l`expérience du suivi intensif dans la communauté - CSSS-IUGS
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l`expérience du suivi intensif dans la communauté - CSSS-IUGS
L’EXPÉRIENCE DU SUIVI INTENSIF DANS LA COMMUNAUTÉ : UN MODÈLE INTÉGRATEUR DE LA DOUBLE PROBLÉMATIQUE Luce Côté; Daniel Guimarães CHUS Hôtel-Dieu INTRODUCTION Principes du rétablissement La maladie, tant physique que mentale, affecte l’individu de nombreuses façons. Elle remet en question l’image qu’il a de lui-même, lui impose des nouvelles limites auxquelles il doit s’adapter et le confronte aux handicaps qu’elle entraîne parfois. Le processus qui permet à l’individu malade de développer ou de restaurer une identité positive et riche de sens malgré la condition qui l’afflige, puis de reconstruire sa vie en dépit ou dans les limites imposées par son état s’appelle le rétablissement (Kirk, 2002). L’ancrage théorique de la double problématique : le processus de rétablissement Principes de l 'approche motivationnel EXPLORER L’AMBIVALENCE ET DÉVELOPPER LA DISSONANCE COGNITIVE avantages puis désavantages du statu quo ROULER AVEC LA RÉSISTANCE technique de judo; éviter toute confrontation SUPPORTER L’EFFICACITÉ PERSONNELLE la confiance et l’optimisme quant au projet L’ancrage théorique de la double problématique : le processus de changement L’ancrage théorique de la double problématique : le processus de changement Problèmes du système actuel pour la prise en charge de la double problématique Le manque de ressources professionnelles intéressées à travailler avec cette clientèle en dehors de l’équipe SI Le nombre limité d'intervenants qui disposent des connaissances de base nécessaires Le nombre limité de milieux d'intervention qui acceptent de desservir cette clientèle dans le milieu communautaire Des réseaux qui travaillent en parallèle plutôt qu'en collaboration Des interventions ponctuelles qui ne s'inscrivent pas toujours dans une continuité de services L’ancrage théorique de la double problématique Les clients avec une double problématique (santé mentale et toxicomanie) en milieu communautaire possèdent un potentiel de changement et de rétablissement Les deux concepts sont similaires mais pas identiques et peuvent être compatibles dans une démarche intégrée qui sera exemplifiée par l’expérience des intervenants de suivi intensif (SI) dans notre milieu. Notre objectif sera de partager avec vous cette expérience LE SUIVI INTENSIF DANS LA COMMUNAUTÉ Le suivi intensif dans la communauté Il s’agit tout d’abord d’une équipe interdisciplinaire, qui assure au quotidien et à même la communauté, le traitement, le soutien et la réadaptation des personnes vivant avec un trouble de santé mentale grave. Le but de ce service est de permettre, avant tout, à ces personnes atteintes de troubles sévères, de pouvoir vivre chez eux, de façon automne et sécuritaire, comme tout autre citoyen en a la possibilité. Par l’intensité du service offert et par la disponibilité 24/7 des intervenants de cette équipe, le client vit son processus de rétablissement de façon normalisante. Critères d’inclusion des client au SI Comme vous le savez déjà, la santé mentale, et particulièrement en Estrie, est plus que jamais confrontée au phénomène de la double problématique de toxicomanie. Le service SI n’y échappe surtout pas, y étant confronté au quotidien voire même y être «témoin in vivo» lors des fréquents contacts avec les clients. 80% de la clientèle suivis au SI du CHUS présente la double problématique de santé mentale et toxicomanie, souvent également accompagné d’un triple et quadruple problématique aux axes 2 et 3 Le contexte d’intervention en SI On pourrait situer l’intervenant en SI entre le travailleur de rue et l’intervenant en établissement. À tous moments de la journée, l’intervenant SI peut être témoin de la consommation du client vivant avec une double problématique de toxicomanie. C’est au moment de ce contact, prévu ou non, que le client nous expose «en temps réel» son état de consommation. Le contexte d’intervention en SI En quelque sorte, l’intervenant du SI «vit» la toxicomanie du client y est «confronté» chaque jour est en lien avec «l’expérience du client» psychotique et toxicomane. L’EXPÉRIENCE SUR LE TERRAIN Sujet à réflexion Les intervenants devant la double problématique L’expérience sur le terrain : questionnements des intervenants Le contact avec le client dans sa communauté est certes un moment privilégié Cependant il amène aussi son lots de questionnements lorsque ce moment est aussi accompagné d’une consommation active. Nous voulons exposer ici quelques situations «matière à réflexion» Avertissement L’expérience sur le terrain: situation 1 a) b) Quoi de plus normal pour la population en général que d’acheter de la bière en