Les servitudes de passage le long ou vers le littoral doivent

Transcription

Les servitudes de passage le long ou vers le littoral doivent
CONTENTIEUX DE L’URBANISME
Les servitudes de passage le long
ou vers le littoral doivent-elles
être notifiées au propriétaire ?
Règles de procédure contentieuse spéciales n
Introduction de l’instance n Point de départ
du délai de recours n Arrêté instituant
ou modifiant une servitude transversale
de passage sur le littoral (art. L. 160-6 et
L. 160-6-1 du code de l’urbanisme) n Défaut
de notification au propriétaire concerné
n
Obstacle au déclenchement du délai
de recours n Existence : oui n Obstacle à
l’opposabilité n Existence n Non.
Résumé
➥➥Dès lors que l’article R. 160-22 du code de
l’urbanisme, qui régit les diverses modalités de
publicité de l’arrêté par lequel est instituée ou
modifiée la servitude de passage des piétons sur
le littoral ne le prévoit pas, il n’y a pas lieu de
notifier l’arrêté au propriétaire concerné. Si le
défaut de notification fait obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux, il est sans
effet sur l’opposabilité de la servitude.
CE (10/9 SSR) 4 février 2015, Commune de Sarzeau, req.
n° 366861 – M. Paris, Rapp. – Mme Bretonneau, Rapp.
public – SCP Lévis et SCP de Chaisemartin, Courjon, Av.
Décision qui sera mentionnée aux tables du Recueil Lebon.
Conclusions
Aurélie Bretonneau, rapporteur public
La commune de Sarzeau, située sur la presqu’île de
Rhuys dans le Morbihan, est de celles qui arborent, avec
65 km de côtes, l’un des plus longs littoraux de France.
Or, qui dit littoral dit, notamment, servitudes de passage
des piétons. C’est l’une de ces nombreuses servitudes
dont la commune est grevée qui la conduit devant vous
aujourd’hui. Le tribunal administratif de Rennes a en effet
annulé l’opposition du maire à une déclaration de travaux
en vue de l’édification d’une clôture sur le terrain d’une
propriété situé à moins de trois mètres du littoral. Le tribunal a estimé que la servitude de passage des piétons
dont est grevé ce terrain n’est pas opposable aux propriétaires, faute de leur avoir été notifiée. Vous devrez donc,
pour résoudre ce litige qui relève de la cassation directe,
décider si l’opposabilité aux propriétaires d’un terrain de
la servitude qui le grève est subordonnée à sa notification
à ces derniers.
La réponse affirmative qu’a apportée le tribunal administratif à cette question est le décalque d’une solution
adoptée par la cour administrative de Nantes dans une
128
décision Époux Reinton 1, qui juge que : « L’arrêté [préfectoral modifiant une servitude de passage des piétons]
n’est opposable aux propriétaires des terrains concernés
par le tracé modifié de la servitude et n’a, ainsi, pour effet
de faire courir le délai du recours contentieux à l’encontre
de ceux-ci, qu’à compter de la date à laquelle il leur est
notifié. » Cette solution a fait des émules dans le présent
litige puisque le tribunal de grande instance de Rennes
l’a reprise mots pour mots pour relaxer le propriétaire du
terrain en cause du chef de poursuite de modification de
l’état des lieux d’un terrain affecté par une servitude de
nature à faire obstacle au passage des piétons.
Publicité de la servitude
C’est fâcheux, car nous estimons pour notre part que
cette solution est entachée d’erreur de droit.
1
CAA Nantes 30 décembre 1996 : aux Tables.
bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme
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CONTENTIEUX DE L’URBANISME
Les servitudes de passage des piétons sur la bande
des trois mètres visent à garantir le principe de l’usage
libre et gratuit du littoral par le public, consacré par la
jurisprudence dès le xixe siècle 2 et codifié, dans sa formulation issue de la loi Littoral, à l’article L. 321-9 du code
de l’environnement 3,4.
