la cour penale internationale et le conseil de securite
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la cour penale internationale et le conseil de securite
UNIVERSITÉ FRANÇOIS – RABELAIS DE TOURS ÉCOLE DOCTORALE « Sciences de l'Homme et de la Société » [Groupe d’Etudes et de Recherche sur la Coopération Internationale et Européenne (GERCIE)] THÈSE présentée par : [Mousa ALLAFI] soutenue le : 17 avril 2013 pour obtenir le grade de : Docteur de l’université François – Rabelais de Tours Discipline/ Spécialité : Droit public LA COUR PENALE INTERNATIONALE ET LE CONSEIL DE SECURITE : JUSTICE VERSUS MAINTIEN DE L’ORDRE THÈSE dirigée par : [Mme HANNEQUART Isabelle] Maître de conférences à l’Université François – Rabelais de Tours RAPPORTEURS : [M LAGRANGE Philippe] [Mme SAINT JAMES Virginie] Professeur à l’Université de Rouen Maître de conférences à l’Université de Limoges JURY : [Mme HANNEQUART Isabelle] [M LAGRANGE Philippe] [M ROSSETTO Jean] [Mme SAINT JAMES Virginie] Maître de conférences à l’Université François – Rabelais de Tours Professeur à l’Université de Rouen Professeur à l’Université François – Rabelais de Tours Maître de conférences à l’Université de Limoges Dédicace A ma sainte mère, à ce paradis qui vivait et qui vit encore et pour toujours en moi malgré la barrière de la distance durant toutes ces années. A mon premier enseignant, mon père l’ombre qui m’a toujours protégée de la dureté de la solitude et de la distance. A mon idole, ma fierté, mon visage dans le miroir, mon juriste préféré, mon grand frère Faraj. A toute ma famille, frères et sœurs, dans cette chaleureuse maison, où je suis né, où j'ai appris à marcher et à écrire et surtout où j’ai appris à être un être humain. A mes amis en France, pour leur présence, leur amour, leur bienfaisance et leur soutien inconditionnel. Enfin et avant tout, à tous les défenseurs de la justice sous toutes ses formes partout à travers le monde. Remerciements En réalité, j’étais impatient d’arriver à ce stade et de trouver les mots qu’il fallait. Aujourd’hui j’y suis, mais je réalise à quel point cette tâche est bien plus difficile qu’on ne le croit. J’ai donc décidé de l’écrire tout simplement comme je le ressens. Quel que soit le domaine, quel que soit le sujet, rédiger une thèse n'est pas une tache aisée ; notamment si cette recherche s’effectue en langue étrangère, quand bien même le chercheur est un amoureux de cette langue. Cette thèse n'aurait, en effet, jamais été sur le point de parvenir à une fin, sans les conseils, la supervision, l'aide et la patience de ma directrice de recherche, Madame Isabelle Hannequart, qui fut avec moi étape après étape. Je souhaiterais infiniment la remercier pour la confiance qu'elle m'a accordée en acceptant d'encadrer ce travail doctoral, pour ses multiples conseils et pour le temps qu'elle a consacré à diriger cette thèse. Je voudrais lui dire à quel point j’ai apprécié sa disponibilité et ses qualités humaines d'écoute et de compréhension toutes ces années. J’ai énormément appris à ses côtés et je suis très heureux de l’avoir eu pour encadrant. Je tiens également à exprimer mon entière gratitude aux membres du jury : Monsieur LAGRANGE Philippe. Monsieur ROSSETTO Jean. Madame : SAINT JAMES Virginie. Qui m’ont honoré d’accepter de venir juger ce travail. A l'issue de la rédaction de cette recherche, je suis convaincue que la thèse est loin d'être un travail solitaire. Pour cette raison, au terme de ce travail, j'adresse avec émotion mes sincères remerciements à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation de ce projet : amis, correcteurs ainsi que le personnel de la faculté de droit François Rabelais. 1 Résumé Le système de la Cour pénale internationale (CPI), dont la mission est d’assurer la justice internationale, repose sur un lien étroit avec le Conseil de sécurité. Il convient donc de s’interroger sur le rôle du Conseil dans le fonctionnement de la justice pénale internationale. Cette question est fondamentale, car l'intervention d'un organe politique dans l’activité d’un organe judiciaire remet en cause les missions de chacune de ces institutions. L’intrusion du Conseil dans l’activité de la CPI, basée sur sa mission de maintien de la paix, est en fait établie au nom d’un ordre international voulu par le Conseil lui-même. Ce rôle affecte le fonctionnement, l’indépendance et même l’impartialité de la Cour. Les pouvoirs que le Statut de Rome confère au Conseil lui permettent en effet de saisir la CPI, d’imposer aux Etats de coopérer avec la Cour, de suspendre son activité ou encore de qualifier un acte de crime d’agression. Cependant, les rapports entre le Conseil et la CPI ne devraient pas être subordonnés, mais entretenus dans le respect mutuel, ainsi une véritable crainte existe concernant le respect du Conseil envers le Statut de Rome. L’étude met en évidence le conflit entre justice et politique et révèle les enjeux actuels en termes de justice pénale internationale. Mots-clés : Cour pénale internationale, Conseil de sécurité, justice pénale internationale, paix et sécurité internationales, Statut de Rome, Charte de l’ONU, Chapitre VII, pouvoir, indépendance, contribuer, sélectivité, suspension, saisine, coopération, entraver, situation, immunité, crime d’agression, compétence, enquêtes et poursuites. 2 Résumé en anglais (Summary) The international criminal Court system (ICC) whose mission is to ensure international justice, is based on a close relationship with the security Council. So it is proper to wonder about the Council’s role in the functioning of international criminal justice. Such a questionning is fundamental, for the intervention of a political body into the functioning of a judicial body calls into question the missions of both institutions. The Council’s interference in the activity of the ICC, based on its mission of maintaining international peace, is actually carried out on behalf of an international order intended by the Council itself. This role affects the functioning, the independence and even the impartiality of the ICC. The powers the Rome Statute gives to the Council allow it to refer to the ICC, to impose for the States to cooperate with the Court, to suspend its activity or also to qualify an act as a crime of aggression. However the relations between the Council and the ICC should not be subordinated, but maintained in mutual respect. Thus there is a real concern regarding the observance of the Rome Statute by the Council. The study highlights the conflict between justice and politics and reveals the current issues in terms of international criminal justice. Keywords : International criminal Court, security Council, international criminal justice, international peace and security, Rome Statute, UN Charter, Chapter VII, power, independence, contribute, selectivity, suspension, referral, cooperation, hinder, situation, immunity, crime of aggression, competence, investigations and prosecutions. 3 Sigles et abréviations ABI : Accords bilatéraux d’immunité. AEP: Association des Etats parties. AFDI : Annuaire français de Droit international. AFRI : Annuaire français de relations internationales ASPA : American service membres Protection Acta. BPI : Barreau pénal international C. : Contre. CAO : Centre d’actualités de l’ONU. CCDIH : Commission consultative de Droit international humanitaire. CDH : Commission des Droits de l’Homme. CDI : Commission du Droit international. CFCPI : Coalition française pour la Cour pénale internationale. CIJ : Cour internationale de Justice. CNG : Conseil national général libyen. CNT : Conseil national de transition libyen. CPCPI : Coalition pour la Cour pénale internationale. CPI : Cour pénale internationale. CPRCG : Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Doc : Document. FIDH : Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme. GTSCA : Groupe de travail spécial sur le crime d’agression. Ibid : Ibidem, même ouvrage que celui de la note précédente. Infra : Voir plus loin dans le texte. JDI : Journal de Droit international. JEDI : Journal européen de Droit international. JICJ: Journal of International Criminal Justice. LEA : Ligue des Etats arabes. MPLS : Mouvement populaire de Libération du Soudan. OCI : Organisation de la coopération islamique ONG : Organisation non gouvernementale. ONU : Organisation des Nations Unies. 4 op. cit. : opere citato, ouvrage déjà cité. OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. p. : page. pp. : pages. RBDI : Revue belge de Droit international. RCADI : Recueil des Cours de l’Académie de Droit international. RDF : Revue des Droits fondamentaux RDPSP : Revue du Droit public et de la science politique. RFDC : Revue française de Droit constitutionnel. RGDIP : Revue générale de Droit international public. RICR : Revue internationale de la Croix-Rouge. RIDP : Revue internationale de Droit pénal. RJA : Revue juridique d’Auvergne RRJ : Revue de la recherche juridique. RSCDPC : Revue de science criminelle et de Droit pénal comparé. RTDH : Revue trimestrielle des Droits de l'Homme. SDN : Société des Nations. SFDI : Société française pour le Droit international. Supra : Voir plus haut dans le texte. TPIR : Tribunal pénal international pour le Rwanda. TPIY : Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. TSSL : Tribunal spécial pour la Sierra Leone. UA : Union africaine. UE : Union européenne. Vol : Volume. 5 Liste des annexes Annexe 1 : Liste des articles du Statut de Rome de la Cour pénale internationale cités dans les développements (version conforme aux modifications apportées par l’Amendement du Statut en 2010). Annexe 2 : La résolution 1422 du Conseil de sécurité concernant le maintien de la paix par les Nations Unies. Annexe 3 : La résolution 1487 du Conseil de sécurité concernant le maintien de la paix par les Nations Unies. Annexe 4 : La résolution 1593 du Conseil de sécurité concernant la saisine de la situation au Soudan (Rapports du Secrétaire général sur le Soudan). Annexe 5 : La résolution 1970 du Conseil de sécurité concernant la saisine de la situation en Libye (la paix et la sécurité en Afrique). Annexe 6 : La résolution 1973 du Conseil de sécurité concernant la situation en Libye. 6 Sommaire Remerciements ......................................................................................................................... 1 Résumé ...................................................................................................................................... 2 Résumé en anglais (Summary) ................................................................................................ 3 Sigles et abréviations ................................................................................................................ 4 Liste des annexes ...................................................................................................................... 6 Sommaire .................................................................................................................................. 8 Introduction ............................................................................................................................ 11 Première Partie : Le pouvoir du Conseil de sécurité de contribuer à l'activité de la Cour pénale internationale .............................................................................................................. 44 Titre I : La faculté du Conseil de sécurité de saisir la Cour pénale internationale……..48 Chapitre I : La saisine par le Conseil de sécurité : une voie dans la recherche de l’universalité de la Cour pénale internationale ................................................................... 52 Section I. La reconnaissance au Conseil de sécurité de la faculté de saisir la Cour pénale internationale ............................................................................................................................ 53 Section II. L’avantage de la saisine par le Conseil de sécurité ............................................... 72 Chapitre II : La saisine par le Conseil de sécurité : un risque pour l’activité de la Cour pénale internationale .............................................................................................................. 90 Section I. Une éventuelle politisation de la compétence de la Cour pénale internationale ..... 91 Section II. Les difficultés liées à l’application du principe de complémentarité .................... 97 Titre II : L’exercice par le Conseil de sécurité de sa faculté de saisir la Cour pénale internationale ........................................................................................................................ 106 Chapitre I : Les premières saisines de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité : le Soudan et la Libye ........................................................................................... 109 Section I. Un aperçu des situations concernées (Soudan et Libye) ....................................... 110 8 Section II. L’adoption des résolutions 1593 et 1970 du Conseil de sécurité : les enjeux juridiques ................................................................................................................................ 130 Chapitre II : L’apparition des obstacles lors des saisines par le Conseil de sécurité : les cas du Soudan et de la Libye ............................................................................................... 156 Section I. Les obstacles liés à la compétence et à l’indépendance de la Cour pénale internationale .......................................................................................................................... 157 Section II. Les difficultés liées à la complémentarité et à la sélectivité ................................ 172 Deuxième Partie : Le pouvoir du Conseil de sécurité d'entraver l'activité de la Cour pénale internationale ............................................................................................................ 194 Titre I : Le pouvoir effectif du Conseil de sécurité de suspendre l’action de la Cour pénale internationale ............................................................................................................ 197 Chapitre I : La faculté du Conseil de sécurité de surseoir à l’activité de la Cour pénale internationale ........................................................................................................................ 199 Section I. La faculté de surseoir : négociations et positions lors de la Conférence de Rome…… .............................................................................................................................. 200 Section II. L’article 16 du Statut de Rome ............................................................................ 210 Chapitre II : L’exercice par le Conseil de sécurité de sa faculté de surseoir à l'activité de la Cour pénale internationale .............................................................................................. 230 Section I. Les résolutions du Conseil de sécurité concernant le pouvoir de suspension : texte et contexte .............................................................................................................................. 231 Section II. Les inconvénients liés à l’usage du pouvoir de sursis par le Conseil de sécurité…… ........................................................................................................................... 252 Titre II : Le rôle potentiel du Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression…….278 Chapitre I : La compétence de la Cour pénale internationale conditionnée par la définition du crime d’agression ........................................................................................... 281 Section I. La définition de l’agression : du Traité de Versailles à la Conférence de Rome .. 283 Section II. Le rôle éventuel du Conseil de sécurité vis-à-vis du texte adopté à Rome ......... 294 9 Chapitre II : Le rôle donné au Conseil de sécurité par la modification du Statut de Rome à l’égard du crime d’agression ............................................................................................ 305 Section I. L’Amendement du Statut de Rome ....................................................................... 307 Section II. Le nouveau rôle du Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression ............. 324 Conclusion ............................................................................................................................. 336 Bibliographie......................................................................................................................... 356 Table des matières ................................................................................................................ 403 Annexes ................................................................................................................................. 408 Résumé .................................................................................................................................. 472 Résumé en anglais (Summary) ............................................................................................ 472 10 Introduction 11 « Il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de justice sans loi, ni de loi digne de ce nom sans un tribunal chargé de décider ce qui est juste et légal dans des circonstances données» 1. Tout au long du siècle dernier, l'idée de juger les responsables de crimes internationaux par des juridictions pénales internationales compétentes a souvent été évoquée. Plusieurs propositions d'institution d’une Cour pénale internationale/CPI permanente sous la forme d'accords internationaux ont fait l'objet de discussions. En plusieurs décennies, cent cinquante conflits armés internationaux, régionaux et internes ont éclaté 2. Ces conflits, ainsi que les violations des Droits de l’Homme perpétrées par des régimes répressifs, ont causé plus de soixante-dix millions de morts. Les conséquences dommageables semblent dépasser l’entendement humain mais ces dures réalités doivent être regardées en face et traitées objectivement. C’est pourquoi il était nécessaire et urgent de créer une structure juridique internationale capable de mettre fin aux massacres qui sont fondamentalement incompatibles avec le concept de dignité humaine. Cette structure pourrait fournir une réponse convaincante au concept humanitaire qui exclut la perpétration de tels actes 3. Par ailleurs, une forte relation préexiste entre justice et politique, dont l’influence s’est exercée tantôt dans le sens de la création d’une juridiction pénale internationale, tantôt dans le sens inverse en l’entravant. Cette relation, entre politique et développement d’un système normatif, n’est cependant pas propre à l’émergence de la justice pénale internationale. Si la justice peut être considérée comme un grand progrès dans la lutte contre l’impunité et l’affirmation des valeurs universelles de l’humanité, elle fait cependant l’objet de nombreuses critiques 4. 1 Ferencz (B.), Ancien Procureur au Tribunal de Nuremberg. C'est en ces termes que M. Ferencz exprimait sa foi en la justice. 2 Levy (D.), La Cour pénale internationale, une introduction pratique, université de Paris IX, Paris, 2003, p. 15. Pour plus d’informations, voir : Cassese (A.), The Tokyo Trial and beyond, Polity Press, Cambridge, 1993, pp.13. Le Statut du Tribunal de Nuremberg (articles 1 à 4). Del Ponte (C.), Ex-Yougoslavie, Rwanda : Les défis du Tribunal pénal international, Université de Fribourg : Service Presse Communication, 2000. pp. 12-50. 3 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, RIDP, 2000, N° 71, p. 2.Voir aussi : Atche (B.R.), Les conflits armés internes en Afrique et le droit international, Thèse présentée à l’Université de Cergy-Pontoise, doctorat en droit public, 2008, pp. 16-18. 4 Pour plus d’informations, voir : Ibid, pp. 15-37. 12 Concernant la nécessité de créer une structure juridique pénale internationale et ses rapports avec les organes politiques, il convient d’une part de mettre en évidence l’évolution historique de la création d’une CPI et le rôle joué par les Organisations internationales dans cette création et d’autre part de présenter les organes, la CPI et le Conseil de sécurité, sur lesquels notre recherche se concentre. Nous soulèverons à leur égard les intérêts et la problématisation de l’étude. (I) La Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité : des acteurs de la justice pénale internationale Pendant longtemps, et aujourd’hui encore, toute tentative dans le sens de la création d’une CPI a été considérée comme l’expression de la justice du vainqueur d’un conflit, ainsi lors des procès de Nuremberg, stigmatisant les dérives du vaincu pour mieux dissimuler les siennes. Or, un accord entre certains Etats, fussent-ils les plus puissants, ne saurait être considéré comme l’expression de la Communauté internationale dans son ensemble. De même, alors que certains ont pointé du doigt l’arbitraire des décisions du Conseil de sécurité dans le cas des tribunaux pénaux internationaux, d’autres les ont considérées comme un pas vers l’établissement d’une justice pénale internationale 1. Aussi importantes que soient ces expériences de tribunaux, leur caractère à la fois ad hoc, c’est-à-dire d’une compétence limitée en termes de temps, de lieu, de crimes et de personnes, et post hoc, c’est-à-dire intervenant après que le pire a été commis, ne pouvait satisfaire aux exigences qu’implique l’instauration d’une véritable justice pénale internationale. Que la justice demeure un instrument de rétablissement de la paix comme ce fut le cas dans les situations mentionnées, nul n’en disconvient, mais son rôle doit rester limité 2. Nous pouvons donc dès à présent conclure à l’ambiguïté et à la complexité de cette relation. En effet, la politique élabore le droit international et le met ensuite en œuvre. Les Etats, au gré de leurs décisions, peuvent ainsi modifier les règles qu’ils avaient auparavant adoptées. D’où la relation complexe entre 1 Badinter (R.), De Nuremberg à la Haye, RIDP, vol. 75, p. 704. Voir aussi : Benages (T.), La convention pour la prévention et la répression du crime de génocide à l’épreuve du tribunal pénal internationale pour l’exYougoslavie, Thèse présentée à l’Université d’Auvergne, doctorat en droit public, 2005, pp. 8-20. 2 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 4. Voir aussi : Badinter (R.), De Nuremberg à la Haye, op. cit., pp. 703-704. Dans cette étape, nous explorerons plusieurs tentatives, soit par la volonté des pays soit par des résolutions du Conseil de sécurité, d’établir une justice pénale internationale pour lutter contre l’impunité et punir les responsables des crimes internationaux. 13 « la volonté de lutter contre l’impunité qui a émergé et la prise en compte d’une certaine realpolitik »1 : les Etats marchent à reculons. L’implication de tant d’Organisations de la société civile résulte de leur prise de conscience que la barbarie ne devait pas rester impunie et qu’il fallait non seulement révéler la vérité mais aussi que justice soit faite pour espérer une réconciliation entre les peuples. Nonobstant les difficultés diverses et complexes faisant obstacle à la création d’un instrument international pour la justice, nous avons pu observer des efforts considérables, tant de la part de certains Etats que d’organisations non gouvernementales, qui ont œuvré pour obtenir une justice équilibrée et ainsi mettre un terme aux crimes contre l’humanité 2. Pour mieux comprendre le Statut actuel de la justice pénale internationale, nous présenterons l’évolution historique du projet de création de la CPI (A) avant de présenter plus précisément la CPI et le Conseil de sécurité (B). (A) L’évolution historique du projet de création de la Cour pénale internationale L’idée d’une juridiction pénale internationale, ou encore d’une CPI, trouve ses origines au début du dix-neuvième siècle, la première proposition sérieuse ayant été avancée par Gustave Moynier, l’un des fondateurs du comité international de la Croix-Rouge. Ce comité a proposé de créer une CPI sur la base de la Convention de Genève de 1854 3. Cette Convention ainsi que celle de Saint-Pétersbourg de 1868 sont les premières à agir en faveur de l’amélioration du sort des militaires blessés sur les champs de bataille. Cependant ce projet, comme bien d’autres d’ailleurs, ne s’est pas concrétisé. Jusqu’à ce que Moynier propose d’établir un Tribunal international permanent, presque toutes les affaires de violation du droit de la guerre étaient jugées par des tribunaux ad hoc, constitués par des adversaires généralement vainqueurs, et non par des tribunaux ordinaires ou par un Tribunal pénal international. Ces conventions mettent en évidence l’exigence de concilier les nécessités de la guerre avec les lois de l’humanité en traitant essentiellement des moyens d’atténuer au mieux les ravages de la guerre et en interdisant l’usage de certaines armes 4. Toutefois, dix ans 1 Bukhari de Pontual (S.), Naissance difficile d’une Cour pénale internationale, Acteurs du monde, Revue projet 303/2008, p. 9. 2 Ibid, pp. 8-10. Voir aussi : Condé (P.Y.), Quatre témoignages sur la justice pénale internationale : entre ordre public international et politiques de justice, éditions juridiques associées, Droit et société 2004/3, N° 58, pp. 567-569. 3 Huyghe (FB.), L’impureté de la guerre, RICR, Vol.91, 2009, pp. 31-33. 4 Bassiouni (C.), Le long chemin jusqu’à Rome, Nouvelle étude pénale, 1999, N° 13, p. IV. 14 devaient encore s’écouler avant que l’idée de Moynier de créer une CPI permanente ne soit à nouveau envisagée sérieusement 1. La Guerre Froide fut un événement marquant en ce qui concerne les efforts menés en vue de la création d’une CPI. C’est pourquoi nous distinguerons dans notre étude l’évolution du projet de création de la CPI avant (1) et après la Guerre Froide (2). 1. L’évolution historique de la création de la Cour pénale internationale avant la Guerre Froide L’émergence au niveau mondial de la responsabilité pénale internationale individuelle semble remonter à la déclaration de mise en garde adressée le 24 mai 1915 par la France, la Grande-Bretagne et la Russie à la Sublime Porte pour les crimes commis contre les Arméniens. Cette déclaration, sans doute inspirée par des considérations morales et même moralisatrices, doit néanmoins être analysée dans le contexte de son époque. En réalité, la première esquisse d’une juridiction internationale va résulter de la constitution d’une justice pénale internationale. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la Communauté internationale a cherché à établir une CPI permanente. En 1919 plus précisément, une Commission d’enquête sur la responsabilité des auteurs des crimes commis au cours de la Première Guerre mondiale a vu le jour. C’est une fois de plus le niveau de barbarie atteint pendant les conflits et les incroyables souffrances subies qui devaient faire germer une juridiction internationale. Cette première ébauche de juridiction internationale était le fruit quasi exclusif d’une logique de pays affirmant leur suprématie politique et militaire, et non celui d’une conscience collective de la nécessité de trouver une réponse juridictionnelle internationale aux crimes de même nature. Même si ce fut une tentative sérieuse, elle ne verra jamais le jour car d’une part les Pays-Bas avaient refusé de livrer Guillaume II 2, qui avait 1 Keithall (C.), Première proposition de création d’une Cour pénale internationale permanente, RICR, N° 829, 1998, pp. 59-60. 2 Pour plus d’informations, voir : Lavenue (J.), Histoire du Droit international pénal, cours de droit international pénal, faculté des sciences juridiques, politiques et sociales, Université de Lille 2 Droit et Santé, 2008, pp. 2-5. IPEUT, La genèse de la cour, article disponible sur : http://www.ipeut.com/droit/laconstitution/164/la-genese-de-la-cour53369.php, référence de la page consultée le 4 décembre 2011. Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les juridictions pénales internationales, article disponible sur : http://www.memoireonline.com/06/09/2106/La-problematiquede-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int.html, référence de la page consultée le 10 décembre 2011. 15 trouvé refuge sur leur territoire et d’autre part la volonté politique des pays vainqueurs de contraindre l’Allemagne à livrer les huit cent quatre-vingt-neuf présumés criminels de guerre faisait défaut. Même si cette disposition ne faisait référence qu’aux seuls crimes de guerre, elle avait affirmé l’existence d’une morale internationale, c’est-à-dire d’une norme de nature universelle transcendant les frontières et les souverainetés 1. Ainsi a-t-il fallu attendre le Traité de Versailles de 1919, qui devait mettre fin définitivement à la Première Guerre mondiale et qui prévoyait l’instauration d’une juridiction pénale internationale, pour que les Etats envisagent pour la première fois de confier à une juridiction internationale le soin de juger un individu, même s’il était le chef de cet Etat 2. L’article 227 de ce Traité prévoyait en effet qu’il devait être jugé pour « offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités ». Cette disposition, bien que nullement appliquée puisque le Kaiser, réfugié aux Pays-Bas, n’a pas été jugé, n’en constituait pas moins la première brèche dans l’édifice d’un droit international aujourd’hui qualifié de classique, qui ne reconnaissait d’autres sujets de droit que l’Etat : pour la première fois il était envisagé de lever le voile étatique pour mettre en examen un individu 3. Par ailleurs, au cours des années qui suivirent l’année 1919, plusieurs tentatives, marquées d’efforts et d’espoirs, en vue de créer une véritable juridiction pénale internationale ont échoué. En effet, les deux Conventions de 1937 ne sont jamais entrées en vigueur faute de ratification. Or, à la même époque, quatre tribunaux ad hoc et cinq Commissions d’investigation ont été établis suivant la volonté des Alliés pour juger les criminels de guerre de l’Axe. La création du Tribunal de Nuremberg puis celle du Tribunal 1 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, Inédit Essais, Paris, 2000, p. 9. Voir aussi : Lavenue (J.), Histoire du Droit international pénal, op. cit., pp. 2-6. Le Traité de Versailles de 1919 (articles 227, 228 et 229). Voir aussi : Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les juridictions pénales internationales, op. cit., http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droitinternational-par-les-juridictions-penales-int17.html. 2 Farget (D.), La reconstruction juridique de l'Irak et de l'Afghanistan et l'influence des systèmes juridiques occidentaux, publication de l'Université de Montréal, Centre de Recherche en Droit Public, 2009, pp. 9-11. Voir aussi : Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les juridictions pénales internationales, op. cit., http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematiquede-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.html. 3 Badinter (R.), De Nuremberg à la Haye, op. cit., p. 700. Voir aussi : Mujanayi (J.C), Les innovations et insuffisances de la Cour pénale internationale par rapport au Droit pénal congolais, article disponible sur : http://www.memoireonline.com/10/12/6276/Les-innovations-et-insuffisances-de-la-Cour-Penale-Internationalepar-rapport-au-Droit-Penal-congo.html, référence de la page consultée 11 novembre 2011. 16 militaire international pour l’Extrême-Orient au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ont concrétisé pour la première fois cette idée. 1 L’Accord de Londres du 8 août 1945 mettait ainsi en place le Tribunal militaire international de Nuremberg chargé de juger les plus grands criminels de guerre des pays européens de l’Axe coupables de crime contre la paix, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Ni la qualité de dirigeant d’Etat, ni l’obligation d’obéir aux ordres de supérieurs, ne constituaient des circonstances excluant la responsabilité internationale pénale individuelle des auteurs de crimes contre l’humanité. Du reste, en ce qui concerne le Tribunal de Tokyo, son Statut était joint à la proclamation spéciale du Commandant en Chef suprême pour les Puissances Alliées faite à Tokyo le 19 janvier 1948. Mais aucune poursuite, hormis celle engagée par le Tribunal de Tokyo, ne fut entreprise par le Japon contre ses propres ressortissants 2. Le Tribunal de Nuremberg, celui de Tokyo ainsi que les poursuites ultérieures par les Alliés constituent des précédents significatifs en vue d’établir un système efficace de justice pénale internationale. Ces décisions historiques ont développé de nouvelles normes légales et des normes de responsabilité qui ont fait évoluer le droit international. Avec le temps, ces précédents ont acquis une certaine légitimité qui laisse présager la naissance d’une justice pénale internationale. Il est ainsi incontestable que les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, dans le contexte de l’époque de leur création, furent un pas important pour la naissance de l'idée d’une CPI3. Le 21 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU adopte la création d’une Commission du droit international/CDI ayant pour mandat l’élaboration des principes reconnus par la Charte de Nuremberg. Un projet de Statut d’une CPI est alors proposé en 1951 puis révisé en 1953. L’Assemblée générale de l’ONU a invité la CDI à formuler les principes du droit international reconnus dans la Charte du Tribunal de 1 Donnadieu (V.), Le procès de Nuremberg, RCADI, 1947, vol. 70, p. 482. 2 Bassiouni (C.), L’expérience des premières juridictions pénales internationales, in Ascensio (H.), Decaux (E.), Pellet (A.), Droit international pénal, Pédone, Paris, 2000, pp. 653-654. Voir aussi : Costes (E.), Harnequaux (A.), Tripoteau (C.), Le Tribunal militaire international de Tokyo, IEP 4ème année, Séminaire justice internationale M. Raimbault, pp. 3-4. Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., pp. 15-19. 3 Bassiouni (C.), Une étude historique de la Cour pénale internationale : 1919-1998, Nouvelles études pénales, 13 quater, Toulouse, Erès, p. 13. Voir aussi : Néron (J.), La justice et l’histoire dace aux procès pour crimes contre l’humanité : entre la mémoire collective et la procédure, Mémoire de fin d’étude de DEA, présenté à l’Université de Montréal, 2010, pp. 1-15. 