Extrait

Transcription

Extrait
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 3
Dominique LEFÈBVRE, Edwige MOLLARET-LAFORÊT
Christian GUITER, Charles ROBBEZ MASSON
Droit et entreprise
Aspects juridiques, sociaux, fiscaux
Onzième édition
Presses universitaires de Grenoble
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 5
Avertissement
Cet ouvrage s'adresse aux étudiants, de formation initiale ou continue poursuivant une
filière de droit ou de gestion au sens large : facultés de droit, I.U.T., département de
gestion des entreprises, diplômes préparatoires à l’expertise-comptable, formation en
écoles supérieures de commerce et I.A.E. Mais, plus précisément, il s'adresse à deux
types d'étudiants :
– les premiers, qui veulent devenir des managers ou du moins tâter de la gestion des
entreprises, n’ont pas besoin de devenir des juristes éprouvés, comme ils n’ont pas besoin
de devenir des comptables ou des économistes de renom. En tant que cadres ou dirigeants
d'entreprises, il leur suffit de savoir dans quelles circonstances, à quelles occasions, il leur
faudra recourir aux services de juristes, de comptables ou d'économistes. Sans donc devenir des spécialistes, il leur faut savoir un minimum, et surtout en quoi le droit, la
comptabilité, l'économie, etc., rendent compte du phénomène qu'est l'entreprise et
permettent l'analyse de ses mécanismes ;
– pour les seconds, qui veulent faire des études comptables de haut niveau, il faut
qu'ils sachent que, d’une part, la comptabilité est régie par des règles juridiques strictes,
qu’elle traduit, d'autre part, des valeurs et des flux économiques qui ont leur source dans
une activité juridique complexe qu'il est indispensable de bien connaître.
Force est donc de s'entendre, sommairement d'ailleurs, sur les deux termes de droit et
d’entreprise. Le droit est un ensemble de règles imposées par l'État aux individus qui
composent la société en vue d'assurer l'ordre et ce, si possible, dans un idéal de justice
entre les membres du corps social (ce dernier but de la règle de droit s’incarne dans un
idéal défini d’après des sources différentes et à des degrés divers. Dans les sociétés démocratiques en effet, dans lesquelles cet idéal doit être systématiquement recherché, on
considère que la loi est juste parce que l’émanation de la volonté commune ou, dit autrement, qu’elle doit l’être pour pouvoir être acceptée le plus – application du système
majoritaire – et le mieux possible par les justiciables ; en revanche, dans d’autres sociétés, l’idéal de justice ne participe pas de l’idée de démocratie, étrangère au processus
d’élaboration de la règle juridique – ainsi du droit musulman par exemple, procédant
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
6
18/09/08
12:49
Page 6
DROIT ET ENTREPRISE
quasi exclusivement de la Sharî’a, Révélation divine, ou de celui des régimes totalitaires,
dans lesquels le système juridique, créé par le pouvoir en place, n’a d’autre but que celui
de le maintenir ainsi. De plus, dans toutes les sociétés et même dans celles s’appuyant sur
la pensée démocratique, il convient de rappeler que cette notion de justice est très relative, selon les époques, les partis au pouvoir… (pour des illustrations, en matière fiscale
par exemple, cf. infra n° 605 à 609). L’État va donc régir la plupart des situations ou des
activités des individus, des rapports entre individus nés de ces situations et activités : tel
est le cas pour ceux qui fondent une famille, ont des enfants, achètent ou vendent des
biens, louent leurs services, etc.
L’entreprise, quant à elle, est l'activité d'un individu ou d'un groupe de personnes qui font
un projet et le mettent à exécution. Cette définition générale rend compte de toutes sortes
d'entreprises, depuis les guerrières, en passant par les subversives, jusqu'aux entreprises
commerciales et (ou) industrielles qu'on ferait mieux d'appeler économiques. Entreprendre, en ce dernier sens, c'est se lancer dans une activité de distribution, ou de production
de biens ou de services, bref dans une activité commerciale (l'industriel qui produit et
distribue est aussi commerçant, au sens juridique, que celui qui ne fait que distribuer,
acheter pour revendre).
1. La forme juridique : entreprise individuelle, elle se confond avec celui qui entreprend – le commerçant –, entreprise d'un groupe de personnes associées, elle est une
société civile ou commerciale de types divers : S.N.C. (société en nom collectif), S.A.R.L.
(société à responsabilité limitée), S.A. (société anonyme)…
Ces deux termes définis, que régit plus précisément le droit dans l’entreprise ?
2. La fonction de production : les contrats d'achat de matières premières, de sous-traitance, d'acquisition d'énergie, de processus de fabrication (brevets, know-how, etc.)
relèvent du droit des contrats.
3. La fonction financière : plus que les particuliers, une entreprise a besoin de moyens
et de crédits à court terme (trésorerie), à moyen terme et long terme (investissement).
L’État et le droit ne sauraient se désintéresser des relations entre entreprises et banques
qui drainent l'épargne publique. De plus, l’État qui a de grands besoins croissants, impose
les profits de l'entreprise et se sert d'elle pour taxer les consommateurs, notamment par le
biais de la TVA, d’où l’existence d’un droit fiscal spécifique.
4. La fonction commerciale : acheter et produire des biens, mais aussi les écouler, les
distribuer et si possible prospecter la clientèle avant de produire, de façon à produire le
maximum de biens et de services, en répondant aux besoins, aux goûts des clients, voire
en créant des besoins artificiels. Contrats de vente, de louage, de concession, de commission, de publicité, etc., servent cet objectif.
5. La fonction de gestion : comme organisme réunissant des personnes qui travaillent
ensemble, il faut structurer l'ensemble des éléments qui composent l'entreprise et harmoniser les relations interpersonnelles. Il est évident que les salariés n’admettent plus d'être
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
AVERTISSEMENT
Page 7
7
traités comme des facteurs humains au même titre que les facteurs matériels. D'où le
développement d'un droit du travail qui est le produit de la lutte de la classe ouvrière
contre celle des patrons. Le droit représente ici l'état actuel et toujours en évolution d'un
rapport de force entre classes sociales.
On pourrait, bien entendu, aborder l'étude du droit de l'entreprise en suivant le plan
ainsi suggéré : forme, fonction de production, fonction financière, fonction commerciale,
fonction de gestion. Mais un tel plan n’est valable que pour ceux qui ont déjà acquis des
connaissances juridiques élémentaires : savoir d'abord ce qu'est une personne et un groupe
de personnes en droit, savoir ensuite ce sur quoi les personnes vont faire porter leurs
échanges – il s'agit des biens –, enfin quelles sont les formes d'échanges – il s'agit des
activités juridiques et surtout des contrats. Reste ensuite à se demander quelles relations
va entretenir l’entreprise avec, d’une part, ses salariés, d’autre part, l’administration
fiscale.
On adoptera donc le plan suivant :
– LIVRE I – L'entreprise et les personnes
– LIVRE II – L'entreprise et les biens
– LIVRE III – L'entreprise et les activités juridiques
– LIVRE IV – L'entreprise et son personnel
– LIVRE V – L'entreprise et l'impôt
Cet ouvrage enfin tente de faire la synthèse entre droit civil et droit commercial, sans
oublier d'autres aspects juridiques, économiques ou comptables, etc. Il est d'ailleurs le
fruit d'une lente gestation menée au contact d'étudiants qui, s'orientant vers la gestion,
avaient besoin de connaître le droit commercial, lequel ne se comprend bien qu'à partir
de solides connaissances de droit civil des biens et obligations. On notera d'ailleurs que
droit commercial et droit civil, s'agissant de l'entreprise, tendent à se fondre dans un droit
de la production des biens et des services, droit qui joue dans les relations entre entreprises et qui fait place à un droit de la consommation dans les relations entre entreprises
et consommateurs. Ces derniers, en effet, ont rejoint la classe des faibles au plan économique, classe que les salariés occupent depuis plus longtemps en raison de l'apparition du
droit du travail. Ces deux catégories de faibles au plan économique sont respectivement
protégées par le code de la consommation et le code du travail.
Le développement des cinq livres sera précédé, en livre préliminaire, d'une introduction générale à l'étude du droit.
Sont auteurs respectivement des Livres I, II, III, Edwige Mollaret-Laforêt, du Livre IV,
Christian Guiter, du Livre V, Charles Robbez Masson. Enfin, l’ouvrage doit beaucoup au
professeur Dominique Lefèbvre, qui fût l’instigateur de la 1re publication et reste
l’inspirateur de la présente édition, qui est la 11e de Droit et Entreprise ; qu’il reçoive, ici,
les remerciements amicaux et respectueux de ses coauteurs.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 9
INTRODUCTION GÉNÉRALE
À L’ÉTUDE DU DROIT
LIVRE PRÉLIMINAIRE
1
Avant d’aborder l’étude du droit applicable aux entreprises il convient, dans une introduction, de dire d’abord ce qu’est le droit : la notion de droit, sa définition, ses caractères
propres, quand on le compare aux autres règles de la vie sociale, par exemple les règles
morales, les règles religieuses ou les règles de bienséance. Tel sera l’objet du premier
chapitre : la notion de droit.
Seront étudiées ensuite les différentes relations et situations que régit le droit dans la
société. C’est l’étude des grandes divisions du droit dont la grande distinction entre le
droit privé et le droit public. L’étude de cette distinction sera complétée par l’étude des
sous-distinctions qui s’y rattachent. Le chapitre second portera donc comme titre : les
différentes branches du droit. Ce sera l’occasion de constater que l’entreprise est gouvernée, non pas par les seules règles du droit privé (droit civil, droit commercial, droit du
travail) mais aussi par les règles du droit public (droit fiscal, droit pénal, droit économique, etc.).
En troisième lieu sera abordée la question de savoir où se trouvent contenues les règles
qui gouvernent l’entreprise ; chapitre troisième : les sources du droit.
Il faudra alors avoir une idée sur la manière, sur les processus par lesquels sont appliquées ces règles de droit. Il s’agit ici de l’étude de l’application du droit notamment par
l’office des juridictions, tribunaux et cours chargés, en France, d’appliquer les règles juridiques ; chapitre quatrième : l’application du droit.
Enfin cette introduction se terminera par l’exposé de deux aspects ou plutôt des deux
théories du droit, celle du droit objectif et des droits subjectifs. Il faut insister particulièrement sur cette dernière théorie, celle des droits subjectifs, capitale en matière de droit
privé.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 11
Chapitre I
La notion de droit
2
S’agissant de définir la notion de droit, la difficulté tient au fait que dans le langage
courant on utilise le mot droit en des sens très divers, si bien que l’on peut avoir a priori
du droit, des notions fort différentes. Citons un certain nombre d’exemples tirés du
langage courant. Un enfant dit : « J’ai le droit d’aller au cinéma », le père de cet enfant dit :
« J’ai le droit de corriger mon enfant. » Un automobiliste, roulant sur la route et rencontrant un feu, lorsque le feu passe au vert pense : « J’ai de droit de passer. » Et le gendarme
qui l’arrête s’il a « brûlé un feu » dit : « J’ai le droit de vous dresser procès-verbal. » Très
curieusement, dans ces quatre exemples, il n’y a pas de droit : ni pour l’enfant, ni pour le
père, ni pour l’automobiliste, ni pour le représentant de la force publique ; il y a pour
l’enfant une permission, pour le père et le gendarme un pouvoir, pour l’automobiliste un
devoir. Un automobiliste ne peut dire qu’il a le droit de rouler à droite ; il a le devoir de
rouler à droite. Est-ce à dire que ces situations qui n’ouvrent pas de droit ne sont pas
régies par le Droit ? Absolument pas. Mais il s’agit du droit pris en un autre sens : le droit,
non pas comme prérogative d’individus – enfant, père, automobiliste, gendarme –, mais
le droit comme ensemble de normes obligatoires qui régissent, selon les exemples cités,
les rapports entre père et enfant, les rapports entre automobiliste et agent de la circulation. C’est dans ce sens qu’on parle du droit de la famille, du droit de la circulation, mais
qu’on parle aussi du droit des biens et du droit des contrats. Le droit se présente donc
d’abord comme un ensemble de normes obligatoires, comme un corps de règles. C’est
ainsi qu’on parle du droit positif français. Mais ce droit positif français est également
l’objet d’études : celles que vous faites ; de recherches : celles que font les juristes. Le
droit se présente donc aussi comme une science. C’est pourquoi nous aborderons le droit
comme ensemble de normes obligatoires, et le droit comme science.
SECTION I
LE DROIT COMME ENSEMBLE DE NORMES OBLIGATOIRES
3
Le droit apparaît comme un corps de règles. Ces règles dictent ce que doit être la
conduite des citoyens ou des habitants d’un pays donné dans telle ou telle situation. Le
droit dicte un ordre, mais il prévoit aussi à l’avance la sanction qui sera, ou pourra, être
appliquée au cas où l’ordre n’aurait pas été respecté. Ces éléments spécifiques de la règle
juridique la distinguent d’autres règles que nous connaissons et pratiquons dans la vie
sociale telles les règles morales, religieuses ou de bienséance.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
12
18/09/08
12:49
Page 12
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
§ I — Les éléments spécifiques de la règle juridique
Il s’agit, comme il vient d’être dit, de deux éléments. Le premier est l’ordre donné ; le
second est la sanction prévue en cas de désobéissance à l’ordre.
4
5
A — L’ordre donné
C’est l’élément impératif de la règle. L’autorité étatique compétente édicte directement, par le moyen des lois, certaines règles. Celles-ci s’adressent à tous indistinctement
et aussi longtemps qu’elles n’ont pas été abrogées par le législateur qui les a créées. On
dit de ces lois qu’elles sont générales, parce qu’elles s’adressent à tous, et permanentes
parce qu’elles dictent la conduite de chacun de nous dans telle ou telle situation, tant
qu’elles existent. Ainsi, certaines lois obligent les parents à élever et éduquer leurs
enfants. D’autres obligent chacun à respecter le bien d’autrui. D’autres règles législatives
exigent que ceux qui passent contrat se soumettent à certaines conditions. Parfois,
l’autorité étatique, sans édicter de règles de conduite formalisées dans des lois, exige,
cependant, de chacun, le respect d’usages admis par tous. Il s’agit alors de règles non pas
législatives, mais de règles coutumières qui ont, de ce fait, généralité car chacun les
respecte, et permanence, car elles existent tant que les conditions sociales n’ont pas
amené leur désuétude. Mais l’autorité étatique ne se contente pas de donner des ordres ;
la règle juridique contient aussi une sanction, preuve que le législateur ne compte pas
seulement sur l’esprit civique de chacun mais est décidé à imposer par la force – la force
étatique – l’ordre donné dans la règle édictée.
B — La sanction
Nous abordons donc l’étude du second élément de la règle de droit qui contient aussi
la menace d’une sanction. Il ne faut pas entendre par sanction la seule idée de peine, de
punition et d’infamie. La sanction, en droit, est toute application directe ou indirecte de
la règle de droit, et n’est pas forcément infamante. Il existe d’abord des sanctions directes. C’est, par exemple, le cas de la règle tirée du droit de la famille, qui interdit à la
femme mariée devenue veuve, ou qui a obtenu le divorce, de se marier avant l’écoulement
d’un certain délai, dit délai de viduité. Il est clair que si une femme veut se marier avant
l’écoulement de ce délai, par application préventive de la règle, l’officier d’état civil
compétent, le maire, refusera la célébration. Il y a dans ce cas une application directe de
la règle. Mais la plupart des sanctions sont des sanctions indirectes. Autrement dit, dans
ce cas-là, on attendra effectivement qu’il y ait eu contravention à la règle pour la sanctionner. Ces sanctions sont de trois ordres et, curieusement, recoupent ici très exactement
le plan des trois premiers livres. Il y a en effet des sanctions sur les personnes, des sanctions sur les biens et des sanctions sur les actes.
a) D’abord, la sanction peut peser sur les personnes : il faut reconnaître qu’en droit
privé ces sanctions n’existent plus depuis qu’a disparu, au siècle dernier, la prison pour
dettes. La personne est considérée comme transcendante en droit civil et on ne peut, ou
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 13
LA NOTION DE DROIT
13
on n’ose plus, manu militari, la forcer à respecter la règle. En revanche en droit public, et
particulièrement en droit pénal, la contrainte et la sanction sur les personnes existent. À
ce point de vue le droit pénal apparaît comme un droit très rigoureux qui peut sanctionner une personne dans sa liberté par des peines de prison.
b) Ensuite, examinons les sanctions sur les biens : ce genre de sanctions est la panacée
en matière de droit privé. En effet, il est très courant qu’une personne, qui a contrevenu à
la règle, soit condamnée à verser une certaine somme d’argent appelée dommages-intérêts. En droit pénal, on constate très souvent que les délinquants sont condamnés à une
amende. Ils conservent donc la liberté et ne sont pas touchés dans leur personne, mais
simplement dans leurs biens.
c) Enfin, les sanctions peuvent toucher les actes juridiques : c’est ainsi que, si un
contrat – acte juridique – est passé en contravention avec l’une des conditions essentielles de sa formation, il sera annulé. La sanction de l’acte juridique imparfait est son
inefficacité, sa nullité.
