Peter Brown, The Ransom of the Soul. Afterlife

Transcription

Peter Brown, The Ransom of the Soul. Afterlife
Francia­Recensio 2016/4
Mittelalter – Moyen Âge (500–1500)
Peter Brown, The Ransom of the Soul. Afterlife and Wealth in Early Western Christianity, Cambridge, MA (Harvard University Press) 2015, XXII–262 p., 1 map, 2 tab., ISBN 978­0­674­96758­8, USD 24,95.
rezensiert von/compte rendu rédigé par
Philippe Buc, Vienne
»D’ailleurs ce roi est un grand magicien: il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets; il les fait penser comme il veut« (Montesquieu, Lettres persanes).
Peter Brown nous propose avec ce livret intitulé »La rançon de l’âme. L’après­mort et la richesse dans la première chrétienté occidentale«, un de ces échafaudages élégants et mirobolants dont depuis des décennies il nous régale. Brown part du »Prognosticon« de Julien, évêque de Tolède (688) – une congère de positions plus anciennes visant à élucider, selon le propos du prélat, quo modo se haberent animae defunctorum ante illam corporum ultimam resurrectionem – pour remonter en arrière, au premier auteur qu’utilise Julien, soit Cyprien de Carthage, et avant lui, à Tertullien, et ensuite suivre le fil du temps pour revenir au VIIe siècle, en une Francie formée par le monachisme de Colomban. L’itinéraire mène d’une indifférence au sort post mortem des âmes ordinaires, qui serait celle d’un Tertullien (lequel comme Cyprien se focalise sur le sort des martyrs, immédiatement mis en la présence de Dieu), à, vers 650, une forme de démocratisation des défunts. Ils deviennent alors tous dotés potentiellement d’une trajectoire individuelle, conditionnée par la somme de leurs péchés, grands et petits, et par la somme des pénitences qui les ont rachetés, accompagnée par les prières et les dons pro anima des vivants. Chaque mort a maintenant son histoire, pleine et entière. Comme l’auteur l’admet dès les débuts de l’ouvrage, ce processus, qui débouchera sur le Purgatoire et les grandes usines monastiques fabriquant en masse la memoria des morts, a déjà été conté, mais, dit­il, de façon »un peu plate« (p. IX–X) et mécanique; Brown proclame qu’il va nous en expliquer le pourquoi et le comment. Entre Tertullien et Cyprien, d’une part, et le monachisme lérinien de la Gaule méridionale, Grégoire de Tours, et les disciples de Columban, Brown consacre deux chapitres, soit une cinquantaine de pages, à Augustin d’Hippone, l’auteur auquel il consacra un maître­livre. C’est à Augustin – malgré son refus méfiant de se prononcer sur les trajectoires individuelles après la mort, et sur l’efficacité des dons et prières des vivants – que l’Occident doit la tripartition entre très bon morts, mauvais morts, et »pas trop bons morts«. Ces non valde boni, l’immense majorité des morts, constituent la catégorie sur laquelle le clergé, au cours des siècles suivants, va se pencher. Il s’agira de définir ce qui fait le destin de l’âme – l’âme non plus seulement des héros de la religion, mais de tous les êtres humains médiocrement peccamineux. Augustin se serait levé contre le pélagianisme de virtuoses comme Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/
Mélanie, qui prétendaient que le seul moyen de gagner le ciel était le renoncement spectaculaire de tous ses biens, et prônaient implicitement un christianisme élitiste hors de portée pour le commun. La plume est belle, très belle. Mais elle est aussi incontinente. L’auteur emporte­t­il l’adhésion par un recours aux images colorées et aux hyperboles? Deux exemples: »An entire Christian society found itself engaged in unremitting debate about the relation between money and the grave« – je mets en italique les adjectifs que n’appuie aucune démonstration, »une société chrétienne toute entière se retrouva engagée dans un débat sans relâche au sujet du rapport entre l’argent et la tombe« (p. 23). Et un