Les stratégies - Revue Française de Gestion

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Les stratégies - Revue Française de Gestion
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DOSSIER
Les stratégies
collectives à l’épreuve des faits
sous la direction de
Saïd Yami
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INTRODUCTION
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PAR SAÏD YAMI
Les stratégies
collectives à l’épreuve des faits
C
onsortiums R&D, labels, groupement d’intérêt
économique, marque commune, etc., les entreprises multiplient aujourd’hui les stratégies de
coopération qui dépassent la simple relation d’alliance
deux à deux et qui se concrétisent par des collaborations
qui peuvent englober l’ensemble des concurrents d’une
industrie.
Ainsi, il est désormais difficile, voire impossible, à une
entreprise d’avoir une stratégie individuelle. En effet,
agir collectivement entre concurrents semble devenir un
mode relationnel privilégié dans le contexte économique
contemporain, marqué par l’innovation technologique, la
globalisation des marchés, l’arrivée de nouveaux acteurs,
de nouvelles formes d’organisation et de relations entre
les entreprises (réseaux interorganisationnels, concurrence multimarché, hypercompétition, intervention d’autorités de régulation ou de groupes de pression, etc.).
Il est aujourd’hui plus que jamais indispensable de comprendre et d’analyser les transformations des stratégies
d’entreprises. Ces stratégies du XXIe siècle se caractérisent essentiellement par des comportements empruntant
à la fois à la compétition et à la coopération, une dualité
qui est bien traduite par la notion de « coopétition »
(Brandenburger et Nalebuff, 1995 ; Koenig, 1996 ;
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Revue française de gestion – N° 167/2006
Nalebuff et Brandenburger, 1997). Elles
mettent en avant des logiques plutôt volontaristes des acteurs inscrits dans des relations d’interdépendance horizontale et verticale. Elles font intervenir diverses
organisations et parties prenantes (firmes,
associations et syndicats professionnels,
groupements, etc.), l’économie de l’information tendant à occuper une place de plus
en plus stratégique. Ce fonctionnement collectif pose la question du paradoxe de la
gestion simultanée de relations de concurrence et de coopération avec un nombre
croissant de rivaux. Il concerne aussi bien
les secteurs traditionnels que les secteurs
nouveaux, les grands groupes mondiaux
que les PME.
Le concept de « stratégies collectives »
apparu il y a plus d’une vingtaine d’années
à l’initiative de Astley et Fombrun (1983),
fournit un cadre d’analyse pertinent en
management stratégique qui bénéficie
d’une littérature bien établie, représentée
par plus d’une dizaine de publications en
langue anglo-saxonne. Toutefois, en dehors
des réflexions théoriques qui ont justifié et
alimenté le concept dans la deuxième moitié des années 1980 (Astley et Fombrun,
1983 ; Astley, 1984 ; Bresser et Harl, 1986 ;
Bresser, 1988), les travaux empiriques restent relativement peu nombreux (Oliver,
1988 ; Dollinger, 1990 ; Barnett et al.,
2000). Plus récemment, quelques auteurs
(Ibert, 1997 ; Baumard, 2000 ; Le Roy,
2003, Yami, 2003 ; Yami et al., 2006) mobilisent ce concept dans les contextes français
et européen.
Le présent dossier propose un état des lieux
théorique et des contributions qui permettent la confrontation de ce cadre d’analyse à
la réalité économique contemporaine.
Ainsi, outre l’article de Saïd Yami, intitulé
« Fondements et perspectives des stratégies
collectives », qui présente l’origine du
concept et une réflexion sur un objet de
recherche spécifique prometteur dans le
champ du management stratégique, cinq
contributions mettent à l’épreuve des faits
le concept de « stratégies collectives ».
L’article de Anne Mione, intitulé « Les
normes comme démarche collective » se
focalise sur les deux dimensions essentielles du modèle des stratégies collectives
que sont la proactivité et le caractère coopératif. L’auteur montre que la proactivité se
révèle aussi bien au sein des travaux normatifs qu’au moment de la mise en conformité et que les composantes individuelles et
coopératives sont intimement liées. Ainsi,
les entreprises les plus dynamiques dans les
travaux normatifs se caractérisent par une
conception compétitive des normes. Une
procédure collective consensuelle ne signifie pas que les enjeux de pouvoir soient
évincés.
L’article d’Albéric Tellier intitulé « Les
stratégies de régulation dans la vidéo à
domicile » analyse le « DVD Forum »,
structure dédiée au projet DVD. Il montre
comment les firmes leaders décident d’investir dans la création d’une institution
d’intermédiation pour reproduire les
« façons de faire » et maintenir les rentes.