Il faut remarquer d’ailleurs qu’en passant de l’élément impératif de la règle – l’ordre
donné – à l’élément de sanction, on passe de la règle générale à son application concrète
et ponctuelle à telle situation donnée, entre deux personnes opposées dans un litige. On
passe par le fait même de la fonction législative à la fonction juridictionnelle, du pouvoir
législatif au pouvoir judiciaire, et vous reconnaissez ici le grand principe de la séparation des pouvoirs.
Le second paragraphe aborde la distinction entre règles juridiques et les autres règles
de la vie sociale et, par conséquent, rend compte de ce qui est spécifique dans la règle de
droit.
6
§ II — La distinction entre la règle juridique et les autres règles sociales
Dans la vie en société, il est d’autres règles que les règles juridiques pour influencer,
voire diriger notre conduite : règles morales, règles religieuses pour ceux qui ont une
confession, règles de bienséance, règles de convenance. Toutes ces règles comportent
aussi des impératifs de conduite, mais qui sont d’une autre nature que ceux de la règle
juridique.
Prenons l’exemple des règles de morale. On constatera que les impératifs moraux sont
variables d’un individu à l’autre. Tel pense que telle conduite est normale, un autre, pas,
Il y a donc d’une part dans la règle morale un manque de généralité qui l’oppose à la règle
juridique. La règle morale est d’autre part individuelle ; un individu seul sur une île peut
obéir à des préceptes moraux alors que le droit ne le concerne pas, car le problème de la
répartition des biens, de la validité des contrats, ne se pose à l’évidence qu’à partir du
moment où il y a au moins deux personnes. La règle morale est individuelle en ce sens
aussi qu’elle régit la conduite de chacun dans son for intérieur, ce qui n’est pas le cas du
droit. La morale peut exiger une justice poussée jusqu’à la charité ou l’héroïsme envers
autrui. Le droit, lui, ne dicte qu’un comportement extérieur qui consiste, non pas à faire
du bien à autrui, mais simplement à ne pas lui faire de tort, de dommage. Le droit se
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 14
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
14
satisfait d’une justice élémentaire, rudimentaire. Il ne se soucie pas le plus souvent
d’ailleurs des intentions individuelles, se contentant de juger les attitudes extérieures,
matérielles. Le droit ne régit que le for externe et ce n’est qu’exceptionnellement qu’il
prend en compte les intentions individuelles et, dans ce cas, à la condition qu’il y ait eu
agissements matériels répréhensibles. La morale peut d’ailleurs, parfois, s’opposer au
droit. Certaines personnes, dans une société donnée, pensent que l’ordre juridique est
profondément injuste, voire immoral. Ces personnes peuvent alors estimer, au nom de
leurs impératifs moraux, qu’elles sont obligées, en conscience, de lutter contre l’ordre
juridique établi. Vous constaterez de la même façon que la règle religieuse et les règles de
convenance n’ont pas de caractère de généralité. L’État laïc, en effet, reconnaît la liberté
religieuse et par ce fait même chacun peut avoir la religion de son choix. Donc, dans une
société donnée, chacun obéira à des règles religieuses différentes. Les règles imposées par
une confession ne sont pas générales. De même en est-il pour les règles de convenance
car chaque milieu a les siennes. S’il faut distinguer les règles juridiques des autres règles
de la vie sociale, on doit constater que la morale joue parfois un rôle en droit. On peut
citer ici la matière des « bonnes mœurs », la « théorie des obligations naturelles », la
« théorie de la bonne et de la mauvaise foi », et enfin celle de la « fraude ».
Voici donc les traits spécifiques des règles de droit : ordre et sanction. Ces traits
permettent-ils de reconnaître au droit, vu comme ensemble de connaissances juridiques,
le caractère de science ? C’est ce que nous examinerons dans une seconde section.
7
8
SECTION II
LE DROIT COMME SCIENCE
Si l’on est soumis au droit – c’est le droit comme ensemble de normes obligatoires –
on fait aussi du droit en ce sens qu’on étudie le droit, que le droit est un objet d’études.
En dépit de l’adage : « Nul n’est censé ignorer la loi », force est de constater la diversité
et la complexité des règles de droit. Celui-ci, comme les autres disciplines, requiert des
études, de la pratique, des recherches, tant au plan de la compréhension et de l’application
des règles existantes qu’à celui de la réforme de ces règles. Peut-on cependant dire du
droit qu’il est une science et, s’il en est une, quelle est la méthode de cette science ? Tel
sera l’objet des deux paragraphes suivants.
§ I — Le droit est-il une science ?
On peut avoir de la science une conception, une définition très rigoureuse. Ne serait
« science » que la connaissance tirée de l’observation expérimentale et rationnelle de
phénomènes objectifs qui demeurent étrangers à la volonté humaine, dont celle de
l’observateur, parce que n’obéissant qu’à un déterminisme dont l’homme n’est pas
maître. Selon pareille définition, le savant, le scientifique, ne peut qu’observer un phénomène et ne peut lui trouver d’explication rationnelle qu’à la condition que cette
explication soit confirmée, par la suite, par des démonstrations et preuves objectives. On
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
LA NOTION DE DROIT
12:49
Page 15
15
a alors des conclusions, des lois scientifiques. Tel est le cas des lois de Galilée, de
Newton, de l’équation d’Einstein.
La volonté, l’opinion de l’observateur, ou toute volonté subjective, sont étrangères à
de telles lois scientifiques qui présentent les caractères suivants :
– en premier lieu, elles sont objectives, c’est-à-dire qu’elles n’impliquent aucune
volonté humaine, explicite ou implicite ;
– en second lieu, elles sont neutres, c’est-à-dire qu’elles n’impliquent aucune idée de
valeur. Une découverte biologique en soi est neutre ; elle peut servir au bien et au mal, à
guérir des malades ou à construire des bombes bactériologiques, mais en elle-même la
découverte est neutre moralement. Ces lois sont purement logiques, rationnelles ;
– enfin, elles sont universelles dans le temps et dans l’espace. Il n’y a pas de lois scientifiques françaises, russes ou américaines. Il y a dans la science un caractère universel
dans le temps et l’espace.
Alors, en ce sens, le droit n’est pas une science. Comme ensemble de règles obligatoires le droit est imposé par l’autorité supérieure, ou reconnu, admis par la croyance
populaire. Il y a donc adhésion forcée ou volontaire à des règles de comportement qui
sont variables dans le temps et dans l’espace. C’est ainsi que le droit français actuel est
différent du droit anglais et du droit japonais. Le droit, en raison même de l’élément
impératif qu’il implique, traduit une volonté collective ou individuelle, soit un choix, une
décision, donc une part d’arbitraire plus ou moins grande. Il n’est ni purement objectif,
au sens scientifique, ni neutre – et en cela il rejoint la morale et la religion – il n’est pas
entièrement rationnel ni, bien sûr, universel dans le temps et dans l’espace. Chaque pays
a son droit. « Vérité au-delà des Pyrénées, erreur en deçà. » Vous sentez bien que, quand
Pascal dit cela, il pense au droit, à la morale et à la religion. La vérité ici est contingente
à un lieu et à un territoire donné et elle ne rejoint pas la vérité scientifique. Cependant, il
faut constater que la raison n’est pas absente du droit. Certaines matières, les obligations
par exemple, font appel à la logique et le progrès du droit consiste à l’éclaircir, à le
synthétiser par application de la logique ; l’élément rationnel de la règle, ses motifs, facilitent l’adhésion des sujets de droit, et la raison étant universelle, elle est un élément
régulateur considérable dans l’application du droit par les juridictions. Ainsi, le droit peut
apparaître comme un ensemble de connaissances raisonnées et coordonnées. À ce titre, il
ne mérite pas le nom de science objective, mais de science normative, de science de
l’ordre social et ici le mot « ordre » indique la part de volonté qui est impliquée forcément
dans la discipline juridique.
9
§ II — Méthode de la science juridique
Le droit, et notamment notre droit écrit, n’est pas une addition de centaines ou de
milliers de règles éparses, compilées ou non dans les innombrables articles d’un code
civil, d’un code de commerce, d’un code pénal ou d’un code de procédure pénale.
Certains droits coutumiers ou jurisprudentiels peuvent se présenter comme une collection
de cas particuliers, comme une « casuistique ». Tel est le cas du droit anglais qui pour cela
est d’appréhension difficile ; pour le comprendre il faut de très longues études et surtout
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
16
18/09/08
12:49
Page 16
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
une expérience pratique. À l’inverse, le droit français se présente davantage comme un
tout cohérent, ordonné et systématisé. Comment est assurée cette systématisation ? Il faut
insister sur le fait que, lorsqu’on parle de systématisation du droit français, il convient de
replacer celui-ci dans l’ensemble des droits d’origine romaniste. On pourrait en dire tout
autant du droit italien, du droit espagnol, pratiquement de tous les droits de l’Europe
continentale. Cette systématisation est assurée par une double classification : classification d’une part en institutions, classification d’autre part en catégories.
10
11
A — La classification en institutions juridiques
Le droit est un ensemble de normes obligatoires. Il faut ici retenir le mot « ensemble »,
qui appelle celui de sous-ensembles. Alors que la règle est une norme gouvernant un point
de détail, un élément, l’institution est l’ensemble ou le sous-ensemble des règles qui
gouvernent une situation sociale donnée ; illustrons par des exemples. Il y a dans le code
civil un certain nombre d’articles (144 et s.) qui dictent les conditions de validité du
mariage. Il existe d’autres règles (articles 212 et s.) qui édictent les droits et devoirs
respectifs des époux. Il existe enfin d’autres règles (articles 242 et s.) qui régissent le
divorce pour faute. Ces règles ne sont pas isolées les unes des autres. Elles concourent
toutes à réglementer une situation d’ensemble : le mariage. Le mariage a donc un statut
juridique : c’est une institution. On en dirait de même des règles éparses qui gouvernent
les diverses questions touchant la procréation. Qui sont les parents de tel enfant ? Quels
sont leurs devoirs ? Quels sont leurs droits, leurs pouvoirs ? Voilà une autre institution,
celle de la filiation qui gouverne le statut des enfants. Mariage, filiation sont deux institutions, deux sous-ensembles qu’on peut regrouper dans une institution plus large : celle
de la famille. Le droit, et par exemple le droit civil, au lieu de se décomposer en 2 283
articles, se divise en grandes institutions qui tendent chacune à régir une situation sociale
donnée. La situation posée par l’union des sexes est réglée par l’institution de la famille.
L’appropriation privée est réglée par l’institution des biens. L’échange de valeurs est réglé
par l’institution du contrat, etc. Il y a ainsi des institutions de droit privé et des institutions
de droit public. Mais cette classification en institutions en recoupe une autre, technique,
celle des catégories.
B — La classification en catégories
La classification en catégories est une classification un peu plus savante que la précédente : le droit utilise un vocabulaire particulier, technique. Pour préciser un terme, une
règle, il faut les définir. Or la définition ne se fait bien que si l’on peut opposer le terme
à définir à son contraire, à son opposé. D’où apparaissent les distinctions qui permettent
de classer tout élément de droit dans des catégories techniques précises. Citons un certain
nombre d’exemples de catégories parmi les plus importantes et qui correspondent, bien
sûr, à une distinction : distinction entre public et privé, entre extra-patrimonial et patrimonial, entre personnel et réel, entre immobilier et mobilier, entre général et spécial,
entre fait juridique et acte juridique, entre impératif et facultatif, entre corporel et incor-
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
LA NOTION DE DROIT
18/09/08
12:49
Page 17
17
porel, entre simple ou – comme on dit en droit – ut singuli, ou groupé ou complexe, entre
acte d’administration et acte de disposition. Malgré leur caractère un peu ésotérique, les
catégories sont essentielles et nous les retrouverons à tout moment. L’avantage de ces
catégories est que leur classification recoupe celle des institutions. En d’autres termes,
des institutions différentes pourront faire appel à une catégorie identique. Par exemple : le
mariage, qui fait partie de l’institution familiale, entre dans la catégorie des actes juridiques que nous avons classés tout à l’heure parmi les échanges de valeurs qui
comprennent le contrat, acte juridique. Ainsi c’est le même vocabulaire technique, la
même catégorie qui servira à définir des institutions différentes, qui pourront ainsi être
comparées, analysées, qualifiées. La qualification permet de dire à quelle catégorie
appartient tel élément, telle règle ou telle institution, de révéler sa nature juridique. Qualifier ou analyser la nature juridique d’une règle, d’un élément de droit ou d’une institution
est l’opération la plus difficile, mais la plus importante du droit. C’est celle que doivent
faire les juristes, à commencer par les magistrats, lorsqu’ils se trouvent devant une situation litigieuse.
12
Cette double classification, en institutions d’une part, en catégories de l’autre, est fort
utile. Elle va permettre une lecture, une interprétation d’ensemble des règles du droit.
Chaque règle sera interprétée en fonction des règles voisines au sein de la même institution, dont on recherche quelle est la finalité, quel est le but social, sans s’arrêter à la lettre
de tel ou tel article. Ainsi l’esprit triomphera de la lettre et l’intelligence d’un formalisme
étroit. Cette double classification permet aussi, au cas de lacunes de la loi s’agissant de
telle institution, de se référer aux règles qui gouvernent la catégorie dont fait partie
l’institution. Citons un exemple : le code civil traite du mandat et du dépôt comme
contrats à titre gratuit dans lesquels le mandataire et le dépositaire ne sont pas rémunérés.
La responsabilité de ces prestataires de services ne doit-elle pas être plus lourde au cas où
ils sont rémunérés ? Faute de réponse dans le code civil, l’analyse juridique conduit à
classer le mandat et le dépôt rémunéré dans les contrats à titre onéreux qu’on oppose aux
contrats à titre gratuit : dans la vente, contrat à titre onéreux type, le vendeur a des obligations, notamment de garantie, beaucoup plus fortes que le donateur dans une donation,
contrat à titre gratuit type. On en déduit que la catégorie acte à titre onéreux, dont font
partie mandat et dépôt rémunérés, doit entraîner une responsabilité plus grande du
mandataire et du dépositaire rémunérés. La qualification ainsi faite a permis de préciser
le régime des contrats considérés.
Ainsi l’ensemble du droit apparaît comme un tout complexe, certes, mais cohérent. On
peut utiliser cette image : le droit se présente comme une grande commode, comme ces
grands meubles que l’on trouve chez les quincailliers et qui comportent une infinité de
tiroirs. Il y a des grands tiroirs et dans chaque tiroir il y a des boîtes d’une certaine dimension qui contiennent d’autres boîtes de dimension plus réduite. Et dans chacun de ces
tiroirs, dans chacune de ces boîtes, on trouve un outil différent. Le droit se présente
comme l’ensemble de ce meuble, avec un ensemble de tiroirs, et tout l’art du juriste est
d’ouvrir le bon tiroir. Le droit peut évoluer, peut changer, sa structure profonde reste la
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18
18/09/08
12:49
Page 18
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
même, car l’arsenal des outils techniques utilisés demeure le même. À notre époque, on
peut sans difficulté lire des auteurs anciens comme Domat ou Pothier, juristes des XVIIe et
XVIIIe siècles, lesquels, s’ils renaissaient, pourraient lire le droit moderne et le comprendre, car les outils juridiques sont restés les mêmes.
