Le chèque falsifié: le banquier, son client et le

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Le chèque falsifié: le banquier, son client et le
Le chèque falsifié: le banquier, son client et le
.faussaire - Responsabilités
~
Vincent NIORÉ
Avocat associé
B. Moreau-Avocats
Ancien secrétaire de la Conférence
)
Anne DROCHON
Avocat
B. Moreau-Avocats
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S'il n'est plus contestable que le banquier tiré et le
banquier présentateur sont respectivement garants
de la régularité formelle du titre (1), il n'en demeure
pas moins que les juges du fond, suivant en cela la
jurisprudence de principe de la Cour de cassation (2 ). accordent une importance particulière à la
recherche de la faute de la victime reconnue
comme étant, en tout ou en partie, à l'origine de la
création de son préjudice: responsable de ne pas
avoir lu ses relevés de compte, de ne pas avoir surveillé son carnet de chèques, d'avoir manqué au
devoir de contrôle de son salarié, généralement
comptable ou employé de maison, qui profite de
ses fonctions pour détourner les chèques en imitant la signature de l'employeur, personne physique, ou dirigeant social de la personne morale ((3)
et z)) .
- Au-delà du rappel des solutions, il est essentiel
d'insister sur le fait que la défense civile du banquier passe nécessairement par l'examen du détail
des faits que seul relate le dossier pénal - ensuite
du déclenchement de l'action publique par la
plainte avec constitution de partie civile de la victime ou par le ministère public saisi d'une plainte
simple - qui contient, dans la quasi-totalité des cas,
les éléments propres à démontrer que la victime est
fautive.
Reste que doivent être envisagées les modalités
d'accès du banquier à la procédure pénale précisément en cours d'instruction, lorsque cette procédure est déclenchée par la victime, et en tout cas à
la communication et à l'exploitation de ses éléments, dans le cadre de la procédure pendante
devant la juridiction commerciale ou civile, qui
semblent ne pouvoir être effectuées qu'avec
l'accord du ministère public, que ce soit pendant
l'instruction ou postérieurement à sa clôture (4).
Rappelons en effet qu 'en matière d'abus de
confiance, la chambre criminelle de la Cour de cas-
e
Casso corn., 9 juillet 2002, RJDA 2003, na' 60 et 61, p. 48.
(2) Casso corn., 9 juillet 1996, Bull. civ. IV, na 202.
(3) En ce sens: décisions inédites des tribunaux et cours: jugement Trib.
gr. inst. Nanterre (6e ch.), 10 novembre 2003, RG na 02/03482, non frapp é
d 'appel; jugement Trib. gr. inst. Paris (g e ch. , 2" sect.), 21 janvier 2004,
RG na 01/15068; jugement Tr. gr. inst Paris (5 e ch.), 25 avril 2003, RG
na 0018334, non frappé d' appel; arrêt C. Paris (5 e ch. , sect. A), 14 m ai
2003, RG na 1995/25157, non frapp é de pourvoi; jugement Trib. gr. inst.
Paris (g e ch., 2e sect), 11 février 2004, RG na 01108104 ; jugemen t Trib.
corn. Paris, Il février 2004, inédit, RG na 99086855.
(4) Jugement Trib. gr. inst. Paris (17e ch. co rr. , ch. de la presse), 18 novembre 2003, non frappé d'appel co ntra Gaz. Pal. du 5 aoû t 2003 , nOs 215 à
217, " Pl aidoyer pour la libre communicatio n par l'avocat des élém ents
d 'un dossier pénal d'instruction en cours ".
(1)
sation permet au banquier, détenteur précaire des
deniers détournés au moyen de chèques falsifiés, de
se porter partie civile, notamment par voie d'intervention volontaire dans le cadre de l'instruction en
cours, au motif que ce délit porte directement préjudice non seulement au propriétaire mais égalèment au détenteur précaire des deniers détournés (5).
- Dans le schéma classique de la circulation d'un
chèque, le tireur émet un chèque qu 'il remet au
bénéficiaire, lequel le porte à l'encaissement sur le
compte ouvert dans les livres de sa banque - la
banque présentatrice - qui le présente au paiement au banquier du tireur - la banque tirée - qui
le règle.
Mais il arrive qu'un tiers intervienne pour pervertir le processus de circulation, entrer en possession du chèque qu'il s'attribue après en avoir modifié certaines des mentions dont précisément l'indication du montant, du bénéficiaire ou la signature.
Les dispositions de l'article 35 du décret loi de
1935, aujourd'hui codifiées à l'article L. 131-38 du
Code monétaire et financier, prévoient une présomption de libération du banquier tiré qui, payant
un chèque non frappé d'opposition, est théoriquement valablement libéré.
Mais cette solution n'est pas sans nuances car
pour que le principe s'applique, il est nécessaire
d'être en présence d'un titre qui a valeur légale de
chèque.
Si la signature apposée sur la formule de chèque
n 'est pas celle du titulaire du compte à débiter, le
chèque se trouve être faux dès l'origine en sorte
qu'une de ses mentions obligatoires faisant défaut,
il ne vaut pas titre de paiement et par conséquent,
la présomption prévue par les dispositions de l'article 35 du décret loi de 1935 ne s'applique pas: le
banquier tiré qui a payé n'est pas valablement
libéré.
Il lui appartiendra, pour limiter les conséquences pécuniaires de sa responsabilité, de prouver la
faute de la victime qui permet de restaurer alors le
débat sur l'existence ou non d'une anomalie grossière et apparente que le banquier aurait dû déceler.
En revanche, si la signature du tireur est authentique, mais que le chèque a cependant fait l'objet
(5) Casso crim., 8 janvier 1998. Dr. pén., 1998, comm. 73; 16 mai 2003,
Dr. pén. 2003, chrono 24.
MERCREDI 30 JUIN. JEUDI 1er JUILLET 2004 GAZETTE DU PALAIS
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de falsifications postérieures à son émission, la présomption de libération du banquier tiré s'appliquera pleinement mais elle pourra être renversée
s'il est établi qu'il a commis une faute, en particulier au regard des vérifications qui lui incombent de
déceler les seules anomalies grossières et apparentes (lavage, grattage, surcharge ... ) en exécution de
son obligation générale de vigilance.
- En effet, le banquier est soumis à deux obligations apparemment paradoxales, celles de vigilance
et de non-ingérence, qu 'il doit mesurer voire équilibrer en pratique au cas par cas.
Le devoir général de vigilance consiste pour le
banquier à « prêter attention à certaines opérations réalisées par ses clients et qui transitent par
leur compte bancaire, dès lors qu 'elles présentent un caractère anormal » (6).
Les anomalies qui doivent alerter le banquier sont
celles qu'il devrait remarquer sans investigation ou
recherche particulière en sorte que la notion d'opération anormale dépend des circonstances de chaque espèce: elle s'analyse in concreto.
Les auteurs distinguent les anomalies matérielles, comme la remise d'un chèque gratté ou surchargé, des anomalies intellectuelles, qui consistent en des opérations inhabituelles sur le compte
du client, par exemple, de fréquents et importants
retraits en contradiction, par exemple, avec les ressources déclarées du titulaire du compte.
Dans le domaine des chèques falsifiés, les anomalies matérielles peuvent en général être détectées par l'observation du chèque; il n'est aucunement nécessaire de connaître les habitudes du
tireur ou l'historique des mouvements de son
compte.
En revanche, tel n'est pas le cas des anomalies
intellectuelles qui supposent que le banquier procède à une étude plus ou moins étendue du compte
de son client pour déterminer ses habitudes et les
confronter à l'opération en cause.
L'obligation de non-ingérence restreint alors
l'étendue du devoir de vigilance.
En effet, le devoir de non-ingérence a été dégagé
par la jurisprudence au début du 20 e siècle; il est
fondé sur des principes théoriques, comme le droit
au respect de la vie privée (articles 9 du Code civil
et 8 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales), le droit au secret des affaires, mais aussi sur des
considérations pratiques selon lesquelles le nombre des opérations effectuées par la clientèle, en
particulier en matière de chèque, empêche évidemment le banquier de les contrôler en permanence
dans leur totalité.
(6) Jérôm e Lacotte, Quelles limites au devoir de non-ingérence de la banque?, Banque et Droit 1999. nO65, p. 10.
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GAZETTE DU PALAIS MERCREDI 30 JUIN. JEUDI 1" JUILLET 2004
Ainsi, en vertu de cette obligation de discrétion,
le banquier doit se conformer aux ordres qu'il reçoit
de son client et les exécuter sans s'immiscer dans
les affaires de ce dernier ; il n'a notamment pas « à
procéder à des investigations sur l'origine et
l'importance des mouvements de compte de ses
clients » , ni à « s'immiscer dans les opérations
financières ou commerciales à l'origine des mouvements de fonds dont il assure l'exécution » (7 ).
La doctrine a pu écrire que « les magistrats
veillent, sur le plan civil, à une interprétation
stricte des exceptions à ce devoir d'abstention
( ... J » (6) .