17 Nuremberg 1. L’année suivante, le 9 décembre 1948, toujours suivant les mêmes principes inspirateurs, une nouvelle sollicitation est prononcée à la CDI par l’Assemblée générale, à savoir examiner le caractère propice de la conjoncture. La résolution dit : « souhaitable et possible » à la création d’un organe judiciaire pénal, notamment « une chambre pénale de la Cour internationale de Justice». Au même temps, les rédacteurs de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide demandaient la mise en place d’une CPI car ils avaient anticipé le fait que les personnes accusées de ce crime puissent être renvoyées devant une telle cour 2. L’idée d’instituer une juridiction internationale pour traiter des crimes les plus graves semblait donc pouvoir recevoir un accueil favorable après ces événements qui avaient heurté la conscience de la Communauté internationale. Toutefois, des raisons juridiques mais aussi et surtout politiques entraînèrent la suspension de ces travaux jusqu’à des temps plus propices. Juridiquement, l’existence des divergences juridiques sur la définition de l’agression a entrainé en 1954 le report sine die des travaux du comité préparatoire. Notons d’ailleurs que, politiquement, la Guerre Froide n’était pas une période favorable à un compromis global mais plutôt à un affrontement des souverainetés. L’absence de synchronisation entre les travaux sur le projet de Statut d’une cour pénale n’était pas fortuite mais résultait d’une volonté politique de retarder l’établissement d’une CPI à une époque où le monde était profondément divisé et au bord de la guerre. Autrement dit, après ces tentatives sérieuses d’établir une CPI, le monde entier a vécu une période où ce concept idéaliste a été oublié. Cette fois, ce n’était pas dû à un manque de volonté internationale mais bien au contexte de Guerre Froide qui paralysait tous les efforts internationaux conduisant à l’établissement d’une CPI 3. 1 Bercheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, RIDP, vol.76/2005, Nos 3-4, p. 343. Voir aussi : Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale, op. cit., p. 2. Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les juridictions pénales internationales, op. cit., http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-descrimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.html. 2 David (E.), La Cour pénale internationale : une Cour en liberté surveillée ?, in International law forum, 1998, p. 20. 3 Bassiouni (C.), L’expérience des premières juridictions pénales internationales, op. cit., p. 654. Voir aussi : Aziz (A.), L’action de la Cour pénale internationale au Darfour, Mémoire de fin d’étude de DEA, présenté à l’Université de Liège, 2010, pp. 8-9. 18 2. L’évolution historique de la création de la Cour pénale internationale après la Guerre Froide Comme nous venons de le mentionner, la justice pénale internationale, pourtant envisagée dans les premières années de l’ONU, a connu une longue période de défaillance tout au long de la Guerre Froide, et ce malgré les multiples violations des Droits de l’Homme et la perpétration des crimes contre l’humanité. Une question se pose cependant concernant la Guerre Froide : pourquoi a-t-elle interrompu les progrès du projet d’une CPI ? Cela est-il réellement dû à l’engagement des Etats-Unis dans cette guerre ? Ce pays belligérant sur différents fronts craignait-il l’instauration d’une Cour devant laquelle ses ressortissants seraient susceptibles d’être poursuivis pour les crimes commis au cours de ces conflits ? Tandis que les Etats-Unis soutenaient à l’origine l’idée d’une CPI, ce refus de laisser juger leurs citoyens par des tribunaux impartiaux persistera-t-il après l’institution d’une telle Cour 1? La Guerre Froide faisant barrage à la réalisation d’une telle juridiction, il a fallu attendre la fin de cette période pour la reprise des travaux préparatoires d’une CPI, et pour parvenir à l’adoption d’un projet de Statut de cette dernière 2. Entre temps, l’ampleur des crises humanitaires ainsi que la gravité des violations des droits fondamentaux de l’Homme perpétrées à l’encontre des civils dans l’ex-Yougoslavie ont amené l’ONU, spécialement le Conseil de sécurité, en vertu de ses pouvoirs de maintien de la paix et de la sécurité internationales, à prendre cette situation en main en jugeant les responsables de ces massacres. Une telle situation nécessiterait l’intervention et par là même l’existence d’une CPI mais l’ONU, représentée par le Conseil de sécurité, a choisi d’emprunter la voie la plus rapide. En effet, ce dernier ne souhaitait nullement la mise en place d’une CPI permanente, ayant pour compétence de juger tous ceux qui s’attaqueraient à la paix et la sécurité internationales. Il a recouru à des solutions provisoires par la création de juridictions internationales, fonctionnant plus ou moins sous son contrôle. Ainsi, avec la question de l’ex-Yougoslavie (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie/TPIY), le Conseil a réagi, bien que ses pouvoirs ne soient pas clairement définis 3, en prenant en 1993 la résolution N° 827 instituant un tribunal pour juger les responsables de crimes contre 1 Pour plus d’informations sur ce point, voir : infra, pp. 205-209. 2 Bercheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 343. 3 Voir : infra, pp. 36-38. 19 l’humanité et les violations massives du droit international humanitaire 1. Par ailleurs, l’idée d’un mécanisme juridictionnel international n’est pas restée lettre morte. En effet, en 1994 la CDI présentait enfin son projet de Statut portant création de la CPI à l’ONU, et le processus de création d’une Cour permanente est entré dans sa phase diplomatique. Mais cette année-là, d’autres événements, à savoir les massacres du Rwanda, témoignent de graves violations du droit international humanitaire et des droits de l’Homme et ce depuis l’année 1991 selon les rapports du Secrétaire général de l’ONU. Face à cette nouvelle situation, l’ONU et son Conseil de sécurité ont préféré suivre la même direction que pour l’ex-Yougoslavie : créer une nouvelle fois un tribunal pour juger les responsables de ces crimes commis au Rwanda (Tribunal pénale international pour Rwanda/TPIR), par la résolution N° 955 de 1994, et tourner le dos au projet d’une CPI permanente porté par la CDI. D’autant que les Statuts de ces deux tribunaux ont sans aucun doute largement bénéficié des résultats des travaux de la CDI2. Une nouvelle étape fut franchie en 1996, à savoir un événement laissant les mains libres à l'ONU et à son Conseil de sécurité pour représenter à nouveau le commanditaire principal de la paix et la sécurité internationales. Cette tragédie se déroulait sur le territoire de la Sierra Leone qui a connu une guerre civile. Des crimes épouvantables ont été commis dans la région, notamment des crimes contre l’Humanité, qui portaient atteinte, du point de vue du Conseil de sécurité, à la paix et la sécurité internationales. A la fin de ce conflit, le gouvernement de la Sierra Leone demande à l’ONU de l’aider à mettre en place un moyen pour traiter des crimes commis pendant les affrontements restés impunis. L’ONU, toujours représentée par le Conseil, prend cette demande en considération et y puise une nouvelle raison de poursuivre sa politique. Aussi, le 16 janvier 2002 est créé par un accord entre le gouvernement sierra léonais et l’ONU un Tribunal Spécial pour la Sierra Leone/TSSL dont le but est de poursuivre les personnes qui s’avèreraient porter les plus grandes responsabilités dans les graves violations du droit humanitaire international et de la Loi de la Sierra Leone qui ont eu lieu dans cette région depuis le 30 novembre 1996 3. La constitution de ces trois 1 Chrestia (P.), L’influence des droits de l’Homme sur l’évolution du droit international contemporain, RTDH, 1999, N° 40, p. 734.Voir aussi : la résolution 827 du 25 mai 1993 du Conseil de sécurité, UN.Doc.S/RES/827 (1993). 2 La résolution 955 du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité, UN.Doc.S/RES/955(1994). 3 Lefranc (S.), La justice transitionnelle n’est pas un concept, la Découverte-Mouvements, 2008/1 - N° 53, p. 65. Voir aussi : Adenuga (M.), Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone et ses effets sur l’accord d’amnistie de Lomé, la Découverte-Mouvements, 2008/1 - N° 53, p. 126. La résolution 1315 du 14 août 2000 du Conseil de sécurité, UN.Doc.S/RES/1315 (2000). 20 tribunaux découle des bouleversements du contexte international, à savoir la fin de la Guerre Froide accompagnée d’un consensus politique nouveau au sein du Conseil de sécurité 1. Nonobstant, à cette époque, la réelle possibilité de l’existence d’une CPI permanente, l’ONU, ou plutôt le Conseil de sécurité, a concrétisé son objectif de création de deux tribunaux, l’un pour l’ex-Yougoslavie et l’autre pour le Rwanda. Malgré des difficultés de fonctionnement, ces deux tribunaux eurent un impact considérable dans l’histoire de la justice pénale internationale. Mais dans le même temps, rappelons que, ayant été créés par des résolutions adoptées dans le cadre du chapitre VII, ils fonctionnent sans le consentement des Etats 2. Revenons en 1995, alors que l’Assemblée générale décide dès lors de mettre en place un comité préparatoire pour examiner les modalités d’établissement de la CPI3. En 1996, elle confirme le mandat octroyé à la Commission préparatoire. Entre 1996 et 1998, se tiennent à New York six comités préparatoires qui deviennent alors le lieu d’une intense activité des ONG, ces dernières ayant gagné en maturité politique et technique. En mars 1998, le Comité préparatoire adopte finalement un projet de Statut consolidé ainsi qu’un projet d’acte final renforcé. Lors d’une ultime réunion, il soumet un texte synthétique reflétant cependant de très larges divergences de vues entre Etats. Ce texte est proposé lors d’une conférence diplomatique qui se déroule à Rome du 15 juin au 17 juillet 1998 en vue de négocier ce projet de Statut d’une CPI : 160 Etats ainsi que des centaines d’ONG participent à ces cinq semaines d’intenses discussions 4. Pendant la phase préparatoire qui se déroule dans la même ville, le projet de base de la CDI est porté par une coalition de pays appartenant aux différents groupes régionaux. Un groupe auto-baptisé d’Etats pilotes se ferme progressivement aux autres groupes, s’octroyant pour objectif commun l’aboutissement rapide des travaux au détriment parfois du contenu du Statut, de sa cohérence et de sa précision. Tous les membres de l’Union Européenne ainsi que la Suisse, le Canada, l’Australie, l’Argentine, l’Afrique du Sud, l’Egypte, la Corée du Sud et Singapour se rassemblent dans cette coalition. En revanche, les Etats les plus réticents que 1 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 23. 2 Chrestia (P.), L’influence des droits de l’Homme sur l’évolution du droit international contemporain, op. cit., pp. 735-736. 3 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., pp. 22-23. 4 Dobelle (JF.), La Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, AFDI, 1998, pp. 356- 375. 21 sont la Chine, les Etats-Unis et l’Inde s’expriment peu jusqu’à une date avancée du processus. Ainsi, les Etats-Unis n’ont jamais dévoilé leur carte maîtresse lors du commentaire de certains articles, même dans les dernières heures précédant l’adoption du Statut. Ce n’est qu’à partir de 1997 qu’ils commencent à faire part de leurs réserves à l’égard de ce Statut. En effet, Washington semblait n’avoir jamais accepté la remise éventuelle de citoyens américains à une juridiction pénale internationale 1. Pendant toutes les discussions, « les Etats-Unis ont donc tenté d’introduire des dispositions permettant de faire une distinction entre les méchants Etats obligés de coopérer avec la Cour et les gentils Etats dont les ressortissants seraient par principe renvoyés devant leur justice nationale »2. Jusqu’au 8 juillet, des efforts importants ont été déployés pour obtenir l’adhésion des Etats-Unis. Le 9 juillet, une longue liste d’exigences, contenant encore le principe de non-remise des nationaux, est présentée mais les Etats-Unis ont clairement exprimé leur refus de se joindre aux signataires 3. Quoi qu’il en soit, l’impossibilité d’un échec a contraint à une logique de compromis délicats, et ce jusqu’au bout. Une série de textes de compromis a en effet été élaborée par le bureau de la commission plénière et des propositions ont été présentées à la conférence, rendant alors possible un accord sur les tenants et les aboutissants de cette Cour 4. Le texte proposé par le Bureau le 17 juillet, dernier jour de la conférence, constitue la base de l’accord. Ce jour-là, le Statut est voté et approuvé par une majorité de plus des deux tiers : 120 Etats favorables, 7 contre et 21 abstentions. Le Statut de Rome de la CPI était ainsi adopté. Ce Statut et l’acte final étaient ouverts aux signatures. Lors d’une cérémonie présidée par le Secrétaire Général de l’ONU, le 18 juillet en fin d’après-midi, 26 Etats avaient signé. Sur le plan politique, la légitimité de la CPI ne peut être remise en question, car elle a été créée sous l’impulsion de l’Assemblée générale de l’ONU et non à la seule initiative du Conseil de sécurité, comme ce fut le cas pour les deux tribunaux ad hoc pour l’ancienne Yougoslavie et le Rwanda. Le Statut de Rome a dès lors acquis valeur de Traité soumis à 1 Ibid, pp. 357-358. Pour plus d’informations, Voir : Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats- Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, AFDI, 2003, pp. 27-32. 2 Dobelle (JF.), La Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 357. 3 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale, op. cit., p. 32. Voir aussi : Dobelle (JF.), La Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 356-357. 4 Broomhall (B.), La Cour pénale internationale : présentation générale et coopération des Etats, Nouvelle étude pénale, 1999, N° 13, pp. 52-53. Voir aussi : Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 24. 22 signature et à ratification. Il faut donc souligner que, du point de vue des pays favorables à la création de cette Cour et à son entrée en fonction rapide, l’adoption de ce Statut représente en soi un résultat extrêmement positif 1. La CPI est devenue une réalité, son Statut étant entré en vigueur, adopté par un Traité qui établit cette Cour. Puisque les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo représentent la justice du vainqueur, une question reste néanmoins à élucider : quel sera donc, en la matière, l’avenir de la CPI ? (B) Présentation de la Cour pénale internationale et du Conseil de sécurité La mise en place de la CPI est l’aboutissement d’un long cheminement débuté en 1872 à Genève et achevé en 1998 à Rome 2. Ce parcours rend évidente la vocation d’une justice pénale internationale ainsi que l’obligation des responsables de crimes contre l’humanité d’en rendre compte à la justice. Les institutions juridiques mais aussi sociales, politiques, économiques, sont indispensables à la réalisation d’une justice internationale. Cette idée doit bien évidemment subsister et s’appliquer dans les sociétés nationales et internationales afin de mener à bien les objectifs de cette justice orientés vers ces valeurs 3. Malgré la faiblesse de certains compromis, la Conférence a marqué un recul de la culture de l’impunité 4. Le succès de la conférence de Rome est notable. Mais mener à bien ce projet ne dépend pas uniquement de l’activité et de l’instrument juridique, que ce soit au niveau national ou international, mais également d’autres instruments, en particulier des institutions politiques comme le Conseil de sécurité. C’est pourquoi nous aborderons les relations que la CPI entretient avec le Conseil de sécurité de l’ONU. Ce que nous développerons dans cette introduction n’est en rien inédit, mais le fait de présenter le fondement, la structure et les fonctions de la CPI et du Conseil de sécurité s’avère nécessaire puisque notre recherche s'appuie de façon incontournable sur ces deux organes. Il conviendra par conséquent de présenter dans un premier temps ces deux organes mais aussi leurs pouvoirs, leurs missions et les objectifs qui leur sont confiés, pour pouvoir préciser par la suite dans quelle mesure ces 1 Zakr (N.), Les aspects institutionnels de la Cour pénale internationale, JDI, 129/2002, N° 2, p. 431.Voir aussi : Broomhall (B.), La Cour pénale internationale : présentation générale et coopération des Etats, op. cit., p. 53. 2 Badinter (R.), De Nuremberg à la Haye, op. cit., p. 699. 3 Bassiouni (C.), Une étude historique de la Cour pénale, op. cit., p. 1. 4 Politi (M.), Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale : le point de vue d’un négociateur, RGDIP, 113/1999, N° 4, p. 823. 23 entités se sont écartées de leurs objectifs premiers et ont bafoué leurs missions en abusant de leurs pouvoirs. Nous procèderons à une présentation générale tout d’abord de la CPI (1) puis du Conseil de sécurité (2). 1. Présentation générale de la Cour pénale internationale En 1998, la Commission des Affaires Etrangères de la Défense et des Forces Armées du Sénat français avait déclaré : « Le siècle prochain s'ouvrira peut-être sur une innovation majeure : avec la création de la Cour pénale internationale, les auteurs et les instigateurs des crimes les plus graves contre le droit international humanitaire sauront qu'ils auront à rendre compte de leurs actes. Quelle rupture plus éloquente avec ce siècle qui s'achève et qui fut celui de l'impunité pour tant de responsables d'actions inqualifiables ? » 1. Désormais, l’existence de cette institution est acquise et son rôle est une réalité sur la scène internationale. Mais la question est celle de sa capacité à rendre la justice, à faire cesser les massacres et à mettre fin à l’impunité des responsables. Sans s’arrêter sur les détails des négociations qui ont caractérisé les cinq semaines des travaux de la conférence, indiquons qu’étaient présentes les délégations de plus de cent soixante Etats, auxquelles il faut ajouter plusieurs organisations internationales et quelques centaines d’ONG. • L’organisation de la Cour pénale internationale L’entrée en vigueur du Statut de la CPI est subordonnée à soixante ratifications. Cette clause est difficile à satisfaire 2. Cette Cour est une institution internationale permanente créée en vertu du Traité de Rome après avoir été négociée entre les Etats présents à la conférence diplomatique de Rome 3. La CPI est une innovation hardie et sa création convient 1 Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, rapport du sénat, Paris, 27 avril 1999. 2 Daillier (P.), Nguyen (D.), Pellet (A.), Le droit international public, 7e édition, LGDJ, Paris, 2002, p. 1455. Voir aussi : Keithall (C.), Première proposition de création d’une Cour criminelle internationale permanente, op. cit., pp. 61-62. 3 Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale. RGDIP, 102-1998, N° 4, p. 983. Voir aussi : Zappala (S.), La justice pénale internationale, Montchrestien, Paris, 2007, p. 105. Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 3637. 24 au mouvement contemporain en faveur d’une juridiction criminelle interétatique, mouvement destiné à acquérir une ampleur et une force croissante de par sa conformité à l’évolution subie par le droit dans tous les groupements humains 1. Ce n’est pas un organe supranational mais international semblable à d’autres existants 2. En effet, la Cour ne se substitue pas à la compétence pénale nationale mais elle la complète car le Statut de cette Cour a adopté le principe de complémentarité où la priorité est donnée aux compétences nationales 3. Les objectifs de la CPI sont multiples : établir une justice exemplaire et rétributive, fournir une réparation aux victimes, effectuer le devoir de mémoire, renforcer les valeurs sociales et la droiture individuelle, éduquer les générations présentes et à venir, et le plus important, décourager et prévenir de futurs actes répréhensifs. Comme pour toute institution humaine, le succès de la Cour dépend de ceux qui en feront partie. Néanmoins, ceux-ci nécessiteront les ressources et le soutien politique de nombreux Etats afin que le fonctionnement de cette institution au rôle considérable soit géré avec efficience. A en juger par la vague de soutien témoignant du bien-fondé de cette institution, les perspectives semblent lui être favorables 4. Dès l’amorce des travaux préparatoires, remarquons, au travers des négociations, que l’adoption du Statut de la Cour n’a été possible que par l’affirmation du principe de complémentarité de la compétence de la Cour par rapport à celle des juridictions nationales. Ce principe est à l’inverse du TPIY et du TPIR puisque ces deux juridictions bénéficient d’une primauté sur les juridictions nationales 5. Concernant la CPI, il est utile de remarquer que le préambule précise que les Etats conservent leur obligation de poursuivre les personnes présumées responsables de crimes internationaux et que la Cour est simplement complémentaire des juridictions des Etats 6. De plus, l’article premier du Statut de Rome réaffirme aussi cette relation entre juridictions internationales et internes en prévoyant de 1 Sottile (A.), Le terrorisme international, RCADI, 1938, vol. III, p. 175. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale (article I). Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 31-34. 2 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 4. 3 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 31. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale (article 5). Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., p. 985. 4 Bassiouni (C.), Etude historique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 2. 5 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 95. 6 Le Statut de la Cour pénale internationale (le point 6 du préambule). 25 manière explicite que la Cour est complémentaire des juridictions criminelles nationales. Une lecture des articles 17 et 18 du Statut de Rome relatifs aux questions d’admissibilité semble d’ailleurs confirmer cette idée. L’examen de telles dispositions atteste que la Cour est compétente pour mener des enquêtes et engager des poursuites dans certains cas : lorsque le système juridique national s’effondre ou lorsqu’il refuse ou manque à son obligation juridique d’enquêter et de poursuivre les personnes suspectées d’avoir commis des crimes relevant de la compétence de la Cour ou de punir les personnes coupables de tels crimes 1. Par ailleurs, le Statut prévoit que la Cour est composée de dix-huit juges devant représenter équitablement les deux sexes et les différents systèmes juridiques du monde, élus pour neuf ans et non rééligibles 2. Aucune limite d’âge n’est prévue. Les dix-huit juges sont élus par l’assemblée des Etats parties. En matière de droit international 3, le Statut n’autorise pour chaque Etat qu’une candidature, cette dernière n’ayant pas forcément la nationalité de l’Etat qu’elle représente mais obligatoirement celle d’un Etat partie 4. Le Statut, par les articles 40 et 41, garantit l’indépendance et l’impartialité des juges 5. La Cour est quant à elle composée d’une présidence, de trois sections juridictionnelles, d’une section d’appels, d’une section de première instance et d’une section préliminaire, mais aussi du bureau du Procureur et du greffe : - La présidence est composée de trois juges, d’un président, d’un premier et d’un second vice-président. Cette section est chargée de l’administration de la Cour, à l’exception bien sûr du bureau du Procureur 6. - Le greffe est dirigé par un greffier et un greffier adjoint mais il n’est pas un organe autonome, il est placé sous l’autorité du Président de la Cour et est chargé de l’administration non judiciaire 7. 1 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 5. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 1, 17 et 18). 2 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 31. 3 Buchet (A.), Organisation de la Cour et procédure, in Colloque Droit et Démocratie, la Cour pénale internationale, La Documentation française, Paris, 1999, pp. 29-34-35. 4 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 31. 5 Buchet (A.), Organisation de la Cour et procédure, op. cit., p. 35. 6 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 29. 7 Trean (C.), Adoption du Statut de la Cour pénale internationale, les principaux points du traité adopté sous l’égide des Nations Unies, in La justice pénale internationale, Dossier d’actualité mondiale, p. 29. Voir aussi : 26 - Les chambres sont réparties en trois sections : la section des appels comprend le président et quatre autres juges. La section de première instance comprend six juges et peut être constituée en une ou plusieurs chambres de première instance, chacune de ces chambres étant composée de trois juges. La section préliminaire comprend également six juges et peut être formée d’une ou plusieurs chambres préliminaires, chacune composée normalement de trois juges ou d’un juge unique pour les cas qui sont précisés par le Statut ou qui le seront par le règlement de procédure et de preuve. - Le bureau du Procureur : l’article 42 détermine le Statut et la fonction du Procureur, tout en précisant ses pouvoirs, les modalités de son élection ou de sa récusation, ainsi que les conditions requises pour l’accession à ce poste. Le Procureur est élu par l’assemblée des Etats parties. Il en va de même pour le ou les Procureurs adjoints élus sur une liste de candidats proposée par le Procureur : leur mandat est de neuf ans non renouvelable 1. Le bureau du Procureur est un organe indépendant de la Cour, dirigé par le Procureur, qui est assisté par un ou plusieurs Procureurs adjoints. Cette indépendance comme l’impartialité de ce bureau sont garanties par le Statut et non par le Procureur. Celui-ci est habilité à ouvrir des enquêtes de sa propre initiative sur la base de renseignements concernant les crimes relevant de la compétence de la Cour. S’il considère que des éléments suffisants justifient l’ouverture d’une enquête, il doit présenter à la Chambre préliminaire une demande d’autorisation en ce sens. Si celle-ci accède à cette demande, le Procureur le notifie à tous les Etats parties et aux Etats concernés 2. Toutefois, il peut se voir sollicité par le Conseil de sécurité pour ouvrir une enquête en vertu d’une résolution prise dans le cadre du chapitre VII de la Charte de l’ONU 3, tout comme les Etats parties et le Procureur 4. Buchet (A.), Organisation de la Cour et procédure, op. cit., p. 29. Le Statut de la Cour pénale internationale (article 43). 1 Buchet (A.), Organisation de la Cour et procédure, op. cit., p. 23. 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 42 et 43). 3 Pour plus d’informations sur ce point, voir : infra, pp. 58-68. 4 Trean (C.), Adoption du Statut de la Cour pénale internationale, les principaux points du traité adopté sous l’égide des Nations Unies, op. cit., pp. 29-35. Voir aussi : Fontanaud (D.), La justice pénale internationale, Problèmes politiques et sociaux, 27 août 1999, La Documentation française, N° 826, p. 58. 27 • La compétence de la Cour pénale internationale Le Statut de la CPI délimite, de façon précise, la compétence de cette Cour en déterminant les cas et les conditions dans lesquels elle peut exercer son rôle en tant qu'institution juridique. Cet axe a d’ailleurs constitué l'un des thèmes prépondérants approfondis lors des négociations à Rome mais aussi l’une des raisons pour lesquelles des Etats ont refusé d’adhérer à la Cour. Il était donc indispensable de déterminer la compétence de la Cour sans aucune ambiguïté. En réalité, une majorité des Etats partageait la perspective que la Cour acquerrait une compétence universelle mais subsistait conjointement une forte opposition américaine 1. Les Etats-Unis ont en effet utilisé tous les moyens de pression afin de limiter la compétence de cette Cour, soutenant notamment que la juridiction de cette Cour violait les droits des Etats non parties au Statut en leur imposant des obligations auxquelles ils n’avaient pas consenti. Par ailleurs, l’article 12 dispose que « la Cour peut exercer sa compétence si l’un des Etats suivants ou les deux sont Parties au présent Statut ou ont accepté la compétence de la Cour conformément au paragraphe 3 : a) L’Etat sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu ou, si le crime a été commis à bord d’un navire ou d’un aéronef, l’Etat du pavillon ou l’Etat d’immatriculation. b) L’Etat dont la personne accusée du crime est un ressortissant ». Cet article ne limite pas la compétence de la CPI aux crimes commis sur le territoire d’un Etat partie puisque la cour est également compétente en cas de crimes commis par un citoyen d’un Etat partie 2. C’est pourquoi a été menée une lutte acharnée contre l’élargissement de la compétence de la Cour prévu par cet article et de nombreuses tentatives des Etats-Unis ont vu le jour afin de subordonner toute investigation de la Cour au consentement préalable des Etats en question, a fortiori l’Etat de la nationalité de la personne accusée 3. Il n’est pas surprenant que les Etats parties aient souhaité regrouper les questions relatives à la compétence de la Cour, et notamment aux conditions d’exercice de sa compétence. Rien, en effet, n’interdisait de prévoir des chapitres séparés s’agissant de cette 1 Zappala (S.), La justice pénale internationale, op. cit., p. 109. 2 Cet article appelé Conditions préalables à l’exercice de la compétence, prévoit que la Cour est compétente si le crime a été commis sur le territoire d’un Etat partie et/ou la personne accusée du crime est un ressortissant d’un Etat partie. Voir : le rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 46e session, A/49/10. 3 Pour plus d’informations, voir : infra, pp. 205-209. Nous mettrons en évidence toutes les oppositions américaines concernant la Cour pénale internationale et sa compétence. 28 question fondamentale. Les Etats parties ont donc clairement exprimé leur souci de lier la question de la détermination des mécanismes de déclenchement de la compétence de la Cour à celle de la détermination de l’étendue de sa compétence, rappelant que la Cour devait avoir une vocation de nature universelle 1. - Crimes relevant de la compétence de la Cour Le domaine de compétence matérielle déterminé par l’article 5 du Statut ne comporte que les quatre catégories de crimes en rapport étroit avec le maintien de la paix et de la sécurité internationales : les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression. Le Statut de Rome a précisément défini ces crimes par les articles 6, 7,8 et 9 2. Toutefois, en ce qui concerne le crime d’agression, les Etats participant à la Conférence diplomatique n’ont pu s’entendre sur sa définition. Par conséquent, le Traité suspend à l’égard de ce crime la compétence de la Cour qui n’interviendra alors qu’après l’adoption d’un Amendement définissant l’incrimination et fixant les modalités de la saisine 3. - La compétence ratione temporis La Cour est exclusivement compétente à partir du moment où le texte qui énonce son Statut entre en vigueur. En ce sens, l’article 11 du Statut affirme en effet que « La Cour n’a compétence qu’à l’égard des crimes relevant de sa compétence commis après l’entrée en vigueur du présent Statut». Cette question de la compétence ratione temporis est importante 1 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 34. 2 Condorelli (L.), La Cour pénale internationale : un pas de géant, RGDIP, vol. 103-1999, N° 1, p. 9. Voir aussi : le Statut de la Cour pénale internationale (article 6). Trean (C.), Adoption du Statut de la Cour pénale internationale, les principaux points du traité adopté sous l’égide des Nations Unies, op. cit., p. 58. Pour plus d’informations sur les définitions des crimes relevant de la compétence de la CPI, voir : le Statut de la Cour pénale internationale (articles 6-7-8 et 9). Buchet (A.), Organisation de la Cour et procédure, op. cit., pp. 46-47. Condorelli (L.), La Cour pénale internationale : un pas de géant, op. cit., p. 10. Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., p. 985. Pazartzis (P.), La répression pénale internationale des crimes internationaux : justice internationale, Pédone, Paris, 2007, pp. 36-37. Bassiouni (C.), Etude historique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 50. Trean (C.), Adoption du Statut de la Cour pénale internationale, les principaux points du traité adopté sous l’égide des Nations Unies, op. cit., pp. 58-59. 3 Voir : infra, pp. 294-298 et 315-323. Voir aussi : Brana (P.), Rapport autorisant la ratification de la Convention portant Statut de la Cour pénale internationale, Assemblée nationale, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 février 1999, Rapport fait au nom de la Commission des affaires étrangères sur le projet de Loi N° 2065, 1999, pp. 16-25. 29 s’agissant d’obligations consenties débouchant sur des sanctions pénales. Nous abordons également cette question sous un autre angle complémentaire : dans le cas où un Etat rejoindrait les signataires du Traité, la Cour ne serait compétente pour cet Etat qu’à l’égard des crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut 1. Cette disposition signifie donc que les crimes commis avant le premier juillet 2002, date de son entrée en vigueur, échappent à la juridiction de la Cour mais nullement que ces crimes demeureront impunis. Ils doivent dès lors être sanctionnés sur la base d’autres mécanismes de responsabilité 2. Allons un peu plus loin : peut-on envisager que l’Etat puisse faire rétroagir la compétence de la Cour à des crimes commis avant son accession au Statut? En effet, l’article 11-2 du Statut dispose que « Si un Etat devient Partie au présent Statut après l’entrée en vigueur de celui-ci, la Cour ne peut exercer sa compétence qu’à l’égard des crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut pour cet Etat, sauf si ledit Etat fait la déclaration prévue à l’article 12, paragraphe 3 ». Et le paragraphe 3 de l’article 12 énonce que : « Si l’acceptation de la compétence de la Cour par un Etat qui n’est pas Partie au présent Statut est nécessaire aux fins du paragraphe 2, cet Etat peut, par déclaration déposée auprès du Greffier, consentir à ce que la Cour exerce sa compétence à l’égard du crime dont il s’agit. L’Etat ayant accepté la compétence de la Cour coopère avec celle-ci sans retard et sans exception conformément au chapitre IX ». L’article 12/3 confirme dès lors cette possibilité : un Etat pourrait donc, dans ces limites, reconnaître rétrospectivement la compétence de cette Cour 3. La volonté stricte de cette Cour qui se 1 Le Statut de la Cour pénale internationale, (article 11). L’article 11 appelé Compétence ratione temporis, stipule que : « 1. La Cour n'a compétence qu'à l'égard des crimes relevant de sa compétence commis après l'entrée en vigueur du présent Statut. 2. Si un État devient Partie au présent Statut après l'entrée en vigueur de celui-ci, la Cour ne peut exercer sa compétence qu'à l'égard des crimes commis après l'entrée en vigueur du Statut pour cet État, sauf si ledit État fait la déclaration prévue à l'article 12, paragraphe 3 ». Voir aussi : Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 74. Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale op. cit., p. 8. 2 Katansi (L.), Crimes et châtiments dans la région des Grands lacs, Cour pénale internationale, tribunaux internationaux, tribunaux nationaux. L’Harmattan, Paris, 2007, p. 170. 3 David (E.), La Cour pénale internationale, RCADI, 2005, N° 313, p. 345. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale, (article 12). Cette modalité de la compétence de la CPI a été expérimentée dans la situation de la Côte d’Ivoire : des violences et des graves violations des droits de l’homme et du droit international ont été commises dans ce pays. La Côte d’Ivoire a signé le Statut de Rome le 30 novembre 1998 mais ne l’a jamais ratifié. En avril 2003, la Côte d'Ivoire a accepté la compétence de la CPI en vertu des dispositions de l'article 123 du Statut de Rome. C’est la première fois que la Cour a ouvert une enquête sur cette base. Le Procureur a 30 manifeste d’abord dans la définition de sa compétence 1 présente alors le double avantage de faciliter l’adhésion au Traité et d’éviter certaines saisines polémiques qui risqueraient de politiser l’action du juge. Par ailleurs, la doctrine semble le tolérer dans le respect de la règle nullum crimen sine lege. Il semble pourtant difficile d’imaginer que la Cour puisse être saisie de crimes commis avant l’entrée en vigueur du Statut. En revanche, le Statut n’exclut pas nettement la compétence de la Cour à l’égard de crimes commis entre cette date et le moment où un Etat reconnaît la compétence de cette Cour 2. - Les conditions préalables à l’exercice de la compétence Le Statut de Rome, dans son article 12, dispose des conditions préalables à l’exercice de la compétence de la CPI. Cette disposition contient deux règles 3 : examiné la situation dans ce pays depuis 2003 afin de déterminer si une enquête était nécessaire, à la suite de la communication par le gouvernement ivoirien d’une déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour. Le 14 décembre 2010, le Président de la Côte d’Ivoire nouvellement élu, Alassane Ouattara, a envoyé une lettre au Bureau du Procureur réaffirmant la reconnaissance de la compétence de la Cour par le gouvernement ivoirien. Le 4 mai 2011, le président Ouattara a rappelé son souhait de voir la Cour ouvrir une enquête. Après un examen préliminaire, le Procureur a conclu qu’il existait une base raisonnable pour croire que des crimes relevant de la compétence de la Cour avaient été commis en Côte d'Ivoire depuis le 28 novembre 2010. Le 30 novembre 2011, Laurent Gbagbo a été transféré à la CPI nationale en application d'un mandat d'arrêt délivré sous scellés par la Chambre préliminaire III le 23 novembre 2011. Gbagbo, ancien Président de la Côte d’Ivoire, aurait engagé sa responsabilité pénale individuelle, en tant que coauteur indirect, pour quatre chefs de crimes contre l’humanité à raison de meurtres, de viols et d’autres violences sexuelles, d’actes de persécution et d’autres actes inhumains, qui auraient été perpétrés dans le contexte des violences sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011. Pour plus d’informations sur ce point, voir : Communiqué de presse, Le Greffe confirme que la République de Côte d’Ivoire a accepté la compétence de la Cour, ICC-20050215-91-Fr, 15 février 2005. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icccpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 23 mai 2011. La résolution 1975 du Conseil de sécurité, UN.DOC.S/RES/1975 (2011). 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 11). 2 Della morte (G.), Les frontières de la compétence de la Cour pénale internationale : observations critiques. RGDIP, 73-2002, N° 12, pp. 33-34. Voir aussi : Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., p. 988. Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 32-38. 3 L’article 12 du Statut de Rome déclare que : « la Cour peut exercer sa compétence si l’un des Etats suivants ou les deux sont Parties au présent Statut ou ont accepté la compétence de la Cour conformément au paragraphe 3 : a) L’Etat sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu ou, si le crime a été commis à bord d’un 31 - En premier lieu, en ce qui concerne l’accusé, certains Etats ont soutenu et exigé l’intégration de la compétence personnelle au Statut de la Cour. Toutefois, la négociation a été le théâtre de réactions très hostiles de la part de certains Etats, les Etats-Unis en sont un exemple 1, contre l’adoption du principe de la compétence personnelle au sein du Statut de la CPI2. La disposition de la compétence de cette Cour, finalement adoptée, a été fondée sur le principe de la compétence pénale personnelle, c'est-à-dire que la CPI sera compétente en cas de crimes commis par un ressortissant d’un Etat partie 3. - En second lieu, cette Cour repose sur le principe de la compétence pénale territoriale 4. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette disposition était la plus critiquée par les Organisations internationales de défense des Droits de l’Homme car elle peut être considérée comme contradictoire avec le caractère universel de la Cour 5. Selon le Statut de Rome, avant que la Cour ne puisse exercer sa compétence sur un crime, celui-ci doit avoir été commis sur le territoire d’un Etat partie. La Cour serait également compétente lorsque l’Etat où le crime a été commis, bien que non partie au Traité, aurait consenti à ce que la Cour exerce sa compétence 6. 2. Présentation générale du Conseil de sécurité Après la mort de la Société des Nations/SDN 7, il est apparu essentiel aux Etats d’instaurer un système de sécurité collective plus efficace que le précédent. L’idée était de navire ou d’un aéronef, l’Etat du pavillon ou l’Etat d’immatriculation. b) L’Etat dont la personne accusée du crime est un ressortissant ». 1 Voir : infra, pp. 205-209. Nous verrons que le Statut de Rome n’a pas adopté la proposition américaine concernant la compétence de la Cour, les Etats-Unis étant hostiles à cette possibilité de compétence car refusant qu’un de leurs ressortissants ne soit jugé devant celle-ci. 2 Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., pp. 988-989. 3 Bercheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 347. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale (article 12). 4 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit, p.8. 5 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p.77. 6 Bercheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 346. 7 SDN ou SdN, la Société des Nations était une organisation internationale introduite par le Traité de Versailles en 1919, lui-même élaboré au cours de la Conférence de paix de Paris (1919), dans le but de maintenir la paix suite à la Première Guerre mondiale. Les objectifs de la SdN comportaient : le désarmement, la 32 lutter contre toute agression perpétrée par quelque système militaire national contre la paix internationale. Pour répondre à cet impératif, les Etats ont donné naissance à une organisation appelée l’Organisation des Nations Unies/ONU au travers d’une Charte qui milite, tout du moins théoriquement, pour la définition de certains objectifs indispensables à la société internationale : le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde ; le développement de relations amicales entre les nations ; la mise en place d’une coopération internationale à l’endroit de tout sujet pour lequel elle s’avèrerait utile ; l’encouragement au respect des Droits de l'Homme. Cette organisation englobe six organes principaux : l'Assemblée générale ; le Secrétariat, chargé du bon fonctionnement de l'ONU, avec à sa tête le Secrétaire général de l’ONU ; le Conseil de Tutelle, chargé de surveiller les territoires placés sous tutelle ; le Conseil économique et social ; la Cour internationale de Justice/CIJ, chargée de régler les litiges entre les Etats, et le Conseil de sécurité. Etant donné le lien qu’entretient notre recherche avec le Conseil, une brève présentation générale de celui-ci semble incontournable 1. Le Conseil bénéficie déjà, de par la Charte de l’ONU, d’une prééminence tant au niveau de ses fonctions que de ses pouvoirs. Après avoir présenté l’organisation du Conseil de sécurité puis la réforme sollicitée par plusieurs Etats parties à l’ONU, nous exposerons les compétences et les pouvoirs de cet organe 2. • L’organisation et la réforme du Conseil de sécurité Créé par la Charte de l’ONU et régi par son chapitre VII, le Conseil de sécurité est un organe essentiel de l’ONU. En dépit de l’affirmation du principe d’égalité, la Charte opère une distribution des pouvoirs en prenant soin de favoriser, au détriment de l’Assemblée générale, la prépondérance de ce Conseil qu’elle entend doter de fonctions essentielles et de pouvoirs fondamentaux. Ce Conseil constitue ainsi l’organe décisionnel de l’ONU 3. C’est de surcroît le seul organe de l’ONU à disposer d’un caractère permanent et à être à même, à la prévention des guerres au travers du principe de sécurité collective, la des conflits par la négociation et l’amélioration globale de la qualité de vie. 1 Brochet (V.), Eid (J.), Larue (Q.), Lefort (JB.), L’Organisation des Nations Unis, TS1, 2007, pp. 4-7. 2 Lafay (F.), L’ONU, Presses universitaires de France, Paris, 2009, pp. 30-32. Voir aussi : ONU, site officiel des Ntaions Unies, disponible sur : http://www.un.org/fr/, référence de la page consultée le 25 janvier 2011. 3 Lafay (F.), L’ONU, op. cit., p. 32. Voir aussi : CS, site officiel du Conseil de sécurité des Ntaions Unies, disponible sur : http://www.un.org/fr/sc/, référence de la page consultée le 5 février 2011. Brochet (V.), Eid (J.), Larue (Q.), Lefort (JB.), L’Organisation des Nations Unis, op. cit., pp. 6-10. 33 demande d’un Etat ou du Secrétaire Général, de siéger rapidement lorsque la situation l’exige 1. Le Conseil de sécurité est un organe restreint, composé de quinze Etats, comprenant deux types de membres : dix membres non permanents et cinq membres permanents. Ces dix pays non permanents sont élus pour deux ans par l’Assemblée générale sur la base d’une juste répartition géographique. La moitié des Etats non membres permanents n’a jamais été représentée au sein du Conseil de sécurité et, parallèlement, certains Etats sont plus souvent désignés, cherchant à devenir membres permanents : le Japon, le Brésil, l’Argentine, l’Inde. Les cinq membres permanents sont : les Etats-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni et la Russie. Ils disposent, grâce à ce qu’on appelle le droit de veto, du pouvoir d’empêcher l’adoption de toute résolution portant sur une question de fond. Le Conseil se prononce sur un texte à la majorité qualifiée par un vote affirmatif de neuf membres sur quinze. Ceci est de mise concernant les questions de procédure mais pour toutes les autres questions, les neuf voix doivent de surcroît contenir les votes de tous les membres permanents 2. Mais la Charte de l’ONU et surtout l’article 27 ne traite pas le cas de l’abstention des membres permanents. Il convient donc d’examiner la pratique sur ce point. L’abstention aurait-elle le même effet qu’un vote négatif de ce membre ? La déclaration de San Francisco n’avait pas répondu à cette question mais le problème allait rapidement se poser. C’est l’URSS qui la première eut recours à l’abstention, le 29 avril 1946, dans l’affaire espagnole. Cependant, dès 1947, la pratique selon laquelle l’abstention d’un membre permanent n’est pas assimilée à un veto était reconnue comme bien établie d’une part par les Etats-Unis dans l’affaire grecque et d’autre part par le Royaume-Uni dans l’affaire indonésienne. La réalité ne colle pas tout à fait à la lettre de la Charte puisque celle-ci prévoit que tous les membres permanents doivent voter de manière affirmative pour qu'une résolution soit adoptée. En revanche, dans la pratique, seul un vote négatif est considéré comme une utilisation du veto. L'abstention ou l'absence d'un membre permanent lors d'un vote au Conseil de sécurité n'est donc pas synonyme de veto 3. Après avoir été bridé durant la Guerre Froide (entre 1945 et 1990) à cause de l’usage intensif 1 Weiss (P.), Les organisations internationales, Armand Colin, Paris, 1999, p. 35. 2 Zarka (J.C.), Institutions internationales, Ellipses, Paris, 1995, p. 42. Voir aussi : Weiss (P.), Les organisations internationales, op. cit., p. 36. 3 Cot (J.P.), Pellet (A.), La Charte des Nations Unies commentaire article par article, Edition Economica, Paris, 1985, pp. 505-509. Voir Aussi : Day (G.), Le droit de veto dans l'Organisation des Nations Unies (Préface de M. Alexandr Pearodi.) Pédone, Paris, 1952, pp. 244-255. Brugière (PF.), La règle de l'unanimité des membres permanents au Conseil de sécurité : Droit de veto (Préface de M. Georges Scelle.), Pédone, Paris, 1952, pp. 7180. 34 du droit de veto, le Conseil est devenu véritablement opérationnel et efficace à partir de 1990 1. Cette primauté reconnue aux membres permanents va à l’encontre du principe de l’égalité souveraine des Etats consacré par la Charte. Avec le recours au droit de veto, il apparaît que l’Organisation tende à l’inaction, au non-accomplissement de ses responsabilités lors d’une crise, plutôt qu’à la confrontation avec l’un des cinq Grands 2. Depuis une dizaine d’années, le Conseil, adoptant une position très dynamique, élargit ses pouvoirs en matière de maintien de la paix en interprétant le chapitre VII de la Charte de manière extensive et en exerçant des pouvoirs que celle-ci ne lui a pas expressément confiés. De plus, allant quelquefois jusqu’à adopter des règles de caractère général et impersonnel, ce Conseil semble même à certains égards agir en législateur 3. Dès lors, une double question se pose : qui serait à même de contrôler le Conseil de sécurité et comment mener à bien cette tâche ? Ecartons l’Assemblée générale, dont le Conseil ne dépend pas, ainsi que la CIJ qui a jusqu’à présent limité son appréciation de la conformité des résolutions à des critères généraux, ne prétendant pas substituer son appréciation à celle des membres eux-mêmes. Pourrait-elle aller plus loin ? Certains l’y invitent au prix d’un double écueil 4 : d’une part provoquer une nouvelle paralysie du Conseil. En effet, celui-ci devrait-il attendre que la Cour ait instruit un éventuel recours ? D’autre part, entraîner une nouvelle crise institutionnelle dans le cas où le Conseil méconnaîtrait l’existence d’une décision de la CIJ, ce qui serait susceptible de se produire, a fortiori à l’égard d’un avis consultatif. Le véritable contrôle sur le Conseil et sur son action est donc exercé par les membres eux-mêmes à travers le veto. Ce contrôle est alors d’ordre politique, s’inscrivant positivement dans une logique de contre-pouvoirs 5. Notons qu’à l’origine le Conseil de sécurité comprenait onze membres, cinq permanents et six non permanents. Avec la vague d’autonomisations dans les années 1960, s’est alors posé le problème de son élargissement qui fut cependant résorbé par l’adoption de la Résolution 1991 du 17 décembre 1963 et son entrée en vigueur en 1965. L’élargissement du Conseil s’est opéré au niveau des membres non permanents, dont le nombre est passé de six à dix. Néanmoins, la question d’un nouvel élargissement reste d’actualité pour une 1 La Cour internationale de Justice, avis consultatif du 21 juin 1971. 2 Virally (M.), L’Organisation mondiale, Armand Colin, Paris, 1972, pp. 102-103. Voir aussi : le rapport du groupe de travail de l’Assemblée Générale de l’ONU, rendu public le 20 septembre 1994. 3 Bore Eveno (V.), Le contrôle juridictionnel des résolutions du Conseil de sécurité, 110/2006, N° 4, p. 849. 4 Voir : Sur (S.), Le Conseil de sécurité : blocage, renouveau et avenir, Pouvoirs, 2-2004, N° 109, p. 69. 5 Ibid, pp. 69-70. 35 éventuelle réforme de cette instance 1. Quelle serait la portée d’une nouvelle réforme puisque le nombre des membres du Conseil a déjà été porté de onze à quinze en août 1965 ? En 1992, le Japon et l’Allemagne ont fait connaître leur souhait de devenir membres permanents du Conseil de sécurité. A l’époque, le secrétaire général de l’ONU avait reconnu le bien-fondé de la demande formulée par ces deux Etats, devenus de grandes puissances économiques et dont l’admission pourrait contribuer à accroître la légitimité mais aussi l’efficacité de ce Conseil. Ces nouveaux membres seraient appelés à jouer un rôle actif dans le domaine du maintien et du rétablissement de la paix et de la sécurité. Il faut cependant noter que leur demande a toujours in fine été reconduite. À ce propos, rappelons que la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité, n’a jusqu’à présent jamais participé aux opérations de maintien de la paix 2, raison pour laquelle une interrogation demeure en suspens : quel est le critère déterminant donnant droit à la qualité de membre permanent du Conseil de sécurité ? Pour l’heure, il faut souligner que la question de la réforme de ce Conseil constitue l’un des points les plus sensibles du projet de réforme de l’ONU. Après soixante ans d’immobilisme, il paraît cohérent que l’élargissement du Conseil suscite une convoitise de la part de certains Etats qui aspirent depuis de nombreuses années à ce que cette institution soit davantage représentative de la Communauté internationale 3. • Le Conseil de sécurité : compétence et pouvoirs Selon la Charte de l’ONU, le Conseil de sécurité est organisé de manière à pouvoir exercer ses fonctions en permanence. Ayant vocation à gérer les crises internationales, cet organe est investi de la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales 4. Celui-ci a pour fonction primordiale de maintenir la paix et la sécurité internationales, mission pour laquelle la Charte l’autorise à caractériser les situations : menace contre la paix, rupture de la paix, agression. Lorsqu’un différend aboutit à un conflit armé, c’est ensuite le Conseil qui est tenu d’y mettre fin. Sa compétence, en vertu du chapitre VII, 1 Segur (P.), Institutions internationales, Ellipses, Paris, 1996, p. 55. 2 Zarka (J.C.), Institutions internationales, op. cit., p. 45. 3 Tournepiche (A.M.), Quelle réforme pour le Conseil de sécurité, RDPSP, 2005, N° 4, p. 875. Pour plus d’informations sur la question de la réforme du Conseil de sécurité, voir : Boutros (G.), Peut-on réformer les Nations Unies ? Pouvoirs, 2-2004, N° 109, pp. 6-8. 4 La Charte des Nations Unies (articles 24 et 28). Voir aussi : Zarka (J.C.), Institutions internationales, op. cit., p. 45. 36 s’étend alors aux litiges internationaux, interétatiques, qui peuvent être soit des différends, soit des situations 1. Les différends et les situations connus du Conseil constituent les cas susceptibles de menacer la paix et la sécurité internationales. Cette mission renvoie à la question de l’aptitude du Conseil de sécurité à maintenir ces dernières. Alors même que la composition restreinte du Conseil de sécurité est plus que jamais remise en question par l’Assemblée générale, le Conseil est depuis 2000 confronté à une série de crises graves qui frappent différentes régions du monde et qui révèlent sa capacité restreinte à maintenir la sécurité internationale. C’est en ce sens que, dès 2006, il a été envisagé de renforcer l’implication des organisations et acteurs régionaux dans un règlement conjoint et global des problèmes qui se posent aujourd’hui dans le monde 2. En réalité, la nature du Conseil n’induit pas son impuissance. Il est vrai qu’étant militairement infirme, il doit en ce domaine s’en remettre aux Etats. Mais il canalise alors la pression collective exercée par les membres permanents, forts de sa légitimité. C’est une instance politique qui prend des mesures politiques avec des motifs et des objectifs politiques. Sa mission ne consiste pas à faire respecter le droit mais à maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales, ce qui diffère en tout point. Il est subordonné à la Charte mais dispose, dans ce cadre largement défini, d’un pouvoir discrétionnaire irréductible 3. A cet égard, la Charte représente théoriquement un degré d’intégration jamais atteint dans le droit des Organisations internationales 4. Dans le dénouement pacifique des différends, dont la prolongation est susceptible de menacer la paix et la sécurité internationales, le Conseil peut intervenir lorsqu’il est saisi par un Etat membre ou un Etat non membre de l’organisation de l’ONU. En cas de rupture de la paix, de menace contre la sécurité ou d’agression, il est donc compétent pour décider des mesures à adopter 5. Selon la Charte, le Conseil de sécurité, après avoir constaté de façon discrétionnaire l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, émet des recommandations ou décide des mesures à prendre en appliquant les articles 41 et 42. Toujours selon la Charte, 1 Cot (J.P.), Pellet (A.), La Charte des Nations Unies commentaire article par article, op. cit., p. 520. 2 Solomon (A.), L’ONU et la paix : le Conseil de sécurité et le règlement pacifique des différends, le Chapitre VI de la Charte des Nations-Unies, Thèse présentée à l’Université de Genève, doctorat en Sciences politiques, 1948, p. 61. Voir aussi : Segur (P.), Institutions internationales, op. cit., pp. 52-55. 3 Sur (S.), Le Conseil de sécurité : blocage, renouveau et avenir, op. cit., p. 69. 4 Dallaloud (J.), L’ONU, op. cit, p. 20. 5 La Charte des Nations Unies (articles 36-37). Zarka (J.C.), Institutions internationales, op. cit., p. 45. 37 les décisions du Conseil de sécurité doivent être appliquées par les Etats, ce qui implique leur caractère obligatoire même si les termes utilisés dans les articles du chapitre VII qui déterminent les pouvoirs du Conseil de sécurité ne sont pas définis et sont suffisamment souples pour ne pas obliger le Conseil de sécurité 1. Autrement dit, les attributions confiées au Conseil par la Charte ne comportent pas de définition d’ensemble au-delà de la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales 2. Un regard rétrospectif révèle toutefois que nous pouvons distinguer trois types d’interventions du Conseil correspondant à une emprise croissante, à une maîtrise plus ou moins élevée de la situation. Suivant les cas et parfois de façon concomitante mais sur des plans différents, le Conseil peut : enregistrer une situation donnée, en prendre en quelque sorte acte et la reconnaître ; autoriser ou habiliter des Etats membres à agir ; organiser lui-même l’action et la maîtriser pleinement 3. Le Conseil qui opte aussi pour la démarche adéquate à entreprendre, à travers des mesures qui ne sont manifestement pas définies, peut également prendre une décision pour stabiliser une situation avant même qu’elle ne dégénère, comme inviter les parties concernées à se conformer. De plus, c’est également le Conseil de sécurité, et lui seul, qui a le pouvoir de qualifier les actions commises et de juger de leur caractère menaçant ou non pour la paix et la sécurité internationales. Comme il choisit la forme des actions à prendre à l’encontre de faits menaçant la paix et la sécurité internationales, il parvient à prendre la décision de créer des tribunaux pénaux de nature internationale. Il faut également rappeler que la Charte accorde au Conseil l’usage de la force dans un cas précis à savoir celui de la légitime défense 4. (II) Vers une problématique aux enjeux multiples Chaque système de droit requiert un appareil légitime et disposant d’outils et moyens efficaces pour punir toute violation à son encontre 5. Cet appareil est représenté aujourd’hui 1 La Charte des Nations Unies (articles 24, 41 et 42). 2 Ibid, (article 24-1). 3 Sur (S.), Le Conseil de sécurité : blocage, renouveau et avenir, op. cit., p. 71. 4 Roche (C.), L’essentiel du droit international public et droit des relations internationales, 2e édition, Gualino Editeur, Paris, 2003, p. 110. Voir aussi : la Charte des Nations Unies (articles 39, 40, 42, 43 et 47). Voir aussi : Sur (S.), Le Conseil de sécurité : blocage, renouveau et avenir, op. cit., p. 67. La Charte des Nations Unies (articles 33, 34 et 37). Solomon (A.), L’ONU et la paix : le Conseil de sécurité et le règlement pacifique des différends, le chapitre VI de la Charte des Nations-Unies, op. cit., p. 62. 5 Leben (C.), De quelques doctrines de l’ordre juridique, Droits, N° 34, 2001, pp. 30-39. 38 par l’ONU en général et le Conseil de sécurité en particulier. L’ONU n’a pas été épargnée par les changements et bouleversements survenus dans le monde moderne, notamment par la Guerre Froide, qui lui a permis de jouer le rôle que lui avait fixé la Charte de l’ONU. Celle-ci précise dans son préambule que « les peuples des Nations Unies sont résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ». Ainsi, la paix apparaît dans la Charte de l’ONU comme l’objectif absolu commun à toutes les nations 1. Rappelons que le Conseil de sécurité tire sa légitimité de la Charte de l’ONU, qui lui accorde la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales par son article 39. Cet article est un des piliers centraux du Chapitre VII qui expose les pouvoirs et les rôles du Conseil de sécurité, tout en expliquant et justifiant le caractère discrétionnaire de ces pouvoirs. La mission du Conseil de sécurité, de maintien de la paix et de la sécurité internationales, est une conséquence de l’implication de l’organe politique de l’ONU dans la justice pénale internationale. En ce sens, les missions de la juridiction pénale internationale et du Conseil de sécurité se recoupent et s’imbriquent, malgré la nature différente de leur fonction. L’exercice de la fonction politique du Conseil de sécurité est donc devenu le préalable indispensable à la réalisation de la mission judiciaire des juridictions pénales internationales. Ces juridictions punissent les actes attentatoires à la sécurité internationale, que le Conseil de sécurité est chargé de maintenir 2. Comme nous l’avons vu, ces deux appareils sont fondamentalement distincts en termes de structure, de composition et d’objectifs, ce qui rend l’étude de leur relation à la fois plus intéressante et plus compliquée. Le Conseil de sécurité de l’ONU est un organe politique très efficace et réactif, visant à maintenir la sécurité internationale. Il est l’organe décisif de 1 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, Thèse présentée à l’Université d’Orléans, doctorat en Droit public, 2011, pp. 56-57. Voir aussi : Guillaume (G.), La Cour internationale de Justice à l’aube du XXIe siècle : Le regard d’un juge, Pédone, Paris, 2003, pp. 330-331. Gerbert (M.), Ghébal, (V.), Le rêve d’un ordre mondial de la Société des Nations à l’Organisation des Nations Unies, Imprimerie nationale, Paris, 1996, pp. 338-339. 2 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp.56-57.Voir aussi : Kolb (R.), Le droit relatif au maintien de la paix internationale : Evolution historique valeurs fondatrices et tendances actuelles, Pédone, Paris, 2005, p. 40. Stern (B.), Les aspects juridiques de la crise et de la guerre du Golfe, Cahiers internationaux, N° 6, Montchrestien, Paris, 1991, pp. 500-503. 39 l’ONU et a le pouvoir de mettre ses décisions en œuvre à l'échelon international. La CPI, quant à elle, est un organe basé sur l'accord de plusieurs pays afin de parvenir à une vraie justice et de punir les responsables des crimes les plus graves. L'étude de tels rapports est donc basée sur des aspects liés à la compétence et l’activité de la CPI, en lien avec le Conseil de sécurité dont les pouvoirs sont prévus à la fois dans le Statut de Rome et la Charte de l’ONU. En effet, l’idée principale dans la Charte de l’ONU était d’accorder au Conseil de sécurité, la responsabilité du maintien de la paix en lui donnant de larges pouvoirs d’intervention. Ainsi, si l’action de ce Conseil est essentiellement médiatrice au titre du Chapitre VI, elle devient autoritaire au titre du Chapitre VII lorsqu’une atteinte à la paix l’exige. Ses pouvoirs constituent l’une des pierres angulaires des rapports qu’il entretient avec la CPI. Le Conseil constate d’une manière discrétionnaire l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, et peut par la suite décider des mesures à prendre en amont de sanctions, si son action antérieure s’est avérée sans effets. Ses décisions ont force obligatoire pour tous les Etats membres de l’ONU 1. L'étude de ces rapports, entre la CPI et le Conseil de sécurité, montre la capacité de la Cour à travailler d'une manière indépendante pour atteindre les objectifs recherchés par la plupart des pays qui se sont réunis à Rome. Le Statut de Rome a donné au Conseil de sécurité plusieurs rôles importants, lui accordant ainsi un pouvoir étendu, largement affirmé dans le Statut de Rome. Un pouvoir par lequel le Conseil de sécurité s’est constitué en soutien de la CPI, tout en incarnant une véritable menace pour la crédibilité, voire l’indépendance de cette Cour 2. Par le Statut de Rome, et grâce à sa responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, le Conseil de sécurité a donc reçu des rôles et pouvoirs en lien direct avec l’activité et la compétence de la CPI. Ainsi, le Conseil de sécurité se doit d’agir dans un cadre d’équilibre. C’est à cette recherche d’équilibre que le Statut de la CPI s’attache plus ou moins difficilement étant donnée la persistance des attaques des Etats hostiles à la Cour. Dès lors, la pratique montre que le rôle du Conseil de sécurité dans le fonctionnement de la CPI est conduit par des considérations politiques qui peuvent être audessus des considérations strictement juridiques. C’est la raison pour laquelle la CPI pourrait 1 La Charte des Nations Unies (article 25). 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 5, 13,16 et 89). 40 souffrir d’un déficit de crédibilité et d’indépendance. En effet, étant un organe politique, le Conseil de sécurité ne saurait se vider de sa nature. Le facteur politique s’immiscerait de la sorte dans le domaine de la justice pénale internationale, notamment concernant l’intervention du Conseil de sécurité dans le fonctionnement de la CPI. Or, les domaines d’intervention du Conseil de sécurité dans le fonctionnement de la CPI sont l’essence même de notre recherche. Ainsi, notre étude revêtira une connotation politique étroitement liée à la nature des rapports entre la CPI et le Conseil de sécurité. De plus, par cette recherche, il sera démontré que les Etats membres permanents du Conseil de sécurité, avec le soutien de leur droit de veto, peuvent contribuer à l’activation de la compétence de la CPI, comme ils peuvent également la neutraliser. Rappelons ici que certains de ces Etats n’ont pas même ratifié le Statut de Rome (les Etats-Unis, la Chine, la Russie) mais mènent une compagne hostile contre la CPI, notamment les Etats Unis 1. En effet, le problème est amorcé par la différence de structure des deux organes : la CPI est fondée sur un Traité international et la volonté des Etats parties d’établir la justice, sans aucune distinction entre ces Etats. En revanche, le Conseil de sécurité est un organe politique, avec un pouvoir décisif contraignant pour tous les Etats parties à l'ONU, et peut prendre toutes les mesures appropriées pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Cet organe réunit plusieurs pays, mais il est indéniable que certains d’entre eux sont plus puissants et influents, à savoir les Etats membres permanents. Ces pays peuvent déterminer la trajectoire du Conseil de sécurité et ses décisions ; par conséquent, même si le Conseil de sécurité est l’un des organes de l’ONU, il reste subordonné, plus ou moins, à la volonté et aux intérêts de ces pays. Si cela se limite au Conseil de sécurité, cela ne concerne que ce Conseil, mais aujourd'hui, nous trouvons la forte présence du Conseil de sécurité dans le Statut de Rome. En étudiant les rôles attribués au Conseil de sécurité par le Statut de Rome, il est remarquable que ce Conseil, même s’il remplit des fonctions positives, est aussi capable de désactiver complètement et de paralyser l’action de la CPI, ce qui s’avère problématique. Ainsi, réaliser le projet d’asseoir une CPI efficace et indépendante ne dépend pas seulement de l’activité et de l’instrument juridique, mais également d’autres instruments, en particulier des institutions politiques, comme le Conseil de sécurité. C’est pour cette raison que nous aborderons les rapports que la CPI entretient avec le Conseil de sécurité de l’ONU. En effet, l’étude de ces rapports soulève de nombreuses questions, qui trouvent leur origine dans 1 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp.64-67. 41 l'efficacité de la compétence de la Cour et son indépendance en présence du Conseil de sécurité, ce qui pourrait entraver le travail de la première et la priver de son indépendance, et ce n'est certainement pas la volonté des Etats Parties à la CPI ni ce que requiert la justice. Les rapports entre les activités de maintien de la paix et de la justice pénale internationale sont établis. Le Conseil dès lors joue un rôle important dans la réalisation de la justice pénale internationale. En revanche, il est important de signaler que la relation entre le Conseil de sécurité et la CPI était, lors des négociations à Rome, le lien le plus controversé entre les négociateurs. Les cinq membres permanents au Conseil de sécurité, notamment les Etats-Unis, voulaient une relation « solide » entre ces deux organes, avec une implication très forte du Conseil de sécurité dans le fonctionnement de la Cour. C’est pourquoi ils ont appuyé l’idée d’une obligatoire articulation entre les deux organes au nom de la paix et de la sécurité internationales. Ils ont ainsi souhaité que le Conseil de sécurité détienne le pouvoir de contrôler la CPI : pour quelle raison ? Officiellement, pour la justice, la paix et la sécurité internationales 1. Quinze ans après l’entrée en vigueur du Statut de Rome, et la mise en place d’une institution nouvelle, nous nous trouvons face à une CPI permanente opérationnelle. Si cette jeune institution a très vite relevé des défis, et réalisé d’importantes avancées, elle doit encore atteindre plusieurs objectifs et explorer de nombreuses voies pour mettre véritablement fin à l’impunité des auteurs des crimes les plus graves, et concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes 2. Rappelons qu’en adoptant le Statut de la CPI, les participants à la Conférence de Rome ont écarté l’idée d’un pouvoir judiciaire international totalement indépendant. La Cour ne pourrait fonctionner sans l’appui du Conseil de sécurité et en règle générale, sans l’accord de l’Etat sur le territoire duquel les faits criminels se sont produits 3. Cela ouvre à un nouveau questionnement : cette Cour peut-elle travailler véritablement sans le concours du Conseil de sécurité ? Ce à quoi nous tenterons de répondre dans cette recherche en traitant la relation de la CPI avec le Conseil de sécurité. Le choix par les Etats parties, d’un 1 Dobelle (J.F.), La Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 364. 2 FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, La CPI : les premières années de la Cour pénale internationale, article disponible sur : http://www.fidh.org/Cour-penale-Internationaleles, référence de la page consultée le 12 décembre 2009. 3 Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., p. 986. Voir aussi : Paragraphes 4 et 5 du Préambule du Statut de la Cour pénale internationale. 42 organe de justice contrôlable, en dernier ressort, par un organe politique, risque donc de rendre vains les efforts pour l’établissement d’un organe judiciaire indépendant, efficace et crédible. Par ailleurs, dans le cadre de cette étude, nous suivrons une méthode juridique, analytique et critique par laquelle nous mettrons en évidence les faiblesses et les obstacles générés par cette relation qui pourrait nuire à l’activité de la CPI. Pour atteindre cet objectif, nous aborderons des points de vue et des analyses basés sur différentes doctrines : française, arabe et parfois aussi anglaise. Nous examinerons, d’une manière critique, la réalité des rapports entre la CPI et le Conseil de sécurité, ce qui n’empêchera pas, bien entendu, de replacer les idées discutées dans la présente étude dans leur contexte politique. Mais, ce qui est de nature juridique ne doit absolument pas être confondu avec ce qui relève du politique. Cette recherche tente d’étudier les rapports entre la CPI et le Conseil de sécurité et leurs impacts sur l’activité et l’indépendance de la CPI. Cette relation se base, en effet, sur plusieurs piliers : • Elle se manifeste d’abord par la norme qui permet au Conseil de sécurité de renvoyer une situation à la Cour (article 13 du Statut de Rome), et également par le rôle du Conseil dans l’obligation de coopérer avec la CPI (article 87 du Statut de Rome). Par ce pouvoir, le Conseil de sécurité devient une des entités pouvant déférer une situation devant la CPI. Par la suite, le Conseil de sécurité joue un autre rôle dans la coopération avec la CPI, étant donnée la valeur obligatoire de ses décisions à l’égard de tous les Etats parties à l’ONU. • Les rapports entre la CPI et le Conseil de sécurité se réfèrent également à d’autres pouvoirs plus dangereux, celui de suspendre l’action de l’organe judiciaire (article 16 du Statu de Rome) et celui concernant la compétence de la CPI à l’égard du crime d’agression (article 5 du Statut de Rome). Nous étudierons ces rapports en abordant en premier lieu le pouvoir accordé au Conseil de sécurité de contribuer à l'activité de la CPI (Partie I), et par la suite, le pouvoir du Conseil de sécurité d'entraver l'activité de la CPI (Partie II). 