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1, 2, 3 L’ECOLE, L’IMAGIER PLURILINGUE : DE L’EXPERIENCE A L’OUTIL Virginie Picardat Kremp Résumé Migrilude est une maison d'édition spécialisée dans les imagiers plurilingues afin de proposer des outils en phase avec nos sociétés polyglottes et pour favoriser l'éveil aux langues dès le plus jeune âge. C'est aussi une association qui a notamment pour but de promouvoir la pluralité linguistique et culturelle en vue d’un travail sur la cohésion sociale. Dans ce cadre, Migrilude a réalisé 1, 2, 3 l’école, L’Imagier plurilingue, avec des enseignantes, leurs élèves, les parents, ainsi qu'avec des bibliothécaires et des spécialistes de l’éducation interculturelle, afin de mettre à disposition du public intéressé un outil pédagogique permettant de relier l’école, la famille et la bibliothèque grâce aux langues parlées dans ces différents espaces. C’est aussi un outil permettant de travailler l’éveil aux langues dès l’école maternelle. Summary Migrilude is a publishing house specializing in multilingual picture books that release tools in line with our multilingual societies in order to promote language awareness from an early age. It is also an association which aims in particular at promoting linguistic and cultural diversity. In this context, Migrilude has developed a plurilingual picture package along with teachers, students, parents, as well as librarians and experts in intercultural education. It is called : 1, 2, 3 l’école, L’Imagier plurilingue and it aims at providing interested people and institutions with a tool linking families, the school and the library together, thanks to the different languages that are spoken in these places. It is also a useful teaching tool for practising langage awareness at the nursery and primary school. Reassunto Migrilude è una casa editrice specializzata in multilingue libri con lo scoppo di proporre strumenti in linea con le nostre società multilingue e per promuovere la consapevolezza linguistica dalla più tenera età. E 'anche un'associazione che mira in particolare a promuovere la diversità linguistica e culturale. Enseignante d’anglais et de Français langue étrangère, consultante auprès des entreprises et présidente de l’Association Migrilude. Vit et travaille dans le Canton du Jura en Suisse. 1 In questo contesto, Migrilude ha pubblicato 1, 2, 3 l’école, L’Imagier plurilingue , con insegnanti, alunni, genitori e con i bibliotecari e specialista interculturale con lo scopo di mettere a disposizione del pubblico interessato uno strumento didattico per collegare la scuola, la famiglia e la biblioteca attraverso le lingue parlate in queste zone. E 'anche uno strumento per lavorare la consapevolezza linguistica nella scuola materna ed elementare. Le contexte de l’expérience Ce texte décrit une expérience originale qui a été ménée dans trois classes maternelles à l’école Cité-Jonction de Genève à partir desquelles un outil d’éveil aux langues a pu être réalisé et édité de manière professionnelle. Cette école est située dans le quartier Jonction, au centre de Genève, quartier populaire, à caractère multiculturel. Trois enseignantes y travaillent depuis de nombreuses années en intégrant les langues d’origine de leurs élèves. Grâce à cette approche, après deux années d’enseignement avec la même classe, leurs élèves entrent à l’école primaire en sachant lire et écrire le français. Comment font-elles? Elles sollicitent les parents. Un exemple tout simple permettra de mieux comprendre. Myriam, l’une des enseignantes, a constitué une bibliothèque de livres bilingues unique au monde qu’elle enrichit chaque année de nouvelles langues et de nouveaux titres. Elle apprend à lire en français avec de petits livres (du style Léo et popy) puis elle transmet le livre à chaque parent pour qu’il traduise cette histoire de quelques lignes dans sa langue. Elle réalise aussi des enregistrements audio avec les parents consentants. Chaque élève doit recopier le texte en français et dans la langue de ses parents, (ou en français et dans une autre langue pour les enfants francophones). On voit d’emblée combien l’enseignante crée un ancrage positif de l’enfant dans sa langue, dans l’univers de l’école, non seulement en accueillant sa langue mais aussi en créant le lien avec les parents et en requérant de leur part des compétences linguistiques qu’elle n’a pas. Elle invite les parents à devenir co-acteurs de l’enseignement de l’école. Ensuite, avec toute la classe, elle observe, à partir de quelques mots, les différences et les ressemblances entre les langues. Elle explique que les langues sont classées par différentes familles, que les langues