En effet, la ligne de partage des territoires respectifs des devoirs de vigilance et de non-ingérence ne
se fait pas systématiquement dans le même sens ;
la préservation du secret des affaires ne prime la
protection du tireur que de manière relative car le
banquier n 'a pas à détecter ce qui n'est pas grossier et apparent sauf à violer son devoir de noningérence.
Aussi il convient de distinguer le type d'irrégularités affectant le chèque, susceptibles d'entraîner la
responsabilité du banquier (1) , des fautes du tireur
du chèque, causes d'exonération totale ou partielle
de cette responsabilité (2).
1. LES IRRÉGULARITÉS DU CHÈQUE
SUSCEPTIBLES D'ENTRAÎNER LA
RESPONSABILITÉ DU BANQUIER
D'une manière générale, l'examen des types d'irrégularités affectant le chèque permet de constater
qu'un sort différent peut être réservé au banquier
tiré ou au banquier présentateur d'autant que la
responsabilité de l'un peut exclure parfois celle de
l'autre ou au contraire n'avoir aucune incidence.
En effet, la chambre commerciale de la Cour de
cassation a pris soin de préciser par son arrêt du
3 décembre 2002, que la faute éventuellement commise par la banque présentatrice ne peut qu'ouvrir
une action récursoire au profit de la banque tirée,
mais non décharger celle-ci de sa responsabilité à
l'égard de la victime du paiement irrégulier (8).
La responsabilité du banquier tiré sera essentiellement recherchée à travers l'exercice de sa vigilance s'agissant de l'examen de la signature du chèque annoncée comme apocryphe alors que celle du
présentateur sera centrée sur la vigilance au
moment de l'ouverture du compte et de l'examen
du nom du bénéficiaire du chèque lors de son
encaissement.
Au plan de la régularité formelle du titre, certes,
(7) Casso co rn ., 10 mars 1987, Gaz. Pal. du 23 juin 1987, p. 131 ; C. Paris
(5 e ch . sect. A). 14 mai 2003, HG 1995 /25157, inédit, arrêt non frappé de
pourvoi.
(8) Casso corn. , 3 décembre 2002, Bull. civ. IV, n° 183.
chacune des mentions du chèque peut faire l'objet
d'une irrégularité, mais certaines d'entre elles semblent être considérées comme anecdotiques ou ne
pas poser de réelles difficultés pratiques, la jurisprudence étant de surcroît, quant à elle, bien établie.
1.1 - l a d at e, le lieu et le mo nta nt du chè qu e
La date, le lieu et le montant retiendront dans un
premier temps notre attention.
La date
Les dispositions de l'article L. 131-2 du Code monétaire et financier prévoient que l'indication de la
date du chèque fait partie de ses mentions essentielles.
Aussi, la jurisprudence (9) a-t-elle décidé, notamment sur le fondement des dispositions de l'article
L. 131-3 du Code monétaire et financier, que le titre
sur lequel ne figure pas l'année, le mois et le jour
où il a été créé, ne vaut pas comme chèque.
Mention essentielle du chèque, la date peut, elle
aussi, faire l'objet de falsification.
Cependant, la fausseté de la date ne retentit pas
nécessairement sur la validité du chèque (lO).
Dès lors, le banquier tiré qui a payé un chèque
dont la date est précisée mais a été falsifiée est
régulièrement libéré et ne peut voir sa responsabilité engagée de ce seul fait.
Le lieu
Les dispositions de l'article L 131-2 du Code monétaire et financier prévoient également « l'indica-
tion du lieu où le paiement doit s'effectuer»
parmi les mentions essentielles du chèque, et celles de l'article L. 131-3 du même Code précisent que
l'indication du lieu d'émission peut être suppléée
par le lieu désigné à côté du nom du tireur.
Rappelons que si le défaut de mention du lieu de
création du chèque est sanctionné par sa nullité (11),
en revanche, il n'entraîne pas de véritable répercussion pratique sur la responsabilité du banquier
tiré car les falsifications relatives au lieu d'émission sont relativement peu fréquentes en fait et on
peut admettre qu'une telle irrégularité ne pourrait
entraîner à elle seule la responsabilité du banquier
tiré.
Le montant
Les dispositions de l'article L. 131 -2 du Code monétaire et financier prévoient que le montant du chèque en constitue une des mentions essentielles dont
la falsification se rencontre de manière récurrente
en fait.
(9) Casso com. , 24 juin 1997, Bull. civ. IV, nO 199.
(10) Trib. gr. inst Seine, 6 juille t 1966, RTD com. 1967, p . 210.
(11 ) C. Pa ris, 5 juillet 1952, ICP 1952. li. 71 39.
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Certes, une telle falsification ne permettra pas, en
elle-même, de mettre en jeu la responsabilité du
banquier tiré qui a payé le chèque, sauf à ce qu'elle
soit grossière et apparente.
D'autres mentions du chèque, qui peuvent également faire l'objet d'irrégularités, posent plus de
difficultés pratiques; il s'agit de la signature, du
nom du bénéficiaire et de celles qui doivent figurer
sur un chèque de banque.
Elles méritent une attention accrue.
1.2 - l ' irrég ul a rité t e na nt à la sig nature du
chè que
Elle concerne plus particulièrement le banquier tiré
(puisque c'est lui qui, en principe, connaît le mieux
le tireur) (12).
En pratique, il s'agit de l'une des irrégularités les
plus fréquentes: la ou les formules de chèques vierges, en tous cas non signées, ont été perdues, volées
ou détournées et leur auteur qui les a captées, les
a lui-même signées par imitation ou non de la
signature du titulaire.
Le faussaire est à même d'imiter, avec plus ou
moins de dextérité, la signature du véritable titulaire du chèque parce qu'il le côtoie; généralement, il s'agira du préposé d'une société - dont la
pratique nous démontre souvent qu'il a accès à la
comptabilité et aux instruments de paiement de la
société - et dont l'employeur devra répondre par
application des dispositions de l'article 1384, alinéa 5 du Code civil (13).
La présomption de libération prévue par les dispositions de l'article 35 du décret loi de 1935 ne
trouve pas à s'appliquer dans cette hypothèse: le
banquier tiré qui a payé n'est pas valablement
libéré de son obligation de restitution, il devra en
principe rembourser son client du montant du chè(12) Trib. com. Paris, 11 février 2004 , inédit RG na 99086855.
(13) Trib. gr. inst. Paris (9" ch. , 2" sect.), 21 janvier 2004 précité, n a RG
0 l/ 15068 ; Trib. gr. inst. Nanterre (6e ch.), 10 novembre 2003, précité, nO
RG 02/ 03482.
MERCREDI 30 JUIN. JEUDI 1" JUILLET 2004 GAZETTE DU PALAIS
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que en application des dispositions de l'article 1937
du Code civil.
Aussi, avant de débiter le compte de son client
du montant d'un chèque, le banquier tiré doit vérifier la concordance entre la signature apposée sur
la formule de chèque et le spécimen figurant sur le
carton de signature qu'il possède car seul le tireur
est autorisé à lui donner les instructions qu'il doit
exécuter sur son compte.
Ainsi, plusieurs décisions rendues par la chambre commerciale de la Cour de cassation ont retenu
qu'en l'absence de faute du déposant, le banquier
tiré qui, même en l'absence de faute de sa part (iInitation parfaite de la signature) a payé sur présentation d'un faux ordre, n'est pas libéré de son obligation de restitution à l'égard de son client et doit
donc recréditer son compte du montant du chèque (14).
Aussi, si dans l'hypothèse où la signature étant
parfaitement imitée, le banquier tiré reste soumis
à une obligation de restitution alors même qu'il
aurait respecté son obligation générale de vigilance
et comparé scrupuleusement la signature figurant
sur le chèque à celle du spécimen en sa possession, l'application de cette solution est sans condition du constat de la matérialité de la contrefaçon.
En effet, il suffit que le juge civil établisse que la
signature était fausse dès l'origine (15) sans que la
fausseté du titre soit constatée par le juge pénal;
la formule de la Cour de cassation ne suscite pas
sur ce point l'interprétation: « en l'absence de
faute de la part du déposant, ou d'un préposé de
celui-ci, et même s'il n'a lui-même commis
aucune faute, le banquier n'est pas libéré envers
le client qui lui a confié des fonds quand il se
défait de ces derniers sur présentation d'un faux
ordre de paiement revêtu dès l'origine d'une
fausse signature et n'ayant eu à aucun moment
la qualité légale de chèque ».
Mais il lui est possible de limiter cette obligation
de restitution, voire de l'exclure en prouvant que le
titulaire du compte a commis une faute à l'origine
de la création de son propre préjudice, comme c'est
d'ailleurs souvent le cas en pratique.
En revanche, pour le cas où la preuve de la fausseté ne serait pas apportée par le constat qu'en a
fait le juge, le banquier tiré n'engagerait sa responsabilité que dans l'hypothèse où il n'aurait pas
décelé l'imitation grossière et apparente de la signature (16).