43 Première Partie Le pouvoir du Conseil de sécurité de contribuer à l'activité de la Cour pénale internationale 44 Il a fallu attendre cinquante ans pour que soit adopté le Statut d’une CPI dont la création avait été envisagée dès 1948 par l’article VI de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide. En effet, la création d’une juridiction pénale internationale a été le résultat d’une volonté politique de la société internationale et de l’opinion publique, déterminées à instaurer un nouvel ordre public international suivant certaines valeurs morales et éthiques. A ce titre, la CPI peut être considérée comme l’une des institutions les plus importantes depuis la création de l’ONU car elle constitue la structure judiciaire permanente compétente pour juger quiconque se rend coupable de génocide, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre 1. Le Statut de Rome est finalement entré en vigueur, son préambule soulignant que la CPI constitue une institution juridique pénale internationale permanente, complémentaire des juridictions pénales nationales 2. Néanmoins, cette Cour a en priorité pour mission de résoudre le paradoxe principal dans lequel elle est enfermée depuis sa création : maintenir son indépendance tout en étant engagée dans des situations d’interdépendance. Il est certain que l’autonomie de la Cour est la condition d’une justice impartiale. Cette indépendance résulte de plusieurs facteurs : - Cette indépendance résulte d’une part de la vocation universelle de la Cour créée par la Communauté internationale dans son ensemble, qui doit se traduire par une ratification uniforme du Statut de Rome. Si l’universalité constitue l’un des principes de base de la Cour, elle est aussi une nécessité pratique en raison du caractère relativement restrictif de son mécanisme de saisine. Afin d’assurer une compétence directe de la Cour sur l’ensemble des conflits internes et internationaux, il est dès lors essentiel que tous les Etats ratifient son Statut. - Cette indépendance résulte d’autre part des immunités et privilèges dont jouissent les fonctionnaires de la Cour 3. 1 Bennouna (M.), Le fonctionnement de la Cour criminelle internationale : bilan et perspectives, in Lattanzi (F.), Justice pénale internationale, Naples, 1996, p. 206. Voir aussi : Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les juridictions pénales internationales, op. cit., http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droitinternational-par-les-juridictions-penales-int17.html. 2 Le préambule du Statut de la Cour pénale internationale (§ 6,10). 3 L’Accord relatif aux privilèges et immunités ratifié par l’ensemble des Etats parties. 45 L’autonomie de la CPI repose enfin sur un budget suffisant et transparent ainsi que sur la compétence de son personnel. Il faut également rappeler que la CPI repose sur le principe de complémentarité vis-à-vis des juridictions nationales des Etats parties au Statut 1. Dès lors, différentes questions se posent ici : cette complémentarité est-elle compatible avec le lien fort entre la CPI et le Conseil de sécurité ? Est-elle compatible avec les termes du Statut de Rome, à la lumière de son objet et de son but ? Cette complémentarité bien affirmée au Statut est-elle vraiment respectée par la pratique de cette Cour lorsque celle-ci est saisie par le Conseil de sécurité 2? Par ailleurs, il faut toujours prendre en considération la relation étroite entretenue par la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales et la répression des crimes souvent accomplis dans des circonstances où la paix est menacée ou violée. C’est pourquoi le Statut de Rome, bien que déterminé à « créer une Cour pénale internationale permanente et indépendante », a, parallèlement, octroyé au Conseil de sécurité une place fondamentale dans l’architecture et dans les mécanismes de fonctionnement de la Cour 3. En ce qui concerne l’activation de la CPI, le Conseil de sécurité joue notamment un rôle central et incontournable dans le Statut de Rome. Cette place n’est en rien fortuite mais reflète l’influence de cette relation sur l’activation de la Cour. Tout au long de ce travail, nous étudierons non seulement les liens entre la CPI et le Conseil de sécurité relatifs à l’activation de cette Cour mais aussi le doute que font naître ces liens au sujet de la crédibilité et de l’indépendance de la Cour, caractère que toute Cour de justice se doit par ailleurs de revêtir. Nous examinerons dès lors la viabilité de l’indépendance de cette juridiction internationale face aux fortes pressions politiques que pourrait engendrer le rôle prééminent attribué au Conseil de sécurité dans le cadre de l’activation de la CPI. En effet, l’étude du rôle du Conseil de sécurité dans la contribution à l'activité de la CPI peut être basée sur deux piliers : 1 Berkovicz (G.), La place de la Cour pénale internationale dans la société des Etats, L’Harmattan, Paris, 2005, pp. 335-336. 2 Bakker (C.), Le principe de complémentarité et les auto-saisines, un regard critique sur la pratique de la Cour pénale internationale, RGDIP, 112/2008, N° 2, p. 362. 3 L’article 4 du Statut de la Cour pénale internationale reconnaît la personnalité juridique à la Cour qui est reliée au système des Nations Unies. 46 - Le premier pilier est théorique, représenté par la norme qui permet au Conseil de sécurité d’être (avec le Procureur et les Etats parties) l’un des modes d’activation de la CPI. Par ce mode de saisine, qui illustre la nature du compromis de Rome, le Conseil de sécurité peut, en s’appuyant sur le Chapitre VII de la Charte de l’ONU, renvoyer devant la Cour une situation dans laquelle semblent avoir été commis un ou plusieurs crimes relevant de la compétence de cette Cour 1. Par ailleurs, mis à part l’activation de la CPI et la punition des responsables des crimes les plus graves, ce rôle du Conseil de sécurité est important afin d’obtenir une véritable coopération internationale avec la CPI. Le Conseil de sécurité étant le seul organe doté de l’autorité, il détient un pouvoir quasi illimité 2 lui permettant d’obliger les Etats à coopérer avec la Cour 3. Nous allons donc étudier la faculté du Conseil de sécurité de saisir la CPI (Titre I). - Le deuxième pilier est pratique, concernant les cas où le Conseil de sécurité a utilisé ce pouvoir de saisir la CPI. Le Statut de Rome a fait du Conseil de sécurité l’un des outils de saisine de la CPI, concernant des situations qui entrent dans sa compétence. La première expression de ce pouvoir de la part du Conseil de sécurité a concerné la situation au Soudan. Quelques années plus tard, le Conseil de sécurité a accompagné ce premier renvoi, de celui concernant la situation d’un pays voisin du Soudan, la Libye. Ces résolutions du Conseil de sécurité, concernant la saisine de la CPI, ont généré des interrogations et questionnements cruciaux. Ces questions touchent la compétence et l’indépendance de la CPI, ainsi que son activité en général. Nous aborderons donc en second point l’exercice par le Conseil de sécurité de sa faculté de saisir la CPI (Titre II). 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 13 et 87). 2 La Charte des Nations Unies (articles 24, 25, 39, 41 et 42). 3 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 87). 47 Titre I La faculté du Conseil de sécurité de saisir la Cour pénale internationale 48 Aujourd’hui, la CPI est en activité. Cette Cour, qui il y a peu de temps encore n’était perçue que comme une chimère, s’affirme 1. Les premières années de l’existence de la CPI ont été riches en imprévus concernant, en particulier, les relations qu’elle entretient avec le Conseil de sécurité. Ce rôle du Conseil de sécurité a fait l’objet, lors des négociations de Rome, de longs débats, souvent davantage politiques que juridiques, opposant de façon prévisible les membres permanents du Conseil de sécurité et les autres Etats 2. Il est à noter que, contrairement aux tribunaux ad hoc disposant de champs démographiques d’action délimités par leurs propres statuts, la CPI se présente comme une juridiction universelle. Néanmoins, son fonctionnement ainsi que sa compétence sont limités : aux termes de l’article 12-2 de son Statut, elle s’avère compétente à l’égard des crimes visés à l’article 5 du Statut si l’Etat sur le territoire duquel le crime allégué a été commis est un Etat partie ou reconnaissant la compétence de la Cour et/ou si la personne accusée de ce crime est citoyen de l’un de ces Etats. Or, si nous considérons que la majorité des conflits de ces dernières décennies est d’ordre interne, nous apercevons rapidement les limites posées à l’effectivité même de cette Cour. Il s’agit ici des conditions préalables à l’exercice de la compétence de la CPI. Il semble, de fait, que l’époque où les conflits opposaient deux entités étatiques soit largement dépassée. Certains y voient l’expression d’un fragile équilibre sans lequel les négociations de Rome auraient sans doute échoué 3. Une fois les conditions préalables satisfaites, la Cour peut dès lors être saisie. Reste néanmoins à déterminer qui est à même d’effectuer cette saisine. Conformément au Statut de la CPI lui permettant d’exercer sa compétence, trois voies possibles se profilent : - La première voie concerne l'Etat partie : il s’agit sans nul doute du mode de saisine ayant le moins suscité débat à Rome. Cet Etat, qu’il soit un Etat partie ou un Etat reconnaissant la compétence de la Cour, peut livrer au Procureur des situations relevant des crimes rentrant dans la compétence de la CPI. Il semble cependant fort 1 Martain (P.), La Cour pénale internationale : quel avenir pour une illusion, Recueil Dalloz, N° 36, 1998, p. 337. 2 Kazr (N.), Les aspects institutionnels de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 471. 3 Bourguiba (L.), La Cour pénale internationale : modèles de saisine et limites, Confluence Méditerranée, RTDH, hiver 2007/2008, N° 64, p. 27. 49 probable que ce recours ne soit que peu employé. En effet, plusieurs Conventions internationales de protection des droits de l'homme contiennent déjà des dispositions similaires mais aucun cas de plainte d'un Etat contre un autre devant un organe international chargé des obligations étatiques dans ce domaine n'est à ce jour connu. En réalité, nous avons peu de choses à attendre de cette voie. - La deuxième voie se présente lorsque le Procureur de la CPI décide de sa propre initiative d'ouvrir une procédure criminelle sur la base d'informations relatives à l'existence de crimes tombant sous la direction de la Cour, et relevant de sa compétence. S'il est regrettable que les victimes des actes criminels ne puissent accéder directement à la Cour, le pouvoir dont dispose le Procureur constitue cependant une voie de recours pour les citoyens 1. Aussi la crainte des Etats à cet égard est-elle compréhensible et pourrait même dissuader certains de ratifier le Traité de Rome, le Procureur devenant l’un des individus les plus puissants sur Terre. Gardons toutefois à l’esprit que ce pouvoir considérable n’a été reconnu par les Etats que grâce à la mise en place simultanée d’un garde-fou : la Chambre préliminaire, organe de contrôle du pouvoir accordé au Procureur l’empêchant d’outrepasser ses prérogatives 2. 1 Hugo (R.), La Cour pénale internationale : entre volontarisme étatique, lutte contre l'impunité et désir de l'efficacité, CADTM, article disponible sur : http://cadtm.org/La-Cour-Penale-Internationale, référence de la page consultée le 20 juillet 2010. Voir aussi : site officiel du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde, référence de la page consultée le 28 Mars 2010 http://www.cadtm.org/La-Cour-Penale-Internationale. L’article 25, Comité préparatoire pour la création d’une Cour criminelle internationale, A/AC.249/1997/L.8.Rev.1, 14 août 1997. Le Statut de la Cour pénale internationale (Chapitre II : Compétence, recevabilité et droit applicable, article 15-2). 2 Mais il faut également noter que l’article 16 du Statut de Rome, appelé Sursis à enquêter ou à poursuivre, déclare que « Aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions ». Ainsi les membres permanents du Conseil de sécurité, par application de cet article, peuvent aussi neutraliser la compétence de la Cour lorsque les impératifs de maintien de la paix et ceux de la justice pénale se contredisent. Voir : infra, pp. 91-97 et 158-172. 50 - La troisième voie est celle du Conseil de sécurité de l'ONU. Cet organe politique peut, à l’instar des Etats parties et du Procureur, livrer à ce dernier des informations et requérir l'ouverture d’investigations sur des crimes commis relevant de la compétence de la CPI1. Dans ce présent titre, nous détaillerons ce point en deux parties : nous traiterons, d’abord, la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité en tant que voie dans la recherche de l’universalité de la CPI (Chapitre I). Par la suite, nous étudierons si la saisine par le Conseil de sécurité est un risque pour l’activité de la CPI (Chapitre II). 1 Pour plus d’informations sur les règles de compétence, voir : Cottereau (G.), Statut en vigueur, la Cour pénale internationale s’installe, AFDI, 2002, pp. 128-161. Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 1-22. 51 Chapitre I La saisine par le Conseil de sécurité : une voie dans la recherche de l’universalité de la Cour pénale internationale 52 L’article 13-b du Statut de Rome énonce que « la Cour peut exercer sa compétence à l’égard des crimes visés à l’article 5, conformément aux dispositions du présent Statut: […] b- si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ». Cette faculté de saisine par le Conseil de sécurité a fait l’objet d’une longue discussion lors des négociations à Rome. Finalement, le Statut de la CPI a accordé au Conseil de sécurité le pouvoir de la saisir. Par ailleurs, il est à noter que cette saisine par le Conseil de sécurité est limitée par certaines conditions imposées par le Statut de Rome ou par la Charte de l’ONU 1. Les objectifs de la CPI et ceux du Conseil de sécurité peuvent concorder. Le maintien de la paix et de la sécurité internationales et celui de la justice internationale apparaissent en effet, de temps à autre, complémentaires. Nous traiterons tout d’abord la reconnaissance au Conseil de sécurité de la faculté de saisir la CPI (Section I). Nous analyserons ensuite l’avantage de cette saisine du Conseil de sécurité (Section II). Section I. La reconnaissance au Conseil de sécurité de la faculté de saisir la Cour pénale internationale Les différents comités préparatoires qui ont exercé jusqu’à la mise en place du Statut de la CPI n’ont pas permis de détailler la question de la saisine. Toutefois, les articles 6 à 10 du projet de Statut font état de différentes propositions quant au pouvoir d’action de la Cour par rapport aux Etats et au Conseil de sécurité, deux grandes positions se faisant face. Elles prévoyaient la saisine de la CPI par les Etats mais aussi par le Conseil de sécurité : - Pour ce qui est des Etats signataires du Statut de la CPI, la possibilité de saisir cette Cour a été présentée dans les travaux préparatoires en se fondant sur le fait que la CPI sera établie sur la base du Traité et sur les Etats parties. Il est donc cohérent de proposer de confier aux Etats parties le pouvoir de saisir cette Cour. 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 13-b) 53 - Pour ce qui est de la saisine par le Conseil de sécurité, lors des négociations, des propositions ont été formulées par différents délégués. Pour mieux comprendre le texte adopté dans le Statut de Rome concernant la saisine du Conseil de sécurité, et ses conditions, nous allons aborder la phase de négociations relative à ce texte. Nous aborderons en premier lieu la phase des négociations et le texte adopté (§ I), puis dans un second temps les conditions préalables à la saisine (§ II). § I. La phase des négociations et le texte adopté Lors des négociations de Rome et dès l’étape du comité préparatoire, la faculté de saisir la CPI par le Conseil de sécurité a été proposée comme l’un des leviers d’activation de la CPI1. Nous analyserons d’abord les propositions discutées lors de la Conférence de Rome concernant ce modèle de saisine, leurs motifs (A), puis nous traiterons le texte adopté dans le Statut de Rome (B). (A) Les propositions discutées lors de la Conférence de Rome Plusieurs suggestions et propositions ont été avancées lors des discussions concernant le renvoi d’une question par le Conseil de sécurité. Une large majorité d’Etats a soutenu la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité. Or, le Conseil de sécurité peut renvoyer une situation devant cette Cour en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU dès lors que les violations des droits de l’Homme, qu’aurait à connaître la CPI, seraient susceptibles d’être qualifiées, par le Conseil de sécurité, de menaces contre la paix 2. Il est un fait que le Conseil de sécurité pourrait, en répondant, décider l’engagement des poursuites pénales à l’encontre des individus de ces crimes, nonobstant toute désapprobation extérieure. Cette disposition entend refléter le fait que le Conseil de sécurité peut et doit assurer l’établissement de la responsabilité pénale individuelle dans le cadre de ses prérogatives de maintien de la paix et de la sécurité internationales auxquelles porte atteinte la perpétration des crimes internationaux les plus graves. Autrement dit, le Conseil de sécurité est l’organe chargé de 1 Jacques (D.), Vers la Cour pénale internationale : examen du projet de Statut de la Cour, in Juriste sans frontières 1996, Le Tribunal pénal international de la Haye, le droit à l’épreuve de la purification ethnique, L’Harmattan, Paris, 2000. p. 291. 2 Ambos (K.), Les fondements juridiques de la Cour pénale internationale, RTDH, 1999, pp. 739-745. 54 maintenir la paix et la sécurité internationales et la CPI est compétente pour juger les responsables de tels crimes. C’est pourquoi saisir la CPI dans des situations entraînant ce genre de crimes peut être une mesure prise par le Conseil de sécurité en tant que gardien de la paix et de la sécurité internationales 1. Une seconde suggestion, davantage polémique, est la faculté offerte à l’Assemblée générale de l’ONU de saisir la CPI en tant qu’organe principal de l’ONU le plus représentatif de la Communauté internationale selon les partisans de cette option. Ceux-ci ont, de plus, fait valoir que l’Assemblé générale dispose d’une compétence générale en ce qui concerne les droits de l’Homme ainsi que d’une responsabilité secondaire dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Rappelons que cette proposition avait été retenue dans le projet du Statut de la CPI élaboré par la CDI en 1951 2. A ce propos, deux alternatives sont alors envisageables : - Accorder à l’Assemblée générale la même responsabilité qu’au Conseil de sécurité concernant le renvoi d’une question au Procureur. La CDI y était, plus ou moins, favorable, en particulier dans le cas où le Conseil de sécurité risquerait d’être entravé dans son action par l’exercice du droit de veto. - Certains Etats ainsi que les ONG, qui refusaient toute intervention du Conseil de sécurité dans la procédure de la Cour, ont opté quant à eux pour l’accord préalable de l’Assemblée générale. Toutefois, la composition plus démocratique de l’Assemblée générale n’enlève en rien au fait que la Charte n’autorise pas l’Assemblée générale à agir sur les droits des Etats contre leur volonté, en particulier concernant la question de la compétence pénale. Seul le Conseil de sécurité, agissant en vertu du chapitre VII de la Charte, se voit reconnaître le pouvoir de prendre des mesures vis-à-vis des Etats membres qui sont alors dans l'obligation de coopérer. Le Conseil de sécurité, en tant qu’organe exécutif de l’ONU, est le seul capable de saisir la CPI. L’Assemblée générale, quant à elle, joue un rôle distinct de celui du Conseil, 1 Zakr (N.), Les aspects institutionnels de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 470. 2 Le rapport de la Commission du Droit international à l’Assemblée générale de l’ONU, A/AC, 48/4, 5 novembre 1951, p. 60. 55 sans pour autant être négligeable. C’est l’une des raisons pour lesquelles la proposition tendant à autoriser la saisine de la Cour par l’Assemblée générale n’a guère eu de succès lors des négociations ultérieures ayant abouti à l’adoption du Statut de Rome1. Ce grief a ainsi été émis, cette fois, à l’encontre d’une prédominance du Conseil de sécurité mais a été écarté puisque l’article 1-b du Statut de Rome admet qu’il puisse saisir la Cour. Si, dans les années cinquante, le contexte de la Guerre Froide a fait de l’Assemblée générale l’organe prédominant tout en figeant le Conseil de sécurité, les années quatre-vingt-dix ont assisté à la renaissance de ce dernier. En effet, la proposition de saisir la CPI par l’Assemblée générale a été rejetée pour deux raisons : Le principal argument contre la saisine de la Cour par l’Assemblée générale a été le caractère non obligatoire pour les Etats membres de l’ONU des recommandations de cet organe. Néanmoins, cette objection aurait pu être surmontée en exigeant le consentement des Etats mis en cause, Etat de territoire ou Etat de nationalité, vis-àvis de l’exercice par la Cour de sa compétence, comme le prévoit le Statut quant à la saisine par un Etat partie ou par le Procureur 2. Le caractère contraignant de la saisine par l’Assemblée générale résulterait du Statut lui-même et ne viserait que les Etats parties, et non tout Etat membre de l’ONU 3. Le deuxième argument à l’encontre d’une prédominance de l’Assemblée générale réside dans l’article 12 de la Charte de l’ONU qui dispose que : « Tant que le Conseil de sécurité remplit, à l'égard d'un différend ou d'une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l'Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande » 4. Comme le reconnaît le paragraphe 3 du Statut de Rome, « les crimes d’une telle gravité menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde ». Par conséquent, il est probable que le Conseil de sécurité traitera des situations dans lesquelles ces crimes sont commis, même si lui-même ne 1 Le rapport de la Commission du Droit international lors de sa quarante-quatrième session du 4 mai au 24 juillet 1992, p. 93. Voir aussi : La Charte des Nations Unies (articles 24, 25 et 48). 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 12). 3 Le rapport de la Commission du Droit international lors de sa quarante-sixième session, op.cit., pp. 25-46. 4 La Charte des Nations Unies (article 12). 56 saisit pas la CPI. Reconnaître un pouvoir de saisine à la Cour aurait certes une portée symbolique mais serait relativement vain d’un point de vue pratique, l’article 12 de la Charte faisant obstacle à sa mise en œuvre 1. En revanche, concernant le renvoi à la Cour par le Conseil de sécurité, parmi les différentes propositions élaborées au sein du comité préparatoire, il était conseillé que le Conseil de sécurité renvoie à la CPI non une situation mais un cas. Cet organe aurait ainsi disposé de son propre pouvoir d’inculpation d’individus présumés responsables de crimes reliés à une situation ciblée par l’article 39 du chapitre VII de la Charte. Mais le pouvoir de renvoyer des cas aurait transgressé les limites posées au Conseil de sécurité par ce même chapitre : le Conseil ne peut s’occuper que de situations, en particulier de situations d’urgence pour la paix internationale, et non de cas. Pour cela, il établit en premier lieu le constat de ces situations en vertu de l’article 39, puis adopte en vertu des articles 41 et 42 des mesures pour rétablir et maintenir la paix. A contrario, le renvoi d’un cas, même lié à une situation d’urgence pour la paix, ne peut être considéré comme une mesure de rétablissement ou de maintien de la paix internationale. C’est pourquoi un tel renvoi n’aurait pu s’inscrire dans le cadre de la fonction confiée au Conseil de sécurité par le chapitre VII, quand bien même les pouvoirs de ce Conseil ne sont pas, comme nous l’avons vu 2, parfaitement définis 3. La CDI ainsi que de nombreuses délégations se sont mises d’accord pour justifier le pouvoir du Conseil de sécurité de saisir la CPI en raison de son rôle lors des crises en exYougoslavie et au Rwanda 4. Les Etats-Unis ont œuvré pour que le Conseil de sécurité de l’ONU devienne l’unique institution capable de déférer une affaire devant la CPI. Le retrait des Etats-Unis du Statut de la CPI implique la non-reconnaissance du droit de chaque accusé de nationalité américaine à comparaître devant un jury. Ce droit est constitutionnel aux EtatsUnis. En effet, obtenir un contrôle de l’activité de la CPI était une ambition américaine qui s’explique par leur position de membre permanent du Conseil de sécurité, disposant ainsi d’un 1 Pour plus d’informations, voir : Guilhaudis (J.F), Considérations sur la pratique de l’Union pour le maintien de la paix, AFDI, 1982, pp. 381-400. 2 Voir : Supra, pp. 36-38. 3 Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, RGDIP, 1103/1999, N° 2, p. 438. 4 Le rapport de la Commission du Droit international lors de sa quarante-quatrième session, op. cit., p. 92. 57 droit de veto permettant le blocage d’une résolution du Conseil puisque la décision doit se prendre à l’unanimité des pays permanents au Conseil de sécurité 1. (B) Etude du texte adopté dans le Statut de Rome Selon l’article 13 du Statut de Rome, « La Cour peut exercer sa compétence à l’égard des crimes visés à l’article 5, conformément aux dispositions du présent Statut: […] b- si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraît avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies »2. A Rome, les participants sont parvenus à un consensus sur la possibilité de faire renvoyer par le Conseil de sécurité une situation devant la Cour. Cette proposition, à l’origine américaine, formulée au sein du comité préparatoire, apparaissait comme la plus pertinente puisqu’un auteur présumé de crimes spécifiques ne saurait dépendre d’un choix politique, que ce soit celui d’un organe de l’ONU ou d’un membre de la Communauté internationale. De plus, elle bridait la liberté d’agir du Procureur vis-à-vis de l’accusé, entravant par là-même la toute-puissance de ce premier 3. En effet, l’article 13 du Statut de la CPI reconnaît un droit de saisine au profit du Conseil de sécurité de l’ONU. Une telle reconnaissance vise à compenser le fait que la CPI ne soit pas un organe de l’ONU, encore moins une institution créée par un acte unilatéral du Conseil de sécurité comme c’est le cas des tribunaux ad hoc pour le Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie. La saisine par le Conseil prend par ailleurs tout son sens dès lors que les crimes relevant de la compétence de la Cour sont généralement commis à l’occasion de situations menaçant la paix et la sécurité internationales, le Conseil de sécurité étant seul habilité à maintenir la paix et la sécurité internationales conformément à l’article 24 de la Charte de l’ONU 4. 1 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, séminaire de justice internationale avec M. Raimbault (P.), article disponible sur : http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762949, référence de la page consultée le 1er avril 2010. 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (article13). 3 Pour plus d’informations, voir : Supra, pp. 27-32. 4 Ongono (D.F.), La Cour pénale internationale : réflexion sur la saisine, Gazette du palais, 23 décembre 2009, Nos 357/358, p. 20. 58 En sus, concernant la forme de l’article 13, il est remarquable que cet article soit rédigé de manière assez vague : la seule indication concernant la saisine par le Conseil de sécurité est qu’elle doit être effectuée par celui-ci « agissant en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU ». Dès lors, le Conseil doit satisfaire aux conditions posées par l’article 39 de la Charte de l’ONU afin d’user des pouvoirs accordés au titre du chapitre VII. Par ailleurs, nous remarquons que cet article traite d’« une situation déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU ». Contrairement à la saisine par un Etat ou par le Procureur, aucune indication ne vient préciser les modalités de la saisine par le Conseil de sécurité 1. Le rôle du Conseil de sécurité s’avère par conséquent prépondérant, même s’il ne dispose pas du plein pouvoir de contrôle sur les cas renvoyés devant la CPI. Rappelons que le Conseil de sécurité détient le pouvoir de saisir la CPI en vertu de ses pouvoirs inscrits dans la Charte de l’ONU et se doit ainsi de prendre en considération toutes les mesures dans le cadre du chapitre VII de la Charte de l’ONU : l’existence d’une menace contre la paix internationale, d’une rupture de cette paix ou d’un acte d’agression. En considération de ce qui précède, le Conseil de sécurité garde un rôle prépondérant dans l’activité effective de la CPI 2. Par conséquent, c’est une formulation dont l’imprécision laisse perplexe : une résolution est-elle nécessaire ou pouvons-nous envisager une saisine moins formaliste ? Si une résolution est requise, doit-il s’agir d’une « décision » ou la Cour pourrait-elle se satisfaire d’une simple « recommandation » ? Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre. En effet, il est important de remarquer que cette articulation, (décision et recommandation), ne peut être considérée comme le fruit du hasard dans la mesure où le projet du Statut présenté à la Conférence de Rome proposait, entre autres options, de retenir la phrase : « après que la décision ait été prise officiellement de renvoyer une affaire ». Il est plausible néanmoins que la question de la saisine par le Conseil de sécurité ne prêtant guère à controverse, à la différence d’autres sujets, sa rédaction n’ait pas fait l’objet de discussions, dans l’urgence résultant de la précipitation ambiante, caractéristique de la Conférence de 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 13, 14 et 15). 2 Zakr (N.), Les aspects institutionnels de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 471. 59 Rome 1. Un certain nombre d’indices incitent à retenir cette interprétation de la phrase « agissant en vertu de chapitre VII de la Charte de l’ONU », les travaux préparatoires allant dans le sens de l’exigence d’une « décision ». Ainsi, si la plupart des projets de Statut successifs évoquait une « décision », le projet de la CDI de 1994 ne prévoyait que « le renvoi d’une question devant elle (la Cour pénale internationale) par le Conseil de sécurité agissant dans le cadre du chapitre VII de la Charte de l’ONU »2. A une autre occasion, le projet de la CDI prévoyait : « comme indiqué ci-dessus au sujet de l’article 23, dans les affaires où la Cour est compétente en vertu d’une décision prise par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la Charte de l’ONU » 3. En effet, rien ne semble s’opposer à ce que l’expression « agissant en vertu du chapitre VII » revête la même signification que celle attribuée par la CDI en 1994. La saisine de la Cour par le Conseil de sécurité revêt un caractère obligatoire à l’égard des membres de l’ONU et il s’agit d’une « décision » telle que visée par l’article 25 de la Charte de l’ONU 4. Par ailleurs, l’architecture générale du Statut, dans sa version définitive, précise que le régime de consentement préalable à l’exercice de la compétence de la Cour n’est pas applicable lorsque la saisine émane du Conseil de sécurité. Selon le Statut, la Cour ne peut exercer sa compétence que si l’Etat sur le territoire duquel le crime a été commis est un Etat partie ou reconnaissant la compétence de la Cour et/ou si la personne accusée d’avoir commis le crime est citoyen de l’un de ces Etats. Mais exceptionnellement, si le renvoi a été traité par le Conseil de sécurité, ces conditions ne sont plus applicables 5. En outre, l’esprit même du Statut incite à penser qu’une « décision » du Conseil de sécurité serait indispensable. Selon cette interprétation qui s’avère aujourd’hui la plus 1 Le projet du Statut de la Cour pénale internationale (article 10). Voir aussi : Le rapport du Comité préparatoire pour la création d’une Cour criminelle internationale, A/CONF.183/2/Add.1, 14 avril 1998, p. 34. Prezas (I.), La justice pénale internationale à l'épreuve du maintien de la paix : à propos de la relation entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité, RBDI, Bruxelles, vol. XXXIX, 2006-1, pp. 65-67. 2 Le projet du Statut de la Cour pénale internationale (article 23-1). 3 Le rapport de la Commission du Droit international lors de sa quarante-sixième session, op. cit., p. 93. Voir aussi : la Charte des Nations Unies (articles 2-5, 25, 40 et 48). 4 Le projet du Statut de la Cour pénale internationale (Chapitre I- section I- II-B). Voir aussi : La Charte des Nations Unies (article 25). 5 Le projet du Statut de la Cour pénale internationale (chapitre I- section I- II-B). 60 vraisemblable, le Conseil de sécurité constatera dans un premier temps, au titre de l‘article 39 de la Charte de l’ONU, que « la situation » dans laquelle des crimes relevant de la compétence de la CPI semblent avoir été commis constitue « une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression ». En effet, le Conseil de sécurité a encore récemment qualifié à plusieurs reprises la violation massive des droits de l’Homme de « menace contre la paix ». Cela fut le cas notamment à propos de la Somalie et bien entendu de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda 1. Le Conseil décidera dans un second temps de saisir la CPI « à titre de mesure nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité internationales » en vertu de l’article 41 de la Charte de l’ONU. Mais quoi qu’il en soit, le terme « décision » n’a pas été retenu expressément par l’article 13 du Statut de Rome. Si, par ailleurs, la question de l’étendue des pouvoirs du Conseil de sécurité au titre de l’article 41 de la Charte de l’ONU a suscité de vives controverses s’agissant de la création des tribunaux ad hoc, elle n’est pas réapparue à l’occasion de l’élaboration du Statut de la CPI. Le pragmatisme dictait en tout état de cause cette alternative dès lors que le Conseil s’affirmait compétent pour créer de tels tribunaux ad hoc 2. En ce qui concerne la qualification d’une situation renvoyée devant la CPI, le Procureur évalue si la « situation » dans laquelle des crimes d’une certaine gravité ont été commis, relève ou non de la compétence de la CPI. Quoi qu’il en soit, chaque situation traduit un contexte général dans lequel un doute légitime pourrait amener à identifier des faits susceptibles d’être reconnus par la Cour. Cela diffère par conséquent du « cas » quant à lui concrétisé par des éléments précis tant au niveau des faits qu’au niveau des auteurs et des victimes. Le Procureur est compétent pour recevoir des plaintes sur des « situations », mais il est également le seul capable de les transformer en « cas » et d’engager des poursuites contre les personnes visées. Il doit donc établir à travers les faits ou la situation, l’existence d’une base raisonnable qui, une fois établie, détermine l’ouverture d’une enquête. Toujours en 1 La résolution 746 du 17 mars 1992, ainsi que la résolution du 25 mai 1993 et la résolution 929 du 22 juin, du Conseil de sécurité. S/RES (1992/1993). 