Les banques en première ligne face à la « fraude au président » 300

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Les banques en première ligne face à la « fraude au président » 300
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Jeudi 29 janvier 2015 Les Echos
FINANCE
&MARCHES
SINGAPOUR SE LANCE DANS
LA GUERRE DES CHANGES
La banque centrale de Singapour
a fait savoir aux marchés qu’elle
tolérerait bien moins l’appréciation de sa monnaie, qui est liée à
un panier de devises, du fait de
la révision en baisse de ses prévisions d’inflation. La devise a
connu sa plus forte chute en
quatre ans, plus de 1 %. Un avertissement aux autres pays asiatiques qui seraient tentés eux aussi
de faire baisser leur devise.
indices
Les banques en première ligne
face à la « fraude au président »
l Les entreprises victimes de fraude
se retournent contre leur banque.
l Des solutions techniques pourraient
aider à plus de prévention.
BANQUE
Edouard Lederer
[email protected]
Pourlesbanques,la« fraudeauprésident » a longtemps été l’affaire de
leurs seuls clients. Cette escroquerie, par laquelle une entreprise
effectue en toute régularité un virement vers un compte à l’étranger
sur les ordres d’un individu se faisant passer pour son dirigeant,
rejaillit à présent directement sur
les établissements bancaires. Un
jugement rendu l’automne dernier
au tribunal de commerce de Paris à
l’encontre du CIC a particulièrement marqué les esprits. Ce jour-là,
la banque – qui a fait appel – a été
considéréecommeresponsableeta
dû reverser le montant du virement
frauduleux, soit 100.000 euros.
Sur le plan juridique, cette décision, si elle est confirmée, marque
un tournant car les juges n’ont pas
estimé que la victime avait elle aussi
une part de responsabilité. Au-delà
de ce cas particulier, les banques
sont sur leurs gardes. « Sachant
qu’une fois virés, les fonds sont très
difficiles à récupérer, une victime va
logiquement chercher à récupérer
l’argent là où il se trouve », explique
un bon connaisseur de ce type
d’affaire. Deux positions s’opposent
alors : d’un côté, les clients estimant
que la banque ne s’est pas montrée
vigilante, car le virement était inhabituel et aurait pu être détecté. Côté
banques, on estime que ce sont bien
les entreprises qui se sont laissé
duper et ont manqué de vigilance.
Négociations très discrètes
Dans les faits, nombre de cas se
règlent à l’amiable. Pour certains
clients,lesbanquesontainsiaccepté
de reverser – parfois en millions
d’euros – une partie de la somme
soustraite à l’entreprise. Il n’existe
pas de règle en la matière, mais plutôt des négociations commerciales
très discrètes. Si la somme détournée est d’un montant largement
supérieur au chiffre d’affaires que la
banque peut espérer réaliser à l’avenir avec ce client, elle se montrera
sans doute moins souple.
Ces discussions sont d’autant
moins évidentes pour la banque
que, parmi les victimes bien réelles
de fraude, peuvent se cacher… des
fraudeurs. Ainsi, a minima, certains
banquiers exigent que l’entreprise
porte plainte et engage ainsi sa responsabilité, avant d’entamer le
moindre dialogue. Dans les faits, le
rapport de force commercial, la présenced’avocats,larapiditédelaréaction après la fraude ont pu permettre de récupérer des fonds auprès de
la banque destinataire des fonds.
« Dans ces cas de figure, on ne sait
jamais exactement quel levier a fonctionné », remarque une avocate.
La confirmation de
virement par fax – sur
laquelle la fraude est
plus aisée – reste très
utilisée par les clients.
Face à ce problème croissant, les
banques agissent de plus en plus en
prévention. « Des protocoles de communication électronique offrent un
niveau de sécurité très important.
Malheureusement, la confirmation
de virement par fax – sur laquelle la
fraude est plus aisée – reste très utilisée par les clients », souligne Franck
Oniga, directeur marchés des professionnels, entreprises et institutionnels pour les Banques Populaires. La Société Générale planche
aussisurdessolutionsdereconnaissance vocale biométrique pour éviter à ses conseillers de se laisser berner par des fraudeurs qui
utiliseraient le même numéro que
leurs clients. Une initiative qui reste
cependant pour l’instant incompatible avec les exigences de la CNIL. En
attendant de pouvoir aller plus loin,
la banque se concentre sur la prévention. Nul doute que le durcissement de la jurisprudence va conduire toute la place à accélérer la
mise en place de ces dispositifs. n
Les entreprises démunies face à l’ampleur du phénomène
Les organisations professionnelles misent sur
la prévention pour ralentir
l’essor de ces fraudes.
Sharon Wajsbrot
[email protected]
Les entreprises se sentent bien souvent démunies devant l’ampleur du
phénomène. Entre 2010 et 2013,
selon les chiffres de la police judiciaire, 360 entreprises se sont laisséesabuserenFrancepardes« fraudes au président » ou des ruses
similaires. Le préjudice total est évalué à 300 millions d’euros, mais ce
chiffre serait bien en deçà de la réalité,selonl’associationdestrésoriers
d’entreprises (Afte). « Le traumatisme pour le salarié à l’origine du
virement est considérable puisqu’il a
le plus souvent lui même réalisé l’opérationentouteautonomiesursonsite
debanqueenligne.Beaucoupd’entreprises n’osent pas s’avouer victimes »,
rapporte l'association.