Les institutions d’intermédiation s’inscrivant dans une stratégie collective sont efficaces pour combattre des stratégies de
renouvellement des activités initiées par
des acteurs externes. En revanche, leur
capacité à combattre des stratégies de
renouvellement développées par certains de
leurs membres paraît beaucoup plus limitée. Le cas met en évidence également que
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Les stratégies collectives
la formation et la transformation des règles
du jeu n’est pas « en dehors » du management stratégique mais représente au
contraire un enjeu important.
L’article de Katherine Gundolf, Annabelle
Jaouen et Stéphanie Loup, intitulé « Institutions locales et TPE dans le cas du
tourisme » montre que la pérennité des stratégies collectives est étroitement liée à son
évolutivité. L’évolution de la coordination
est associée à une intégration des buts collectifs à la logique individuelle, mais aussi à
l’établissement d’une relation de confiance
où les liens sociaux viennent se superposer
aux liens économiques, permettant ainsi de
créer une véritable « communauté socio-économique ». Cette évolution, marquée par la
pérennité ou l’arrêt avant terme des stratégies collectives, est analysée à partir de la
notion d’encastrement institutionnel.
L’article de Pierre Roy et Saïd Yami, intitulé « Stratégie de rupture dans un oligopole. Le cas des salles de cinéma » propose
le traitement longitudinal du cas de la carte
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d’abonnement « UGC illimité » dans le
secteur français des salles de cinéma. Les
auteurs montrent l’intérêt d’adjoindre le
niveau d’analyse interorganisationnel
(incarné ici par le destin commun de l’oligopole) pour évaluer les enjeux stratégiques associés à une rupture avec les
normes concurrentielles acceptées collectivement à un moment donné.
Enfin, l’article de Colette Fourcade propose
d’appréhender « Les systèmes agroalimentaires comme modalités collectives ». L’auteur met en évidence une diversité de scénarios de coopérations et tente de repérer le
scénario le plus spécifique aux SYAL.
L’étude montre que le processus de
construction d’une stratégie collective territorialisée implique des conditions à la fois
de rigueur (dans la définition et le maintien
des objectifs) et de souplesse (dans la gestion des SYAL), ainsi que la prise en
compte simultanée et conjointe des dimensions « industrielle » et « territoriale » dans
l’organisation et la stratégie SYAL.
BIBLIOGRAPHIE
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Review, vol. 9, n° 3, 1984, p. 526-535.
Astley W. G., Fombrun C. J., “Collective strategy: social ecology of organizational environments”, Academy of Management Review, vol. 8, n° 4, 1983, p. 576-587.
Barnett W. P., Mischke G. A., Ocasio W., “The evolution of collective strategies among organizations”, Organization Studies, vol. 21, n° 2, 2000, p. 325-354.
Baumard P., Analyse stratégique, mouvements, signaux concurrentiels et interdépendance,
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Brandenburger A. M., Nalebuff B. J., “The right game: use game theory to shape strategy”,
Harvard Business Review, juillet-août 1995, p. 57-71.
Bresser R. K., “Matching collective and competitive strategies”, Strategic Management
Journal, vol. 9, 1988, p. 375-385.
Bresser R. K., Harl J. E., “Collective strategy: vice or virtue?”, Academy of Management
Review, vol. 11, n° 2, 1986, p. 408-427.
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Dollinger M. J., “The evolution of collective strategies in fragmented industries”, Academy
of Management review, vol. 15, n° 2, 1990, p. 266-285.
Ibert J., La dynamique concurrentielle et ses déterminants : un cas de vente par affaires,
Thèse de doctorat, université Paris IX-Dauphine, 1997.
Koenig G., Management stratégique. Paradoxes, interactions et apprentissages, Paris,
Nathan, 1996.
Le Roy F., « Rivaliser et coopérer avec ses concurrents : le cas des stratégies collectives
agglomérées », Revue française de gestion, vol. 29, n° 143, mars-avril 2003, p. 145-157
Nalebuff B. J., Brandenburger A. M., “Coopetition: competitive and cooperative business
strategies for the digital economy”, Strategy and Leadership, novembre-décembre 1997,
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Oliver C., “The collective strategy framework: an application to competing predictions of
isomorphism”, Administrative Science Quarterly, vol. 33, 1988, p. 543-561.
Yami S., « Petite entreprise et stratégie collective de filières », Revue française de gestion,
vol. 29, n° 144, mai-juin 2003, p. 165-179.
Yami S., Nicquevert B., Nordberg M., « Le consortium de recherche comme stratégie
collective agglomérée : le cas de la ‘Collaboration ATLAS’ au CERN », Revue financecontrôle-stratégie, à paraître en 2006.