Faut-il opposer le juge de l`assistance éducative au juge répressif ?

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Faut-il opposer le juge de l`assistance éducative au juge répressif ?
Justice des mineurs
Faut-il opposer le juge de l'assistance
éducative au juge répressif ?
par Philippe Desloges*
Actuellement, plusieurs suggestions sont émises autour d'une énième réforme de
l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Parmi celles-ci, il en
existe une qui propose d'opposer le juge de l'assistance éducative au juge pénal pour les
mineurs.
Imposer cette opposition nous ferait revenir à une très vieille époque et ne serait pas
opportun. Rappelons qu'avant 1912, il n'existait pas de véritable protection judiciaire de la
jeunesse. L'enfance délinquante était opposée à l'enfance abandonnée (du ressort de
l'assistance publique). Nous avons alors connu une très grande sévérité à l'égard des
mineurs (majorité à 16 ans à partir de 1810, maisons de correction pour les enfants
reconnus coupables et étant sans famille, etc.).
Personne ne voudrait plus aujourd'hui de cette sévérité qui se traduisaient dans des
pratiques éducatives fort contestables au sein de certains établissements (ex : colonies
agricoles, colonies pénitentiaires...) qui ont dû fermer leurs portes...
Il a fallu attendre 1958 pour que le juge
des enfants intervienne également dans
le domaine de l'assistance éducative.
Auparavant, il n'était pas rare de «profiter» d'un délit pour permettre au tribunal pour enfants (datant de 1912) puis
au juge des enfants (1945) de prononcer un suivi (ex : une liberté surveillée)
auprès de la famille.
- la première fonction (aide) est intimement liée à la seconde (répression) et
permet précisément au magistrat de
connaître en profondeur et globalement des problèmes de l'enfance. Vouloir un juge spécialisé dans les questions de la jeunesse et lui ôter un pan
important de ses difficultés est un non
sens;
Toute l'évolution de la justice des mineurs, et sa force, a consisté notamment
à spécialiser un magistrat autour des
questions de la jeunesse et à assurer la
continuité de l'action du juge des enfants.
Ce magistrat cumule les fonctions de
juge de l'assistance éducative, de juge
d'instruction, de juge au tribunal pour
enfants ou en cabinet, de juge de l'application des peines. La proposition ne
vise pas à supprimer le juge de l'assistance éducative (même si cela est ponctuellement évoqué par certains avec
l'idée de confier l'enfance en danger aux
départements).
- par ailleurs, un enfant suivi en assistance éducative peut être demain
l'auteur d'un délit. Le juge, pour prononcer une peine, doit connaître (la
loi l'impose) la personnalité de l'enfant, son environnement et ses conditions de vie. Qui connaît mieux le
mineur sinon le juge des enfants qui
le suit déjà ?
Vise-t-elle à encore plus spécialiser le
juge des enfants ? L'un s'occuperait en
effet de l'assistance éducative, l'autre de
la répression des actes illégaux commis
par les mineurs. Non, elle revient au
contraire à «déspécialiser» la fonction
même de juge des enfants :
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À partir d'un exemple
parmi cent autres
David (15 ans) est mis en examen pour
des attouchements sexuels sur sa sœur.
Parallèlement, et à juste titre, le parquet
saisit le juge des enfants d'une requête
en assistance éducative en raison des
faits incestueux au sein de la famille. Le
juge des enfants entend chaque membre
de la famille et s'aperçoit d'un dysfonc*
Juge des enfants à Laval (Mayenne).
JDJ-RAJS n°266 - juin 2007
tionnement général dans la famille remontant à plusieurs générations. Est-ce
cela dont on veut priver le «juge pénal»
siégeant au tribunal pour enfants ?
On sous-entendrait, par cette proposition, que le juge serait moins sévère
parce qu'il aide parallèlement la famille
en assistance éducative ? C'est méconnaître le travail et les missions des juges
des enfants dans ces domaines que constituent pour eux le civil et le pénal :
- l'ordonnance du 2 février 1945, relative à l'enfance délinquante, demande
expressément aux juges des enfants
d'être moins sévères envers les mineurs qu'avec les majeurs (absence de
peine avant 13 ans, excuse de minorité obligatoire avant 16 ans, excuse
de minorité possible entre 16 et 18 ans,
primauté des mesures éducatives sur
les sanctions pénales...);
- tous les délinquants n'ont pas (et on
peut le regretter) fait l'objet d'un suivi
en assistance éducative. En conséquence le manque de sévérité dénoncé
doit être recherché ailleurs (faits peutêtre très anciens, faits peu graves, réparation effectuée par le mineur luimême avec un éducateur, etc.);
Redire qu'un mineur peut être immédiatement
présenté à un juge des enfants
- un suivi en assistance éducative n'empêche nullement la sévérité du tribunal. Au contraire il informe et éclaire
parfaitement la juridiction qui doit
juger le mineur sur son comportement
passé, son évolution, etc. Un vol n'est
pas égal à un autre vol. Le tribunal
cherche à connaître la personnalité de
l'enfant et à adapter la mesure ou la
peine. Il pourra donc être plus sévère
s'il constate une dérive générale chez
le mineur ou la répétition de faits délictueux.