Il convient de présenter maintenant une classification juridique importante, celle des
grandes divisions du droit. C’est l’objet du chapitre second : Les différentes branches du
droit et la place du droit privé.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 19
Chapitre II
Les différentes branches du droit
et la place du droit privé
13
Le droit, ensemble de règles de conduite, a pour but de gouverner les rapports soit des
particuliers entre eux, et il s’agit alors du droit privé, soit de personnes dont l’une au
moins est l’État ou l’un de ses organes, et il s’agit alors de droit public. Il apparaît que
dans les rapports de droit privé, les deux parties sont sur un pied d’égalité juridique, l’État
est étranger à leurs rapports ou à leurs litiges. Il ne s’y intéresse, en principe, qu’au seul
cas où un conflit se dessine. Les particuliers n’ont pas le droit de se faire justice à euxmêmes ; l’État intervient comme arbitre imposé sans d’autre intérêt que celui, très
général, d’assurer la paix publique, qui exclut vengeance, guerre et justice privées.
Il en est autrement s’agissant de droit public. Ici les parties ne sont pas sur un pied
d’égalité, car l’une d’entre elles est l’État, qui par ailleurs est juge. Il est alors à redouter
que la puissance publique, jouant en quelque sorte sur deux tableaux, n’impose sa loi au
lieu de se soumettre à la légalité qui commande à la fois aux particuliers et à l’État luimême. Ainsi l’on comprend bien la différence capitale qui sépare le droit privé du droit
public ; cette différence est double : il s’agit, d’une part, de l’égalité ou de la non-égalité
des parties en rapport ; il s’agit, d’autre part, du rôle différent de l’État. C’est en
s’appuyant sur ces deux différences fondamentales qu’on divise le droit français, division
utile au point de vue pédagogique, même si elle tend à perdre de son importance dans la
réalité des situations, droit privé et droit public étant souvent « imbriqués » l’un dans
l’autre.
14
SECTION I
LE DROIT PRIVÉ
Le droit privé se subdivise à son tour. Il y a d’abord le droit civil, droit fondamental,
parce qu’il est le droit commun, général, qui s’appliquera si aucune règle spéciale,
d’exception, ne vient jouer. Fondamental aussi parce que les droits spéciaux ne viennent
bien souvent que compléter les règles du code civil qui contient l’essentiel du droit privé.
Le code civil traite du statut de la personne physique seule, de la famille, de la personne
morale, des biens, des activités juridiques que sont les faits et actes juridiques.
À côté du droit civil il existe des droits spéciaux. Le droit commercial traite des
commerçants, des personnes morales commerciales, des contrats commerciaux, des biens
commerciaux, des procédures spéciales aux commerçants, des transports par terre, par
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 20
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
20
mer et par air. Les autres droits spéciaux sont le droit du travail, droit qui s’applique aux
rapports des employeurs et des salariés, le droit rural, qui s’applique aux agriculteurs et
fermiers et le droit de la consommation qui s’applique aux relations entre entreprises et
consommateurs. Mais déjà droit du travail et droit rural par certains aspects apparaissent
comme faisant partie du droit public.
Revenons sur le droit civil et le droit commercial.
15
§ I — Le droit civil
C’est le droit commun, s’appliquant à tous. C’est le principe, les autres droits étant
d’exception. Donc, si le droit d’exception est muet, le droit civil s’applique. Son contenu
est double et comprend :
– le droit patrimonial ; c’est le droit du patrimoine ou le droit des biens et des obligations. Le droit patrimonial gouverne les rapports d’ordre économique que les individus
ont entre eux : réparation d’un dommage, vente d’un bien, location. (cf. infra, n° 54).
– le droit extra-patrimonial ; c’est le droit qui gouverne les rapports qui n’ont pas le
profit pour but : mariage, filiation, éducation des enfants, divorce, identification (nom,
prénom, âge, domicile). Le droit extra-patrimonial gouverne les rapports des personnes,
ou la situation individuelle des personnes, qui ne sont pas fondés sur un critère économique, dont les droits de la personnalité (cf. infra, n° 54).
Le droit patrimonial concerne l’homo œconomicus et le droit extra-patrimonial
l’homme dans sa dimension la plus sacrée.
16
§ II — Le droit commercial
C’est la branche du droit privé applicable aux particuliers faisant du commerce. Il est
impossible de faire du droit commercial sans faire du droit civil patrimonial pour les
raisons suivantes :
– de nombreuses règles du droit civil s’appliquent directement au droit commercial.
Exemple : règles de formation des contrats, article 1108 et ss. du code civil ;
– les règles particulières du droit commercial ne peuvent être comprises que si l’on
connaît celles du droit civil qu’elles viennent ensuite compléter ou auxquelles elles viennent déroger.
Très sommairement sont exposés le contenu du droit civil patrimonial et quelques
règles spéciales du droit commercial qui viennent s’y ajouter.
Contenu du droit civil patrimonial
a – Définition des biens : immeubles et meubles, corporels et incorporels, fongibles et
non fongibles, consomptibles et non consomptibles.
b – Définition des droits qui peuvent porter sur ces biens : propriété, démembrement
du droit de propriété (usus, fructus, abusus), droits réels accessoires.
c – Définition des modes juridiques d’acquisition de ces biens : succession, contrat,
possession.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 21
LES DIFFÉRENTES BRANCHES DU DROIT ET LA PLACE DU DROIT PRIVÉ
21
d – Définition des modes de protection des créanciers : gage général sur les biens du
débiteur, sûretés personnelles (caution, solidarité), sûretés réelles (hypothèque, gage).
e – Définition de la responsabilité civile pour dommage causé à autrui.
f – Définition des règles de preuve (en principe par écrit en matière contractuelle).
Règles spéciales du droit commercial
a1 – Aux biens définis par le droit civil, il faut ajouter le fonds de commerce,
l’enseigne et le nom commercial, les actions et obligations de sociétés, les créances mobilisées dans un titre négociable.
b1 – Au titre des droits sur les biens, il faut ajouter la propriété utilisée comme garantie dans le crédit-bail, la clause de réserve de propriété, et des droits réels accessoires
spécifiques : warrant-hôtelier, nantissement sur outillage, nantissement pétrolier, gage des
stocks, etc. (cf. infra, n° 227).
c1 – Le droit commercial multiplie à loisir la variété des contrats et l’acquisition mobilière par la possession de façon à éviter les risques de nullité d’un transfert par contrat (cf.
infra, n° 228).
d1 – Le mode de protection des créanciers obéit en droit commercial à la procédure
collective de redressement et liquidation judiciaires, radicalement différentes des modes
de protection du droit civil. On a vu apparaître des modes de protection fondés sur la
propriété comme garantie (cf. supra b1).
e1 – La responsabilité civile s’enrichit en matière commerciale de l’action en concurrence déloyale, de l’action en débauchage, de l’abus de domination, etc.
f1 – Les modes de preuve du droit commercial sont assouplis : la preuve par écrit n’est
pas nécessaire (article L110-3 du code de commerce). Mais obligation est faite de tenir
une comptabilité qui fait preuve.
En conclusion, le droit commercial obéit à des impératifs de sécurité et de rapidité, car
l’entreprise réalise des opérations nombreuses pour une grande valeur. Ce n’est pas le cas
du civil qui ne fait que peu d’opérations, pour des sommes médiocres.
17
SECTION II
LE DROIT PUBLIC
Le droit public comprend d’abord, bien évidemment, le droit constitutionnel ; c’est
l’actuelle constitution de 1958, celle de la Ve République. Il existe ensuite le droit administratif qui règle les rapports des particuliers avec les administrations de l’État. Il existe
le droit fiscal, droit qui règle les contributions de chacun d’entre nous pris comme contribuables avec l’État puissance publique. Il existe aussi le droit criminel à classer dans le
droit public (en dépit de certaines apparences, car ce sont les juridictions civiles qui appliquent le droit criminel et non les juridictions de l’ordre administratif). Il faut classer la
procédure pénale parmi le droit public, de même que la procédure civile, car la procédure
règle le service public de la justice, autrement dit les rapports d’un particulier justiciable
avec le service public de la justice.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
22
18/09/08
12:49
Page 22
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
Il faut insister sur la montée du droit public. En effet, il fut un temps où les juristes
voyaient l’essentiel du droit dans le droit privé. Le droit public avait, à cette époque-là,
peu d’importance ; c’était au siècle dernier. Pourquoi ? Parce que pendant très longtemps
l’État a eu une tâche traditionnellement réservée au maintien de l’ordre public, et l’État
dans cette conception – l’État libéral – laissait l’économie dans le champ des activités
privées, du droit privé. Or, à partir des guerres de 1914 et de 1940, on a vu l’État renoncer à ce rôle de neutralité économique. Il a multiplié ses interventions, on est passé de
l’État libéral à l’État dirigiste. Actuellement on constate que la propriété immobilière est
étrangement limitée par la montée du droit public de l’État : par exemple, il n’est plus
possible d’élever un immeuble sur son terrain sans avoir un permis de construire obtenu
de l’administration. Si bien que lorsqu’on veut étudier le droit de l’immeuble, à côté du
droit privé, il faut étudier le droit public de l’immeuble. On en dirait autant des contrats ;
la fameuse liberté contractuelle subit de très grandes limitations. Il en est de même des
relations de travail qui, laissées à la liberté des parties et pratiquement à l’arbitraire des
patrons au siècle dernier, sont maintenant réglementées par un droit qui, par beaucoup
d’aspects, est devenu un droit public : c’est le droit du travail. A tel point, et ce sera la
conclusion, qu’il est impossible désormais d’ignorer le droit public quand on veut aborder quelque problème que ce soit en droit privé.
C’est ainsi que l’on peut résumer l’influence de plus en plus grande du droit public sur
le droit privé :
– raisons de cette influence : passage du libéralisme au dirigisme ; passage de l’Étatgendarme à l’État-patron ; passage de l’individualisme au collectivisme ;
– manifestations de cette influence :
1. L’État propose de moins en moins de règles supplétives (ou facultatives) mais
plutôt des règles d’ordre public, impératives (exemples : contrat de travail, copropriété –
loi de 1965 –, assurances, vente à crédit, baux commerciaux…). Les règles supplétives
sont des règles que les particuliers ont la faculté d’adopter ou d’écarter ; les règles impératives s’appliquent obligatoirement quelle que soit la volonté des parties.
2. Les règles de droit privé sont sanctionnées pénalement (exemples : abandon de
famille, refus de vente, vente à crédit aux consommateurs sans respecter les formes prescrites, etc.).
3. L’État réglemente l’accès aux professions (exemples : accès ou condition de
diplôme, d’expérience professionnelle, d’agrément, d’inscription, etc.).
4. L’État assure la direction économique des activités des particuliers (exemples :
incitation fiscale, direction de l’épargne, fiscalité, crédit (monopole des banques), implantation des activités commerciales, loi Royer de 1973), loi sur les nouvelles régulations
économiques du 15 mai 2001 sur la régulation financière et de la concurrence, loi de
modernisation sociale du 17 janvier 2002, loi en faveur du travail, de l’emploi et du
pouvoir d’achat du 21 août 2007, loi pour le pouvoir d’achat de la concurrence au service
des consommateurs du 4 janvier 2008 et loi de modernisation de l’économie du 4 août
2008.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 23
LES DIFFÉRENTES BRANCHES DU DROIT ET LA PLACE DU DROIT PRIVÉ
23
5. Enfin l’État est lui-même entrepreneur. Il a monopolisé longtemps certains
secteurs (exemples : télécommunications, banque, réseau ferroviaire, gaz et électricité,
charbonnages, pétroles, etc.). La tendance actuelle de l’État, sous l’influence du droit
européen notamment, mais aussi du contexte économique, est de « se désengager » sans
perdre cependant certains moyens de contrôle (banques) ou d’intervention sur les
« secteurs clés ».
Une nouvelle illustration est fournie par les dispositions de l’ordonnance du 16 juin
2004, modifiée par la loi du 28 juillet 2008, organisant les contrats de partenariat publicprivé : ceux-ci permettent, à côté des marchés publics et des délégations de service public,
une nouvelle forme d’association de l’entreprise privée aux investissements et à
l’exploitation d’équipements ou de services publics ; un « tiers » se verra donc confier par
l’État, les collectivités territoriales ou certains établissements publics, une mission
globale de financement, conception, construction, gestion… d’un équipement ou service
public : hôpital, gendarmerie, université.
18
19
SECTION III
LE DÉPASSEMENT DES DISTINCTIONS CLASSIQUES
L’État ayant pris en charge la direction de l’économie, celle-ci, entièrement soumise
au droit privé jusqu’au début du Second Empire, est entrée de plus en plus sous la
mouvance du droit public. Est-ce à dire pour autant que le droit public a remplacé le droit
privé dans le champ du droit patrimonial ? Non : le droit privé, civil et commercial,
conserve une grande importance pour la raison que l’État juge que l’initiative privée ne
doit pas être désamorcée même si elle doit être réglementée. De même l’État juge que les
règles du droit public doivent être orientées vers la croissance économique. On assiste
alors à la naissance d’un concept nouveau : le droit économique dont il faut étudier la
notion et les nouvelles divisions qu’il fait naître.
§ I — La notion de droit économique
A — Le droit économique n’est pas une nouvelle branche du droit distincte des autres que
nous venons d’étudier : droit privé et ses subdivisions, droit public et ses subdivisions. Il
apparaît comme une nouvelle conception du droit qui place ce dernier au service de
l’économie du pays (droit économique interne) ou d’un groupe de pays (droit économique
européen par exemple). Il apparaît évident, en effet, que les États ont dû renoncer aux
conquêtes territoriales ou coloniales par utilisation de leur potentiel militaire. En revanche ils sont désormais investis de la fonction de maintenir et développer l’économie
nationale, pour assurer la croissance du niveau de vie interne et l’influence économique
du pays dans le concert international. Aussi l’État s’est-il infiltré et imposé dans tous les
rouages économiques, en utilisant les moyens juridiques qui sont les siens : législation
tant privée que publique. On découvre donc en droit privé des règles de droit économique : règles d’ordre public et sanctions pénales de comportements économiques jugés
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
24
20
18/09/08
12:49
Page 24
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
contraires à l’intérêt général. On crée de nouvelles branches du droit qui réglementent
impérativement certains contrats (par exemple, contrat de travail, contrat de bail à ferme)
soumis jusque-là au droit privé. Ces nouvelles branches du droit (droit du travail, droit
rural, droit des sociétés civiles et commerciales) contiennent des règles dérogatoires aux
principes fondamentaux du droit privé, tels que l’effet relatif des contrats ou la rétroactivité de la nullité des contrats. Mais l’incidence du droit économique est encore plus forte
en matière de droit public. L’État exerce son contrôle sur certains secteurs de l’économie
(communication, crédit, énergie, etc.) d’une part, il réglemente l’entrée dans les diverses
professions, contrôle ces dernières, stimule ou paralyse tel ou tel type d’activité ou de
forme d’activité par le recours au droit fiscal, au droit des aides, subventions et prêts
publics, d’autre part. Pour arriver à ses fins, l’État utilise une gamme de moyens qui vont
de la contrainte pénale (on distingue désormais, en matière d’entreprise, le droit pénal :
des sociétés, des affaires, du travail, de la consommation, du crédit, de la fiscalité, de
l’urbanisme, de l’hygiène et de l’environnement, etc.) à la pratique des contrats et
conventions individuelles ou collectives.
B — Ce qui caractérise le droit économique est :
1. qu’il ne détruit pas les divisions traditionnelles du droit, même s’il les modifie en
les mettant au service de l’économie ;
2. qu’il tient compte de l’opportunité économique et rompt ainsi avec le principe de
permanence et de généralité de la règle de droit, par exemple : telle réglementation assurant le blocage des prix est salutaire tant que le pays est en proie à la « spirale
inflationniste ». Elle devient néfaste dès lors que l’inflation a disparu. Il convient donc de
neutraliser la règle sans l’abroger pour autant, en prévision d’une reprise inflationniste.