romanes ont le latin pour origine commune, ce qui explique certaines ressemblances que les enfants relèvent à la manière d’un jeu. Tout est ludique et découverte. Les enfants découvrent et s’approprient le fonctionnement du français et enrichissent leur compréhension langagière en établissant des liens avec d’autres langues qui sont celles de leurs camarades, de leurs voisins. Les objectifs Nous avons donc voulu tenter l’expérience de bâtir un outil complet, inspiré de cette approche. Notre objectif était de toujours relier l’école et la famille et de rajouter la bibliothèque. Nous avons là trois lieux de médiation investis de manière différente: la famille est le lieu de la médiation socio-affective, l’école, celui de la médiation socio-cognitive et la bibliothèque, celui de la médiation socio-culturelle. (Je précise ici que nous avons approché la bibliothèque interculturelle de la Croix-Rouge à Genève qui propose des 2 livres dans plus de 200 langues, afin de répondre aux besoins des migrants qui veulent garder un lien avec leur langue d’origine à travers romans, périodiques et livres jeunesse notamment.) Pourquoi ces trois lieux ? Parce qu’il s’agit de ceux où l’écrit est souvent très présent de manière différente. Il est présent dans les familles migrantes qui pratiquent leur langue d'origine à la maison et qui gardent le lien avec leur pays. L’écrit est omniprésent en français à l’école, puisqu’il s’agit de la langue de scolarisation et que la mission est d’enseigner à lire, à écrire et à compter en français. L’écrit est omniprésent à la bibliothèque où les interactions ont généralement lieu en français, dans le cas des bibliothèques publiques standard. De façon générale, ces trois lieux ne se rencontrent pas spontanément: les parents emmènent leurs enfants à l’école, l’école emmènent parfois les enfants à la bibliothèque, quelques parents aussi. Mais l’école ne rentre dans les familles et dans les maisons que par le biais du carnet de liaison ou du compte rendu que les enfants font parfois de leur journée. La bibliothèque ne rentre dans les maisons que par le biais des documents rapportés. Il y a là un mouvement de va-et-vient et d’échange que nous voulions amplifier, resserrer, systématiser pour mettre le livre et tous les supports de l’écrit, en quelle que langue que ce soit, au coeur de ces trois lieux qui constituent la vie de l’enfant, pour que le livre apparaisse comme objet de liaison. Mais il ne s’agissait pas de n’importe quel livre mais de celui que les enfants et leurs parents réaliseraient avec l’aide des usagers de la bibliothèque interculturelle. Le projet que nous avons mené à bien avec ces classes avait, d’un point de vue pédagogique, une triple finalité. D’une part, il s’agissait de réaliser un outil en contexte réel, à partir des enfants et avec tous les partenaires présentés (les enseignantes, les parents, les usagers de la bibliothèque interculturelle, et une formatrice multimédia). D’autre part, il s’agissait de l’éditer de manière professionnelle pour qu’il soit diffusé et pour qu’il devienne utilisable par d’autres, qu’il soit présent dans d’autres écoles, dans d’autres familles et dans d’autres bibliothèques, en Suisse, en France et dans d’autres pays francophones (je précise “francophones” car nous sommes parti de la langue de scolarisation qui est le français, mais il pourrait tout à fait être adapté dans d’autres contextes linguistiques). Le 3è objectif était de permettre à tous ceux qui utiliseraient cet outil de recevoir une méthode pour réaliser à leur tour leur propre imagier plurilingue, à partir des langues en présence, etc. L’expérience L’idée première était de présenter la classe à travers des outils utilitaires et quotidiens. J’entends par là, présenter ces objets aux parents pour qu’ils découvrent la classe de l’intérieur, celle qu’ils ne vivent pas puisqu’ils repartent après avoir déposé leurs enfants. Douze objets ont été identifiés puis photographiés par les enfants. Une formatrice multi-média est intervenue pour leur montrer comment prendre une photo, ce qu’est le cadrage, l’exposition à la lumière, etc. Une liste de ces objets en français, accompagnée de chaque photo correspondante, a été remise aux parents qui ont eu pour mission de les traduire dans leur langue. Dix-sept langues différentes étaient présentes parmi les classes réunies. Comme la finalité était de produire un outil édité, il a fallu soumettre ces traductions à des regards extérieurs. Les usagers de la bibliothèque interculturelle se sont révélés très 3 intéréssées et des échanges passionnants ont eu lieu entre les coordinatrices du projet et les traducteurs bénévoles, afin de discuter