Les moyens d`investigation du fisc

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Les moyens d`investigation du fisc
Les moyens d’investigation du fisc : un pouvoir sans limite ?
Le législateur a mis à la disposition de l’administration fiscale des pouvoirs d’investigation lui
permettant de contrôler l’exactitude de la déclaration fiscale du contribuable et donc de vérifier le
montant imposable (cf. art. 315 à 338bis du CIR/92 et art. 59 à 69 CTVA).
Bien que ces moyens de contrôle soient encadrés par la loi, conformément au principe de la légalité de
l’impôt, une disposition légale est, en principe, toujours susceptible d’interprétation.
Or, l’administration fiscale peut être tentée d’interpréter largement les pouvoirs qui lui ont été
reconnus par la loi fiscale en vue d’obtenir davantage de prérogatives destinées à assurer plus
efficacement sa mission de percepteur de l’impôt.
Aussi, une des tendances que l’on peut observer en matière fiscale est l’extension des pouvoirs
d’investigation de l’administration, le cas échéant soutenue également par la jurisprudence et/ou le
législateur. En outre, on assiste également à un alignement de la législation relative aux impôts sur les
revenus avec celle relative à la TVA, voire avec le droit pénal.
Pour illustrer ces évolutions actuelles, nous examinerons succinctement le droit de rétention du fisc
(1.), le libre accès aux locaux par le fisc (2.) et le sort des preuves obtenues irrégulièrement par le fisc
(3.).
1.-
Droit de rétention
En matière de TVA, le droit de l’administration de la TVA d’emporter les livres et documents en vue
d’établir la débition d’une taxe ou d’une amende à la charge du contribuable ou à la charge de tiers
existe depuis l’introduction du Code de la TVA dans notre droit par la loi du 3 juillet 1969 (art. 61, §2
du CTVA).
Jusqu’à la loi du 21 décembre 2013, l’administration des contributions directes ne bénéficiait pas de ce
droit de rétention. Elle devait consulter les documents sur place, sauf accord du contribuable pour les
emporter.
Cette différence de traitement était problématique, notamment s’agissant de la taxation des entreprises.
En effet, pour les entreprises, depuis 1997, des contrôles conjoints portant tant sur la TVA que sur
l'impôt sur les revenus sont réalisés par les agents de l’AFER (Administration de la Fiscalité des
Entreprises et des Revenus). Dans ce contexte, la distinction entre les prérogatives de l’un et de l’autre,
alors qu’ils appartiennent au même service de contrôle, était illusoire !
Aussi, en vue d’uniformiser les pouvoirs de contrôle des administrations fiscales, la loi du 21
décembre 2013 portant des dispositions fiscales et financières diverses (M.B. du 31 décembre 2013) a
introduit dans le CIR/92 un nouvel article 315ter, lequel habilite l’administration des contributions
directes à retenir, moyennant l’établissement d’un procès-verbal ad hoc, les livres et documents qui
doivent être communiqués lors d’un contrôle, pour autant qu’ils soient nécessaires à la détermination
du montant des revenus imposables.
Cette loi modifie également le texte de l’article 61, §2 CTVA en ce qu’elle remplace l’exigence de
délivrance d’un accusé de réception par un procès-verbal de rétention.
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Dans les deux cas, la rétention ne peut porter que sur des livres clôturés et elle doit faire l’objet d’un
procès-verbal dont une copie doit être délivrée à la personne concernée dans les cinq jours ouvrables.
Le délai de cinq jours laissé à l’administration pour dresser la liste des documents emportés peut poser
problème, soit que l’administration omette de recenser des documents emportés, qu’elle peut avoir
égarés. Or, l’absence de documents probants sera reprochée au contribuable, alors même qu’aucun
inventaire contradictoire n’aura été établi lors de l’enlèvement des documents.
Selon les travaux préparatoires de la loi, le fisc peut emporter les documents pendant la durée normale
de l'enquête, ceux-ci devant être rendus au contribuable au plus tard au moment où un avis de
rectification basé sur ces livres et documents lui est adressé. Les éléments découverts par le fisc sur
base des documents emportés peuvent également servir à imposer des tiers.
2.-
Libre accès aux locaux
Le journal L’Echo titrait ce jeudi 20 mars 2014 ″La Justice donne carte blanche au fisc″, faisant état
d’une extension jurisprudentielle considérable des pouvoirs de l’administration fiscale lorsqu’elle
visite les locaux professionnels et privés.
L’article 319 du CIR/92, qui consacre le droit de visite active du fisc, distingue, à l’instar de l’article
63 CTVA, l’accès aux locaux purement professionnels de l’accès aux locaux privés.
Si le fisc, muni d’une commission, peut accéder aux locaux professionnels du contribuable à toutes les
heures où une activité s’y exerce (en matière de TVA, la visite peut s’effectuer à tout moment), il ne
peut visiter les locaux habités qu’entre 5h et 21h moyennant une autorisation préalable du juge de
police (art. 319, al. 2 du CIR/92).
L’objectif ainsi poursuivi est d’aménager un équilibre entre l’efficacité des pouvoirs d’investigation du
fisc et le droit au respect de la vie privée du contribuable (art. 8 de la CEDH).
Néanmoins, l’administration, soutenue par une certaine jurisprudence, ne cesse d’élargir ses
compétences et tente parfois de se comporter comme un juge d’instruction.