2 Voir : Combacau (J.), Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies : résurrection ou métamorphose ? in Ben Achour (R.), Laghmani (S.), Les nouveaux aspects du droit international, Pédone, Paris, 1994, pp. 151152. Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., pp. 985-989. La résolution 808 du 22 février 1993 du Conseil de sécurité, S/RES/808 (1993). 61 rapport avec la qualification, le Procureur est donc le seul habilité à qualifier les situations renvoyées devant la Cour, même si le Conseil de sécurité s’est saisi de ces situations. Ainsi, ne pas imposer l’existence de l’action pénale laisse aux organes d’accusation de la CPI un pouvoir d’appréciation quant à l’ouverture d’une enquête ou au déclenchement de poursuites pénales. Toutefois, malgré ces larges pouvoirs d’appréciation accordés au Procureur, l’autonomie de cet organe d’accusation et celle de la Cour elle-même sont, plus ou moins, soumises au contrôle indirect et général exercé par le Conseil de sécurité. Cela révèle que l’exercice de la compétence de la CPI est soumis à certaines conditions qui méritent être examinées 1. Rappelons ici que concernant la compétence temporelle de la CPI, celle-ci n’est pas compétente vis-à-vis des crimes commis avant l’entrée en vigueur du Statut 2. L’article 11 du Statut prévoit que : « La Cour n’a compétence qu’à l’égard des crimes relevant de sa compétence commis après l’entrée en vigueur du présent Statut. Si un Etat devient Partie au présent Statut après l’entrée en vigueur de celui-ci, la Cour ne peut exercer sa compétence qu’à l’égard des crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut pour cet Etat, sauf si ledit Etat fait la déclaration prévue à l’article 12, paragraphe 3 » 3. Mais une question se pose : 1 Ongono (D.F.), La Cour pénale internationale : réflexion sur la saisine, op. cit., p. 22. Voir aussi : Bercheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 357. Voir : infra, pp. 157-194. Nous rencontrerons des cas pratiques dans lesquels le Conseil de sécurité a usé du pouvoir de saisir la Cour : il s’agit des renvois des situations soudanaise et libyenne devant la Cour pénale internationale. Nous évaluerons dans quelle mesure le Procureur de la Cour pénale internationale avait effectivement le choix de ne pas ouvrir d’enquête concernant la question soudanaise, s’il était le seul responsable pour qualifier les faits qui ont été commis au Soudan, et enfin si une base raisonnable permettait réellement d’ouvrir une enquête. 2 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., pp. 345-346. Voir aussi : Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., p. 988. Della morte (G.), Les frontières de la compétence de la Cour pénale internationale : observations critiques, op. cit., pp. 33-34. Le Statut de la Cour pénale internationale (article11). 3 Cela a été le cas pour la Côte d’Ivoire. Ce pays a signé le Statut de Rome le 30 novembre 1998 mais ne l’a jamais ratifié. En avril 2003, la Côte d'Ivoire a accepté la compétence de la CPI en vertu des dispositions de l'article 12-3 du Statut de Rome. Après un examen préliminaire, le Procureur a conclu qu’il existait une base raisonnable de croire que des crimes relevant de la compétence de la Cour avaient été commis en Côte d'Ivoire depuis le 28 novembre 2010. Communiqué de presse, Le Greffe confirme que la République de Côte d’Ivoire a accepté la compétence de la Cour, ICC-20050215-91-Fr, 15 février 2005. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 23 mais 2011. 62 l’article 13 du Statut de Rome permet-il au Conseil de sécurité d’élargir les compétences de la CPI à des crimes avant l’entrée en vigueur du Statut? En effet, la réponse à cette question pourrait être négative, étant donné que le Conseil de sécurité est tenu d’agir conformément aux buts de l’ONU, qui sont d’agir conformément aux principes de la justice et du droit international dont le Statut de Rome fait partie 1. Par conséquent, le Conseil de sécurité ne peut légitimement ignorer ce Statut. En revanche, il faut rappeler que si le Conseil de sécurité peut, selon l’article 13 du Statut de Rome, saisir la Cour d’une situation concernant un Etat non partie au Statut, cela pourrait de plus l’autoriser à saisir la Cour d’une situation antérieure à la date d’entrée en vigueur du Statut. Dans ce cas, la Cour serait-elle tenue d’y donner suite dès lors qu’elle n’est ni subordonnée au Conseil de sécurité, ni membre de l’ONU ? Quoi qu’il en soit, cette question est devenue académique depuis que l’ONU et la CPI ont conclu un accord régissant leurs relations mutuelles, cet accord disposant dans son article 2 que : « L’Organisation des Nations Unies reconnaît la Cour en tant qu’institution judiciaire permanente indépendante qui, conformément aux articles 1er et 4 du Statut, a la personnalité juridique internationale et la capacité juridique qui lui est nécessaire pour exercer ses fonctions et accomplir sa mission. 2. La Cour reconnaît les attributions que la Charte confère à l’Organisation des Nations Unies. 3. L’Organisation des Nations Unies et la Cour s’engagent à respecter mutuellement leur Statut et leur mandat »2. Par ailleurs, une autre question, relative à la saisine par le Conseil de sécurité, se pose ici : est-ce qu’un Etat qui n’a pas accepté la compétence de la CPI à l’égard du crime de guerre, comme l’y autorise l’article 124 du Statut, peut faire l’objet d’une saisine par le Conseil de sécurité sur le crime en question ? En effet, comme nous l’avons vu, la saisine du Conseil de sécurité pourrait paralyser les effets conventionnels du Statut en ce qui concerne les règles relatives au critère de compétence territoriale ou au critère de la nationalité. Si le 1 La Charte des Nations Unies (article 1). 2 L’accord entre la Cour pénale internationale et l’Organisation des Nations Unies (article 2). Voir aussi : David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 346. Voir : infra, pp. 130-132 et 158-160. Nous évoquerons des cas pratiques concernant cette question où le Conseil de sécurité a saisi la Cour des situations concernant des Etats non parties et où les faits qui relèvent de la compétence de la Cour avaient été déclenchés avant l’entrée en vigueur du Statut. 63 Conseil de sécurité peut déférer à la Cour des crimes commis par des ressortissants d’Etats tiers au Statut de Rome, il est difficile d’imaginer qu’il ne puisse le faire pour des ressortissants d’Etats parties au Statut simplement parce que ces Etats ont souscrit au régime transitoire de l’article 124 du Statut de Rome 1. C’est une situation discrétionnaire où le Conseil de sécurité possède, par le Statut de Rome, un large pouvoir d’intervention sur des ressortissants d’Etats tiers et non sur des ressortissants d’Etats parties 2. 1 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp.280-281. 2 Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, étude présentée à la Conférence Internationale concernant la Cour pénale internationale, Tripoli, Libye, 2007, p. 29. 64 § II. Les conditions préalables à la saisine Le Statut de Rome énonce les conditions préalables à l’exercice de la compétence de la CPI : La Cour n’est compétente que vis-à-vis des crimes visés par l’article 5 du Statut de Rome. Elle peut exercer sa compétence si l’un des Etats suivants ou les deux sont parties au Statut ou ont accepté la compétence de la Cour : L’Etat sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu ou l’Etat dont la personne accusée du crime est un ressortissant 1. La saisine faite par le Conseil de sécurité n’est pas vraiment conduite par des conditions bien prévues dans le Statut de Rome, en dehors de certaines dérogations portant sur le fond. Il n’empêche que cette modalité de saisine, à l’instar de celle initiée par les Etats, n’échappe pourtant pas au contrôle de la Cour. L’étude de ces conditions (ou dérogations) exige que plusieurs points, concernant l’objet de la saisine, son but et la possibilité d’envoyer un cas et non une situation devant la CPI, méritent être traités : - En ce qui concerne l’objet de la saisine : des questions se posent concernant l’objet de la saisine de la CPI par le Conseil, l’exigence de la gravité des crimes déférés ainsi que la possibilité d’envoyer à la CPI un cas particulier et non une situation. L’objet de la saisine doit consister en un ou plusieurs crime(s) visé(s) d’une manière exclusive par l'article 5 du Statut de Rome : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre. Le Conseil de sécurité ne peut par conséquent déférer de situations concernant des crimes de terrorisme, de trafic de drogues, d'immigration clandestine illégale, de blanchiment d'argent ou de traite de femmes et d’enfants 2. Cependant, rien ne s’oppose dans ces cas à ce que le Conseil de sécurité établisse un Tribunal pénal international à l’instar des tribunaux TPIY et TPIR. Lors d’une saisine effectuée par le Conseil de sécurité, ce dernier est tenu d’intervenir lorsqu’il défère une situation devant le Procureur de la CPI, en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU, et suite au constat que cette situation menace la paix et la sécurité internationales. Autrement dit, l’application de ce pouvoir est 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 5 et 12). 2 Ibid, (articles 5 et 12). 65 relative à la détermination préalable de l’existence d’une menace, d’une rupture de paix, ou d’un acte d’agression. Dès lors que les violations des droits de l’Homme sont susceptibles d’être qualifiées par le Conseil de sécurité de menace contre la paix, le Conseil de sécurité peut en réponse décider que l’engagement de poursuites pénales à l’encontre des individus auteurs des crimes contribuera au maintien de la paix 1. A ce propos, nous pouvons nous demander si la gravité du crime commis est un critère suffisant à la détermination de l’existence d’une telle menace. Pour cela, il faudrait s’en tenir aux crimes visés à l’article 5-1 du Statut afin de conclure à une situation menaçante. Le préambule du Statut de Rome reconnait à ce propos que les crimes relevant de la compétence de la CPI revêtent une telle gravité menaçant la paix, la sécurité et le bien-être du monde 2. A ce propos, deux points de vue semblent s’opposer : Le premier prend pour point de départ du raisonnement, le paragraphe 3 du préambule du Statut de Rome reconnaissant que des crimes d’une grande gravité menacent la paix et la sécurité internationales. Ce constat est à relier aux dispositions de la Charte de l’ONU relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Par conséquent, le Conseil de sécurité serait influencé par la gravité des crimes commis et par le risque que des responsables présumés restent impunis. Cette interprétation se reflète dans la pratique du Conseil de sécurité 3. Le deuxième point de vue considère que toute décision prise par le Conseil de sécurité de renvoi devant le Procureur de la CPI doit trouver une justification dans la 1 Kinombe (C.), Le Conseil de sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale: dépendance ou indépendance ?, disponible sur : http://www.memoireonline.com/12/12/6553/m_Le-Conseil-de-Securite-desNations-Unies-et-la-Cour-Penale-Internationale-dependance-ou-indepe3.html, référence de la page consultée le 10 janvier 2010. 2 Le paragraphe 3 du préambule du Statut de la Cour pénale internationale (Reconnaissant que des crimes d'une telle gravité menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde). 3 Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., pp. 439-440. Voir aussi : Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., pp. 32-36. 66 constatation préalable, faite en vertu de l’article 39, de l’existence d’une menace contre la paix internationale, d’une rupture de cette paix ou d’un acte d’agression 1. - En ce qui concerne la possibilité de saisir un cas particulier ou une situation : au sein du Comité préparatoire, une proposition a été avancée prévoyant la possibilité pour le Conseil de sécurité de renvoyer devant la CPI « un cas » et non une simple « situation ». Ainsi, cet organe disposerait d’un pouvoir propre et indéniable de dénonciation d’individus présumés responsables de crimes reliés à une situation visée à l’article 39 du chapitre VII. Afin d’appréhender pleinement ces mécanismes, il faut signaler que le projet du Statut de la CDI de 1993 présentait deux caractéristiques : il avait d’une part écarté le pouvoir de l’action du Procureur et prévoyait d’autre part que le Conseil de sécurité puisse saisir la Cour d’une « affaire » au sens d’un « cas particulier » 2. Une situation est formée par le contexte général des faits dans lequel un crime relevant la compétence de la Cour a été commis. Mais grâce à cette disposition (article 13 du Statut de Rome) la compétence de cette Cour ne peut être employée contre une personne spécifiquement et ne peut, par conséquent, faire office d’instrument politique contre un individu car le Statut dans son article 13 utilise le terme « situation » en déclarant que la CPI n’a compétence que vis-à-vis des situations dans lesquelles un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis 3. A ce sujet, deux idées sont exposées : - Certains estiment 4, en raison de la sélectivité selon laquelle le Conseil de sécurité intervient, que le pouvoir de renvoyer des cas déterminés aurait outrepassé 1 Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., pp. 439-440. Voir aussi : Le rapport de la Commission du Droit international lors de sa quarante-sixième session, op. cit., du 2 mai au 22 juillet 1994. La Charte des Nations Unies (articles 39 et 40). 2 Le projet du Statut de la Cour pénale internationale (article 29). 3 Ibid, (article 13). 4 Voir : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., pp. 438- 440. Cot (J.P), Pellet (A.), La Charte des Nations Unies commentaire article par article, op. cit., pp. 228-230. Laucci (C.), Compétence et complémentarité dans le Statut de la future Cour pénale internationale, L’observateur des Nations Unies, N° 7, 1999, pp. 140-141. Pellet (A.), Annuaire de la Commission du Droit international, Vol. I, publication des Nations Unies, 1994, pp. 16-17. Della morte (G.), Les frontières de la compétence de la Cour pénale internationale : observations critiques, op. cit., pp. 66-69. 67 les limites posées au Conseil de sécurité par la Charte de l’ONU, en particulier son chapitre VII. Ces limites ont trait au fait que cet organe n’est à même de gérer que des situations et non des cas, plus précisément des situations d’urgence pour la paix internationale. Il est amené de prime abord à constater ces situations en vertu de l’article 39 de la Charte de l’ONU, puis à adopter, en vertu des articles 41 et 42, des mesures d’une certaine ampleur à même de rétablir et de maintenir la paix. Le renvoi d’un cas constituant une dénonciation spécifique d’un ou de plusieurs crimes particuliers, même liés à une situation d’urgence pour la paix, ne peut par conséquent être perçu comme une mesure de rétablissement ou de maintien de la paix internationale. Autrement dit, une inquiétude quant à la bonne administration de la justice peut naître si le Conseil de sécurité use du pouvoir d’envoyer devant la CPI « un cas particulier » et non « une situation », ce qui signifierait que le Conseil de sécurité, dans sa décision de saisir la Cour, ne désignerait que des individus. Ceux-ci seraient alors susceptibles de faire l’objet d’une enquête et de poursuites de la part de la Cour 1. Selon ce régime, le Procureur, privé de tout pouvoir d’action, ne pourrait élargir les enquêtes et les poursuites à l’encontre d’autres individus paraissant avoir commis des crimes entrant dans la compétence de la Cour. Or, le terme « situation » ou « question » pour employer le terme retenu par le projet de la CDI de 1994, permettait de surmonter cet obstacle 2. De plus, lorsque le Procureur s’est vu confier le pouvoir de saisir la Cour, il a paru souhaitable de conserver le terme « situation » pour tenter de dépolitiser l’acte de saisine et de préserver l’indépendance du Procureur et à travers lui, celle de la Cour. En outre, d’un point de vue juridique, le Conseil de sécurité ne pouvant saisir la Cour que de « cas particuliers », il était tenu de déférer chaque cas séparément, d’où une certaine lourdeur du processus et une 1 Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., pp. 438-439. Voir aussi : Cot (J.P.), Pellet (A.), La Charte des Nations Unies commentaire article par article, op. cit., p. 228. 2 Le Statut de Rome distingue ainsi « situation » et « affaire ». Les situations, généralement définies par des paramètres temporels, territoriaux et éventuellement personnels, telle que la situation sur le territoire de la République démocratique du Congo depuis le 1er juillet 2002, font l’objet de procédures prévues par le Statut afin de décider si une situation donnée doit faire l’objet d’une enquête pénale, et de l’enquête en tant que telle : CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, Situation en République Démocratique du Congo, Chambre préliminaire I, ICC-01/04, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, 17 janvier 2006. Voir aussi : Amnesty international, site officiel d’Amnesty international, disponible sur : http://www.amnesty.org/fr, référence de la page consultée le 10 décembre 2009. 68 multiplication des risques de blocage : pour chaque « affaire », un débat devrait avoir lieu et une résolution devrait être adoptée 1. Il faut également rappeler que le Conseil de sécurité est un organe politique dont la finalité première n’est aucunement la promotion de la justice pénale internationale et que cet organe procède d’une nature éminemment politique. En raison de ces caractères et de cette nature, il serait opportun d’attendre une décision de saisine émanant du Conseil de sécurité dont la décision serait motivée par des aspects juridiques. Il serait plus conforme au souci d’indépendance et d’impartialité de la CPI de confier à un Procureur indépendant et guidé par des considérations juridiques la dénomination et la dénonciation des personnes à poursuivre. Un autre argument à l’encontre de la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité d’un « cas particulier » réside dans le fait que, n’étant pas un organe de nature judiciaire, le Conseil de sécurité ne dispose pas des moyens pour mener à bien une enquête permettant d’éclaircir les responsabilités pénales individuelles. Certes, il a su mettre en place des commissions d’enquête, notamment par rapport aux situations en ex-Yougoslavie et au Rwanda 2, mais celles-ci avaient pour mission l’appréciation d’une situation dans son ensemble et non la poursuite d’enquêtes pénales proprement dites. La Commission d’experts établie en 1992 afin d’enquêter sur les violations du droit international humanitaire sur le territoire de l’ex-Yougoslavie a conclu dans son rapport à l’existence de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de crimes de génocide, mais n’a en aucun cas mené de travail de désignation d’accusés pour ces actes 3. Les Commissions d’enquête instituées par le Conseil de sécurité ne paraissent donc pas constituer des instruments appropriés à la conduite d’une enquête préliminaire en matière pénale. Il est dès lors préférable que le Conseil de sécurité ne renvoie que des « situations » devant la CPI 4. 1 Laucci (C.), Compétence et complémentarité dans le Statut de la future Cour pénale internationale, op. cit., p. 140. Voir aussi : Pellet (A.), Annuaire de la Commission du Droit international, op. cit., p. 17. Della morte (G.), Les frontières de la compétence de la Cour pénale internationale : observations critiques, op. cit., pp. 6669. 2 La résolution 780 du 6 octobre 1992, du Conseil de sécurité, S/RES/780/1992. 3 Le rapport du Secrétaire général établi conformément au paragraphe 2 de la 808/1993 du Conseil de sécurité, S/25704, 3 mai 1993. 4 Bassiouni (C.), Introduction au droit pénal international, Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 255. 69 - Toutefois, d’autres auteurs 1 estiment que la limitation de la saisine par le Conseil de sécurité à des « situations » ne se justifie guère au regard de la Charte de l’ONU. Aucune disposition de celle-ci ne vient semble-t-il interdire au Conseil de déférer un « cas particulier » dès lors que cela contribue, toujours selon le Conseil de sécurité, au maintien de la paix et de la sécurité internationales, ce qu’il détermine discrétionnairement. Il est peu probable que le Conseil opte pour la poursuite devant la CPI d’un individu en vue de contribuer à ces missions mais il n’en reste pas moins qu’au regard des dispositions de la Charte, le Conseil de sécurité aurait la possibilité de mener à bien cette procédure. Il a d’ailleurs parfois été proche de la mise en cause directe d’individus dans un certain nombre de ses résolutions. Rappelons ici les longs débats au sein du Conseil de sécurité concernant la mise en cause de la responsabilité individuelle d’Ian Smith dans l’affaire rhodésienne ; également la résolution 864 du 15 septembre 1993 concernant la situation en Angola, dans laquelle était directement mis en cause des individus en tant qu’auteurs présumés. Ces cas témoignent qu’il est donc concevable que le Conseil de sécurité entreprenne de saisir la Cour non seulement de « situations » mais aussi de « cas particuliers ». De plus, le terme « situation » ne peut être traduit de manière restrictive, susceptible de désigner une part réduite d’un conflit, un groupe donné ou une entité militaire. De même, il ne peut être interprété comme renvoyant à un événement spécifique sans tenir compte du contexte général dans lequel il se produit. Ce sens ou ce concept variera, bien entendu, d’une affaire à l’autre mais devra être appréhendé dans son contexte général par le Procureur de la Cour. Il sera en dernier lieu soumis au contrôle judiciaire conduit par une chambre composée de trois juges avec un éventuel examen par la Chambre d’appel 2. Quant à l’alternative consistant à permettre au Conseil de sécurité de saisir la CPI soit d’un « cas particulier » soit d’une « situation » préalablement évoquée lors des travaux préparatoires, elle a en définitive été rejetée. Mais la question qui se pose est la suivante : 1 Voir : Hollweg (C.), Le nouveau Tribunal international de l’ONU et le conflit en ex-Yougoslavie : un défi pour le droit humanitaire dans le nouvel ordre mondial, RDPSP, N° 5, 1994, p. 1374. Pour plus d’informations, voir : Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 19. 2 Bassiouni (C.), Introduction au droit pénal international, op. cit., pp. 250-255.Voir aussi : Hollweg (C.), Le nouveau Tribunal international de l’ONU et le conflit en ex-Yougoslavie : un défi pour le droit humanitaire dans le nouvel ordre mondial, op. cit., pp. 1374-1375. 70 quelle serait la réaction de la CPI si elle était saisie par le Conseil de sécurité d’un « cas particulier » ? Le Conseil de sécurité, comme le prévoit le Statut, est tenu d’agir dans le respect des dispositions de ce dernier. Rappelons néanmoins qu’il est peu probable, au vu des travaux préparatoires, qu’ « un cas particulier » puisse être équivalent à « une situation » : le second terme englobant le premier, ces deux notions ont tout au long des débats été distinguées et opposées l’une à l’autre. En s’appuyant sur les dispositions du Statut, la Cour serait-elle amenée à rejeter une telle saisine ? Compte tenu du rôle déterminant que le Conseil de sécurité tiendra vraisemblablement dans le fonctionnement de la Cour, il est très improbable que le Procureur puisse rejeter une saisine émanant de cet organe d’autant que, comme le prévoit la Charte de l’ONU ainsi que le Statut même, le Conseil de sécurité agit en vertu du chapitre VII de la Charte pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Pour mener à bien cette mission, le Conseil aspire à adopter les mesures qu’il estimerait les meilleures 1. Etant donné que seule une « situation » peut être déférée devant le Procureur par le Conseil de sécurité, relevons un élément de l’article 12/3 2 du Statut de Rome qui emploie, semble-t-il par inadvertance, le terme « crime ». Ainsi, lorsqu’une situation est déférée devant le Procureur de la CPI, que ce soit par le Conseil de sécurité ou par un Etat partie ou non, celui-ci est en mesure d’ouvrir une enquête s’il estime qu’une « base raisonnable » permet l’engagement de poursuites en vertu du Statut. Le Procureur est ainsi le seul habilité à ouvrir une enquête sur une situation, quand bien même cette dernière aurait été déférée par le Conseil de sécurité 3. 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 13). La Charte des Nations Unies (articles 24, 25, 39, 41 et 42). 2 L’article 12-3 du Statut de la Cour pénale internationale déclare que : « Si l’acceptation de la compétence de la Cour par un Etat qui n’est pas Partie au présent Statut est nécessaire aux fins du paragraphe 2, cet Etat peut, par déclaration déposée auprès du Greffier, consentir à ce que la Cour exerce sa compétence à l’égard du crime dont il s’agit ». 3 Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 19. 71 Section II. L’avantage de la saisine par le Conseil de sécurité Dorénavant, il ne fait aucun doute que le Conseil de sécurité constitue l’un des outils de l’activation de la CPI comme le prévoit l’article 13 du Statut de Rome lui-même fondé sur le chapitre VII de la Charte de l’ONU. Le Conseil de sécurité est donc compétent pour saisir la CPI. Une nouvelle question se pose dès lors : Le fait d’accorder au Conseil de sécurité ce pouvoir présente-t-il des intérêts pour la CPI ? Abordons tout d’abord la question de l’avantage de la saisine par le Conseil de sécurité vis-à-vis de la compétence et du fonctionnement de la CPI (§ I). Nous tenterons enfin de mettre en évidence l’avantage de la saisine par le Conseil de sécurité vis-à-vis de la coopération entre les Etats et la CPI (§ II). § I. L’avantage de la saisine par le Conseil de sécurité vis-à-vis de la compétence et du fonctionnement de la Cour pénale internationale Selon le Statut de Rome, la CPI est à même d’exercer sa compétence sur un crime à condition que celui-ci ait été commis sur le territoire d’un Etat partie. Mais sa compétence est également engagée vis-à-vis de crimes ayant été commis par un ressortissant d’un Etat partie. Par cette disposition, le Statut de Rome permet de dénouer un débat qui fait date dans le domaine du droit pénal international : faut-il privilégier le lieu du délit ou le lien personnel ? Il faut cependant noter qu’au cas où une situation a été déférée à la CPI par le Conseil de sécurité, ces clauses ne sont plus applicables 1. Les critères préalables posés par le Statut de la CPI ne s’appliquent nullement au renvoi traité par le Conseil de sécurité 2. L’article 12-2 précise que les conditions préalables à l’exercice de la compétence de cette Cour ne sont pas requises lorsque cette dernière agit sur demande du Conseil de sécurité. Cette disposition fait donc de la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité un outil potentiellement fondamental. Ainsi, la CPI peut-elle acquérir un 1 Voir : Supra, pp. 31-32. 2 Cottereau (G.), Statut en vigueur, la Cour pénale internationale s’installe, op. cit., p. 141. Voir aussi : Bercheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 355. Huet (A.), La mise en place de la Cour pénale internationale, RRJ, droit et prospective, 2004/II, N° 2, p. 1302. 72 caractère universel lors de sa saisine par le Conseil de sécurité ? En effet, il faut distinguer dans cet élément un avantage indéniable permettant d’accorder une compétence universelle à la CPI. Conformément au Statut, si le renvoi a été prononcé par le Procureur ou par un Etat, partie ou non, ces conditions sont à satisfaire obligatoirement 1. Dans ce cas, la compétence de la CPI dépend toujours du territoire où le crime a été commis ou de la nationalité de l’auteur du crime. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un cas déféré devant la Cour par le Conseil de sécurité, ces conditions qui limitent la compétence de la Cour sont négligeables. Ce régime favorable reconnu à la saisine par le Conseil de sécurité a été envisagé dès les phases initiales de l’élaboration du Statut. Il a également été exigé dans le projet du Statut de la CPI présenté par la CDI puis conservé sans être réellement remis en cause par la suite 2. Rappelons que certaines de ces résolutions revêtent un caractère obligatoire à l’égard de la Communauté des Etats. Le renvoi d’une situation devant la CPI par le Conseil de sécurité permet donc de dépasser les contraintes relatives à la compétence de la CPI : une résolution du Conseil de sécurité est obligatoire pour tous les membres de l’ONU 3, qu’ils soient ou non parties au Statut de Rome. Elles confèrent ainsi aux décisions rendues par la CPI une meilleure universalité que ne le permettent les deux autres modalités de saisine. Par conséquent, le Conseil de sécurité est la seule entité habilitée à activer la compétence de la CPI, et ce indépendamment de tout lien entre l’Etat territorial, la nationalité de l’accusé et le crime commis 4. 1 Ottenhof (R.), L’association internationale de droit pénal et la création de la Cour pénale internationale, RIDP, 73/2002, Nos 1-2, p. 34. Voir aussi : Cottereau (G.), Statut en vigueur, la Cour pénale internationale s’installe, op. cit., p. 141. 2 Le projet du Statut de la Cour pénale internationale (articles 23-1 et 25). Voir aussi : le rapport de la Commission du Droit international lors de sa quarante-sixième session, op. cit., du 2 mai au 22 juillet 1994. Ottenhof (R.), L’association internationale de droit pénal et la création de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 44. 3 Les observations de la délégation lors de la Conférence de Rome, A/CONF.183, 15 juillet 1998. 4 Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, RGDIP, 109/2005, N° 2, p. 343. 73 Il apparaît au vu d’une lecture parallèle des articles 13-b et 12-2 1 que la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité va permettre de s’affranchir des conditions posées à l’article 12 portant sur le déclenchement de la compétence de la Cour par les Etats. En effet, le paragraphe 2 de l’article 12 renvoie uniquement aux alinéas a et c de l’article 13, écartant ainsi implicitement de son champ d’application l’aliéna b de cet article visant la saisine par le Conseil de sécurité. Le consentement des Etats quant à la compétence de la Cour est présumé, s’agissant de tout membre de l’ONU, en vertu de l’article 25 de la Charte lorsque le Conseil de sécurité adopte une décision au titre du chapitre VII 2. En effet, il semble que ces conditions préalables, lorsque la situation est traitée par le Conseil de sécurité, proviennent de l’application de la Charte de l’ONU. Il est vrai que ce pouvoir accordé au Conseil de sécurité est lié au Statut de Rome mais il faut rappeler en même temps que le Conseil de sécurité exerce ce pouvoir conformément à la Charte de l’ONU en tant que gardien de la paix et de la sécurité internationales 3. Par la suite, le Conseil de sécurité pourra imposer la compétence de 1 En effet, l’article 13 du Statut de Rome, appelé Exercice de la Compétence, déclare que : « La Cour peut exercer sa compétence à l'égard d'un crime visé à l'article 5, conformément aux dispositions du présent Statut : a) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un Etat Partie, comme prévu à l'article 14 ; b) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; ou c) Si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime en question en vertu de l'article 15 ». En revanche, l’article 12 du Statut, appelé Conditions préalables à l’exercice de la compétence, déclare que : « 1. Un État qui devient Partie au Statut accepte par là même la compétence de la Cour à l'égard des crimes visés à l'article 5. 2. Dans les cas visés à l'article 13, paragraphes a) ou c), la Cour peut exercer sa compétence si l'un des Etats suivants ou les deux sont Parties au présent Statut ou ont accepté la compétence de la Cour conformément au paragraphe 3 : a) L'Etat sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu ou, si le crime a été commis à bord d'un navire ou d'un aéronef, l'Etat du pavillon ou l'Etat d'immatriculation ;b) L'Etat dont la personne accusée du crime est un ressortissant. 3. Si l'acceptation de la compétence de la Cour par un Etat qui n'est pas Partie au présent Statut est nécessaire aux fins du paragraphe 2, cet Etat peut, par déclaration déposée auprès du Greffier, consentir à ce que la Cour exerce sa compétence à l'égard du crime dont il s'agit. L'Etat ayant accepté la compétence de la Cour coopère avec celle-ci sans retard et sans exception conformément au chapitre IX ». Ainsi, le Statut de Rome a décidé de ne pas appliquer ces conditions préalables à l’exercice de la compétence de la CPI lorsque cette Cour est saisie par le Conseil de sécurité. 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 12 et 13). Voir aussi : l’article 24 de la Charte des Nations Unies qui stipule que « les membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte». 3 Ibid, (article 25). 74 la CPI à des Etats non parties au Statut. Par conséquent, la CPI pourrait poursuivre tout citoyen d’un Etat n’ayant pas reconnu la compétence de cette Cour lorsque la situation concernant cet Etat a été déférée devant la Cour par le Conseil de sécurité 1. Ainsi, si ce recours est employé, cela obligerait un Etat qui n’a pas ratifié le Traité, qui n’est pas partie au Statut et qui ne reconnaît pas la compétence de cette Cour, ce qui porterait atteinte à la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. Cette Convention énonce en effet, dans sa quatrième section appelée « traité et Etats tiers » et par son article 34 appelé « règle générale concernant les Etats tiers », que « Un traité ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement »2. En effet, il faut noter que ce choix du Statut de Rome, d’octroyer au Conseil de sécurité ce pouvoir, outrepasse la volonté des Etats et la frontière de leur souveraineté. Assurément, il serait plus aisé pour le cheminement de la Cour de pouvoir compter sur le consentement et la collaboration de tous les Etats, a fortiori ceux connaissant des situations de violations graves et systématiques des droits de l’Homme. Mais cela s’apparente à une utopie, la réalité des rapports internationaux étant tout autre. Il s’agit ici d’une réalité dans laquelle entrent en compte les pouvoirs du Conseil de sécurité qui, par un choix souverain des Etats parties à la Charte de l’ONU, jouit d’amples pouvoirs en vue du rétablissement et du maintien de la paix internationale. En sus, prenant en considération toutes les mesures adoptées par le Conseil qui entretiennent un lien avec la CPI, il est remarquable qu’elles apparaissent dans le cadre du chapitre VII de la Charte, en particulier les mesures concernant la constatation. Ainsi, le constat de l’existence d’une menace contre la paix internationale, d’une rupture de cette paix ou d’un acte d’agression est une justification préalable nécessaire à tout renvoi devant cette Cour. Autrement dit, le Conseil de sécurité ne peut se prononcer ou appliquer le droit avant d’avoir constaté l’une des situations prévues à l’article 39 en vertu du chapitre VII. Il ne 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 12). 