Vinifier des blancs en fût

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Vinifier des blancs en fût
Vin
Vinifier des
blancs en fût
Tout un art
Bien conduite, la vinification des blancs en barrique
permet d’obtenir des vins offrant plus de matière
qu’en cuve. Voici les conseils d’experts bordelais
et bourguignons pour parvenir au meilleur résultat.
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Récoltez des raisins
au top
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Débourbez moins
serré qu’en cuve
Entonnez tôt pour
un boisé fondu
Faut-il entonner avant ou
après le démarrage de la fermentation ? Les pratiques divergent. Selon Éric Grandjean, traditionnellement, les Bourguignons
entonnent avant. « Cela évite un
transfert », indique l’œnologue.
Dans le Bordelais, les œnologues
recommandent plutôt de démarrer la fermentation en cuve afin
d’entonner un jus homogène. Ils
conseillent d’effectuer l’entonnage au moment où il convient
d’aérer le moût, lorsque la densité a chuté de 15 à 30 points. « Le
vin est alors protégé par le CO2 »,
détaille ainsi Vincent Renouf.
Pour Jan Castaing, tout est affaire de style. « Si l’on souhaite
un boisé fin et bien fondu, mieux
vinifier des blancs en
barrique permet d’obtenir
de vins aromatiques plus
fins. © P. ROY
vaut entonner avant le départ en
fermentation. Dans ce cas, on peut
levurer juste après le débourbage en
veillant à ce que les levures soient
bien en suspension dans le moût
lors du remplissage des fûts. On
peut aussi préparer un levain à part
et le répartir dans les fûts après le
remplissage. Pour un boisé plus
marqué, il faut entonner lorsque la
fermentation est aux deux tiers ou
lorsqu’elle vient de s’achever. »
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« Aujourd’hui, pour les vinifications en cuve, la tendance
est aux débourbages très serrés suivis d’une bonne maîtrise de
la fermentation pour favoriser les
arômes fermentaires. En barrique,
ce n’est pas ce que l’on cherche. Généralement, nos clients travaillent
entre 150 et 200 NTU », observe
Benoît Verdier, directeur des dé-
doit être long. Le vin poussé à
l’azote gardera plus de fraîcheur
aromatique. à l’inverse, « le vin
poussé à l’air résistera mieux aux
expositions à l’air plus tardives ».
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« Lorsqu’on vinifie en fût, il
faut des raisins de qualité. Les
moûts ne doivent pas présenter
d’amertume, ni de notes végétales
ou d’oxydation », prévient Éric
Pilatte, œnologue en Saône-etLoire. « On recherche des maturités abouties et un bon état sanitaire », confirme Nicolas Piffre,
de l’œnocentre de Saint-Savin,
en Gironde. Si le moût présente
des défauts, il faut envisager un
collage lors du débourbage.
veloppements œnologiques de la
tonnellerie Seguin-Moreau.
« On recherche de la finesse aromatique avec un certain gras. Il faut
donc viser des turbidités ni trop
faibles, ni trop élevées. Nous recommandons un débourbage autour de
150 NTU », ajoute Nicolas Piffre.
En Bourgogne, Jan Castaing, du
laboratoire Moreau Œnologie,
confirme qu’il ne faut pas trop
dépouiller les moûts. « Un milieu trop maigre engendre des problèmes fermentaires. De plus, le
bois risque de prendre le dessus »,
affirme-t-il. Son confrère Éric
Grandjean, du Centre œnologique de Bourgogne, précise que
« généralement les viticulteurs travaillent entre 100 et 200 NTU pour
les chardonnays ».
Vincent Renouf, responsable
R & D pour Chêne & Cie, explique qu’en fin de pompage, il
vaut mieux pousser à l’azote les
derniers jus clairs lorsqu’on vinifie des vins destinés à un élevage
court et à l’air, quand l’élevage
Ouillez très
souvent après la FA
Lors de l’entonnage, il faut
veiller à garder un espace sous
la bonde, pour éviter les débordements ultérieurs. En Bour-
Une bonde pour la fermentation et l’élevage
Depuis deux ans, la tonnellerie
Seguin-Moreau distribue une bonde
bimatière spécialement conçue pour
les fermentations en barrique, baptisée la
Lux Bung. Son corps est en verre, sa base,
amovible, est en silicone. Cette dernière
se retire durant les fermentations. Dès
lors, on a affaire à une bonde en verre
classique qui ferme les barriques de
manière non hermétique, ce qui permet
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La Vigne - N° 288 - juillet-août 2016
le dégazage. « La Lux Bung évite de laisser
le fût ouvert ou que la bonde posée à côté
du trou tombe par terre », explique Benoît
Verdier, le directeur des développements
œnologiques. Lors de l’élevage, il suffit de
remettre en place la partie en silicone pour
fermer les fûts de manière hermétique.
Le prix est de 15 € départ Cognac. SeguinMoreau précise qu’il est possible de la
personnaliser avec le logo du domaine.
Bruno Lorenzon, viticulteur
à Mercurey (Saône-et-Loire),
8 ha de vignes
« La qualité des
raisins doit être
irréprochable »
«J
e travaille en bio
et vinifie 100 % de
mes blancs en barrique. Je
sélectionne les bois et la
chauffe en fonction du profil
de vin que je souhaite, à
savoir un chardonnay frais,
pur et fruité. à cette fin,
la qualité des raisins doit
être irréprochable. Nous les
ramassons donc à la main.