Le problème pour les entreprises
consiste surtout à trouver les armes
pour lutter contre ce type de fraude
qui utilise des ressorts humains.
« C’est extrêmement difficile à contrer dans la mesure où les processus
de prise de décision sont souvent respectés. Mais enfermés dans un tunnel psychologique, persuadés de la
nécessité de répondre dans l’urgence
à la demande de virement qui leur est
adressée, les salariés demandent
eux-mêmes à leur banque de faire
une exception à la règle », explique
un trésorier. Ce mode opératoire
300
MILLIONS D’EUROS
Montant total estimé
du préjudice causé par
la « fraude au président ».
aboutit bien souvent à une faute
professionnelle pour le comptable
ou le trésorier qui s’est laissé abuser.
La question reste taboue, mais, en
réaction,certainesentreprisesdécident de licencier les salariés fautifs,
même si cela ne les met pas à l’abri
de nouveaux cas.
Alors que faire ? Pour les organisations patronales, la seule arme
pertinente est la prévention. Pour
favoriser l’échange de bonnes prati-
ques et sensibiliser les entreprises
aux ruses à repérer, le Medef a ainsi
noué un partenariat avec la police
judiciaireendécembre.« Lesmodes
opératoires se sophistiquent, il s’agit
de bien les diffuser et aussi parfois de
repérer des complices dans les entreprises », explique Thibault Lanxade, président du pôle entrepreneuriat et croissance du Medef. Les
banques emboîtent le pas. La
Société Générale convie ainsi
clients et policiers à échanger lors
de rendez-vous dédiés dans ses
agences. Elle les invite aussi à se
passer le mot : « En plus de procédures et des contrôles, les clients doivent
sensibiliser leurs collaborateurs en
interne », explique Vincent Bouetel,
responsable sécurité du groupe
Société Générale. n
78 anciens conseillers de Bankia mis en examen
JUSTICE
La justice soupçonne
des détournements
de fonds dans le cadre
de l’enquête sur l’usage
de cartes bancaires
non déclarées.
Gaëlle Lucas
— Correspondante à Madrid
Des membres de partis politiques de
gauche comme de droite, des syndi-
calistes, des représentants du patronat… La nouvelle salve de mises en
examen dans le cadre de l’affaire
Bankian’épargnequasimentaucune
institution de l’establishment espagnol. Et rappelle, s’il en était besoin,
les liens douteux qui ont existé entre
les intérêts politiques et la gestion
des caisses d’épargne espagnoles
pendant le boom des années 2000.
78 anciens conseillers et dirigeants de Bankia et de Caja Madrid,
une des 7 caisses d’épargne fondatrices de la 4e banque espagnole, ont
ainsi été mis en examen mercredi.
Le juge qui mène depuis plus de
deux ans l’enquête sur l’effondrement de Bankia, nationalisée en
mai 2012 via plus de 20 milliards
d’euros, avait déjà mis en examen
une quarantaine d’anciens dirigeants de l’entité.
15 millions d’euros
de dépenses
Les nouvelles mises en examen
annoncées mercredi concernent
un volet séparé de l’enquête Bankia.
Il s’agit cette fois de l’instruction
menée sur des cartes bancaires
accordées aux conseillers et à certainsdirigeantsdeCajaMadridpuis
de Bankia « en marge du circuit ordinaire d’octroi de cartes d’entreprise
de l’entité », rappelle le juge dans
son arrêt. Entre 2003 et 2012, les
Le juge a cité
à comparaître
mi-février 27 des 78
mis en examen.
bénéficiaires de ces cartes « occultes », qui n’étaient prévues ni dans
les contrats des conseillers ni dans
les statuts de l’entité, ont dépensé
plus de 15 millions d’euros en vêtements, restaurants, appareils
ménagers, et aussi courses en grandes surfaces.
Des dépenses qui ne correspondaientpas,d’aprèslejuge,àdesfrais
de représentation ou qui n’étaient
pas liées aux activités professionnelles de leurs destinataires. C’est
pourquoi elles devaient être considérées comme des rémunérations
irrégulières. Lesquelles n’étaient,
en outre, pas déclarées au fisc.
Dans ce contexte, le juge soupçonne la commission d’un délit
d’administration déloyale ou de
détournement de fonds. Il a cité à
comparaître mi-février 27 des
7 8 m i s e n ex a m e n . L e s d e u x
anciens présidents du groupe,
Miguel Blesa et Rodrigo Rato, ont
déjà été entendus à ce sujet.
Ces mises en examen interviennent dix jours après l’audition
d’experts judiciaires qui ont ratifié
devant le juge les conclusions accablantes de leurs rapports sur Bankia. Lesquels émettent des doutes
quant à la véracité des comptes de
l’entité au moment de son introduction en Bourse en 2011, dix mois
avant sa débâcle. n

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