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Dimanche 1e semaine de Carême - B
Frère Pierre-Marie
Mc 1,12-15
Église Saint-Gervais, Paris
Un Dieu tenté pour un homme tombé
Ce n'est pas sans raison si l’Église
nous ramène chaque année, à l'entrée du Carême,
à réfléchir et à méditer sur la réalité de la tentation.
Aux premières pages des origines de l'homme, elle est inscrite (Gn 2-3).
Aux premiers pas de la vie publique du Christ, elle est manifestée (Mt 4,1-11).
Comment ne serait-elle pas omniprésente
tout au long de notre route de disciples du Christ
et de descendants d'Adam et Eve ?
Que pouvons-nous dire, à la lumière des textes de ce jour
(par-delà la question de leur symbolisme évident
et de leur souci théologique premier) ?
Que pouvons-nous dire, pouvant guider le cheminement de nos vies
et soutenir ce bon combat auquel, de toutes manières,
nous sommes tous affrontés ?
*
La première affirmation sera pour dire que la tentation existe.
Non, elle n'est pas le résultat d'idées reçues
ou de fabulations imaginatives.
À vrai dire, la tentation nous suit constamment.
Dans ce monde où nous sommes, elle est notre lot quotidien.
Pour s'en convaincre il n'est que d'écouter
les tiraillements de son propre cœur
et de regarder le comportement des hommes
à travers les faits de l'actualité ou de l'histoire.
De fait, nous sommes tous tentés et en tout ; toujours et partout.
La tentation n'épargne personne.
Même pas les sages et surtout pas les saints.
Saint Antoine au désert, le curé d'Ars dans son village,
Thérèse de Lisieux au fond de son carmel ;
tous, de Job sur son fumier à saint Louis sur son trône,
en passant par saint Jean Bosco sur le pavé des villes,
en savent quelque chose !
En reprenant la triple symbolique de la faute originelle
(capter - contester - idolâtrer)
et les trois tentations typiques du Christ au désert
(la facilité - la puissance - la compromission),
regardons nos vies.
Trois tendances, issues d'un bon désir, celui du bien,
risquent toujours d'être détournées
vers trois déviances nous poussant au mal.
Besoin naturel et louable tout d'abord,
de créer, d'organiser, de maîtriser les choses.
Mais tentation perpétuelle de dévier vers l'envie ;
de vouloir tout dominer à son profit.
Au risque de s'adonner à la volonté de puissance
conduisant à la domination ;
ou à son contraire, qui est le complexe d'infériorité
conduisant à l'abdication ou à l'amertume.
Besoin naturel et louable ensuite,
d'être reconnu, respecté et aimé.
Mais tentation quotidienne de vouloir être admiré,
apprécié, mis en avant.
Au risque de verser dans l'exaltation du moi
amenant à la suffisance ;
ou à son opposé, la dépréciation de soi
entraînant au dépit ou à la révolte.
Besoin naturel et louable enfin,
d'exister, de produire et d'engendrer.
Mais tentation incessante de tout convoiter
en l'accaparant pour soi.
Au risque de faire de toute son existence
une quête effrénée de confort et de plaisir à tout prix ;
ou de verser dans son contraire qui est l'avarice
en se refusant jusqu'à la joie d'offrir et de se donner.
Que ce soit par les contagions, venant du monde du dehors,
ou par les suggestions remontant du cœur, au-dedans,
nous sommes assaillis (1 P 3,8).
Nous n'avons plus besoin qu'on nous instruise :
Sans exception aucune, oui, tous, nous sommes bel et bien tentés.
*
Au-delà de ce que tout homme pourrait ainsi reconnaître,
une seconde vérité nous est transmise.
Une vérité qui, cette fois, nous est révélée.
C'est que la tentation qui peut se glisser jusqu'à nous,
ne vient pas pour autant de nous.
Les textes de la liturgie de ce jour sont éloquents à ce sujet.
Antérieure et extérieure à l'homme,
la tentation tire d'ailleurs et d'un autre sa triste origine.
Elle a un auteur ou plutôt un instigateur (Pr 1,10-19)
qui a pour nom – même s'ils sont légion – le Tentateur (Sg 2,24 ; Mt 4,3 ; Mc 5,9).
Mieux vaut le reconnaître que de le nier
car il a l'art de se faire oublier pour mieux nous prendre.
Chacun connaît la réplique de sainte Thérèse avouant :
"Devant le Malin je ne fais pas la maligne".
Cette humble prudence est déjà un grand pas
sur la route de la sainteté.
En ce domaine la présomption est le pire ennemi de l'humilité.