faisant son épicerie. Pourtant, lors d’un accompagnement d’un client à l’épicerie, si le client désire s’acheter de la bière, quel serra notre premier réflexe comme intervenant ? Se montrer réticent ? Pourquoi une telle censure, ce contrôle, cette limite ? Pour toutes sortes de bonnes raisons bien entendu (il doit d’abord garder son argent pour s’acheter assez de nourriture pour la semaine, nous ne voulons pas l’encourager dans sa consommation, etc.). Lui permettre d’acheter de la bière? Me sentirais-je alors complice ou ce geste serait-il à la fois «normalisant» et en plus «légal» ! L’expérience sur le terrain : situation 2 Lors d’une rencontre chez le client, on croisse son revendeur de drogue dans l’appartement. Quoi faire? a) Devons nous saisir cette occasion pour établir un contact avec lui? b) Passer incognito pour assurer notre sécurité? L’expérience sur le terrain : situation 3 Le client nous demande d’aller payer nousmêmes sa dette à son revendeur, pour l’aider à ne plus être influencer en sa présence. Comment faire pour ; a) d’une part l’aider dans sa demande légitime de se distancer de son revendeur, b) d’autre part ne pas devenir une cible pour ce revendeur, c) ni devenir complice dans l’achat de drogue illégale ? L’expérience sur le terrain : situation 4 Le client nous demande volontairement de conserver son argent pour l’aider à mieux contrôler ses dépenses. Un budget est établi avec lui. Puis en cours de mois, il nous demande des avances de son argent, sachant bien que les raisons données seront finalement l’achat de drogue. a) Devons-nous contrôler son argent ? b) Lui laisser pour le responsabiliser ? L’expérience sur le terrain : situation 5 Lors de son suivi à domicile, le client est sous effet de substance. a) Saisissons-nous cette occasion pour l’aider à faire une réflexion sur sa consommation b) Attendons-nous qu’il soit sobre? c) Si on attend qu’il soit sobre, que fait-on en attendant avec le suivi ? d) Sera-t-il alors en danger physique, psychologique ? L’expérience sur le terrain : situation 6 Lors de nos visites au domicile, le client accueille régulièrement d’autres personnes consommatrices non connues du service. Il est heureux d’avoir des amis Quel est notre discours face à cela ? a) Interdire ces contacts à cause des mauvaises influences ? b) En même temps ne pas vouloir décourager sa socialisation ? Les attentes de l’intervenant versus client Ces quelques situations régulièrement vécues par les intervenants ne font que mettre en évidence l’ambigüité soulevé par le phénomène de la double problématique. Cette ambigüité repose en partie sur les attentes: celles de l’intervenant et celles du client Les attentes de l’intervenant versus le client L’expérience quotidienne au SI nous amène sans contredit à réfléchir sur nos attentes comme intervenants en santé mentale face à la clientèle aux prises avec une double problématique de toxicomanie et santé mentale. Le client et l’intervenant n’ont pas les mêmes attentes face à cette problématique. Il y a un décalage entre le «désir du client» et le «désir de l’intervenant». Les attentes de l’intervenant versus le client La notion même d’abstinence ou de réduction des méfaits ne prend pas le même sens dans la bouche d’un intervenant que dans celle du client. Ainsi, un client peut se montrer très fier de lui pour avoir réussi à demeurer abstinent pendant quelques jours seulement. Pour l’intervenant, il s’agira que d’une autre rechute, mais pour le client il s’agira d’une réussite si minime soit-elle. Mais malgré la rechute, il est de la responsabilité de l’intervenant de démonter une attitude soutenante et surtout ne pas laisser entrevoir notre propre déception devant ce fait. Les attentes des intervenants Passer d’une consommation de 5 à 3 comprimés de speed par jour peut s’avérer un effort énorme pour un client, alors que de notre point de vue, il est loin de l’abstinence projetée. Il s’agit de reconnaitre que le client est dans un processus de changement et ce, sans porter de jugement sur sa façon de vivre son processus. Chaque processus est individuel L’abstinence totale n’est peut-être pas une projection du client mais de l’intervenant. Les attentes des intervenants Le travail en SI particulièrement, nous oblige à une réflexion sur ce concept d’attentes mutuelles. Au SI nous devons développer une notion de tolérance voire même une «relation de connivence» avec le client. Cela ne veut pas dire que nous l’encourageons à consommer, que nous acceptons qu’il consomme sans rien faire et dire, les bras baissés Les attentes des intervenants Cela signifie de se placer au niveau de perception que le client a de son problème. Cela signifie que nous devons chercher ensemble, avec le client, comment il désire que sa consommation