Autre exemple : tel dégrèvement fiscal est bon pour tel secteur de l’économie affecté
à la recherche de pointe, mais ne saurait profiter à des secteurs sans risques ou ayant des
activités périmées. Ainsi est rompue l’égalité des citoyens face aux charges et aux avantages publics.
21
§ II — Les divisions du droit engendrées par le droit économique
Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, le droit économique n’était pas encore
l’objet de classification. L’État, par son action multiforme, tendait à diriger l’économie
nationale, au risque de sacrifier les uns pour assurer à la fois la sécurité des autres et le
progrès économique d’ensemble.
A — Une première distinction a été faite : droit économique de protection d’une part, de
direction de l’autre
1. Certaines lois ou branches du droit déjà anciennes ont pour objet de protéger les
économiquement faibles dans leurs rapports contractuels avec des économiquement
forts. Citons : le droit du travail et le droit de la Sécurité sociale qui protègent les salariés,
le droit des transports (loi Rabier de 1905) qui protège les voyageurs, le droit des assurances (loi de 1930 reprise dans le décret de juillet 1976) qui protège les assurés, le droit
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 25
LES DIFFÉRENTES BRANCHES DU DROIT ET LA PLACE DU DROIT PRIVÉ
25
des baux immobiliers (lois de 1948, de 1986 et de 1989) qui protège les locataires, les lois
Scrivener du 10 janvier 1978, du 13 juillet 1979 et la loi du 31 décembre 1989 inscrite
dans le code de la consommation, qui protègent les consommateurs-acquéreurs à crédit,
la loi solidarité et renouvellement urbain du 13 décembre 2000, qui protège l’acquéreur
immobilier, la loi du 26 juillet 1993 sur la vente à domicile, la loi du 26 juillet 1993 qui
réglemente la vente à distance, etc.
Plus récemment, la loi du 19 mai 1998 (articles 1386-1 à 1386-18 du code civil)
instaurant la responsabilité du producteur, fabricant, vendeur, loueur, tend à protéger
toute victime en cas de dommage subi à cause d’un produit défectueux mis en circulation
sur le marché.
2. D’autres textes ont pour objet la direction de l’économie. Citons à titre d’exemple
la loi sur la liberté et le contrôle des changes de 1967, le droit fiscal (dégrèvements, etc.),
les ordonnances de 1958 et 1959 sur l’indexation des prix, les textes sur la concurrence.
Ajoutons les textes sur les nationalisations ou sur le contrôle de l’entrée dans les professions et/ou de leur exercice. Mais la difficulté survient devant certains textes comme ceux
de l’ordonnance du 1er décembre 1986, réformée par la loi sur les nouvelles régulations
économiques du 15 mai 2001, sur « la liberté des prix et de la concurrence » et par la loi
du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence : s’agit-il de juguler l’inflation
(objectif de direction) ou de protéger les acquéreurs-consommateurs de biens et services
(objectif de protection) ? Sans aucune doute, les deux objectifs sont-ils visés tant il est
vrai qu’ils sont liés.
22
Quoi qu’il en soit une nouvelle distinction se fait jour qui intéresse directement le droit
de l’entreprise.
B — Une nouvelle distinction à faire : droit économique de la consommation et droit
économique des professions ou de la production des biens et des services
C’est la reprise, intensifiée, de la distinction précédente qui traduit les fonctions
économiques de consommation et de production.
1. Droit de la consommation : il s’agit de protéger les économiquement faibles qui
n’entrent dans le jeu économique qu’à fin de subsistance et n’ont en général aucune
connaissance du droit et des pratiques des affaires, contre les pratiques des grandes entreprises de production et de distribution de masse, et aussi des professionnels qui, par leur
formation et leur expérience, sont en position de force (cf. supra. n° 21, A, 1). Ce droit,
dont bon nombre de textes précités, est désormais contenu dans le « code de la consommation ».
2. Droit des professions : s’agissant des agents économiques de production de biens et
de services, le législateur fait montre à leur égard à la fois de plus de libéralisme et de
plus de contrainte, en abandonnant de plus en plus le critère de l’appartenance au droit
commercial.
a) Le libéralisme : citons des exemples : seuls les professionnels peuvent recourir à
certains contrats : nantissement sur outillage, crédit-bail mobilier ou immobilier, recours
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
26
18/09/08
12:49
Page 26
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
à la cession de créance de la loi Dailly du 2 janvier 1981 (encore que les personnes morales y soient admises). Ils sont libérés du formalisme de la loi Scrivener en matière de
crédit, et peuvent recourir à la lettre de change et au billet à ordre, interdits désormais aux
consommateurs.
b) Les contraintes : elles s’exercent au moment de l’entrée dans les professions.
Outre les professions libérales, très réglementées, l’entrée dans les autres professions
n’est plus libre : titre, diplômes, expériences acquises conditionnent l’autorisation et
l’inscription sur les listes des professionnels reconnus. Ceci est vrai même pour les artisans et les agriculteurs.
On constate d’autre part l’existence de corps de règles spécifiques à chaque profession
(transporteurs, constructeurs et promoteurs, etc.) et la jurisprudence retient le critère de
la professionnalité pour aggraver la responsabilité des agents de la production économique.
c) La régression du droit commercial : le critère de la commercialité est en voie de
régression devant celui de la professionnalité pour la raison que les professions non
commerciales – artisanales, agricoles, libérales – entrent dans le concert économique
général. C’est ainsi que le droit du crédit (supra, a) ne retient plus le critère de la commercialité, Le droit des procédures collectives régissant le dépôt de bilan, qui ne visait
autrefois que les seuls commerçants et sociétés commerciales, a étendu en 1967 son
champ d’application à toutes les personnes morales de droit privé (donc sociétés civiles
et associations) ; les lois du 25 janvier 1985 et du 30 décembre 1988 étendent la nouvelle
loi sur le redressement et la liquidation judiciaires aux artisans et aux agriculteurs ; et
celle du 26 juillet 2005, dite loi de sauvegarde de l’entreprise, s’applique aux professions
libérales. Il est donc intéressant de noter que des procédures, réservées autrefois aux seuls
commerçants, atteignent désormais toutes sortes d’entreprises, même agricoles (si elles
sont sous forme sociétaire), artisanales. La loi sur les nouvelles régulations économiques
du 15 mai 2001 a modifié le code civil pour reconnaître la validité d’une clause compromissoire jusque-là réservée aux seuls contrats entre commerçants dans tout acte entre
professionnels, que ceux-ci relèvent du droit civil ou du droit commercial (cf. infra,
n° 119).
De là il découle que les sociétés civiles, les associations, les artisans, les agriculteurs,
sont tenus aux obligations comptables, pour pouvoir permettre à la justice de décider au
vu de leur comptabilité, au cas de défaillance, de la procédure de redressement ou de
liquidation.
Faut-il conclure que le droit commercial a disparu ? Ce serait aller trop loin, et nous
verrons dans le livre I de cet ouvrage qu’il conserve une grande importance. Mais cette
importance s’est réduite parce que le législateur a estimé que les entreprises
commerciales n’étaient plus les seules dans l’économie du pays à faire courir des risques
à leurs créanciers et à leurs salariés. Une société civile, une association peuvent drainer
beaucoup d’argent et avoir de nombreux salariés, la ruine d’un artisan peut entraîner la
mise à pied de compagnons qui auront du mal à retrouver un emploi. Le vrai est bien que
le droit commercial, au contact du droit économique, est en train de devenir un droit de
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 27
l’entreprise.
Chapitre III
23
Les sources du droit
Le droit privé est l’ensemble des règles qui gouvernent les relations des particuliers
entre eux. Ces règles ont pour caractère d’être : générales, c’est-à-dire de s’adresser indistinctement à tous ceux qui sont impliqués dans la situation ou le rapport visé par la règle ;
permanentes, c’est-à-dire de s’adresser à tous ceux qui ont été, sont ou seront impliqués
dans la situation ou le rapport visé, tant que la règle n’a pas disparu ; obligatoires, c’està-dire qu’elles sont sanctionnées, au cas de contraventions par ceux-là mêmes à qui elles
s’adressent, par les juridictions de l’État. Le problème est de savoir où sont contenues ces
règles générales, permanentes et obligatoires ? On peut répondre dans quatre sources qui
sont successivement la loi, la coutume, la jurisprudence et la doctrine. Ces quatre sources seront l’objet chacune d’une section. Il faut toutefois préciser que de nombreux
auteurs, dont nous sommes, refusent de voir des sources de droit dans la jurisprudence et
la doctrine. Nous dirons pourquoi bientôt, en soulignant qu’en droit public, et notamment
administratif, la jurisprudence du Conseil d’État est, elle, source de droit.
SECTION I
LA LOI
La loi est tout texte écrit, de portée générale et obligatoire, émanant des organes
étatiques compétents.
24
Reprenons les termes de cette définition.
C’est d’abord un texte écrit. La loi est « du droit écrit » par opposition à la coutume
droit oral. La forme écrite est donc essentielle. La volonté même unanime et implicite de
tous les parlementaires qui ont mission d’élaborer la loi sur tel ou tel point, n’est pas loi,
tant que cette volonté n’a pas été expressément manifestée à l’issue d’une procédure
complexe d’élaboration dans un texte écrit et, qui plus est, tant que ce texte n’est pas
formellement « promulgué ». La promulgation, c’est l’acte solennel par lequel le président de la République atteste l’existence et la régularité de la loi et adresse un ordre
d’exécuter à tous ceux qui y sont désormais assujettis. La promulgation précède la publication au journal officiel de la République française. En raison de ce caractère écrit, la loi
§I
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
28
25
18/09/08
12:49
Page 28
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
demeure obligatoire – voilà son caractère permanent – même si, désuète, caduque,
personne n’en évoque l’application, tant qu’elle n’a pas été abrogée par une loi postérieure qui la fait disparaître soit expressément, soit implicitement. L’abrogation expresse
est contenue dans un article de la loi nouvelle qui, explicitement, déclare que telle loi
ancienne est remplacée par le texte nouveau. Quant à l’abrogation implicite, elle est de
reconnaissance plus difficile. La loi nouvelle contredit en effet la loi ancienne. Il faut
donc définir le contenu précis de la loi ancienne, celui de la loi nouvelle et, après comparaison entre les deux contenus, tenir pour caduques les parties de la loi ancienne
exactement couvertes par celles de la loi nouvelle. Si la loi en raison de son caractère écrit
s’oppose à la coutume, de caractère oral, elle s’oppose aussi à cette dernière en raison de
son origine, nous allons le montrer en abordant d’autres termes de l’explication.
Textes et tableau en annexe § II
La loi est un texte émanant des organes étatiques compétents. Alors que la coutume,
traduisant les mœurs, vient « d’en bas », la loi vient « d’en haut », de l’État. Mais l’État
est un ensemble complexe, différencié en plusieurs organes : exécutif, législatif et judiciaire. De prime abord on penserait devoir écarter le judiciaire et l’exécutif de tout rôle,
dans l’élaboration de la loi qui serait l’apanage du seul législatif, la fonction du judiciaire
étant alors de sanctionner les contraventions à la loi, celle de l’exécutif d’user de son
pouvoir réglementaire pour mettre en œuvre des textes qui n’émanent pas de lui. Tel était
le cas sous les précédentes républiques : c’était au parlement en formation extraordinaire
d’élaborer le texte fondamental le plus haut dans la hiérarchie des normes : la Constitution. C’était au parlement, en formation ordinaire, d’élaborer les lois ordinaires dites
« parlementaires » : il revenait alors à l’exécutif, par le jeu du pouvoir réglementaire des
décrets et arrêtés, de mettre en application les normes constitutionnelles et législatives
ordinaires. Cependant, sous la IIIe et IVe République, on a constaté que la compétence
exclusive du parlement, et la lourdeur de cet organe, rendaient difficile le vote en temps
opportun de textes nécessaires pour satisfaire des besoins économiques et sociaux
nouveaux. Le gouvernement prit alors l’habitude, constitutionnellement contestable, de
légiférer par décret-loi dont il demandait par la suite la ratification au parlement. Cette
pratique a ouvert la voie aux dispositions nouvelles de la constitution de 1958 ; désormais,
la constitution fixe limitativement les matières qui sont de la compétence législative et sur
lesquelles le parlement doit forcément se prononcer (article 34). Mais en dehors de ces
matières, c’est à l’exécutif de légiférer par la voie réglementaire. Ainsi la compétence du
parlement est d’exception, tandis que celle du gouvernement est générale, s’exerçant
chaque fois que la matière considérée ne relève pas expressément du pouvoir législatif
(article 37). Il faut retenir que si par loi, au sens strict, on désigne des lois parlementaires (devenues sources exceptionnelles de droit), en les opposant aux décrets et arrêtés
émanant du pouvoir exécutif, la loi, au sens large, est tout texte émanant de l’organe
étatique compétent, lois parlementaires aussi bien que décrets et arrêtés puisque tous ces
textes sont pris en application de la loi fondamentale qu’est la Constitution. Tous ces
textes, constitutionnels, parlementaires ou réglementaires ont d’ailleurs une portée générale.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
LES SOURCES DU DROIT
26
27
18/09/08
12:49
Page 29
29
Il n’en reste pas moins que la possibilité pour le gouvernement de légiférer existe
encore dans la Constitution avec l’ordonnance (article 38) : beaucoup d’ordonnances ont
été prises au cours des dernières décennies mais, à titre d’illustration récente, on peut citer
la loi d’habilitation du 2 juillet 2003 qui autorise ainsi le gouvernement à prendre toute
une série de dispositions variées dans de très nombreux domaines, droit social, droit des
sociétés, droit des marchés publics, droit financier…, en vue de « simplifier le droit ». Il
s’agit là aussi de permettre de gagner du temps et d’alléger les procédures au prix, toutefois, d’une atteinte certaine au principe de la séparation des pouvoirs.
La loi est ensuite tout texte de portée générale. Cela signifie que la loi a un caractère
général. N’est pas loi en ce sens l’acte particulier comme un décret ou un arrêté, par
exemple, qui nomme tel fonctionnaire à tel poste. Ici il s’agit d’un acte public, mais d’un
acte ayant une portée particulière. Ce n’est pas un texte de loi. La loi vise indifféremment
toutes les personnes qui sont impliquées dans une telle situation. Cependant il faut faire
une distinction capitale, et qui ne remet pas en cause ce qui vient d’être dit, entre les lois
générales et les lois spéciales : les lois générales visent une situation d’ensemble, tandis
que les lois spéciales visent, à l’intérieur de cette situation d’ensemble, certains cas particuliers qui seront soumis à des règles exceptionnelles, par dérogation. Ainsi, en droit
français, la règle générale veut que les contrats se forment par le seul consentement. Mais,
exceptionnellement, certains textes particuliers (spéciaux, d’exception) exigent que
certains contrats, pour être conclus, soient accompagnés d’une formalité. Tel est le cas du
contrat de mariage ou de la constitution d’hypothèque forcément passé par-devant
notaire. Voilà ce qu’est une loi spéciale qui n’est cependant pas un acte particulier, visant
telle personne nommée, mais tous ceux qui passeront tel type de contrat. Vous avez
reconnu au passage la distinction entre les catégories générale et spéciale, entre les catégories du droit commun et du droit d’exception.
§ III
On tirera de la distinction entre lois générales et spéciales les conséquences suivantes
au sujet du caractère permanent de la loi : si une loi spéciale vient contredire une loi générale plus ancienne, cette dernière est abrogée partiellement en ce qui concerne les cas
d’exception visés par la loi nouvelle spéciale ; si au contraire une loi spéciale ancienne est
contredite par une loi générale nouvelle, la loi générale ne gouverne pas les cas spéciaux
anciennement réglementés. Dans les deux cas la loi spéciale fait exception, « déroge » à
la loi générale antérieure ou postérieure. Il en va différemment lorsque la loi nouvelle est
de la même catégorie (générale ou spéciale) que la loi ancienne. Il y a alors abrogation
totale du texte ancien.
La loi, enfin, est un texte obligatoire, c’est-à-dire susceptible de la sanction étatique.
