition ») 259 Troisième partie : le droit suisse Affaire Mobutu (République démocratique du Congo) Affaire Montesinos Faits allégués : détournement de fonds par l'ex-dictateur de la RDC. Résumé : demande d’entraide (mai 1997) ; blocage par le Conseil fédéral (blocage prolongé à plusieurs reprises) ; la RDC dépose plainte auprès du MPC (janvier 2009) ; le MPC rejette la plainte en raison de prescription ; le TPF ne donne pas suite à la dénonciation déposée par Prof. M. Pieth ; le citoyen suisse ne pouvait agir, faute de qualité de victime dans l’affaire ; selon le TPF, même à supposer que le régime de Mobutu puisse être considéré comme une organisation criminelle au sens de l’art. 260ter CP, l'art. 72 CP n'est plus applicable, eu égard au fait que l’éventuelle organisation Mobutu a cessé d’exister (juillet 2009) ; restitution des avoirs aux héritiers de Mobutu (octobre 2009) Faits allégués : détournement de fonds par l'ancien chef de l'espionnage. (Pérou) Résumé : communication au MROS et enquête pénale ouverte en Suisse pour blanchiment ; blocage de fonds ; transmission d’informations au Pérou (octobre 2000) ; demande d’entraide (2001) ; restitution de 77 millions de dollars au Pérou (août 2002) Affaire PEMEX Faits allégués : dirigeants de la compagnie pétrolière d’État Pemex accusés de corruption. (Mexique) Résumé : demande d’entraide (1985) : décision des autorités zurichoises en faveur de la remise des avoirs au Mexique (1987); décision du Tribunal fédéral sur le recours : sursis de la remise jusqu'à ce qu'une cour mexicaine aurait rendu un jugement exécutoire (novembre 1989) ; les avoirs restent bloqués ; levée de la saisie. Affaire Pinochet Faits allégués : détournement de fonds par l'ex-dictateur chilien. (Chili) Affaire Salinas (Mexique) 260 Résumé : le MPC ouvre une enquête contre un ancien conseiller d'Augusto Pinochet ; mise sous séquestre d'avoirs (janvier 2005) ; l’enquête n'a pas confirmé le soupçon selon lequel les fonds saisis pourraient constituer indirectement des avoirs de Pinochet ; procédure suspendue ; levée des saisies (septembre 2006). Faits allégués : détournement de fonds par l’ancien président mexicain. Résumé : demande d'entraide judiciaire déposée par le Mexique (1995) ; procédure pénale ouverte en Suisse contre Salinas pour blanchiment d'argent et détournement de fonds publics ; blocage d’avoirs, recours aux tribunaux par le clan Salinas (1995) ; délégation de la poursuite aux autorités mexicaines (2002) ; le Mexique demande la remise des avoirs Salinas (2007) ; restitution au Mexique de 74 millions de dollars (juin 2008); selon l’enquête, la provenance délictueuse d’une partie des fonds n'est pas manifeste ; ce solde a été restitué aux ayants droit. I. La confiscation dans le CP suisse Affaire Wang (Taiwan) Faits allégués : corruption dans l’achat de frégates françaises par Taiwan. Résumé : demande d’entraide (2001) ; séquestre des fonds et autorisation de la transmission des documents bancaires (novembre 2003) ; le Tribunal fédéral rejette les recours (mai 2004, avril 2005 et septembre 2005) ; le Conseil fédéral nie toute violation des intérêts essentiels de la Suisse et rejette le recours administratif (octobre 2005) ; l'OFJ constate que les garanties fournies par Taiwan (procès équitable) constituent un engagement suffisant (mai 2007) ; restitution d’une partie des fonds à Taiwan (juin 2007) ; le juge d’instruction fédéral décide de ne pas remettre de manière anticipée les avoirs bloqués ; une décision confiscatoire d’un tribunal est nécessaire (avril 2008). Sources : Communiqués de l’administration fédérale et arrêts des tribunaux fédéraux 261 Troisième partie : le droit suisse II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse 1. Les formes de l’entraide judiciaire en droit suisse A l’intérieur du système de coopération internationale en matière pénale, certains pays sont les récepteurs principaux des demandes de l’entraide. Il s’agit des pays qui ont gagné une bonne réputation en tant que places financières et dont les institutions financières s’adressent à une clientèle internationale. La Suisse, gérant environ 30% de la fortune privée mondiale offshore1256, se trouve parmi ces pays qui reçoivent de nombreuses demandes de coopération pénale internationale. La Suisse est liée par plusieurs instruments multilatéraux et régionaux spécifiques, ainsi que par un réseau de traités bilatéraux en matière d'entraide judiciaire. L’EIMP et l’OEIMP sont applicables aux questions non réglées, explicitement ou implicitement, par le droit conventionnel (aticle 1 al. 1 EIMP) ; elle sont aussi applicables lorsqu'elles posent des conditions plus favorables à l'entraide1257. Ainsi, la Suisse est en mesure de fournir des services complets d’entraide judiciaire en matière pénale aux autorités judiciaires et répressives des autres pays. Cette entraide est fournie dans le cadre d’enquêtes criminelles et de procédures pénales et peut comprendre des notifications de citations, décisions et autres pièces de procédure, l’obtention de preuves, la perquisition, la saisie, le gel et la confiscation des produits du crime, etc. 1.1. La distinction entre l’entraide judiciaire et l’assistance administrative L’entraide judiciaire diffère de l’assistance administrative1258. Comme l’indique son nom, l’assistance administrative porte sur l’exécution de tâches administratives, qui concernent nécessairement la collaboration entre les autorités administratives1259. Tel est le cas de l’assistance que se prêtent les autorités fiscales, les autorités douanières, les autorités de surveillance des marchés boursiers etc. L'entraide judiciaire en matière pénale, contrairement à 1256 1257 1258 1259 262 Directives OFJ (note 231), p. 62, utilisant des chiffres de la Banque nationale. ATF 122 II 140 consid. 2 ; ATF 123 II 268 consid. 2c ; ATF 123 II 134 consid. 1a ; ATF 129 II 462 consid. 1.1, etc. Le Département fédéral de justice et police a été chargé par le Conseil fédéral d’examiner s'il s'impose d'établir de nouvelles normes légales en matière d'assistance administrative internationale. Le rapport sur les éventuelles mesures à prendre doit être soumis au Conseil fédéral à la fin de 2009. Cf. DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DE JUSTICE ET POLICE (2008), Assistance administrative internationale : une analyse en profondeur s'impose; Le Conseil fédéral entend déterminer s'il y a lieu de légiférer dans ce domaine, Communiqué de presse, 20.08.2008. POPP (2001), N. 101 et N. 114 ss. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse l'assistance administrative, est mise en oeuvre par des autorités judiciaires (les autorités de poursuite pénale) ; elle est étroitement liée à la condition qu'une procédure judiciaire pénale soit préalablement ouverte à l'étranger ou puisse l'être ultérieurement1260. Le droit suisse de l’entraide judiciaire pénale ne peut pas servir de base à la collaboration de la Suisse, si les procédures étrangères ont un caractère strictement administratif ou civil1261. Selon la jurisprudence, l’entraide judiciaire en matière pénale est aussi possible dans le cas des enquêtes administratives qui constituent le préalable à la saisine des autorités judiciaires compétentes pour procéder à une mise en accusation1262. En d’autres termes, l’entraide judiciaire de la Suisse est possible même dans le cas des enquêtes administratives, si celles-ci peuvent ultérieurement aboutir au renvoi devant un juge pénal1263. 1.2. La distinction entre l’entraide judiciaire et la collaboration policière L’entraide judiciaire diffère également de la collaboration policière, qui comprend « des mesures qui n’impliquent pas l’emploi de moyens de contrainte prévus par le droit de procédure, telles l’interrogation policière de personnes concernées par la procédure, ou la restitution de valeurs sans contrainte procédurale »1264. La différence entre les deux types de collaboration ne réside pas seulement dans le critère organique, c’est-à-dire dans la distinction entre les autorités judiciaires et les autorités de police. Dans le cadre de la collaboration policière, aucune procédure de recours n’est prévue en faveur des personnes concernées, alors que les moyens de contrainte prévus par le droit de procédure ne sont pas disponibles. Les autorités de police coopèrent ordinairement par l'intermédiaire d’Interpol. En droit suisse, la base juridique pour la coopération policière est l’article 75a EIMP et les accords bilatéraux en matière de police, alors que la coopération entre la Suisse et Interpol se fonde sur les articles 350 à 353 CP ainsi que sur l'ordonnance INTERPOL du 1er décembre 19861265. 1260 1261 1262 1263 1264 1265 MOREILLON (2004), p. 41. Au sujet de l’entraide « administrative » dans le domaine pénal, voir l’arrêt du Tribunal pénal fédéral du 1er décembre 2010, RR.2010.205, consid. 2.2 (recours rejeté par le TF, 1C.563/2010), concernant la transmission de fonds mafieux italiens. ATF 113 Ib 257 consid. 5. ATF 109 Ib 50 consid. 3, concernant la Securities and Exchange Commission. ATF 121 II 153, consid. 1, concernant la Commission française des opérations de bourse. Directives OFJ (note 231), p. 6. Ordonnance du 1er décembre 1986 concernant le Bureau central national Interpol Bern, RS 351.21. 263 Troisième partie : le droit suisse 1.3. L’entraide judiciaire accessoire L’entraide judiciaire accessoire (petite entraide) peut être définie comme « le soutien que les autorités de l’Etat requis apportent à la justice de l’Etat requérant en accomplissant sur leur territoire des actes de procédure ou d’autres actes officiels et en communiquant le résultat aux autorités requérantes étrangères en vue de l’utilisation de ce dernier dans une procédure pénale déterminée »1266. Constituent notamment des actes d’entraide judiciaire accessoire l’audition de témoins, la confrontation de personnes, la notification de citations, de jugements et d'autres actes judiciaires, la saisie de pièces à conviction ou de documents, la perquisition, la confiscation de biens et la remise de valeurs. 2. L’entraide judiciaire en vertu de la CEEJ et du deuxième Protocole additionnel 2.1. La CEEJ La CEEJ règle des questions qui ne faisaient à l’époque de sa ratification (1966) l’objet d’aucune disposition légale1267. En vue de compléter la CEEJ, la Suisse a conclu des accords bilatéraux avec plusieurs pays, comme la République fédérale d'Allemagne1268, l’Autriche1269 et la France1270. Les dispositions de la CEEJ l'emportent sur l’EIMP et son ordonnance d'exécution1271. A plusieurs occasions, le TF a affirmé que les traités internationaux ont le pas sur la loi nationale, même s'ils lui sont antérieurs1272. S’il reste des questions non réglées par la CEEJ ou une autre convention d’entraide, l’EIMP est applicable. L’EIMP est aussi applicable lorsqu'elle est plus favorable à l'entraide1273 et lorsque la solution fournie par l’EIMP n’est pas contraire à ce traité. En interprétant les dispositions de la CEEJ, la jurisprudence suisse affirme que l'acte pour lequel l'entraide est demandée ne doit pas revêtir un caractère politique prépondérant (article 2 al. 1 let. a CEEJ)1274, que l'exécution de la demande ne doit pas être de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la 1266 1267 1268 1269 1270 1271 1272 1273 1274 264 Directives OFJ (note 231), p. 5. Message (note 31), FF 1966 I, p. 465 ss ; par exemple, la CEEJ constitue la base juridique de l’entraide entre la Suisse et des pays, comme les Etats scandinaves, alors qu’aucune convention bilatérale en la matière n’existait à cette époque. RS 0.351.913.61. RS 0.351.916.32. RS 0.351.934.92. OEIMP; RS 351.11. ATF 128 IV 201, consid. 1.3 ; ATF 125 II 417, consid. 4c ; ATF 109 Ib 165, consid. 7b ; ATF 102 Ia 317, consid. 1 ; ATF 101 Ia 407, consid. 1a ; ATF 105 Ib 294, consid. 1a. ATF 129 II 462, consid. 1.1; ATF 123 II 134, consid. 1a; ATF 122 II 140, consid. 2 et les arrêts cités. Arrêt du Tribunal fédéral du 4 septembre 2000, 1A.160/2000, consid. 4a ; CASSANI (2003), p. 300 ; ZIMMERMANN (2009), p. 571, N. 616. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels du pays (article 2 let. b CEEJ)1275, et que le principe de la proportionnalité doit être respecté1276. La jurisprudence affirme aussi que le respect des droits fondamentaux est réservé1277. La Suisse a utilisé la faculté prévue à l’article 5 al. 1 CEEJ, autorisant les Etats Parties à formuler des réserves et à soumettre l'exécution des commissions rogatoires aux fins de perquisition ou de saisie d'objets à certaines conditions (« opting out »). La pratique suisse exigeait que l’infraction motivant la requête d’entraide soit punissable en Suisse et dans l’Etat requérant, alors que la CEEJ ne subordonnait l’entraide à aucune condition de fond particulière, comme le principe de la double incrimination. Pour cette raison et conformément à l'article 5 par. 1 let. a de la CEEJ, la déclaration suisse a subordonné à la condition de la double incrimination l’exécution de toute commission rogatoire exigeant l'application d'une mesure coercitive quelconque1278. 2.2. Le deuxième Protocole additionnel L’adhésion au deuxième Protocole additionnel à la CEEJ1279 « ne constitue pas une véritable innovation pour la Suisse, car la plupart des dispositions qu’il contient se trouvent déjà dans des accords bilatéraux passés avec les Etats voisins, ou dans la loi du 20 mars 1981 sur l’entraide pénale internationale »1280. En outre, l’entrée en vigueur du deuxième Protocole additionnel ne limite ni la validité, ni l’application des traités bilatéraux conclus avec les Etats voisins1281. La validité des déclarations et des réserves a été conservée, à moins que les Etats retirent leurs déclarations (article 33 par. 1 du deuxième Protocole). La Déclaration de la Suisse relative à l’article 5 par. 1 de la CEEJ n’a pas été retirée et reste valable1282. Cette clause permet à la Suisse de continuer son ancienne pratique, à savoir de lier l’octroi de l’entraide judiciaire aux principes de la double incrimination et de la spécialité1283. 1275 1276 1277 1278 1279 1280 1281 1282 1283 Arrêt du Tribunal fédéral du 24 janvier 2006, 1A.300/2005, consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral du 30 octobre 2003, 1A.181/2003, consid. 4.3 ; ATF 123 II 268, consid. 4b/dd. ATF 118 Ib 111, consid. 4b et les arrêts cités. ATF 123 II 595, consid. 7c. A cet égard, la Déclaration suisse va plus loin que l’article 5 par. 1 let. a CEEJ, car elle ne se limite pas aux commissions rogatoires aux fins de perquisition ou de saisie. RS 0.351.12 ; le deuxième Protocole a été approuvé par l’Assemblée fédérale le 19 mars 2004 (RO 2005 331) et est entré en vigueur pour la Suisse le 1er février 2005. Pour une analyse de cet instrument voir p. 47 ss de la présente étude ; cf. Message (note 201), FF 2003 2873. Message (note 201), FF 2003 2873, p. 2874. Message (note 201), FF 2003 2873, p. 2903. Message (note 201), FF 2003 2873, p. 2880. Message (note 201), FF 2003 2873, p. 2878. 265 Troisième partie : le droit suisse L’article 12, qui étend la possibilité de remise aux objets provenant d’activités délictueuses, « ne vise pas à modifier les dispositions de droit national relatives à la confiscation. Il ne devrait d’ailleurs s’appliquer que dans les cas où il n’y a aucun doute quant à l’identité du propriétaire légitime du bien »1284. Le seul problème de compatibilité est le fait que l’article 12 du deuxième Protocole se réfère à des « objets », alors que l’article 74a EIMP, disposition que nous examinerons ultérieurement1285, utilise un terme plus large, celui de « valeur ». Dans ce cas, il faut recourir au principe selon lequel le droit interne est applicable lorsqu'il est plus favorable à l'entraide1286. 3. La loi sur l’entraide internationale en matière pénale (EIMP) En 1966, à l’occasion de la ratification de la CEEJ, le Conseil fédéral a fait remarquer que la réglementation de l'entraide judiciaire préjugerait « l’élaboration d’une loi fédérale en la matière, qui répond à une impérieuse nécessité » 1287. Des dispositions relatives à l’entraide étaient incluses dans les traités d’extradition que la Confédération avait conclus avec d’autres Etats. La nécessité de régler de manière claire et efficace les procédures relatives à la coopération internationale en matière pénale a conduit à l’adoption de la loi sur l’entraide en matière pénale internationale (EIMP)1288. L’EIMP, révisée en 19961289, et son ordonnance d'exécution (OEIMP) 1290 régissent la coopération pénale avec les Etats qui ne sont pas liés conventionnellement à la Suisse1291. Des dispositions relatives à l’entraide sont aussi incluses dans le nouveau code de procédure pénale unifiée1292 ; cependant, ces dispositions du CPP ne s’appliquent qu’à titre subsidiaire (article 54 CPP). En ce qui concerne la coopération judiciaire entre la Suisse et les Etats-Unis, un traité spécial sur l’entraide judiciaire a été conclu en 19731293 et complété 1284 1285 1286 1287 1288 1289 1290 1291 1292 1293 266 Message (note 201), FF 2003 2873, p. 2889 ss. Voir p. 280 ss de la présente étude. ATF 129 II 462 consid. 1.1; ATF 123 II 134 consid. 1a; ATF 122 II 140 consid. 2 et les arrêts cités. Message (note 31), p. 467. Loi fédérale du 20 mars 1981 sur l’entraide internationale en matière pénale (loi sur l’entraide pénale internationale, EIMP), RS 351.1 ; entrée en vigueur le 1er janvier 1983. Cf. Message du Conseil fédéral du 29 mars 1995 concernant la révision de la loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale et de la loi fédérale relative au traité conclu avec les Etats-Unis d’Amérique sur l’entraide judiciaire en matière pénale, FF 1995 III 1 ss. Les modifications sont entrées en vigueur le 1er février 1997 ; RO 1997 114. Parmi les principales raisons de cette révision se trouve la durée de la procédure d’exécution de certaines demandes d’entraide judiciaire, ce qui a été critiquée en particulier dans les cas Pemex (ATF 115 Ib 517) et Marcos (ATF 116 Ib 452) ; cf. NICATI (2001), p. 1. Ordonnance du 24 février 1982 sur l’entraide pénale internationale, RS 351.11. Pour le rapport entre l’EIMP et le droit conventionnel voir p. 222 de la présente étude. FF 2007 6583 ss. Traité du 25 mai 1973 entre la Confédération suisse et les Etats-Unis d'Amérique sur l'entraide judiciaire en matière pénale (TEJUS), RS 0.351.933.6. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse par des échanges de notes1294 et par un Memorandum of Understanding1295. La particularité de ce traité est le fait qu’il prévoit une entraide judiciaire entre Etats appartenant à des traditions juridiques différentes1296. Une loi fédérale règle l’application de ce traité, dès lors que cet instrument international est antérieur à l’EIMP1297. L’EIMP ne s’applique qu’à titre subsidiaire à l’entraide judiciaire entre la Suisse et les Etats-Unis. L’EIMP comprend quatre grands chapitres, qui régissent les procédures suivantes : l’extradition, la petite entraide, la délégation de la poursuite pénale et l’exécution de décisions pénales étrangères. Les procédures d’extradition ne seront pas étudiées, sauf la remise d’objets et valeurs dans le cadre de l’extradition. 3.1. Les conditions générales de recevabilité d’une demande d’entraide à des fins de mesures provisoires ou de remise de valeurs Le dispositif suisse en matière d’entraide judiciaire est « globalement satisfaisant dans ses principes et mis largement à contribution »1298. La Suisse a conclu des accords en matière d’entraide judiciaire avec de nombreux pays. Ces accords constituent la base juridique de l’entraide judiciaire accordée par la Suisse à ces pays. Le droit suisse permet également l’octroi de l’entraide à tout autre pays, même en l’absence d’accord bilatéral à cet égard1299. En outre, même si un certain mode de collaboration n’est pas expressément prévu en droit conventionnel, la Suisse peut accorder l’entraide en vertu des dispositions de son droit interne ou de l’EIMP. Selon la jurisprudence, le droit interne doit s’appliquer lorsque celui-ci apparaît plus favorable à la coopération que le droit conventionnel1300. En l’absence d’un accord bilatéral, l’octroi de l’entraide judiciaire en matière pénale est subordonné au principe de la réciprocité. Selon ce principe général du droit des gens, un Etat conditionne l'avantage qu'il accorde à un autre Etat par l'assurance absolue d'obtenir, le cas échéant, le même avantage1301. Dans le contexte de l’entraide en matière pénale, l’Etat requérant 1294 1295 1296 1297 1298 1299 1300 1301 Cf. Echange de notes en matière d'entraide judiciaire dans des procédures administratives complémentaires concernant les requêtes ayant trait à des opérations d'initiés; RS 0.351.933.65. Memorandum of Understanding, 10.11.1987, FF 1988 II, p. 401 ss. FREI / FRESCHAL (1990), p. 77 ss. LTEJUS, RS 351.93 GAFI (2005), Synthèse : Suisse, 3ème rapport d’évaluation mutuelle de la lutte anti-blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme, 14 octobre 2005, par. 59. Article 1 EIMP ; Cf. HARARI (1997), p. 170 ; BERNASCONI (2002), p. 168, N. 22. ATF 118 Ib 269, consid. 