Le banquier tiré n'a pas à procéder à un examen
particulier du chèque qui lui est présenté ou à posséder les compétences d'un expert en écritures; il
(14) Casso com. 24 novembre 2000, RD européen de la consommation
2000, p. 234; 10 octobre 2000, Banque magazine 2001, nO 622, p. 75.
(15) Casso corn., 26 novembre 1996, Bull. civ. IV, nO 238 ; 28 novembre
1995, D. Affaires 1996. 122; 9 juillet 1996, Bull. civ. IV, nO 202.
(16) C. Paris (ISe ch. A), 11 septembre 2001, D. 200l. 3039.
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GAZETTE DU PALAIS MERCREDI 30 JUIN. JEUDI 1" JUILLET 2004
lui faut seulement procéder à un examen rapide
mais efficace pour relever les différences évidentes
entre la signature figurant sur le chèque et le spécimen en sa possession.
1.3 - Irrégularité tenant à la mention du bénéficiaire
Les irrégularités tenant à la mention du bénéficiaire d'un chèque peuvent, comme nous l'avons vu
précédemment, consister en un grattage, une surcharge ou un lavage.
La responsabilité du banquier présentateur
dépendra alors, comme nous l'avons déjà évoqué
pour l'irrégularité de la signature, du caractère
apparent et grossier de l'anomalie.
Il existe cependant des situations, celles en particulier de la mention d'un double nom ou d'un
endos irrégulier, qui sont plus complexes et pour
lesquelles les solutions retenues sont d'une application plus délicate.
1.3.1 - La mention d'un double nom
Cette situation se rencontre assez souvent, en particulier dans le domaine de l'assurance: le tireur
d'un chèque le signe et le remplit entièrement de
sa main, mais postérieurement, une tierce personne
- qui peut être celle à qui le tireur a remis le chèque s'il ne s'agissait pas de son bénéficiaire direct,
par exemple l'agent d'assurance ou le courtier ajoute son propre nom ou celui d'un tiers sur la
ligne réservée au bénéficiaire, la compagnie d'assurance.
Lorsque le chèque est libellé au nom de deux
bénéficiaires, il ne peut en principe être encaissé
qu'avec le consentement des deux (17) sous réserve
du jeu des dispositions de l'article 121 du Code civil
dans le cas où les deux bénéficiaires sont
mariés (18).
La chambre commerciale de la Cour de cassation a maintenu cette solution par une décision
rendue le 3 décembre 2002 (19) ; les faits dont la
Haute juridiction a eu à connaître étaient les suivants.
La société Batimo a remis à M. X, courtier en
assurance, un chèque tiré sur son compte à sa banque, à l'ordre des Mutuelles du Mans en règlement
d'une prime d'assurance.
Le courtier a alors ajouté son nom à celui du
bénéficiaire initial.
Le chèque a ensuite été débité au profit de M. X.
La société Batimo a alors assigné sa banque tirée,
en restitution de la somme payée à M. X, par application des dispositions de l'article 1932 du Code
civil.
(17) Casso corn., 3 janvier 1996, Bull. IV, nO l.
(18) Casso com., 21 novembre 2000, Bull. IV, nO 177.
(19) Casso cam. 3 décembre 2002, 0.2003. 1756.
La Cour de cassation a jugé que: « ( ... ) l'examen de l'original du chèque fait apparaître le
rajout de la mention « M. X » à la suite du nom
« Mutuelles du Mans», ce dont il ressort que le
chèque était émis au bénéfice de deux personnes
distinctes ; La Cour d'appel (. .. ) en a déduit justement, dès lors que la banque n'a jamais prétendu avoir reçu l'ordre de son client de payer à
M. X, que le paiement opéré est irrégulier » .
Pour la doctrine, « le banquier avait sans doute
négligé des indices susceptibles de révéler la
fraude. Plus précisément, le versement du chèque sur un compte non professionnel et non commun aurait dû l'alerter sur la réalité des pouvoirs de l'auteur du détournement à encaisser le
chèque. Il aurait dû ainsi vérifier si ce dernier
était bien le porteur légitime ou s'assurer du
consentement de l'autre bénéficiaire figurant sur
le chèque» (20).
Le critère de la responsabilité du banquier réside
dans l'intention réelle de son client car la simple
mention du double bénéficiaire peut constituer
l'anomalie qui devrait conduire le banquier tiré à
contacter préalablement le tireur pour lui demander confirmation de sa véritable intention.
En revanche, du côté du présentateur, la solution doit être modulée selon que les bénéficiaires
mentionnés sont ou non titulaires d'un compte
joint car dans ce dernier et seul cas, le banquier
présentateur sera valablement libéré en créditant le
compte joint ouvert au nom de deux titulaires
concurremment bénéficiaires du chèque (21).
En effet, la première chambre civile de la Cour de
cassation, par son arrêt du 18 septembre 2002 (22) ,
décide de manière constante et répétée « qu'un
chèque portant la mention de sa transmissibilité
au seul profit d'une banque, d'une Caisse d 'épargne ou d'un établissement assimilé ne peut être
encaissé par cet établissement, qu 'en vue de la
remise de son montant au bénéficiaire du chèque, sauf le cas où cet établissement l'a reçu en
paiement d'une somme due à lui-même, et alors
que ni le bénéficiaire du chèque ni son mandataire ne peuvent ordonner que son montant en
soit directement remis à un tiers » et casse l'arrêt
de la Cour d'appel de Besançon qui avait décidé
que le banquier présentateur n'était pas tenu de
vérifier l'étendue du mandat donné par le bénéficiaire du chèque à un tiers.
La Cour suprême a maintenu la solution dégagée par un arrêt précédent de la chambre commer(20) Jamel Djoudi, note sous Casso corn .. 3 décembre 2002, D. 2003. 1756.
(21 ) Trib. corn. Paris, 9 décembre 2002, RG na 960 98638, inédit, jugement frappé d'appel. qui reti ent la responsa bilité des banques présentatri ces au motif qu' elles ont accepté à l' encaissem ent des chèqu es libellés
à un ordre différent de celui du titul aire du compte et en outre que ce lte
désignation du titulaire a été faite avec deux écritures différentes, en sorte
qu 'iJ s'agit là d'une faul e grave des banques concernées.
(22) Casso ) ,·c civ., 18 septembre 2002, Légifrance, nO pourvoi 00-12033.
ciale (23) par lequel elle avait rejeté le pourvoi formé
par la banque contre l'arrêt de la Cour d'appel de
Paris du 20 novembre 1998 qui avait condamné le
banquier présentateur pour avoir pris à l'encaissement des chèques sur lesquels l'agent général avait
ajouté son nom à côté de celui de la Compagnie au
motif qu'il n'existait aucune convention de trésorerie commune ou aucun compte joint.
Cependant, si l'on interprète strictement la solution dégagée par la première chambre civile par son
arrêt du 18 septembre 2002, selon laquelle ni le
bénéficiaire du chèque ni son mandataire ne peuvent ordonner que son montant en soit directement remis à un tiers, force est de constater que
l'agent mandataire de la Compagnie, qui a spontanément reçu des clients des chèques portant son
nom et celui de la Compagnie, n 'est pas un tiers,
au contraire de l'agent qui ajoute délibérément son
nom sur les chèques libellés au seul ordre de la
Compagnie sauf convention de trésorerie commune
ou compte joint.
Cela dit, la similitude ou la différence de calligraphie des noms semble n'avoir aucune incidence :
il importe peu que les noms des bénéficiaires apparaissent, même à la suite d'un examen minutieux,
écrits par la même personne; lorsque les bénéficiaires ne sont pas titulaires d'un compte joint et
que le tireur n'a pas donné d'instructions particulières en ce sens au banquier tiré, ce dernier, qui
n'a pas interrogé son client sur sa véritable intention, engagera sa responsabilité.
On peut cependant s'interroger sur la conformité de cette obligation imposée au banquier tiré
comme au banquier présentateur avec le respect du
devoir de non-ingérence qui, rappelons-le, consiste
à ne pas s'immiscer dans les affaires des clients.
En effet, lorsque l'anomalie que doit détecter le
banquier n'est plus seulement matérielle mais aussi
intellectuelle alors même que la calligraphie est
identique, le banquier tiré devra se renseigner sur
l'intention véritable de son client alors que le banquier présentateur devra vérifier l'adéquation des
noms des deux bénéficiaires avec celui du ou des
titulaire(s) du compte.
Il faut en conclure que la frontière entre devoir
de vigilance et obligation de non-ingérence est franchie ou à tout le moins, est sur le point de l'être.
1.3.2 - la mention d'un endos irrégulier
Dans cette hypothèse, l'ensemble des mentions
figurant au recto du chèque sont régulières; ni la
signature, ni le nom du bénéficiaire, ni même la
date ou le montant n'ont fait l'objet de la moindre
altération.
L'anomalie ne concerne que l'endos figurant au
verso du chèque.