2 La Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (article 34). 75 pourrait par exemple constater directement l’existence d’actes de génocide sans s’en référer aux situations visées à l’article 39 de la Charte de l’ONU 1. Le pouvoir que détient le Conseil de sécurité de saisir la CPI provient du chapitre VII de la Charte de l’ONU. Depuis la création des deux tribunaux pénaux ad hoc en exYougoslavie et au Rwanda, le rôle du Conseil de sécurité en matière de justice pénale internationale est reconnu dans le but de maintenir la paix et la sécurité internationales. La CDI elle-même était de cet avis : « la Commission a estimé qu’une telle disposition était nécessaire pour permettre au Conseil de sécurité de faire appel à la CPI au lieu de créer un tribunal spécial et lui permettre aussi de réagir face à des crimes qui font offense à la conscience de l’humanité. D’un autre côté, la Commission n’entend nullement renforcer ni étoffer les pouvoirs du Conseil de sécurité tels qu’ils sont définis dans la Charte et se borne à mettre à sa disposition le mécanisme juridictionnel créé aux termes du Statut»2. Ainsi, la faculté offerte au Conseil de sécurité de saisir la Cour paraît propice à la prééminence du rôle octroyé à la CPI, le Conseil de sécurité n’étant alors plus contraint de créer de nouveaux tribunaux ad hoc 3. Même si le Conseil de sécurité juge qu’une telle situation est la conséquence directe d’une urgence humanitaire, il devra néanmoins constater une situation découlant de faits plus ou moins objectivement identifiables. Ce n’est qu’après qu’il pourra estimer qu’un ou plusieurs crimes semblent avoir été commis. La compétence du Conseil de sécurité à l’égard de l’activité de la Cour se trouve toutefois ultérieurement limitée par les dispositions du Statut de la Cour à la lumière desquelles cette compétence doit être perçue. Ces dispositions obligent non pas tous les membres de l’ONU mais tous les Etats parties au Statut à assurer le fonctionnement de la Cour sur l’initiative du Conseil de sécurité selon les règles et les 1 Georges (L.), Mongellaz (G.), Actualité des pouvoirs du Conseil de sécurité, Séminaire fermé organisé par le Centre sur la défense et la sécurité internationale (CEDSI) de la Faculté de droit de l’Université de Grenoble II. Grenoble, le 19 novembre 2004, p. 3. Voir aussi : La Charte des Nations Unies (article 39). 2 Le rapport de la Commission du Droit international, op. cit., p. 92. 3 Politi (M.), Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale : le point de vue d’un négociateur, op. cit., p. 838. 76 procédures prévues 1. Cet avantage concernant les résolutions du Conseil de sécurité soulève néanmoins un problème, à savoir la nature politique des décisions du Conseil de sécurité et l’usage du droit de veto des pays permanents 2. Par ailleurs, la propension du Conseil de sécurité à utiliser les instruments établis dans le chapitre VII pour interférer sur les conflits internes est en augmentation. Ces interventions masquent parfois des intérêts de nature non juridique susceptibles d’influencer le Conseil de sécurité dans une éventuelle saisine. D’autant que des membres permanents du Conseil de sécurité nourrissent une certaine hostilité envers la CPI, ce qui pourrait se manifester dans l’exercice du droit de veto que la Charte leur attribue 3. En outre, s’agissant du renvoi par le Conseil de sécurité, les conditions préalables ne sont plus appliquées. Le Conseil renvoie cette situation en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU, ce renvoi étant le plus souvent fondé sur des bases politiques et non juridiques 4. En l’absence de dispositions reconnaissant un rôle au Conseil de sécurité en matière de saisine de la Cour, celui-ci aurait pu persister à procéder par le biais de l’institution de tribunaux ad hoc, ce qui n’a pas été souhaitable à bien des égards. Face aux reproches adressés par nombre d’Etats à l’encontre de la création de ces tribunaux, la possibilité offerte au Conseil de sécurité de saisir la Cour est apparue comme un moindre mal, voire comme un moyen de remédier à ces reproches. Autrement dit, accorder au Conseil de sécurité ce pouvoir de saisir la CPI évite la création de nouveaux tribunaux ad hoc ainsi que les difficultés rencontrées lors de leur mise en place et de leur fonctionnement 5. Néanmoins, bien que ce recours puisse présenter un avantage relatif, est-il à même dans les faits de proscrire définitivement la création de nouveaux tribunaux ad hoc ? Une telle interdiction est-elle 1 Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 440. Voir aussi : Zakr (N.), Les aspects institutionnels de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 471. 2 Pour plus d’informations, voir : Supra, pp. 69-71. 3 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, (I.E.H.E.I.), étude faite par le Centre international de formation européenne, 2006, article disponible sur : http://www.ie- ei.eu/bibliotheque/memoires/2006/DAINOTTI.pdf, référence de la page consultée le 22 février 2010. pp. 40-41. 4 Pour plus d’informations, voir : infra, pp. 157-194. Le cas du Soudan et celui de la Libye. 5 Kinombe (C.), Le Conseil de sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale: dépendance ou indépendance ?, op. cit., http://www.memoireonline.com/12/12/6553/m_Le-Conseil-de-Securite-des-NationsUnies-et-la-Cour-Penale-Internationale-dependance-ou-indepe3.html. 77 clairement énoncée au sein du Statut ou de tout autre texte ? En réalité, il revient toujours au Conseil de sécurité seul de décider de saisir la CPI, ou de créer un tribunal ad hoc ou bien d’adopter toute autre mesure. Remarquons cependant que depuis le commencement du travail de la CPI, le Conseil de sécurité n’a pas créé de tribunal ad hoc. Au contraire, il a déféré deux situations (la situation du Soudan et celle de la Libye) à la CPI. Voici un pas qui pourrait révéler sa réticence à créer de nouveaux tribunaux ad hoc. Dans tous les cas, le fait d’autoriser le Conseil de sécurité à saisir la CPI ne permet pas d’éviter la création de ces tribunaux mais peut constituer une nouvelle mesure pour le Conseil de sécurité vis-à-vis d’une situation menaçant la paix et la sécurité internationales. 78 § II. L’avantage de la saisine par le Conseil de sécurité vis-à-vis de la coopération entre les Etats et la Cour pénale internationale La CPI ne disposant pas d’une force de police propre, c’est de la coopération des Etats que va dépendre son aptitude à fonctionner efficacement, d’où l’importance des dispositions du Statut s’y rapportant 1. Il est donc essentiel, pour le bon fonctionnement de la Cour, que les Etats parties coopèrent sans réserve dès l'ouverture de l'enquête, et jusqu'à l'exécution de la peine prononcée 2. Il existe dans le Statut de Rome un chapitre, le chapitre IX, appelé « coopération internationale et assistance judiciaire ».Ce chapitre porte sur les principales dispositions relatives à la coopération des Etats. Pour chaque obligation de coopérer, le Statut précise les règles et procédures à suivre, permettant à la Cour d’agir de manière juste et efficace 3. La CPI peut inviter les Etats non parties à prêter leur assistance conformément au chapitre IX, sur la base d’un arrangement ad hoc ou d’un accord conclu entre la Cour et cet Etat, ou sur toute autre base appropriée 4. Le Statut de la CPI permet également à cette Cour de demander la coopération et l’assistance de toute organisation intergouvernementale. Il ouvre même la possibilité d’une coopération de la Cour avec le Conseil de sécurité. Cette possibilité est d’ailleurs prévue, bien qu’en des termes peu clairs, dans l’accord de coopération de la CPI avec l’ONU. Cet accord prévoit, dans son article 17 appelé Coopération entre le Conseil de sécurité de l’ONU et la Cour, paragraphe 3, que : « Lorsque, la Cour, ayant été saisie par le Conseil de sécurité, constate, conformément à l’article 87, paragraphe 5 b, ou paragraphe 7, du Statut, qu’un Etat se refuse à coopérer avec elle, elle en informe le Conseil de sécurité ou lui défère la question, selon le cas, et le Greffier communique au Conseil de sécurité, par l’entremise du 1 Bullier (A.), Les Etats face à la justice pénale internationale : coopération ou contrainte ? Petites affiches, 16 septembre 1999, N° 185, p. 6. Voir aussi : Abou Alkair (A.), La Cour pénale internationale permanente, Dar Elnahda, Le Caire, 2001, pp. 15-32. 2 Mansor (A.), La Cour pénale internationale, Dar Elnahda, Le Caire, 1999, pp. 99-102. Voir aussi : Broomhall (B.), La Cour pénale internationale : présentation générale et coopération des Etats, op. cit., p. 155. 3 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 86 à 102). 4 Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les juridictions pénales internationales, op. cit., http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la- repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.html. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale (article 98). 79 Secrétaire général, la décision de la Cour et des informations pertinentes sur l’affaire. Le Conseil de sécurité, par l’entremise du Secrétaire général, porte à la connaissance de la Cour, par l’entremise du Greffier, toute mesure qu’il prend en l’espèce »1. Par ailleurs, les demandes de coopération de la CPI ne sont assorties d’aucun véritable pouvoir de contrainte. Si un Etat ne se conforme pas aux demandes de la Cour, celleci a la possibilité de saisir l’Assemblée des Etats parties, qui examine toutes questions relatives à la non-coopération des Etats 2. L’Assemblée, pour sa part, adopte ses décisions par consensus ou, à défaut, à la majorité des deux tiers des Etats présents et votants 3. En revanche, lorsque c’est le Conseil de sécurité qui a saisi la CPI, celle-ci pourra l’aviser en cas de non-coopération des Etats, dans ce cas, le Conseil de sécurité pourrait décider de prendre des mesures dans le cadre du chapitre VII 4. Dans l’hypothèse de non-coopération d’un Etat, la CPI n’aura les moyens nécessaires à la réalisation de sa mission que si le Conseil de sécurité déclenche la procédure 5. En sus, il convient de noter que la décision de la CPI, lorsque cette dernière est saisie par le Conseil de sécurité, ne s’identifie pas automatiquement à des décisions du Conseil de sécurité, en matière de coopération. Les Etats tiers au Statut de Rome, ne sont donc pas a priori tenus d’y répondre ; pour qu’il en aille autrement, il faut que le Conseil de sécurité, en saisissant la Cour, décide que les Etats tiers doivent apporter leur assistance à la CPI 6, comme dans le cas du Soudan, et celui de la Libye. Concernant ces renvois devant la CPI par le 1 Pour plus d’information, voir : Kirsch (P.), Les enjeux et les défis de la mise en œuvre de la Cour pénale internationale : la construction des institutions, in Les Journées Maximilien-Caron, 2003, Montréal, Québec, p. 15. Voir aussi : Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les juridictions pénales internationales, op. cit., http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematiquede-la-repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.html. 2 L’articles 87-7 du Statut de Rome stipule que « Si un État Partie n'accède pas à une demande de coopération de la Cour contrairement à ce que prévoit le présent Statut, et l'empêche ainsi d'exercer les fonctions et les pouvoirs que lui confère le présent Statut, la Cour peut en prendre acte et en référer à l'Assemblée des États Parties ou au Conseil de sécurité lorsque c'est celui-ci qui l'a saisie ». 3 Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, RGDIP, 103/1999, N° 1, p. 43. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale (article112). 4 Ibid, (article 87-7). 5 Broomhall (B.), La Cour pénale internationale : présentation générale et coopération des Etats, op. cit., p. 57. 6 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 367. 80 Conseil de sécurité, la résolution 1593/2005 du Conseil de sécurité renvoyant la situation soudanaise devant la CPI impose au Soudan et à toutes les autres parties au conflit, une obligation de coopérer avec la Cour 1. Malgré le changement du style, le résultat dégagé par la résolution 1953 du Conseil de sécurité concernant le Soudan a été semblable à celui de la résolution 1970 du Conseil de sécurité concernant la Libye. Lorsque le Conseil de sécurité a décidé de déférer les crimes commis en Libye à la CPI, il a annoncé la nécessité de la coopération de tous les Etats pour mettre en œuvre cette résolution. Il a également décidé que tous les Etats devaient coopérer avec la CPI, soulignant et reconnaissant que le Statut de Rome n’impose aucune obligation aux Etats qui n’y sont pas parties 2. En outre, la relation entre la CPI et le Conseil de sécurité, en matière de coopération, n’est pas seulement disciplinée par le Statut de la CPI, mais aussi en vertu des dispositions de l’Accord qui a eu lieu entre ces deux organes et qui régit leurs relations. Il énonce, en ce qui concerne l’obligation de coopération et de coordination, que l’ONU et la Cour se mettent d’accord pour faciliter l’exercice effectif de leurs responsabilités respectives, de coopérer profondément, et de se consulter sur les questions d’intérêt mutuel, en vertu des dispositions du présent Accord et conformément aux dispositions pertinentes de la Charte et du Statut. Une coopération efficace avec l’ONU est particulièrement importante pour la Cour 3. L'Accord de relation entre les deux, signé respectivement le 4 octobre 2004 par le Président de la Cour et le Secrétaire général de l’ONU, contient des dispositions générales concernant la coopération entre ces deux organes 4. L’ONU et la Cour coopèrent dans la mesure du possible concernant 1 Al kasimi (M.), La création de la Cour pénale internationale : un pas vers le développement du système juridique international, le Journal du droit, Koweït, 2002, p. 43. Voir aussi : La résolution 1593 du 1er juillet 2005 du Conseil de sécurité UN.Doc.S/RES/1593 (2005). En effet, la coopération du Soudan avec la CPI a été quasiment inexistante. En décembre 2007 et juin 2008, le Procureur de la Cour a dénoncé ce manque de coopération devant le Conseil de sécurité. Ainsi, le 16 juin 2008, la présidence du Conseil de sécurité a adopté une déclaration rappelant l'obligation du Soudan de coopérer avec la Cour. D'autres organisations, telles que l'Union européenne, ont également appelé le Soudan à coopérer avec la Cour et à arrêter et remettre à la Cour les accusés. Voir : Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 37. Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, op. cit., pp. 43-44. Voir aussi : La résolution 1593 du 1er juillet 2005 du Conseil de sécurité op. cit., 1593 (2005). 2 La résolution 1970 du 26 février 2011 du Conseil de sécurité UN.Doc.S/RES/1970 (2011). 3 Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., p. 38. 4 CFCPI : site officiel de la Coalition française pour la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.cfcpi.fr/, référence de la page consultée le 11 décembre 2010. Voir aussi : Tine (A.), Les défis de la 81 les normes, méthodes et arrangements en matière de personnel, et ils s’interrogent constamment sur les questions d’intérêt commun. Cet Accord annonce même une coopération administrative : l’ONU et la Cour se questionnent, pour l’utilisation optimale des installations, du personnel et des services afin d’éviter de mettre en place et d’utiliser des installations et des services faisant double emploi 1. D’autre part, comme il a été mentionné, le Statut de la CPI a prévu que la Cour peut recourir au Conseil de sécurité dans certains cas, en ce qui concerne la coopération avec elle, à savoir lorsque le Conseil de sécurité saisit la CPI, celle-ci pourra l’aviser en cas de noncoopération des Etats, ici le Conseil de sécurité pourrait décider de prendre des mesures dans le cadre du chapitre VII 2. Le Conseil de sécurité, selon la Charte, ayant vocation à gérer les crises internationales, est investi de la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales 3. Les objectifs du Conseil de sécurité naviguent donc, en théorie, dans la même direction que les objectifs de la CPI. Même si, les façons, les manières ou les styles de réaliser ces objectifs sont différents, le résultat est enfin : obtenir une authentique paix et une véritable sécurité internationale 4. Cette convergence de tâches, de missions ou d’objectifs, peut être l'une des raisons pour lesquelles, la relation entre ces deux organes a été indispensable, surtout en ce qui concerne la coopération. En effet, même si le rôle joué par les opérations de maintien de la paix du Conseil de sécurité, dans la coopération avec la CPI, est important, ces opérations ne sont pas les seules à jouer un rôle. Tout d’abord, si le Conseil de sécurité a déféré une situation devant la Cour, situation dans laquelle la CPI demande coopération pour juger les responsables de crimes, il tient logiquement un rôle dans cette coopération puisque c’est lui-même qui a dès le départ, déféré cette situation devant la Cour. De plus, une fois que la CPI s’est mise au travail, Cour pénale internationale, article disponible sur : http://www.frontlinedefenders.org/node/312, référence de la page consultée le 23 mars 2010. 1 Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., pp. 39-40. 2 Broomhall (B.), La Cour pénale internationale : présentation générale et coopération des Etats, op. cit., p. 157. Voir aussi : Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 25. 3 La Charte des Nations Unies (articles 24 et 28). 4 Abou Alkair (A.), La Cour pénale internationale permanente, op. cit., pp. 41-52. Voir aussi : Adris (A.), Quelle relation entre la juridiction pénale internationale et le maintien de la paix et la sécurité internationales ?, étude présentée à la Conférence Internationale de la Cour pénale internationale, Tripoli, 2007, pp. 8-13. 82 l’attention s’est tout naturellement portée vers des questions pratiques, à savoir si elle parviendrait à fonctionner aisément et à accomplir sa mission incontestablement 1. En effet, ces questions dépendront de la portée et de la vigueur de la coopération que les Etats proposeront à la CPI. Cette coopération ne doit pas seulement venir des Etats parties à la Cour, mais aussi de ceux qui ne le sont pas. Rappelons ici que lorsque la CPI est saisie par le Conseil de sécurité, tous les Etats membres de l’ONU devraient mettre en œuvre cette saisine 2. En outre, il faut signaler que cet avantage pose toujours la question de la contradiction avec la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, qui énonce, dans sa quatrième section appelée « traité et Etats tiers » dans son article 34 appelé « règle générale concernant les Etats tiers », que « Un traité ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement » 3. Cette possibilité crée des obligations à l’encontre d’un Etat qui n’a pas ratifié le Traité, n’est pas partie au Statut et n’accepte pas la compétence de cette Cour. En effet, une fois la CPI en place, l’attention se trouve dans la vigueur de la coopération, que les Etats offriront à la CPI. Mais cette coopération n’est pas suffisante si elle n’est obtenue que de la part des Etats parties au Statut de Rome, car il est nécessaire, dans certains cas, d’avoir une coopération des pays qui ne sont pas parties. Alors, en avançant l’idée qu’au-delà du principe général du droit des traités, la coopération avec la CPI n’a plus un caractère volontaire, de ce fait, même si un Etat n’a pas adhéré à la CPI, il peut être soumis à l’obligation de coopérer avec elle dans certaines circonstances. Rappelons qu’il est vrai que ces pays sont membres de l’ONU, qu’ils n’appliquent qu’une obligation faite par le Conseil de sécurité, et que cela n’a aucun rapport avec le Statut de Rome. Mais en appliquant cette obligation et en coopérant avec la Cour, il y aurait une possibilité que ces pays se trouvent obligés de respecter et d’appliquer des obligations imposées par le Statut de Rome, alors qu’ils ne sont pas parties et qu’ils n’acceptent pas la compétence de cette Cour 4. Par ailleurs, le Statut, dans un souci constant de ne pas octroyer un rôle excessif dans la procédure au Conseil de sécurité, ne retient le recours à celui-ci que lorsqu’il est à l’origine 1 Abou Alkair (A.), La Cour pénale internationale permanente, op. cit., pp. 10-13. 2 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 367. 3 La Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (article 34). 4 Zakr (N.), Les aspects institutionnels de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 469 83 de la saisine. Comme énoncé précédemment, la saisine par le Conseil de sécurité, du fait qu’elle résulte d’une décision au titre du chapitre VII de la Charte de l’ONU, entraine l’obligation pour tout Etat membre de l’ONU de coopérer avec la CPI 1. La violation de cette obligation, dont la Cour prend acte et réfère au Conseil de sécurité, du moins s’agissant d’Etats parties au Statut 2, ne va pas en elle-même appeler des sanctions de la part de ce dernier. Celui-ci n’est pas, en effet, le garant de la légalité internationale, mais du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Ce n’est, par conséquent, que dans l’hypothèse où ce non-respect de l’obligation de coopération constituerait une menace pour la paix, qu’il pourrait, à la suite de cette détermination, décider de mesures, au titre du chapitre VII de la Charte de l’ONU 3. A ce propos, une critique s’impose quant à la volonté du Statut de limiter le recours au Conseil de sécurité, au cas où celui-ci serait à l’origine de la saisine de la Cour : cette restriction portée par le Statut de Rome paraît relativement illusoire. Rien ne semblait s’opposer, en effet, à ce que le Conseil de sécurité détermine que le refus de coopérer avec la CPI, dont a priori, il aura tout autant de chances d’avoir connaissance que s’il avait lui-même été à l’origine de la saisine, constitue une menace contre la paix et la sécurité et décide, en conséquence, des mesures nécessaires à sa cessation. En effet, il faut rappeler que le Conseil de sécurité est le seul à décider, si une telle situation menace la paix. Il est également le seul à décider si une telle mesure est adéquate 4. Ainsi, si le Conseil de sécurité défère une situation à la CPI, cela explique que cette situation menace véritablement la paix et la sécurité internationales, et que cette saisine ne présente qu’une mesure prise par le Conseil de sécurité contre cette situation, et que la CPI doit prendre les démarches nécessaires concernant cette situation. Alors, au cas où il y aurait un refus d’Etat de coopérer avec la Cour, sans aucun doute, ce refus ralentirait l’avancement du travail de la CPI. Par conséquent, il n’y aurait « peut-être » ni d’enquêtes, ni de procédures, ni de jugements, ce qui signifie que suspendre l’intervention du Conseil de sécurité consistant à prendre des mesures contre un Etat qui refuse de coopérer avec la CPI, à condition que ce refus menace la paix et la sécurité internationales, devient illogique. En effet, si cette situation ne menace pas la paix et la sécurité internationales, le Conseil de sécurité ne la défère pas dès 1 La Charte des Nations Unies (article 25). 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 87-7). 3 La Charte des Nations Unies (articles 41 et 42). 4 Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., p. 21. 84 le début, sauf s’il avait, au moment de décider de renvoyer la situation à la CPI, d’autres intérêts cachés, qui ne consistaient pas uniquement à maintenir la paix et la sécurité internationales. De plus, la suspension de l’intervention du Conseil de sécurité, en cas de refus de coopérer avec la Cour, à condition que ce refus menace la paix et la sécurité internationales, ne protège pas vraiment la CPI de l’intervention de ce Conseil. Au contraire, elle octroie à ce dernier un autre rôle qui lui permet de paralyser le travail de la CPI et de contrôler strictement le travail de cette dernière, d’autant que nous savons que le Conseil de sécurité est le seul à décider si cela menace la paix et la sécurité ou non, donc l’obligation d’un Etat de coopérer avec la CPI serait toujours tributaire d’une décision du Conseil de sécurité 1. Par ailleurs, le Conseil aura une discrétion totale dans le choix des mesures à adopter en réponse à la non-coopération d’un Etat 2. A ce propos, si nous nous en tenons aux dispositions statutaires, la possibilité de mesures coercitives, en cas de saisine par le Conseil de sécurité, permettra à la CPI de fonctionner de manière plus efficace, en théorie du moins, que dans l’hypothèse où elle est saisie par un Etat partie ou le Procureur. Cependant, dans la pratique, le bilan de l’activité des tribunaux pénaux internationaux ne rend guère optimiste quant à l’éventualité d’un accord des membres permanents du Conseil de sécurité sur l’adoption de mesures coercitives en réponse à un manquement par un Etat à son obligation de coopération. Citons notamment la résolution 10/19/1995 qui dénonce, en réponse à un rapport du TPIY, le refus de coopérer des autorités serbo-bosniaques de Pale. Autre exemple, tout aussi éloquent : la résolution 12/07/1998, concernant le refus des autorités yougoslaves d’autoriser l’entrée du Procureur du tribunal au Kosovo. Une fois de plus, ici, le Conseil de sécurité réaffirme l’obligation de coopérer, condamne la violation, mais s’abstient de décider de quelconques sanctions précises 3. 1 Al Kasimi (M.), La création de la Cour pénale internationale : un pas vers le développement du système juridique international, op. cit., p.51. 2 Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Arrêt de la chambre d’appel, affaire IT-95-14-AR 108 bis, 29/10/1997. 3 Le Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (article 28). Voir aussi : La Charte de l’ONU, (articles 25, 39 et 41). Les résolutions 1019/1995 et 1207/1998 du Conseil de sécurité, UN.DOC.S/RES/119 (1995), 1207 (1998). 85 Dans ces cas de figure apparaissent les limites du partenariat entre la CPI et le Conseil de sécurité, la promotion de la justice pénale internationale et le maintien de la paix et de la sécurité internationales n’étant pas nécessairement conciliables, à court terme, aux yeux des membres du Conseil de sécurité. Sanctionner l’Etat, avec lequel il est souhaitable de négocier, n’est pas nécessairement, en effet, le moyen le plus sûr de maintenir la paix et la sécurité internationales. Mais il faut aussi signaler que ce Tribunal pénal international a été créé par la propre intervention du Conseil de sécurité. Ce qui signifie que ce Tribunal est un instrument ou un moyen du Conseil de sécurité. Donc, ce Tribunal possède une relation avec le Conseil de sécurité, bien évidemment, beaucoup plus forte que celle de la CPI, qui a été créée par la volonté des Etats parties. En effet, le fait de créer un tribunal ou de saisir la CPI d’une situation ne comporte pas la même connotation de sanction, à partir du moment où les enquêtes et poursuites sont censées viser indifféremment, les différents protagonistes. Sanctionner la non-coopération d’un Etat constitue pour le Conseil de sécurité un pas supplémentaire, il serait amené à pointer cet Etat du doigt. Il se peut également que des mesures coercitives aient déjà été décidées au regard de la situation dans son ensemble, et qu’il n’y ait plus guère de choix de mesures supplémentaires possibles pour traiter plus précisément par la suite un refus de coopération. En conclusion, dans la mesure où l’adoption de mesures coercitives par l’Assemblée des Etats parties, semble pour le moins hypothétique, la faculté de la CPI de mener à bien une procédure dépendra de l’appui que pourra lui apporter le Conseil de sécurité, ce qui est loin d’être acquis. Nous pouvons émettre certaines craintes quant à l’incidence que cette dépendance pourrait avoir sur la relation entre la CPI et le Conseil de sécurité : celle-ci se voulait équilibrée au regard du Statut de Rome, elle ne le sera probablement pas en pratique, si la frilosité des Etats à coopérer entrave l’action de la CPI, et que le recours au Conseil de sécurité devient son unique salut. L’indépendance de la CPI pourrait alors être la première victime de son efficacité. De reste, comme nous l’avons mentionné, lorsque la CPI est saisie par le Conseil de sécurité, l’obligation des Etats non parties au Statut de Rome de coopérer avec la CPI ne s’identifie pas automatiquement, il faut que le Conseil de sécurité décide également que les Etats tiers doivent coopérer avec la CPI1. Alors, si le Conseil de sécurité ne 1 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 37. Voir aussi : Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, op. cit., pp. 43-44. La 86 prend pas ce genre de décision, tout ce que la CPI peut faire, en cas de refus de collaboration d’un Etat non partie au Statut, c’est d’informer le Conseil de sécurité, à qui il appartiendra, éventuellement, de décider si l’Etat tiers, bien entendu s’il est membre de l’ONU, doit obtempérer aux demandes de coopération de la CPI 1. La question de la coopération avec la CPI représente également une des grandes préoccupations des ONG, qui concerne la prévision dans le Statut de mécanismes de sanctions susceptibles d’être dissuasives à l’encontre des Etats récalcitrants. S’il s’agit d’un Etat non partie, l’obligation de coopérer ne peut découler que d’un accord ou d’un arrangement ad hoc, conclu avec la CPI. Dans l’hypothèse de la défaillance d’un Etat, qu’il soit partie, ou qu’il ait conclu un tel accord, la CPI ne pourra qu’en référer à l’Assemblée des Etats parties ou au Conseil de sécurité quand celui-ci l’aura saisie. En revanche, s’il s’agit d’un Etat non partie et que celui-ci n’a conclu aucun accord, la CPI est totalement démunie. En pratique, un Etat réfractaire n’aura guère de souci à se faire s’il ne se plie pas à son obligation de coopération, dans la mesure où l’Assemblée des Etats parties ne dispose d’aucun moyen coercitif 2. Ainsi, dans l’hypothèse où la CPI n’aura pas été saisie par le Conseil de sécurité, l’Etat récalcitrant ne fera l’objet que de recommandations. Une question reste posée : l’Assemblée des Etats parties et/ou, un Etat, ou le secrétaire général, pourront-ils saisir le Conseil de sécurité s’ils considèrent que la résistance d’un Etat à coopérer avec la CPI constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales ? Les mécanismes, instaurés par le Statut de Rome de la CPI, n’ont pas aboli les procédures, classiques, de saisir le Conseil de sécurité, en cas de menace contre la paix et la sécurité internationales. En dernière instance, et comme toujours, seul le Conseil de sécurité dispose de moyens d’action coercitifs établis au chapitre VII de la Charte de l’ONU. Soit des opérations de maintien de la paix se déroulent sur le territoire de l’Etat réfractaire, et la Communauté internationale y est engagée militairement. Dans cette hypothèse, le stade de la sanction sera dépassé, puisque le plus souvent, les forces militaires recevront mandat d’exécuter les ordres d’arrestation, comme cela s’est passé au Kosovo. Soit, pour des raisons politiques, la Communauté internationale décide de ne pas aller au-delà résolution 1593 du 1er juillet 2005 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. La résolution 1970 du 26 février 2011 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 87). 2 Abou Alkair (A.), La Cour pénale internationale permanente, op. cit., p. 115. 87 d’une pression diplomatique et politique, par une simple résolution du Conseil de sécurité. Par conséquent, les sanctions, tant en droit qu’en pratique, seront soit inexistantes soit dépassées 1. En sus, il ne faut pas oublier que si le Conseil de sécurité veut prendre des mesures pour obliger l’Etat récalcitrant à coopérer avec la Cour, ce Conseil de sécurité doit intervenir en prenant une décision. Dans ce cas, il ne faut également pas oublier l’existence du droit de veto au sein de ce Conseil, ainsi que les membres permanents et leurs pouvoirs, par lesquels ils peuvent paralyser la prise de cette décision, d’autant plus que ces membres ne sont pas tous parties au Statut de Rome. Cela peut probablement faire obstacle à la prise de décision du Conseil de sécurité, et constituer par la suite un obstacle à la coopération avec la CPI2. En effet, l’obligation des pays à coopérer avec la Cour par une décision du Conseil de sécurité, l’existence du droit de veto et la réaction hostile de certains pays qui ont ce droit par rapport à la CPI, leur donnent la possibilité de réaliser leurs intérêts politiques et économiques avec les pays en question. Agissant selon leurs intérêts, ils ont la faculté de paralyser la prise de décision de coopération, mais également celle de favoriser la prise de cette décision. La question qui se pose ici est de savoir quelles sont les mesures, les sanctions, que le Conseil de sécurité peut ou doit prendre contre l’Etat récalcitrant. Ni le Statut de Rome de la CPI, ni l’Accord signé entre la CPI et l’ONU, qui définissent les règles régissant les relations entre l’ONU et la Cour, ne prévoient de disposition concernant cette question. Ainsi, le Conseil de sécurité n’est pas obligé de prendre des mesures et des sanctions contre cet Etat, et il a totalement le choix libre. De plus, le Statut de Rome n’a pas abordé le cas où le Conseil de sécurité refuse d’obliger l’Etat en question à coopérer avec la CPI, et même le cas dans lequel le Conseil de sécurité reste silencieux sans déclaration, vis-à-vis du refus de l’Etat récalcitrant. Dans de tels cas, quelle sera la réaction de la CPI ? Quelle est la prochaine étape qu’elle doit prendre ? L’affaire se termine-t-elle à cette présente station ? Si c’est le cas, le Conseil de sécurité aura-t-il un autre moyen implicite d’arrêter les enquêtes et les poursuites devant la CPI ? 1 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 246. Voir aussi : Buchet (A.), Le transfert devant les juridictions internationales, op. cit., pp. 969-980. 