1a ; ATF 120 Ib 120, consid. 1a ; ATF 122 II 140, consid. 2 ; ATF 123 II 268, consid. 2c ; ATF 123 II 134, consid. 1a ; ATF 129 II 462, consid. 1.1, etc. ATF 109 Ib 165, consid. 5. 267 Troisième partie : le droit suisse doit être en mesure d’exécuter des requêtes suisses analogues, en d’autres termes affirmer sa volonté de coopération sur une base réciproque. L’OFJ est compétent pour décider si les circonstances exigent qu’une assurance formelle et expresse de réciprocité soit demandée (article 8 al. 1er EIMP)1302. L’OFJ dispose à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation1303, mais en général une déclaration de réciprocité est exigée dans la plupart des cas où un traité fait défaut. Dans des cas exceptionnels, les autorités suisses peuvent renoncer à exiger une déclaration et octroyer l’entraide judiciaire en l’absence de réciprocité1304. Les exceptions peuvent être justifiées par la nature de l’acte commis ou par la nécessité de lutter contre certaines formes d’infractions graves (répression de la criminalité organisée et des délits économiques1305, du blanchiment d'argent, de la corruption1306, terrorisme). Si l’OFJ subordonne l’entraide à une déclaration formelle de réciprocité, le droit interne de l’Etat requérant va déterminer quelle est l’autorité compétente pour fournir cette garantie1307. En pratique, l’Etat requérant satisfait cette condition par le biais d’une note de sa représentation diplomatique en Suisse. La déclaration peut aussi être contenue dans une lettre du Ministère public général ou du Ministère de la justice. Les autorités suisses ne peuvent coopérer avec des autorités étrangères pour la poursuite d’infractions pénales, que si la répression de ces infractions relève de la compétence des autorités judiciaires de l’Etat requérant1308. Ce principe est reconnu par l’EIMP (article 1 al. 3 EIMP)1309 et le droit conventionnel (article 1 al. 1 let. a TEJUS). Une action pénale doit donc être ouverte dans l’Etat requérant1310, ce qui n’implique pas nécessairement une inculpation ou une mise en accusation formelle. La jurisprudence admet qu’une enquête préliminaire suffit, pour autant qu’elle puisse aboutir au renvoi d’accusés devant un tribunal compétent pour réprimer les infractions en question1311. Le TF a admis1312 que la procédure américaine de confiscation autonome civile (civil forfeiture) peut donner lieu à l'entraide judiciaire pénale de la part de la Suisse. Pour déterminer si la procédure en question a un caractère pénal au sens des articles 1 al. 3 et 63 EIMP, le TF a recouru aux conceptions du droit 1302 1303 1304 1305 1306 1307 1308 1309 1310 1311 1312 268 JEANNERET (1999), p. 41. ATF 110 Ib 173 consid. 3a.. ATF 130 II 217 (Wang), consid. 7.1 ; ATF 110 Ib 173, consid. 3a. ATF 130 II 217 (Wang), consid. 7.1 ; ATF 115 Ib 517 consid. 4b. ATF 130 II 217 (Wang), consid. 7.1 ; Arrêt du Tribunal fédéral du 23 avril 2003, 1A.49/2002, consid. 4.1. ATF110 lb 173, consid. 3a. ZIMMERMANN (2009), p. 509, N. 559. JEANNERET (1999), p. 27. ATF 132 II 178, consid. 2.2. ATF 123 II 161, consid. 3a ; ATF 118 Ib 457, consid. 4b ; ATF 116 Ib 452 consid. 3a, etc. ATF 132 II 178, consid. 3-5. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse suisse, sans insister sur la dénomination de la procédure étrangère. Le TF a considéré que la procédure en question avait un caractère pénal et qu’elle pouvait donner lieu à l'entraide judiciaire pénale de la part de la Suisse, parce qu’elle présentait « une similitude suffisante avec les procédures de confiscation prévues ou reconnues en droit suisse ». La procédure américaine de confiscation civile peut être assimilée à une « cause pénale » au sens des article 1 al. 3 et 63 EIMP, car elle suppose 1) l’existence d’une infraction pénale et 2) un lien entre cette infraction et les objets et valeurs à confisquer. Néanmoins, le TF précise que l’entraide judiciaire pénale à des fins de confiscation civile n’est possible que s’il existe dans l'Etat requérant à tout le moins une compétence répressive, c’est-à-dire que si les autorités de cet Etat sont compétentes pour poursuivre les agissements décrits1313. L’article 1a EIMP est une disposition générale qui pose des limites à la coopération dans l’application de l’EIMP ; elle exige de tenir compte de la souveraineté, de la sûreté, de l’ordre public ou d’autres intérêts essentiels de la Suisse. Dans ce contexte, « les intérêts essentiels de la Suisse seraient [.. ] compromis si des sommes d’argent présumées constituer le produit d’infractions pouvaient être placées en Suisse sans que les autorités étrangères puissent recueillir des informations à leur sujet »1314. Dans l’affaire Abacha, le Tribunal fédéral a aussi conclu que l'intérêt essentiel de la Suisse, au sens de l'article 1a EIMP, est « de ne pas servir de refuge aux montants considérables détournés illégalement par les représentants de régimes dictatoriaux »1315. L’entraide est subordonnée au respect des droits de l’accusé1316. En vertu de l’article 2 EIMP, la demande d’entraide est déclarée irrecevable s’il y a lieu d’admettre que la procédure entreprise à l’étranger viole les principes de procédure fixés par les instruments internationaux (Convention européenne du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques)1317. Comme l’indique la jurisprudence1318, la Suisse ellemême contreviendrait à ses engagements internationaux, si elle accordait délibérément l'entraide ou l'extradition d'une personne à un Etat dans lequel il existe des motifs sérieux de penser que l'intéressé court un risque de traitement contraire à la CEDH ou au Pacte ONU. A cet égard, les autorités suisses peuvent demander certaines garanties de la part de l'Etat requérant, conformément à l'article 80p EIMP, selon lequel « [l]’autorité d’exécution et 1313 1314 1315 1316 1317 1318 Cf. ATF 126 II 212 consid. 6b ; ZIMMERMANN (2009), p. 514, N. 564. OFFICE FÉDÉRAL DE LA JUSTICE (2004), « Angolagate »: la Suisse transmet à la France des documents bancaires au titre de l’entraide judiciaire, Communiqué de presse, 29.09.2004. ATF 131 II 169 (Abacha), consid. 6. ATF 123 II 595 consid. 7c. ATF 122 II 140 consid. 5a et les arrêts cités ; POPP (2001), N. 382. Arrêt du TF du 12 septembre 2002, 1A.147/2002, consid. 5.1. ; ATF 121 II 296 consid. 3b et les arrêts cités. 269 Troisième partie : le droit suisse l’autorité de recours, de même que l’office fédéral, peuvent subordonner, en totalité ou en partie, l’octroi de l’entraide à des conditions »1319. L’article 3 EIMP prévoit deux conditions, dont la violation rend la demande d’entraide irrecevable1320. Selon cet article, l’entraide n’est pas accordée pour les délits fiscaux et politiques ; la procédure étrangère ne doit pas viser un acte qui, selon les conceptions suisses, « revêt un caractère politique prépondérant, constitue une violation des obligations militaires ou d’obligations similaires, ou paraît dirigé contre la défense nationale ou la puissance défensive de l’Etat requérant » (article 3 ch. 1)1321. La procédure étrangère ne doit pas non plus viser un acte « qui paraît tendre à diminuer des recettes fiscales ou contrevient à des mesures de politique monétaire, commerciale ou économique » (article 3 ch. 3 EIMP). Deux exceptions à cette règle sont prévues : la possibilité d’accorder la petite entraide si la procédure vise une escroquerie en matière fiscale (article 3 ch. 3 let. a EIMP) et la possibilité d’accorder l’entraide pour la contrebande qualifiée (article 3 ch. 3 let. b EIMP)1322. L’article 64 EIMP prévoit que les mesures de contrainte ne peuvent être ordonnées « que si l’état de fait exposé dans la demande correspond aux éléments objectifs d’une infraction réprimée par le droit suisse »1323. L'examen du principe de la double incrimination comprend les éléments constitutifs objectifs de l'infraction selon le droit suisse, à l'exclusion des conditions particulières du droit suisse en matière de culpabilité et de répression1324. Comme l’affirme la jurisprudence, « il n'est pas nécessaire que les faits incriminés revêtent, dans les deux législations concernées, la même qualification juridique, qu'ils soient soumis aux mêmes conditions de punissabilité ou passibles de peines équivalentes; il suffit qu'ils soient réprimés dans les deux Etats comme des délits donnant lieu ordinairement à la coopération internationale »1325. Enfin, l’entraide judiciaire est régie par les principes de la proportionnalité, de la spécialité et de « ne bis in idem »1326. 1319 Cf. Arrêt du Tribunal fédéral du 28 décembre 2004, 1A.214/2004. L'OFJ examine si la réponse de cet Etat constitue un engagement suffisant au regard des conditions fixées ; cependant, « cette procédure de vérification a un objet limité: il s'agit uniquement de savoir si l'Etat requérant a déclaré valablement et sans ambiguïté qu'il accepte les conditions posées. La réponse à cette question ne supposant pas un examen approfondi, l'examen auquel doit se livrer l'office a été voulu sommaire par le législateur […] Pour sa part, l'Etat requérant doit fournir une réponse claire et dénuée de toute ambiguïté […] ses assurances doivent correspondre entièrement et sans réserve aux conditions fixées » cf. aussi ATF 131 II 228, consid. 2 ; ATF 1320 1321 1322 1323 1324 1325 124 II 132 consid. 4. JEANNERET (1999), p. 34. ZIMMERMANN (2009), p. 571, N. 616 ; ATF 128 II 355, consid. 4.1. Cf. article 14, al. 4 DPA, introduit par la loi fédérale du 3 octobre 2008 sur la mise en oeuvre des recommandations révisées du GAFI, RO 2009 361, en vigueur depuis le 1er février 2009. JEANNERET (1999), p. 101 ; voir aussi POPP (2001), N. 133 ss. ATF 124 II 184 consid. 4b ; ATF 122 II 422 consid. 2a ; ATF 118 Ib 448 consid. 3a, et les arrêts cités. Arrêt du Tribunal fédéral du 5 décembre 2003, 1A.213/2003, consid. 3.1 ; ATF 124 II 184 consid. 4b/cc ; ATF 117 Ib 337 consid. 4a ; ATF 112 Ib 225 consid. 3c et les arrêts cités. Dans le cas du blanchiment d’argent, « [i]l est de jurisprudence constante que […] lorsqu'on est en présence de transactions portant sur des sommes importantes dénuées de justification apparente, d'utilisation de nombreuses sociétés réparties dans plusieurs pays […] l'entraide doit être accordée eu égard de la double punissabilité sans que l'autorité 270 II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse 3.2. L’entraide à des fins de mesures provisoires (article 18 EIMP) Dans le cadre de l’entraide, les autorités étrangères peuvent demander la mise en place de mesures provisoires, comme le blocage de comptes et la saisie de documents bancaires. Cette possibilité est prévue à l’article 18 EIMP1327. Le séquestre relatif à la procédure d'entraide judiciaire se distingue de celui ordonné dans le cadre d'une procédure pénale ouverte en Suisse1328. Selon la jurisprudence, chacune des ces deux formes de séquestre doit être examinée pour elle-même1329. La saisie provisoire dans le cadre de l’entraide (article 18 al. 1 EIMP) a pour but d'assurer la disponibilité des avoirs au cas où l'autorité requérante devrait décider de déposer une demande de remise, conformément à l'article 74 ou 74a EIMP1330. Le séquestre pénal conforte le séquestre ordonné en vertu de l’article 18 EIMP; si le séquestre pénal est lévé, le séquestre en vertu de l’article 18 EIMP doit être remis en force1331. Dans la pratique, les deux séquestres sont ordonnés et si l’un est levé, l’autre reste en force sans qu’il ne soit nécessaire de l’ordonner à nouveau. Selon la jurisprudence, la procédure d'entraide judiciaire ne doit pas être purement et simplement abandonnée jusqu'à l'issue de la procédure pénale en Suisse, mais les autorités suisses doivent prendre toutes les mesures compatibles avec la poursuite qui sont susceptibles de faire progresser la procédure d'entraide1332. Les mesures provisoires en vertu de article 18 EIMP peuvent aussi être ordonnées pour assurer le recouvrement d’une créance compensatrice1333. Dès l’annonce du dépôt d’une demande d’entraide, des mesures provisoires urgentes peuvent être ordonnées par l’OFJ (article 18 al. 2 EIMP)1334. Il s’agit de mesures provisoires d'urgence, qui sont soumises à un délai pour la présentation de la demande d'entraide judiciaire formelle en bonne et due forme1335. En ce qui concerne la durée des mesures prises en vertu de l’article 18 EIMP, les directives de l’OFJ indiquent que l’Etat requérant obtient en principe un délai de trois mois pour présenter sa demande de remise ; ce délai peut être 1326 1327 1328 1329 1330 1331 1332 1333 1334 1335 requérante ait à préciser quel serait le crime à la base de son hypothèse de blanchiment » ; arrêt du Tribunal pénal fédéral du 2 décembre 2009, RR.2009.295-296, consid. 2.4 et les références citées. Cf. aussi ROTH, in BRAUM / WEYEMBERGH (2009), p. 132 ss et les propositions pour l’amélioration « technique » de la mise en oeuvre de ce principe dans un contexte transnational. Cf. aussi art. 8 al. 1 LTEJUS, art. 31 LCPI. DE PREUX (2008), p. 33. Arrêt du Tribunal fédéral du 28 octobre 2003, 1P.583/2003. Arrêt du Tribunal fédéral du 24 janvier 2006, 1A.300/2005, consid. 6. ZIMMERMANN (2009), p. 349, N. 378 ; ATF 123 II 268, consid. 4b/dd. ATF 123 II 268, consid. 4c. Arrêt du Tribunal pénal fédéral du 24 septembre 2008, RR.2008.167, consid. 6.2 et les références citées ; arrêt du Tribunal pénal fédéral du 21 octobre 2009, RR.2009.168, consid. 41 ss. La saisie provisionnelle au sens de l’article 18 EIMP est soumise aux conditions de l’urgence et de la proportionnalité ; cf. aussi article 8 LTEJUS. Directives OFJ (note 231), p. 57 ; rapport précité (note 1099), par. 80 ; MOREILLON (2004), p. 352. 271 Troisième partie : le droit suisse prolongé après coup1336. La mesure provisoire doit être levée si l’Etat étranger ne fournit pas une demande formelle et valable dans les délais. Si une demande formelle de remise est déposée, les mesures provisionnelles demeurent en vigueur jusqu’à la clôture de la procédure d’entraide judiciaire. Si les autorités suisses subordonnent la remise à une décision définitive et exécutoire étrangère, la saisie demeure en place jusqu’à réception de cette décision1337. Dans ce cas, le principe de la célérité impose que l’Etat requérant ne tarde pas à prononcer la confiscation des fonds, faute de quoi la saisie doit être levée1338. En effet, une procédure d’entraide portant sur la remise peut durer longtemps ; dans ce cas, une mesure provisoire peut selon les cas constituer une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la personne concernée1339. Une durée de 10 ans a été considérée comme excessive par la jurisprudence1340. Les mesures provisoires ne peuvent être ordonnées, si l’entraide semble manifestement irrecevable ou inopportune. Il n’est pas nécessaire d’établir clairement la provenance illicite des biens à saisir ; de simples soupçons permettent d’ordonner des mesures provisoires, alors que la vraisemblance est nécessaire pour la remise1341. Le principe de la proportionnalité doit toujours être respecté1342. La saisie a pour objet de maintenir les valeurs patrimoniales en l’état pendant l’examen de la demande de remise. En général, les mesures provisoires doivent faire l’objet d’une demande expresse de l’Etat requérant1343 ; cependant, la jurisprudence admet qu’une demande de remise de valeurs comporte implicitement une requête de saisie préalable, sans pourtant que l’inverse soit vrai1344. Comme l’exige l’article 76, let. c EIMP, l’exécution d’une perquisition, ainsi que la saisie ou la remise d’objets sont soumises à une attestation : les autorités étrangères doivent confirmer que de telles mesures sont licites dans l’Etat requérant. L'attestation n'est pas exigée systématiquement, mais seulement lorsqu'il existe un doute sur la licéité de la mesure dans l'Etat 1336 1337 1338 1339 1340 1341 1342 1343 1344 272 Directives OFJ (note 231), p. 57 ; GOSSIN (2006), p. 331. La saisie doit être levée si l’Etat requérant fait savoir qu’une telle décision ne peut plus être rendue ; art. 33a OEIMP ; des délais peuvent être fixés à l’Etat requérant pour prononcer une décision de confiscation, sous peine de levée de saisie ; Directives OFJ (note 231), p. 64 ; Arrêt du Tribunal pénal fédéral, RR 2007.7-11, consid. 3.2. Directives OFJ (note 231), p. 64. ATF 126 II 462, consid. 5. Arrêt du Tribunal fédéral, 1A.314/2005 ; cf. aussi Arrêt du Tribunal fédéral, 1A.27/2006 consid. 1 (durée de 20 ans) HARARI (1997), p. 171 ; GOSSIN (2006), p. 331 ; ATF 112 Ib 576 consid. 14b. DE PREUX (2008), p. 34 ; ATF 130 II 329, consid. 6. MOREILLON (2004), p. 348 ; ZIMMERMANN (2009), p. 347, N. 376, citant l’arrêt G.41/1994 du 8 septembre 1994, consid. 2d/aa. ATF 112 Ib 610 consid. 3 ; MOREILLON (2004), p. 352. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse requérant1345. Une attestation formelle n’est pas exigée dans tous les cas, et il n’est pas indispensable qu’elle fasse l’objet d’une déclaration distincte de la requête d’entraide ; la plupart des accords internationaux d’entraide judiciaire ne prévoient pas cette condition1346, qui ne peut donc pas être appliquée dans ce cas. L’EIMP prend cette précaution pour éviter que l'Etat requérant puisse obtenir de la Suisse des mesures de contrainte qu'il ne pourrait imposer sur son propre territoire1347. En tout cas, l’attestation n’est pas impérativement formelle et ne constitue pas toujours une partie distincte de la demande d’entraide ; l’admissibilité des mesures demandées peut ainsi être établie de manière indirecte, par exemple lorsque les autorités étrangères joignent un ordre de perquisition ou de saisie (article 31 al. 2 OEIMP). La demande d’entraide peut contenir d’autres indications sur l’admissibilité de la mesure, telles que les allusions à des perquisitions conduites simultanément dans l'Etat requérant1348. Il y a des critiques1349 selon lesquelles la protection juridique contre les blocages de comptes ordonnés dans le cadre de l'entraide pénale internationale est insuffisante. La motion Baumann1350, déposée en 2006, demandait que l’EIMP (articles 80e let. b ch. 1 et 80g al. 2 EIMP) soit modifiée de sorte que les saisies de valeurs ordonnées dans le cadre d'une entraide judiciaire soient examinées périodiquement par une autorité judiciaire. La motion a été adoptée par le Conseil national1351 ; cependant, le Conseil des Etats l’a rejetée en mars 2008, en tant que superflue1352. En fait, selon l’article 80e let. b ch. 1 EIMP, « [p]euvent faire l’objet d’un recours […] b. les décisions incidentes antérieures à la décision de clôture , en cas de préjudice immédiat et irréparable découlant: 1. de la saisie d’objets ou de valeurs ». Pour sa part, l’article 80g al. 2 EIMP, concernant le recours contre les décisions de l’autorité fédérale d’exécution, fait référence à la notion de « préjudice immédiat et irréparable » au sens de l’art. 80e, let. b EIMP. Après le dépôt de la motion Baumann, la jurisprudence a interprété cette notion dans le sens de l'auteur de la motion : dans le cas où un délai relativement long écoule à compter du prononcé de la saisie, « […] il sied d’admettre […] qu’un contrôle judiciaire du maintien de la mesure de saisie se justifie. Au niveau procédural, il y a donc lieu de considérer la décision querellée comme une ordonnance de clôture. Il en découle […] que la 1345 1346 1347 1348 1349 1350 1351 1352 ATF 123 II 161 consid. 3b ; PIQUEREZ (2006), p. 420. Directives OFJ (note 231), p. 40. ATF 123 II 161, consid. 3b ; ATF 118 Ib 457, consid. 5. Directives OFJ (note 231), p. 40 ; cf. également art. II, 1er al., accord complémentaire/CEEJ avec l'Allemagne. Sur le problème de l’admissibilité des preuves dans le contexte international, voir SPENCER (2003), p. 34 ss. EYMANN (2008), p. 854. Selon cet auteur, le principe de célérité limite la possibilité de recourir séparément contre les décisions incidentes. Pour cette raison, la personne concernée ne peut s'opposer au blocage de compte qu'au terme de la procédure d'entraide judiciaire, ce qui risque d’impliquer des retards importants. Motion Baumann J. Alexander, 06. 