- il n'est pas rare enfin pour les juges
des enfants de «basculer», lorsque
cela devient nécessaire, de l'assistance
éducative à l'ordonnance du 2 février
1945, c'est-à-dire de mettre fin à une
mesure d'assistance éducative (devenue insuffisante pour remédier au
comportement du mineur) pour intervenir exclusivement au pénal et ordonner des mesures coercitives. Le
juge devient juste juge pénal, à cette
réserve près qu'il a la connaissance
passée de la situation.
Un manque de sévérité ?
Alors, s'il n'y a pas «mauvais lien» entre l'assistance éducative et le pénal, c'est
donc peut-être que les juges des enfants
sont, par nature, laxistes ou que les textes sont inadaptés pour réprimer la jeunesse d'aujourd'hui ?
Il est regrettable d'entendre ponctuellement ces critiques qui se révèlent fausses au regard des faits et des textes en
vigueur :
- les faits : les peines d'emprisonnement
à l'égard des mineurs n'ont cessé de croître depuis des années pour atteindre en
2002 plus de 8.000 décisions d'emprisonnement ferme. Tout le monde s'en est,
à juste titre, inquiété. Le législateur, dans
l'annexe de sa loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, précise ainsi : «Il
est ainsi nécessaire d'adapter l'ordonnance du 2 février 1945 aux nouvelles
caractéristiques de cette délinquance
dans le respect de ses principes directeurs, à savoir la spécialisation des magistrats et la primauté de l'action éducative, en diversifiant les sanctions éducatives ..., en permettant aux magistrats
de la jeunesse de placer les mineurs délinquants... dans des centres éducatifs
fermés».
Aujourd'hui, les peines d'emprisonnement prononcées par les tribunaux pour
enfants diminuent (6.204 en 2005, soit
une baisse de 6,4% par rapport à 2004 source : les chiffres clés de la Justice).
Les tribunaux ne sont pas devenus subitement moins sévères. Cette baisse, dont
on doit se réjouir (compte tenu des conditions d'incarcération qui sont parfois
difficiles), illustre des alternatives trouvées par les juridictions pour sanctionner autrement, c'est-à-dire sanctionner
efficacement mais différemment.
La prison est un échec, surtout quand
elle concerne un mineur. Mais, elle devient une ultime étape inévitable lorsque les mesures éducatives ont été vaines, lorsque les autres peines ne sont plus
adaptées et ne peuvent plus permettre de
stopper la dérive délinquante du mineur.
Ne laissons pas croire à nos concitoyens
que les mineurs bénéficient d'une impunité intolérable lorsque l'on connaît le
taux de réponse des parquets aux actes
de délinquance commis par les mineurs
(85,5% en 2005 contre 77,9% pour les
majeurs) et les condamnations prononcées par les juges des enfants ou les tribunaux pour enfants; les mineurs ne bénéficient pas d'une impunité... ils bénéficient d'une justice adaptée.
- les textes : les juges des enfants n'ont
sûrement pas le sentiment d'utiliser des
textes obsolètes qui auraient été faits
pour les enfants de 1945. Les dispositions de l'ordonnance du 2 février 1945
ont beaucoup évolué. Rappelons pour
exemples la création des COPJ (convocations par officiers de police judiciaire)
et la comparution à délai rapproché en
1996, le jugement à délai rapproché en
2002, les renvois obligatoires devant le
tribunal pour enfants pour les plus de 16
ans pour certaines infractions, etc.
La sévérité est présente dans les textes
et peut être utilisée à chaque instant lorsqu'elle est nécessaire. Il faut ainsi redire
qu'un mineur peut être immédiatement
présenté à un juge des enfants par le procureur de la République et même placé
en détention provisoire, dans certains
cas, par décision de ce même magistrat
JDJ-RAJS n°266 - juin 2007
(ce qui est totalement inédit depuis la
création des juges de la liberté et de la
détention). Alors, pourquoi dit-on à nos
concitoyens qu'il faut réformer les textes et permettre une comparution immédiate pour les mineurs devant le juge des
enfants ?
La justice des mineurs, pour être efficace, doit savoir utiliser le temps pour
juger de façon adaptée les mineurs. Parfois, il est essentiel de laisser du temps
au jeune pour lui permettre, avec l'aide
d'éducateurs, de changer (sans toutefois
faire intervenir le jugement des années
après). Parfois, il est important de diminuer le délai pour sanctionner rapidement.
C'est cette mission qui est assignée aux
parquet et aux magistrats, avec le concours direct de la protection judiciaire
de la jeunesse et des associations : sanctionner intelligemment le mineur en
fonction de son acte à un instant T mais
également et surtout de ses perspectives
d'évolution.
Pour conclure
Il faut redire, puisque certains en doutent, que les missions essentielles des
juges des enfants ne peuvent reposer que
sur cette double mission qui est la leur
depuis 1945 et 1958 : l'assistance éducative et l'enfance délinquante. Vouloir
opposer ces deux missions serait une
grave erreur qui ne résoudrait en rien la
délinquance des jeunes. Cette proposition visant à «déspécialiser» les fonctions de juge des enfants nous détourne,
en fait, des vrais problèmes posés par
«l'enfance délinquante». Quels sont les
moyens dont dispose la justice pour être
efficace lorsque certains magistrats ordonnent des mesures de suivi mises en
attente par les services ? Les places dans
les établissements sont-elles suffisantes
lorsque l'on connaît, sur le terrain, la difficulté pour trouver une solution de placement (en foyer classique, en centre
éducatif renforcé ou en centre éducatif
fermé), etc. ?
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