(23) Casso corn. 23 octobre 2001 , Légifrance, nO pourvoi 99-10712.
M ERCREDI 30 JUIN. JEUDI ' " JUILLET 2004 GAZE TTE DU PALAIS
7
Le chèque de banque est défini comme « un chèque tiré par une banque sur ses propres caisses
ou sur un compte tenu dans un autre établissement, présentant un attrait particulier pour le
bénéficiaire qui est sûr d'être payé puisqu'il y
aura de fait toujours provision » (25).
La Cour de cassation, dans un arrêt du Il février
2003 (26), a eu à connaître de la responsabilité du
banquier ayant tiré un chèque de banque falsifié
postérieurement à sa création.
Les faits soumis à la chambre commerciale
étaient les suivants:
Une société a livré à une autre de la marchandise pour un prix de 836.044 F contre remise d'un
chèque de banque de ce montant.
Le banquier tiré a refusé d'honorer ce chèque de
banque au motif qu'il avait été émis pour un montant considérablement inférieur de 6.044 F, en sorte
qu'il avait été falsifié postérieurement à son émission.
La société bénéficiaire du chèque de banque a
assigné le banquier tiré, en responsabilité.
La Cour d'appel a condamné la banque qui a
alors formé un pourvoi en cassation.
La chambre commerciale a tout d'abord
approuvé la Cour d'appel en ce qu'elle avait énoncé
que la banque pouvait « voir sa responsabilité
recherchée dans le cadre de son obligation générale de prudence et de sécurité, soit pour n'avoir
pas libellé le montant du chèque en lettres, soit
pour n'avoir pas utilisé un procédé de marquage
ou d'impression indélébile offrant toute garantie
de sécurité ».
Elle a ensuite en l'espèce désavoué la Cour
d'appel qui n'avait retenu aucun défaut de vigilance « alors qu'elle avait constaté que le directeur financier de la société PLV [le bénéficiaire]
avait, à 12 heures 23, paJjaitement compris qu'il
n'avait pas encore confirmation de la valeur du
chèque, ce dont il résultait que pouvait lui être
reprochée une faute pour avoir livré du matériel
sans attendre que la banque émettrice du chèque lui apporte toutes les assurances sollicitées
quant à la régularité du chèque, et notamment
en son montant » .
Force est de constater, comme le souligne Annabelle Gauberti, que « c'est la première fois qu'est
reconnue l'existence d'une obligation générale de
prudence et de sécurité à la charge du banquier
ayant tiré un chèque de banque» (26).
On peut penser qu'une telle obligation dépasse
le devoir de vigilance traditionnellement imposé au
banquier en matière de chèque.
La Cour d'appel justifie l'origine de cette obligation en raisonnant par analogie: elle a en effet
estimé que le régime applicable aux chèques certifiés était transposable au chèque de banque qui
doit ainsi comporter le montant pour lequel il a été
établi, au moyen d'un procédé de marquage ou
d'impression indélébile offrant toute garantie de
sécurité.
Cette obligation générale de prudence et de sécurité semble être plus contraignante que la simple
obligation de vigilance à laquelle le banquier était
jusque-là tenu; il s'agit de « veiller à la sécurité et
à l'inviolabilité des instruments de paiement mis
à la disposition de leurs clients et agir, en toutes
occasions, avec un maximum de prudence sans
toutefois s'immiscer dans les affaires de leurs
clients » (27), et il est permis de s'interroger sur son
champ d'application.
Précisément, cette solution est-elle « transposable à tout type de chèque (chèques ordinaires,
chèques falsifiés, chèques postaux) et (... ) l'obligation générale de prudence et de sécurité est
[elle] inhérente à toutes les activités de la banque tirant et émettant des chèques» (28) ?
Il est également possible d'admettre que cette
obligation, particulièrement lourde pour la banque
émettrice tirée qui doit garantir le paiement du
montant inscrit sur le chèque de banque quel qu'il
soit, même s'il a été falsifié, tient essentiellement au
caractère particulier du chèque de banque qui,
comme le rappelle la définition que nous avons
(24) Casso corn., 26 mars 1973, BuU. civ. IV, nO 132.
(25) Dictionnaire Lamy du droit du financement 2003, p. 1229.
(26) Casso corn ., Il févrie r 2003, ICP 2003. Il. 10 133.
(27) Annabelle Gauberti, note sous Casso corn., 11 février 2003, ICP 2003.
II. 10 133.
(28) Ibid.
La question se pose de savoir si le banquier tiré
est valablement libéré lorsqu'il paie un chèque dont
le nom de l'endosseur ne correspond pas à celui du
bénéficiaire; il s'agit d'apprécier le verso du chèque qui se trouve être couvert par le secret bancaire (dont la communication en justice ne peut
intervenir qu'avec l'extinction d'une procédure
pénale et la communication de ses éléments au juge
civil, pour en apprécier la régularité).
Plusieurs décisions ont mis hors de cause le banquier tiré, en particulier un arrêt de la chambre
commerciale de la Cour de cassation du 26 mars
1973 (24) qui a jugé que le banquier présentateur
était seul « en mesure de déceler, en fait, les anomalies des endos résultant de la fausse qualité de
fondé de pouvoir de la Compagnie Le Monde, pris
par Gallet et de l'adresse inexacte qui avait été
portée sur cet endos; qu'elle [la Cour d 'appel] a
pu en conséquence, décider que [le banquier tiré]
n'avait commis aucune faute ».
w
Z
1.4 - Le cas particuli er d es irrég ularités des
ment io ns d' un chèque de banque
8
GAZETTE DU PALAIS M ERCREDI 30 JUIN. JEUDI 1" JUILLET 2004
évoquée, est un instrument de paiement censé être
sécurisé; les clients des banques y recourent pour
la confiance qu'il inspire.
Cela dit, la garantie apportée par le chèque de
banque au client est celle d'être payé pour le montant pour lequel il a été créé, mais la jurisprudence
précitée en fait une garantie d'être payé pour le
montant pour lequel le chèque a été reçu.
1.5 - La responsabilité du banquier présentateur comme moyen d'atténuation ou d'exonération de la responsabilité du banquier tiré
Les fautes du banquier présentateur peuvent être
commises à plusieurs niveaux: il peut tout d'abord
s'agir d'une faute en amont de la falsification, lors
de l'ouverture du compte par le falsificateur, mais
également d'une faute au moment de la présentation du chèque au paiement.
1.5.1 - Les fautes du banquier présentateur lors
de l'ouverture du compte du falsificateur
Les obligations auxquelles est soumis le banquier
présentateur à cette étape des relations avec le
client, sont fondées sur l'idée que l'ouverture d'un
compte pourrait permettre au client d 'accomplir
des actes délictueux qui causent préjudice aux tiers,
comme, par exemple, l'encaissement de chèques
falsifiés .
Les dispositions de l'article L. 563-1 du Code
monétaire et financier prévoient que le banquier
doit, préalablement à l'ouverture d'un compte, vérifier l'identité du postulant personne physique, par
la présentation d'un document officiel et qu'il peut
s'agir de « tout document écrit probant ».
En fournissant à autrui, volontairement ou par
imprudence, le moyen de causer préjudice aux tiers,
le banquier commettrait alors une faute et c'est
pourquoi, jurisprudence et législateur ont ainsi soumis le banquier à des obligations de vérification au
moment de l'ouverture d'un compte à un nouveau
client (cf. décret n O92-456 du 22 mai 1992, article 33, relatif au chèque).
Dans le cadre des litiges relatifs aux chèques falsifiés, il a cependant pu paraître difficile de fonder
une mise en jeu de la responsabilité du banquier
présentateur sur cette obligation de vérification au
moment de l'ouverture du compte, du fait de
l'absence de rapport direct entre les vérifications et
le préjudice revendiqué.
La jurisprudence toutefois se contente souvent
dans cette hypothèse d 'un lien de causalité très
lâche.
Ainsi, la responsabilité du banquier présentateur
peut elle aussi être mise en jeu, le cas échéant,
concurremment à celle du banquier tiré.
Les obligations auxquelles le banquier est sou-
mis lors de l'ouverture d'un compte par un nouveau client tendent toutes au même but: identifier
avec autant de précision que possible le client.
En premier lieu, ces obligations consistent à vérifier l'identité du postulant au moyen d 'un document officiel portant sa photographie et dont le
banquier consigne les caractéristiques et références.
La jurisprudence opère des distinctions relatives
à la nature exacte du document officiel exigé; ainsi,
elle admet un permis de conduire ou une carte
nationale d'identité, mais elle rejette un certificat de
réfugié politique ou une carte de séjour.
En deuxième lieu, elles consistent à vérifier
l'adresse du nouveau client, afin de confirmer la
vérification d'identité et de repérer l'éventuelle falsification du document produit.
Pour remplir cette obligation, il est d'usage que
les banquiers envoient à l'adresse indiquée par le
postulant une lettre d'accueil qui, si elle n'est pas
retournée, fait présumer que l'adresse indiquée est
exacte en sorte que la banque ne peut dans ce cas
se voir imputer aucune faute lorsqu'elle accomplit
cette diligence (29).