3240. Conseil national, Session de printemps 2007, Dix-septième séance, 23.03.07. Conseil des Etats, Session de printemps 2008, Sixième séance, 11.03.08. 273 Troisième partie : le droit suisse recevabilité du recours n’est pas subordonnée à l’existence d’un préjudice immédiat et irréparable au sens de l’art. 80e al. 2 EIMP »1353. Le blocage ordonné par le Conseil fédéral sur la base de l’art. 184 al. 3 Cst. féd. Le Conseil fédéral peut rendre des ordonnances de blocage des avoirs sur la base de l’art. 184 al. 3 Cst. féd. (art. 102 ch. 8 aCst. féd.) pour la sauvegarde des intérêts du pays en politique étrangère. Ce type de blocage, visant principalement des avoirs appartenant à d’anciens potentats (affaires Marcos, Mobutu et Duvalier) est la réponse du Conseil fédéral à l’échec de la procédure d’entraide1354. La mesure de blocage doit être exigée par la sauvegarde des intérêts de la Suisse ; elle doit être nécessaire, limitée dans le temps et respectueuse du principe de la proportionnalité1355. La nature provisoire de la mesure implique que le Conseil fédéral n’a pas le pouvoir d’ordonner la confiscation des valeurs ou leur remise à l’étranger sur la base de l’art. 184 al. 3 Cst. féd1356. 3.3. La remise d’objets dans le cadre d’une procédure d’extradition (article 59 EIMP) L’extradition est la forme la plus ancienne d’entraide judiciaire internationale, raison pour laquelle les origines de l’institution de remise d’objets peuvent y être retrouvées1357. Par exemple, en Suisse, la loi sur l’extradition de 18921358 prévoyait la remise de documents, de valeurs et d’autres objets saisis lors de l’arrestation de la personne à extrader. Cette possibilité était également prévue dans plusieurs traités bilatéraux d’extradition, conclus à la même époque1359. Plus récemment, la remise extraditionnelle a été prévue à l’article 20 CEExtr1360, dans les accords complémentaires d’extradition1361 et à l’article 18 LCPI, qui régit les demandes d’entraide présentées par la CPI1362. Sous l’empire de l’EIMP, la possibilité de remise extraditionnelle est prévue à l’article 59 EIMP, entièrement remanié lors de la révision du 4 octobre 1996. Cette remise est l’accessoire de la procédure d'extradition1363; 1353 1354 1355 1356 1357 1358 1359 1360 1361 1362 1363 274 Arrêt du Tribunal pénal fédéral du 29 octobre 2007, RR. 2007.77, consid. 2.3.4 et les arrêts cités. Sur la nouvelle LRAI, voir p. 291 ss de la présente étude. ATF 132 I 229 (affaire Mobutu) ; Arrêt du Tribunal fédéral du 27 avril 2006, 1A.150/2004. Giroud-Roth / Moreillon (2009), p. 283. FREY (1999), p. 77 ; GOSSIN (2006), p. 325. Article 27 Loi fédérale du 22 janvier 1892 sur l’extradition aux Etats étrangers, RO 12 727. Cf. article XIX du Traité d’Extradition de 1906 conclu entre la Suisse et l’Argentine (RS 0.353.915.4), article XI du Traité d’Extradition de 1883 conclu entre la Suisse et El Salvador (RS 0.353.932.3), article XVI du Traité d’Extradition de 1880 conclu entre la Suisse et le Royaume-Uni (RS 0.353.936.7) ; FREY (1999), p. 77 et les références citées. Convention européenne d’entraide judiciaire d’extradition du 13 décembre 1957, RS 0.353.1. Cf. par exemple l’article IX de l’accord complémentaire d’extradition avec l’Allemagne. Art. 18 al. 3 LCPI ; ZIMMERMANN (2009), p. 310, N. 334. ZIMMERMANN (2009), p. 308, N. 331 et les arrêts cités. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse cependant elle est indépendante de l'extradition effective de la personne poursuivie1364. La remise de ces objets n’est possible que si une procédure d’extradition est ouverte, sans qu’une décision définitive et exécutoire soit nécessaire1365. La remise extraditionnelle intervient d’office, même si la demande l’extradition ne contient pas une requête expresse de remise extraditionnelle1366. Actuellement, l’article 45 EIMP, disposition de la deuxième partie de l’EIMP, qui traite de l’extradition, prévoit expressément l’obligation des autorités suisses de saisir, lors de l’arrestation du fugitif, certains types d’avoirs. Il s’agit d’une part, des objets et des valeurs qui peuvent servir de moyens de preuve dans un procès à l’étranger et d’autre part, des objets et des valeurs qui proviennent de l’infraction1367. Pour assurer une mise en œuvre efficace, l’article 45 al. 2 EIMP autorise les autorités cantonales à ordonner la fouille de la personne arrêtée et la perquisition des lieux. La remise extraditionnelle en vertu de l’article 59 EIMP couvre les « objets ou valeurs trouvés en possession de la personne poursuivie », si ces objets peuvent servir de moyens de preuve, ou sont le produit de l’infraction. Le terme de « possession » se réfère d’abord au contrôle direct de la personne poursuivie ; les objets ou valeurs trouvés sur la personne poursuivie, dans son logement, son bureau, sa voiture, etc. peuvent donc être remis à l’Etat requérant conformément à l’article 59 EIMP. Ces objets sont saisis en vertu de l’article 45 EIMP lors de la fouille de la personne arrêtée ou lors une perquisition des lieux. Le terme de « possession » se réfère ensuite au pouvoir de fait ou de droit sur des objets ou valeurs (p. ex. les valeurs déposées dans une banque), ce qui élargit considérablement le champ d'application de l’article 59 EIMP1368. La notion de « possession » au sens de l’article 59 EIMP est en effet plus large que celle en droit civil. Selon l’article 59 al. 1 EIMP, les objets trouvés en possession de la personne poursuivie sont à remettre, lorsqu’ils peuvent servir de moyens de preuve ou lorsqu’ils constituent le produit de l’infraction. Cette dernière notion comprend les instruments ayant servi à commettre l’infraction (article 59 al. 3 let. a EIMP), les objets ou les valeurs qui constituent le produit ou le résultat de l’infraction, la valeur de remplacement et l’avantage illicite (article 59 al. 3 let. b EIMP), les objets ou les valeurs qui constituent des dons et autres avantages ayant servi ou qui devaient servir à décider ou à récompenser 1364 1365 1366 1367 1368 Ainsi, l’art. 59 al. 7 EIMP prévoit la remise même si l’extradition de la personne elle-même n’a pu être exécutée, par exemple du fait de la fuite ou du décès de la personne poursuivie ; cf. aussi FREY (1999), p. 77 ; article 34 al. 2 aEIMP; article 22 OEIMP; article 27 al. 2 LExtr. ZIMMERMANN (2009), p. 308, N. 331 ; ATF 123 II 595, consid. 4c. Art. 22 OEIMP ; ZIMMERMANN (2009), p. 308, N. 331 ; ATF 123 II 595, consid. 4c. JEANNERET (1999), p. 81. Message (note 1289), FF 1995 III 1, p. 22 ; ZIMMERMANN (2009), p. 308, N. 331 ; HARARI (1997), p. 181 ss; SCHUPP (1997), p. 191; BERNASCONI (2002), p. 241, N. 200 ; ATF 123 II 595, consid. 4c. 275 Troisième partie : le droit suisse l’auteur de l’infraction, ainsi que la valeur de remplacement (article 59 al. 3 let. c EIMP)1369. Selon R. Zimmermann, la remise extraditionnelle peut porter sur le recouvrement d’une créance compensatrice, même si cette forme de remise n’est pas expressément prévue par l’article 59 al. 3 EIMP1370. Une telle interprétation semble trop large et aurait pour conséquence la remise de tous les objets trouvés en possession de la personne poursuivie, même en l’absence de rapport entre les objets et l’infraction, ce qui rendrait évidemment superflue l’énumération de l’article 59 al. 3 EIMP. Il n’est pas nécessaire de prouver avec certitude le lien de connexité entre l'infraction et les objets ou valeurs en question ; une très grande vraisemblance suffit1371. La remise extraditionnelle intervient d’office ; elle peut intervenir même en l’absence d’une décision définitive ou exécutoire rendue à ce propos dans l'Etat requérant1372. Dans le cadre de la révision de l’EIMP, le Parlement a eu l’occasion de débattre les conditions de la remise de ce type, en particulier, les raisons pour lesquelles ces conditions sont moins strictes que celles applicables dans la remise de valeurs en vue de confiscation ou de restitution1373. Le parallèle est fait avec l’extradition, dans le cadre de laquelle une personne est remise à un pays requérant en l’absence d’une décision définitive ou exécutoire, s’il y a des indices de culpabilité ; la justice étrangère conduira ensuite un procès contre la personne extradée. Si cela n’est pas possible pour des biens, des problèmes juridiques et pratiques peuvent se produire ; comme l’indique D. Marty, « si c’est de l’argent provenant d’une activité criminelle qui est saisi en Suisse et si le délit a eu lieu dans un Etat anglo-saxon, qui est pays requérant, nous serons contraints de rendre l’argent à la personne à laquelle il a été saisi, et ça peut être le délinquant lui-même! En Suisse, en effet, nous n’avons pas de compétences pour saisir cet argent. Le juge anglo-saxon non plus. Et pour finir, cet argent retournera au détenteur, c’est-à-dire souvent au délinquant lui-même. C’est le cas Pemex qui est un cas scandaleux par ses conséquences »1374. La protection des tiers est assurée par l’article 59 al. 2 EIMP, qui vise les personnes faisant valoir des droits sur les objets ou les valeurs à remettre. Le principe de la protection des tiers était aussi reconnu par la LExtr1375, ainsi que par l’article 34 al. 3 aEIMP. Le champ d’application de l’article 59 al. 2 EIMP couvre l’acquéreur de bonne foi, l’autorité ou le lésé qui habite la Suisse. Dans 1369 1370 1371 1372 1373 1374 1375 276 Cf. 74a ch. 2 EIMP, qui définit également l’expression « objets ou valeurs qui sont le produit de l’infraction » en utilisant les mêmes critères. ZIMMERMANN (2009), p. 309, N. 332. BERNASCONI (2002), p. 241, N. 199 ; ATF 115 Ib 517, consid. 7d. Article 22 OEIMP ; ZIMMERMANN (2009), p. 308, N. 331 ; ATF 123 II 595, consid. 4c BOCE 1996 223 ss. Cf. aussi ATF 123 II 595, consid. 4d. BOCE 1996 230. M. D. Marty cite, en outre, l’exemple des tableaux de Piero della Francesca saisis en Suisse qui ne pouvaient pas être rendus au musée de Florence en l’absence d’une décision exécutoire et définitive de la justice italienne. ZIMMERMANN (2009), p. 309, N. 333, et les arrêts cités, en particulier ATF 97 I 372, consid. 6a. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse tous ces cas, la remise peut être subordonnée à la condition que l’Etat requérant donne la garantie de les restituer au terme de sa procédure. L’Etat requérant doit garantir que cette restitution aura lieu gratuitement, sans impliquer de coûts pour l’ayant droit. Si une des conditions de l’article 59 al. 4 est remplie, les objets ou valeurs qui sont le produit de l’infraction peuvent être retenus en Suisse1376 ; lorsque des prétentions sont élevées en vertu de cette disposition, la remise est suspendue jusqu’à droit connu (article 59 al. 5 EIMP). La protection des tiers en vertu de toutes ces dispositions ne diffère pas de celle prévue par l’article 74a EIMP. 3.4. La remise à titre probatoire (article 74 EIMP) Les autorités de l’Etat requérant peuvent demander la remise d’objets, de documents originaux ou de valeurs saisis à titre probatoire. En droit suisse, cette situation est réglée par l’article 74 EIMP et par les dispositions des accords internationaux. Par exemple, ce type de remise est prévu par la CEEJ), qui ne régit pourtant pas la remise du produit de l'infraction1377. On peut observer que « [l]a remise à titre purement probatoire ne pose que peu de problèmes dans la pratique, tant que les biens transférés demeurent peu importants en quantité ou en valeur »1378. L’article 74 EIMP, dans sa forme actuelle, est en vigueur depuis le 1er février 19971379. L’ancien article 34 EIMP, abrogé lors de la révision du 4 octobre 1996, permettait de remettre à l'Etat requérant les objets et valeurs destinés à servir de moyens de preuve ou qui provenaient de l'infraction1380. Selon l’al. 3 du même article, la remise des moyens de preuve avait lieu sous réserve des droits des autorités et des tiers acquéreurs de bonne foi. Pour sa part, l’ancien article 74 EIMP prévoyait la possibilité de remise probatoire, c’est-à-dire la possibilité de mettre à la disposition de l’Etat requérant des objets et des valeurs qui présentaient un intérêt pour la décision à prendre dans une cause pénale. Selon le nouvel article 74 al. 1 EIMP, « sur demande de l’autorité étrangère compétente, les objets, documents ou valeurs saisis à titre 1376 Selon cette disposition, les objets ou valeurs sont retenus en Suisse « a. si le lésé a sa résidence habituelle en Suisse et qu’ils doivent lui être restitués; b. si une autorité fait valoir des droits sur eux, ou c. si une personne étrangère à l’infraction et dont les prétentions ne sont pas garanties par l’Etat requérant rend vraisemblable qu’elle a acquis de bonne foi en Suisse des droits sur ces objets ou valeurs ou si, résidant habituellement en Suisse, elle rend vraisemblable qu’elle a acquis de bonne foi des droits sur eux à l’étranger » ; cf. HARARI (1997), p. 185 ss. 1377 ZIMMERMANN (2009), p. 304, N. 325 et les arrêts cités. La remise d’objets en vue de restitution à l’ayant droit est prévue par l’article 12 du deuxième Protocole additionnel à la CEEJ ; voir p. 47 ss de la présente étude. Directives OFJ (note 231), p. 60. Message (note 1289), FF 1995 III 1 ; RO 1997 114. L’article 34 aEIMP, ainsi que l’art 59 aEIMP étaient des dispositions de la deuxième partie de l’EIMP (extradition), mais ils relévaient matériellement de l’entraide en vertu de la troisième partie ; ZIMMERMANN (2009), p. 305, N. 327 ; ATF 123 II 134, consid. 5b. 1378 1379 1380 277 Troisième partie : le droit suisse probatoire, ainsi que les dossiers et décisions, lui sont remis au terme de la procédure d’entraide (article 80d) ». Le principe de la spécialité impose qu’une nouvelle demande d’entraide est nécessaire pour la confiscation des objets et des valeurs remis à titre probatoire1381. Les objets réclamés à titre de moyens de preuve doivent d’abord présenter un rapport avec les faits délictueux poursuivis ou la procédure pénale ouverte dans l'Etat requérant1382. Le juge suisse doit donc examiner le lien de connexité entre les objets et l’infraction. Il suffit d’établir ce lien pour faire apparaître, prima facie, les objets comme moyens de preuve au sens de l’article 74 EIMP1383. Le principe de la proportionnalité doit aussi être respecté1384. Dans ce contexte, la remise de moyens de preuve est inutile lorsque le fait à prouver est notoire ou lorsqu’il existe déjà des preuves suffisantes. Si l’autorité requise constate l’inutilité de la mesure requise, elle peut renoncer à l’accorder1385. Néanmoins, comme le confirme la jurisprudence, l'Etat requis ne doit pas substituer sa propre appréciation à celle des magistrats chargés de l’instruction menée à l'étranger, car il ne dispose généralement pas des moyens qui lui permettraient de se prononcer sur l'opportunité de l'administration des preuves déterminées au cours de cette instruction1386. Le principe de la proportionnalité exige aussi que la coopération soit refusée si la demande d’entraide a manifestement un caractère exploratoire (« fishing expedition »)1387. Il s’agit des cas où « les actes requis sont manifestement sans rapport avec l'infraction poursuivie et impropres à faire progresser l'enquête, de sorte que la demande apparaît comme le prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve »1388. La remise de moyens de preuve viole enfin le principe de la proportionnalité et doit être refusée, lorsqu’elle n’est pas nécessaire pour l’identification de ces objets1389. Dans ce cas, le tribunal peut ordonner la saisie provisoire de ces objets et, ultérieurement, leur remise comme produit de l'infraction. Pour protéger les prétentions des ayant droits, l’article 74 al. 2 EIMP vise à assurer la restitution des moyens de preuve qui sont mis à la disposition de la 1381 1382 1383 1384 1385 1386 1387 1388 1389 278 ZIMMERMANN (2009), p. 310, N. 335 ; Arrêt du Tribunal fédéral du 12 novembre 2007, 1A.47/2007, consid. 6.8. ATF 115 Ib 517, consid. 7d; MOREILLON (2004), p. 342. MOREILLON (2004), p. 342, et les arrêts cités. ZIMMERMANN (2009), p. 311, N. 336 ; MOREILLON (2004), p. 343. HARARI (1997), p. 174 et les arrêts cités. Arrêt du Tribunal pénal fédéral du 14 janvier 2009, RR.2008.209, consid. 3.1. POPP (2001), N. 103 et N. 414. ATF 122 II 367 consid. 2c ; ATF 121 II 241 consid. 3a; ATF 120 Ib 251 consid. 5c et les arrêts cités. Arrêt du Tribunal fédéral 1A.152/1994 du 30 janvier 1996, cité par ZIMMERMANN (2009), p. 311, N. 336. L’affaire portait sur des objets volés de très grande valeur, dont la provenance ne souffrait aucune contestation. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse procédure étrangère1390. Le champ d’application de cette disposition couvre les prétentions des tiers acquéreurs de bonne foi, des autorités suisses ou des lésés qui ont leur résidence habituelle en Suisse. Dans ces cas, la remise est subordonnée à la condition que l’Etat requérant garantisse la restitution gratuite au terme de la procédure étrangère. En cas de violation de cette obligation de restitution, l’Etat étranger engage sa responsabilité et peut être tenu de s’acquitter de dommages-intérêts à l’ayant droit1391. L’article 74 al. 3 EIMP traite de la situation où les moyens de preuve sont nécessaires à une procédure pénale pendante en Suisse. Dans ce cas, les objets, documents ou valeurs demeurent à la disposition des autorités suisses, et la remise aux autorités de l’Etat requérant peut être reportée1392. L’article 74 al. 4 EIMP régit les droits de gage au profit du fisc, en renvoyant à l’article 60 EIMP. Selon cette disposition, un peu compliquée, « si les objets ou valeurs sont remis sans réserve de restitution, le droit de gage douanier ou toute autre garantie réelle instituée par le droit suisse douanier ou fiscal n’est pas opposable, à moins que le propriétaire lésé par l’infraction n’en soit lui-même redevable ». L’article 60 al. 2 EIMP permet la renonciation à ce droit de gage, si l’Etat étranger assure la réciprocité. Enfin, il faut mentionner la transmission spontanée de moyens de preuve et d'informations, prévue par l'article 67a EIMP, disposition qui s’inspire de l’article 10 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe1393. Comme l’affirme la doctrine et la jurisprudence, cette forme d’entraide « s'écarte fondamentalement du principe de base de l'entraide internationale en matière pénale, selon lequel l'Etat requis n'agit qu'à la demande de l'Etat requérant »1394. L'article 67a EIMP permet à l'autorité de poursuite pénale de transmettre spontanément à une autorité étrangère des moyens de preuve qu'elle a recueillis au cours de sa propre enquête. Il faut que cette transmission soit de nature à permettre d'ouvrir une poursuite pénale (article 67a al. 1 let. a EIMP), ou à faciliter le déroulement d'une enquête en cours (article 67a al. 1 let. b EIMP). Selon la jurisprudence, la transmission spontanée de moyens de preuve peut être « complémentaire » ou « anticipée »1395. Une telle transmission spontanée n’a aucun effet sur la procédure pénale suisse (article 67a al. 2 EIMP). En ce qui concerne le domaine secret, seules des informations peuvent 1390 1391 1392 1393 1394 1395 Message (note 1289), FF 1995 III 1, p. 25 ; MOREILLON (2004), p. 341. HARARI (1997), p. 174 ; NICATI (2001), p. 16. MOREILLON (2004), p. 344. L'article 67a EIMP est entré en vigueur le 1er février 1997. Cette disposition a été vivement discutée lors de la révision de l'EIMP; cf. SCHUPP (1997), p. 194 ; MICHELI (2002), p. 156. ATF 125 II 238, consid. 4a ; cf. aussi HAFFTER (1999), p. 117 ; MICHELI (2002), p. 156. La transmission spontanée de moyens de preuve est complémentaire lorsque l'Etat requis, parallèlement à l'exécution de la demande, livre spontanément à l'Etat requérant, en vue de favoriser sa procédure, des renseignements dont la remise n'avait pas spécifiquement été demandée. Elle est anticipée lorsqu'elle appelle la présentation, par l'Etat destinataire, d'une demande d'entraide ; ATF 125 II 238, consid. 