Intervention O. LE BERTRE Commissaire aux comptes 10 12 2010

Transcription

Intervention O. LE BERTRE Commissaire aux comptes 10 12 2010
Intervention à la Cour d’appel le 10 décembre 2010
Le rôle du commissaire aux comptes dans l'anticipation et la
prévention des difficultés des entreprises
Particulièrement sur le sujet de la prévention des difficultés des entreprises, il y a une image
inexacte du commissaire aux comptes voire des confusions sur les rôles de l’expert comptable
et du commissaire aux comptes.
Permettez moi de faire quelques rappels contextuels utiles à mon avis pour parler du rôle des
commissaires aux comptes dans l’anticipation des difficultés.
I.
La place du commissariat aux comptes
En premier lieu sur leur rôle respectif de l'expert-comptable et du commissaire aux comptes :
•
Ministère de rattachement :
Caractéristique de leur différence de nature même si de nombreux professionnels exercent les
deux professions. Elles sont toutes les deux réglementées mais par sa nature l’expertise
comptable a pour ministère de tutelle, le ministre du budget et alors que le commissariat aux
comptes, mission légale est rattaché à la Chancellerie.
•
Missions :
L’expert comptable participe au suivi de la comptabilité et à l’élaboration des comptes.
Il est le conseil du chef d’entreprise en matière d’organisation, de gestion, de prévisions, de
droit des affaires, droit fiscal et social.
Le commissaire aux comptes contrôle les comptes et exprime une opinion. Il ne
participe pas à l’élaboration de l’information, puisqu’il a pour mission de la certifier. Sa
mission s’exerce avec une interdiction d’immixtion dans la gestion.
Il est donc un contrôleur légal et c’est à ce titre qu’il a en outre un rôle fixé par la loi dans la
prévention des difficultés des entreprises.
•
Prévention :
L’expert comptable est donc, pour parler en terme maritime dans une fonction de « pilote » au
sens assistance au pilotage, le commissaire aux comptes, lui, exerce une fonction de « vigie ».
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•
Périmètre des professions :
L’un peut être le conseil de chacune des 3 millions d’entreprises de toute taille alors que le
commissariat aux comptes concerne 220.000 entités. Par contre, c’est un rôle essentiel car il
s’agit des plus grandes entités puisque cela couvre 45 % du PIB français.
15 % de ces entités ont plus de 50 salariés.
30 % de ces entités ont entre 13 et 50 salariés.
55 % de ces entités ont moins de 13 salariés.
Chacune de ces entités peut recourir à un expert comptable mais il n’y a pas d’obligation.
Si donc la conjugaison des deux approches de l'expert-comptable et du commissaire aux
comptes est un facteur fort d’anticipation, on perçoit que cette conjugaison n’est pas toujours
en place.
II.
Détection, anticipation et prévention dans le cadre de la mission du commissaire
aux comptes
Le commissaire aux comptes, contrôleur légal exerce sa mission dans le cadre de normes
d’exercice professionnel arrêtées par le Garde des sceaux ; on ne peut donc pas lui demander
de sortir de sa mission de vigie. Il ne peut pas faire de l’assistance au pilotage.
Alors comment peut-il ou doit-il contribuer à l’anticipation et mettre en œuvre des actions de
prévention ?
•
La situation de l’entreprise et de son environnement
Le commissaire aux comptes inscrit sa mission dans le devenir de l’entreprise.
Le déroulement normé de la mission du commissaire aux comptes peut se résumer dans
l’enchaînement suivant dans sa démarche :
-
identification et analyse préalable des risques,
mise en œuvre des procédures d’audit,
synthèse de la mission,
formulation de l’opinion.
Attachons-nous donc, pour ce qui nous préoccupe aujourd’hui spécifiquement, à
l’identification et l’analyse préalable des risques et particulièrement du risque lié à la
continuité d’exploitation.
Pour être pérenne, une entreprise doit dégager des marges, ce qui nécessite des moyens
économiques, qui doivent être financés et qu’en synthèse, on ait des flux financiers positifs.
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Dès lors, la démarche du commissaire va reposer sur une analyse des moyens qui existent
dans l’entreprise et leur efficacité.
Parmi eux :
-
existe-t-il un bon contrôle interne ?
-
existe-t-il des outils de gestion fiables ?