Enfin, lors de l'ouverture du compte, les obligations du banquier consistent à vérifier la capacité
et les pouvoirs du postulant, mais aussi sa profession, son honorabilité et sa solvabilité.
Dans le cadre des litiges relatifs aux chèques falsifiés, ce sont surtout des fautes commises lors des
vérifications concernant l'identité et l'adresse du
remettant qui fondent la responsabilité du banquier présentateur.
Si les vérifications obligatoires lors de l'ouverture du compte ont été effectuées intégralement, il
est en principe possible d'identifier et souvent de
localiser le falsificateur. Si au contraire, les vérifications ont été incomplètes ou sont erronées ,
l'auteur du détournement, qui est par ailleurs souvent en fuite, ne pourra pas être retrouvé et les
nombreux « classements sans suite» des Parquets
le démontrent.
1.5.2 - Les fautes du banquier présentateur lors
de la réception et de la présentation du chèque
Si le banquier tiré est sans doute le mieux à m ême
d'identifier une signature falsifiée car titulaire du
carton de signature du tireur, le banquier présentateur, lui, est le premier à disposer du chèque et
donc à devoir vérifier l'absence d'anomalie apparente.
De plus, il est le seul à connaître le bénéficiaire
du chèque: il est celui qui doit dénoncer en premier les irrégularités le concernant.
(29) Trib. gr. inst. Paris (s e ch., 2e sect.). 10 janvier 2003, RG 00 / 16642.
MERCREDI 30 JUIN, JEUDI 1" JUILLET 2004 GAZETTE DU PALAIS
9
1.5.2.1 - Obligation générale de contrôle de la régu-
w
larité formelle du titre
-a:
Z
1-
u
o
~
Le devoir de vigilance du banquier présentateur est
ici particulièrement exposé.
Les juges du fond retiennent constamment que
le banquier présentateur doit vérifier que le chèque n'a pas été falsifié de manière grossière par surcharge manuelle notamment dans l'indication du
nom du bénéficiaire et que la faute de la banque
présentatrice est d'autant plus caractérisée lorsque
le nom du titulaire du compte diffère de celui qui
est mentionné dans la case bénéficiaire ( 3 0).
La responsabilité du banquier présentateur peut
être mise en cause sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil s'il a accepté à
l'encaissement un chèque affecté d'irrégularités ou
d'anomalies apparentes.
Ainsi, le banquier présentateur doit, comme le
banquier tiré, mais avant lui, contrôler la régularité
formelle du titre: il doit détecter les anomalies grossières et apparentes concernant les mentions figurant sur le chèque qui peuvent être constituées par
une surcharge, un grattage ou un lavage du nom du
bénéficiaire ou du montant ou par une divergence
importante d'écritures entre les différentes mentions.
Mais les anomalies peuvent également concerner la signature: il ne s'agit pas pour le banquier
présentateur de comparer la signature figurant sur
le chèque avec celle du tireur - le présentateur n'a
a priori aucun moyen de comparaison -, mais il
doit cependant remarquer une altération apparente, par exemple, des ratures indiquant que le
signataire s'y est repris plusieurs fois pour tenter
d'imiter la signature du tireur.
Les anomalies apparentes que doit détecter le
banquier présentateur ne sont pas seulement matérielles, elles peuvent également être intellectuelles.
Ainsi, il est souvent reproché à la banque présentatrice de ne pas avoir vu son attention attirée par
un chèque d'un montant important par rapport aux
chèques habituellement remis par le client, ou par
la fréquence de remises sans cause apparente.
Un tel grief se heurte cependant au devoir de
non-ingérence qui interdit au banquier de s'immiscer dans les affaires de son client et qui lui impose
une obligation de discrétion sur la gestion du
compte de ce dernier.
De plus, on imagine mal que les banques puissent opérer ce contrôle sur tous les chèques qu'elles
reçoivent et pour tous leurs clients; une telle logistique serait pour le moins difficile à mettre en place.
En outre, la jurisprudence retient que l'importance du chèque falsifié par rapport à celle des chè(30) Trib. gr. ins L Nanterre (6 e ch.), jugem ent non frapp é d'appel, précité. Ilote nO 12.
10
GAZETTE DU PALAIS MERCREDI 30 JUIN. JEUDI 1" JUILLET 2004
ques remis habituellement par le client n'est pas
une anomalie en soi (31).
Pour autant, le banquier présentateur n'est pas
déchargé de tout contrôle des anomalies intellectuelles.
En effet, si le montant important du chèque n'est
pas une anomalie en soi, il peut le devenir lorsque
d'autres circonstances permettent de douter de la
régularité du chèque remis à l'encaissement, par
exemple, « certains éléments objectifs du contexte
laissent deviner l'illicéité de l'opération demandée: répétitions systématiques d'opérations,
caractéristiques de la cavalerie (... ) » (32).
Enfin, le banquier présentateur peut également
commettre une faute en ne signalant pas au tiré les
anomalies qu'il aurait relevées.
Aussi, le présentateur qui détecte une irrégularité ne peut-il pas se contenter de refuser l'encaissement du chèque, il lui faut également avertir le
banquier tiré, sauf à engager sa responsabilité.
Une jurisprudence ferme fait peser cette obligation sur le banquier présentateur (33), sans doute
dans un souci de protection des usagers, en l'astreignant à une « tâche de police (.. .) de la préven-
tion des falsifications»
(34).
1.5.2.2 - Obligation particulière dans l'hypothèse de
la mention du nom de la banque et d'un numéro de
compte réservé au bénéficiaire
L'hypothèse est ici la suivante: un chèque est émis
à l'ordre d'une banque dont le nom est suivi du
numéro d'un compte ouvert dans les livres de cette
banque ou mentionné au dos du chèque.
Un chèque ainsi émis pose évidemment le problème de la légitimité de sa détention par le remettant.
Se pose alors la question de savoir si le banquier
doit refuser de l'honorer ou si, au contraire, le traiter comme n'importe quel autre type de chèque,
sans prendre de précaution particulière.
La solution, comme bien souvent, se situe entre
ces deux extrêmes.
Il faut d'abord noter que dans certaines circonstances particulières l'utilisation de ce type de chèques est imposée, par exemple pour les agents
immobiliers qui doivent ainsi recevoir les versements de leurs clients sous forme de chèques établis à l'ordre de la banque tenant leur compte professionnel.
De plus, les banques autorisent certains gros
remettants, notamment les grandes surfaces, qui
souhaitent faire l'économie d'un endossement des
(31) Casso cam., 15 juin 1993, Bull. IV, nO239.
(32) François Grua, Juris-classeur, Fasc. 150, nO 125.
(33) Casso corn. , 15 novembre 1994, RTD com., 1995, p. 450.
(34) Michel Cabrillac, note sous Casso corn., 15 novembre 1994, RTD corn.,
1995, prée.
titres, à faire rédiger les chèques par leurs clients
directement à l'ordre de la banque.
En dehors de ces deux cas, les règles devant guider le comportement du banquier dans ces hypothèses ont été posées, en particulier par deux arrêts
de la Cour de cassation (35).
Les faits qui ont donné lieu à la décision du
5 novembre 2002 étaient les suivants.
M. X, comptable dans la société Vitry, a émis des
chèques, tirés sur le compte de cette société ouvert
dans les livres de la société nancéenne Varin Bernier (SNVB), indiquant comme bénéficiaire le nom
de sa banque, le Crédit Lyonnais, et précisant au
verso son numéro de compte.
M. X a été reconnu coupable des infractions de
falsification de chèques et usage, abus de confiance,
faux en écriture de commerce et usage pour les
émissions de chèques et condamné à rembourser
à la société Vitry les sommes correspondantes.
La société Vitry a saisi le tribunal d'une demande
tendant à la condamnation du Crédit Lyonnais à lui
rembourser le montant des chèques sur le fondement de la répétition de l'indu et, subsidiairement,
sur celui des dispositions de l'article 1382 du Code
civil.
La chambre commerciale a alors décidé que:
-les dispositions du décret-loi du 30 octobre 1935,
devenues les articles L. 131-1 et suivants du Code
monétaire et financier, ne comportent aucune règle
précise relative à la mention du bénéficiaire d'un
chèque;
- ne contrevient donc pas à ces dispositions un établissement bancaire qui considère que l'inscription du numéro d'un compte, ouvert dans ses livres,
au verso d'un chèque émis à son ordre, désigne,
selon la volonté du tireur, le titulaire du compte
comme bénéficiaire;
- cette solution s'applique cependant « en l'absence
de tout élément lui donnant connaissance d 'agissements illicites ».
- en l'espèce, la Cour d'appel qui a constaté que le
paiement des chèques avait été effectué conformément aux mentions qui y avaient été portées par le
tireur ou son mandataire, a pu admettre que le banquier présentateur n'avait pas à interroger le tireur
ou sa banque sur les droits du bénéficiaire à encaisser les chèques en l'absence d'éléments visibles de
falsification.
