La lutte finale de deux fauves blessés - Théâtre de Saint-Malo

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La lutte finale de deux fauves blessés - Théâtre de Saint-Malo
Date : 17/18 JAN 16
Page de l'article : p.18
Journaliste : Fabienne Darge
Pays : France
Périodicité : Quotidien
OJD : 273111
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CULTURE
La lutte finale de
deux fauves blessés
Alain Françon tire le meilleur de la pièce
d'Edward Albee « Qui a peur de Virginia
Woolf ? », au Théâtre de l'Œuvre, à Paris
THÉÂTRE
L
animal est partout
dans les pièces du dramaturge américain Edward Albee : qu'il
s'agisse d'une chèvre (celle dont
le héros tombe amoureux, dans
la pièce du même nom), de cochons (les hommes, en général),
des étranges créatures de Zoo
Story ou, évidemment, de loup,
comme dans Qui a peur de Virginia Woolf? L'homme est bien un
loup pour la femme, et inversement, dans cette étonnante pièce
dont les images traînent dans notre inconscient, grâce au film
qu'en a tiré Mike Nichols,
en 1966, avec ces deux monstres
qu'étaient Elisabeth Taylor et Richard Burton.
Mais, aujourd'hui, on la redécouvre totalement, cette pièce,
grâce à la mise en scène qu'en offre Alain Françon, au Théâtre de
l'Œuvre à Paris, qui la décape de
ses aspects folkloriques et boulevardiers. Dans l'affrontement de
ces deux fauves que sont Martha
et George ressort toute l'interrogation d'Albee sur ce qui sépare
- ou plutôt ne sépare pas l'homme et l'animal, et sur le rôle
du langage dans toute cette affaire.
Tous droits réservés à l'éditeur
f
Qui a peur de Virginia Woolf?
est d'abord une immense joute
oratoire, le grand moment de
théâtre que se joue un couple
d'âge mûr sous les yeux médusés, puis fascinés, d'un autre couple plus jeune. Jeu de rôles, jeu de
massacre, jeu de mains, jeu de vilains, jeu dè mots, jeu de séduction, jeu de pouvoir, jeu de société. Edward Albee pose ses éléments avec une science confondante, presque mathématique:
dans ce qu'on suppose être une
ville moyenne de province, Martha, qui est la fille du doyen de
l'université, et son mari, George,
professeur d'histoire, invitent
Nick, le jeune enseignant en biologie tout juste arrivé, et sa
femme, Honey, à boire un dernier verre chez eux.
Mise en scène au cordeau
Le jeune couple va jouer le rôle du
public, face à la représentation
que vont lui jouer Martha et
George : celle de deux êtres prêts
à aller jusqu'au bout dans l'enfer
d'un couple, où tout est bon pour
se blesser et s'humilier. Mais, peu
à peu, les masques tombent,
comme il se doit. Et si les jeunes
Nick et Honey n'étaient qu'un
miroir à peine déformé de
George et dè Martha? Et si les
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Périodicité : Quotidien
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plus aptes à arracher les masques
et à cheminer vers la vérité
n'étaient pas ceux que l'on aurait
cru au départ ?
Avec sa mise en scène au cordeau, qui se tient dans l'espace
minimal du salon du couple,
Alain Françon tire le meilleur de
cette pièce vertigineuse et glaçante, où le dramaturge américain va très loin dans la lutte sans
merci entre le pouvoir féminin et
le pouvoir masculin, le loup et la
louve, et dans l'analyse des frustrations abyssales que vivent les
personnages.
Cela n'empêche pas la pièce
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d'apparaître, à certains moments,
un peu datée dans sa facture, malgré la traduction récente et très fidèle à l'original que signe Daniel
Loayza. Le texte semble
aujourd'hui alourdi par toute une
rhétorique de la psychanalyse
américaine des années 1960. Mais
ce n'est pas très grave. Qui a peur
de Virginia Woolf? est évidemment du pain bénit pour les acteurs, et Alain Françon a réuni un
excellent quatuor, qui fonctionne
à merveille pour jouer à la fois la
dimension la plus abstraite et la
plus humaine de la pièce.
Julia Faure (Honey) et Pierre-
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François Garel (Nick) donnent
aux deux jeunes gens toute la dimension inquiétante que recèle
leur apparente normalité. Mais
c'est surtout le couple monstrueux qui retient l'attention, et il
est formidable : Wladimir Yordanoff, sidérant d'humanité blessée
et manipulatrice, et Dominique
Valadié, la grande Valadié, qui
trouve là matière à déployer tout
son talent, de la perversité feutrée
à la folie tragique.
Ainsi vont ces deux couples qui
se jouent du mauvais théâtre, le
savent, et essaient, comme ils
peuvent, de faire la part entre la
vérité et l'illusion. Ici, la ritournelle « Qui a peur du grand méchant loup ? » se chante sur l'air
des Trois petits cochons. Of
course. •
FABIENNE DARGE
Qui a peur de Virginia Woolf?,
d'Edward Albee (traduction
de Daniel Loayza).
Mise en scène : Alain Françon.
Théâtre de l'Œuvre, à Paris ge.
Tél. : Oi 44 53 88 88.
Du mardi au samedi, à 21 heures,
dimanche à 15 heures, jusqu'au
3 avril. De io€ (moins de 26ans)
à 42 €. Durée : 2 heures.
Les
comédiens
Wladimir
Yordanoff et
Dominique
Valadié.
DUNNARAMEAS
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