Ces servitudes sont aujourd’hui régies par les
articles L. 160-6 et suivants du code de l’urbanisme 5. Le
code distingue les servitudes longitudinales, qui sont des
servitudes légales instaurées de plein droit, mais dont le
tracé peut être modifié pour contourner des obstacles, et
les servitudes transversales, qui peuvent être instaurées
au cas par cas dans le but de permettre aux piétons de
rejoindre les servitudes longitudinales, et suivent pour l’essentiel le même régime que ces dernières. L’article R. 16022 du même code prévoit que la décision approuvant les
servitudes ou la modification de leur tracé fait l’objet d’une
publication, lorsqu’il s’agit d’un décret, au Journal officiel
de la République française, et lorsqu’il s’agit comme en
l’espèce d’un arrêté préfectoral, au Recueil des actes administratifs. Une copie de l’acte est également déposée à la
mairie des communes concernées, et avis de ce dépôt est
donné par affichage en mairie pendant un mois. Une mention de l’acte est insérée dans deux journaux régionaux ou
locaux. Enfin, l’acte fait l’objet de la publication prévue au 2°
de l’article 36 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, c’est-àdire au service chargé de la publicité foncière de la situation
des immeubles.
Et comme si toutes ces mesures de publicité ponctuelles
ne suffisaient pas, l’article R. 126-1 du code de l’urbanisme fait figurer les servitudes de passage sur le littoral
au nombre des servitudes d’utilité publique qui doivent,
en vertu de l’article L. 126-1, être annexées au plan local
d’urbanisme (PLU) ou, depuis 2014, à la carte communale.
compter, soit de l’approbation du plan […] soit, s’il s’agit
d’une servitude nouvelle, de son institution, seules les servitudes annexées au plan […] peuvent être opposées aux
demandes d’autorisation d’occupation du sol. » Il s’agit
donc bien d’une condition d’opposabilité 6.
Pour ce qui est de la publication au service chargé de
la publicité foncière, vous avez jugé, par une décision
Ministre de l’Équipement c/ Mlle de Taisne 7, qu’elle avait
pour seul objet l’information des usagers et n’était pas
une condition d’opposabilité de la servitude. Vous en
avez déduit, par ce qui nous semble être un raccourci
logique, qu’elle était sans incidence sur le déclenchement du délai de recours contentieux à l’encontre des
propriétaires.
Pour ce qui est des autres mesures de publicité, il
se déduit de la logique et des motifs de votre décision
Ministre de l’Équipement c/ Mlle de Taisne qu’elles conditionnent bien, pour leur part, l’opposabilité de la servitude à l’égard des tiers – cette opposabilité devenant en
quelque sorte caduque pour ce qui est des demandes
d’occupation du sol en l’absence, par ailleurs, de mention annexée au PLU dans un délai d’un an 8. C’est
d’ailleurs logique, dès lors que vous avez jugé, par une
décision Époux Burguin 9, inédite et curieusement introuvable sur Ariane, que les arrêtés définissant le tracé
des servitudes légales de passage des piétons étaient
des décisions d’espèce 10,11. Or les décisions d’espèce
suivent, s’agissant de leur opposabilité, le même régime
que les décisions réglementaires, c’est-à-dire qu’elle est
effective dès lors que sont satisfaites les formalités de
publication.
Ces mesures de publicité sont également, en l’état de
votre jurisprudence, de nature à déclencher le délai de
recours contentieux à l’encontre des servitudes de passage des piétons, y compris à l’égard des propriétaires 12.
Opposabilité des servitudes
Encore faut-il préciser l’objet de ces nombreuses
mesures de publicité et les effets qui s’attachent à leur
non-réalisation.
Pour ce qui est de la mise en annexe du PLU, la loi ellemême prévoit qu’« après l’expiration d’un délai d’un an à
CE 19 mai 1858, Vernes : Rec., p. 399.
« L’accès des piétons aux plages est libre sauf si des motifs justifiés
par des raisons de sécurité, de défense nationale ou de protection de
l’environnement nécessitent des dispositions particulières. / L’usage
libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des
plages au même titre que leur affectation aux activités de pêche et de
cultures marines. […]. »
4
Voir l’article du président Genevois, « La servitude de passage des
piétons sur le littoral », AJDA 1978, p. 628.
5
Elles ont été initialement instaurées par la loi n° 76-1286 du
31 décembre 1976 portant réforme de l’urbanisme.
2
3
bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme
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Voir aussi CE 3 novembre 1982, Syndicat des propriétaires de PortDun : Rec., T., p. 776 sur un autre point ; CE 9 mars 1990, Stockhausen et Trudelle : Rec., T., p. 1034.
7
CE 29 janvier 1988, req. n° 65688 : aux Tables.