L'humilité dont les Pères du désert nous disent
qu'elle peut, à elle seule, mettre le pire diable en fuite.
Car il ne peut nous saisir si nous ne lui donnons pas de prises (Ep 4,27).
*
La troisième vérité est en effet pour nous dire
que nul n'est jamais contraint de pécher.
Aussi réelle que soit la tentation,
aussi rusé que soit le Tentateur,
personne n'est obligé d'y céder.
On ne saurait davantage insinuer
que ce puisse être le Seigneur qui, nous soumettant à la tentation,
nous conduirait en finale à tomber,
comme pour pouvoir mieux nous relever !
Car, justement, il est clairement dit qu'il ne tente personne (Jc 1,13).
Déjà le Premier Testament est catégorique à ce propos :
Ne dis pas : c'est le Seigneur qui m'a fait pécher.
Car il ne fait pas ce qu'il a en horreur...
Si tu le veux, tu peux garder les commandements.
rester fidèle est en tout pouvoir.
Et Ben Sirac le sage de conclure :
Dieu n'a commandé à personne d'être mauvais.
Il n'a donné à personne licence de pécher (Si 15,11-20).
Non ! C'est nous qui nous laissons atteindre
par les contagions du dehors ou les suggestions du dedans.
C'est là le risque réel, mais merveilleux de notre liberté.
Chacun est tenté par sa propre convoitise
qui l'attire et le leurre, note l'apôtre Jacques (1,14).
Et saint Paul d'ajouter cette parole pleine d'espérance :
Dieu est fidèle : il ne permettra pas
que vous soyez tentés au-delà de vos forces.
Avec la tentation, il vous donnera le moyen d'en sortir
et la force de la supporter (1 Co 10,13).
Voilà aussi une bonne lumière jetée sur l'ombre de nos tentations !
*
La dernière vérité, la plus belle, qui découle de là,
inscrite elle aussi comme une révélation dans les textes de ce jour,
est pour nous dire combien, en face du Tentateur
et de nos propres tentations, Dieu lui-même s'est dressé.
Poussé par l'Esprit (Mt 4,1), le Christ est allé au désert.
Et, là, contre toutes ces adversités et ce redoutable Adversaire,
il a opposé, en notre nom, sa divine résistance.
Quelle espérance pour nous tous, frères et sœurs,
que celle issue de ce combat singulier,
où le Christ Nouvel Adam a triomphé
du Prince de ce monde (Mt 4,4-10).
Oui, le Fils de Dieu, sur la terre, a voulu connaître,
comme nous et pour nous, l'épreuve de la tentation.
Il fallait que puisse enfin triompher ce don précieux entre tous
de la liberté accordée aux hommes aux premiers jours du monde (Gn 3).
Quel mystère de tendresse infinie et de compassion divine !
Non, le Christ Jésus ne nous a pas délaissés.
En s'appuyant sur la seule lumière de l’Écriture,
là où le peuple, au désert, par trois fois était tombé,
lui, par trois fois, dans ce même désert, a triomphé.
Il a même été tenté en tout, est-il écrit (He 5,15).
Nous pouvons donc triompher toujours si nous croyons en lui (1 Jn 5,4).
**
Reste que nous avions faim et soif.
Faim de vie éternelle et soif d'amour infini.
Il est donc allé jusqu'à la mort, Lui, la source de la Vie.
À l'endroit même du lieu du crâne,
sur ce roc aride
évoquant le désert issu du Paradis,
il a fait refleurir l'arbre sec de la croix.
Et là, devant Marie, la Nouvelle Eve,
Lui, le Nouvel Adam, honteusement mis à nu,
brûlé au feu de l'agonie,
il est littéralement devenu pain vivant (Jn 6,51).
De son côté ouvert un sang immaculé a jailli,
lavant nos tuniques de peau marquées par le péché (Ap 7,14).
Ce jour-là, Nouvelle Épouse, l’Église est née (Ep 5,25-32).
Non-Aimée est redevenue Bien-Aimée (Os 2).
Prenez, mangez, buvez, voici mon corps, voici mon sang.
Et nous avons été rassasiés et désaltérés.
Alors nos yeux se sont ouverts
et nous avons vu que nous étions revêtus du Christ (Ga 3,27).
Que, par sa mort, nous avions la Vie.
Un véritable accès à l'arbre de vie,
nous faisant entrer dans la cité par les portes (Ap 22,14)
pour redécouvrir, en notre ville,
notre premier jardin !
Seigneur, nous tous qui sommes nés de l'eau et de l'Esprit,
c'est par ta croix, ô Christ, que nous sommes sauvés.
Du désert au calvaire, merci de nous avoir relevés et guéris !
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