4a ; cf. aussi rapport explicatif à la Convention no 141 (note 36), par. 38 ; ZIMMERMANN (2009) p. 381, N. 413 s. 279 Troisième partie : le droit suisse être transmises spontanément, à l’exclusion des moyens de preuve (article 67a al. 4 et 5 EIMP). En tout cas, le but n'est pas d'encourager la délation, ni de permettre un flux incontrôlé d'informations vers l'étranger, mais plutôt d'éviter que des renseignements utiles à une procédure pénale étrangère demeurent inexploités1396. Cela implique que la transmission spontanée est soumise à des conditions strictes pour garantir le respect de l’esprit de la loi1397. En pratique, l’utilité effective de la transmission spontanée demeure plutôt limitée, comme le démontrent les données statistiques1398. 3.5. La remise de valeurs en vue de confiscation ou de restitution (article 74a EIMP) Dans son ancienne version (1981), l’article 74 de l’EIMP ne distinguait pas clairement la différence entre la remise de moyens de preuve et la remise de valeurs en vue de confiscation ou de restitution1399. Lors de la révision de l’EIMP de 1996, une distinction claire a été introduite entre la remise probatoire (article 74 EIMP) et la remise confiscatoire (article 74a EIMP). Le nouvel article 74a EIMP1400, en vigueur depuis le 1er février 1997, prévoit donc la remise d’objets ou de valeurs en vue de leur confiscation ou de leur restitution, sur demande de l’Etat requérant. La remise d’objets en vertu de l’EIMP est étroitement liée à la saisie conservatoire, mesure qui la précède et qui vise à assurer les actes d’entraide ultérieurs. L’article 74a EIMP détaille la matière de la remise de manière plus précise que les dispositions du droit conventionnel1401 ; cependant, l’article 74a EIMP doit s’interpréter à la lumière de ces dispositions dans le respect de la primauté du droit international1402. La remise est possible à tous les stades de la procédure étrangère, comme le prévoit l’article 74a al. 3 EIMP. Selon la même disposition, la remise intervient en règle générale sur décision définitive et exécutoire de l’Etat requérant. L’article 74a EIMP n’exige pas un jugement pénal, mais simplement une décision ; selon l’OFJ, ce terme suppose des formes plus simples (décisions de nature civile ou 1396 1397 1398 1399 1400 1401 1402 280 Message (note 1289), FF 1995 III 1, p. 25. Ibid.; NICATI (2001), p. 9. Sur la possibilité de recours, voir : POPP (2001), N. 550 ; arrêt du Tribunal pénal fédéral du 26 août 2009, RR.2009.190, consid. 2.3.3. En 2009, l’OFJ a enregistré 7 cas où des autorités étrangères ont transmis spontanément des moyens de preuve et des informations aux autorités suisses, ainsi que 76 cas où les autorités suisses ont eu recours à l’article 67a EIMP. Même si le nombre total (83) est un nombre record, la transmission spontanée est loin d’être une pratique standard; OFFICE FÉDÉRAL DE LA JUSTICE (2010), Internationale Rechtshilfe - Statistik 2009, OFJ 15.02.2010. ZIMMERMANN (2009), p. 306, N. 329 ; JEANNERET (1999), p. 115. Message (note 1289), FF 1995 III 1 ; RO 1997 114. GOSSIN (2006), p. 329. MOREILLON (2004), p. 347, 358. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse administrative)1403. L’expression « en règle générale », ajoutée lors du débat parlementaire1404, signifie que la remise peut avoir lieu même faute de décision de confiscation, ce qui favorise une procédure peu formaliste, lorsque la restitution s’impose à l’évidence (pas de doutes sur l’identification des valeurs, leur provenance illicite et le bien-fondé de la remise)1405. En utilisant l’expression « en règle générale », le législateur laisse délibérément une marge d’appréciation à l’autorité d’exécution1406. Le fait que l’art. 74a EIMP peut subordonner l’exécution de la remise à une décision définitive et exécutoire de l’Etat requérant ne change rien au fait qu’il s’agit toujours d’une prestation d’entraide au sens de la troisième partie de l’EIMP1407. Si un jugement définitif et exécutoire est déjà rendu à l’étranger, la remise d’objets et de valeurs est possible non seulement en vertu de l’article 74a EIMP, mais aussi en vertu de l’article 94 EIMP (exequatur) . Dans les deux cas, les garanties procédurales prévues par la CEDH et par le Pacte ONU II doivent avoir été respectées. Selon la jurisprudence, l’article 74a EIMP est une disposition potestative (« Kann-Bestimmung »)1408. Cela signifie que l’autorité d’exécution a un large pouvoir d’appréciation, lui permettant de refuser l’entraide dans des cas manifestement abusifs1409. L’autorité requise décidera sur la base d’une appréciation de l’ensemble des circonstances si des renseignements complémentaires sont nécessaires et si la remise doit être soumise à conditions1410. Une autre spécificité de la remise en vue de confiscation, qui la différencie de la remise probatoire (74 EIMP), est son caractère définitif1411. Après la remise en vertu de l’article 74a EIMP, la Suisse perd la maîtrise sur les valeurs remises à l’Etat étranger, qui peut en disposer. La question se pose de déterminer quelles valeurs patrimoniales peuvent être remises en vertu de l’article 74a EIMP. A cet égard, l’EIMP s’inspire des dispositions du CP sur la confiscation1412. La remise peut d’abord porter sur les instruments ayant servi à commettre l’infraction (article 74a al. 2 let. a EIMP). Les autorités suisses peuvent aussi remettre aux autorités étrangères les objets ou les valeurs qui constituent le produit ou le résultat de l’infraction, la valeur de remplacement et l’avantage illicite (article 74a al. 2 let. b EIMP). Enfin, les autorités suisses peuvent remettre les objets ou les valeurs qui constituent des 1403 1404 1405 1406 1407 1408 1409 1410 1411 1412 Directives OFJ (note 231), p. 63. BOCE 1996, p. 243 ; BOCN 1996, p. 747 ; ZIMMERMANN (2009), p. 315, N. 340 ; SCHUPP (1997), p. 193. MOREILLON (2004), p. 347 et les arrêts cités. L’expression « en règle générale » peut prévenir des impasses de l’entraide ; ZIMMERMANN (2009), p. 315, N. 340. ATF 123 II 595, consid. 4. Directives OFJ (note 231), p. 62. ATF 123 II 600, consid. 3. MOREILLON (2004), p. 347 ; NICATI (2001), p. 18 ; HARARI (1997), p. 176 ; ATF 123 II 134, consid. 7a ; ATF 115 Ib 517, consid. 7h. Art. 80o et 80p EIMP ; l’autorité d’exécution peut aussi exiger de l’Etat requérant d’ouvrir une procédure de confiscation dans un certain délai ; ATF 115 Ib 517 consid. 8c. HARARI (1997), p. 175 ; ZIMMERMANN (2009), p. 312, N. 338 ; MOREILLON (2004), p. 348. Message (note 1289), FF 1995 III 1, p. 26 ; MOREILLON (2004), p. 349. 281 Troisième partie : le droit suisse dons et autres avantages ayant servi ou qui devaient servir à décider ou à récompenser l’auteur de l’infraction, ainsi que la valeur de remplacement (article 74a al. 2 let. c EIMP)1413. L’énumération de ces trois catégories est exhaustive ; cependant, il faut retenir que la notion de la valeur de remplacement a élargi notablement le champ d’application de la remise. L’article 74a EIMP ne prévoit pas de remise en vue de recouvrement de la créance compensatrice. Selon R. Zimmermann, il s'agit là d’un silence simple et non d’un silence qualifié1414. Selon lui, la remise des objets et valeurs pour le recouvrement d'une créance compensatrice peut faire l’objet d’une demande d’entraide en vertu de l’article 74a EIMP : le législateur n’aurait aucune raison d’exclure ce type de remise, puisque le droit interne reconnaît l’institution de la créance compensatrice. R. Zimmermann argumente ainsi pour une reconnaissance de cette possibilité par la jurisprudence. Pour cela, il propose une raison supplémentaire : le Tribunal fédéral a déjà permis l’exécution en Suisse d’un jugement étranger ordonnant le recouvrement de la créance compensatrice sur la base de l’article 94 EIMP1415. La nécessité évidente de promouvoir des solutions cohérentes impose de permettre le recouvrement de la créance compensatrice non seulement dans le cadre de l’exequatur (articles 94 ss EIMP), mais aussi dans le cadre de la remise au sens de l’article 74a EIMP. Toutefois, la jurisprudence n’a pas admis cette interprétation1416. La remise des fonds pour le paiement d'une créance compensatrice conférerait à l'Etat étranger un privilège injustifié du point de vue du droit des poursuites1417. Une telle remise ne permettrait pas d'assurer une protection et une égalité suffisantes des créanciers, comme cela est le cas pour la procédure prévue à l'article 71 CP1418. Lorsque la remise est demandée en exécution d'une décision définitive et exécutoire dans l'Etat requérant, la question de la provenance illicite des objets ou valeurs à remettre doit être considérée comme tranchée, à moins que cette provenance soit manifestement exclue1419. Lorsque la remise est 1413 1414 1415 1416 1417 1418 1419 282 Cf. article 59, alinéa 3 EIMP, qui définit également l’expression « objets ou valeurs qui sont le produit de l’infraction », en utilisant les mêmes critères. ZIMMERMANN (2009), p. 312, N. 338. ATF 120 Ib 167, consid. 3. ATF 133 IV 215, consid. 2.2.1. Cf. HARARI (1997), p. 180 ss ; LOMBARDINI (2006), n. 230. Une solution serait d’ordonner une confiscation autonome en Suisse et de conclure subséquemment une convention de sharing avec l’Etat requérant ; cependant, la question se pose de savoir si le lien de connexité entre les valeurs patrimoniales à confisquer et l’infraction peut être établi, étant donné que les autorités étrangères n’auraient pas prononcé le recouvrement d'une créance compensatrice, si elles avaient la possibilité d’ordonner une confiscation (sauf si les conditions de confiscation sont plus strictes dans le droit de l’Etat requérant). Une autre solution serait de confisquer les avoirs en Suisse en vertu de l’article 72 CP ou de l’article 5 LRAI et de les remettre ensuite à l’étranger en vertu d’une convention de sharing. Néanmoins, ces deux dispositions se réfèrent à des situations spécifiques et ne peuvent pas constituer une voie générale pour la remise des valeurs en vue de recouvrement de la créance compensatrice. De lege lata, la voie de l’exequatur demeure donc la voie plus appropriée pour le recouvrement de la créance compensatrice. ZIMMERMANN (2009), p. 316, N. 340 et les arrêts cités. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse demandée avant la fin de la procédure pénale, les autorités suisses doivent vérifier si, au moins selon toute vraisemblance, ces biens paraissent avoir été acquis directement ou indirectement au moyen de l'infraction1420. Il convient aussi d’étudier le rapport entre l’article 74a EIMP et l’article 72 CP L’adoption de l’article 72 CP répond au besoin de faciliter l'entraide judiciaire et l'exécution de confiscations étrangères portant sur des valeurs patrimoniales acheminées en Suisse par des organisations criminelles1421. Dans l’affaire Abacha, le TF a conclu que l’article 72 CP s'applique aussi dans le domaine de l'entraide judiciaire internationale1422. S’il existe une organisation criminelle au sens de l’article 72 CP et faute pour les détenteurs des valeurs patrimoniales de renverser la présomption de l’article 72 CP, la remise est ordonnée en application de l'article 74a al. 3 EIMP, sans autre examen de la provenance1423. Une partie de la doctrine admet cette solution1424 ; cependant, F. Baumann est plus réticent et n’admet la remise des valeurs soumises au pouvoir de disposition d'une organisation criminelle que pour autant que les droits des tiers de bonne foi soient sauvegardés1425. Si des avoirs sont détenus en Suisse par les PPEs déchues et leurs complices, les articles 260ter CP et 72 CP peuvent ouvrir une voie pour la confiscation dans le domaine de l’entraide1426 ; une autre voie vient d’être ajoutée par la LRAI1427. En outre, l’EIMP prévoit des situations exceptionnelles, où les objets ou les valeurs sont retenus en Suisse, au lieu d’être remis aux autorités étrangères (article 74a al. 4 EIMP). Dans toutes ces situations, la Suisse protège les intérêts de ses résidents et de ses autorités. Ainsi, les valeurs ne sont pas remises, lorsqu’elles doivent être restituées au lésé, qui a sa résidence habituelle en Suisse (article 74a al. 4 let. a EIMP). La remise est aussi exclue, si une autorité fait valoir des droits sur les valeurs en question (article 74a al. 4 let. b EIMP). L’EIMP protège également les droits des acquéreurs de bonne foi (article 74a al. 4 let. c EIMP), que ces droits aient été acquis en Suisse ou à l’étranger1428. Cependant, si l’Etat requérant garantit les prétentions des tiers, les valeurs en questions ne sont pas retenues, mais remises à l’étranger. Enfin, la remise est exclue, lorsque les objets ou les valeurs sont nécessaires à une procédure 1420 1421 1422 1423 1424 1425 1426 1427 1428 ATF 112 Ib 576 consid. 14b. Message (note 878), FF 1993 III 269, p. 309 ; AUGSBURGER-BUCHELI / PERRIN (2006), p. 266. ATF 131 II 169 (Abacha), consid. 9.1. ATF 131 II 169 (Abacha), consid. 9.1 ; arrêt du Tribunal fédéral du 7 février 2005, 1A.215/2004. HARARI (1997), p. 185 ; SCHMID (2007), Art. 70-72 CP, N. 188, n. 918 ; BERNASCONI (2002), p. 356, N. 514. BAUMANN (2007), BK StGB I, Art. 72 CP, N. 24. GOSSIN (2006), p. 334 ; ATF 113 II 169, consid. 9.1. Voir p. 289 ss de la présente étude. L’article 74a al. 4 let. b et c EIMP ne définit pas la nature des droits à protéger ; MOREILLON (2004), p. 353. Néanmoins, « il est de jurisprudence constante que les droits dont le tiers visé par l'art. 74 a al. 4 let. c EIMP doit rendre vraisemblable l'acquisition de bonne foi en Suisse sont des droits réels et non […] de simples créances personnelles » ; arrêt du Tribunal pénal fédéral du 7 avril 2009, RR.2009.91-92 / RP.2009.7-8, consid. 2.2.2.d. 283 Troisième partie : le droit suisse pénale pendante en Suisse ou sont susceptibles d’être confisqués en Suisse (article 74a al. 4 let. d EIMP). L’article 74a al. 5 EIMP permet à l’ayant droit de bloquer la remise des valeurs aux autorités de l’Etat requérant. L’ayant droit sur des objets ou des valeurs au sens de l’article 74a al. 4 EIMP peut élever ses prétentions, ce qui entraîne la suspension de la remise à l’Etat requérant jusqu’à droit connu. La protection ne couvre que les droits réels ou les droits réels limités sur des choses ; les prétentions de nature obligationnelle ne sont pas couvertes et les créanciers ordinaires ne peuvent pas s'opposer à la remise1429. Pour que les valeurs litigieuses soient délivrées à l’ayant droit, certaines conditions doivent être satisfaites. D’abord, l’Etat requérant doit y consentir (article 74a al. 5 let. a EIMP). Ensuite, si une autorité fait valoir des droits sur les valeurs en question, cette autorité doit également donner son consentement (article 74a al. 5 let. b EIMP). Les valeurs litigieuses ne sont délivrées à l’ayant droit que si une autorité judiciaire suisse reconnaît le bien-fondé de la prétention (article 74a al. 5 let. b EIMP). Contrairement au cas de la remise des moyens de preuve, la garantie de retour n’entre pas en considération, en raison de la nature de la remise en vertu de l’article 74a EIMP, qui tend précisément à la confiscation ou à la restitution des valeurs1430. Comme dans le cas de la remise des moyens de preuve, un droit de gage au profit du fisc est prévu pour la remise de valeurs en vue de confiscation. Ainsi, comme l’article 74 al. 4 EIMP, l’article 74a al. 6 EIMP renvoie à l’article 60 EIMP. Le droit suisse douanier ou fiscal peut instituer un droit de gage douanier ou une autre garantie réelle. Ces garanties ne sont pas opposables, « à moins que le propriétaire lésé par l’infraction n’en soit lui-même redevable ». Selon l’article 23 al. 1 OEIMP, la Direction générale des douanes décide s’il y a lieu de renoncer à faire valoir les droits de gage1431. L’article 23 OEIMP précise que les droits de gage au profit du fisc peuvent être invoqués si les objets à remettre: « a. sont susceptibles d’être confisqués dans l’Etat requérant; b. appartiennent à un Etat requérant qui, dans le cas inverse, ne renonce pas à ses droits de gage ». L’article 60 al. 2 EIMP permet la renonciation à ce droit de gage, si l’Etat étranger assure la réciprocité. Certes, il serait contre-productif de remettre aux autorités étrangères des valeurs, lorsque ces valeurs seront de nouveau attribuées à la Suisse, en exécution d’un accord de partage. Cette situation est régie par l’article 74a al. 7 EIMP qui exclut la remise. La LVPC régit le partage des valeurs patrimoniales confisquées. Lorsqu’un accord de partage attribue à la Suisse une partie des valeurs confisquées, la remise de cette partie à l’étranger ne peut pas être ordonnée. 1429 1430 1431 284 BAUMANN (1999), p. 123 ; HARARI (1997), p. 188 ; voir aussi p. 218 de la présente étude. HARARI (1997), p. 173 et 175 ; NICATI (2001), p. 16. Cette disposition concerne l’extradition mais elle s’applique ici par analogie ; MOREILLON (2004), p. 342. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse 3.6. L'exécution des décisions rendues à l'étranger (articles 94 ss EIMP) Outre la remise en vue de confiscation (article 74a EIMP), le droit suisse prévoit également l'exécution des décisions rendues à l'étranger (articles 94 ss EIMP)1432, y inclus des jugements étrangers ordonnant la confiscation ou la restitution d’objets ou de valeurs. Dans le cadre des procédures pénales en cours, la remise en vue de confiscation ou de restitution est traitée sous l’angle de l’article 74a EIMP. Si un jugement définitif et exécutoire est rendu à l’étranger, la remise est possible en vertu de l’article 74a EIMP, ainsi que de l’article 94 EIMP. La voie prévue à l’article 74a EIMP est pourtant plus rapide que celle prévue à l’article 94 EIMP1433. Les articles 94 ss EIMP posent les conditions auxquelles la Suisse exécute les jugements pénaux définitifs et exécutoires rendus dans l’Etat requérant. Le juge tranche l’exequatur selon la procédure des articles 105 à 107 EIMP ; le jugement rendu déclare la décision étrangère exécutoire en Suisse1434. L'exécution de la décision étrangère a lieu par la remise des objets ou valeurs concernés à l'Etat requérant1435. Contrairement à son ancienne version1436, l’article 94 EIMP ne réserve plus les articles 5 et 6 aCP (principes de la personnalité passive et active). Comme l’indique la jurisprudence, les principes généraux de l'entraide pénale internationale sont applicables à la procédure d'exécution1437. La décision étrangère doit donc avoir été prise au terme d'une procédure conforme aux principes énoncés à l'article 2 EIMP, soit essentiellement au terme d'une procédure dans laquelle les droits élémentaires de la défense, tels qu'ils sont conçus en Suisse, ont été respectés1438. L’exequatur est refusé si les faits à l’origine de la demande d’entraide sont prescrits (95 EIMP) ou si la mesure demandée n’est pas prévue en droit suisse1439. L’exécution des décisions étrangères de confiscation ou de restitution à l’ayant droit tombe sous l’article 94 EIMP, même si elle n’est pas expressément mentionnée1440. Le législateur a laissé cette question ouverte, alors qu’il aurait dû l’aborder notamment à l’occasion de la dernière révision de l’EIMP1441. L’exécution n’est pas soumise à la condition que le condamné réside 1432 1433 1434 1435 1436 1437 1438 1439 1440 1441 ATF 116 Ib 452, consid. 5b ; ATF 115 Ib 517, consid. 8b. ZIMMERMANN (2009), p. 314, N. 339 MOREILLON (2004), p. 415. ATF 115 Ib 517, consid. 8d. Article 94, 3e alinéa aEIMP abrogé dans le cadre de la révision de l’EIMP de 1997 ; RO 1997 114. ATF 116 Ib 452, consid. 5.b. JEANNERET (1999), p. 31. MOREILLON (2004), p. 415. ATF 115 Ib 517, consid. 8b, ATF 116 Ib 452, consid. 5b. CASSANI (2008), p. 392. 