La solution apportée ici par la Cour de cassation
n'est pas nouvelle - l'arrêt du 13 février 1996 avait
déjà retenu la même - mais la rédaction de la décision et en particulier sa motivation permettent
d'affirmer qu'il s'agit d'un arrêt de principe.
En effet, si cette solution s'explique par le carac(35) Casso corn., 13 février 1996, Bull. civ. IV, nO 45 et Casso corn., 5 novembre 2002, Banque et Droit, 2003, nO 88, p. 58.
tère facultatif de la mention du bénéficiaire - cette
mention ne fait pas partie de celles énumérées par
les dispositions de l'article L. 131-2 du Code monétaire et financier - et par l'absence de règles précises quant à la façon dont le bénéficiaire doit être
désigné, elle se fonde, selon la décision du
5 novembre 2002, sur la volonté des parties.
C'est cette volonté que le banquier devra déterminer pour choisir s'il y a lieu ou non d'interroger
le tireur ou sa banque et, pour la Cour de cassation, l'indice de cette volonté consiste en l' « absence de tout élément lui donnant connaissance
d'agissements illicites ».
Cela dit, la limite de la connaissance d'agissements illicites peut paraître un peu désuète en pratique; il est pour le moins évident que si le banquier se doute qu'une infraction est commise, il
n'encaissera pas le chèque, sauf pour lui à prendre
le risque de voir sa responsabilité engagée.
La doctrine propose là encore de procéder à des
comparaisons et analyses d'écriture plus ou moins
poussées: « ou le numéro du compte du présentateur figure sur le chèque apposé apparemment
par la même main que la désignation de la banque et celle-ci pourra légitimement encaisser le
chèque. Ou bien, tel n 'est pas le cas, soit que le
numéro du compte n'est pas inscrit sur le chèque, soit qu'il ne semble pas l'avoir été de la
même écriture et la banque est alors invitée à solliciter l'autorisation du tireur Il (36).
Il faut craindre alors que ressurgisse le débat sur
l'existence d'une anomalie grossière et apparente
affectant les mentions manuscrites.
1.6 - l a respo nsabilité née du t raitement info rmatique des chèques : l'échange imag eschèques (El e)
La présentation du chèque, qui a lieu en principe
en chambre de compensation, a été progressivement remplacée par un système informatisé, le système interbancaire de télécompensation.
Ainsi, les échanges physiques de chèques ont été
progressivement supprimés pour être remplacés
depuis le 30 juin 2002 par un échange informatique « d'images-chèques» pour les chèques d'un
montant inférieur ou égal à 5.000 €.
Il est facile de deviner les implications que la
généralisation de ce procédé pourrait avoir sur la
responsabilité du banquier en matière de chèque
faux ou falsifié, et plus particulièrement sur le partage des responsabilités entre les banquiers tiré et
présentateur.
En effet, seul le présentateur peut détenir matériellement et observer directement les chèques; on
pourrait donc admettre que le banquier tiré est
(36) Crédot et Gérard, RD bancaire et bourse 1996, nO 55, p. 119.
MERCREDI 30 JU IN, JEUDI 1" JUILLET 2004 GAZETTE DU PALAIS
11
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2
dans l'impossibilité de vérifier la régularité formelle du titre, et que seule la banque présentatrice
est alors à même d'exercer un contrôle efficace.
Par conséquent, la responsabilité de la banque
tirée ne devrait pas pouvoir être recherchée sur ce
fondement, et seule celle du banquier présentateur pourrait être mise en cause de ce chef.
Cependant, une décision de la Cour d'appel de
Rennes qui s'était prononcée dans ce sens a été cassée par la Cour de cassation (37) qui a décidé que
« la banque tirée est tenue de vérifier la régularité formelle du titre et qu'en s'abstenant elle
prend un risque dont elle doit assumer les conséquences » .
Ainsi, la Cour de cassation semble d'avance refuser de prendre en considération la nouvelle situation issue de l'utilisation du procédé de !'imagechèque.
,
Dès lors, l'informatisation du traitement des chèques ne conduit pas nécessairement à un renforcement de la responsabilité du banquier présentateur et empêche corrélativement le banquier tiré de
s'exonérer de sa responsabilité, alors qu'il lui est
impossible d 'exercer correctement le contrôle
auquel il est astreint.
Si bien qu'au contraire, si le recours au procédé
de !'image-chèque ne change a priori rien à la responsabilité du banquier présentateur, il augmente
cependant le risque, au moins potentiel, pour le
banquier tiré de voir sa responsabilité engagée.
Les banquiers tiré et présentateur ne sont pas les
seuls à être soumis à des obligations de vigilance
en matière de circulation de chèque car le titulaire
du compte à partir duquel le chèque a été émis l'est
également. En ne les respectant pas, lui aussi commet des fautes qui peuvent engager sa responsabilité, et par conséquent décharger d'autant, voire
exonérer, les banquiers tirés et présentateurs de leur
propre responsabilité.
Le banquier tiré comme le présentateur, assigné
devant la juridiction civile, opposera alors une
exception de sursis à statuer dans l'attente de la
décision du juge pénal sur le fondement des dispositions de l'article 4 du Code de procédure pénale
qui énoncent qu'il est sursis au jugement de l'action
exercée devant la juridiction civile tant qu'il n'a pas
été prononcé définitivement sur l'action publique
lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
Il est ainsi de jurisprudence constante que le sursis à statuer s'impose au juge civil lorsque l'appréciation d'un acte servant de fondement à la
demande civile dépend du résultat d'une poursuite pénale ou encore lorsque la décision à intervenir sur l'action publique est susceptible d'influer
sur celle de la jurisprudence civile.
Mais, au-delà de la décision juridictionnelle ellemême qualifiant de contrefaits les chèques ou certains d'entre eux, la phase d 'instruction est elle
aussi susceptible d'avoir un impact déterminant sur
le sort de l'instance civile.
En effet, l'instruction diligentée permet généralement d'avoir une vision globale et complète des
circonstances qui ont permis la falsification, et c'est
bien souvent à ce moment-là que sont mis en
lumière les éventuels liens entre le falsificateur et
le titulaire du compte et, le cas échéant, les fautes
ou négligences de ce dernier.
2 . LES FAUTES DU TiREUR DU CHÈQUE:
CAUSES D'EXONÉRATION TOTALE OU
PARTIELLE DE LA RESPONSABILITÉ DU
BANQUIER
Il est certes permis 5ie s'interroger sur le risque
d'une éventuelle instrumentalisation de la procédure pénale au profit de la procédure civile, mais
qui en tous cas n'est pas le fait du banquier.
Les fautes du tireur peuvent, le cas échéant, permettre aux banques tirées et présentatrices de
s'exonérer totalement ou partiellement de leur responsabilité.
Il y a instrumentalisation lorsqu'une plainte n 'est
déposée que dans le but d'obtenir des preuves plus
facilement que dans le cadre d 'une instance civile.
2.1 - Un préalabl e indispensa bl e à l'examen de
la respo nsabilité du tireur du chèque :
l' influence de la procédure pénale sur la respo nsabilité civ ile du banquier
En fait, le tireur a généralement porté plainte pour
(3 7) Casso com., 9 juiJJ et 2002, RIDA, 2003, nO 60 , p. 48 ,
12
les faits dont il est victime ou bien en s'adressant
directement au ministère public, lorsque le ou les
chèques portent sur des montants modiques - sa
plainte présente alors le risque de faire l'objet d'un
classement sans suite pour auteur inconnu dans la
quasi-totalité des cas ainsi que nous le démontre la
pratique - ou au contraire en portant plainte avec
constitution de partie civile, ce choix procédural
pouvant présenter un gage d'efficacité procédurale
supplémentaire mais relatif, dans l'identification de
l'auteur des détournements.
GAZETTE DU PALAIS MERCREDI 30 JUIN, JEUDI 1" JUILLET 2004
Or, tel n'est pas le cas ici, car la victime du vol
ou du détournement qui porte plainte cherche
effectivement à voir l'auteur puni et à obtenir de lui
une indemnisation.
Même remarque pour le banquier qui, en matière
d'abus de confiance, envisagerait de se porter partie civile par voie d'intervention volontaire au cours
de l'instruction déclenchée par la plainte avec constitution de partie civile du tireur du chèque (38).
Pour le cas où par exemple, la juridiction civile
par un jugement avant -dire droit, désignerait une
mesure d'expertise, la tentation sera très forte de
puiser dans le dossier pénal en cours d'instruction
tous éléments utiles à la démonstration de la faute
de la victime.