-
les systèmes d’information présentent-ils toutes les conditions de fiabilité ?
-
existe-t-il des outils de prévision (budget, plan pluriannuel pour les plus grandes) suivi
de trésorerie, plans de trésorerie pluriannuels ?
Le commissaire aux comptes, dans son analyse des risques, va rechercher les facteurs
endogènes et exogènes de risque sur la pérennité (pérennité qui est liée au positionnement de
l'entreprise sur son marché et à la pertinence de son offre de services ou de produits) :
-
échec d’un projet,
dépendance vis à vis des clients, voire perte de clients importants,
risque de déréférencement…
On voit bien qu’il y a une obligation de réflexion sur les perspectives, sans recettes miracles,
tant il est vrai que les situations sont spécifiques à chaque secteur, chaque entreprise.
En somme, sa question est : a-t-on identifié les faits laissant penser que l’entité auditée puisse
connaître des difficultés et cela au moyen d’une analyse rationnelle du contexte et des
spécificités ?
•
L'utilisation des documents prévisionnels
Pour les plus grandes entreprises, il y a plus de moyens parce qu’il existe une obligation
légale d'établissement de documents prévisionnels :
> 300 salariés
> 18 millions de chiffre d’affaires
au moins un des deux critères.
Ces documents, le commissaire aux comptes doit les examiner.
-
Documents prospectifs :
- compte de résultat prévisionnel
- plan de financement prévisionnel
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-
Documents rétrospectifs :
- situation de l’actif réalisable et disponible et du passif exigible.
- tableau de financement
-
Rapport d’analyse :
Le commissaire aux comptes doit mettre en œuvre son jugement professionnel pour apprécier
s’il existe des insuffisances ou des anomalies significatives et éventuellement en faire rapport.
Mais en dehors de ces documents obligatoires établis seulement dans les plus grandes entités,
comment le commissaire peut-il attirer l’attention des dirigeants sur les insuffisances
d’organisation ou d’appréciation des risques par les dirigeants ?
•
La communication avec les dirigeants :
Compte tenu du contexte de la mission, c’est dans la communication avec le gouvernement
d’entreprises :
-
certainement pendant le déroulement de la mission,
-
par écrit lors de la réunion de synthèse qu’il est souhaitable d’organiser (avec un support
écrit) quand il identifie des insuffisances ou des menaces.
C'est à ces moments privilégiés que le commissaire aux comptes, par la présentation de son
approche et de ses interrogations, pourra faire de la "maïeutique". Ainsi, le commissaire aux
comptes pourra-t-il inciter la réflexion des dirigeants sur la mise en œuvre des moyens lui
permettant de maintenir sa compétitivité (investissements, recherche et innovation des
produits, formation du personnel…)
•
Les démarches préalables à la procédure d’alerte :
Et si au travers de ses diligences sachant qu’il a une obligation de moyens, le commissaire aux
comptes identifie des menaces graves qui se présentent ?
Ceci nous amène à dire quelques mots de la procédure d’alerte, mission spécifique qui lui est
assignée par la loi.
Il doit d’abord conclure sur l’état de gravité qu’il a détecté, ce que certains appellent la phase
0.
Prise de connaissance de l’évaluation menée par la direction de la capacité de l’entité à
poursuivre son exploitation et appréciation de sa pertinence.
En particulier, appréciation des hypothèses sur lesquelles se fonde cette évaluation et la
période sur laquelle elle porte.
Mise en œuvre de procédures permettant de confirmer ou d’infirmer l’existence d’une
incertitude.
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Appréciation sur la capacité des plans d’action de la direction à mettre fin à cette
incertitude.
Obtention de déclaration écrite de la direction indiquant que ses plans d’actions reflètent
ses intentions.
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La procédure d’alerte :
Il ne déclenchera la procédure d’alerte que s’il constate une situation qui pourrait empêcher
l’entreprise de rester en activité dans un avenir prévisible, c’est-à-dire selon la norme
professionnelle homologuée par le Garde des sceaux dans les 12 mois à venir, mais là l’entité
est en marche vers le précipice.
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J’espère avoir montré que le commissaire aux comptes ne peut accompagner le chef
d’entreprise en tant que conseil contrairement à l’expert comptable mais son rôle légal de
vigie en fait un acteur de l’anticipation puis de la prévention.
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