Il faut cependant savoir qu’en droit privé il est, en bien des cas, loisible aux parties
d’écarter par une disposition expresse dans un contrat l’application de telle loi dite alors
facultative ou supplétive de volonté. Cela signifie que le législateur n’impose sa volonté
§ IV
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
30
28
18/09/08
12:49
Page 30
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
qu’à défaut pour les particuliers d’imposer expressément la leur. Mais cela n’est pas
possible dès lors que la loi est impérative, ou encore d’ordre public ; le législateur ne
laisse aucune liberté aux parties d’écarter le jeu d’une telle loi. Vous avez reconnu la
distinction entre les deux catégories, impérative et facultative.
Nous avons jusqu’ici raisonné à partir de la loi nationale émanant du législateur (ou
du pouvoir réglementaire) français. Mais à côté de la loi interne, et au-dessus d’elle, il
faut compter les traités internationaux qui lient un nombre plus ou moins grand de pays.
C’est ainsi que le chèque, la lettre de change ou traite, la vente mobilière internationale
sont l’objet de conventions internationales qui lient la France. Parmi ces traités, il faut
citer les traités européens (Euratom, CECA et CEE) qui ont créé le marché commun et
maintenant l’Union européenne. Or, à la différence des traités internationaux classiques
qui fixent les règles qu’on ne peut modifier sans l’accord de tous les pays signataires,
l’Union européenne repose sur des traités – dont celui de Rome – qui non seulement ont
créé des règles, notamment en matière de concurrence, mais des organes supra nationaux
que sont le Conseil, la Commission, la Cour de justice de l’Union, l’Assemblée de
l’Union. Conseil et Commission ont, à leur tour, pouvoir pour créer, par règlement, directement applicable à tout ressortissant de l’Union, et directive, adressée aux États pour
qu’ils mettent leurs droits en harmonie, un droit européen qui, en matière de concurrence,
de droit d’auteur et de propriété intelectuelle, de contrat, de monnaie, de protection des
consommateurs, de normes d’hygiène et de sécurité, de protection de l’environnement,
etc., prend une importance primordiale en bien des matières et supplante le droit national
qui ne peut le contredire.
Voici l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur la loi, le droit venu d’en haut. Qu’en est-il
du droit venant d’en bas, de la coutume ?
29
SECTION II
LA COUTUME
Tableaux en annexe La coutume est l’ensemble des usages auxquels se conforme
l’ensemble des individus parce qu’ils admettent leur caractère obligatoire, La coutume
comprend deux éléments : l’élément matériel – c’est la répétition, l’habitude –, et
l’élément psychologique – c’est le fait que chacun admette que cette répétition est obligatoire. Dans l’Ancien Régime la coutume a été la source primordiale du droit dans la
France du nord. En fait, en dépit de son origine démocratique, la coutume présente
l’inconvénient d’être orale, donc mal définie, incertaine, complexe, plus connue des
anciennes générations que des jeunes. Si bien qu’au bout d’un certain temps la coutume
devient le domaine des juridictions chargées de l’appliquer. Ces juridictions ont alors un
double rôle. D’abord, et c’est toujours leur rôle, celui de révéler la coutume ; mais c’est
souvent un prétexte : sous couvert de révéler la coutume, les juridictions s’arrogent le
droit de la créer. C’est l’exemple donné par le droit anglais et aussi par les anciens arrêts
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 31
31
LES SOURCES DU DROIT
de règlements des parlements de l’Ancien Régime. En fait les juridictions ont alors le
pouvoir d’appliquer le droit, mais aussi indirectement, celui de le créer. Depuis la Révolution française les juridictions ont vu leur rôle créateur aboli par l’apparition d’un
pouvoir législatif autonome. Et la promulgation des codes napoléoniens – code civil, code
de commerce, code de procédure civile, code pénal… – a tari, pendant un bon siècle, le
goût de voir dans la coutume une source de droit.
30
Il reste que la coutume demeure en droit civil une source secondaire du droit, à côté
de la loi.
C’est en droit commercial et en droit professionnel que la coutume occupe un champ
très important (cf. infra, n° 109). Citons les exemples du compte courant, de la contrepassation des effets de commerce, de l’escompte de ces mêmes effets qu’aucune loi ne
définit et qui sont nés de la pratique commerciale et bancaire. Au-delà de ces exemples
classiques de droit coutumier, il faut noter l’importance croissante des usages et pratiques
propres à chaque branche professionnelle. Les professionnels d’une branche donnée
d’activité ont l’habitude de passer des contrats en faisant référence, implicitement ou
expressément, à tel type de contrat pratiqué couramment dans la profession. Qui plus est,
les professions, étant organisées autour d’un syndicat, d’une chambre, d’un ordre, édictent des règles applicables à ses membres et l’adhésion à la profession signifie soumission
à ces règles. Il arrive bien souvent que ces règles soient homologuées par une décision du
ministre de tutelle de la profession donnée et l’on passe alors d’un droit coutumier à un
droit écrit.
Les règles professionnelles ont aussi une grande importance en droit commercial
international. Les divers organismes de commerce international qui ne sont en rien
étatiques, mais institués par les entreprises qui pratiquent le commerce international,
créent des règles et des modèles de contrat que les praticiens adoptent pour leurs opérations. À titre d’illustration, peuvent être cités des usages en matière de vente
internationale, élaborés par la Chambre de Commerce Internationale de Paris, connus
sous le nom d’Incoterms (International Commercial Terms) qui sont relatifs à la charge
du risque et du coût du transport, ou du crédit-documentaire facilitant le paiement et sa
garantie.
De plus, ces chambres internationales disposent d’arbitres qui, au cas de conflit au
sujet d’un contrat international, appliquent les règles rédigées par la chambre, évitant
ainsi l’application du droit national interne par les juridictions étatiques (cf. supra n° 43).
31
SECTION III
LA JURISPRUDENCE
Si la loi et la coutume sont des sources incontestées du droit, le rôle de la jurisprudence dans la vie juridique est en revanche beaucoup plus délicat à déterminer. Qu’est-ce
que la jurisprudence ?
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
32
18/09/08
12:49
Page 32
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
Selon une définition très générale, c’est l’application de la loi ou de la coutume aux
litiges portés devant les juridictions. D’après cette définition, la jurisprudence n’est
qu’une application concrète des règles préexistantes à des situations de fait et n’a qu’une
portée relative, alors que la loi et la coutume sont des créations juridiques générales,
s’adressant à tous indistinctement. La décision juridictionnelle, qui est l’élément constitutif de la jurisprudence, n’oblige effectivement que les deux parties au litige porté devant
une telle juridiction et tranché par cette dernière. À première vue, la jurisprudence n’est
donc pas une source de droit, elle est une application du droit. Et il ne saurait être question de la placer au même niveau que la loi et la coutume, sources formelles. Plusieurs
arguments, paraissant tout à fait incontestables, vont dans le sens de cette affirmation. Le
caractère de simple application du droit donné à la jurisprudence est une conséquence
directe du principe de la division des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, consacré
par la Révolution. Dès lors que l’on créait trois pouvoirs distincts, que l’on avait choisi
de faire de la France un pays de droit écrit, prépondérance devait être donnée à la loi,
règle écrite, et les juges ne pouvaient prétendre empiéter sur les pouvoirs de l’autorité
législative pour créer et formuler la règle. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que lorsque le
législateur révolutionnaire et, après lui, le législateur napoléonien ont organisé la séparation des pouvoirs, ils se sont efforcés d’empêcher les tribunaux de s’arroger des pouvoirs
qui ne leur appartenaient pas et de limiter le rôle considérable qu’avaient joué les parlements sous l’Ancien Régime dans la création du droit (cf. supra, n° 29).
32
Cette volonté de cantonner le pouvoir judiciaire dans le rôle d’application de la règle
de droit se trouve exprimée très clairement dans deux textes du code civil. Le premier de
ces textes est l’article 5, de portée générale, qui interdit formellement aux juges de décider par voie de mesures générales et réglementaires aux causes qui leur sont soumises :
cela veut dire que les juges n’ont pas le droit de décider à l’avance, à l’occasion d’un
litige, que toute difficulté semblable à celles dont ils ont à connaître sera résolue dans le
même sens si elle se présente de nouveau. Tel est le premier texte qui semble bien montrer la volonté du législateur de cantonner le pouvoir judiciaire dans le rôle d’application
de la règle de droit. Cet article est complété par l’article 1351 du même code, qui édicte
le principe de l’autorité relative de la chose jugée en vertu duquel toute décision judiciaire n’a d’effet qu’entre les parties et ne peut être invoquée que par elles. Une décision
judiciaire, par conséquent, ne peut servir de « précédent » ayant force obligatoire dans
d’autres causes semblables.
On peut cependant contester ces affirmations : nos codes ont bien souvent vieilli ; la
loi est vieille, inadaptée. Ainsi l’article 1384 du code civil en matière de responsabilité
civile a été interprété par la jurisprudence d’une façon que ne pouvaient imaginer les
rédacteurs de ce texte en 1804, peut-être parce qu’ils n’étaient pas des futurologues et
qu’ils ne pouvaient prévoir le développement de la circulation automobile et du machinisme. On constate que la loi, aussi bien faite fut-elle, présente des lacunes. Et en vertu
de l’article 4 du code civil, les juges ne peuvent refuser de rendre la justice, si bien que
parfois leurs décisions sont de véritables règles jurisprudentielles. Ainsi les articles 1382
et suivants du code civil (reproduits ci-après) gouvernent la matière des « délits », dite
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
LES SOURCES DU DROIT
18/09/08
12:49
Page 33
33
aussi de la responsabilité civile. En 1804, le principe était celui de la responsabilité de
l’auteur du dommage, à condition que la victime prouve que ce dommage avait été
« causé » par la faute de l’auteur : la victime devait donc prouver, outre le dommage
qu’elle avait subi, la faute de l’auteur qui avait créé ce dommage ; cependant en plusieurs
cas, la victime était dispensée de la preuve de la faute de l’auteur ; l’article 1384 annonçait ces exceptions : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par
son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit
répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. » La suite de l’article 1384 développait
les situations de responsabilité du fait des personnes dont on répond (les parents répondent des dommages causés par leurs enfants, les employeurs des dommages causés par
leurs subordonnés), l’article 1385, la responsabilité du fait des animaux que l’on a sous
sa garde et l’article 1386, la responsabilité du propriétaire lorsqu’un bâtiment, par sa
ruine, cause un dommage. Il est fort clair que l’alinéa premier de l’article 1384, in fine,
ne faisait qu’annoncer les deux situations de responsabilité du fait des choses, animaux
(1385) et ruine du bâtiment (1386). Or depuis la fin du XIXe siècle s’était développé un
machinisme considérable : machines à vapeur, électriques, voitures automobiles – inexistantes en 1804 –, et fort dangereuses. Faute de texte, il revenait à la victime de la
circulation automobile d’établir selon les articles 1382 et 1383 du code civil la preuve de
la faute du conducteur du véhicule. Cette preuve était très difficile. Les articles 1385
et 1386 ne visant que les animaux et les bâtiments en ruine, on ne pouvait assimiler à ces
choses les automobiles et autres machines dangereuses pour dispenser la victime de la
preuve de la faute. La jurisprudence a alors découvert l’alinéa premier de l’article 1384
et, au lieu d’y voir l’annonce des articles 1385 et 1386, y a trouvé un principe général de
responsabilité du fait des « choses » tant mobilières qu’immobilières, tant mobiles
qu’immobiles, à condition qu’il ne s’agisse, bien sûr, ni d’animaux, ni de bâtiments en
ruine (depuis l’arrêt Jand’heur, 13 février 1930) ; s’agissant des véhicules automobiles, la
loi du 6 juillet 1985 a codifié la responsabilité occasionnée par les véhicules à moteur qui
échappe ainsi à l’article 1384 du Code civil, cf. supra, n° 289 et s. et 307). La jurisprudence civile a ici créé une règle de droit. Elle en a créé beaucoup d’autres en des matières
très peu « codifiées » tel le droit international privé.
33
Enfin on constate ce qu’on appelle le rôle régulateur de la Cour de cassation et ce
point mérite explication. Il existe en France un très grand nombre de juridictions dispersées territorialement qui, en droit, sont libres d’interpréter la loi comme elles l’entendent ;
car l’interprétation de la Cour de cassation ou d’une autre juridiction dans une affaire
antérieure semblable ne s’impose en rien. C’est le contenu même des articles 5 et 1351
qui viennent d’être expliqués. Se présente alors un danger : que la décision chambérienne,
grenobloise ou bordelaise dans trois affaires, entre des parties bien sûr différentes, mais
présentant les mêmes circonstances, tranche différemment. Qu’en est-il en pareil cas de
l’égalité démocratique ? La même règle est interprétée différemment. Cette dispersion
territoriale et l’inconvénient qui en est la conséquence sont compensés par ce qu’on
appelle la hiérarchie judiciaire. Par le moyen de l’appel et du pourvoi en cassation, toutes
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
34
18/09/08
12:49
Page 34
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
les décisions juridictionnelles peuvent être soumises – s’agissant de l’interprétation et de
l’application de la règle dans telle situation qui se présente devant des tribunaux différents
– à une cour d’appel puis à la même Cour de cassation, au sommet de la hiérarchie judiciaire. Cette cour aura tendance à reprendre et à imposer les mêmes solutions pour des
litiges semblables. La Cour de cassation a un rôle uniformisateur, régulateur, et cette position s’exprime dans les arrêts de principe. Les juridictions inférieures connaissant ces
positions de principe, se résolvent à l’avance à les appliquer dans des litiges postérieurs
semblables, sachant que – faute de ce faire – leurs décisions risquent d’être cassées.
Dans ces conditions ne faut-il pas admettre la jurisprudence, celle de la Cour de cassation – et celle-là seulement – comme source de droit ? On est tenté de dire oui, en fait. La
jurisprudence de la Cour de cassation est peut-être une source. Mais elle est en tout cas
une source de fait et peut-être serait-il préférable de dire que c’est une autorité plutôt
qu’une véritable source. Elle n’est en tout cas pas une source formelle du droit car en
vertu des articles 5 et 1351, que nous avons déjà cités, l’autorité des arrêts de principe
reste relative et non générale. La Cour de cassation n’est jamais tenue légalement de se
répéter et la meilleure preuve en est que parfois elle revient sur l’une de ses positions de
principe : c’est ce qu’on appelle un revirement de jurisprudence. Démonstration est ainsi
faite par le revirement de jurisprudence que même l’arrêt de principe n’a pas le caractère
de généralité et de permanence spécifique à la règle de droit.
34
Ce qui vient d’être dit concerne la jurisprudence de la Cour de cassation qui domine
les juridictions de l’ordre judiciaire. À ce point de vue, il faut constater que la Cour de
cassation exerce sa compétence sur le droit civil, le droit commercial, le droit rural, le
droit international privé, le droit du travail, le droit social, certaines matières de droit
fiscal (timbre et enregistrement) et le droit pénal. Elle est donc compétente sur l’ensemble
du droit privé, mais aussi sur partie du droit public : certaines matières fiscales, et le droit
pénal (sans compter les procédures civiles, commerciale et pénale qui sont, nous l’avons
vu, matières de droit public, cf. supra, n° 17).
À côté des juridictions de l’ordre judiciaire dominées par la Cour de cassation, se trouvent les juridictions administratives dominées par le Conseil d’État. La jurisprudence du
Conseil d’État, à la différence de celle de la Cour de cassation, doit être considérée
comme une source de droit : le Conseil d’État ne s’est jamais senti lié par les principes du
droit privé, car les litiges qu’il a à trancher ne soulèvent pas seulement des intérêts particuliers, mais l’intérêt général de la puissance ou du service public. Ces intérêts rendent
nécessaires des solutions que le Conseil d’État a élaborées peu à peu et qui sont considérées comme des règles par les juridictions administratives inférieures.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 35
35
LES SOURCES DU DROIT
CODE CIVIL
Article 1382 – Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage,
oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
Article 1383 – Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par
son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Article 1384 – On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par
son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit
répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde.
Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou
des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, visà-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être
attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.
Cette disposition ne s’applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires, qui
demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du code civil.
Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement
responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.
Les maîtres et les commettants du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis
pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance.
La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne
prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.
En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées,
conformément au droit commun, par le demandeur, à l’instance.