8
En ce sens : CE 19 novembre 2010, Ministre d’État, ministre de
l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en
charge des technologies vertes et des négociations sur le climat
c/ M. et Mme Herpe, req. n° 331640, inédite et rendue au surplus en
cassation de référé ainsi que les conclusions du président Massot
sur CE 14 janvier 1987, Syndicat intercommunal de Honfleur et de sa
région, req. n° 45214 : aux Tables.
9
CE 30 octobre 1992, req. n° 95979.
10
La décision affirme, d’une part, qu’il ne s’agit pas de décisions
réglementaires, et d’autre part, que la publication suffit à déclencher
le délai de recours contentieux, ce qui implique nécessairement qu’il
ne s’agisse pas d’une décision individuelle.
11
Voir également, pour le même caractère reconnu à un arrêté ministériel modifiant un POS en ce qui concerne l’emprise d’une servitude
non aedificandi, CE 22 juillet 1977, Ligen, req. n° 97341 : aux Tables.
12
Ministre de l’Équipement c/ Mlle de Taisne, préc., qui juge que l’absence d’affichage en mairie a empêché le délai de courir à l’égard
des propriétaires.
129
CONTENTIEUX DE L’URBANISME
Situation du propriétaire
Reste à savoir s’il faut aller plus loin, s’agissant des
seuls propriétaires du terrain grevé de la servitude et
inventer, pour eux, une exigence de notification qui ne
figure pas dans les textes, pourtant déjà bien fournis.
Plaide en ce sens le caractère assez lourdement asservissant, comme son nom l’indique, de la servitude de
passage des piétons. Cette dernière, qu’on range généralement dans la catégorie des servitudes dites in patiendo
ou passives, impose au propriétaire, en vertu de l’article R. 160-25 du code de l’urbanisme, trois obligations :
obligation de laisser aux piétons le droit de passage (a),
obligation de n’apporter à l’état des lieux aucune modification de nature à faire, même provisoirement, obstacle
à ce libre passage, sauf autorisation préalable accordée
par le préfet, pour une durée de six mois au maximum (b)
et obligation de laisser l’administration établir la signalisation et effectuer les travaux nécessaires (c). En l’espèce,
c’est la deuxième obligation qu’a enfreinte le propriétaire
en prenant l’initiative, alors que l’achat de nouvelles parcelles faisait que la servitude tombait désormais au milieu
de sa propriété, d’édifier une clôture autour de cette dernière pour faire obstacle au passage des piétons. La violation des obligations mises à la charge du propriétaire
est constitutive, en vertu de l’article R. 160-33 du même
code, d’une contravention de 5e classe, ce qui explique
l’instance ouverte contre notre propriétaire devant le tribunal de grande instance. La servitude emporte donc,
pour le propriétaire, un double inconvénient : d’une part,
elle limite la jouissance qu’il a de son bien et, de ce fait,
porte atteinte à son droit de propriété ; d’autre part, elle
l’expose, en cas de méconnaissance, à des sanctions
pénales.
Dans ces conditions, nous admettons qu’il puisse y
avoir quelque chose de choquant à admettre que la servitude emporte tous ses effets à l’encontre du propriétaire
alors même qu’il n’est pas personnellement informé soit
de sa modification, soit même de son institution, dans le
cas d’une servitude transversale. La solution de la cour
administrative de Nantes, reprise par le tribunal administratif en l’espèce, procède vraisemblablement de telles
considérations.
Absence de notification
Toutefois, de nombreuses considérations nous semblent
plaider pour ne pas soumettre l’opposabilité aux propriétaires à une formalité de notification non prévue par les
textes.
D’une part, une telle façon de faire ferait désordre dans
le régime général d’opposabilité des décisions d’espèce,
130
dont nous avons vu qu’il s’alignait normalement sur celui
des décisions réglementaires. Une telle considération,
d’ordre quasiment esthétique, ne saurait à elle seule vous
retenir, mais peut vous inciter à la circonspection.
D’autre part, elle créerait une asymétrie, en termes d’opposabilité des servitudes, entre les propriétaires d’une
part et, d’autre part, l’ensemble des autres personnes,
pour lesquelles l’infraction à l’article R. 160-26 du code
de l’urbanisme (« La servitude entraîne, pour toute personne qui emprunte le passage, l’obligation de n’utiliser
celui-ci que conformément aux fins définies par [la loi] »)
constitue une contravention de 5e classe également. Là
encore, l’argument n’est pas dirimant, puisque pour ces
tiers, l’atteinte au droit de propriété n’est en revanche pas
constituée.