Et pour éviter la trituration
et l’oxydation, nous les
mettons en cagette de
6 kg que nous transportons
à la cuverie dans des
camions réfrigérés. Nous
ne mettons aucun intrant.
Après le pressurage, nous
pratiquons un débourbage
« Je suis contre le non-sulfitage des moûts », indique,
d’emblée, Éric Pilatte. L’œnologue
bourguignon recommande donc
un ajout de 3 à 5 g/hl de SO2 à la
sortie du pressoir, afin d’éviter
un enclenchement de la malo
avant la fin de la FA. Puis il préconise de réajuster le niveau de
SO2 après la fin de la malo, pour
obtenir entre 20 et 30 mg/l de SO2
libre. « Contrôlez le SO2 une fois
par mois et réajustez le niveau de
manière raisonnée et raisonnable,
si nécessaire. Durant l’élevage, il
ne faut pas descendre en dessous
de 20 mg/l de SO2 libre. Toutefois,
l’objectif est de ne pas dépasser
100 mg/l de SO2 total au moment
de la mise », explique Éric Pilatte.
Dans le Bordelais, Nicolas Piffre
recommande un premier sulfitage entre 2 et 3 g/hl juste avant
la macération pelliculaire, puis à
Bâtonnez selon
la nervosité du vin
Le bâtonnage remet les lies en
suspension. Il protège le vin de
l’oxydation et apporte du gras
tout en réduisant la sensation
d’acidité. Mais, en Bourgogne, la
tendance est de lever le pied sur
cette pratique. « Avec le réchauffement climatique, les moûts sont
moins acides et présentent naturellement plus de rondeur et de sucrosité. On a donc moins recours au
bâtonnage », relate Jan Castaing.
À Bordeaux, où les vins sont plus
nerveux parce qu’ils ne font généralement pas la malo, les pratiques n’ont pas changé. « Après la
fermentation alcoolique, on recommande un bâtonnage une fois par
jour pendant un mois, puis deux à
trois fois par semaine jusqu’en décembre. Ensuite, le pilotage se fait à
la dégustation », explique Nicolas
Piffre.
Le bâtonnage peut se faire à la dodine ou par rotation des fûts sur
des racks prévus à cet effet. « Le
bâtonnage manuel est plus protecteur et plus efficace d’un point de
vue organoleptique », considère
Vincent Renouf.
En Bourgogne, les vins restent en
fût généralement pendant un an.
Dans le Bordelais la durée tourne
plutôt autour de six à neuf mois.
« Le pilotage de la durée se fait
grâce à la dégustation », explique
Nicolas Piffre
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Même en l’absence de thermorégulation, les fermentations
en fût, d’après Christophe Coupez, de l’Œnocentre de Pauillac
(Gironde), se déroulent généralement sans heurts. Cependant,
en cas de nécessité, on peut
contrôler la température dans les
barriques grâce à des serpentins.
Mais la pratique est assez coûteuse. Autre solution : placer les
fûts dans un chai thermorégulé.
En Bourgogne, les viticulteurs
Sulfitez avec
modération
nouveau 2 à 3 g/hl après le pressurage. Huit à dix jours après la
fin de la fermentation alcoolique, il préconise à nouveau
3 g/hl, cette fois pour empêcher
la malo – comme il est d’usage
à Bordeaux – pour préserver les
arômes du sauvignon. Huit jours
après ce nouvel ajout, il recommande de vérifier la teneur en
SO2 libre et de réajuster si besoin.
Puis, tout au long de l’élevage, il
conseille de faire un contrôle une
fois par mois.
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Refroidissez les
moûts si besoin
refroidissent les moûts. « Ils entonnent à une température de 14
à 15 °C pour que les fermentations
ne se déroulent pas trop rapidement et en dessous de 22 à 23 °C »,
­explique Éric Grandjean.
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gogne, où les fûts traditionnels
font 228 l, les vinificateurs les
remplissent à hauteur de 200 l.
« Au fur et à mesure du déroulement de la fermentation alcoolique, on réduit le creux, puis on
remplit complètement le fût en fin
de FA. Enfin, au début de l’élevage,
on ouille tous les quinze jours »,
indique Éric Pilatte. « L’ennemi
du vin, c’est l’oxygène. Après la
FA, le fût ne doit jamais être en
vidange », insiste Nicolas Piffre,
qui conseille d’ouiller une fois
par semaine, voire plus, en début
d’élevage car « la barrique pompe
du vin ».
statique à froid, puis nous
entonnons rapidement les
moûts. La fermentation
alcoolique se déclenche
de manière spontanée.
Nous recherchons une
fermentation longue qui
dure généralement trois
mois. La malo s’enclenche à
la suite. Les vins restent en
fût pendant dix à quatorze
mois. Nous raisonnons les
bâtonnages en fonction
du millésime. Les vins sont
ensuite “affinés” en cuve
pendant trois à six mois.
Cela permet de gommer
les aspérités de l’élevage
et d’éviter l’oxydation
prématurée. »
estez la stabilité
T
tartrique et
protéique
« Non, l’élevage sur lies ne suffit pas à stabiliser les vins »,
prévient Éric Pilatte. En fin d’élevage, il recommande de vérifier
la stabilité protéique et tartrique
des vins et d’agir en conséquence.
Nicolas Piffre partage cet avis.
Christelle Stef
La Vigne - N° 288 - juillet-août 2016
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