285 Troisième partie : le droit suisse habituellement en Suisse ou qu’il réponde d’une infraction particulièrement grave1442. La créance compensatrice est aussi assimilée à une sanction au sens de l’article 94 EIMP1443. Le mode de coopération prévu à l’article 94 EIMP est particulièrement utile lorsqu'il s'agit d'assurer le recouvrement d'une créance compensatrice ; dans ce cas, la coopération en vertu de l’article 74a EIMP est exclue car il ne s'agit pas à proprement parler du produit de l'infraction et qu'il n'y a aucune connexité entre les valeurs saisies et l'infraction elle-même1444. En ce qui concerne les jugements pénaux portant sur le paiement de dommagesintérêts ou d’une indemnité pour tort moral, leur reconnaissance n’est pas réglée par l’EIMP mais par la procédure civile1445. Le droit suisse n’est pas loin du niveau de la reconnaissance mutuelle (voir tableau), même si nous ne pouvons pas encore parler d’une équivalence des deux systèmes. D’une part, le système de l’UE ne passe pas par la voie de l’entraide, comme le font les articles 94 ss EIMP ; c’est un système de coopération directe entre les autorités judiciaires, fondé sur l’obligation de reconnaître la décision étrangère. D’autre part, le champ d’application de la reconnaissance est plus large dans le droit de l’UE, car les motifs de refus prévus sont moins nombreux (p.ex. abolition partielle de la double incrimination). Néanmoins, le système de l’UE a des faiblesses importantes, comme l’absence de règles sur les décisions ordonnant la restitution. Le système souffre également de problèmes de mise en œuvre1446. Si nous prenons en considération le temps et les efforts que l’UE a consacrés en matière de reconnaissance des décisions de confiscation, le dispositif suisse semble avoir accompli un résultat semblable plus facilement et avec un peu plus de conviction. Le droit suisse est-il déjà au niveau de la reconnaissance mutuelle ? Droit suisse Droit de l’UE (articles 94 ss EIMP) (Décision cadre 2006/783/JAI) Caractère définitif et exécutoire de la décision étrangère (article 94 al. 1 EIMP) Caractère définitif et exécutoire de la décision étrangère (article 2 let. c et article 15 de la décision cadre 2006/783/JAI) Décision ordonnant restitution de valeurs Décision ordonnant la confiscation (pas la restitution) de valeurs (article 1er et article 2 let. c de la décision cadre 2006/783/JAI) 1442 1443 1444 1445 1446 286 la confiscation ou la ATF 115 Ib 517, consid. 8c. ATF 120 Ib 167, consid. 3c/aa. ATF 129 II 453 consid. 4.1 MOREILLON (2004), p. 415. Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil fondé sur l'article 22 de la décision cadre 2006/783/JAI du Conseil du 6 octobre 2006 relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation, COM(2010) 428 final du 23.8.2010, Conclusions. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse Double incrimination (article 94 al. 1 let. b EIMP) Abolition partielle de la double incrimination : elle n’est plus requise pour les infractions punies par l’État d’émission d’une peine privative de liberté d’une durée maximale d’au moins 3 ans (article 6 de la décision cadre 2006/783/JAI) Motif de refus : non conformité de la procédure étrangère aux principes énoncés à l'article 2 EIMP Motif de refus: les droits de toute partie intéressée, y compris les tiers de bonne foi, rendent impossible en vertu de la législation de l’État d’exécution l’exécution de la décision de confiscation (article 8 al. 2 let. d de la décision cadre 2006/783/JAI) Motif de refus: principe ne bis in idem (article 66 EIMP) ; si la Suisse assume l’exécution, aucune poursuite pénale ne peut, à raison des mêmes faits, y être introduite ou continuée contre le condamné (article 98 EIMP) Motif de refus : principe ne bis in idem (article 8 al. 2 let. a de la décision cadre 2006/783/JAI) ; Exécution opportune en Suisse ou exclue dans l’Etat requérant (article 94 al. 1 let. c EIMP) Pas de condition équivalente. Motif de refus : prescription absolue de l’action pénale ; le juge examine si la prescription aurait été acquise en droit suisse au moment de la condamnation (article 95 al. 1 let. a EIMP) Motif de refus : prescription de la sanction ; le juge examine si la sanction serait prescrite selon le droit suisse à supposer qu’une autorité suisse l’eût prononcée au même moment (article 95 al. 1 let. b EIMP) Motif de refus : prescription de l’exécution de la décision de confiscation dans l’État d’exécution, pour autant que les faits relèvent de la compétence de cet État en vertu de sa propre législation pénale (article 8 al. 2 let. h de la décision cadre 2006/783/JAI) Motif de refus : l’infraction relève également de la juridiction suisse mais n’est passible d’aucune sanction, compte tenu d’autres motifs prévus par le droit suisse (article 95 al. 1 let. c EIMP) Motif de refus : les infractions ont été commises en tout ou en partie sur le territoire de l’État d'exécution ou hors du territoire de l’État d’émission et la loi de l’État d'exécution ne prévoit pas l'instauration d'une procédure légale à l'égard de ces infractions (article 8 al. 2 let. f de la décision cadre 2006/783/JAI) Motif de refus : le condamné a de bonnes raisons de s’opposer à l’exécution d’une décision ou d’une ordonnance pénale rendue par défaut qui n’est plus susceptible de recours ou d’opposition selon le droit de l’Etat requérant (article 96 al. 1 let. c EIMP) Motif de refus : jugement rendu en l'absence de la personne concernée, à moins que celle-ci ait été informée de la date et du lieu de l'audience et qu'une décision ait pu être prise par défaut (article 8 al. 2 let. e de la décision cadre 2006/783/JAI) 3.7. Les voies de recours La question des voies de recours ne sera traité que brièvement, avec un accent particulier sur les questions des mesures provisoires et de la remise de valeurs. Le droit de l’entraide, dans sa forme actuelle, prévoit que la décision de clôture de l'autorité d'exécution (cantonale ou fédérale) et, conjointement avec 287 Troisième partie : le droit suisse celle-ci, les décisions incidentes antérieures peuvent faire l’objet d’un recours au Tribunal pénal fédéral (IIe Cour des plaintes)1447. Selon l’article 80i EIMP, qui énumère les griefs du recours, l’ayant droit peut alléguer une violation du droit fédéral, y compris l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a) et l'application illégitime ou manifestement incorrecte du droit étranger, dans les cas visés à l'art. 65 EIMP (let. b). Exceptionnellement, les décisions incidentes antérieures à la clôture peuvent faire l'objet d'un recours séparé au TPF si elles portent sur la saisie d’objets ou de valeurs1448. Ce recours n’a pas d'effet suspensif, sauf si le préjudice immédiat et irréparable de l'ayant droit est vraisemblable. Le TPF est tribunal de première instance et, dans certains cas, il se prononce en instance unique1449. Le TF est tribunal de deuxième instance dans un nombre limité de cas particulièrement importants. L’article 84 de la loi sur le Tribunal fédéral1450 prévoit que le recours en matière de droit public n'est recevable que s'il a pour objet, notamment, une saisie, le transfert d'objets ou de valeurs ou la transmission de renseignements concernant le domaine secret, pourvu qu’il s’agisse d'un cas particulièrement important. Sur ce dernier élément, le TF dispose d'un large pouvoir d'appréciation1451. Enfin, il faut mentionner le cas particulier du recours administratif auprès du Conseil fédéral (26 EIMP et art. 18 al. 1 LTEJUS) ; ce recours est dirigé contre les décisions du DFJP rendues en application de l'art. 17 al. 1 EIMP pour déterminer si les actes d'entraide portent effectivement atteinte aux intérêts essentiels de la Suisse (article 1a EIMP). 1447 1448 1449 1450 1451 288 Le délai de recours (30 jours dès la communication écrite de la décision de clôture) a un effet suspensif. Article 28 al. 1 let. e ch. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal pénal fédéral (LTPF / RS 173.1), article 80e al. 1 EIMP et 3 du règlement du Tribunal pénal fédéral (RS 173.710). Le délai de recours est de 10 jours dès la communication écrite de la décision ; cf. aussi POPP (2001), N. 547 ss. Il s’agit des recours formés contre les décisions de l'OFJ rendues en application des articles 17 al. 3 EIMP (lit.a: demande d'une garantie de réciprocité lit. b: choix de la procédure appropriée et lit. c: recevabilité d'une demande suisse) et 80p EIMP (conditions soumises à acceptation) ; article 26, ch. 30 de l'annexe à la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral, RS 173.32. RS 173.110. Arrêt du Tribunal fédéral 1C.205/2007, consid. 1.3.1 ; ATF 133 IV 40 consid. 7.3 ; ATF 133 IV 215 consid. 1.2. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse Statistiques de l’entraide internationale Année 2000 2001 Remise de valeurs : demandes d’entraide reçues par la Suisse Remise de valeurs : demandes d’entraide formulées par la Suisse Partage international actif (valeurs en Suisse) Partage international passif (valeurs à l’étranger) 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 1 1 17 20 15 26 2 2 9 12 2 2 2 9 1 3 1 4 1 2 Source : OFFICE FÉDÉRAL DE LA JUSTICE (2010), Internationale Rechtshilfe - Statistik 2009, OFJ 15.02.2010. 4. La loi fédérale sur la restitution des avoirs illicites (LRAI) La confiscation d’avoirs provenant de la corruption à l’étranger est possible en Suisse en vertu des articles 69 ss CP1452. Néanmoins, l’affaire Duvalier a démontré les limites du dispositif juridique suisse, dans le cas où l’Etat étranger ne peut pas répondre aux exigences de la procédure d'entraide judiciaire à raison de sa situation de défaillance. Dans le cas Duvalier, l'instabilité politique n'a pas permis aux autorités haïtiennes d'intenter contre l’ex-dictateur un procès offrant un minimum de garanties, ni de collaborer avec les autorités compétentes suisses1453. Plus précisément, une longue procédure d'entraide judiciaire a été entamée en 1986; le Conseil fédéral a ordonné le blocage des fonds Duvalier sur la base de l’art. 184 al. 3 Cst. féd. en 2002. La décision du Conseil fédéral de 2002, ordonnant le blocage des fonds de Duvalier, avait été prolongée à deux reprises et ne pouvait guère durer indéfiniment. En mai 2008, les autorités haïtiennes ont finalement complété la demande d'entraide de 1986, en confirmant la reprise de la procédure pénale contre Jean-Claude Duvalier pour détournement de fonds et en renouvelant les garanties concernant la conformité de la procédure aux droits de l'homme1454. En juillet 2008, l’OFJ a décidé que les détenteurs des comptes bloqués auraient jusqu'à la fin septembre 2008 pour prouver que les avoirs ne sont pas d'origine 1452 1453 1454 Sur l’ancien droit, voir : HARARI (1998), p. 3 ss. Rapport explicatif au projet de loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées (Loi sur la restitution des avoirs illicites, LRAI), 15 février 2010, Annexe 2. cf. OFFICE FÉDÉRAL DE LA JUSTICE (2008), Les fonds Duvalier restent bloqués; les détenteurs des comptes doivent prouver l'origine légale des valeurs saisies, Communiqué de presse, 02.07.2008. 289 Troisième partie : le droit suisse délictueuse1455. Puisque les détenteurs des comptes n’ont pas pu parvenir à apporter la preuve requise, l'OFJ a ordonné la remise des fonds à la République d’Haïti le 11 février 20091456. Dans un jugement du 12 janvier 2010, le Tribunal fédéral a invalidé la décision de restitution de l'OFJ, principalement à raison de la prescription des faits1457. Le Conseil fédéral a ensuite bloqué de nouveau les avoirs sur la base de la Cst. féd. et affirmé son intention de répondre à la question des avoirs de potentats par une loi spécifique. En 2007, le postulat Gutzwiller demandait au Conseil fédéral de présenter un rapport sur la procédure à suivre en cas de restitution des avoirs saisis, « lorsque l'Etat auquel l'entraide judiciaire a été accordée n'est pas en mesure d'observer des procédures légales et respectueuses des principes élémentaires régissant les droits de l'homme »1458. Le 5 décembre 2008 le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral des affaires étrangères d'établir un projet de loi faisant suite à ce postulat. En pratique, le DFAE pouvait choisir entre trois voies possibles1459: la voie de l’entraide judiciaire (modification de l’EIMP), la voie pénale (modification du CP) et la voie administrative (introduction d’une nouvelle norme législative). Le DFAE a opté pour la troisième voie1460, ce que le Conseil fédéral a confirmé dans le Message du 28 avril 20101461. La loi sur la restitution des avoirs illicites (LRAI)1462, entrée en vigueur le février 2011, permet de confisquer et de restituer à l’Etat spolié les avoirs d'origine illicite de personnes politiquement exposées. La loi s’applique en cas d’échec de la procédure d’entraide judiciaire accordée à des « Etats défaillants », pour éviter des résultats déplorables, comme c’était le cas avec les avoirs Mobutu. La notion de « défaillance » employée par la LRAI est influencée par l’art. 17 al. 3 du Statut de Rome de la CPI, mais elle est ici « strictement limitée à la situation d'un Etat dans le cadre d’une procédure d’entraide judiciaire déterminée avec la Suisse »1463 (incapacité de l'Etat requérant à mener une procédure pénale qui réponde aux exigences de l’EIMP) 1er 1455 1456 1457 1458 1459 1460 1461 1462 1463 290 L’article 72 CP est aussi applicable dans le domaine de l'entraide judiciaire, en application de la jurisprudence du Tribunal fédéral dans l'affaire Abacha (ATF 131 II 169, consid. 9.1), ce qui implique un renversement du fardeau de la preuve. Communiqué OFJ (note 1454). cf. OFFICE FÉDÉRAL DE LA JUSTICE (2010), Les avoirs Duvalier restent bloqués et un projet de loi pourrait permettre de les confisquer, Communiqué de presse, 03.02.2010. Postulat Felix Gutzwiller 07.3459 (Entraide judiciaire avec les « Etats défaillants »), déposé le 21.06.2007 au Conseil national; cf. aussi les trois interpellations Marty Dick 07.3499, Gysin 07.3324 et Berberat 07.3336. Le Postulat Gutzwiller a été adopté par le Conseil national le 5 octobre 2007. GIROUD-ROTH / MOREILLON (2009), p. 286. En faveur de la voie pénale : PIETH (2007), p. 505 ; CASSANI (2009), p. 251. Message du Conseil fédéral du 28 avril 2010 relatif à la loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées, FF 2010 2995. Loi fédérale du 1er octobre 2010 sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées (LRAI), RS 196.1. Message (note 1461), FF 2010 2995, p. 3013. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse 4.1. Le blocage des avoirs en vertu de la LRAI Il existe d’abord une condition purement formelle : la confiscation ne peut frapper que les valeurs patrimoniales bloquées par le Conseil fédéral en application de la LRAI ou antérieurement sur la base de l'article 184 al. 3 Cst. La LRAI codifie la pratique du Conseil fédéral en matière de blocage d'avoirs et lui donne une base légale au sens formel, « afin que [le blocage] ne doive plus se fonder sur l’art. 184 al. 3 Cst., dont telle n’est pas la finalité initiale »1464. Le blocage en vertu de la LRAI se substitue à la mesure de blocage prononcée dans le cadre de l’entraide judiciaire. Le Conseil fédéral dispose d’un large pouvoir d’appréciation (intervention facultative) et il n’y a pas de possibilité de recours en cas de décision négative « ce qui ouvre la porte à des choix qui seront plutôt fondés sur des critères diplomatiques que sur des critères de justice »1465. Le projet initial du Conseil fédéral fixait un délai de blocage de 5 ans. Ce délai semble pourtant problématique, car la procédure peut subir de nombreux et longs retards, notamment en cas de recours. Ce problème a été évoqué par les participants à la consultation1466 ; le Conseil des Etats a ainsi proposé un délai de 10 ans1467. L’implication de la société civile, des victimes et des ONG est un autre point évoqué par des participants à la consultation1468. Si les autorités de l’Etat défaillant ne peuvent ou ne veulent pas actionner la loi, les associations de victimes du pays d’origine et les organisations de défense des droits humains devraient être à même de mettre en route la procédure1469. 4.2. La confiscation en vertu de la LRAI : nature et buts La confiscation prévue par ce projet de loi ne doit pas être rattachée au volet pénal, au sens de l’article 6 CEDH1470. La confiscation est ordonnée par le Tribunal administratif fédéral, comme autorité de première instance, à la suite d’une action du DFF (article 5 LRAI). Le Tribunal administratif se prononce sur l’origine illicite des avoirs des PPEs. La confiscation est possible même en l’absence de procédure nationale contre la PPE et en l’absence de jugement rendu dans l'Etat étranger. La LRAI ne permet pas la restitution d’avoirs illicites en l’absence de demande d’entraide judiciaire. Cela pose une difficulté pratique, car la PPE peut entretenir des liens d’influence dans son pays et empêcher ainsi le dépôt de la demande d’entraide. 1464 1465 1466 1467 1468 1469 1470 Rapport précité (note 1453), p. 13. Procédure de consultation relative à la LRAI - Observations de la Faculté de droit de l’Université de Genève, 25 mars 2010, p. 2. Rapport du DFAE sur les résultats de la procédure de consultation LRAI, p. 7. BOCE 2010 p. 699. Rapport précité (note 1466), pp. 5-6. La société civile pourrait aussi jouer un rôle dans le monitoring du processus de restitution. Message (note 1461), FF 2010 2995, p. 3030. 291 Troisième partie : le droit suisse La nature administrative de la confiscation en vertu de la LRAI est aussi affirmée par l’article 5 al. 3 LRAI, selon lequel la prescription de l’action pénale ou de la peine ne peut pas être invoquée pour empêcher le prononcé de la confiscation. A notre avis, la confiscation en vertu de la LRAI a un certain caractère répressif et se rapproche de la notion de la mesure pénale. Une sanction est introduite frappant la seule augmentation de patrimoine (enrichissement illicite) des PPEs ; cette sanction a un caractère pénal, car elle suppose, en substance, la commission d’une infraction pénale, en particulier la corruption publique et/ou le détournement de fonds publics. Le lien entre cette infraction et les valeurs visées par la LRAI est évident. Ce caractère mixte de la sanction pose le problème de la compatibilité de l’article 14 LRAI avec l’article 7 CEDH (non-rétroactivité), s’agissant de la confiscation de valeurs, qui lors de l’entrée en vigueur de la LRAI sont bloquées par le Conseil fédéral sur la base de l’art. 184, al. 3 Cst. féd. 4.3. Une forme nouvelle de présomption d'illicéité L’OCDE avait indiqué que l’obstacle principal à la mise en œuvre des dispositions du CP en matière de confiscation du produit de la corruption serait lié aux « défaillances de l’entraide judiciaire internationale, rendant dans certains cas difficile sinon impossible l’établissement de la preuve de l’origine criminelle des avoirs considérés et, partant, empêchant leur confiscation »1471. La nouvelle loi permet à de strictes conditions le renversement du fardeau de la preuve. Ainsi, selon l’article 6 LRAI, les titulaires des avoirs bloqués seront tenus de démontrer l'origine licite de ceux-ci. Si cette preuve n'est pas apportée, les autorités judiciaires ordonneront la confiscation des avoirs litigieux et leur restitution à l'Etat d'origine. Pour que la présomption d'illicéité de l'origine des valeurs patrimoniales soit acquise, deux conditions cumulatives doivent être remplies : I. l'accroissement exorbitant du patrimoine de la personne qui a le pouvoir de disposition sur les valeurs, durant l'exercice de la fonction publique de la PPE. II. le degré notoirement élevé de corruption de l'Etat OU de la PPE en cause. 1471 292 Rapport précité (note 1099), p. 48 et n. 105. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse Selon le Message LRAI, la notion d’« accroissement exorbitant » se réfère à « une disproportion entre le revenu généré par la fonction publique et le patrimoine en cause telle qu'elle ne s'explique pas selon l'expérience normale et le contexte du pays », ce qui implique un degré d'enrichissement plus élevé que celui retenu par la Convention de Mérida (article 20) 1472. Certainement, la loi ne vise pas l’augmentation de valeurs patrimoniales réalisée grâce à la gestion de la banque où elles sont déposées. Pour déterminer le « degré notoirement élevé de corruption », il faut recourir aux « rapports d'organisations internationales et nationales, d'ONG locales ou internationales ou d'autres sources publiques comme la presse et les média » 1473. La présomption prévue à l’article 6 LRAI ne constitue pas une atteinte à la garantie de la propriété, car la PPE a la possibilité de démontrer l'origine licite des biens en cause. En outre, la présomption est compatible avec le principe de la proportionnalité, en particulier avec les conditions prévues à l’article 36 Cst. féd. (base légale, intérêt public, proportionnalité au but visé, respect de l’essence des droits fondamentaux)1474. En ce qui concerne le critère de l'intérêt public, la LRAI vise à sanctionner l'acquisition illicite de biens par des PPE et préserver ainsi l’image de la place financière suisse. A notre avis, la présomption et les deux critères employés à l’art. 6 al. 1 LRAI (accroissement exorbitant du patrimoine, corruption notoire) sont raisonnables et proportionnés au but visé. L’essence des droits fondamentaux est aussi respectée, car la présomption est réfragable, alors que des garanties procédurales et des voies de recours sont accordées à la personne concernée. A notre avis, le législateur devrait étendre la présomption d’illicéité à l’ensemble des PPE, outre les PPE provenant d’un Etat défaillant. Selon l’article 6 al. 2 LRAI, la personne concernée doit démontrer la licéité de l'acquisition des valeurs patrimoniales « avec une vraisemblance prépondérante », pour que la présomption soit renversée. Selon le Message, l’ayant droit établit la licéité de l'acquisition, « notamment en présentant les pièces utiles et en expliquant les transactions douteuses »1475. A notre avis, une telle précision serait aussi utile dans le contexte du renversement prévu à l’article 72 CP. La voie de la LRAI est plus efficace que celle de l’article 74a EIMP, interprété à la lumière de l’article 72 CP seulement dans des cas très particuliers. L’accroissement exorbitant du patrimoine et le degré notoirement élevé de corruption sont des critères plus faciles à employer et des faits plus faciles à prouver, que l’existence d’une organisation criminelle et la 1472 1473 1474 1475 Message (note 1461), FF 2010 2995, p. 3020. Message (note 1461), FF 2010 2995, p. 3021. Voir p. 192 ss de la présente étude. Message (note 1461), FF 2010 2995, p. 3021, citant l’arrêt du Tribunal pénal fédéral du 26 septembre 2005, BB.2005.51, consid. 