Article 1385 – Le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est
à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût
sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé.
Article 1386 – Le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par
sa ruine, lorsqu’elle est arrivée par une suite du défaut d’entretien ou par vice de construction.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
36
35
18/09/08
12:49
Page 36
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
SECTION IV
LA DOCTRINE
Il ne s’agit pas d’une source de droit, mais d’une autorité ; voilà pourquoi il faut la
classer à côté de la jurisprudence qui ne peut être considérée comme une « source » au
même titre que la loi ou la coutume. La doctrine est de prime abord l’ensemble des
travaux divers : commentaires, notes, observations, articles, traités, thèses, ouvrages de
recherche… que des juristes divers : magistrats, avocats, enseignants…, produisent pour
donner leur avis et, si possible, leur lumière sur tel ou tel point de droit, plus ou moins
large (de la simple règle de détail à l’institution, voire à l’ensemble d’une division du
droit : droit civil, droit commercial, droit administratif…). La doctrine a des rôles multiples auprès d’utilisateurs divers (pour son application spécifique en matière fiscale, cf.
infra n° 549-550).
1. Pour les non-initiés, étudiants en droit, justiciables qui veulent se faire par euxmêmes une idée de leur propre situation juridique (syndicats, associations par exemple),
juristes étrangers, les traités généraux présentent de façon cohérente et plus ou moins
approfondie des ensembles juridiques difficiles à appréhender par la seule lecture d’une
loi ou d’un code que le législateur livre sans explication. L’utilité de pareils traités est
ressentie encore plus fortement lorsque la matière étudiée doit beaucoup à la coutume et
à la jurisprudence qui sont ainsi décrites et commentées.
2. Pour les praticiens du droit, magistrats et auxiliaires de justice, les ouvrages de
doctrine leur permettent de se tenir au courant de l’évolution du droit (lois nouvelles
commentées, interprétations nouvelles données par des arrêts de principe, ou proposées
par une récente recherche doctrinale).
3. Pour le législateur, les ouvrages et travaux de doctrine permettent de suggérer des
réformes, par critique du droit existant, par analyse des institutions étrangères qu’il serait
éventuellement profitable d’introduire dans le droit national…
La doctrine, en résumé, analyse et systématise des règles dont la cohérence n’est pas
toujours évidente ; elle permet la compréhension, l’intelligence du droit et son perfectionnement.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 37
Chapitre IV
36
L’application du droit
La règle de droit a un caractère obligatoire à la différence des règles religieuses ou
morales qui ne sont pas sanctionnées par des juridictions de l’État. Lois et coutumes sont
créées pour être appliquées de gré ou de force, de façon spontanée ou de façon contentieuse, selon que les individus, les particuliers, s’entendent pour respecter les règles – et
c’est la situation normale –, ou au contraire sont obligés de passer par l’office d’une juridiction pour s’entendre dicter par l’autorité judiciaire la conduite à tenir – et c’est alors
la situation pathologique contentieuse. Il faut signaler cependant que, dans maintes situations, la règle de droit n’est pas appliquée. Il est courant au sein d’une famille que les
époux, entre eux, les parents et les enfants ignorent et veuillent ignorer les règles de droit
familial, celles des droits et devoirs respectifs des époux, celles du régime matrimonial,
les règles des successions. Les forces biologiques, affectives, morales, supplantent le
droit qui apparaît comme un instrument beaucoup trop rudimentaire, beaucoup trop grossier, incapable de satisfaire un groupe qui vit selon un idéal placé beaucoup plus haut. On
pourrait en dire autant entre amis qui excluent de leurs relations toutes règles juridiques.
À côté de ces situations de « vide juridique », parfaitement honorables, il en existe
d’autres qui le sont beaucoup moins, qui sont inavouables. Le titulaire d’un droit ne
songera pas à le réclamer en justice parce que le rnilieu dans lequel il vit a pour habitude
de ne pas recourir à la justice officielle mais aux règlements de compte. De telles situations sont dangereuses pour l’ordre social. Il existe aussi des cas où la personne qui
pourrait exiger un droit en justice y renonce en raison de la complexité, de la lenteur et
du coût des procédures. Cette attitude est socialement dangereuse. Enfin on pourrait citer
des hypothèses où le législateur a fourni des instruments juridiques nouveaux que
personne ne songe à utiliser. Il apparaît ainsi que la législation ancienne du « bien de
famille », celle plus récente de la « concession immobilière », celle des « factures protestables » sont restées lettre morte. Personne ne s’est jamais servi de ces textes. Ainsi, en
bien des cas et pour des raisons fort diverses, les règles demeurent sans application. En
droit privé, l’initiative de l’application du droit revient aux particuliers titulaires de
droits individuels. La réalisation de ces droits peut être assurée spontanément ou de
façon contentieuse ; tel sera l’objet des deux premières sections de ce chapitre, une troisième section traitant du droit administratif et une quatrième du droit européen.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
38
37
18/09/08
12:49
Page 38
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
SECTION I
L’APPLICATION SPONTANÉE DU DROIT PRIVÉ INTERNE
Chacun peut en premier lieu exercer les prérogatives dont les principales sont les
droits subjectifs, et à ce titre citons l’exemple du droit subjectif de propriété.
D’une part, chaque propriétaire peut, selon le droit privé, faire de son bien ce qu’il
veut, le modifier, le détruire, l’aménager : ce sont des actes matériels. Il est juge de son
propre intérêt et n’encourt aucune responsabilité sauf s’il use de son droit pour nuire à
autrui. Tel est le cas, par exemple, de cette personne qui, en frontière de son terrain, avait
planté des fougères de belle venue – elles atteignaient trois ou quatre mètres de haut –
uniquement pour le plaisir de boucher la lumière de la maison voisine. Il est clair en cela
qu’elle commet ce que l’on appelle en jurisprudence un « abus de droit ».
D’autre part, il est loisible à tout un chacun, de céder par vente, donation ou autrement
– et il s’agit cette fois d’actes juridiques –, son bien, son droit.
Il n’existe d’exception que si la loi décide du caractère intransmissible d’un bien : il
est impossible par exemple de vendre son nom et de vendre les droits qu’on a sur les
siens, en vertu des règles du droit de la famille (droit extra-patrimoniaux donc inaliénables).
La transmission des droits suppose des contrats et il est important de façon préventive
de rédiger de tels contrats en respectant la légalité. Des contrats clairs, dont toutes les
clauses sont licites, éviteront sûrement des difficultés contentieuses graves. En ce sens il
est souvent utile de faire assurer la rédaction de tels contrats par les spécialistes du droit.
En droit des affaires, il est très souhaitable de s’entourer de conseils juridiques pour
préparer la rédaction et la conclusion des contrats. De nombreuses entreprises disposent
d’un service juridique à cette fin. Pour certains contrats, leur rédaction par des officiers
ministériels s’impose. Tel est l’exemple du contrat de mariage ou de la constitution
d’hypothèque. Parfois, même, la loi exige que certains contrats ou actes juridiques soient
l’objet d’une homologation par un tribunal : il y a alors instance gracieuse car les parties
ne sont pas en litige mais en situation d’entente que le tribunal va consacrer officiellement. Au contraire, si les parties ne sont pas d’accord, il y a instance contentieuse ; on
passe alors de l’application spontanée du droit à son application en justice.
38
SECTION II
L’APPLICATION EN JUSTICE DU DROIT PRIVÉ INTERNE
Les individus ne peuvent se faire justice à eux-mêmes dans une société édictant ses
règles de droit et donnant les moyens de sanctionner ses règles. Ils ont donc recours à la
justice. L’action en justice sera la voie juridique par laquelle une personne demande aux
juges reconnaissance et protection d’un droit dont elle s’estime titulaire et qui aurait été
méconnu ou lésé par un tiers. Pour mettre en œuvre cette action, celui qui sera appelé
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
L’APPLICATION DU DROIT
18/09/08
12:49
Page 39
39
désormais le demandeur devra faire une demande en justice dirigée contre celui dont il
prétend qu’il a méconnu son droit, c’est-à-dire le défendeur dans le procès ouvert par la
demande. C’est alors que se posent deux questions : devant quelle juridiction peut être
portée la demande et de quelle façon se déroulera le procès ?
39
§ I — Devant quelle juridiction ?
En ce qui concerne les litiges entre particuliers, litiges de droit privé, plusieurs sortes
de tribunaux ayant chacun une compétence propre vont pouvoir prétendre à l’examen du
litige. Le tribunal normalement compétent dans les litiges entre particuliers est le tribunal de grande instance. C’est le tribunal de droit commun, et nous retrouvons là une
distinction entre droit commun et d’exception. Ce tribunal est compétent lorsqu’aucun
texte ne prévoit la compétence d’une autre juridiction. Il a une compétence générale pour
les affaires civiles dont l’enjeu est supérieur à 10 000 € et une compétence exclusive en
matière d’état des personnes, de famille, en matière réelle immobilière (c’est-à-dire la
matière touchant à la propriété foncière) et de protection des brevets et des marques. À
côté de ce tribunal de droit commun existent les juridictions d’exception : le tribunal
d’instance est un tribunal d’exception. Il est compétent pour les « petits » procès, pour les
« petites » affaires civiles dont les montants sont compris entre 4 000 et 10 000 €. Il a, en
outre, sous le nom de juge des tutelles, des attributions très importantes dans
l’établissement de la tutelle et de la curatelle des incapables. Depuis une loi du 9 septembre 2002, existent les juridictions de proximité. Au civil, ces juridictions qui ne sont pas
composées de magistrats professionnels mais de personnes dont les connaissances en
matière juridique sont attestées, sont compétentes pour connaître des petits litiges entre
particuliers (paiement d’une dette, conflits de voisinage…) dont le montant n’excède pas
4 000 €. Le champ de compétence du juge de proximité est élargi, depuis 2006, aux
conflits entre bailleurs et locataires portant sur la restitution des dépôts de garantie. Il
n’est pas possible de faire appel de la décision du juge de proximité qui, avant tout,
recherchera la conciliation entre les parties ; seul le pourvoi en cassation est ouvert. À
côté du tribunal d’instance, on trouve encore des juridictions plus spécialisées : ce sont les
tribunaux de commerce, compétents dans les procès entre commerçants ou relatifs à des
actes de commerce, composés de commerçants élus par leurs pairs, ou encore les conseils
de prud’hommes, de composition paritaire, chargés de trancher les procès entre
employeurs et salariés, enfin les tribunaux des affaires de sécurité sociale et les tribunaux
paritaires des baux ruraux terminent cette liste des juridictions d’exception.
Ces différentes juridictions tant de droit commun que d’exception constituent le
premier degré de juridiction. Tout litige de droit privé devra commencer devant l’une
d’entre elles. Cela étant, le plaideur qui a perdu son procès en première instance peut
former appel devant la cour d’appel, c’est-à-dire devant la juridiction hiérarchiquement
supérieure, sauf pour les affaires de trop petite valeur de moins de 3 800 €. Le principe
du double degré de juridiction est une garantie de bonne justice, car un juge peut se tromper, et il est bon qu’un second juge puisse examiner une nouvelle fois l’affaire au fond,
et que cette affaire soit étudiée par des juges plus expérimentés sur un litige déjà instruit.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
40
12:49
Page 40
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
Sauf exception donc, toutes les juridictions de première instance relèvent de la cour
d’appel dans le ressort de laquelle elles sont situées. Les décisions rendues par les cours
d’appel ne sont pas des jugements rendus par des juges, comme en première instance,
mais des arrêts rendus par des conseillers. Enfin au sommet de la hiérarchie judiciaire se
trouve la Cour de cassation appelée parfois, mais faussement, cour suprême. Elle n’est
pas un troisième degré de juridiction car elle ne juge pas le fond du procès, mais seulement l’arrêt rendu par la cour d’appel, arrêt dont elle vérifie la conformité à la loi. Elle
est juge du droit et non du fait.
Ce très cursif inventaire démontre l’éparpillement des juridictions de l’ordre judiciaire
et leur dispersion territoriale. Ces juridictions réalisent leur unification au sommet, avec
la Cour de cassation. Il est ici cependant important de retenir qu’un premier rassemblement des juridictions de première instance s’effectue au niveau des cours d’appel. Le rôle
de l’appel est à nouveau de comprendre, d’analyser la situation entre les parties, donc de
qualifier le fait, et de rechercher la règle de droit applicable à cette situation. Il peut en
résulter une seconde analyse des faits, contraire à celle retenue par les juges de première
instance. Mais il arrive que le plaideur ne conteste plus le fait mais la règle de droit appliquée. Il demande alors l’application d’une autre règle à la cour d’appel qui est juge du
fait et du droit, tandis que la Cour de cassation n’est juge que du droit ; de là son rôle
régulateur et uniformisateur, qui consiste à donner une interprétation uniforme de la loi
(cf. supra, n° 33).
Comment le demandeur va-t-il choisir entre ces différentes juridictions ? C’est
l’avocat qui le guidera. L’avocat a trois fonctions, de postulation, de conclusions et de
plaidoirie. Dans ses fonctions de postulation (l’avocat dirige la procédure) et de conclusions (l’avocat remet au président du tribunal les prétentions de son client), l’avocat
représente son client. Dans sa fonction de plaidoirie, il prête à son client le service de sa
parole pour expliquer au tribunal ses prétentions. Le recours à un avocat est obligatoire
devant le tribunal de grande instance. Devant la cour d’appel, les fonctions de postulation
et de conclusions sont remplies par un autre professionnel, un avoué. Il est recommandé
de recourir à un avocat, même si son office n’est pas obligatoire (devant le tribunal
d’instance, le tribunal de commerce, le conseil de prud’hommes) car c’est un professionnel qui engage sa responsabilité envers le client en cas de négligence.
40
§ II — Comment se déroule le procès ?
Le procès se présente comme un double débat : d’abord les parties en litige vont livrer
les faits, la situation dans laquelle elles se trouvent. C’est alors au juge de qualifier, c’està-dire de préciser la nature juridique de la situation décrite par les parties (cf. supra,
n° 11). Ceci étant accompli, il ne suffit pas que les parties avancent, « allèguent » des faits,
il faut encore les prouver. D’où s’ouvre le débat sur la preuve.
En effet le demandeur s’adresse au juge pour obtenir reconnaissance et protection
d’un droit ; le juge ne pourra accorder cette protection que si la réalité de ce droit est
prouvée ; et il faut tout de suite avoir à l’esprit qu’un droit qui ne peut pas être prouvé a
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
L’APPLICATION DU DROIT
18/09/08
12:49
Page 41
41
presque aussi peu de valeur qu’un droit inexistant dès lors qu’il est contesté. Se pose alors
le problème de savoir qui doit apporter cette preuve. Est-ce au juge de rechercher
l’existence ou la non-existence du droit invoqué et sa méconnaissance par le défendeur,
est-ce au contraire aux parties de fournir au juge les éléments grâce auxquels il tranchera ?
Les règles de notre procédure en matière de litige privé, procédure sur ce point de type
accusatoire, veulent que les juges soient neutres. Ce sont les parties qui ont l’initiative du
procès par l’intermédiaire de leur avocat ; ce sont elles qui saisissent le juge et qui, dans
une certaine mesure, vont délimiter sa compétence. Le juge statue sur toutes les prétentions des parties mais seulement sur ces prétentions. Ce sont en outre les parties qui
fournissent au juge les éléments de preuve nécessaires à sa décision. En pratique, il y a
certaines nuances à ce principe de neutralité du juge. D’une part le juge devra soulever
d’office, même si les parties ne l’ont pas fait, l’application d’une règle d’ordre public
(impérative), et d’autre part, en ce qui concerne plus particulièrement le domaine de la
recherche des preuves, le juge est habilité à prendre certaines initiatives de nature à faciliter le déroulement du procès ; en particulier le juge peut ordonner certaines mesures
d’instruction. Ces nuances restent toutefois secondaires par rapport au principe selon
lequel ce sont les parties qui doivent apporter la preuve.