se manifeste. Les attentes des intervenants Pour cela, nous devons développer sur une base individualisée, une créativité entourant la réduction des méfaits. C’est à travers le plan d’intervention «individualisé» dans lequel le client s’engage à cheminer durant sa prise en charge au SI, que des moyens inventifs de réductions des méfaits sont proposés par le client et ce, à l’intérieur des balises légales que le SI s’engage à respecter et à bien définir avec le client. Les défis et dangers de la gestion de la double problématique Coexistence de la double problématique L’expérience SI tant au Québec, au Canada qu’aux États-Unis, nous démontre Qu’il est possible de soigner une personne qui est en consommation active et ce malgré le fait qu’elle souffre parallèlement d’une maladie mentale. Qu’il est possible de faire de la réadaptation malgré l’omniprésence de la toxicomanie. Efficacité du SI dans la littérature Des méta-analyses ont confirmé l’efficacité du SI dans le contexte de la toxicomanie par 3 mécanismes : aide à la gestion financière; maintien de l’hébergement; counseling spécialisé (Fries & Rosen, 2011) Rétablissement et toxicomanie C’est à travers sa toxicomanie que l’intervenant SI entrera en contact avec son client. C’est par là que pourra s’amorcer tout le processus de rétablissement. On ne se bat plus pour qu’il arrête de consommer, mais utilisons plutôt la consommation comme levier d’intervention et de changement. Rétablissement et toxicomanie Ceci demande aussi une modification dans l’attitude de l’intervenant puisque ce phénomène de double problématique vient nous confronter dans nos valeurs Les perceptions Le fait de consommer ou de faire une rechute dans la consommation est perçu négativement. Du point de vue du client les drogues lui sont, en quelque sorte, nécessaire pour survivre à sa maladie mentale. Elles le soignent, elles le soulagent, elles lui permettent aussi d’avancer même si parfois cela nous semble un recul. Pour les intervenants, soigner la toxicomanie du client c’est aussi soigner sa psychose. Les deux sont indissociables. Nouvelles stratégies et créativité Au SI, la réduction des méfaits passera par diverses stratégies développées en collaboration avec le client. L’implication du client dans ce que sera sa « propre manifestation de la réduction des méfaits» est primordial. Pour un client donné, la réduction des méfaits signifiera pour lui de réduire sa consommation quotidienne de 10 à 6 joints de cannabis. Pour un autre aux prises avec un problème hépatique, la réduction des méfaits se manifestera par le changement de voie d’administration de la drogue qu’il consomme. Nouvelles stratégies et créativité Bien entendu ces formes de réduction de méfaits sont couramment connues et utilisées dans nos divers milieux de soins et de thérapies. De plus au SI, à la demande des clients eux-mêmes nous avons dû mettre en place d’autres moyens techniques pour les aider à mieux contrôler leur consommation. Nouvelles stratégies et créativité C’est ainsi par exemple, que des clients nous ont demandés de trouver des moyens concrets de contrôler leur consommation dans leur propre logement. Pour un client la stratégie consistait en plusieurs étapes. 1- Au plan d’intervention pour ce client, il était inscrit qu’une somme mensuelle de son argent était dépensée pour l’achat d’une quantité précise de bouteilles de bières qu’il allait lui-même acheter à un endroit précis choisi par le client. 2- L’intervenant accompagnait ensuite le client pour ramener les bouteilles à son logement 3- Les bouteilles achetées étaient ensuite déposées par le client dans une boite fermée avec un cadenas dont le numéro était inconnu du client. 4- Les temps de consommation permis et acceptés par le client étaient inscrits au PI selon l’horaire de travail du client. La consommation de bière n’étant pas favorisée avant sa journée de travail par exemple. 5- La boite était débarrée par l’intervenant selon l’horaire établi et le client pouvait alors retirer de la boite le nombre de bières prédéterminé par lui au PI. 6- Le client refermait le cadenas avant le départ de l’intervenant et le processus se répétait selon l’horaire établi et suivi et respecté par tous les intervenants du SI. Nouvelles stratégies et créativité Résultats : Cette stratégie a permis au client : a) De réduire les excès de consommation b) Prévenir l’intoxication c) Diminuer les idées suicidaires d) Maintenir son emploi e) Augmenter son estime de soi f) D’utiliser de meilleures stratégies d’adaptation que l’alcool Nouvelles stratégies et créativité Pour un autre client la stratégie consistait aussi à certaines étapes semblables : 1- Au plan d’intervention pour ce client-ci, il était inscrit qu’une somme mensuelle de son argent était dépensée pour l’achat d’une quantité précise de cannabis qu’il allait lui-même acheter. 