4. 293 Troisième partie : le droit suisse participation (ou le soutien) de la PPE à cette organisation. En outre, la remise en vertu de l’article 74a EIMP peut se heurter aux difficultés déjà mentionnées (défaillance de l’Etat requérant, prescription), auxquelles la LRAI vise à remédier. Néanmoins, l’utilité effective de ces avantages se limite à des cas d’entraide très particuliers, comme l’affaire Duvalier, alors que les articles 74a EIMP et 72 CP peuvent être utiles dans un contexte plus général (organisations criminelles se livrant au trafic de stupéfiants ou d’armes, blanchiment d’argent, exploitation sexuelle des femmes, etc.). 5. La loi fédérale sur la coopération avec la Cour Pénale Internationale (LCPI) Il convient ici de faire une référence à la loi fédérale sur la coopération avec la Cour Pénale Internationale (LCPI) 1476. Cette loi, fondée sur l'article 123 al. 1 Cst. féd, régit la coopération des autorités suisses avec la CPI, qui a été instituée par le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale du 17 juillet 19981477. Ce traité donne à la CPI la compétence de poursuivre et de juger les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Cependant, l'intervention de la CPI n'est possible que lorsque les Etats Parties n'ont pas la volonté ou les moyens de poursuivre eux-mêmes ces crimes (principe de la complémentarité)1478. Selon l’article 2 LCPI, la LCPI et le Statut de la Cour règlent la coopération des autorités suisses avec la Cour de manière exclusive ; dans les rapports avec la CPI, l'EIMP n'est donc pas applicable et l'exécution des actes de procédure requis pour l'entraide internationale se fait selon la LCPI1479. La LCPI, en particulier son article 59, a modifié l'EIMP, dont l'article 1 al. 1 définit clairement les relations avec d'autres lois1480. Comme l'indique le Message du Conseil fédéral1481, les modalités et possibilités de coopération prévues par le Statut et la LCPI « correspondent, dans une large mesure, à celles que l'on trouve dans les instruments du Conseil de l'Europe applicables par la Suisse ainsi que dans la 1476 1477 1478 1479 1480 Loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale (LCPI) du 22 juin 2001, RS 351.6, en vigueur depuis le 1er juillet 2002. Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998, RS 312.1, entré en vigueur le 1er juillet 2002. A l’heure actuelle (avril 2011), il y a 114 ratifications ; pour l’état des ratifications, voir : http://treaties.un.org Message relatif à la modification de lois fédérales en vue de la mise en œuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 23 avril 2008, FF 2008 3461 ; cf. aussi Message relatif au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, à la loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale ainsi qu'à une révision du droit pénal du 15 novembre 2000, FF 2001 359. PIQUEREZ (2006), p. 419. Selon la nouvelle teneur de l'article 1 al. EIMP, « [à] moins que d'autres lois ou des accords internationaux n'en disposent autrement, la présente loi règle toutes les procédures relatives à la coopération internationale en matière pénale ». 1481 294 Message (note 1478), FF 2001 359, p. 398. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse loi fédérale sur l'EIMP ». Selon le même texte, ce qui est une nouveauté pour la Suisse est « l'obligation presque absolue de coopérer avec un organe international ». En plus des questions comme la remise des personnes poursuivies ou condamnées par la Cour et l'exécution des sanctions prises par la Cour, la LCPI règle également d'autres formes de coopération (chap. 4), dont les mesures provisoires, la transmission d'éléments de preuve, et la confiscation. Selon l'article 30, la coopération au sens du chapitre 4 LCPI peut comprendre « tout acte de procédure non interdit par la législation suisse, qui facilite l'enquête et la poursuite pénale relatives à des infractions relevant de la compétence de la Cour ou permet la récupération du produit de telles infractions ». Parmi ces actes de procédure se trouvent l'exécution de perquisitions et de saisies (article 30, let. g LCPI), l'identification, la localisation, le gel ou la saisie du produit des infractions ainsi que des avoirs et des instruments qui sont liés aux infractions, en vue de leur confiscation éventuelle (article 30, let. j LCPI). Quant aux mesures provisoires (article 31 LCPI), elles peuvent être ordonnées par les autorités suisses, « en vue de maintenir la situation existante, de protéger des intérêts juridiques menacés ou de préserver des éléments de preuve ». En cas d'urgence, les mesures provisoires peuvent être ordonnées dès que la Cour annonce la présentation d'une demande. Dans ce cas, les autorités suisses doivent disposer des renseignements suffisants pour examiner si toutes les conditions sont remplies, mais elles doivent lever les mesures si la Cour ne présente pas la demande dans le délai imparti par le service central. La CPI peut demander la remise extraditionnelle (article 18 LCPI), ainsi que la remise à titre probatoire (article 40 LCPI) des objets, documents ou valeurs saisis. Dans le cas où un tiers acquéreur de bonne foi, une autorité ou un lésé ayant sa résidence habituelle en Suisse fait valoir des droits sur ces objets, leur transmission est soumise à la garantie de la Cour de les restituer gratuitement à l'issue de la procédure qui a eu lieu devant elle. Ce principe s’applique à la remise à titre probatoire (article 40 al. 2 LCPI), ainsi qu’à la remise extraditionnelle (article 4 al. 3 LCPI et article 93 Statut de la CPI)1482. Sous certaines conditions (procédure pénale pendante en Suisse et consentement de la Cour), la transmission des objets, documents ou valeurs saisis à titre probatoire peut être reportée (article 40 al. 3 LCPI) La confiscation des avoirs tirés du crime est une autre mesure, à titre de peine complémentaire que la Cour peut infliger (article 77 par. 2 let. b du Statut de Rome). Il faut souligner que l'exécution des mesures de confiscation prononcées par la Cour est obligatoire pour les Etats Parties1483; certes, les Etats procèdent exclusivement selon leur droit national. La Cour est compétente pour ordonner le versement des sommes confisquées au Fonds 1482 1483 ZIMMERMANN (2009), p. 310 s, N. 334 et 337. Message (note 1478), FF 2001 359, p. 412. 295 Troisième partie : le droit suisse d'affectation spéciale au profit des victimes (article 79 du Statut de Rome)1484. Le Conseil de direction du Fonds décide ensuite de l'utilisation de ces ressources conformément à toute condition ou instruction énoncée dans les ordonnances pertinentes, notamment concernant la définition des bénéficiaires et la nature et le montant des réparations1485. La disposition la plus intéressante pour notre étude est l'article 41 LCPI, réglant la transmission à des fins de confiscation, d'affectation au Fonds au profit des victimes ou de restitution aux ayants droit. Cette disposition, ne s'éloigne pas de la pratique suisse en matière d'entraide judiciaire (cf. article 74a EIMP)1486. Selon le deuxième alinéa de l'article 41, une demande de transmission à des fins de confiscation peut porter sur « a. les instruments ayant servi à commettre l'infraction; b. le produit ou le résultat de l'infraction, sa valeur de remplacement et l'avantage illicite; c. les dons et autres avantages qui ont servi ou devaient servir à décider ou à récompenser l'auteur de l'infraction, ainsi que leur valeur de remplacement ». Le champ d'application est donc assez large, en particulier puisqu'une référence expresse est faite aux valeurs de remplacement. Sous les conditions prévues par l'article 41 al. 4 LCPI, les objets ou valeurs saisis peuvent être retenus en Suisse: « a. si le lésé a sa résidence habituelle en Suisse et qu’ils doivent lui être restitués; b. si une autorité fait valoir des droits sur eux; c. si une personne étrangère à l'infraction rend vraisemblable le fait qu’elle a acquis de bonne foi des droits sur ces objets ou valeurs, à condition qu’elle les ait acquis en Suisse ou, si elle les a acquis à l'étranger, qu’elle réside habituellement en Suisse, ou d. s’ils sont nécessaires à une procédure pénale pendante en Suisse ou qu’ils sont susceptibles d'être confisqués en Suisse ». Si un ayant droit élève des prétentions au sens de cet article, la transmission des objets ou valeurs à la Cour est suspendue jusqu'à droit connu (article 40 al. 5 LCPI). Le Statut de Rome, dans son article 109 al. 1 et 2, exige le respect des droits que pourraient faire valoir des tiers de bonne foi dans le cadre de l'exécution. La remise des objets ou valeurs à l'ayant droit suppose que la Cour y consente. Si une autorité fait valoir des droits sur les objets, son consentement est également nécessaire pour la remise. Enfin, la remise est possible si le bien-fondé de la prétention est reconnu par une autorité suisse. 1484 1485 1486 296 Le Fonds d'affectation spéciale au profit des victimes est une institution indépendante ; il est administré par un Conseil de direction composé de cinq membres éminents élus par l’Assemblée des Etats Parties pour un mandat de trois ans. Cf. Création d’un fonds au profit des victimes de crimes relevant de la compétence de la Cour et de leurs familles, résolution ICC-ASP/1/Res.6, adoptée par consensus, à la 3e séance plénière, le 9 septembre 2002, Assemblée des Etats Parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Première session New York, 3-10 septembre 2002, Documents officiels, p. 345. Articles 42 ss du Règlement du Fonds d'affectation spéciale au profit des victimes, ICC-ASP/4/Res.3. Message (note 1478), FF 2001 359, p. 440. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse 6. La loi fédérale sur le partage des valeurs patrimoniales confisquées (LVPC) La conclusion d’accords de partage de valeurs confisquées est encouragée par des dispositions potestatives des conventions multilatérales1487 ainsi que par la recommandation no 38 du GAFI ; cependant, avant 2004, le partage ne bénéficiait d’aucune base légale en droit suisse1488. La doctrine1489 critiquait cette lacune, alors que des conflits survenaient entre les cantons et la Confédération, en particulier sur la compétence pour négocier avec les autorités étrangères1490. En outre, l’EIMP ne contient aucune disposition régissant la répartition de valeurs confisquées avec d’autres Etats. Des interventions parlementaires ont accentué la nécessité de l’élaboration d’une réglementation sur le partage des valeurs confisquées1491. La loi fédérale du 19 mars 2004 sur le partage des valeurs patrimoniales confisquées (LVPC)1492 répond à ces problèmes, car elle sert de base juridique concrète pour la conclusion d’accords de partage. L’article 2 LVPC prévoit, en cas d’entraide judiciaire internationale en matière pénale, le partage entre la Suisse et les Etats étrangers des valeurs patrimoniales confisquées en vertu du droit suisse ou faisant l’objet d'une mesure de confiscation ou d’une mesure analogue en vertu du droit étranger. La LVPC va plus loin que les dispositions potestatives des instruments internationaux, dès lors qu’elle fixe en détail les modalités du partage. La loi a deux axes principaux. D’une part, elle offre au Conseil fédéral une base juridique pour la conclusion de conventions internationales de partage. D’autre part, la loi règle le partage des valeurs patrimoniales confisquées sur le plan interne, c’est-à-dire le partage entre la Confédération et les cantons. 1487 1488 Cf. par exemple article 5 par. 5 let. b-ii, Convention de Vienne : « Lorsqu’une Partie agit à la demande d’une autre Partie en application du présent article, elle peut envisager spécialement de conclure des accords prévoyant […] de partager avec d’autres Parties, systématiquement ou au cas par cas, ces produits ou ces biens, ou les fonds provenant de leur vente ». Cf. aussi article 15 de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe ; article 14 par. 3 let. b Convention de Palerme ; article 25 par. 3 de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe. ANTENEN (1996), p. 57 ss. En principe, les autorités suisses ont réparti les avoirs concernés dans la règle par moitié sous garantie de réciprocité ; NICATI (2001), p. 19. Selon l’OFJ, « [d]e 1992 jusqu’à l’entrée en vigueur de la LVPC, la Suisse a procédé à un partage de valeurs confisquées avec un Etat étranger à environ 50 occasions pour un montant total de plus de 300 millions USD, cela pratiquement exclusivement avec les Etats-Unis d’Amérique. Dans la plupart de ces cas, le partage entre Etats s’est fait par moitié et les valeurs ont été confisquées par les Etats-Unis d’Amérique. Depuis l’entrée en vigueur de la LVPC au 1er août 2004, la Suisse a passé des conventions de partage pour plus de 60 millions de francs suisses avec le Japon, le Canada, le Liechtenstein et le Pakistan » ; Directives OFJ (note 231), p. 66. 1489 ANTENEN (1996), p. 57 ss. Voir aussi la première édition de l’ouvrage édité par N. Schmid: SCHMID N. (éd.), Kommentar Einziehung Organisiertes Verbrechen Geldwäscherei, vol. I, Zurich (Schulthess) 1998, en 1490 1491 1492 particulier : ARZT, Art. 260ter CP, N. 83 et SCHMID, Art. 59 CP, N. 234 ss. Message concernant la loi sur le partage des valeurs patrimoniales confisquées du 24 octobre 2001, FF 2002 423, p. 429 ; cf. aussi MOREILLON (2004), p. 355. Cf. Motion 98.3366, BOCE 1998 VI 1184 ; initiative parlementaire 98.450, BOCN 1999 VI 2580 ; motion 99.3050, BOCN 1999 III 1306 etc. RS 312.4 ; Message (note 1490), FF 2002 423 ; la LVPC est entrée en vigueur le 1er août 2004. 297 Troisième partie : le droit suisse 6.1. Le partage sur le plan interne Le fait que la Suisse est un Etat fédéral impose de régler le partage des valeurs patrimoniales confisquées, d’abord, sur le plan interne, c’est-à-dire entre la Confédération et les cantons. Le nouveau système de partage attribue une partie importante des valeurs confisquées (5/10) à la collectivité (le canton ou la Confédération) qui a dirigé l’enquête et prononcé la confiscation, ce qui est normal vu le rôle central que cette collectivité joue dans la procédure de confiscation1493. Une autre partie (2/10) des valeurs à partager est attribuée aux cantons où se trouvent ces valeurs. La loi reconnaît ainsi que ces autorités cantonales ont assumé une partie du fardeau administratif (par exemple, collaboration au niveau de l’information et des enquêtes) dans le cadre de la procédure de confiscation. Enfin, la partie restante (3/10) des valeurs à partager est attribuée à la Confédération. Cette attribution constitue une source de revenus pour le gouvernement fédéral et permettra de financer la lutte contre la criminalité et de soutenir les cantons. 6.2. Le partage sur le plan international L'article 2 LVPC prévoit, en cas d'entraide judiciaire internationale en matière pénale, le partage entre la Suisse et les Etats étrangers des valeurs patrimoniales confisquées en vertu du droit suisse ou faisant l'objet d'une mesure de confiscation ou d'une mesure analogue en vertu du droit étranger. La notion de « mesure analogue » recouvre les différentes formes que peut revêtir, selon le droit étranger, la mainmise de l'Etat sur les valeurs délictueuses1494. Par exemple, elle recouvre la procédure de confiscation autonome in rem (civile ou pénale), qui est dirigée contre les valeurs délictueuses. L’essentiel est qu’il s’agisse d’une affaire pénale pour laquelle l’entraide judiciaire pourra être accordée en application de l’EIMP1495. L’article 11 LVPC met en avant les principes et les conditions qui s’appliquent au partage de valeurs patrimoniales confisquées sur le plan international, c’est-à-dire entre Etats. Il faut d’abord que l’opération de la confiscation soit le produit de coopération internationale. Les valeurs à partager peuvent donc avoir été confisquées par les autorités suisses en application du droit suisse en coopération avec un Etat étranger (article 11 ch. 1 let. a LVPC) ou par des autorités étrangères en application du droit étranger en coopération avec les autorités suisses (article 11 ch. 1 let. b LVPC). Le partage sur le plan international se différencie du partage sur le plan 1493 1494 1495 298 Sur les critères de répartition aux Etats-Unis, voir : ANTENEN (1996), p. 56. ATF 132 II 178, consid. 4.2. Message (note 1490), FF 2002 423, p. 442. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse interne, en ce qu’il n'est subordonné à aucun montant minimum1496. En outre, la conclusion d’un accord de partage est conditionnée par le respect de la réciprocité de la part de l’Etat étranger. Cependant, comme l’indique l’article 11 ch. 2 LVPC, le partage a lieu « en règle générale », si l’Etat étranger garantit cette réciprocité. Les Etats concernés doivent négocier, conclure et exécuter un accord de confiscation, qui détermine les modalités particulières du partage. L’article 11 ch. 3 LVPC prévoit qu’aucun droit n’est conféré aux Etats étrangers d’exiger une part des valeurs patrimoniales confisquées. La ratification de la Convention de Mérida modifie la portée de cette disposition et exige donc son adaptation, dès lors que la restitution du produit de la corruption devient désormais une obligation de l’Etat requis. Certes, l’article 11 ch. 3 s’applique toujours aux cas de corruption qui ne tombent pas dans le champ d’application de la Convention de Mérida1497. Dans le cadre d’une procédure de confiscation, les autorités cantonales ou fédérales peuvent considérer la possibilité d’un partage des valeurs confisquées avec un Etat étranger. Dans ce cas, les autorités cantonales ou fédérales n’engagent pas de négociations directes avec l’Etat étranger, mais elles informent l’OFJ qu’un partage entre en considération. L’article 12 LVPC traite des négociations en vue de la conclusion d’un accord de partage. L’OFJ, qui mène les négociations avec les autorités étrangères, consulte au préalable les autorités compétentes des cantons concernés et informe le Département fédéral des affaires étrangères (article 12 ch. 2 LVPC). Pour la conclusion de l’accord, l’OFJ doit obtenir l’approbation du Département fédéral de justice et police, si le montant brut des valeurs patrimoniales confisquées ou à confisquer dépasse CHF 10 millions (article 13 ch. 1 LVPC). Les modalités du partage et la clé de répartition sont les questions les plus importantes qu’un accord de partage doit fixer. L’article 12 ch. 3 LVPC prévoit que les valeurs sont partagées à parts égales entre la Suisse et l’Etat étranger. Des exceptions sont également prévues, permettant la restitution de l’ensemble des valeurs patrimoniales confisquées à l’Etat étranger, si des motifs fondés justifient une telle solution. L’article 12 ch. 3 LVPC mentionne une série de facteurs qui justifient cette exception : la nature de l’infraction, le lieu où se trouvent les valeurs patrimoniales, l’importance de la participation à l’enquête de l’Etat étranger, ainsi que les usages entre la Suisse et l’Etat étranger, la garantie de la réciprocité, le contexte international ou l’importance des lésions des intérêts de l’Etat étranger. Ces facteurs peuvent effectivement justifier un partage à parts inégales entre les Etats Parties. Au niveau de l’exécution de l’accord de partage, l’OFJ joue le rôle de l’intermédiaire (article 14 LVPC). Ainsi, lorsque les valeurs visées se trouvent 1496 1497 VOUILLOZ (2009), Art. 70 CP, N. 52. BALMELLI (2004), p. 85. 