Mais les éléments de l'instruction ne seront
accessibles qu'aux parties à l'instruction qui ne
pourront les exploiter que pour autant que leurs
conseils respectifs soient intervenus auprès du
ministère public qui seul pourra les autoriser à s'en
prévaloir, ou certains d'entre eux, devant le juge
civil ou dans le cadre de l'expertise ordonnée (l'avocat n'est pas tenu au secret de l'instruction, mais
au secret professionnel à l'occasion de l'instruction - en cours ou clôturée - dont il semble que seul
le ministère public puisse le relever. Les solutions
jurisprudentielles et textuelles en la matière sont à
la fois hypocrites et nébuleuses, une réforme législative dans le sens de la liberté d'expression dans
le seul cadre du procès et de la liberté de la défense,
que les auteurs appellent de tous leurs vœux,
s'impose).
Cela dit, la limite entre l'utilisation de bonne foi
d'un procédé autorisé et la tentation de se servir des
pouvoirs accrus de l'enquête pénale par rapport au
civil pour obtenir des preuves, est sans doute bien
difficile à tracer en pratique.
De plus, ce type de contentieux est nécessairement aux confins du droit pénal et du droit civil ;
les deux sont ici intimement liés, car c'est généralement la commission d'une infraction qui révèle,
éventuellement, les éléments de la responsabilité
civile.
Dans le domaine des falsifications de chèque, l'un
va rarement sans l'autre, même si bien sûr il est
possible d'imaginer des hypothèses dans lesquelles il n'y a pas d 'infraction pénale, et d'autres où,
malgré la possibilité d'une qualification infractionnelle, la juridiction pénale n'est cependant pas saisie.
L'utilisation de la procédure pénale par la victime pose par ailleurs la question de la double
indemnisation.
En effet, le tireur qui, d'une part, se constitue partie civile devant la juridiction pénale et qui, d'autre
part, recherche la responsabilité du banquier
(38) La prévention de la falsification de chèqu es s'accompagne fréquemment de celle d'abus de confi ance en sorte qu e le banquier. qu'il soit tiré
ou présentateur, en sa qu alité de détenteur précaire des deni ers détournés soit ceux ayant figuré sur les comptes o uverts dans ses livres, p ourra
se porter partie civile en cours d 'instruction en arguant d'un préjudice
possible et avoir accès au dossier pénal que son co nseil ne pourra cependant exploiter au civil pendant l'instruction qu 'avec l'accord du ministère public à moins qu'il ne préfère attendre la fin de l'instruction et solliciter (l à encore!) du ministère public cette autorisation (articles R. 155
et R. 156 du Code de procédure pénale).
devant la juridiction civile, peut bénéficier d'une
double indemnisation, si les deux juridictions font
droit à sa demande.
Or, s'il est de jurisprudence de principe que les
décisions pénales ont au civil l'autorité de la chose
jugée à l'égard de tous, mais que cette autorité
n 'existe que quant à l'existence du fait, quant à la
qualification légale ou quant à la participation du
prévenu, en revanche, en ce qui concerne le préjudice, « la chose jugée sur la responsabilité civile
par un tribunal répressif a le caractère d'une
décision rendue au civil. Dès lors, l'influence de
cette dernière doit s'apprécier, non suivant les
principes qui déterminent l'effet de la chose jugée
au criminel, mais d'après ceux que l'article 1351
du Code civil a formulés pour régler l'effet relatif
de la chose jugée au civil sur le civil» (39).
En effet, bien souvent, l'indemnisation allouée à
la victime par le juge pénal correspond au montant des détournements alors que, de son côté, le
juge civil est souvent conduit à condamner la banque à verser une indemnité réparant le préjudice
qui ne peut être autrement constitué que par les
seuls chèques dont la falsification grossière et apparente est reconnue et non pas par l'ensemble des
détournements objets de la procédure pénale
(exemple de la soustraction ou du détournement
d'espèces ... ).
Rappelons en tout cas, ainsi que la chambre criminelle de la Cour de cassation l'a jugé le 8 janvier
2003 (40) qu'en matière de contrefaçon ou de falsification de chèques prévues et punissables selon les
dispositions de l'article 1. 163-3 du Code monétaire et financier, l'existence d'un préjudice n'est
pas un élément constitutif de la contrefaçon de chèques et usage.
Le banquier peut s'exonérer totalement ou partiellement de sa responsabilité si le chèque falsifié
émane de l'un des préposés du titulaire du compte
agissant dans le cadre de ses fonctions, ou lorsque
le titulaire du compte a lui-même commis une faute
à l'origine de son propre dommage.
Il est de jurisprudence constante que la faute du
déposant, titulaire du compte, ou d'un préposé de
celui-ci, est de nature à exonérer la banque dans la
mesure où il est démontré que c'est ce dernier qui
est à l'origine de la création de son propre dommage (41).
2.2 - l e défaut de surveillance d'un préposé
Bien souvent, les détournements et falsifications de
(39) Casso 2" civ., 17 mars 1977, Recueil Dalloz Sirey, 1977, 40" cahier,
Informations Rapid es.
(40) Casso crim. , 8 janvier 2003, D. 2003. 2037.
(41 ) C. Pari s, 7 janvier 1992, D. 1992.395 ; C. Orl éans, 12 sep tembre 1995,
luri s-data, nO 052231 : Casso com. , 9 juille t 1996, Bull. civ. IV, nO202 ;
17 décembre 2002, Juris-data, na 2002-017131, jurisclasseur res ponsabilité civil e et assurance.
MERCREDI 30 JUIN. JEUDI 1" JUILLET 2004 GAZ ETTE DU PALAIS
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chèques sont le fait de personnes proches du titulaire du compte, parfois de ses préposés.
Les hypothèses récurrentes sont celles d'un
employé de maison, lorsque le titulaire du compte
est une personne physique, ou d'une personne qui
a accès à la comptabilité, lorsqu'il s'agit d'une
entreprise.
Or les dispositions de l'article 1384, alinéa 5 du
Code civil posent une présomption de responsabilité du commettant pour les faits commis par son
préposé dans l'exercice de ses fonctions.
Le banquier doit utiliser cette argumentation
pour s'exonérer totalement ou partiellement de sa
responsabilité, comme l'y invite la Cour de cassation, et les tribunaux reçoivent généralement favorablement ce moyen pour libérer le banquier, sauf
faute de sa part qui justifierait un partage de responsabilité (3) et (12).
Pour autant, l'exonération totale ou partielle de
la responsabilité du banquier n'est pas automatique; elle est notamment subordonnée à la condition que le préposé ait agi « dans les fonctions »
auxquelles il a été employé, condition qui peut soulever quelques difficultés d'application en pratique.
Par une décision du 5 novembre 2002 (42 ), la
chambre commerciale de la Cour de cassation avait
à connaître des faits suivants: l'employée de maison d'une personne âgée a émis, en imitant la
signature de celle-ci, plusieurs chèques qu'elle a
ensuite déposés sur son propre compte.
La Cour de cassation a notamment jugé que « les
juges du fond ayant relevé qu'en tant
qu'employée de maison et femme de chambre de
la cliente, l'auteur de la falsification n'avait pas
accès aux chéquiers, qu'elle n'avait jamais été
chargée de régler des achats au moyen de ceuxci, n'était chargée d'aucune tâche administrative
et n'avait pas eu à gérer, de quelque manière que
ce soit, les comptes de son employeur, la Cour
d'appel en a fait une exacte application en décidant que, la préposée n'ayant pas agi dans le
cadre de ses fonctions, la banque, tiers victime
des agissements de celle-ci, n'était pas fondée à
rechercher la responsabilité du commettant ».
Sur le plan des principes, la solution est classique: « si le commettant peut avoir à assumer la
faute de son préposé qui a émis les chèques faux,
c'est à la condition que celui-ci ait agi dans le cadre
de ses fonctions. En dehors de ce cadre, la responsabilité du commettant ne peut être recherchée» (43).
Mais la chambre commerciale permet surtout
d'identifier des critères qui permettront de déter(42) Casso corn., 5 novembre 2002, D. 2002. 3268.
(43) Valérie Avena-Robardet, note sou s Cass o corn., 5 novembre 2002,
D. 2002. 3268.
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miner si le préposé a, ou n'a pas, agi dans le cadre
de ses fonctions, car en effet, « ( ... ) il ne suffit pas
de constater que le préposé a émis un chèque falsifié pour en conclure qu'il a indiscutablement
agi hors de ses fonctions» (44 ).
Ainsi, il semble que pour déterminer si la falsification du chèque a eu lieu dans le cadre des fonctions du préposé, et en conséquence, si la responsabilité du commettant peut être mise en cause sur
le fondement des dispositions de l'article 1384, alinéa 5 du Code civil, il faudra s'intéresser aux circonstances de fait, à l'activité réelle du préposé
(accès ou non aux chéquiers, règlement ou non des
achats au moyen des chéquiers, exercice ou non de
tâches administratives, gérance ou non des comptes de l'employeur), plus qu'à la qualification donnée à cette activité dans le contrat de travail ou sur
les bulletins de paie.
Certes, la Cour de cassation ne précise pas
expressément dans sa décision si ces critères sont
cumulatifs ou simplement alternatifs.