Plus gênant, il existe bien des cas où des décisions
d’urbanisme affectent le droit de propriété sans qu’une
notification à ses titulaires soit exigée. C’est le cas par
exemple lorsqu’un PLU classe un terrain en zone inconstructible, sans qu’une notification au propriétaire soit
nécessaire pour le lui rendre opposable. Il est vrai que
les inconvénients de l’absence de publicité ciblée sur
les propriétaires est compensée par l’information qu’ils
reçoivent dans le cadre de la procédure d’élaboration
du PLU. Mais on voit alors mal pourquoi les servitudes
de passage, dont l’institution (s’agissant des servitudes
transversales) et les modifications sont soumises à
enquête publique permettant aux propriétaires de faire
valoir leurs observations (ce qui est d’ailleurs une condition de leur constitutionnalité : Cons. const. 14 octobre
2011, Tarassi, décision n° 2011-182 QPC), entraîneraient
à cet égard un régime particulier, et l’on est pris de vertige
à l’idée d’une généralisation de l’exigence de notification.
Dans un autre ordre d’idée, le statut des servitudes et
leur finalité même n’incitent pas à fragiliser outre mesure
leur portée. Nous l’avons dit, les servitudes de passage
des piétons visent à garantir le principe de l’usage libre
et gratuit du littoral par le public. Ce motif d’intérêt général, qui justifie que des limitations, sans dépossession,
au droit de propriété soient apportées par le législateur,
explique que les servitudes longitudinales ont un caractère d’ordre public et existent sans procédure préalable
du fait même de la loi. La Cour de cassation a d’ailleurs
également précisé que les servitudes imposées par l’autorité administrative dans un but d’intérêt général ont un
caractère d’ordre public 13. Elles ne constituent donc pas
une cible évidente pour une dérogation aux règles habituelles d’opposabilité.
Cass civ. (3e ch.) 26 avril 1978, n° 76-14-254 : Bull. civ. III, n° 163 ;
Cass civ. (3e ch.) 3 février 1982, n° 80-14.632 : Bull. civ. III n° 36 ; cités
au point 10 de l’étude servitudes administratives du Elnet construction et urbanisme.
13
bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme
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CONTENTIEUX DE L’URBANISME
Surtout, le législateur a prévu, s’agissant au moins
des demandes d’autorisation d’occupation du sol sollicitées plus d’un an avant le fait générateur de l’obligation d’annexion au PLU, les conditions d’opposabilité des
servitudes sans distinguer le cas particulier des propriétaires. Ce faisant, il nous semble avoir épuisé le sujet et il
nous est difficile d’admettre qu’on puisse, au moins dans
le champ de l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme,
instaurer par voie prétorienne un verrou à l’opposabilité
sans heurter la volonté du législateur. 14. Quant à la possibilité de juger que l’article L. 126-1 ne régit intégralement
les conditions d’opposabilité des servitudes que s’agissant des demandes d’autorisation d’occupation du sol et
qu’il faudrait, pour le reste, estimer que la servitude n’est
opposable aux autres comportements du propriétaire
qu’à condition de notification préalable, elle nous semble
théoriquement envisageable, mais difficile à manier en
pratique.
Nous sommes donc d’avis que le tribunal administratif
a, en subordonnant l’opposabilité aux propriétaires à la
notification, commis une erreur de droit, ce qui revient à
infirmer la jurisprudence Époux Reinton de la cour administrative d’appel de Nantes.
Délai de recours
Nous serions en revanche favorable, afin d’assurer
l’équilibre du dispositif au regard notamment du droit de
propriété, d’estimer, contrairement à ce que juge votre
décision Ministre de l’Équipement c/ Mlle de Taisne précitée, que seule une notification au propriétaire des décisions instaurant ou modifiant une servitude grevant son
terrain fait courir à son encontre le délai de recours contre
cette servitude.