299 Troisième partie : le droit suisse en Suisse, elles sont remises à l’office, qui transfère à l’Etat étranger la part fixée dans l’accord. L’OFJ peut demander aux autorités cantonales de transférer directement ces valeurs à l’Etat étranger. Dans le cas où les valeurs patrimoniales à partager se trouvent à l’étranger, la part des valeurs qui reviennent à la Suisse est versée à l’Office. Après l’exécution de l’accord de partage, il faut déterminer le sort de la part revenant à la Suisse. Lorsque les valeurs patrimoniales ont été confisquées en Suisse par les autorités suisses, cette part est répartie sur le plan interne en application de l’article 5 (article 15 LVPC1498). Lorsque les valeurs patrimoniales ont été confisquées en Suisse à la suite d’une décision de confiscation étrangère, la quote-part de 5/10 fixée par l’article 5 ch. 1 let. a LVPC, est répartie à parts égales entre tous les cantons qui ont coopéré avec les autorités étrangères (investigations en exécution d’une demande d’entraide ou d’extradition, transmission spontanée des moyens de preuve à l’autorité étrangère). Lorsque les valeurs patrimoniales ont été confisquées à l’étranger, la quote-part de 2/10 fixée par l’article 5 ch. 1 let. c, est répartie « entre les autres collectivités en proportion des quotes-parts attribuées à chacune d’elles ». Enfin, l’article 15 ch. 4 LVPC autorise l’office à décider de la répartition de la part revenant à la Suisse en vertu de l’accord de partage. Cette procédure administrative est régie par la LVPC1499 et par la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative1500. Il est intéressant de remarquer la proposition, avancée lors des délibérations1501, d’utiliser l’argent confisqué provenant de la drogue pour aider les toxicomanes (prévention de la toxicomanie et thérapies) et les pays producteurs de drogues (lutte contre la production de stupéfiants et développement de cultures de substitution). Le Conseil fédéral a rejeté cette idée ; il a laissé les cantons libres de disposer des valeurs leur revenant et d’établir, s’ils le veulent, des règles spéciales comme en ont déjà édicté les cantons de Vaud, de Genève et de Fribourg1502. Toutefois, il faut préciser que la renonciation à une affectation spéciale « ne remet pas en cause la restitution à un Etat étranger des valeurs provenant de la corruption de l'un de ses fonctionnaires ou de la gestion déloyale des intérêts publics »1503. Dans ces cas, les avoirs volés 1498 1499 1500 1501 1502 1503 300 Selon l’article 4 LVPC, il faut d’abord déduire un certain nombre de frais et débours ; sur la déductibilité des frais judiciaires, voir : ATF 135 IV 162, consid. 2 et 3. Selon l’article 15 ch. 4 LVPC, « les articles 4 et 6 à 10 sont applicables par analogie ». Loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative, RS 172.021. Cf. par exemple, Conseil des Etats - Session de printemps 2004 - Troisième séance, 03.03.04, BO 2004 E 32 ; Conseil national, Session de printemps 2004, Sixième séance, 08.03.04, BO 2004 N 177. Message (note 1490), FF 2002 423. DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DE JUSTICE ET POLICE (2001), Des règles simples pour le partage des valeurs patrimoniales confisquées. Le Conseil fédéral approuve le Message concernant la loi sur le « sharing », Communiqué de presse, 24.10.2001. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse sont restitués à l’Etat étranger « lésé » et le Conseil fédéral a précisé qu’il n’entendait rien changer à cette pratique1504. 7. L’entraide judiciaire en matière pénale dans le cadre des Accords bilatéraux II conclus entre la Suisse et l’UE Un ensemble d'accords bilatéraux ont été conclus entre la Suisse et l'UE, réglant plusieurs aspects des relations économiques et politiques entre les deux partenaires. En premier lieu, on peut mentionner l'accord de libreéchange (ALE) de 19721505, qui a supprimé plusieurs tarifs et libéralisé le commerce entre la Suisse et l'UE. En deuxième lieu, les Accords bilatéraux I1506 conclus par la Suisse et l'UE en 1999 portaient sur sept domaines importants, notamment sur la libre circulation des personnes, les obstacles techniques au commerce, les marchés publics, l'agriculture, le transport aérien, les transports terrestres et les programmes de recherche. Enfin, les Accords bilatéraux II de 2004 ont renforcé la coopération entre les deux partenaires dans des domaines comme la sécurité intérieure, l'asile et l'environnement. Le Conseil national et le Conseil des Etats ont examiné les Accords bilatéraux II pendant la session d’hiver 20041507. Ils ont approuvé les Accords à une forte majorité, même l'Accord d'association à Schengen/Dublin, qui avait donné lieu à des controverses. En laissant de côté des dossiers comme les produits agricoles transformés, l'accord MEDIA, l'environnement et la statistique, nous examinerons les thématiques de Schengen/Dublin, de fiscalité de l'épargne et de lutte contre la fraude, car ces dossiers des Accords bilatéraux II concernent, entre autres, des règles en matière d’entraide pénale et administrative. 7.1. L'Accord sur l’association à l’acquis de Schengen En 2004, la Suisse et l’UE ont signé l'Accord sur l'association de la Confédération suisse à l'acquis de Schengen (AAS)1508, en reconnaissant leur 1504 1505 1506 1507 1508 Message (note 1490), FF 2002 423, p. 454. JO n° L 300 du 31.12.1972 p. 189 ss. Cf. Message du Conseil fédéral du 16 août 1972 relatif à l'approbation des Accords entre la Suisse et les Communautés européennes, FF 1972 II 645 ; Arrêté fédéral du 3 octobre 1972, RO 1972 3165. Cf. Message relatif à l’approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la CE du 23 juin 1999, FF 1999 5440 ; Arrêté fédéral portant approbation des accords sectoriels entre, d'une part, la Confédération suisse et, d'autre part, la Communauté européenne ainsi que, le cas échéant, ses Etats membres ou la Communauté européenne de l'énergie atomique du 8 octobre 1999, FF 1999 7963. Cf. Message relatif à l’approbation des accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne (“accords bilatéraux II”), du 1er octobre 2004, FF 2004 5593. Cf. aussi les arrêtés fédéraux du 17 décembre 2004 portant approbation des accords, FF 2004 , pp. 6701, 6703, 6705, 6707, 6709, 6741, 6743. Accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse, l’Union européenne et la Communauté européenne sur l’association de la Confédération suisse à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen, RS 0.362.31. L’accord est entré en vigueur le 1er mars 2008. L’entrée en vigueur opérationnelle a été fixée au 12 décembre 2008 ; cf. Communiqué DFJP (note 686). 301 Troisième partie : le droit suisse interdépendance croissante et la nécessité d’une coopération renforcée dans la lutte contre la criminalité internationale1509. La Suisse a ainsi repris les développements de l'acquis de Schengen, jusqu'à la signature de l'Accord, y inclus les développements dans le domaine de l’entraide judiciaire1510. Cependant, une faculté d’« opting out » a été prévue pour la Suisse, pour les évolutions futures de l'acquis de Schengen (article 7 par. 5 AAS). Conformément à l'article 15 AAS, la Suisse appliquera le contenu des actes visés aux Annexes. En particulier, parmi les actes énumérés à l’Annexe B se trouve l’UEEJ, ainsi que le Protocole UEEJ. Les instruments européens de reconnaissance mutuelle en matière de gel et de confiscation ne sont pas énumérés à l’Annexe B. En raison de son association à Schengen, la Suisse accordera l’entraide judiciaire en cas d’escroquerie fiscale (comme elle le faisait jusqu’ici) et de soustraction fiscale résultant d’une infraction aux dispositions légales et réglementaires, concernant l’un des impôts indirects énumérés exhaustivement à l’article 50 CAAS. Cette obligation constitue une nouveauté pour la Suisse. Sur la base de l’article 51 CAAS, la Suisse devra aussi accorder une entraide judiciaire à des fins de perquisition et de saisie pour des délits de soustraction fiscale dans le domaine des impôts indirects1511. Selon une déclaration unilatérale suisse, les contraventions administratives en matière de fiscalité directe ne donnent pas lieu à un recours devant un tribunal compétent en matière pénale au sens de l’article 51 CAAS. Cette déclaration permet à la Suisse de rejeter les commissions rogatoires en matière de soustraction fiscale1512. L’article 8 du Protocole UEEJ abroge l’article 50 CAAS et interdit aux Etats Parties de refuser l'entraide en raison de l'exception fiscale. Cette disposition fait aussi partie de l'acquis de Schengen. La question se pose donc de savoir si l'adoption par la Suisse de l'article 8 du Protocole de la Convention d'entraide judiciaire de l'UE peut être subordonnée à l'application de l'article 7 par. 5 AAS (clause d’ « opting out »)1513. L'article 7 par. 5 AAS ne s'applique pas aux dispositions énumérées aux Annexes A et B (dont l'article 8 du Protocole UEEJ). Dès lors que l'article 8 du Protocole UEEJ élargit considérablement le champ d'application de la coopération dans le domaine fiscal, l’article 7 par. 5 1509 1510 1511 1512 1513 302 MACH (2006), p. 171; EPINEY (2003), p. 421. Cf. aussi la Déclaration de la Suisse relative à l’application de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale et de la Convention européenne d’extradition. Cette déclaration, contenue dans l’acte final de l’AAS, rappelle simplement les règles générales relatives à la hiérarchie des normes du droit international public (par ex. lex specialis et lex posterior). La déclaration met un accent particulier sur les dispositions spéciales de l’AAS, qui contient des règles plus favorables à la Suisse, notamment en matière de fiscalité directe, que la CAAS. Cf. Message (note 1507), FF 2004 5593, p. 5786. Message (note 1507), FF 2004 5593, p. 5783. Sur les conséquences du CAAS en matière d’entraide fiscale, cf. arrêt du Tribunal fédéral du 13 avril 2010, 1C.163/2010, résumé in SJ 2010 I 460. CASSANI (2005), p. 40. MOLO (2006), p. 577. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse AAS risque de perdre sa fonction. Le Message du Conseil fédéral précise qu'à partir de l'entrée en vigueur du Protocole UEEJ, l'entraide judiciaire concernant les infractions en matière de fiscalité et directe et indirecte, devra être accordée sans distinction entre évasion fiscale et fraude fiscale1514. Le maintien du secret bancaire était parmi les exigences majeures de la Suisse lors des négociations avec les représentants de l’UE. L’article 51 CAAS retient donc la condition de double incrimination. La faculté d’ « opting out », obtenue par la Suisse, la protège contre des évolutions éventuelles de l'acquis de Schengen, telles que l’abolition de cette condition de double incrimination. Le Message du Conseil fédéral fait remarquer que dans la pratique, l’étendue de l'entraide en vertu de l’article 51 CAAS sera déterminée par l'Accord entre la Suisse et la CE pour lutter contre contre la fraude, parce que celui-ci s'avère en général plus favorable1515. 7.2. L'Accord pour lutter contre la fraude L’Accord pour lutter contre la fraude1516 vise à étendre l’assistance administrative et l’entraide judiciaire en matière pénale entre la Suisse et les Etats membres de l’UE en vue de combattre des activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers respectifs des Etats Parties (article 2 de l’Accord)1517. L’Accord pour lutter contre la fraude, en particulier son titre III, apporte des modifications importantes dans le cadre de l'entraide judiciaire1518. La Suisse s’engage à coopérer avec l'UE dans la poursuite de la criminalité dans le domaine de la répression de la contrebande et dans les domaines de la fiscalité indirecte (droits de douane, TVA, impôts à la consommation), des marchés publics et des subventions. La Suisse sera donc 1514 Cf. Message (note 1507), FF 2004 5593, p. 5779 : « Avec l’entrée en vigueur du Protocole d’entraide judiciaire en matière pénale de l’UE, son art. 8, qui fera partie de l’acquis de Schengen, remplacera dans son intégralité l’art. 50 CAAS. A partir de ce moment, l’entraide judiciaire devra non seulement être accordée concernant les infractions en matière de fiscalité indirecte, mais également en principe en matière de fiscalité directe ». 1515 Cf. Message (note 1507), FF 2004 5593, p. 5783. Accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, pour lutter contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte à leurs intérêts financiers, RS 0.351.926.81. Dans les rapports entre les Parties ayant fait la déclaration en vertu de l’article 44 par. 3, l’Accord est appliqué provisoirement dès le 8 avril 2009 ; RO 2009 1299. Ces activités illégales, visées à l’article 2 ch. 1 let. a, concernent : « les échanges de marchandises en 1516 1517 violation de la législation douanière et agricole; les échanges en violation de la législation fiscale en matière de taxe sur la valeur ajoutée, d’impôts spéciaux à la consommation et de droits d’accises; la perception ou la rétention de fonds – y compris l’usage de ces fonds à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été initialement octroyés – provenant du budget des parties contractantes ou des budgets gérés par celles-ci ou pour leur compte, telles que les subventions et les restitutions; les procédures de passation de contrats attribués par les parties contractantes ». 1518 Les dispositions de l’Accord complètent celles de la CEEJ et de la Convention no 141 du Conseil de l’Europe ; les dispositions d’autres accords, comme la CAAS, ne sont pas affectées, si elles prévoient une entraide plus étendue (article 25 de la Accord sur la lutte contre la fraude) ; cf. ZENGER (2008), p. 413. 303 Troisième partie : le droit suisse tenue d’accorder l'entraide judiciaire pour les délits liés aux impôts indirects1519. L’article 2 de l’Accord ne reprend pas les définitions communautaires de la fraude, mais il s’en inspire pour définir son champ d’application1520. L’article 2 par. 3 de l'Accord vise expressément le blanchiment d’argent. Le blanchiment du produit des activités couvertes par l’Accord est donc inclus dans le champ d'application de celui-ci1521. Cependant, l’infraction préalable doit être punissable selon le droit des deux Etats Parties d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté restreignant la liberté d'un maximum de plus de six mois. Selon la « Déclaration commune relative au blanchiment », contenue dans l’Acte final, les faits constitutifs de fraude fiscale ou de contrebande par métier selon le droit suisse peuvent constituer des faits préalables au titre de l’accord. En outre, les informations échangées peuvent être utilisées dans des procédures pour blanchiment, « sauf dans des procédures contre des personnes suisses si tous les actes pertinents de l'infraction ont été exclusivement commis en Suisse ». La Suisse va donc fournir une entraide judiciaire pour les cas de blanchiment de fonds issus d'une escroquerie fiscale. Cette possibilité n’est prévue que pour les impôts indirects. Les impôts directs ne sont pas visés1522. En ce qui concerne l'obligation d'accorder l'entraide judiciaire pour des délits de soustraction d'impôts directs (impôts sur le revenu et sur la fortune), l’article 7 par. 5 prévoit une dérogation ou faculté d’« opting out » pour le cas où l'évolution de l'acquis Schengen devrait conduire à une telle obligation1523. L’article 29 de l’Accord prévoit une coopération à des fins de mesures provisoires ; la Partie requise ordonne les mesures provisoires nécessaires « en vue de maintenir une situation existante, de protéger des intérêts juridiques menacés ou de préserver des moyens de preuve, si la demande d’entraide ne semble pas manifestement irrecevable ». Selon l’article 29 par. 2 de l’Accord, une mesure de ce type peut viser les instruments et les produits des infractions, ainsi que les biens qui se trouvent sur le territoire de la Partie requise et qui correspondent à la valeur du produit des infractions, si ce produit n’existe plus, en partie ou en totalité. En ce qui concerne l’entraide dans les mesures de contrainte, comme les perquisitions et les saisies, le préambule de l'Accord pour lutter contre la fraude prévoit cette possibilité « dans tous les cas de contrebande et d’évasion en matière de fiscalité indirecte ». L’entraide peut être accordée dans des cas de « fraude et de toute activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers » (article 2 par. 1 let. a). 1519 1520 1521 1522 1523 304 DE PREUX (2008), p. 31. FILLIEZ (2006), p. 633. BERNASCONI (2005), p. 141. Article 2 par. 4 de l’Accord contre la fraude ; BERNASCONI (2005), p. 139. Cf. MOLO (2006), p. 577. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse Selon les articles 2 et 31 de l'Accord pour lutter contre la fraude, la Suisse devra donc donner suite à des demandes d’entraide, en particulier des demandes de perquisition et de saisie, dans le domaine de la fiscalité indirecte, même s’il s’agit d’une affaire de simple soustraction fiscale1524. L’article 31 de l'Accord, qui reprend textuellement la règle figurant dans l'article 51 de l'accord de Schengen, constitue un compromis entre l’UE et la Suisse1525 : les commissions rogatoires aux fins de perquisition et de saisie sont recevables, si le droit des deux Etats Parties prévoit pour les infractions préalables une peine privative de liberté d’un maximum de plus de six mois. L’accord pour lutter contre la fraude, en particulier ses dispositions en matière d’entraide s’inspire des dispositions de la Convention Schengen, l’UEEJ, mais aussi des dispositions qui constituent des développements de Schengen. Nous pouvons ici mentionner l’exemple de la surveillance bancaire ou suivi des relations bancaires, selon le nouveau CPP suisse1526. Cette possibilité était prévue a l’article 3 du Protocole UEEJ1527 ; la même possibilité a été reprise par l’article 32 de l’Accord pour lutter contre la fraude, qui fusionne plusieurs dispositions de ce Protocole1528. L’article 32 de l’Accord énumère les renseignements bancaires et financiers que l'Etat requérant est en droit d'obtenir dans le cadre de l’entraide. Cette disposition ne constitue pas une innovation, puisque la Suisse était déjà en position de remettre de tels renseignements ; est pourtant positif le fait que l’article 32 précise les documents qui peuvent être obtenus par la voie de l’entraide1529. Enfin, l'article 34 de l'Accord prévoit la possibilité de remise des « objets, documents, fonds ou autres valeurs qui ont été saisis à titre conservatoire », en vue de leur confiscation ou de restitution à l’ayant droit. Cette disposition s’inspire de l’article 8 UEEJ, alors que les détails de la remise sont régis par l’article 74a EIMP1530. 