2 Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les juridictions pénales internationales, op. cit., http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la- repression-des-crimes-de-droit-international-par-les-juridictions-penales-int17.html. 88 En effet, la CPI ne peut qu’informer le Conseil de sécurité qu’un Etat concerné a refusé de coopérer avec elle, rien d’autre. En conséquence, l’activation de la CPI serait, dans ce cas, suspendue à la réaction du Conseil de sécurité, surtout en ce qui concerne la question de la coopération avec cette Cour qui est considérée comme une des questions les plus importantes pour la CPI. Autrement dit, que faire en cas de défaut de coopération des Etats, c'est-à-dire de violation de leurs engagements ? Nous mesurons que les règles correctrices prévues par le droit international général, d’ailleurs de faible portée, sont insuffisantes. Quant au Statut de Rome, il prévoit seulement que la CPI, en cas d’échec dans sa coopération avec les Etats, ou en cas de refus d’un Etat de coopérer avec la Cour, peut en référer à l’Assemblée des Etats parties, organe plénier de l’institution 1. Si l’affaire dans laquelle la CPI n’a pu obtenir la coopération des Etats a été déférée par le Conseil de sécurité, en tant qu’un des mécanismes d’activation de la Cour, dans ce cas la CPI doit en référer au Conseil de sécurité. Toutefois, rien n’est dit ou prévu sur le contenu des mesures qui peuvent être prises pour favoriser le retour à la coopération ou pour tirer les conséquences d’un refus persistant. En effet, il semble que le Statut de Rome tente d’encadrer le rôle du Conseil de sécurité dans certaines situations et de l’appliquer dans d’autres 2. Mais la question ici est : le Conseil de sécurité peut-il réellement y parvenir ? Peut-il imposer la coopération avec la CPI par une résolution prise en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU ? Les résolutions du Conseil de sécurité ne provoquent-elles pas la question de la supériorité intellectuelle de ces résolutions ? 1 Mansor (A.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 75. 2 Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, op. cit., p. 43. Voir aussi : Broomhall (B.), La Cour pénale internationale : présentation générale et coopération des Etats, op. cit., p. 157. Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 87 et 112). 89 Chapitre II La saisine par le Conseil de sécurité : un risque pour l’activité de la Cour pénale internationale 90 La faculté offerte au Conseil de sécurité de saisir la CPI constitue désormais une réalité indéniable : le Conseil est à même de décider du renvoi d’une situation dans laquelle il perçoit, de lui-même, non seulement l’existence d’une menace ou d’une rupture de la paix internationale mais aussi l’existence d’un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la CPI. Même si le Conseil ne peut conclure directement à l’existence d’une menace ou d’une rupture de la paix à travers l’accomplissement d’un des crimes prévus dans le Statut, on remarque qu’il détient, en particulier lors de la phase initiale de vérification, un pouvoir discrétionnaire, l’article 30 de la Charte en témoigne se limitant à dire « que le Conseil constate l’existence… »1. Cet élément pourrait élargir le champ d’action de la juridiction permanente. S’agissant ici plus spécifiquement du rôle du Conseil de sécurité dans l’activité de la CPI, la place qui lui est accordée par le Statut de Rome suscite, malgré son importance, certaines remarques et interrogations qui méritent d’être étudiées. Analysons ces observations, dont certaines ont trait à l’éventuelle politisation de la compétence de la CPI (Section I) et d’autres au principe de complémentarité (Section II). Section I. Une éventuelle politisation de la compétence de la Cour pénale internationale Si la primauté des conditions établies par la Charte de l’ONU ne souffre guère de discussion, le pouvoir dévolu au Conseil de sécurité par le Statut de Rome suscite quant à lui quelques observations. Comme nous l’avons vu, la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité permet de ne pas appliquer les conditions préalables à l’exercice de la compétence de la CPI. Le Statut de la Cour consacre ainsi la possibilité pour la CPI de tendre à l’universalité 2. 1 2 La Charte des Nations Unies (articles 24, 30 et 39). Cottereau (G.), Statut en vigueur, la Cour pénale internationale s’installe, op. cit., p. 141. Voir aussi : Bercheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 355. Huet (A.), La mise en place de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 1302. Ottenhof (R.), L’association internationale de droit pénal et la création de la Cour pénale internationale. RIDP, 73/2002, Nos 1,2, p. 34. 91 Or, cet avantage pourrait être critiqué, non seulement pour l’absence de légalité de l’action et de la primauté du Conseil de sécurité mais aussi pour la question du droit de veto. En effet, si le Conseil de sécurité s’apprête à renvoyer une situation devant la CPI, les pays permanents sont à même de bloquer cette résolution en vertu de leur droit de veto, qui leur permet de paralyser totalement une résolution proposée par les autres membres. Ce sont donc eux qui ont le dernier mot 1. Dans ce cas, la compétence de cette Cour serait entre les mains de ces Etats. Faire saisir la CPI par le Conseil de sécurité devient une carte essentielle pour les membres permanents, non seulement pour obtenir une justice pénale internationale mais aussi pour servir leurs intérêts politiques et économiques. De plus, par ce pouvoir de saisine à la disposition du Conseil de sécurité, les membres permanents ont incontestablement un nouvel instrument avec des effets obligatoires à l’égard de tous les Etats membres de l’ONU. En effet, conformément à l’article 25 de la Charte de l’ONU tous les membres de l'ONU conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte. Cela constitue l’une des raisons qui rendent les effets de ce pouvoir paradoxaux : les Etats-Unis, qui ne sont même pas partie au Traité de Rome, pourraient, en raison de leur qualité de membre permanent, examiner le déclenchement de l’activité de la Cour et, priver des garanties qu’une saisine par le Conseil de sécurité apporte. Par ce fameux droit de veto, l’idée d’un Conseil de sécurité au service des intérêts de certains de ses membres permanents prend de la consistance et relève, de plus en plus, du lieu commun 2. Autrement dit, le caractère universel de la CPI ne serait renforcé que par la réforme très attendue de la Charte de l’ONU, qui devrait par ailleurs prévoir l’abolition du droit de veto pour toutes les interventions de type humanitaire et qui, simultanément, entérinerait une meilleure représentation géographique de tous les Etats membres de l’ONU au sein du Conseil de sécurité 3. Rappelons que le Conseil de sécurité se prononce toujours sur un texte à la majorité qualifiée de neuf voix sur quinze pour toute question de procédure. Pour les autres 1 Zarka (J.C), Institutions internationales, op. cit., p. 42. Voir aussi : Weiss (P.), Les organisations internationales, op. cit., p. 36. Mutabaruka (A.), La problématique de la répression des crimes de droit international par les juridictions pénales internationales, op. cit., http://www.memoireonline.com/06/09/2106/m_La-problematique-de-la-repression-des-crimes-de-droitinternational-par-les-juridictions-penales-int17.html. 2 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, retour sur une résolution « historique » du Conseil de sécurité, RGDIP, Paris, tome 112, N° 1, 2008, p. 114. 3 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 83. 92 questions, les décisions du Conseil sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres comprenant les voix de tous les membres permanents 1. Dans la pratique, seul un vote négatif est considéré comme un veto. L'abstention ou l'absence d'un membre permanent lors d'un vote au Conseil de sécurité n'est donc pas synonyme de veto 2. D’où une nouvelle interrogation : la décision du Conseil de sécurité de saisir la CPI est-elle une question de procédure ou de fond ? Il s’agit ici d’une question de fond, d’autant plus qu’en cas de doute la qualification est une question de fond. Il apparaît donc que la contribution du Conseil à l’action de la Cour dépendra en pratique du concours d’Etats qui ont manifesté leur hostilité à son institution et qui disposent de la capacité de bloquer cette contribution. Ainsi, quelles que soient les circonstances, la décision de saisir la CPI serait tributaire des pays permanents au Conseil de sécurité et de leurs propres intérêts, qui sont davantage des intérêts politiques et économiques que juridiques 3. De surcroît, le pouvoir de saisir la CPI par le Conseil de sécurité doit être entendu non seulement comme une borne aux pouvoirs du Conseil de sécurité mais aussi comme une invitation faite aux Etats d’éviter l’intervention de cet organe, en vertu du chapitre VII, dans leurs affaires internes. Afin d’esquiver une telle intervention, il leur suffit de livrer à la justice les responsables présumés de crimes. Quant à ceux qui connaissent des situations de crise à l’intérieur de leurs frontières, ils n’ont qu’à intégrer le système en ratifiant le Statut de la Cour afin d’éviter que la CPI n’agisse sur initiative du Conseil de sécurité contre leur propre volonté. Cela leur permettra non seulement de soumettre à la Cour une situation qui leur est étrangère mais aussi une situation dans laquelle ils sont impliqués et à laquelle il leur est difficile de faire face. Nous pouvons encore évoquer des situations comme celle de la Sierra Leone dans laquelle de graves violations des droits de l’Homme ont été commises, principalement par des bandes armées. Ainsi, la participation d’un Etat au Statut représentera non seulement un progrès de civilisation mais aussi une réaffirmation de sa propre souveraineté et donc de son prestige en tant qu’Etat souverain. 1 Zakr (J.C.), Institutions internationales, op. cit., p. 42. Voir aussi : Weiss (P.), Les organisations internationales, op. cit., p. 36. 2 Cot (J.P), Pellet (A.), La Charte des Nations Unies commentaire article par article, op. cit., pp. 505-509. 3 Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, op. cit., p. 44. Voir aussi : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 441. 93 De plus, cette participation lui permettra de contrôler de l’intérieur le respect par le Conseil de sécurité lui-même mais aussi par la CPI des dispositions statutaires. De même, une non-participation au Statut aura pour seul bénéfice d’éviter des poursuites à des membres permanents au Conseil de sécurité, (en dernière analyse seulement les Etats-Unis et la Chine), dans le cas où la Cour reconnaît des crimes commis sur leur territoire ou par leurs citoyens. Il n’en sera pas ainsi pour tous les Etats. Même s’ils ne deviennent pas parties au Statut et ne reconnaissent donc pas la compétence de la Cour, le Conseil de sécurité pourra tout de même lancer une procédure concernant des crimes commis sur leurs territoires par leurs citoyens, à moins que, naturellement, ils ne pourvoient eux-mêmes à la sanction des criminels 1. En ce qui concerne la saisine par le Conseil de sécurité, le bilan n’est pas encourageant même si la création de tribunaux ad hoc vient tempérer cette constatation 2. Citons par exemple la manière avec laquelle le Conseil de sécurité a appréhendé la situation en République Démocratique du Congo en 1998 : alors que la Commission d’enquête mise en place par l’ONU rapportait la perpétration de crimes contre l’humanité et recommandait leur soumission à un Tribunal pénal international, le Conseil de sécurité n’a pas donné suite. De même, l’inaction du Conseil de sécurité a pu être constatée s’agissant des Kurdes d’Irak, au sujet desquels les preuves de génocide abondaient. Même si, en ces deux occasions, la nonexistence d’une CPI permanente, alliée aux difficultés de la mise en place d’un tribunal ad hoc, a pu avoir un effet dissuasif sur le Conseil de sécurité, il n’est pas certain que la CPI, une fois instituée, constitue le remède absolu à cette inaction. En effet, il n’y a aucune assurance que, face à des crimes relevant de la compétence de cette Cour, des considérations d’ordre politique ne viendront pas faire obstacle à la mise en œuvre par le Conseil de sécurité de sa faculté de saisine de la CPI. Il est important que l’ensemble des Etats ratifie le Traité de la CPI, celle-ci représentant un système de justice pénale internationale permettant l’accomplissement d’objectifs internationaux. Par ailleurs, les Etats bénéficient par cette ratification de la protection du Conseil de sécurité face à leurs difficultés internes. En effet, affirmer que la ratification du Statut de Rome protège les Etats de l’intervention du Conseil de sécurité est discutable. S’agissant tout 1 Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 442. 2 Le rapport de la Commission du droit international sur sa 46e session, op. cit., deuxième partie, p. 46. 94 d’abord des Etats, un Etat partie pourrait de lui-même renvoyer la situation devant la Cour. S'il ne souhaite pas la déférer ou s’il n’est pas en mesure de mener à bien les poursuites, le Procureur de la Cour pourrait lui-même intervenir en faisant office de ses propres pouvoirs. A l’inverse, un Etat non partie peut, en vertu du Statut de Rome et sans intervention du Conseil, envoyer une situation devant la CPI dès lors qu’il reconnaît la compétence de cette Cour. Par conséquent, tous les Etats, parties ou non, peuvent déférer des situations à la CPI sans avoir besoin de ratifier le Statut. S’agissant ensuite du Conseil de sécurité, d’après le Statut de Rome, il peut déférer à la CPI toutes questions même si l’Etat concerné fait partie du Statut de cette Cour. Cela signifie donc que l'adhésion au Traité instaurant cette Cour ne protège pas toujours les Etats de l'intervention du Conseil de sécurité 1. Enfin, une question sur le pouvoir de la CPI de contrôler ou réexaminer la saisine faite par le Conseil de sécurité se pose. La CPI pourrait-elle contrôler ce genre de saisine ? En effet, le contrôle de la CPI, en règle générale, est essentiellement basé sur le respect de sa compétence 2, le Conseil de sécurité ne dispose ainsi que du droit de déférer des observations à la CPI, en vertu de l’article 19 § 3 qui permet au Procureur de « demander à la Cour de se prononcer sur une question de compétence ou de recevabilité ». Le Procureur doit déterminer le contexte général de la situation qui sera soumis au contrôle judiciaire conduit par une chambre de trois juges et un éventuel examen de la Chambre d’appel 3. En vertu du Statut de Rome, en ce qui concerne la compétence ou la recevabilité, ceux qui ont déféré une situation, ainsi que les victimes, peuvent également soumettre des observations à la CPI4. En effet, la vérification par la Cour du respect des limites de sa compétence ne se présente que comme un moyen de contrôle. Il est évident que la Cour exerce un tel contrôle 5.Ce genre de contrôle de la part de la CPI ne pose pas un problème. En revanche, l’étendue de ce pouvoir de contrôle est incertaine. L’originalité de ce pouvoir du Conseil de sécurité demeure dans le fait qu’il s’agit d’une action basée sur deux piliers : les modalités de la saisine de la Cour sont déterminées par le Statut de Rome et elles s’expliquent par les 1 Zakr (N.), Les aspects institutionnels de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 472. 2 L’article 19 § 1 du Statut de la Cour pénale internationale dispose que « la Cour s’assure qu’elle est compétente pour connaître de toute affaire portée devant elle ». 3 Bassiouni (C.), Introduction au droit pénal international, op. cit., p. 225. 4 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 13). 5 Bassiouni (C.), Introduction au droit pénal international, op. cit., pp. 228-230. 95 compétences reconnues au Conseil de sécurité dans la Charte. Ce double rattachement rend inévitable l’exercice d’un contrôle à deux étapes. Un premier contrôle réside dans la vérification de la conformité de la saisine avec les conditions prévues par le Statut de Rome, alors que dans un second contrôle, il s’agit de contrôler ce genre de saisine par rapport au Chapitre VII de la Charte de l’ONU 1. Ces deux types de contrôle ne présentent apparemment pas le même genre de difficultés. Le contrôle prévu par le Statut de Rome est plus facile à réaliser en raison de l’autonomie de la Cour. En revanche, le contrôle de la CPI concernant le pouvoir du Conseil de sécurité d’invoquer le Chapitre VII est beaucoup plus délicat. La Cour n’aurait, peut-être, pas de difficulté à décider sur la légalité du recours au Chapitre VII et à justifier l’intervention du Conseil de sécurité dans le domaine de la justice pénale internationale. En revanche, il serait plus difficile, voire irréalisable, de contrôler la discrétion laissée au Conseil de sécurité quant à la qualification d’une situation en vertu de l’article 39 de la Charte. Il n’est pas simple de voir la Cour apprécier la légalité de la saisine en tant que mesure pour le maintien de la paix. En effet, le contrôle exercé par la CPI sur les qualifications du Conseil de sécurité, en vertu de l’article 39 de la Charte de l’ONU, ne satisfait pas les exigences d’un contrôle juridictionnel global. Cette absence de contrôle global tient certainement à la nature de l’organe politique de l’ONU, et au caractère obligatoire des décisions qu’il prend. Le fait que le Conseil de sécurité possède ces pouvoirs, prévus dans la Charte de l’ONU, constitue une force essentiellement basée sur la nature du contrôle que la CPI peut exercer. Enfin, la CPI se trouve incapable d'assurer un contrôle efficace quand il s'agit du Conseil de sécurité et de ses pouvoirs, en particulier son pouvoir relatif à la saisine 2. En effet, la CPI se trouve paralysée afin de mener un examen pour vérifier la recevabilité lorsqu’il s’agit d’une saisine faite par le Conseil de sécurité. Ainsi, si la saisine a été présentée à la CPI par le Conseil de sécurité, celle-ci n’aurait qu’à accepter sans la moindre possibilité d'un rôle de surveillance ; même si la CPI souhaite un tel contrôle, elle se heurtera aux pouvoirs du Conseil de sécurité reconnus par la Charte de l’ONU. 1 Ibid, p. 229. 2 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp.282-284. 96 Section II. Les difficultés liées à l’application du principe de complémentarité La CPI est dotée d’un rôle secondaire par rapport aux juridictions nationales en ce qui concerne la répression des crimes relevant de sa compétence. Il faut noter que le projet de la CDI a été extrêmement favorable aux Etats car il suffit à un Etat de déclarer qu’une procédure au niveau interne a été engagée pour qu’il soit reconnu prioritaire dans l’exercice de sa compétence 1. Néanmoins, le Statut de Rome prévoit dans ce cas que la Cour peut toujours exercer sa compétence si elle estime cet Etat peu volontaire ou peu compétent pour mener à bien cette procédure 2. Toujours en vertu de ce Statut, il semblerait que le principe de complémentarité s’applique à tout Etat et pas seulement aux Etats parties au Statut. L’article 17 n’est guère explicite sur ce point en désignant « un Etat ayant compétence en l’espèce »3 et pas un Etat partie comme le prévoient les autres dispositions du Statut. Ainsi, lorsqu’une disposition ne vise que les Etats parties ou applique un régime particulier aux Etats non parties, elle le fait explicitement. Cette formulation est-elle néanmoins un critère suffisant pour conclure que le principe s’applique de manière large 4 ? Cette restriction est aisément compréhensible puisque la Cour a été instituée par un Traité multilatéral : les Etats ont, tout au long de l’élaboration du Statut, été soucieux de préserver leur souveraineté et en particulier leur faculté de réprimer les crimes commis sur leur territoire ou relevant de leur compétence à un autre titre. Aussi, la primauté de cette Cour sur les juridictions nationales n’a-t-elle à aucun moment été sérieusement envisagée. D’ailleurs, l’adoption du Statut de la CPI n’a été réalisable que parce qu’a été affirmé le principe de complémentarité de la compétence de cette Cour avec celle des 1 Dobelle (J.F.), La Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 355-363. Voir aussi : Le projet de la Commission de Droit international (article 35). Le rapport de la Commission du Droit international sur les travaux de sa 46e session, op. cit., p. 13. 2 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 31. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale (article 5). Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., p. 985. 3 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 17). 4 Laucci (C.), Compétence et complémentarité dans le Statut de la future Cour pénale internationale, op. cit., p. 150. 97 juridictions nationales. Ce principe est à l’inverse de celui qui gouverne le fonctionnement des tribunaux ad hoc puisque ceux-ci bénéficient d’une primauté sur les juridictions nationales 1. En sus, le Statut hésite constamment entre la motivation internationaliste qui l’inspire, et les arrière-pensées étatiques qui n’ont jamais cessé de hanter les échanges de la Conférence de Rome 2, les dispositions du Statut concernant la complémentarité en étant une bonne illustration. Par ailleurs, la barrière de la souveraineté étatique qui se manifeste dans l’exigence d’une acceptation de la compétence de la CPI par des Etats déterminés, peut être surmontée dans le cas où le Conseil de sécurité, « agissant en vertu du Chapitre VII », renverrait devant le Procureur « une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis » 3. De plus, l’article 17 du Statut de Rome relatif aux questions d’admissibilité ne semble pas faire de différences entre les trois modes de saisine. A priori, ce principe s’appliquerait également à la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité 4. Cela revient à se demander si le Conseil de sécurité est seulement tenu par les dispositions du chapitre VII de la Charte de l’ONU ou si les règles et les procédures posées par le Statut de Rome peuvent aussi encadrer l’action du Conseil de sécurité. Autrement dit, serait-il possible que le principe de complémentarité, prévu dans le Statut de Rome, soit appliqué même si la situation a été déférée par le Conseil de sécurité ? En effet, ni le projet final du Statut de la CPI proposé par la CDI, ni les premières séances du Comité Préparatoire, ni l’Accord entre la CPI et l’ONU, n’envisagent d’exemption au principe de complémentarité à travers la saisine par le Conseil de sécurité et n’apportent de précision quant à cette question 5. A ce propos, le Statut de Rome souligne dans son préambule 1 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 95. 2 Pellet (A.), Pour la Cour pénale internationale, quand même ! L’observateur des Nations Unies, N° 5, 1998, p. 144. Voir aussi : Dobelle (J.F.), La Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 350-360. 3 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 13-b). Voir aussi : Pazartzis (P.), La répression pénale internationale des crimes internationaux, op. cit., p. 69. Della morte (G.), Les frontières de la compétence de la Cour pénale internationale : observations critiques, op. cit., pp. 22-26. 4 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 17). 5 Le projet d’Accord entre la Cour pénale internationale et les Nations Unies, conformément à l’article 2 du Statut de la Cour pénale internationale, PCNICC/2001/1/Add.A.1. 98 que « la Cour pénale internationale dont le présent Statut porte création est complémentaire des juridictions pénales nationales » et il énonce dans son article 17, appelé « questions relatives à la recevabilité », que : « Eu égard au dixième alinéa du préambule et à l’article premier, une affaire est jugée irrecevable par la Cour lorsque : a) L’affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un Etat ayant compétence en l’espèce, à moins que cet Etat n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites ; b) L’affaire a fait l’objet d’une enquête de la part d’un Etat ayant compétence en l’espèce et que cet Etat a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l’effet du manque de volonté ou de l’incapacité de l’Etat de mener véritablement à bien des poursuites ; c) La personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l’objet de la plainte, et qu’elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l’article 20, paragraphe 3 ; d) L’affaire n’est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite ». Le texte concernant le principe de complémentarité étant peu explicite, la doctrine s’est donc vue partagée sur la question de l’application de ce principe à la saisine du Conseil de sécurité : - Pour certains 1, il est remarquable que, par l’affirmation du principe de complémentarité, le Statut de Rome privilégie la compétence nationale en établissant une présomption au profit des juridictions nationales et que l’exercice de la compétence de la CPI intervient en dernier ressort uniquement pour combler l’incapacité ou l’absence de volonté de la part des juridictions nationales. Ainsi, ce principe est-il appliqué quel que soit le mécanisme d’activation de la compétence de la CPI et même si le renvoi devant cette Cour a été prononcé par le Conseil de sécurité 2. 1 Voir : Pellet (A.), Pour la Cour pénale internationale, quand même !, op. cit., p. 144. Pazartzis (P.), La répression pénale internationale des crimes internationaux, op. cit., pp. 79-80. Ottenhof (R.), L’association internationale de droit pénal et la création de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 45. 2 Pazartzis (P.), La répression pénale internationale des crimes internationaux, op. cit., p. 80. 99 Il est peu rationnel d’attendre des Etats qu’ils renoncent de concert et de leur propre chef à leur autonomie juridictionnelle. Il est de même manifeste que les juridictions nationales sont, dans la majorité des cas, les mieux placées pour agir 1, notamment pour ce qui est de l’accès aux éléments de preuve. Mais par-dessus tout, la justice pénale est davantage exercée à ce niveau qu’au niveau international, où elle en est encore à ses balbutiements. Cette question se pose à l’égard de la procédure sur la recevabilité du cas, selon l’article 17 du Statut de la Cour, qui s’applique dans l’hypothèse du renvoi d’une situation par le Conseil de sécurité. Si ce dernier ne prend pas en considération le principe de complémentarité au moment de sa décision de renvoi, il peut être démenti par la CPI pendant la phase de recevabilité du cas avec comme conséquence une atteinte à l’autorité du Conseil de sécurité lui-même. Dès lors, la question de l’admissibilité de la décision du Conseil de sécurité doit être considérée. En effet, la possibilité de contester la compétence de la CPI instaure une limite implicite à l’exercice de cette Cour contrainte d’agir en complémentarité avec les tribunaux des Etats. L’extension de son domaine de compétence est donc implicitement restreinte par le système de la complémentarité qui ne reconnaît aucune exception 2. De surcroît, la primauté de la CPI semble exclue en cas de saisine par le Conseil de sécurité bien qu’on ne trouve pas en ce sens de disposition explicite dans le Statut. L’article 17 ne différencie pas comme le fait l’article 18 les différents instruments de saisine. Dès lors, le principe de complémentarité s’applique également dans l’hypothèse où la saisine est effectuée par le Conseil de sécurité. De plus, en vertu de l’article 53-1b et 2b, afin de décider l’ouverture d’une enquête ou l’engagement de poursuites il faut évaluer la recevabilité de l’affaire au titre de l’article 17. Par la suite, lors d’une saisine de la Cour par le Conseil de sécurité, celui-ci peut requérir auprès de la Chambre préliminaire l’examen de la situation 3. Ce principe de complémentarité sera donc pris en compte lors de l’examen des conditions d’admissibilité par le Procureur, son application étant soumise au principe de 1 Pellet (A.), Pour la Cour pénale internationale, quand même !, op. cit., p. 144. 2 Ottenhof (R.), L’association internationale de droit pénal et la création de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 45. 3 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 17, 18 et 53). 100 recevabilité des affaires présentées à la Cour, dont les conditions substantielles sont précisées dans l’article 17 du Statut. Le Conseil de sécurité doit donc s’en tenir, lorsqu’il renvoie une question devant la CPI, à la gravité des crimes présumés avoir été commis et à l’incapacité du gouvernement impliqué à procéder à une investigation. Si tel est le cas, ce principe de complémentarité peut alors être pris en compte dans la décision de renvoyer une question bien que la décision finale appartienne à la CPI 1. Dans le prolongement de cette idée, certains 2 estiment que l’application du principe de complémentarité est l’une des raisons pour lesquelles la saisine émanant du Conseil de sécurité a été retenue par le Statut de Rome, offrant ainsi une alternative à la création de tribunaux ad hoc3. Or, les Statuts de ces tribunaux créés par des résolutions du Conseil de sécurité retiennent non pas la complémentarité mais la primauté. Une solution plus pertinente aurait été de reconnaître un régime spécial pour la saisine à l’initiative du Conseil de sécurité, à l’instar du régime des deux tribunaux ad hoc, en consacrant la primauté de la CPI sur les juridictions nationales. Mais les cinq membres permanents pouvaient difficilement émettre une telle proposition dans la mesure où ils étaient par ailleurs défenseurs du principe de complémentarité 4. De plus, quand bien même les membres permanents auraient été favorables à la primauté de la CPI lors de sa saisine par le Conseil de sécurité, une proposition en ce sens n’aurait pas manqué de rencontrer une vive opposition de la part de la majeure partie des Etats participant à l’élaboration du Statut. En effet, pour un certain nombre d’Etats, méfiants à l’égard d’une interférence trop prononcée du Conseil de sécurité dans la procédure, l’applicabilité du principe de complémentarité lors de la saisine de la Cour constitue une garantie indispensable à la non-instrumentalisation de celle-ci par le Conseil. Aux yeux de ces 1 Bakker (C.), Le principe de complémentarité et les auto-saisines, un regard critique sur la pratique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 362. Voir aussi : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 441. 2 Voir : Bassiouni (C.), Introduction au droit pénal international, op. cit., p. 344. 3 Ibid, pp. 344-345. 4 Laucci (C.), Compétence et complémentarité dans le Statut de la future Cour pénale internationale, op. cit., p. 161. 101 Etats, l’institution de la CPI était précisément une manière de remédier aux défauts présentés par le recours aux tribunaux ad hoc 1. - Toutefois, d’autres 2 estiment que le Conseil de sécurité ne sera pas nécessairement tenu par le principe de complémentarité lorsqu’il effectue le renvoi devant le Procureur. Théoriquement, il est possible de parler de l'application du principe de complémentarité lorsque la situation est déférée par le Conseil de sécurité, mais la pratique du Conseil de sécurité, concernant son pouvoir de saisir la CPI, soulève des doutes quant à la possibilité de l'application de ce principe 3. En outre, à défaut de maintenir la primauté de la CPI lors de sa saisine par le Conseil de sécurité, ce dernier va pouvoir, de façon détournée, atteindre ce résultat et contourner les limites posées à l’action de la Cour par l’application du principe de complémentarité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il pourrait agir en dehors du cadre du Statut, en utilisant uniquement les prérogatives que lui confère la Charte de l’ONU 4. En vertu de l’article 103 de cette Charte, les obligations des Etats membres à l’ONU prévalent sur leurs obligations découlant de toute autre Convention internationale, même celles du Statut de Rome. Un Etat qui a compétence s’agissant d’une affaire va, à la demande du Conseil de sécurité, renoncer à exercer cette compétence. Le Conseil de sécurité, quant à lui, ne pourra prescrire le jugement d’une affaire par la CPI et non par les juridictions nationales que si le maintien de la paix et de la sécurité internationales l’exige. Il n’y aura alors plus d’obstacle à la recevabilité de l’affaire et la CPI sera par conséquent spectatrice passive devant l’action du Conseil de sécurité. De plus, l’article 18-1 du Statut atténue la portée du principe de complémentarité lorsque la Cour est 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 13, 15 et 18). 2 Voir : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 441. Bakker (C.), Le principe de complémentarité et les auto-saisines, un regard critique sur la pratique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 362. Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., p. 37. 3 Bakker (C.), Le principe de complémentarité et les auto-saisines, un regard critique sur la pratique de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 361-362. Voir aussi : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., pp. 441-442. 4 Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., pp. 35-39. 102 saisie par le Conseil de sécurité. Il prévoit ainsi que le Procureur notifie l’ouverture d’une enquête à tous les Etats parties et aux Etats qui, selon les renseignements disponibles, apparaîtraient compétents à l’égard des crimes dont il s’agit. Tout Etat sera alors à même de sommer le Procureur de se dessaisir, ce qu’il fera sauf cas exceptionnel. La Cour invitera ainsi les Etats à juger eux-mêmes les crimes en question. Mais cet article ne vise expressément que la saisine au titre de l’article 13 paragraphes a et b, c’est-à-dire la saisine par un Etat partie et la saisine par le Procureur. Aucune mention du paragraphe ne concerne la saisine par le Conseil de sécurité à laquelle, par conséquent, cette disposition n’est pas applicable 1. Les raisons ayant motivé son inclusion permettent d’expliquer cette distinction entre les divers modes de saisine : d’abord, l’inclusion de l’article 18 dans le Statut répond à une initiative américaine. Les Etats-Unis souhaitaient obtenir des garanties quant à la saisine par un Etat partie ou par le Procureur. Leur proposition de limiter cette modalité a finalement été acceptée lors de la Conférence de Rome, à titre d’ultime concession, en vue de les amener à se prononcer en faveur de ce Statut. Par ailleurs, la question ici ne concerne pas seulement le fait de savoir si le principe de complémentarité s’applique à la saisine faite par le Conseil de sécurité. Il s’agit également de savoir si l’action du Conseil de sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII, pourrait avoir un impact sur ce principe. En effet, il n’est pas impertinent d’avancer que le Conseil de sécurité dispose du pouvoir de contraindre les Etats membres de l’ONU à ne pas exercer leur propre compétence pénale à l’égard de certaines affaires, en prenant la décision d’activer la CPI comme mesure du Chapitre VII. Ce pouvoir qui permet au Conseil de sécurité de neutraliser l’engagement de procédures judiciaires au niveau national, résulte de la pratique du Conseil de sécurité. La résolution 731 du 21 janvier 1992 du Conseil de sécurité concernant l’affaire Lockerbie, laisse entendre que le Conseil de sécurité pourrait s’autoriser à priver le principe de complémentarité de son effet 2. 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 13 et 18). 