2- L’intervenant suivait en voiture le client sur le chemin du retour à son logement pour éviter qu’il n’aille revende sa drogue. 3- Le cannabis acheté était ensuite déposé par le client dans une boite fermée chez le client avec une clé qui n’était pas laissé à la disposition du client. 4- Les temps de consommation permis et acceptés par le client étaient inscrits au PI selon l’horaire du client. La consommation de cannabis n’étant pas favorisée avant nos rencontres pré-cédulées. 5- La boite était débarrée par l’intervenant selon l’horaire établi et le client pouvait alors retirer de la boite la quantité de drogue prédéterminé par lui au PI. 6- Le client refermait la boite et remettait la clé avant le départ de l’intervenant et le processus se répétait selon l’horaire établi et suivi et respecté par tous les intervenants du SI. Nouvelles stratégies et créativité Résultats: Cette stratégie a permis à ce client : a) De mieux répartir la consommation durant tout le mois et ainsi éviter le besoin d’acheter d’autres drogues plus fortes par manque b) D’éviter l’endettement causé par le besoin d’emprunter pour racheter durant le mois si tout avait été rapidement consommé en début de mois. c) De diminuer les états d’intoxication et ainsi éviter les visites à l’urgence d) D’améliorer sa santé physique et mentale par la diminution de drogues fortes. e) D’entretenir de meilleures relations avec l’entourage (équipe SI, parents, copine) Nouvelles stratégies et créativité Nous avons été confronté dernièrement à une demande d’un client qui voulait qu’un intervenant aille payer à sa place son revendeur de drogue, parce qu’il se montrait très vulnérable et incapable de mettre ses limites devant son revendeur . Nous devions à la fois assurer notre sécurité, aider ce client à mettre des limites et aussi le responsabiliser dans ses actions d’endettement Nouvelles stratégies et créativité Encore une fois l’équipe a dû mettre en place des idées nouvelles pour transiger avec cette situation. Chacune des avenues possibles furent discutées en équipe avec les prémices suivantes; ne pas devenir complice, ne pas se placer en situation de danger ou de vulnérabilité, aider le client dans sa demande. Nouvelles stratégies et créativité La proposition finale qui respectait nos prémices et qui a été acceptée par tous y compris le client fut d’indiquer au revendeur par un appel anonyme et non repérable que l’argent du paiement de la dite dette serait déposé à un endroit x à une heure précise. Pendant ce temps, 2 intervenants se tenaient présents auprès du client afin d’aider celui-ci à ne pas entrer en contact avec la personne qui venait récupérer l’argent. Nouvelles stratégies et créativité Résultats: La stratégie a fonctionné La dette a été payé Les intervenants ont assuré leur sécurité Le client a tenu bon et n’a pas pris contact avec son revendeur comme il en avait l’habitude. Les respect des limites Pour de raison d’ordre déontologiques et légales. Il est important de préciser qu’il a été clairement établi avec les clients que le service du SI ne manipulera jamais les drogues et cigarettes illégales. Il est de la responsabilité du client seul de manipuler ces substances. Les respect des limites Pour des raisons sécuritaires il a été convenu avec les clients et l’équipe qu’un intervenant ne peut payer en main propre un revendeur de drogue. Pour la même raison, les intervenants évitent d’être associés à ce milieu. Il en va de la responsabilité du client de transiger avec ce milieu s’il tel est son choix. Les respect des limites Le suivi pendant un état d’intoxication c’est opportun mais selon la relation équipe/client. Accord volontaire pour gérer son argent doit inclure transparence (risque des fausses demandes pour consommer). Situations hors des pratiques professionnelles à éviter, e.g. paiement de dettes des vendeurs de drogues; s’exposer devant personnes liés au crime organisé EN GUISE DE CONCLUSION Solutions apportées dans la réalité du SI Cadre souple et compatible avec la complexité de la clientèle Prise en considération de tous les éléments positifs et négatifs déjà présents dans le milieu Attentes réalistes et basées sur la réalité clinique du patient Respect de son moment dans le processus de rétablissement et changement de ses habitudes de vie Facilité en cherchant la collaboration et l’interdisciplinarité Messages Clés En tant qu’intervenant et particulièrement en SI, nous devons travailler sur nos attentes, nos déceptions face aux clients. Notre sentiment d’impuissance se situe justement là, dans notre perception de la toxicomanie. L’expérience locale confirme l’impact positif du SI sur la toxicomanie validé par la littérature