Nous l’avons vu, les servitudes constituent une limitation au droit de propriété, et sont justiciables à ce titre
de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen. Elles relèvent également du second alinéa de l’article 1er du Premier protocole additionnel à la
Convention européenne des droits de l’homme et des
libertés fondamentales 15. Or les jurisprudences constitutionnelle et européenne imposent qu’une personne dont
le droit de propriété est affecté dispose d’une voie de
14
C’est plutôt la position que semble avoir retenue la Cour de cassation en jugeant que les juges d’appel ne pouvaient opposer aux
propriétaires d’un terrain une servitude qui le grève sans rechercher si elle était annexée au POS [Cass civ. (3e ch.) 17 février 1993,
n° 90-19.364, n° 307 P ; cités au point 9 de l’étude servitudes administratives du Elnet construction et urbanisme].
15
Tandis que le contrôle de l’atteinte à la substance du droit de propriété est opéré sur le fondement de la première phrase du premier
alinéa.
bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme
– 2/2015 recours effective. C’est à ce titre que la Cour européenne
des droits de l’homme a condamné, par un arrêt Geouffre
de la Pradelle c/ France, la solution de forclusion opposée au recours d’un propriétaire contre une déclaration
d’utilité publique (DUP) qui ne lui avait pas été individuellement notifiée 16.
À cet égard, ce qui nous inquiète s’agissant des servitudes de passage n’est pas tant la question du délai de
recours direct du propriétaire à compter de la publication
que la combinaison de la brièveté de ce délai avec l’impossibilité qui en découle, s’agissant d’actes dépourvus
de caractère réglementaire, d’exciper de l’illégalité de la
servitude après son expiration. Cet inconvénient n’existe
pas pour les DUP, car même si nous avons confirmé,
après l’arrêt Geouffre de la Pradelle, que la simple publication d’une DUP déclenche le délai de recours pour les
propriétaires intéressés, nous n’avons pas manqué de
relever, pour juger ce dispositif conforme à l’article 6º1 de
la Convention européenne des droits de l’homme, « que
la déclaration peut être contestée via un arrêté de cessibilité » qui doit, aux termes du code de l’expropriation,
« être notifié individuellement à chaque propriétaire » 17,18.
Et quel que soit le délai de notification de l’arrêté de
cessibilité, l’exception d’illégalité de la DUP fonctionne
toujours, puisqu’elle forme avec l’arrêté de cessibilité
une opération complexe. Dans le même registre, le nouvel article R. 223-3 du code de l’expropriation, dans sa
version issue du décret n° 2014-1635 du 26 décembre
2014, prévoit que le délai pour faire valoir qu’une ordonnance d’expropriation est dépourvue de base légale pour
cause d’annulation de la DUP ou de l’arrêté de cessibilité ne court qu’à compter de la notification au propriétaire de cette annulation. Aucune cession de rattrapage
de ce type n’existe en revanche pour les servitudes, au
demeurant incommensurablement plus facile à notifier au
propriétaire du terrain qu’une DUP à l’ensemble des propriétaires intéressés.
C’est pourquoi, même si la solution que nous envisageons n’est pas usuelle en matière de décisions qui ne sont
ni individuelles ni réglementaires 19 et alors qu’elle aurait
vocation à s’étendre à l’ensemble des servitudes dont un
terrain privé peut être grevé, elle nous semble nécessaire à
l’équilibre du dispositif au regard du droit au recours effectif.
16
CEDH 16 décembre 1992, Geouffre de la Pradelle : AJDA 1993,
p. 110 note Flauss ; Dalloz-Sirey 1993, p. 561, note F. Benoit-­
Rohmer ; JCP 93, n° 3670, p. 171, note E. Picard ; LPA 25 juin 1993,
n° 76-25, note G. Gonzalez.
17
Voir aussi, pour une interprétation souple du délai ouvert au propriétaire pour demander une indemnité réparant un dommage causé
par la servitude de passage des piétons, CE 30 septembre 2011,
Mme Lenoël, req. n° 336664 : aux Tables.
18
CE 9 février 2000, Chevaliers et autres, req. n° 198413.
19
Voir l’abondante jurisprudence mobilisée par le président Martin
Laprade dans ses conclusions sur la décision Chevaliers et autres
citée infra.
131
CONTENTIEUX DE L’URBANISME
Que vous estimiez ou non opportun de trancher ce
point, qui n’est pas strictement nécessaire à la solution
du litige, il vous faut censurer l’erreur de droit du tribunal
sur les conditions d’opposabilité de la servitude. Nous
vous invitons donc à annuler son jugement et à lui renvoyer l’affaire. Dès lors qu’il ressort des pièces du dossier que la servitude en cause était bien annexée au PLU,
cette question devrait s’y résoudre sur le fondement de
l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme, la déclaration
de travaux semblant devoir se lire comme une demande
d’autorisation d’occupation du sol au sens particulier de
cet article 20.