des différentes interprétations autour d’un mot. Des interrogations et des questions surgissaient de toutes parts car il fallait uniformiser les traductions en vue du travail éditorial. Par exemple : certains parents avaient traduit “les crayons de couleur” de façon littérale, d’autres avaient juste traduit “crayons”. Le mooré, langue nationale au Burkina Faso, ne fait pas de différence entre “crayons de couleur” et “feutres”. Autant de défis de compréhension que nous avons dû expliciter, ce qui a permis à chacun de s’exprimer sur sa langue, afin d’en faire comprendre ses spécificités. D’autres mots de mooré, comme “la règle” ou “les ciseaux”, n’avaient pas été traduit et nous avons demandé si ces mots, si ces objets n’existaient vraiment pas dans cette culture. Nous avons alors appris qu’ils existaient bien mais qu’il fallait recourir à une longue périphrase pour les dire, ce que ne permettait pas l’espace de traduction. Il a donc fallu se mettre d’accord sur ce que l’on gardait, ce que l’on ajoutait, ce que l’on transformait, opérer des conciliations. Les parents ont aussi été sollicités pour réaliser la bande sonore du CD. Ils sont les traducteurs et interprètes des objets photographiés par leurs enfants. Ces derniers sont les auteurs de la partie visuelle et graphique de l’imagier car ils ont aussi dessiné de grandes frises multicolores qui bordent les cartes de l’imagier (lesquelles ont été ensuite traitées en bichromie pour des raisons de lisibilité de l’ensemble, étant donnée que chaque carte comporte dix-sept mots écrits, chacun dans une langue et dans une couleur différente). Le tout représente donc toutes les variantes du prisme de couleurs, la variété des graphies - trois alphabets sont présents (latin, cyrillique, arabe) - et donne une palette gaie et colorée de la diversité linguistique, de la diversité tout court. Au cours de ce travail, les élèves ont découvert les chiffres en entrant dans l’énumération : en effet,chaque objet photographié était quantifié : un tableau, deux pupitres, trois chaises, quatre règles… ainsi jusqu’à douze. Au final, tous les éléments assemblés ont donné lieu à un coffret qui contient : 12 cartes-mots comprenant 17 langues chacun, que l’on appareille à 12 cartes-images, des cartes d’activités, de jeux et d’observation, un CD en 17 langues, le tout assorti d’un livret pédagogique qui explique, pas à pas, comment utiliser l’imagier avec des activités spécifiques pour la classe et la famille, mais aussi pour la bibliothèque et même des activités plastiques et créatives. Il suffit de lire attentivement ce livret, d’observer les cartes et de se laisser guider puis inspirer. Une fois édité, tous les partenaires ont été réunis dans une grande fête interculturelle où chaque famille et participant a reçu son exemplaire. L’outil Depuis, l’imagier vit sa vie d’outil transitionnel entre école, famille et bibliothèque. Il a permis de relier école et famille à travers une réalisation commune, de relier différentes familles à travers leur participation respective, de relier la famille et la bibliothèque à travers les échanges autour des traductions, de relier l’école et la bibliothèque à travers les activités élaborées ensemble et grâce à la présence logique de l’imagier dans ces deux lieux. En intégrant les rayons de la bibliothèque, il intégre aussi une communauté élargie d’usagers. 4 A l’école, c’est un outil pour travailler l’éveil aux langues. Dès le début d’une année scolaire, les jeunes élèves découvrent leur environnement en le nommant. A travers les objets réel puis ceux représentés sur les cartes de l’imagier, ils peuvent associer les deux et les mettre en relation avec des objets similaires mais présents dans d’autres contextes (la chaise de l’école, celle de l’imagier, la chaise du salon ou le tabouret de la cuisine, etc.). Cet exercice vise à s’appropier le langage et ses différentes représentations, en français tout d’abord. Ensuite, grâce aux cartes-mots en 17 langues, on découvre comment ces mots sont dits traduits dans d’autres langues. Ensuite, on découvre les nombres, on compte: un tableau, deux pupitres, trois chaises… en français puis en espagnol, en italien et peut-être en anglais et en serbe. Si l’on veut savoir comment on prononce l’arabe, on écoutera la plage sonore correspondante sur le CD. On pourra demander à un parent de venir 30 mn en classe montrer comment se dessinent ou se forment quelques lettres d’arabe. Idem pour le chinois ou le russe. Les enfants sont passionnés par ces échanges et ne sont ni dans le jugement ni dans la différence. Ils observent, ils s’enthousiasment, ils retiennent. On entre progressivement dans la structure des