peu plus loin, l’affirmation d’une correspondance entre les morts physiques et les morts »sociaux« que sont les pauvres (le concept de social death venant d’Orlando Patterson): les aumônes étaient nécessaires car »in no small part […] the state of the physically dead echoed with chill precision the state of the socially dead« (p. 35). Passe encore qu’il y ait magiquement un tel »écho«, mais c’est encore plus pousser que d’écrire que cet écho a lieu »avec une précision glaciale«, suggérant un rapport quasiment bijectif entre les deux morts. Voici donc ma propre analogie, qui ne vaut guère plus: comme dans les menus des restaurants californiens, il faut chez Peter Brown des adjectifs pour parfumer chaque ingrédient d’un plat. Il ne s’agit pas seulement de style; comme dans son œuvre antérieure, Brown se livre ici ou là à des développements séduisants qui soit sont paralogiques, soit ne sont appuyés que par des brins de pailles. Avec les donations de richesse pour le salut de l’âme, paradoxalement le ciel et la terre se retrouveraient reliés par l’argent, Mammon. Et Peter Brown de nous proposer la gnose suivante en constatant: »Si cette opposition pouvait être vaincue de cette manière, toutes les autres antithèses pourraient être guéries«, y compris celle entre riche et pauvre (p. 31–33). Le don est ainsi le moyen, du moins en imagination, d’intégrer la communauté chrétienne. Discutant les demandes d’intercession inscrites dans les catacombes romaines de Santo Sebastiano, avant Constantin, Brown propose dans une même veine fonctionnaliste que »quel qu’aient été l’objet des prières, le but principal des intercessions de toutes sortes était de maintenir ensemble des entités que le sens commun considérait comme incommensurables« (p. 40)1.
Brins de pailles: l’intérêt pénitentiel du monachisme hde Lérins se transfère vers le monde franc plus au nord, enracinant ainsi un certain »governmental mood dans le vaste royaume des Francs et ailleurs« (p. 146). L’ailleurs, au­delà du monde franc, qu’il soit »vaste« ou non, n’est pas documenté. Et l’enracinement et le »tempérament gouvernemental« ne sont documentés que par deux édits royaux mérovingiens. Indiquent­ils d’ailleurs vraiment, comme le veut Brown, que les rois francs se Même saut p. 177–178: chez Grégoire de Tours, les miracles qui recréent l’ordre ou libèrent des prisonniers signifieraient le miracle qu’est la purification des péchés. C’est l’inverse de la réduction opérée en 1971 dans »The Rise and Function of the Holy Man in Late Antiquity«, dans: Journal of Roman Studies 61 (1971), p. 80–
101, où les miracles du saint, indépendamment de leur nature, manifestent son pouvoir social en tant que médiateur. Dans les deux cas, en 1971 et en 2015, Brown nous dit que les miracles ne sont pas essentiellement ce que les auteurs médiévaux disent qu´ils font. 1
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sont préoccupés de la pénitence collective pour des petits péchés? L’édit de Childebert II veut punir les sacrilèges que constitue le manque de respect pour le calendrier chrétien, et ne s’intéresse en rien aux petites transgressions. L’édit de Gontran ne parle guère de petits péchés. C’est mignon que faire remonter dans le temps la thèse de Thomas Noble, »The Monastic Ideal as a Model for Empire: The Case of Louis the Pious« (Revue bénédictine 86 [1976)], p. 235–250), et de Mayke B. de Jong, »The Penitential State: Authority and Atonement in the Age of Louis the Pious, 814–840« (2009). Mais sur de telles bases documentaires? Le lecteur comprendra que je me démarque ici de ceux qui comme, entre autres, le voisin à Princeton de Peter Brown, Glen W. Bowersock, ont encensé ce livre2. Royale, la poésie de Peter Brown exerce sa magie, mais n’emporte pas la conviction.
2
The New York Review of Books, 21 mai 2015.
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