Nous vous invitons également à mettre la somme
de 3 000 € que demande la commune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative à la charge
du défendeur, et à rejeter les conclusions présentées par
ce dernier sur le même fondement.
Si vous ne nous suiviez pas, vous écarteriez sans difficulté les trois autres moyens du pourvoi. Le premier
traite également de clôture, mais de l’instruction, dont le
report, refusé, aurait été nécessaire à la commune pour
répondre à un mémoire du 8 décembre 2012 contenant
des moyens nouveaux : mais le délai de six jours francs
laissé a été suffisant. Le deuxième moyen invoque une
méconnaissance du principe du caractère contradictoire
de la procédure, au motif que le rapporteur public n’a
pas abordé dans ses conclusions l’un des deux moyens
nouveaux, mais le prononcé des conclusions n’est pas
soumis au principe du caractère contradictoire de la
procédure, qui ne peut donc être utilement invoqué 21.
Le troisième moyen est tiré du défaut de visa des deux
moyens nouveaux, mais il manque en fait.
20
Voir, mutatis mutandis, CE 5 avril 2006, Gaillard, n° 264269 : aux
Tables, et surtout la logique de l’article L. 126-1.
21
CE S. 21 juin 2013, Communauté d’agglomération du pays de Martigues, req. n° 352427 : Rec., p. 167.
Par ces motifs, nous concluons :
–– à la cassation,
–– au renvoi au tribunal administratif de Rennes,
–– 3 000 € à la charge de M. Le Couviour,
–– au rejet des conclusions L. 761-1 de ce dernier. n
Décision
[…]
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire,
enregistrés les 15 mars 2013 et 17 juin 2013 au secrétariat
du contentieux du Conseil d’État, présentés pour la commune de Sarzeau, représentée par son maire ; la commune
de Sarzeau demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler le jugement n° 1002813 du 15 janvier 2013
par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé
pour excès de pouvoir l’arrêté du 2 juin 2010 par lequel le
maire de Sarzeau s’est opposé à la déclaration préalable de
M. Philippe Le Couviour ;
2°) de mettre à la charge de M. Le Couviour la somme de
3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
[…]
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux
juges du fond que M. Le Couviour, propriétaire sur la commune
de Sarzeau (Morbihan), a déposé une déclaration préalable
en vue de régulariser l’édification d’une clôture en limite de sa
propriété ; que, par un arrêté du 2 juin 2010, la commune s’est
opposée à ce projet au motif qu’il méconnaissait la servitude
de passage des piétons approuvé par l’arrêté préfectoral du
19 février 2001, pris sur le fondement des articles L. 160-6 à
L. 160-8 du code de l’urbanisme ; que la commune de Sarzeau
se pourvoit en cassation contre le jugement du 15 janvier 2013
par lequel le tribunal administratif de Rennes a fait droit à la
132
requête de M. Le Couviour tendant à obtenir l’annulation pour
excès de pouvoir de l’arrêté du 2 juin 2010 ;
2. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 160-6 du code de l’urbanisme : « Les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur
une bande de trois mètres de largeur d’une servitude destinée
à assurer exclusivement le passage des piétons. » ; qu’aux
termes du premier alinéa de l’article L. 160-6-1 du même code :
« Une servitude de passage des piétons, transversale au rivage
peut être instituée sur les voies et chemins privés d’usage
collectif existants, à l’exception de ceux réservés à un usage
professionnel selon la procédure prévue au deuxième alinéa
de l’article L. 160-6. » ; que l’autorité administrative peut, par
décision motivée prise après avis du ou des conseils municipaux intéressés et au vu du résultat d’une enquête publique,
modifier le tracé de la servitude prévue à l’article L. 160-6 du
code précité ou la suspendre et instituer ou modifier la servitude prévue à l’article L. 160-6-1 de ce code ; qu’en l’absence
d’opposition des communes intéressées, cette décision revêt
la forme d’un arrêté du préfet ; que l’article R. 160-22 du code
de l’urbanisme prévoit que l’acte d’approbation du tracé et des
caractéristiques d’une servitude : « […] fait l’objet / : […] b)
d’une publication au recueil des actes administratifs de la ou
des préfectures intéressées, s’il s’agit d’un arrêté préfectoral.
