La « nouvelle frontière » : un vrai combat

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La « nouvelle frontière » : un vrai combat
MÉTIER ▼ L’EPLE
La « nouvelle frontière »:
un vrai combat
Philippe TOURNIER
L’actualité des modalités du recrutement des emplois aidés interroge ce que sont aujourd’hui
ces EPLE que nous dirigeons. Quand des autorités académiques font pression pour que
soient recrutés « toute affaire cessante » des emplois en incitant à malmener le droit et en
considérant l’accord du conseil d’administration comme une formalité de second ordre,
elles mettent le doigt sur la difficulté du rapport entre l’institution, ses « services déconcentrés(1) » et ses EPLE. Pourtant, le ministère lui-même admet que ce lien est la « nouvelle
frontière » du système éducatif. Une mission de l’inspection générale est dépêchée sur
ce thème. Mais, en attendant, c’est l’errance entre l’irrésolution et l’autoritarisme.
Sur le papier, tout est simple et clair.
Le ministre nomme une direction qui
représente l’État et qui a, à ce titre, des
obligations et des prérogatives précises
énoncées dans l’article 8 du décret
du 30 août 1985 : elle « a autorité sur
l’ensemble des personnels affectés ou
mis à disposition de l’établissement »,
« veille au bon déroulement des enseignements, de l’orientation et du contrôle
des connaissances des élèves », assure
« la sécurité des personnes et des biens,
l’hygiène et la salubrité », « est responsable de l’ordre dans l’établissement »,
« veille au respect des droits et des
devoirs de tous » et « engage les actions
disciplinaires ». C’est tout. Quand une
autorité académique « invite » lourdement
un président de conseil d’administration à
présenter une convention pour que l’EPLE
devienne employeur d’emplois aidés, ce
n’est pas comme supérieur hiérarchique
qu’elle peut le faire puisqu’une telle
demande ne s’inscrit pas dans ce pour
quoi nous représentons l’État au sein de
nos établissements. Évidemment, dans
la réalité, nous sommes à mille lieues de
cet univers du droit mais voguons dans
le monde trivial des circonstances et
des rapports de force. De toutes façons,
la plupart des autorités académiques
n’ont qu’une idée incertaine de ce qu’est
l’EPLE, considèrent toujours qu’elles y
sont chez elles, que les directions des
établissements les représentent en tout,
pour tout et tout le temps (sauf quand
cela devient scabreux et risqué : on célèbre alors les bienfaits de « l’autonomie »)
et que la fonction de président du conseil
d’administration ne pèse rien. Mais pire
encore : leurs propres services se conduisent de même, comme si les EPLE
n’existaient pas et comme si les secrétariats des établissements étaient leurs
simples prolongements.
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Imposer ce qui est déjà dans les textes
est une priorité professionnelle. Lisons-les
et que nous disent-ils ? Que l’EPLE est un
établissement public dont les rapports
avec les autorités académiques sont fondamentalement de nature contractuelle
comme le souligne sans ambiguïté l’article
2-2 du décret précité, tout nouvellement
ajouté : « le contrat d’objectifs conclu avec
l’autorité académique définit les objectifs
à atteindre par l’établissement pour satisfaire aux orientations nationales et académiques ». La satisfaction des objectifs
nationaux et académiques ne passe donc
que par ce contrat et par aucune autre
voie, certainement pas celle de l’injonction
(ce n’est pas prévu par le décret !)(2). Il ne
s’agit évidemment pas de revendiquer une
totale liberté pour les EPLE, leur conseil
d’administration ou les personnels de
direction mais, tout simplement, d’imposer
un mode de fonctionnement conforme
aux textes qui s’avèrent très en avance
sur les pratiques et les idées qui trottent
encore dans les têtes (même les nôtres).
L’expression concrète de cette urgente
remise en ordre passe par un mode relationnel « normé », notamment par des
conventions avec les différentes autorités
au nom desquelles nous agissons. Nous
en aurons prochainement l’expérience (qui
sera parfois dure) avec les collectivités. Il
n’y a pas de raison que les relations avec
les autorités académiques n’aient pas la
même forme, notamment dans le domaine
de la gestion. C’est certainement sur ce
point qu’il faut commencer en refusant
systématiquement toute utilisation non
contractualisée des ressources de l’EPLE
pour autre chose que lui-même(3). Que
nous soyons, que nous restions sous
l’autorité des recteurs et des inspecteurs
d’académie, et que nous revendiquions
de le rester, à titre personnel, ne contrarie en rien cette approche. C’est même
DIRECTION N° 133 NOVEMBRE 2005
la condition du maintien d’un système
unifié : lettres de mission et évaluations
doivent baliser ces relations qui ne sont
pas d’obéir à n’importe quel ordre. C’est
même l’occasion de les ancrer autour de
ce qu’elles doivent être : la confiance, le
conseil et la régulation.
Dès l’instant où il est fort possible
que le pouvoir politique ait durablement
renoncé à transformer ce qui bloque
aujourd’hui l’école (le contenu du service des professeurs et l’évaluation des
élèves), l’organisation du système éducatif
est son seul espace de véritable évolution. Or, la tension y est aujourd’hui toute
entière concentrée sur la jonction entre
la logique « verticale » et saccadée des
services déconcentrés pressés par le
ministère et celle, « horizontale » et continue, des EPLE au contact de la société.
C’est là le champ d’un combat, déjà commencé, plus ou moins feutré, autour de
l’EPLE, de sa présidence, de son rapport
à ses divers prescripteurs et qui revêt très
probablement un enjeu vital pour l’avenir
d’une politique éducative aujourd’hui
modestement résumée en abécédaire(4).
(1)
(2)
(3)
(4)
Ce terme désigne officiellement les IA et les
rectorats
De plus « le chef d’établissement rend
compte de sa gestion au conseil d’administration et en informe l’autorité académique
et la collectivité locale de rattachement ».
Vous avez bien lu : c’est devant le conseil
qu’une direction rend compte de sa gestion
alors qu’elle ne fait qu’informer les diverses
autorités. Et, chose étonnante, même en
tant que représentant de l’État : l’emplacement de la phrase en fin de l’article 8 ne
laisse aucun doute
De plus, cela piétine les principes de la
LOLF, comme pour la gestion pour le premier degré.
www.education.gouv.fr/actu/2005/rentree_scolaire/
abecedaire.htm

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