7.3. L'Accord sur la fiscalité de l’épargne Pour atteindre l’objectif qu’elle s’est fixée avec la directive sur la fiscalité de l’épargne1531, l’UE a dû conclure des accords avec des pays tiers, dont la Suisse, et des territoires dépendants ou associés. L’Accord sur la fiscalité de 1524 1525 1526 1527 1528 1529 1530 1531 ZENGER (2008), p. 417. FILLIEZ (2006), p. 644. Cf. article 19 de la Convention no 198 du Conseil de l’Europe. Cf. note 586. Il s’agit des articles 2 (demandes d’information sur des transactions bancaires), 3 (demandes de suivi des transactions bancaires), 4 (confidentialité) et 7 (secret bancaire) de ce protocole ; cf. FILLIEZ (2006), p. 647. DE PREUX (2008), p. 31 ; FF 2004 5822. Sur l’article 32 par. 4 de l’accord et le devoir de ne pas informer les personnes concernée (« no tipping-off »), voir : ZENGER (2008), p. 418. ZENGER (2008), p. 419. Directive 2003/48 du Conseil du 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts, JO L 157 du 26.06.2003, p. 38. Pour une analyse des dispositions de cette directive, voir : HUMBERT (2006), p. 529 ss. 305 Troisième partie : le droit suisse l’épargne1532 conclu entre la Suisse et l’UE porte sur les revenus de l'épargne des personnes ayant leur domicile fiscal dans un Etat membre de l'UE. Selon les dispositions de l’accord, comme celles-ci sont traduites par une loi fédérale1533, la Suisse est tenue de prélever une retenue d'impôt sur ces revenus, afin de garantir que la réglementation européenne ne peut pas être contournée par des placements en Suisse. Outre l’introduction d’une retenue à la source, l’accord prévoit l’échange de renseignements sur demande en cas de fraude fiscale en relation avec les revenus couverts. Une telle assistance administrative concerne les personnes physiques et morales et est fournie en réponse à une demande dûment motivée. L’article 10 par. 1 de l'Accord prévoit les modalités de l’échange de renseignements par la voie de l'entraide administrative1534. Cet échange de renseignements est ainsi possible lorsque les autorités de l’Etat requérant sont confrontées à des « comportements constitutifs de fraude fiscale au regard de la législation de l'Etat requis, ou d'une infraction équivalente concernant des revenus couverts ». L’article 10 par. 1 de l’Accord ne définit pas la notion de la fraude fiscale, mais il fait expressément référence à la définition légale employée par l’Etat requis1535. La question se pose aussi de définir l’expression d’« infractions équivalentes » ; à cette catégorie appartiennent « les infractions à des dispositions pénales clairement définies du droit fiscal d'autres Etats, qui ont le même degré de gravité que la fraude fiscale en Suisse, mais qui ne sont pas mentionnées dans la procédure suisse et donc dans le droit suisse »1536. En tout cas, une telle assistance administrative ne couvre pas la simple soustraction fiscale. En outre, elle ne couvre que les revenus visés par l’Accord sur la fiscalité de l’épargne, c’est-àdire les intérêts payés par un agent payeur établi en Suisse. Les termes de « fraude fiscale » et d’« infraction équivalente » doivent être définis dans les conventions bilatérales de double imposition1537. Le mémorandum d'entente (Memorandum of Understanding) joint à l’Accord prévoit effectivement la révision des conventions de double imposition entre la Suisse et les Etats membres de l’UE1538. 1532 1533 1534 1535 1536 1537 1538 306 Accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts, RS 0.641.926.81 ; l’Accord est entrée en vigueur le 1er juillet 2005. Loi fédérale concernant l’accord avec la Communauté européenne relatif à la fiscalité de l’épargne (LFisE), RS 641.91. La LFisE est entrée en vigueur le 1er juillet 2005. CASSANI (2005), p. 37. OBERSON (2006), p. 570. DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DES FINANCES (2008), Accord sur la fiscalité de l’épargne, Feuille d'information. La Suisse s’est engagée à entrer en négociations bilatérales en vue de la définition, dans les conventions de double imposition, des termes « fraude fiscale » et « infraction équivalente » ; cf. article 10 § 4 Accord sur la fiscalité de l'épargne et ch. 2 du Mémorandum d'entente du 26 octobre 2004, annexé à l'accord, FF 2004 p. 6181. BERNASCONI (2005), p. 137. Cette renégociation permettra d’inclure dans les conventions bilatérales un échange de renseignements (assistance administrative) en cas de fraude fiscale ou autres infractions portant sur les impôts visés par ces conventions. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse L’Accord sur la fiscalité de l’épargne ne va pas au-delà de la pratique ancienne de la Suisse en matière d’assistance administrative, par exemple l’assistance accordée aux Etats –Unis et à l’Allemagne1539. Il convient de retenir que l’article 3 al. 3 EIMP fournissait déjà la base juridique pour l’entraide judiciaire accessoire en cas d’escroquerie fiscale1540. 8. La conformité du droit suisse avec les instruments internationaux en matière d’entraide à des fins de confiscation Nous examinons ici la transposition en droit suisse des instruments internationaux contenant des dispositions relatives à l’entraide à des fins de confiscation. Ces instruments seront étudiés en ordre chronologique, l’élément déterminant étant la date d’entrée en vigueur. 8.1. La CEEJ La conformité du droit suisse avec les obligations énoncées par la CEEJ et son deuxième Protocole additionnel a été examinée dans une section précédente de la présente étude1541. 8.2. La Convention no 141 du Conseil de l’Europe Au niveau de l’entraide, « l’arsenal législatif suisse est en mesure de répondre aux exigences de la Convention relatives à la coopération internationale »1542. Le droit suisse est en mesure de répondre aux exigences de la Convention no 141, dès lors qu’il prévoit, d’une part, la remise des instruments ou du produit du crime (article 74a al. 2 EIMP) et, d’autre part, l'exécution des décisions rendues à l'étranger (article 94 ss EIMP)1543. Cependant, quant au paiement d'une créance compensatrice, la première forme de coopération n’est pas possible, puisqu'il n'y a pas de connexité entre les valeurs saisies et l'infraction elle-même1544. En rejetant la proposition de combler cette lacune par la voie prétorienne1545, la jurisprudence a considéré que la remise des fonds pour le paiement d'une créance compensatrice 1539 1540 1541 1542 1543 1544 1545 OBERSON (2006), p. 575. Voir p. 267 de la présente étude. Voir p. 264 ss de la présente étude. Message (note 66), FF 1992 VI 8, p. 12. ATF 133 IV 215, consid. 2.2. ATF 129 II 453, consid. 4.1. ZIMMERMANN (2009), p. 312, N. 338. 307 Troisième partie : le droit suisse conférerait à l'Etat étranger un privilège injustifié du point de vue du droit des poursuites, dans la mesure où un tel droit de préférence n'existe pas en droit interne (article 71 al. 3 CP)1546. Comme le clarifie la jurisprudence suisse, la Convention no 141 ne permet pas d'instituer des modes de coopération qui ne seraient pas expressément prévus par le droit national1547. Le fait demeure que, selon la jurisprudence suisse, l’Etat requérant doit passer par la voie de l’exequatur (94 ss EIMP) pour la remise de valeurs patrimoniales destinées à couvrir le paiement d’une créance compensatrice au sens de l’article 71 CP1548. A cet égard, la conformité du dispositif suisse avec la Convention no 141 est plutôt problématique, car la coopération en matière de confiscation de valeur en vertu de l’article 13 de la Convention no 141 n’est pas directement envisageable en droit suisse. 8.3. La Convention de l’OCDE Selon le Conseil fédéral, « [l]e droit suisse de l’entraide judiciaire, fondé sur les traités européens, remplit entièrement les conditions énoncées par la Convention »1549. 8.4. La CRFT Lorsque l’infraction faisant l’objet de l’entraide est le financement du terrorisme (260ter CP), le droit suisse prévoit les possibilités que nous avons examinées : mesures provisoires (18 EIMP), remise extraditionnelle (59 EIMP), remise de moyens de preuve (74 EIMP), remise de valeurs en vue de confiscation (74a EIMP). Ces dispositions sont en conformité avec l’obligation générale prévue à l’article 12 CRFT. 8.5. La Convention de Vienne La mise en œuvre de l’article 5 par. 4 de la Convention de Vienne, qui porte sur l’entraide à des fins de confiscation, ne pose aucun problème à la Suisse, « qui dispose des bases légales nécessaires »1550. 1546 1547 1548 1549 1550 308 Cf. HARARI (1997), p. 180 et note 64; LOMBARDINI (2006), N. 230. ATF 130 II 329 consid. 5.2. Voir note 1418 et p. 285 ss de la présente étude et les arrêts cités. Message (note 90), FF 1999 5045, p. 5097. Message (note 35), FF 1996 I 557, p. 571. II. L’entraide judiciaire à des fins de confiscation en droit suisse 8.6. La Convention no 173 du Conseil de l’Europe Selon le Conseil fédéral, « [l]’art. 26 de la convention est absolument compatible avec le droit suisse »1551. Le fait que l’EIMP, contrairement à l’article 26 par. 2 de la Convention no 173, prévoit le motif de refus de l’infraction politique ne pose pas de problèmes, car l’article 1 EIMP statue expressément une réserve en faveur d’accords internationaux « en disposant autrement ». En outre, la jurisprudence du Tribunal fédéral ne considère pas la corruption active et passive comme une infraction politique, quand bien même elle est souvent commise dans un contexte politique1552. Pour ces raisons, le Conseil fédéral a renoncé à réserver expressément le cas de l’infraction politique. 8.7. La Convention de Palerme Le droit suisse est aussi en accord avec les exigences de l’article 13 de la Convention de Palerme (coopération internationale à des fins de confiscation). 8.8. La Convention de Mérida L’article 57 de la Convention de Mérida crée une base juridique spéciale qui s’ajoute aux dispositions de l’EIMP en matière de remise de valeurs patrimoniales. Par ailleurs, la Suisse coopère systématiquement avec d’autres pays en matière de restitution du produit de la corruption. Dans plusieurs cas, les avoirs illégitimes de potentats ont été identifiés, gelés et restitués à leur pays d'origine par les autorités suisses. Ainsi, des montants importants ont été bloqués et/ou restitués dans le cas Montesinos (Pérou), le cas Marcos (Philippines), le cas Abacha (Nigeria), le cas des frégates (Taiwan) etc.1553. En effet, « en restituant plus de 1.6 milliard de dollars aux pays d'origine de fonds illicites, la Suisse a rendu plus d'argent que n'importe quel autre pays du monde au cours de ces vingt dernières années »1554. 1551 1552 1553 1554 Message (note 101), FF 2004 6549, p. 6595. ATF 126 II 316, consid. 4b. La première fois que la Suisse a rapatrié les fonds d'un ancien chef d’Etat c’était dans l’affaire de Moussa Traoré. Cet ex-président du Mali, renversé en 1991 après 23 ans au pouvoir, a été accusé d’avoir détourné 2 milliards de dollars qui proviendraient essentiellement de l’extraction de l’or au Mali. La justice malienne a ouvert une procédure pénale pour détournements de fonds publics et corruption qui a été menée contre l’ancien dictateur et d’autres responsables de l’ancien régime. Elle a aussi demandé l’entraide judiciaire à la Suisse en novembre 1991. Les autorités suisses n’ont pu bloquer que CHF 3,2 millions ; en septembre 1997, les autorités suisses ont restitué au gouvernement malien les avoirs bloqués, ainsi que les intérêts courus depuis le blocage (CHF 3,9 millions) ; OFFICE FÉDÉRAL DE LA JUSTICE (1997), La Suisse a remis 3,9 millions de francs au Mali, Communiqué de presse, septembre 1997. DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRE (2008), Projet de loi permettant de confisquer et restituer les biens illicites de potentats, Communiqué de presse, 05.12.2008. 309 CONCLUSIONS Conclusions La confiscation internationale peut se heurter à plusieurs obstacles, dans la phase de la localisation des actifs d’origine criminelle, ainsi que dans la phase de la saisie, de la confiscation, du partage et de la remise des valeurs confisquées. Les limites du principe de territorialité sont évidentes dans les cas tels que le cybercrime, le crime environnemental, ou le crime organisé. Selon J. de Maillard, il est nécessaire de « mettre en place un nouveau critère de territorialité qui relativise la compétence des souverainetés étatiques, en considérant que l’inclusion d’un territoire dans le commerce et les échanges mondiaux, à partir du moment où il entraîne une abdication – de fait ou de droit – de compétences étatiques relève désormais d’une compétence supranationale pour organiser ces relations » 1555. En pratique, cela implique une adaptation des instruments internationaux en vue de renforcer la coopération judiciaire internationale (harmonisation, voire unification partielle des règles régissant la coopération internationale). Il y a des pistes intéressantes à explorer dans le cadre d’une harmonisation du droit de la confiscation. A notre avis, il faut élargir le champ des valeurs patrimoniales soumises à la saisie et à la confiscation, en incluant notamment les valeurs de remplacement ; à cet égard, nous soutenons l’utilisation du critère de « paper trail » , employé en droit suisse. Les procédures de confiscation autonome (civile ou pénale), le recouvrement de la créance compensatrice et l’exécution des décisions étrangères ordonnant un tel recouvrement sont d’autres méthodes que les pays doivent valoriser. Certaines tendances se manifestent déjà. Des dispositions plus larges ont progressivement été mises en œuvre, p.ex. le champ élargi des infractions dont le produit peut faire l’objet de confiscation. La définition des biens infractionnels a aussi été conçue de manière à englober tous les biens constituant l’instrument ou le produit de l'infraction. Enfin, l’idée du renversement du fardeau de la preuve quant à l’origine des biens devient singulièrement importante. A ce sujet, le législateur doit assurer le respect des garanties internationales de protection des droits fondamentaux, ainsi que le respect du principe de la proportionnalité. Les Etats favorisent désormais une démarche axée sur la collaboration étroite dans la lutte contre la criminalité organisée, qui est devenue une importante préoccupation pour la communauté internationale. Un nombre d’instruments a ainsi été élaboré, dans le cadre national et international, afin d’aider à mener avec succès des enquêtes internationales et à entamer ensuite des poursuites de manière efficace. Cette tendance se manifeste nettement dans le renforcement du dispositif international en matière d’entraide judiciaire (adoption d’instruments multilatéraux et de traités bilatéraux). Ces développements sont positifs dans la mesure où ils témoignent de la volonté politique des gouvernements et des organisations internationales. Cependant, 1555 DE MAILLARD (2001), p. 87 ss. 313 Conclusions la pléthore d’instruments internationaux adoptés au cours des 20 dernières années démontre un manque de vue d’ensemble. Le recoupement des champs d’application et une certaine incohérence terminologique sont souvent inévitables, dans la mesure où les instruments sont adoptés successivement par des instances différentes. Le défi qui se pose est d’effectuer la soudure entre les différents systèmes et approches. A notre avis, il faut éviter d’élaborer un nouvel instrument global en matière de confiscation, car un tel projet serait très difficilement réalisable. Chaque nouvelle convention sectorielle peut simplement faire référence aux instruments existants (Conseil de l’Europe, ONU) et/ou reprendre les dispositions de ces instruments. Les pays doivent mettre en œuvre les instruments de « soft law » (recommandations, bonnes pratiques, guides fixant des standards élevés lors du suivi de la mise en œuvre des instruments existants). Ils doivent aussi s’adapter aux recommandations faites lors des évaluations mutuelles du GAFI, en ce qui concerne des régimes de confiscation et les régimes d’entraide. Ce système de « soft law » s’est montré assez efficace, en assurant un niveau élevé de mise en conformité. Au niveau de l’ONU, il faut renforcer les garanties procédurales du régime des sanctions ciblées, en particulier du gel d’avoirs imposé par les résolutions du Conseil de sécurité. Il faut aussi considérer la possibilité d’étendre le régime des sanctions ciblées à d’autres catégories de personnes et entités (p. ex. barons du trafic de stupéfiants). En outre, les Etats membres de l’ONU doivent conclure systématiquement des conventions de partage d’avoirs confisqués. Ils doivent aussi envisager la possibilité de généraliser la solution avancée par la Convention de Mérida (obligation de restitution à l’Etat requérant). Le modèle de convention bilatérale, que l’ONU a élaboré sur le partage des valeurs confisquées, est un instrument de référence que les Etats doivent valoriser1556. Au niveau de l’UE, il faut développer de nouveaux instruments européens en matière de confiscation, prévoyant p. ex. un renversement du fardeau de la preuve. Les Etats membres de l’UE peuvent mettre en œuvre cette idée plus facilement après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (abandon de l’unanimité). Toujours au niveau de l’UE, il faut garantir la mise en œuvre de la reconnaissance mutuelle par les autorités nationales. Après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, la CJCE doit assurer le respect de ce principe. En général, une transition de l’entraide classique à la reconnaissance mutuelle peut avoir lieu graduellement, s’agissant des pays qui partagent le même niveau de protection des droits fondamentaux (p. ex. UE ou espace 1556 314 DANDURAND / COLOMBO / PASSAS (2007), p. 278 ; Cf. Model bilateral agreement on the sharing of confiscated proceeds of crime or property covered by the United Nations Convention against Transnational Organized Crime and the United Nations Convention against Illicit Traffic in Narcotic Drugs and Psychotropic Substances of 1988, UN Economic and Social Council, ECOSOC Resolution 2005/14 of 22 July 2005. Conclusions Schengen). La conversion des décisions cadres en directives, exigé par le Traité de Lisbonne, est un autre défi pour l’UE. La période transitoire offre une bonne occasion pour la consolidation / codification des dispositions du droit européen en matière de gel et de confiscation. En Suisse, l’existence d’un dispositif législatif efficace (articles 69 ss CP, 305bis CP, LBA, EIMP, traités bilatéraux et multilatéraux ratifiés, etc.) affirme l’engagement actif du pays dans la lutte contre le blanchiment d'argent et contre le financement du terrorisme, à l’échelle nationale et internationale. A plusieurs reprises, en particulier à l’occasion de la ratification d’instruments internationaux, le Conseil fédéral a affirmé que le droit suisse en matière de saisie et de confiscation satisfait pleinement aux exigences internationales1557. Certes, il existe certaines divergences entre la politique suivie par la Suisse et les tendances internationales en matière d’entraide judiciaire et de lutte contre le blanchiment d’argent1558, mais ces divergences ne suffisent pas pour nous empêcher d’affirmer que le dispositif suisse contre la délinquance financière est un exemple réussi de stratégie, qui est à la fois centrée sur les profits et fondée sur la coopération internationale. Il convient de souligner, une dernière fois, l’importance du respect des droits fondamentaux (procès équitable, présomption d’innocence, garantie de la propriété), dans toutes les phases de la confiscation. La protection des droits des personnes touchées par la confiscation est un principe directeur de notre analyse et un élément qui différencie la confiscation moderne des formes de confiscation prononcées à des périodes historiques antérieures1559. Les stratégies centrées sur les profits peuvent avoir des conséquences lourdes pour les personnes touchées. L’atteinte aux droits de ces personnes doit se faire dans le respect des standards internationaux (en particulier de la CEDH) et du principe de la proportionnalité1560. Cette affirmation est particulièrement valide pour des outils, tels que la reconnaissance mutuelle des décisions de confiscation et le renversement du fardeau de la preuve. En conclusion, il ressort de notre analyse la nécessité d’une adaptation ciblée des instruments nationaux et internationaux en matière de saisie et de confiscation. A cet égard, il faut optimiser, d’une part, l’efficacité de l’« asset tracing » et du recouvrement des avoirs (principe que le crime ne doit pas payer); d’autre part, il faut assurer la protection des droits des personnes touchées par la saisie et la confiscation. Cet équilibre n’est pas facile à 1557 1558 1559 1560 Cf. par exemple, Message (note 35), FF 1996 557, p. 570 ; Message (note 111), FF 2005 6269, p. 6303 etc. Tel est le cas des infractions fiscales. Etant donné la volonté politique de la communauté internationale, en particulier des Etats-Unis, de l’UE et de l’OCDE, de lutter contre l’évasion et la fraude fiscale, la Suisse peut s’attendre à des pressions pour une collaboration encore plus étroite dans ce domaine ; CASSANI (2005), p. 13 ; OBERSON (2006), p. 576 ; HUMBERT (2006), p. 555. Voir par exemple ISAMBERT / DECRUCY / TAILLANDIER (1833), p. 81. Voir p. 40 de la présente étude. 315 Conclusions atteindre, mais son importance est primordiale pour le bon fonctionnement du dispositif de confiscation. 316 Bibliographie A. Doctrine ACKERMANN J.-B. (1992), Geldwäscherei - Money Laundering : eine vergleichende Darstellung des Rechts und der Erscheinungsformen in den USA und der Schweiz, Zurich (Schulthess) 1992. 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