/ Une copie de cet acte est déposée à la mairie de chacune
des communes concernées. Avis de ce dépôt est donné par
affichage à la mairie pendant un mois. Mention de cet acte est
bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme
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CONTENTIEUX DE L’URBANISME
insérée en caractères apparents dans deux journaux régionaux
ou locaux diffusés dans le ou les départements concernés » ;
que si ce même article précise, dans son dernier alinéa, que
« cet acte fait en outre l’objet de la publicité prévue au 2° de
l’article 36 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 », cette obligation faite à l’administration, dans l’intérêt de l’information des
usagers, de publier au service chargé de la publicité foncière
les décisions relatives à une servitude de passage n’est pas
une condition de l’opposabilité de ces décisions, qui est subordonnée au seul respect des autres mesures de publicité qu’il
prescrit ; que, dès lors qu’aucune autre disposition, ni aucun
principe n’impose à l’autorité administrative de notifier au propriétaire concerné l’arrêté par lequel elle institue ou modifie une
des servitudes prévues aux articles L. 160-6 et L. 160-6-1 du
code de l’urbanisme, le défaut de notification individuelle d’un
tel arrêté, s’il est de nature à faire obstacle au déclenchement
du délai de recours contentieux à l’égard de ce propriétaire,
est sans effet sur son opposabilité ; qu’il suit de là que le tribunal administratif de Rennes qui, contrairement à ce qui est
soutenu, n’était pas lié, sur ce point, par le jugement rendu par
le tribunal correctionnel de Vannes le 15 janvier 2013 sur les
poursuites engagées contre M. le Couviour pour n’avoir pas
respecté les règle applicables en matière de servitudes, a entaché son jugement d’erreur de droit en estimant que l’arrêté
préfectoral du 19 février 2001 ne pouvait servir de fondement
à l’arrêté du 2 juin 2010 dès lors qu’il n’était pas opposable
à M. Le Couviour, en l’absence de notification individuelle et
alors même qu’il n’était pas contesté qu’il avait fait l’objet des
mesures de publicité prévues par l’article R. 160-22 précité ;
3. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il
soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, la
commune de Sarzeau est fondée à demander l’annulation du
jugement du tribunal administratif de Rennes ;
4. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. Le Couviour le versement
de la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code
de justice administrative ; qu’en revanche, les dispositions de
cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de la
commune, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée au même titre par M. Le Couviour ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 15 janvier 2013 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Rennes.
Article 3 : M. Le Couviour versera à la commune de Sarzeau
la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de
justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de M. Le Couviour au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
sont rejetées. […] n
Observations
L’institution d’une servitude de passage le long ou
vers le littoral (art. L. 160-6 et L. 160-6-1 du code
de l’urbanisme) constitue une limite particulièrement sensible à l’exercice du droit de propriété.
C’est pourquoi elle est entourée des conditions
légales qui permettent de la rendre compatible
avec ce droit, notamment l’obligation d’une enquête publique lorsque le tracé de la servitude de
passage le long du domaine public est modifié, ou
lorsqu’est établie une servitude transversale au
littoral.
cessairement la notification de la servitude au propriétaire, mais ce point se déduit assez aisément
du dispositif légal mis en place, et notamment de
l’intervention de l’enquête publique, obligatoire
pour les servitudes transversales et la modification du tracé des servitudes longitudinales.
En revanche, ni ces dispositions législatives ni les
dispositions réglementaires prises pour leur application ne prévoient la notification aux propriétaires
concernés, en plus des diverses voies de publicité.
Mais la décision, suivant la proposition du rapporteur public, innove en jugeant que le défaut
de notification individuelle de l’arrêté instituant la
servitude fait obstacle au déclenchement du délai
de recours contentieux à l’égard du propriétaire.
C’est une solution originale s’agissant d’une décision ni individuelle ni réglementaire, dont le statut
contentieux suit généralement celui des décisions
réglementaires.
De prime abord, ce dispositif peut paraître un peu
brutal.
Mais on ne peut être que sensible à l’idée de ménager le droit au recours du propriétaire. n
C’est pourquoi la décision commentée retient un
parti original qui paraît équilibré.
X. D. L.
Elle en reste strictement au texte, s’agissant de
l’opposabilité de la servitude. Cela revient à considérer que le droit de propriété n’impose pas nébulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme
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