Il reste donc à préciser si c’est le demandeur qui doit établir que sa demande est fondée
ou si c’est au défendeur qu’il incombe de démontrer que les prétentions du demandeur
contre lui ne sont pas fondées, qu’il n’a pas méconnu le droit, objet du litige. Il faut être
conscient de l’importance de ce problème de la charge de la preuve et il faut savoir en
tout cas que celui sur qui pèse ce fardeau a toujours la position la plus difficile dans le
procès. Car, à supposer qu’il ne puisse pas apporter la preuve requise, c’est lui qui
succombera, qui perdra le procès faute d’avoir pu établir cette prétention. Et c’est peutêtre ce sort, réservé à celui qui ne peut pas prouver ses prétentions, qui peut le mieux faire
comprendre que la charge de la preuve incombe au demandeur. C’est celui, en effet, qui
allègue qu’un droit dont il est titulaire a été méconnu, qui, dans une certaine mesure,
dérange le défendeur dans sa tranquillité. Il serait donc anormal que ce soit au défendeur
de démontrer que le droit invoqué n’existait pas ou qu’il ne l’a pas méconnu, cela compte
tenu des conséquences graves de l’impossibilité d’apporter la preuve. La règle de principe est donc claire : la charge de la preuve incombe au demandeur. C’est une affirmation
qui demande tout de même à être quelque peu précisée. D’une part, parce que, paradoxalement, son application pratique conduit à une répartition de la charge de la preuve
entre les parties et, d’autre part, parce qu’elle supporte certaines dérogations.
Comment, tout d’abord, la règle peut-elle aboutir à une répartition de la charge de la
preuve, à un va-et-vient de la charge de la preuve entre demandeur et défendeur ? Toutes
les fois que le défendeur comparaîtra, c’est-à-dire toutes les fois qu’il décidera de se
défendre, il tentera de combattre les prétentions du demandeur, et pour cela il alléguera à
son tour un certain nombre de faits qu’il devra prouver ; ils ne seront pris en compte à leur
tour que s’il les a prouvés. On dit en ce sens que le défendeur devient demandeur à
l’exception. Si bien que pour mieux montrer la réalité judiciaire il est peut-être préférable de dire que la charge de la preuve incombe à celui qui allègue la réalité d’un fait ; ce
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
42
18/09/08
12:49
Page 42
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
n’est pas une exception à la règle que nous avons exposée, c’est simplement une précision à cette règle. Mais si dans la généralité des cas le demandeur est tenu d’apporter la
preuve, cette règle supporte certaines dérogations.
41
42
Il est certains cas dans lesquels le demandeur est dispensé d’apporter la preuve du
droit qu’il invoque, cela en présence de présomptions légales (ce sont les conséquences
que la loi tire d’un fait connu à un fait inconnu). En d’autres termes, en présence d’un fait
connu, la loi présume – c’est-à-dire suppose – l’existence d’un fait inconnu et dispense le
demandeur de prouver ce fait inconnu. Un exemple tiré de l’article 312 du code civil le
fera mieux comprendre. Selon cet article, « l’enfant conçu pendant le mariage a pour
père le mari » (alinéa 1). On voit bien dans ce cas que la loi tire du fait connu, qui est le
mariage, l’existence du fait inconnu, qui est la relation de paternité. En présumant cette
dernière, elle dispense le demandeur, c’est-à-dire ici l’enfant, de la preuve de cette relation. Mais dans cet exemple, la présomption légale est une présomption simple,
c’est-à-dire une présomption qui peut être détruite par la preuve contraire. En effet,
l’alinéa 2 de l’article 312 prévoit « néanmoins, celui-ci [le mari] pourra désavouer
l’enfant en justice, s’il justifie de faits propres à démontrer qu’il ne peut pas en être le
père ». La présomption simple aboutit donc à un renversement du fardeau de la preuve.
La charge de la preuve aurait dû peser sur le demandeur, elle pèse sur le défendeur. Mais
il existe aussi des présomptions légales qui sont des présomptions irréfragables. Elles
sont peu nombreuses, limitativement énumérées par la loi : l’autorité de la chose jugée en
est un exemple. Ce qui a été jugé en dernier ressort est présumé vrai, de façon définitive,
de façon irréfragable. On ne pourrait, pour entreprendre un nouveau procès, offrir de
prouver que cette décision était erronée.
Tableaux en annexe Il faut faire ici une distinction, s’agissant de la preuve, entre la
catégorie des actes juridiques et celle des faits juridiques.
1. Les actes juridiques sont des manifestations de la volonté qui créent des effets de
droit en dehors de toute réalisation matérielle. Leurs auteurs ont donc le loisir d’y réfléchir et le moyen de se préconstituer une preuve. La règle en droit civil est que l’acte
juridique, comme le contrat par exemple, se prouve par écrit (preuve littérale) si sa valeur
en dépasse 800 € (article 1341 du code civil et décret du 15 juillet 1980). En deçà de cette
somme la preuve par tous moyens est admise.
L’écrit peut prendre deux formes : sous seing-privé, il est alors rédigé, sans
l’intervention d’un tiers, par les particuliers qui y apposent leur signature, élément
d’identification et d’expression de la volonté (art. 332 du code civil) ; authentique, il est
reçu par un officier public (notaire, greffiers, huissiers, maire…) et a une force probatoire
supérieure à celle de l’acte sous seing-privé (art. 317 du code civil) (il convient de ne pas
confondre ici l’exigence d’écrit au titre de la validité d’un acte, certains actes devant, à
peine de nullité, impérativement revêtir la forme authentique – contrat de mariage, constitution d’hypothèque, contrat de donation – avec l’exigence d’écrit au titre de la preuve
cf. infra, n° 321 B).
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
L’APPLICATION DU DROIT
18/09/08
12:49
Page 43
43
Une loi « portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information
et relative à la signature électronique », du 13 mars 2000, assurant la transposition d’une
directive européenne, completée par la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans
l’économie numérique et l’ordonnance du 16 juin 2005, est venue moderniser le code
civil en matière :
– de définition de l’écrit : celui-ci est « une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que
soient leur support et leurs modalités de transmission » (art. 1316), l’écrit électronique
est donc admis ;
– d’admission du support électronique dans la mesure où est permis l’identification
de la personne dont émane l’écrit et la conservation de celui-ci dans des conditions propres à en assurer l’intégrité (art. 1316-1) (il n’en demeure pas moins vrai que des textes
continuent à exiger la rédaction d’un écrit manuscrit, soit pour une partie de l’acte, soit
pour l’acte tout entier : contrat d’assurance, baux…) ;
– de reconnaissance de même force probante à l’écrit électronique qu’à l’écrit
papier (art. 1316-3) ;
– d’admission de la signature électronique, enjeu de développement du commerce
électronique, dès lors qu’il est fait usage d’un procédé fiable d’identification, tout aussi
valable qu’une signature manuscrite (art. 1316-4) ;
– d’acceptation qu’un acte authentique puisse être dressé sur support électronique
(art. 1108-1 nouveau qui prévoit que l’écrit électronique est néanmoins exclu en matière
de droit de la famille et des successions, droit des sûretés, sauf sûreté accordée par une
personne dans le cadre de son activité professionnelle…) ;
– d’envoi de lettre, sous forme électronique, de lettre simple ou recommandée, à
condition, dans ce dernier cas, que le courrier soit acheminé par un tiers selon un procédé
donnant toute garantie (art. 1369-7 à 1369-11 nouveaux du code civil).
En revanche, en droit commercial, la nécessaire rapidité des transactions rend difficile
la préconstitution d’une preuve écrite. C’est ainsi que l’article 109 du code de commerce
déroge à l’article 1341 du code civil en permettant la preuve par tous moyens des actes
commerciaux.
Bien entendu il convient de nuancer ces principes issus de la tradition en précisant que
rien n’empêche l’élaboration d’une preuve écrite pour un acte de moins de 800 € comme
pour un acte commercial et, qu’en ce dernier cas, si les parties ont rédigé un acte écrit, il
ne leur sera pas permis de faire, par témoins ou par tout autre moyen, la preuve contre et
outre le contenu de l’acte. De plus, la liberté des preuves en droit commercial ne dispense
pas, pour des raisons de droit économique et de droit fiscal, de la rédaction d’une facture.
2. Pour les faits juridiques, le principe de la preuve écrite joue : c’est ainsi que la naissance ou la mort d’une personne (fait juridique) seront consignées sur des registres de
l’état civil et que la preuve de ces faits sera établie par la production d’un acte d’état civil
(attention au mot « acte » ici utilisé au sens d’instrument de preuve par écrit et non au
sens d’acte juridique – manifestation de volonté créant des effets de droit. Le mot acte
signifie donc selon le contexte : opération juridique – droit du fond –, ou preuve par écrit
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
44
43
18/09/08
12:49
Page 44
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
– droit des preuves). Mais les faits juridiques les plus courants, délits et quasi-délits, tel
l’accident d’automobile, n’ont pas été prévus par le créancier et le débiteur. En ce cas, on
peut les établir par tous moyens de preuve : témoignage, présomption de fait, aveu,
serment.
Le recours à la justice est coûteux et lent : il existe, toutefois, des procédures, soit
d’urgence, pour faire cesser un trouble manifestement illicite, par exemple une concurrence déloyale, le référé, qui permet l’adoption de mesures en quelques jours ou quelques
heures ; soit plus rapides que la procédure normale, d’injonction de payer, dans le cas
d’une créance non contestable ou d’injonction de faire.
Mais, aussi, beaucoup d’entreprises préfèrent recourir à des « juges privés » nommés
arbitres. La chose est aisée en droit commercial, où, dans un contrat, il est permis
d’introduire une clause compromissoire par laquelle les parties s’obligent à un recours à
un arbitre en cas de litige. Depuis 2001 cette clause est permise dans un contrat passé
entre professionnels, même s’ils ne relèvent pas du droit commercial (artisan, profession
libérale…). Une telle clause est essentielle dans les accords internationaux pour éviter les
inconvénients évidents liés à un litige opposant des ressortissants de pays différents. En
droit civil, cette clause est interdite dans les contrats concernant un particulier : ce n’est
qu’au cas où le litige est né et actuel que les parties « civiles » en litige pourront recourir
à un arbitre en vue de l’élaboration d’un compromis et encore, à condition que la matière
ne soit pas extrapatrimoniale.
44
SECTION III
L’APPLICATION DU DROIT ADMINISTRATIF
Avec le droit administratif, nous pénétrons dans l’application du droit public. Ici, la
relation juridique porte, non pas sur les intérêts de particuliers, personnes privées, mais
met en cause la puissance publique ou le service public : Ceci peut se produire dans deux
types de relations.
1. Relations unilatérales dès lors qu’une personne publique, exécutif, administrations,
collectivités territoriales, établissements publics ont pris une décision, – décret, arrêté –
s’imposant aux administrés. La décision peut être attaquée devant le Conseil d’État si elle
a une portée nationale, ou devant le tribunal administratif si elle a une portée locale, dès
lors qu’elle ne respecte pas la loi ou la constitution. L’autorité administrative doit en effet
respecter les lois parlementaires et constitutionnelles. On parle ici de contentieux de la
nullité ou de l’excès de pouvoir, le demandeur, libre d’agir sans avocat, poursuivant la
nullité de la décision.
2. Relations bilatérales dès lors qu’un contrat a été conclu entre l’administration et un
administré, et qu’un litige s’élève s’agissant de l’exécution de ce contrat. Ici le contractant qui se plaint demandera des dommages et intérêts. Ce contentieux, non dispensé
d’avocat, se déroule devant le tribunal administratif, avec appel devant une cour administrative d’appel et possible pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. La procédure
devant les juridictions administratives est « inquisitoire » en ce sens que le juge dirige le
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 45
L’APPLICATION DU DROIT
45
débat et a toute liberté pour réunir les preuves.
45
SECTION IV
L’APPLICATION DU DROIT EUROPÉEN
Nous avons vu qu’au-dessus de la loi interne se trouve placé le droit émanant des traités
internationaux et surtout le droit européen en développement constant (cf. supra, n° 28).
Que se passe-t-il lorsqu’un plaideur veut invoquer une règle européenne ? Il peut
s’adresser à son juge national. Si celui-ci a un doute sur l’application de la règle européenne au litige dont il est saisi, il surseoira à statuer et saisira la Cour de justice de
l’Union pour connaître son interprétation. Et cette interprétation s’imposera au juge
national qui rendra la décision mais prévaudra également dans tous les pays de l’Union.
Ainsi est assurée l’uniformisation des règles de l’Union européenne à travers les vingtcinq pays de l’Union, sans avoir eu à créer des juridictions européennes dans chacun des
pays. Encore qu’il faille noter la volonté européenne de parfois renforcer la responsabilité des autorités nationales ou/et des juridictions nationales relativement à l’application,
par exemple, du traité de Rome. Il en est ainsi en matière de contrôle des pratiques et
accords anti-concurrentiels et d’application des articles 81 §1 et 82 du traité (règlement
1/2003 du conseil du 16 décembre 2002) (cf. infra, n° 391) : les juridictions nationales
sont en effet compétentes pour appliquer directement ces textes.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 46
Chapitre V
La théorie du droit objectif et des droits subjectifs
Jusqu’ici le mot « droit » a été utilisé dans deux sens différents : parfois nous parlions
de droit français, droit législatif, écrit – et c’est la loi –, et du droit oral – et c’est la
coutume. Parfois nous parlions des droits de tel ou tel individu, par exemple du droit de
propriété de telle personne. Dans un cas il s’agit du droit objectif et dans l’autre des droits
subjectifs ; que représente cette distinction entre droit objectif et droits subjectifs, quel est
le contenu de cette distinction ? Voilà l’objet des deux sections suivantes.
46
SECTION I
LA DISTINCTION ENTRE LE DROIT OBJECTIF
ET LES DROITS SUBJECTIFS
La différence entre droit objectif et droits subjectifs ne semble qu’une différence
d’aspect, de point de vue sous lequel on se place. Mais elle recouvre pourtant une différence fondamentale. Partons du droit objectif. Il peut se définir comme l’ensemble des
règles juridiques émanant d’autorités souveraines qui les imposent, sous peine de sanctions, aux individus vivant en société. À partir de cette définition connue, constatons que
la règle objective qui régit telle situation donnée oblige les uns pour permettre à d’autres.
Ce qui est obligation ou interdiction contraignantes pour certains, est permission ou droit
subjectif pour d’autres. Prenons quelques exemples. Si en vertu de l’article 203 du code
civil les parents sont obligés de nourrir et élever leurs enfants – règle objective –, c’est
parce que l’enfant a un droit subjectif à la vie et à l’éducation. Si nous sommes tenus de
respecter la propriété – règle objective –, c’est parce que le propriétaire a un droit subjectif de propriété en vertu de l’article 544 du code civil. Le droit objectif ouvre à chacun de
nous des droits subjectifs, des prérogatives juridiques individuelles ; autrement dit, les
droits subjectifs apparaissent comme des prérogatives appartenant à chaque particulier,
prérogatives que crée et protège le droit objectif. Alors, en se représentant la société
comme une pyramide, avec à son sommet l’État, créateur des règles, et à la base les individus, les particuliers, le droit objectif apparaît comme le droit vu au niveau du sommet,
au niveau de l’État ; les droits subjectifs sont le droit au niveau de chaque individu de la
base, les sujets : il s’agit de la même donnée perçue différemment. Il s’agirait là, semblet-il, d’une distinction purement théorique qui satisfait l’esprit des juristes et surtout des
enseignants, car chacun sait qu’ils sont soucieux de constructions abstraites et intellectuelles, sans aucune importance pratique. Or, il n’en est rien. La différence entre droit
objectif et droits subjectifs est fondamentale et quand on écrit : droit objectif, c’est au
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
LA THÉORIE DU DROIT OBJECTIF ET DES DROITS SUBJECTIFS
47
Page 47
47
singulier car il s’agit de la majesté et de la singularité de l’État, créateur souverain du
droit. Tandis que lorsqu’on écrit droits subjectifs, c’est au pluriel, car il s’agit de prérogatives individuelles, nombreuses certes mais que l’État souverain peut anéantir, réduire
à sa volonté, ignorer parfois, tant sa puissance est singulièrement plus grande que celle
des individus, sujets minuscules et au fond assujettis.