langues : toujours en observant puis en découvrant. Tiens, il y a un “s” dans plusieurs langues lorsqu’il y a plus d’un objet! En somali, le “un se dit “kow” lorsqu’il est seul et il devient “hal” lorsqu’il est suivi d’un nom… Autant d’occasions de découvrir comment le monde est diversifié, riche, coloré, exotique, tout autant que les manières de le nommer. L’Imagier plurilingue permet cet émerveillement dans l’observation de la différence tout en entrant dans l’écrit en français et en d’autres langues. Les enfants ne confondent pas et chaque langue est traitée et rangée dans une zone différente du cerveau. Pour les enfants d’origine étrangère, cela leur permet de prendre appui sur leur langue maternelle à partir de laquelle ils vont élaborer une réflexion pour comprendre les autres langues. L’admission de leur langue dans les pratiques de la classe va aussi renforcer la confiance en eux. Leur langue sera mise au même plan que la langue de scolarisation, elle passera d’un statut de langue minotaire à un statut de langue proposée et exhibée. Leur estime personnelle en sera renforcée et bien souvent, leurs résultats scolaires aussi. Les élèves francophones monolingues auront développé des attitudes positives face aux autres langues et une attitude réflexive face à leur propre langue. Tous auront développé des capacités cognitives utiles à tous les apprentissages. Les activités créatrices dérivées Par le biais de ce travail, on inscrit aussi le livre au centre des activités. On créé un lien avec le monde de l’écrit qui renvoie au mode de classement et à l’existence des bibliothèques. L’Imagier 1, 2, 3 l’école propose des activités permettant de s’interroger sur la place d’un support dans une bibliothèque, qu’elle soit privée ou publique. Avec quel autre livre pourrait-on ranger notre imagier plurilingue ? Avec l’album d’Elmer, l’éléphant multicolore en raison de ces 17 couleurs? Ou avec les jeux de carte? Ou encore avec les livres de la même taille? Inclassable dans une bibliothèque classique ou dans une librairie, sauf au rayon “livres multilingues” ou “livres-CD”, cet imagier va trouver une place, grâce aux délibérations des enfants. Tout classement n’est-t-il pas arbitraire? Il suffit de justifier et d’imposer 5 une place pour que celle-ci prenne sens. Voilà un grand message auquel les enfants peuvent réfléchir et sur lequel ils peuvent s’appuyer. Il y a toujours une place pour chacun, malgré sa différence, qu’il parle la langue officielle, la langue standard ou une langue minoritaire, qu’il en parle deux, cinq ou une seule. L’imagier appartient tout d’abord à la famille des supports écrits ou audio, tout comme chaque enfant appartient d’abord à famille humaine avant d’appartenir à une culture, une communauté. L’imagier vise à faire découvrir les points communs entre les langues et s’ils sont parfois difficiles à identifier, il rappelle cet universel commun à toutes les langues : elles sont un médium pour s’exprimer (sortir de soi) et communiquer (être en relation)). Des activités plastiques et auditives sont aussi proposées dans l’imagier: on propose de photographier des lieux de la ville ou des objets où plusieurs langues sont présentes tels que les emballages des aliments, une signalétique bilingue, etc. On peut aussi enregistrer les langues entendues dans la rue, au supermarché, au parc public et développer son écoute paysagiste, acrroître ses capacités d’écoute. Un site internet spécifique a été créé par la Direction de l’instruction publique de Genève pour recueillir les reportages photo et audio et proposer une plateforme de documents et d’échange pour permettre à différentes classes de développer leur propre imagier à partir de la démarche proposée dans 1, 2, 3 l’école. Vous l’aurez compris, outre tous les bienfaits cognitifs liés à l’approche plurilingue, ce travail permet aussi d’ouvrir les enfants, dès le plus jeune âge à la diversité, pour qu’ils deviennent les citoyens acteurs et solidaires d’une société de plus en plus métissée, ouverte à la différence. Bibliographie 1, 2, 3 l’école. L’Imagier plurilingue. Porrentruy. Editions Migrilude. 2011. www.migrilude.com Castellotti, Véronique (2001), La langue maternelle en classe de langue étrangère. Paris. Clé international. Cummins. Jim (1986), Empowering Minority Students : A Framework for Intervention. Harvard Education Publishing group. Deschoux, Carole-Anne et Perregaux, Christiane (2011). « Et si la classe faisait circuler des écrits plurilingues au-delà d’elle-même ? » in Forum lecture. http://www.forumlecture.ch/myUploadData/files/2011_3_Deschoux_Perregaux.pdf Lhote, Elisabeth (2001), Enseigner l’oral en interaction. Paris. Hachette. 6