Le Tribunal de première instance de Gand a par exemple décidé, dans un jugement du 11 juin 2013,
que le fisc commettait un détournement de pouvoir illicite en exerçant des pouvoirs d’investigation
fondés sur l’article 319 du CIR/92 dans une finalité (enquêter sur la situation fiscale de tiers ; en
l’occurrence, des clients du contribuable) autre que celle prévue légalement (contrôler la situation
fiscale personnelle du contribuable).
Toutefois, ce tribunal n’a pas remis en cause les procédés mis en œuvre par l’administration : examen
de toutes les pièces et de tous les dossiers, fouille des sacs des employés, copie de tous les dossiers
informatiques dont ceux comprenant des données privées des clients du contribuable.
En outre, la jurisprudence récente (cf. Tribunal de première instance d’Anvers, 20 décembre 2013,
n°12/1839/A et Cour d’appel de Gand, 21 janvier 2014, n°2012/AR/1454), dont la presse a fait écho la
semaine dernière, semble octroyer un véritable pouvoir de perquisition au fisc.
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En effet, selon cette dernière, une fois que l’autorisation du tribunal de police d’effectuer la visite
domiciliaire est obtenue1, l’administration peut examiner tous les documents et inspecter l’ensemble
du domicile (tiroirs et armoires compris) sans pour autant être astreinte à en dresser procès-verbal. Il
n’est pas requis que les habitants de la maison assistent à la perquisition.
Elle peut également analyser les données privées contenues dans les ordinateurs professionnels. Tant
qu’il n’y a pas de distinction précise entre les données privées et professionnelles, l’administration
peut poursuivre son investigation (cf. S. VAN CROMBRUGGE, ″Contrôle fiscal et respect de la vie
privée : quels sont les principes ?″, Fiscologue, n°1379, 28 mars 2014, pp. 9 et 10).
Cette jurisprudence, heureusement non unanime, ne nous paraît pas pouvoir être approuvée. En effet,
les pouvoirs de l’administration fiscale ne peuvent excéder ceux d’un juge d’instruction, soumis à des
formes et conditions spécifiques.
3.-
Régime des nullités
En matière pénale, la Cour de cassation a chamboulé le principe de la légalité des preuves dans son
arrêt de principe dit ″Antigone″ du 14 octobre 2003, précisant qu’une preuve obtenue illégalement est
admissible sauf si l’irrégularité commise emporte la violation d’une règle prescrite à peine de nullité,
ou un vice entachant la fiabilité de la preuve, voire la violation du droit à un procès équitable (art. 6 de
la CEDH).
Le législateur a consacré cet enseignement de la Cour de cassation dans la loi du 24 octobre 2013
(M.B. du 12 novembre 2013) en modifiant l’article 32 du titre préliminaire du Code d’instruction
criminelle, au motif que l’opinion publique accepte très difficilement que la violation de formes
conduise à des nullités, sans que les intérêts de l'inculpé ne soient lésés.
Cette disposition prévoit désormais que dans les trois hypothèses susmentionnées, retenues par la Cour
de cassation, la preuve obtenue sera frappée de nullité et ne pourra être utilisée. En revanche, dans tous
les autres cas, l’élément de preuve obtenu irrégulièrement pourra servir à prouver une infraction.
Bien que cette loi concerne a priori le seul droit pénal, il n’en est rien dès lors que beaucoup d’autres
branches du droit, dont notamment le droit fiscal, sont assorties de sanctions pénales de sorte que ce
nouveau régime des nullités s’y applique également.
Ainsi, du critère objectif de la légalité – en vertu duquel une preuve obtenue illégalement est d’office
frappée de nullité – on bascule vers un critère subjectif d’opportunité. En effet, chaque juge, en
fonction de son appréciation propre, doit déterminer si l’irrégularité reprochée est suffisamment grave
que pour justifier la sanction de la nullité (cf. arrêt dit ″Manon″ du 2 mars 2005 de la Cour de
cassation qui introduit ce contrôle de la proportionnalité).
Si, auparavant, les juges étaient divisés quant à l’applicabilité en matière fiscale de la jurisprudence
Antigone née en matière pénale, la consécration légale de ce principe offre un fondement aux
prétentions du fisc de déterminer la base imposable d’un contribuable à l’aide d’éléments de preuve
récoltés irrégulièrement.
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Certains juges estiment que l’absence d’autorisation du tribunal de police peut être couverte par le
consentement du contribuable (cf. Liège, 24 février 2012, F.J.F., n°2013/283, pp. 1005 à 1007), tandis que
d’autres refusent un tel effet s’agissant d’une règle d’ordre public (cf. Civ. Hasselt, 17 novembre 2010,
Fiscologue, n°1244, p. 1).
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Dans le contexte actuel où des informaticiens subtilisent illégalement des données bancaires pour les
vendre aux Etats intéressés de redresser fiscalement leurs résidents, cette nouvelle loi signifie qu’une
″juridiction pourrait prendre en compte des données bancaires volées par un tiers et remises aux
autorités belges si elle estime que l’évasion fiscale est une infraction suffisamment grave pour couvrir
la manière irrégulière dont elle a été découverte″ (cf. R. ERGEC et S. WATTHEE, ″Quand les
voleurs dénoncent les fraudeurs : les données bancaires obtenues illégalement à travers le prisme de la
jurisprudence strasbourgeoise″, J.T.L., n°30, 5 décembre 2013, p. 150).
Inès TROISFONTAINE
Avocat
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