On peut cependant penser que l'existence d'un
seul d'entre eux suffirait pour affirmer que la falsification a eu lieu dans le cadre des fonctions.
En effet, on imagine mal qu'il soit jugé qu'un préposé qui falsifie un chèque de son employeur alors
qu'il règle des achats au moyen des chéquiers mais
qu'il ne gère pas les comptes de son commettant,
n'a pas agi dans le cadre de ses fonctions.
Ainsi, dans cette hypothèse, le banquier tiré qui
a payé les chèques falsifiés pourra mettre en jeu la
responsabilité de l'employeur sur le fondement des
dispositions de l'article 1384, alinéa 5, et tenter de
s'exonérer totalement ou partiellement de sa responsabilité.
Toutefois, tous les falsificateurs ne sont pas les
employés de leurs victimes, et même s'ils le sont
parfois, tous n'agissent pas dans le cadre de leurs
fonctions. Le titulaire du compte n'est pas pour
autant à l'abri d'une faute personnelle qui pourrait
lui faire supporter, au moins en partie, la charge du
paiement des chèques falsifiés.
2.3 - Le défaut de surve illance des effets ba ncaires
Le titulaire du compte doit prendre un certain nombre de précautions et effectuer des diligences.
De prime abord, il est gardien de son carnet de
chèques et doit donc prendre les précautions nécessaires pour éviter que les formules de chèques
soient détournées, volées ou égarées.
Ainsi, l'une des fautes les plus souvent retenues
contre le titulaire du compte consiste en une
imprudence dans la surveillance de son chéquier
(44) Ibid .
qu'il a, par sa négligence, exposé à la perte ou au
vol.
Cette faute peut d'ailleurs se conjuguer avec
l'imprudence que commet le tireur en signant un
chèque sans le libeller complètement.
Ensuite, le titulaire du compte doit également
effectuer des diligences minimales dans la surveillance de l'évolution de son compte bancaire, en
particulier, il doit vérifier régulièrement ses relevés
de compte et ainsi réagir rapidement en cas d'anomalie.
Une réaction tardive, alors que la falsification
était repérable par la simple consultation des relevés de compte, constitue une faute fréquemment
retenue contre le titulaire du compte.
La décision rendue par la Cour de cassation le
5 novembre 2002 que nous évoquions plus haut (45)
nous apporte quelques éléments de réponse.
En effet, dans l'espèce soumise à la Cour de cassation, la victime de la falsification des chèques était
une personne âgée, en mauvaise santé et les agissements frauduleux ont duré une année pendant
laquelle ses relevés lui étaient subtilisés avant de lui
parvenir, sans qu'elle s'en inquiète.
Sur ce point précis, la chambre commerciale de
la Cour de cassation a jugé qu' « ayant relevé que
la capacité de la cliente à gérer son compte n'était
pas contestée, la Cour d'appel peut en déduire
qu'en dépit de son grand âge et de son état de
santé déficient, celle-ci, victime de l'utilisation
frauduleuse de ses chéquiers par son employée de
maison, a commis une faute en négligeant de
s'inquiéter pendant plusieurs mois du fonction nement de ce compte dont les relevés, qui lui
étaient subtilisés, ne lui parvenaient plus » .
La solution qui consiste à limiter la responsabilité du banquier tiré au regard de la négligence du
titulaire du compte dans la vérification de ses relevés de compte n 'est pas nouvelle.
Cependant, certains auteurs ont pu juger son
application en l'espèce « particulièrement sévère»
(46) au regard de l'âge de la victime et de son état
de santé déficient.
Devait-on alors prendre en compte cette circonstance pour apprécier moins rigoureusement la faute
de la victime?
Si la Cour de cassation a clairement répondu par
la négative, elle n'a cependant pas rendu une décision totalement indifférente à la personnalité de la
victime.
Certes, le critère d'appréciation de la négligence
n'est pas le grand âge ou la maladie, mais il réside,
de façon plus pragmatique, dans la prise en consi(45) Cf. note 42.
(46) Valérie Avena-Robardet, op. cit.
dération de la capacité effective, réelle, de la cliente
à gérer son compte.
D'un côté, toute personne âgée n'est pas par
principe incapable de gérer son compte, mais d'un
autre côté, toute personne plus jeune et en bonne
santé n'en est sans doute pas systématiquement
capable.
Dès lors, si la solution a pu apparaître sévère en
l'espèce, on peut noter que dans des hypothèses où
un individu victime de falsification de chèque ne
serait ni âgé, ni malade, mais verrait, pour une quelconque raison, sa capacité à gérer son compte an nihilée, l'application de la décision du 5 novembre
2002 lui serait au contraire favorable.
Si bien qu'en prenant un critère sans doute
moins objectif, mais plus réaliste que celui de l'âge,
la Cour de cassation a rendu une décision en réalité plutôt favorable au titulaire du compte, mais qui
pourrait donner lieu à des débats factuels pour
savoir selon quels critères un individu devra être
considéré comme n'étant pas capable de gérer son
compte; l'âge de la victime est donc indifférent.
En revanche, l'appréciation de la faute qui pourrait, le cas échéant, être retenue à son encontre
dépendra du point de savoir s'il était ou non capable de gérer son compte.
Le banquier n'est pas pour autant systématiquement totalement exonéré de toute responsabilité;
seule la faute exclusive de la victime ayant causé
son propre préjudice est exonératoire. Si au
contraire cette faute n'est qu'une des causes du
dommage et que le banquier a lui aussi commis
une faute qui a contribué au résultat, les juges opéreront un partage des responsabilités.
Les obligations du banquier, qu'il soit tiré ou présentateur, ont été considérablement accrues, et par
là même les possibilités de voir sa responsabilité
mise en cause.
Dans certains cas précis - en matière de chè ques de banque -, la traditionnelle obligation de
vigilance s'est muée en une obligation de sécurité,
qui conduit en pratique à garantir le client contre
toute falsification du titre.
La législation relative à la lutte contre le blanchiment impose au banquier notamment de procéder
à un examen de toute opération d'un montant égal
ou supérieur à 150.000 € qui se présente dans des
conditions inhabituelles de complexité et ne paraît
pas avoir de justification économique ou d 'objet
licite; le banquier doit alors s'informer auprès du
client sur l'origine et la destination des sommes, sur
l'objet de la transaction et l'identité de la personne
qui en bénéficie (articles L. 563 -3 et suivants du
Code monétaire et financier) (47).
(47) Casso corn., 28 avril 2004, 0.2004, jur. p. 1380. La victime d'agissements Frauduleux ne peut pas se prévaloir de ce tte disposition pour
rech ercher la responsabilit é du banquier.
MERCREDI 30 JUIN, JEUDI le, JUILLET 2004 GAZETTE DU PALAIS
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Dès lors, l'évolution des obligations du banquier
tend à lui imposer des véri fications toujours plus
a pprofondies, a u détrim ent du devoir de noningérence, et au risque, p eut-être, de voir les banquiers devoir s'érige r en régulate urs des opérations de leurs clients par leur refus d'exécuter celles qui auront l'apparen ce de la fraud e, en les
dénonça nt en tant que de besoin à Tracfin par la
déclaration de soupçon ou au Parquet, attitude qui
n'est nullem ent leur vocation p remiè re - p a rce
qu'eLle fleure la délation.
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uex teNsO
"o~C/
En effet, le banquier n 'est " ni auxiliaire de justice ni auxiliaire de police ., mais de fait il est le
mieux placé pour fai re du système bancaire, l'élément de sauvegarde de l'équilibre et de l'assainissement du système économique dès avant l'intervention du pouvoir judicia ire.
LI serait juste cependant que ses efforts dans le
sens de la sauvegarde de la probité des affaires et
de la circulation saine de l'a rge nt soient reconnus
et pris en compte.
BIBLIOGRAPH I E
Une seule adresse
OUVRAGES GÉNÉRAUX
- T. Bonneau, Droi t bancaire, 5" éd., Montchrestien, 2003.
- C. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire, Se éd.,
Litee. 2002.
pour recherch er dans plus de 6 bases de données
et 30.000 documents en texte intégral
Des éditeurs de renom
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- C. Gavalda et J. Stoufflet, Instrumen ts de pa ie-
ment et de crédit, 4" éd., Litec, 200I.
- J.-L. Ri ves-lan ge et M. Contamine-raynaud, Droit
bancair e, 6c éd., Précis DaLloz, 1995 .
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en droit social, droit fiscal, droit bancaire ...
USUELS
- M. Cabrillac, J. -Cl. Banque, fascicule 330.
- F. Grua, J.-Cl. Banque, fascicule 150.
- F. Grua, J. -Cl. Banque, fascicule 152.
Ret rouvez la
Gazetttlu
ARTICLES
- ). Lacotte. Quelles limites au devoir de noningére nce de la banque?, Banque et Droit, 1999,
nO65, p. 10.
- Dossier « Ac tualité des devoirs du banquier au
regard des textes nouveaux », Revue de droit ban caire et financi er, 2002, n° 6, p. 340.
Palais
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