Cette différence entre droit objectif et droits subjectifs est fondamentale. Pour s’en
rendre compte il suffit de rappeler et de développer la distinction entre droit privé et droit
public. S’agissant du droit privé, c’est-à-dire des rapports entre particuliers, l’État
n’apparaît que pour dicter la règle et la faire appliquer de façon contentieuse par ses juridictions au cas où la règle n’est pas appliquée spontanément. Mais l’État n’a, au niveau
contentieux, qu’un rôle d’arbitre ; il n’a aucun intérêt dans le litige que celui, très indirect,
d’interdire la justice privée en obligeant les particuliers à passer, au cas de conflits, par
l’office des juridictions étatiques. Cela signifie que seuls les particuliers peuvent prendre
l’initiative de l’action en justice, l’État en général se refuse ce pouvoir ; mais attention,
quand on dit « les particuliers », il ne s’agit pas de n’importe quel particulier. Prenons un
exemple : voilà que je suis témoin d’un dommage causé à la propriété de mon voisin. Je
n’ai aucune action pour agir en justice, je n’ai aucune qualité comme on dit en droit. Et
cependant il y a eu acte illégal, sanctionné par l’article 544 du code civil, et dont j’ai été
témoin. La légalité objective a été contrevenue et comme citoyen n’ai-je pas le droit de
me porter au secours de l’intérêt général et du droit objectif enfreint en la circonstance ?
Eh bien, non ! Le droit me dit « Mêlez-vous de ce qui vous regarde. » Ce qui se dit savamment : « Nul ne plaide par procureur. » Or je n’ai pas la qualité de procureur. Seul, dans la
circonstance, le propriétaire peut se plaindre et encore il ne pourra le faire que si le
dommage allégué est certain, sérieux. Pour se plaindre il faut avoir vraiment « souffert ».
C’est ainsi qu’à titre d’exemple, si un individu tente de voler l’un de mes biens et manque
au dernier moment le résultat qu’il escomptait parce que je le surprends et qu’il prend la
fuite, il est clair qu’il a enfreint la légalité objective, mais que par ailleurs il ne m’a pas
causé de mal, n’en ayant pas eu le temps. Je ne peux me plaindre devant aucune juridiction sous le seul prétexte que la légalité a été contrevenue objectivement car,
subjectivement, dans mes droits, je n’ai souffert de rien. Ainsi, dans le contentieux de
droit privé, qui fait partie du contentieux subjectif, le particulier qui veut agir en justice
doit invoquer :
– qu’il a un intérêt subjectif personnel et sérieux qui consiste précisément dans la
lésion de son droit subjectif (rappelez-vous ce qui a été dit à propos de l’action en justice,
cf. supra, n° 40),
– que la légalité qui protège son intérêt a été contrevenue, a été enfreinte.
Ces deux conditions sont absolument nécessaires, celle d’intérêt et celle de contravention à la légalité.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
48
49
48
18/09/08
12:49
Page 48
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
Il en est tout différemment s’agissant du contentieux objectif et c’est le cas du droit
public en général qui régit les rapports inégalitaires entre l’État (ici juge et partie) et un
particulier. Si l’État crée des règles, ce n’est plus pour protéger les droits subjectifs, les
intérêts individuels, mais pour protéger la société tout entière, l’intérêt général qu’il
incarne, et qu’il incarne seul. Au cas où un particulier enfreint la règle objective, l’État
est en principe le seul à pouvoir agir, ne laissant ce soin à personne d’autre, car « nul ne
plaide par procureur, sauf l’État ». C’est donc aux agents de l’État, procureur de la République en principe (mais il en est d’autres), que revient le soin d’agir contre le particulier
qui a enfreint la règle objective. Mais cette fois-ci il suffit uniquement au procureur, agissant au nom de l’intérêt général, de démontrer que la légalité objective a été contrevenue.
Nul besoin de prouver que l’État a souffert ou qu’un particulier a eu mal (dans ce cas
d’ailleurs, c’est au particulier de se plaindre). La sanction est applicable du seul fait de
l’infraction, de la contravention à l’ordre formel de la loi, à la légalité objective. Citons
deux exemples : des individus tentent une opération de subversion, un complot, et n’y
réussissent pas car la police les démasque en temps voulu. Peu importe le résultat, ou
plutôt ici l’absence de résultat. Ils ont enfreint l’ordre de la loi et peuvent être poursuivis,
jugés et punis ; vous franchissez, en roulant, la ligne jaune qui vous sépare de la partie
gauche de la chaussée. Vous n’avez causé aucun accident : peu importe. Vous avez, en
franchissant la ligne jaune, « franchi » la légalité objective et vous pouvez être poursuivi.
Pourtant l’État ne souffre en rien, aucun particulier n’a subi d’accident. C’est là la différence entre le contentieux subjectif qui protège les droits subjectifs, les intérêts
individuels et le contentieux objectif qui protège l’intérêt général, l’ordre social en
quelque sorte, cristallisé formellement dans le droit objectif. Celui-ci, en réalité, a un
domaine beaucoup plus vaste que celui des droits subjectifs. Si le droit objectif et les
droits subjectifs se recouvrent, s’agissant du droit privé, le droit objectif a un domaine
autonome s’agissant du droit public comprenant le droit pénal.
Ce qui vient d’être dit est vrai dans son principe mais mériterait quelques nuances.
D’abord, et c’est la première nuance : le droit objectif même en droit privé, en contentieux
subjectif, peut protéger l’intérêt général. C’est ce qu’on appelle le contentieux de la
nullité absolue, d’ordre public. En effet, d’après l’article 6 du code civil, il est interdit de
déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les
bonnes mœurs. Ces règles d’ordre public et de bonnes mœurs protègent un intérêt général ; il y a ici très clairement une intervention de l’intérêt général dans le contentieux
subjectif.
Deuxième nuance : le droit subjectif peut être invoqué par la victime d’un délit civil
qui est en même temps un délit criminel. Exemple : je suis victime d’un vol, on m’a volé
ma voiture. Il est clair que le vol est à la fois sanctionné en droit civil – je suis lésé dans
l’un de mes intérêts subjectifs –, et par le droit criminel qui crée une incrimination particulière pour la soustraction frauduleuse du bien d’autrui. Je pourrai me plaindre, de façon
exceptionnelle, directement devant les juridictions criminelles et j’imposerai au procureur
de la République la mise en mouvement de l’action de droit objectif, l’action publique.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 49
LA THÉORIE DU DROIT OBJECTIF ET DES DROITS SUBJECTIFS
49
C’est en quelque sorte une économie d’instance : au lieu d’obliger le plaideur à déranger
le juge civil, et le procureur à déranger le juge criminel, on permet qu’une seule instance
saisie d’un fait ayant des conséquences civiles et des conséquences criminelles tranche
l’ensemble du litige. Mais cette instance cache bien deux actions : l’une de contentieux
subjectif et l’autre de contentieux objectif. Cette économie d’instance permet à la victime
de se porter partie civile devant la juridiction pénale (art. 2 du code de procédure pénale).
Enfin, troisième et dernière nuance : le droit subjectif peut être invoqué par un particulier victime d’un acte illégal commis par l’État ou par l’un de ses agents devant les
juridictions administratives. Le droit public administratif oblige en effet l’État à respecter les intérêts subjectifs des individus qui sont en relation avec lui (cf. supra, n° 44).
Quoi qu’il en soit, ajoutons que la distinction entre droit objectif et droit subjectif a
une portée considérable aussi en science politique. En effet, si l’on met l’accent sur le
droit objectif – celui de l’État puissance souveraine –, les individus n’apparaissent plus
qu’en tant qu’assujettis, sujets soumis à l’ordre qui vient d’en haut. Le droit est alors la
soumission passive à « l’État puissance ». Mais si au contraire on met l’accent sur les
droits subjectifs – ceux des individus de la base –, alors l’État n’apparaît plus comme
puissance discrétionnaire mais comme la chose de tous, la République, créée par la
volonté de chacun, non plus assujetti au droit venu d’en haut, imposé d’en haut, mais
sujet de droits, défenseur de ses droits et capable de s’associer en vue d’assurer ensemble la défense des intérêts généraux.
Voici exposée la distinction entre le droit objectif et les droits subjectifs. Voyons maintenant quel est exactement le contenu de cette distinction.
SECTION II
LE CONTENU DE LA DISTINCTION
S’agissant du droit objectif, les règles qui le composent sont contenues dans la loi et
dans la coutume (cf. supra, n° 23 à 29).
S’agissant des droits subjectifs il faut ici préciser davantage la notion. Il existe, en
effet, des prérogatives subjectives qui ne sont pas des droits subjectifs, et des prérogatives qui sont des droits subjectifs proprement dits.
50
§ I — Les prérogatives subjectives qui ne sont pas des droits subjectifs
Nous distinguerons ici les prérogatives de droit et les prérogatives de fait. Parmi les
prérogatives de droit citons d’abord les libertés. On dit couramment : « J’ai le droit de me
marier, j’ai le droit d’aller et venir. » Ce ne sont pas des droits, mais des libertés, car le
droit subjectif suppose une prérogative qui porte sur un objet précis ou sur une personne
déterminée. Or, la liberté pour un garçon célibataire de se marier ne crée aucune obligation précise pour quelque représentante que ce soit du sexe féminin. Quant aux fonctions,
autres prérogatives juridiques, voici des exemples déjà cités (cf. supra, n° 2). Un père dit :
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
50
18/09/08
12:49
Page 50
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
« J’ai le droit de corriger mon enfant. » Le gendarme dit : « J’ai le droit de vous dresser
procès-verbal. » Il ne s’agit pas de droits, bien que le père et le gendarme aient une prérogative juridique sur une personne déterminée. Mais ce dont il est question ici n’est qu’un
pouvoir d’agir : pour le père, dans l’intérêt de l’enfant qui a le droit de recevoir une bonne
éducation ; pour le gendarme, dans l’intérêt de tous les automobilistes qui demandent à
l’État d’assurer la sécurité de la circulation. Le pouvoir, la fonction sont donc confiés
pour un temps à des fonctionnaires privés – en droit privé –, ou publics – en droit public
–, qui agissent non pas dans leur intérêt subjectif mais dans l’intérêt d’autrui ou dans celui
de la collectivité tout entière. Le droit subjectif ne peut donc être confondu avec les libertés et les pouvoirs. Il ne doit pas non plus être confondu avec les prérogatives de fait.
Ainsi, le fait de m’emparer matériellement du bien d’autrui et de m’en servir comme si
j’étais propriétaire est un fait, illicite d’ailleurs car contraire au droit. C’est la possession
– état de fait – qui n’est pas un droit subjectif ; elle peut toutefois, en certains cas,
conduire à l’obtention d’un droit subjectif. On passe alors du fait au droit. Ainsi, à titre
d’exemple, on m’a vendu et remit un bien meuble qui n’appartenait pas au vendeur. Je
croyais le vendeur propriétaire puisqu’il avait la chose dans les mains et que rien ne
ressemble plus à un propriétaire qu’un possesseur. Je ne suis qu’un possesseur car en droit
je ne peux acquérir de droit de propriété de quelqu’un qui n’était pas lui-même propriétaire. Mais le droit objectif, article 2279 du code civil, crée en ma faveur un droit
subjectif : de possesseur je deviens propriétaire car je tiens la chose de quelqu’un dont je
pensais de bonne foi qu’il était propriétaire (cf. infra n° 228 ets.).
51
§ II — Les prérogatives qui sont des droits subjectifs
Le droit subjectif apparaît comme une prérogative sur un bien ou une personne déterminée, prérogative reconnue et protégée par le droit objectif au profit d’un sujet qui est
maître d’en user comme il l’entend car il est seul juge de son intérêt personnel, subjectif.
Ainsi le droit subjectif se distingue d’abord de la liberté, car la prérogative subjective
porte sur un bien ou une personne déterminée. Il se distingue ensuite de la fonction, car
la prérogative est exercée dans l’intérêt du titulaire et non pas dans l’intérêt d’autrui ; et
enfin de la possession car le droit subjectif est une situation légale et non pas une situation de fait.
Nous verrons par la suite que, si le droit subjectif porte sur un bien, on parlera de droit
réel (res en latin, une chose). Si au contraire le droit subjectif porte sur une personne, un
débiteur, on parlera alors de droit personnel. Il faut ajouter enfin que les droits réels et les
droits personnels d’un individu sont regroupés dans ce qu’on appelle le patrimoine. Le
patrimoine d’une personne se compose donc de l’ensemble de ses droits réels et de ses
droits personnels. Les droits personnels d’ailleurs peuvent être positifs (on les appelle des
créances), ou être négatifs (ce sont des dettes). Sous une autre forme le patrimoine apparaît comme l’ensemble des biens actifs et des charges passives de la personne, et c’est
pourquoi on le présente souvent sous la forme d’un compte que l’on appelle bilan. Le
patrimoine net résulte de la différence entre l’actif et le passif, et il est tout à fait lié à la
personne ou sujet de droit. On dit dans une perspective dynamique que le patrimoine est
le reflet de l’activité économique de l’individu.
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
18/09/08
12:49
Page 51
Conclusion
52
Cette introduction avait deux objectifs :
– présenter ce qu’est le droit en ses notions fondamentales, ses divisions et son dynamisme qui l’amène à évoluer, parfois même à se métamorphoser ;
– présenter l’entreprise économique, qui comme toute activité humaine, individuelle
ou de groupe, est enchâssée dans le droit : droit patrimonial, civil et commercial, mais
aussi droit du travail et droit social qui présentent l’un et l’autre des aspects de droit privé
et de droit public, droit public administratif, en ses diverses sous-branches, droit fiscal,
droit pénal, etc.
Peut-on pour autant parler de « droit de l’entreprise » en regroupant toutes les règles
de droit privé ou de droit public qui en conditionnent la naissance, le fonctionnement et
la disparition ?
Nous hésitons à le faire et le titre de ce livre Droit et entreprise manifeste cette hésitation.
L’entreprise en effet est une notion économique qui a longtemps été ignorée par le
droit. Ce sont d’ailleurs les branches les plus récentes du droit : droit fiscal, droit du
travail et droit social qui affirment la notion d’entreprise (de même que la loi du 24 janvier
1985 sur le redressement et la liquidation des entreprises) alors que le droit privé, civil et
commercial, l’ignore.
Pourquoi cette ignorance ? Il y a là une raison politique. Reconnaître l’entreprise en
droit comme le fait le droit du travail au profit des salariés et le droit fiscal au profit du
fisc, c’est porter un coup au droit de propriété des entrepreneurs, individuels ou collectifs
(s’ils sont en sociétés). Or, supprimer la propriété – et la liberté, donc l’entreprise – des
entrepreneurs, c’est transformer toute entreprise en entreprise d’État ; or l’on sait les difficultés qu’ont connues les économies étatisées (les pays socialistes). Dans les démocraties
occidentales, on a donc préféré maintenir une économie en grande partie fondée sur le
droit privé, même si l’on constate une montée du droit public, et la naissance et le développement d’un droit économique.
Il n’empêche que l’entreprise, qu’elle soit individuelle ou sociétaire (ne pas confondre
entreprise et société cf. infra, n° 53), suppose l’existence de rapports juridiques :
a) entre des personnes : l’entrepreneur individuel, les dirigeants sociaux et les propriétaires d’actions (si l’entreprise est une société), les fournisseurs de biens, les fournisseurs
de crédit (obligataires et banquiers), les salariés, les clients, l’État et ses administrations ;
b) sur les biens : biens immobilisés (investissement) et biens circulants (stocks de
matières premières et de produits finis, argent) ;
Droit et entreprise RM:Droit et entreprise
52
18/09/08
12:49
Page 52
INTRODUCTION GÉNÉRALE À L’ÉTUDE DU DROIT
c) prenant leur origine dans des activités de fait (délits et quasi-délits) mais surtout de
droit (conclusions de contrats de toutes sortes : achat, vente, location, prêt, crédit-bail,
concession, franchise, etc.).
Nous allons distinguer en cinq livres :
– Livre I : l’entreprise et les personnes,
– Livre II : l’entreprise et les biens,
– Livre III : l’entreprise et les activités économiques,
– Livre IV : l’entreprise et son personnel,
– Livre V : l’entreprise et l’impôt.

Documents pareils