2 Le 21 décembre 1988, un avion de la compagnie américaine Pan Am a explosé au-dessus du village écossais de Lockerbie. Les 259 passagers et membres d'équipage ainsi que 11 villageois trouvent la mort dans l'incident. Le 13 novembre 1991, un mandat d'arrêt internationalest lancé par les autorités judiciaires écossaises et américaines 103 En réalité, s’impose alors le constat que, dès que les relations avec les Etats sont en jeu, le Conseil de sécurité reprend son autonomie en utilisant les pouvoirs que lui reconnaît la Charte et auxquels le Statut ne saurait porter atteinte. Il va pouvoir instaurer une forme de primauté factuelle de la CPI. D’une façon détournée, le Conseil de sécurité pourrait ainsi construire une certaine forme de primauté de la CPI lorsqu’il la saisit. Il lui suffira d’agir en dehors du cadre du Statut de Rome en utilisant les pouvoirs que lui confère la Charte de l’ONU. Ainsi, il est important de noter que l’exercice de ces pouvoirs du Conseil de sécurité pourrait modifier le régime du Statut de Rome et atténuer l’application du principe de complémentarité 1. contre deux citoyens libyens : Al-Amin Khalifa Fahima, employé de la compagnie Libyan Arab Airlines à Malte, et Abd al-Basset al-Megrahi, ancien chef de la sécurité de la ligne aérienne. Ils sont accusés d'avoir envoyé une mallette contenant une bombe qui aurait ensuite été placée sur le vol Pan Am 103. Le 21 janvier 1992, le Conseil a exigé que la Libye extrade les deux suspects vers les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne. La Libye a refusé l'extradition des deux suspects invoquant un article de sa constitution interdisant l'extradition de ses propres citoyens (ce qui est le cas pour la plupart des pays). Suite à ce refus, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 748 le 31 mars 1992 prévoyant la suspension du trafic aérien vers et à partir de la Libye ainsi que l'interdiction de toute vente d'armes à ce pays. En 1993, le Conseil de sécurité a imposé des sanctions supplémentaires dans sa résolution 883 adoptée le 11 novembre : les avoirs libyens à l'étranger devraient être gelés à l'exception des revenus pétroliers. Les bureaux à l'étranger de la compagnie aérienne libyenne devraient également être fermés et l'aide à l'aviation civile libyenne (vente de pièces détachées, formation de pilotes) interrompue. Malgré les propositions libyennes de trouver une solution concernant cette question, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont rejeté toutes propositions libyennes. Ils souhaitaient que la Libye livre les suspects sans condition ce qui leur permettait de maintenir ce pays au ban des nations. Suite à une médiation conjointe de certains pays (l’Arabie Saoudite, l'Afrique du Sud) et de l’ONU les deux suspects sont finalement arrivés le 5 avril 1999 aux Pays-Bas pour y être jugés. Pour plus d’informations à propos de cette affaire, voir : Woll (W.), L’affaire de Lockerbie devant la justice écossaise, Mémoire du diplôme d’études approfondies en Droit, présenté à l’Université libre de Bruxelles, Bruxelles, 2006, pp. 8-15. Perez (N.), Le règlement pénal de l’affaire de l’incident aérien de Lockerbie, Mémoire de fin d’étude de DEA, présenté à l’Université de Panthéon-Sorbonne, Paris, 2000, pp. 2-6. La résolution 731 du 21 janvier 1992 du Conseil de sécurité, UN.Doc.S/RES/731 (1992). Libération, Procès de Lockerbie: un goût d'inachevé, article disponible sur : http://www.liberation.fr/monde/0101362359-proces-de-lockerbie-un-gout-d-inacheve, référence de la page consultée le 12 mars 2010. Le Nouvel Observateur, Lockerbie : indemnisation controversée, article disponible sur : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20030814.OBS4848/lockerbie-indemnisation-controversee.html, référence de la page consultée le 25 mars 2010. 1 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp.307-309. 104 Enfin, en analysant ces articles, comme ces résultats, et en tenant compte de la pratique des pouvoirs du Conseil de sécurité, on constate d’une part que le Statut de la CPI dans son article 17 désigne la Cour comme organe décisionnel quant à l’application du principe de complémentarité. Mais cet article accorde à la CPI non seulement le pouvoir de juger de sa propre compétence mais aussi celui de juger de la compétence de la juridiction nationale, ce qui remet en cause le principe de complémentarité prévu au Préambule du Statut de la CPI. D’autre part, au vu de la pratique des pouvoirs par le Conseil de sécurité, naissent de nouvelles interrogations. La Cour peut-elle, concrètement, décider de ne pas recevoir une affaire en application du principe de complémentarité, même si cette affaire est envoyée devant la Cour par le Conseil de sécurité ? La réponse à cette question renvoie à une autre plus fondamentale : la Cour est-elle réellement indépendante du Conseil de sécurité ? Puis émerge un questionnement plus complexe relatif à la supériorité des résolutions et décisions du Conseil de sécurité, prises en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU sur les décisions de la CPI prises en vertu du Statut de Rome. Certains appellent cela la supériorité intellectuelle de la résolution du Conseil de sécurité sur le Traité de Rome 1. Une telle décision, politique, peut constituer une obligation pour une institution juridique pénale internationale pourtant indépendante, créée par le consentement des Etats parties. 1 Cottereau (G.), Statut en vigueur, la Cour pénale internationale s’installe, op. cit., p. 140, note de bas de page. 105 Titre II L’exercice par le Conseil de sécurité de sa faculté de saisir la Cour pénale internationale 106 La mise en place des organes de la CPI a nécessité un an et demi environ. De considérables progrès ont été accomplis dans l’établissement tant de la structure judiciaire que de la structure administrative, un fonctionnement efficient des services administratifs étant une condition nécessaire à une gestion cohérente de la CPI. Quant à la structure judiciaire, certaines crises en Afrique ont depuis le second semestre 2003 donné lieu aux premières interventions du Procureur. Des Etats parties et le Conseil de sécurité ont déféré des situations devant son bureau. Suite à une analyse rigoureuse et conformément aux dispositions du Statut de Rome et du Règlement de procédure et de preuve, celui-ci a décidé l’ouverture de quatre enquêtes : - La première, du 21 juin 2004, concernait les crimes graves vraisemblablement commis sur le territoire de la République Démocratique du Congo depuis le 1er juillet 2002. - La deuxième, du 29 juillet 2004, concernait la situation en Ouganda, suite au renvoi effectué par ce même pays en décembre 2003. - La troisième, du 6 juin 2005, concernait la situation au Darfour après que le Conseil de sécurité de l’ONU lui avait déféré une situation le 31 mars 2005 1. - La quatrième, du 3 mars 2011, concernait la situation libyenne après que le Conseil de sécurité lui avait déféré cette situation le 26 février 2011 2. Les enquêtes actuelles suscitent un intérêt tout particulier dans la mesure où elles constituent un banc d'essai pour la CPI. Elles seront également riches d'enseignements puisque la CPI apparaît dans un contexte international dans lequel sa place demeure contestée. Autrement dit, si les premières enquêtes du Procureur apportent des enseignements substantiels sur le fonctionnement interne de cette Cour, la question de la place de cette juridiction parmi les autres institutions internationales trouvera ses premiers éléments de réponse, notamment en termes de crédibilité 3. 1 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 22. 2 La déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale, le 3 mars 2011. Voir aussi : la déclaration du Président de la Cour pénale internationale concernant la résolution 1970 du Conseil de sécurité des Nations Unies, le 25 février 2011. 3 Girault (C.), Gravelet (B.), La Cour pénale internationale : illusion ou réalité, RSCDPC, 1999, p. 410. 107 A ce stade de la recherche, nous nous concentrerons sur les renvois historiques des situations soudanaise et libyenne devant le Procureur par le Conseil de sécurité. Il est désormais usité que le Conseil de sécurité, organe politique, adopte des résolutions afin de créer des juridictions pénales internationales ad hoc, comme celles du Rwanda et de l’exYougoslavie. Or, contrairement à ses pratiques antérieures, le Conseil de sécurité, en usant de ses pouvoirs établis dans la Charte de l’ONU et dans le Statut de la CPI, prend des résolutions (Nos 1953 et 1970) qui apparaissent aujourd’hui historiques concernant le Soudan et la Libye. Dans ces résolutions, le Conseil de sécurité décide de déférer au Procureur de la CPI la situation au Darfour depuis le 1er juillet 2002 et celle de la Libye depuis le 14 février 2011 1. Ces saisines, qui à ce jour, sont les uniques cas déférés par le Conseil de sécurité, constitueront l’objet d’étude de ce présent titre. Dans cette étape de recherche, nous traiterons tout d’abord les premières saisines de la CPI par le Conseil de sécurité (le Soudan et la Libye) (Chapitre I). Ensuite nous aborderons l’apparition des obstacles lors de ces saisines par le Conseil de sécurité (Chapitre II). 1 La résolution 1953 et la résolution 1970 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 108 Chapitre I Les premières saisines de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité : le Soudan et la Libye 109 Le sultanat du Darfour a perdu son indépendance en 1916 dans une guerre l’opposant aux Britanniques. En 1956, il se voit intégré à la République du Soudan lors de la déclaration d’indépendance. Depuis, le Soudan n’a guère connu un jour de paix, ce qui s’explique par un défaut d’homogénéité tant géographique qu’ethnique, religieuse et culturelle, nonobstant sa population peu nombreuse. Le principal facteur de division ancestral est profondément ancré dans cette société 1. Par ailleurs, ce qui s’est passé en Libye est loin d’être un conflit d’indépendance, ou un conflit d’une cause religieuse ou même culturelle, c’est un soulèvement du peuple contre un vieux régime autoritaire. Au fil des années, le peuple libyen a aspiré à une véritable liberté, une réelle éducation et une vie simple, tout comme d’autres peuples. Des milliers de manifestants sont descendus dans la rue revendiquant leur droit de vivre dans un pays où le peuple peut s’exprimer sans la moindre menace 2. Mettons dès lors ces contextes historiques en évidence pour ensuite mieux interpréter les raisons pour lesquelles le Conseil de sécurité a pris les résolutions de déférer ces situations à la CPI. D’où provenaient ces situations ? Méritaient-elles d’être renvoyées devant une juridiction pénale internationale ? Si oui, pourquoi ? Ces renvois constituaient-ils pour le Conseil de sécurité la meilleure solution à sa disposition ? L’application de la justice et la lutte contre l’impunité étaient-elles les véritables motifs de l’adoption de ces résolutions ou y avait-il d’autres enjeux ? Pour pouvoir répondre à toutes ces questions, nous donnerons d’abord un aperçu des situations concernées (Section I), avant d’aborder la question de l’adoption des résolutions 1593 et 1970 du Conseil de sécurité et leurs enjeux juridiques (Section II). Section I. Un aperçu des situations concernées (Soudan et Libye) Le Conseil de sécurité, en utilisant ses pouvoirs établis dans la Charte de l’ONU et également dans le Statut de la CPI, a pris les résolutions 1953 et 1970 en envoyant les situations soudanaise et libyenne devant la CPI. La base historique de ces situations jouerait 1 Fontier (M.), Les institutions internationales face à la crise du Darfour, 2003-2007, Outre-Terre, 3/2007, N° 20, p. 405. 2 Algiryani (A.), Ce qui se passe en Libye et comment l’expliquer ?, Almostakbal, article publié le 21 juin 2012, pp. 1-2. 110 un rôle important afin de mieux interpréter ces saisines. Raison pour laquelle nous donnerons dans cette section un aperçu de la situation soudanaise (§ I), et un autre de la situation libyenne (§ II). § I. Un aperçu de la situation au Darfour Le conflit au Darfour se déroule avec en toile de fond la délicate question de la situation au Sud-Soudan et, depuis fin 1999, l’affluence dans le pays des revenus du pétrole. Deux rébellions s’allient contre le gouvernement de Khartoum : le Mouvement de Libération du Soudan, avec sa branche armée, et le Mouvement pour la Justice et l’Egalité. En outre, depuis plusieurs années, les tensions sont palpables : elles relèvent de disputes ancestrales ayant généralement trait au droit de posséder la terre et d’y faire paître les troupeaux. Auparavant, lorsque ces tensions s’exacerbaient, les anciens intervenaient. Or, la désertification progressant insidieusement mais inéluctablement vers le Sud, a accentué les différends tout en entravant la possibilité de compromis. C’est ainsi que dans une première phase de pré-conflit ces tensions mettent aux prises des clans d’éleveurs nomades identifiés comme arabes, dont certains étaient en quête de terres à cultiver, et des groupes d’agriculteurs identifiés comme africains. D’autres encore, à la fois pasteurs et cultivateurs, prennent parti pour un camp ou un autre, amplifiant par là-même la confusion. Quant au pétrole, la richesse qu’il procure constitue un bénéfice. Au moment du partage du revenu, l’émergence des anciennes querelles se transforme en conflit ouvert opposant un centre spoliateur à une périphérie lésée. Hors des frontières, le cri des victimes reste dans un premier temps ignoré. En avril 2003, quand le Mouvement pour la Justice et l’Egalité lance ses premières attaques, la tactique gouvernementale consiste en des lâchers de bombes et des offensives terrestres menées avec des troupes lourdement équipées 1. Mais le Gouvernement n’était préparé ni à l’intensité, ni au succès des attaques des rebelles. Une grande partie des forces soudanaises étant engagée dans une guerre longue face à l’Armée Populaire de Libération du Soudan (APLS-SPLA) dans le sud du pays, Khartoum s’inquiétait également du fait que de nombreux hommes de troupe de l’armée soudanaise étaient originaires du Darfour. Le Gouvernement lance alors un appel précipité, sommant les milices de s’interposer tout en persistant à exploiter les tensions durables entre tribus. Les membres de ces milices, des tribus arabes 1 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 111-122. 111 recrutées pour combattre dans les opérations antisubversives soutenues par le Gouvernement sont appelés les « Janjawid », terme utilisé au Darfour pour désigner un homme armé à cheval ou à dos de chameau. La guerre s’installe donc au terme d’un processus désastreux : près de 70 000 personnes sont assassinées tandis que plus de deux millions doivent s’enfuir. La plupart se rassemblent dans des camps établis autour des principales villes du Darfour et environ 230 000 se réfugient au Tchad voisin. Ce débordement sur le territoire tchadien oblige N’Djamena à se positionner vis-à-vis de ce qui n’est déjà plus un conflit d’ordre interne. Les attaques de Khartoum ont été extrêmement violentes contre les peuples du Darfour 1. En mars 2004, plusieurs initiatives de conciliation entre les deux parties du conflit voient le jour. Au départ, nous trouvons une tentative de médiation tchadienne : à une époque où règne un profond silence international, le gouvernement tchadien d’emblée concerné organise une réunion des belligérants. Le 3 septembre 2003 est ainsi signé l’Accord dénommé Abéché 1 qui établit une trêve permettant l’acheminement de l’aide humanitaire aux réfugiés à l’intérieur du Darfour. Au début du mois de décembre, toute perspective de maintenir le cessez-le-feu est enterrée sans qu’aucun dialogue sérieux n’ait été engagé. D’un autre côté, on assiste à un retour officiel de l’option militaire, illustrée par une opération gouvernementale de grande ampleur contre les fiefs rebelles au terme de laquelle le pouvoir enregistre un succès certes relatif mais incontestable. Après l’échec relatif de la médiation tchadienne, les tentatives de dénouement proviennent cette fois de la toute jeune Union Africaine/UA. Les pourparlers qui reprennent à N’Djamena se déroulent en présence de l’UA, de l’Union européenne et des Etats-Unis. Tandis que les violences et les violations des droits de l’homme se poursuivent, un accord de cessez-le-feu humanitaire est signé le 8 avril 2004 entre les deux parties en conflit. Par cet accord, le pouvoir soudanais s’engage à désarmer les milices et l’UA à mettre en place une Commission de cessez-le-feu. Mais, bien que l’UA soit chargée de mettre en place une mission d’observation du respect des engagements 2, les violences gouvernementales persistent, nécessitant l’intervention de la part de la Communauté internationale. Il faut donc attendre un rapport du Secrétaire général de l’ONU pour que le 1 Rossin (R.), Du Darfour au Soudan, Outre-Terre, N° 20, 3/2007, pp. 31-32. Voir aussi : Tanner (V.), Darfour : racines anciennes, nouvelle virulence, Politique étrangère, avril 2004, pp. 715-723. Le rapport de la Mission de haut niveau sur la situation des droits de l’homme au Darfour présenté en application de la résolution 4/101 du Conseil des droits de l’Homme, 9 mars 2007. 2 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 113-114. 112 Conseil de sécurité entre en scène dans ce conflit à travers la résolution 1547 qui confie aux Nations Unies une mission au Soudan. Cette mission mandatait pour trois mois une équipe investie d’une mission politique et placée sous l’autorité d’un Représentant spécial. S’inscrivant au terme d’un long processus, l’internationalisation de la problématique soudanaise devient ainsi juridiquement établie par l’ONU. Dans le droit fil de cette résolution, le gouvernement soudanais et l’ONU signent encore un communiqué conjoint par lequel ces deux parties se disent prêtes à : o Favoriser la distribution de l’aide humanitaire aux populations du Darfour. o Contribuer au déploiement des contrôleurs du cessez-le-feu de l’UA. o Soutenir les processus de médiation dans le Sud et au Darfour. o Faciliter l’exécution des accords obtenus dans les deux régions. Un mécanisme relatif à son application est enfin institué dont le mandat consistera à surveiller les progrès réalisés dans la mise en œuvre des mesures prévues par le communiqué conjoint 1. Cependant, au terme de la première réunion de la Commission à Addis-Abeba, les discussions s’épuisent rapidement. Cet écueil conduit l’ONU à adopter le 30 juillet 2004 la résolution 1556 qui vise à mettre les Soudanais face à leurs responsabilités. Cet Etat est sommé de faciliter l’accès humanitaire et de ramener la sécurité dans le Darfour à défaut de quoi des mesures lui seront imposées. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité menace donc le gouvernement soudanais d’appliquer des mesures de rétorsion s’il ne met pas fin aux exactions des milices janjawid. Il exige également que ce gouvernement honore son engagement d’arrêter et de traduire en justice les chefs Janjaouites et leurs complices qui ont encouragé et commis des violations des Droits de l’Homme et du Droit international humanitaire ainsi que d’autres atrocités. Ce faisant, il dote d’une base nouvelle les obligations auxquelles le Soudan avait consenti dans le cadre du communiqué commun entre le gouvernement soudanais et l’ONU du 23 juillet 2004 2. Les réactions du gouvernement de Khartoum à l’encontre des institutions internationales, sur la période 2003-2007, ouvrent la voie à des mesures subséquentes par le Conseil de sécurité qui envisage dans sa résolution 1564/2004 certaines mesures supplémentaires plus efficaces au cas où le gouvernement 1 Fontier (M.), Les institutions internationales face à la crise du Darfour, op. cit., p. 405. Voir aussi : Rossin (R.), Du Darfour au Soudan, op. cit., p. 32. 2 La résolution 1556 du 30 juillet 2004 du Conseil de sécurité, UN.Doc.S/RES/1556 (2004). 113 soudanais n’appliquerait pas pleinement les dispositions de la résolution 1556/2004. Le Conseil de sécurité stipule notamment la création d’une commission internationale pour enquêter sur les crimes commis au Darfour en sommant le Secrétaire général de : « créer rapidement une commission internationale d’enquête pour enquêter immédiatement sur les informations faisant état de violations du droit international humanitaire »1. Suite à cela, une commission d’enquête établie en octobre 2004 par le Secrétaire général rend un rapport le 25 janvier 2005 dans lequel elle rapporte un certain nombre de violations commises par toutes les parties dans ce conflit, confirmant par là-même l’existence des éléments matériels d’un génocide. Par ailleurs, apparaissait également l’aspect subjectif de ce crime, c’est-à-dire l’existence d’une intention de la part de Khartoum de vouloir « détruire, en tout ou en partie, un groupe racial, ethnique, national ou religieux »2. Prenant en considération cet élément, la Commission affirme que la détermination d’une intention génocidaire ne pourrait se faire qu’au terme d’une procédure judiciaire. Poursuivant dans cette voie, la Commission émet une recommandation au Conseil de sécurité qui consiste en un renvoi de la situation au Darfour devant la CPI pour une mise en cause de la responsabilité pénale individuelle des personnes impliquées dans les crimes commis 3. Par ailleurs, l’année 2004 a connu plusieurs tentatives d’apaisement de la situation au Darfour, avec notamment la création de l’A.M.I.S 4 « African Union Mission in Sudan», en octobre 2004. Le 9 janvier 2005, un événement majeur se produit au Soudan, à savoir que les négociations entre Khartoum et le Mouvement de Libération du Soudan aboutissent à la signature d’un « accord fourre-tout ». Finalement, le 1er février 2005 le rapport de la 1 La résolution 1564 du 18 septembre 2004 du Conseil de sécurité, UN.Doc.S/RES/1564 (2004). 2 La Convention pour la prévention et la répression du crime du génocide (1948) (article II). 3 Adjovi (R.), Braha (H.), La résolution 1593 déférant la situation du Darfour à la Cour pénale internationale, in Les premiers pas de la Cour pénale internationale, RJA, 2005, p. 246. Voir aussi : Lahlou (M.), Peut-on parler de génocide au Darfour, mars 2008, article http://www.cairn.info/resultats_recherche.php?searchTerm=le+conflit+au+darfour, disponible référence de sur : la page consultée le 22 juillet 2010. 4 C’est une Mission de l'Union Africaine au Soudan : il s'agit d’une mission avec déploiement de forces armées, menées par l'Union Africaine. Ce véritable exploit pour l'ensemble du continent, se traduit par la présence de 7 000 hommes, Les casques blancs, sur le territoire du Darfour. Voir : http://www.migrationforcee.org/pdf/MFR29/55-57.pdf, et aussi http://encyclo.voila.fr/wiki/AMIS. 114 Commission internationale d’enquête est présenté et la Commission conclut que le gouvernement soudanais n’a pas mené de politique de génocide au Darfour. Elle estime toutefois que des actes relevant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité y ont été commis. Une liste de 51 éventuels suspects est remise au Secrétaire Général. Les enquêteurs préconisent que la situation au Darfour soit déférée à la CPI, les institutions judiciaires soudanaises n’ayant ni la capacité, ni la volonté de rechercher et de poursuivre les responsables de ces crimes 1. En revanche, une fois précisés les ultimes détails en vue de la paix au Sud, l’ONU affirme son soutien à la mise en œuvre de la paix par la résolution 1590. Elle évoque également l’hypothèse de sanctions et de saisines de la CPI. Une fois cette étape incontournable franchie dans le processus au Sud-Soudan, le Conseil de sécurité décrète l’engagement d’une action plus directe au Darfour. S’appuyant sur la résolution 1590 qui fournit les bases d’une action, il adopte moins d’une semaine plus tard, le 29 mars, la résolution 1591. En vertu du chapitre VII de la Charte, il y dénonce les manquements de l’ensemble des protagonistes, exerçant ainsi une pression particulière sur le plus contesté d’entre eux, le seul qui soit également vulnérable sur les plans diplomatique et économique : le gouvernement soudanais. Après s’être assuré que ni la Russie, ni la Chine ne feraient valoir leur droit de veto, le Conseil décide de restreindre les déplacements et de bloquer les avoirs financiers de toute personne faisant obstacle au processus de paix. La nouveauté réside dans le fait que l’embargo sur les armes, qui s’appliquait naguère aux intervenants au Darfour excepté les forces gouvernementales, s’applique désormais à l’ensemble des protagonistes. Aussitôt, Khartoum s’insurge, considérant que ce texte inconsidéré a été rédigé à l’instigation du Congrès américain ignorant la situation sur le terrain 2. Par conséquent, bien que la tragédie du Darfour soit déjà une réalité au début des années quatre-vingt-dix, il faut attendre le rapport du Conseil des Droits de l’Homme pour que l’ONU prenne toute la mesure du drame 3. Ce rapport fait le point sur la situation des Droits de l’Homme dans cette région. Etant donné le peu d’efforts de la part de Khartoum pour mettre fin aux massacres, le 25 mai 2004 le Conseil 1 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., p. 115. 2 Fontrier (M.), Les institutions internationales face à la crise du Darfour, op. cit., p. 412. Voir aussi : Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., p. 115. 3 Adjovi (R.), Braha (H.), La résolution 1593 déférant la situation du Darfour à la Cour pénale internationale, op. cit., p. 243. 115 de sécurité se dit alarmé par la situation et invite les parties à une négociation afin d’aboutir à un accord. Puis, les résolutions s’enchaînent 1 jusqu’à la résolution 1593 du 31 mars 2005 par laquelle le Conseil de sécurité décide de déférer la situation au Darfour au Procureur de la CPI afin que la juridiction pénale internationale permanente reconnaisse les crimes commis depuis le 1er juillet 2002 2. 1 La résolution 1547, S/RES/1547/2004, la résolution 1556, S/RES/1556/2004, et la résolution 1564S/RES/1564/2004. 2 La résolution 1593 du 1er juillet 2005 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 116 § II. Un aperçu de la situation libyenne En Libye, le 17 février 2011 a été le jour de colère, date anniversaire d’une précédente manifestation qui avait causé 12 morts en 2006. Le 17 février 2006, Benghazi (deuxième grande ville du pays) a connu des affrontements très violents entre les opposants au régime, qui appelaient à la mise en place d’une constitution et au retour de l’Etat de droit dans le pays, et les forces de l’ordre qui n’ont pas hésité à tirer à balles réelles. Afin de saisir l’aspect social des causes de la révolution libyenne, il est important de souligner que ce mouvement libyen est un des événements qui ont marqué « le printemps arabe », qui s’est déroulé en Tunisie, en Egypte, en Libye, au Yémen et en Syrie. Ces mouvements arabes sont, tout d’abord, caractérisés par un double jeu stratégique, les mobilisations citoyennes et la défection des élites. L’approfondissement de la mobilisation est en effet tributaire de la défection des élites et vice-versa. Il y a donc un système d’interdépendance entre ses propres actions et celles d’autrui et d’autres groupes. Une seconde caractéristique serait la crise de l’Etat. Il s’agit de crises fiscales, de l’emploi et de légitimité du chef de l’Etat. Il ne serait pas illogique de dire que les militaires avaient au préalable des préférences, voir des revendications qu’ils ont tues parce que le régime les y obligeait. Il est également à noter que les mouvements arabes s’inscrivent, en général, dans le cadre de revendications pour un changement de régime ; ils arrivent à la fin d’un règne et sont le syndrome de la modernité : la recherche intrinsèque d’une certaine liberté sociale. Ceci dit, dans le cas de la Libye, s’agissant d’une société à la tête de laquelle se trouve un régime autoritaire, le peuple, encore davantage qu’en Tunisie et en Egypte, tend à dissimuler tout ce qui pouvait s’opposer au régime 1. 1 Almanfi (A.), La corruption, le chômage et la révolution en Libye, Alwafd, article disponible sur : http://www.alwafd.org, référence de la page consultée le 5 septembre 2012. Voir aussi : Alrahyth (M.), La révolution libyenne et le début de la mise en place, Almostakbal, article publié le 23 mai 2012, p. 1. Agora (le média citoyen), Les causes sociales du conflit libyen, le média citoyen, article disponible sur : http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/les-causes-sociales-du-conflit-94364, référence de la page consultée le 31 août 2011. Voir aussi : le conflit libyen, article disponible sur : http://www.monburkina.com/index.php/forum/42-debats-sur-la-politique-en-afrique/939-le-conflit-libyen, référence de la page consultée le 15 septembre 2011. 117 Par la suite, la Libye, qui semblait stable, était rongée par des problèmes sociaux importants et autant la Communauté internationale que les Libyens eux-mêmes étaient aveuglés par cette apparente stabilité. La révolution libyenne est le résultat d’une réaction en chaîne dans le monde arabe, dans la mesure où la réussite de l’autre est un exemple pour soi. Les causes du conflit libyen ne sont pas récentes. Si elles se définissent comme une contagion des révolutions arabes, elles sont néanmoins tributaires d’une crise importante de l’Etat. Il faut noter que ce soulèvement a les mêmes causes fondamentales que les révolutions en Tunisie et en Egypte. L’ouverture de l’économie libyenne s’est traduite par un désastre social pour la majorité de la population, malgré les richesses pétrolières du pays. Il y a 30 % de chômeurs, dans le pays, et le coût de la vie n’a cessé d’augmenter. Telles sont les causes fondamentales du soulèvement populaire, en même temps que la corruption endémique et l’absence de démocratie et de liberté. La jeunesse revendiquait ainsi moins de corruption, plus d’emploi, une hausse du salaire moyen et une liberté de presse plus concrète. Le problème était ancien et passé sous silence. L’influence réciproque des révolutions arabes, accentuée par la situation propre à la Libye n’était que le phénomène propulseur de cette révolution 1. Les Libyens étaient donc fatigués de la corruption rampante dans toutes les régions du pays, mais aussi d’avoir peur face aux violations de leurs droits humains, et que le projet de la réforme économique présenté par le régime ne suffise pas. Ils demandaient de vastes réformes politiques, notamment une constitution. Ils demandaient de mettre un terme à la violation de leurs droits en tant que citoyens, la liberté de former des partis politiques, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, des réformes économiques visant à réduire la corruption et de meilleures conditions de vie des citoyens. De plus, une des raisons, plus précise, dans cette révolution a été de trouver une véritable et réelle solution concernant le massacre de la prison d'Abou Salim le 29 Juin 1996, où un raid des forces spéciales de la prison, a ouvert le feu sur les prisonniers détenus, et en ont tué près de 1200. S’exprimer sur cette question a été interdit en Libye jusqu'en 2009, quand le régime a déclaré que les fonctionnaires de police accusés de cet acte seraient traduits en justice. Mais aucune décision n’a été prise à la suite de cet événement. Depuis lors, les familles des victimes de Benghazi ont organisé de temps à autre de petites manifestations, demandant une enquête équitable et 1 Lucha (C.), Le soulèvement révolutionnaire en Libye, article disponible sur : http://www.lariposte.com/le- soulevement-revolutionnaire-en,1571.html, référence de la page consultée le 20 juillet 2011. Voir aussi : Agora, Les causes sociales du conflit libyen, op. cit., http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/les-causessociales-du-conflit-94364. 118 indépendante sur cette affaire. En réponse à leurs revendications, elles ont été plusieurs fois battues et soumises à la répression 1. Face au mouvement révolutionnaire libyen, les autorités libyennes ont lancé une opération armée de grande envergure appuyée par l'aviation et l'artillerie afin de disperser les manifestants exigeant la chute du régime au pouvoir depuis plus de quarante-deux ans. Des milices et des groupes de supporters armés auraient également participé à la répression. Les comités révolutionnaires, piliers du régime, ont menacé de représailles violentes et foudroyantes tous ceux qui remettraient en cause les principes de la révolution libyenne. En outre, les blessés se verraient refuser l’accès aux hôpitaux et les transports en ambulance. Les transfusions sanguines seraient même interdites aux personnes ayant pris part aux manifestations. Par ailleurs, les arrestations et détentions arbitraires de journalistes et opposants politiques par les Forces de Sécurité libyennes, à la suite de ces événements, se comptaient par milliers 2. Le régime a répondu par la répression brutale. Il a mobilisé l’armée contre des manifestants désarmés. Il a également recouru à des mercenaires, ce qui prouve qu’il n’avait pas confiance en ses propres soldats. A Benghazi et Al-Baïda, puis dans d’autres villes, l’armée a rallié le peuple. Ce régime n’a même pas hésité à utiliser les forces aériennes, qui ont bombardé des quartiers et des manifestations. Cette réaction du régime a été la raison de plusieurs démissions au sein du gouvernement libyen 3. Les manifestations se sont poursuivies ; la réponse a été des meurtres et de la violence. Quand les jeunes sont sortis en demandant la liberté, il y avait dans leur esprit l'image décrite par les révolutions tunisienne et égyptienne. Il est vrai que leurs demandes pouvaient s’accorder avec celles des voisins, mais ces jeunes Libyens ont apparemment oublié que leur régime était très différent de celui de leurs voisins. Des meurtres, des bombardements 1 Shabib (N.), Le peuple libyen veut faire tomber la tyrannie, Libye : révolution d’une identité, raisons et sacrifices libyennes, Madad El kalam, 20 février 2011. Voir aussi : Alrjhi (S.), La cause de la révolution des jeunes libyens, Almostakbal, article publié le 23 avril 2010, p. 2. 2 FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Libye, vers une révolution sanglante, article disponible sur : http://www.fidh.org/Libye-Vers-une-revolution-sanglante, référence de la page consultée le 23 février 2011. 3 Michel (S.), La Libye : un mois plus tard, enfin, Courrier international, article disponible sur : http://www.courrierinternational.com/article/2011/03/18/un-mois-plus-tard-enfin, référence de la page consultée le 18 mars 2011. 119 d'artillerie, contre des civils ne demandant que la liberté, ont été la répartie du régime libyen. Cette réaction agressive a obligé ces jeunes civils à prendre les armes afin d’atteindre leurs objectifs. Les rebelles civils (étudiants, avocats, médecins, etc.) sont donc involontairement devenus des hommes armés. Cela était nécessaire, car ils ont convenablement compris qu’ils ne pourraient jamais satisfaire leur revendication de liberté par des manifestations pacifiques 1. Celles-ci ont été réprimées dans le sang, faisant plus de 230 morts en moins de quatre jours 2. Par ailleurs, il faut noter que l’insurrection du peuple libyen a été perçue d’une façon différente, au niveau international. Certains médias ont présenté le régime de Kadhafi comme un gouvernement révolutionnaire confronté à une rébellion orchestrée par l’impérialisme. Il n’en était rien. Ce qui s’est passé en Libye était comparable au Caracazo du 27 février 1989, au Venezuela 3. Le 26 février 2011, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1970, par laquelle il exigeait immédiatement la fin des violences en Libye, après que le régime libyen a fait des milliers de morts. Le Conseil de sécurité a demandé que des mesures soient prises pour satisfaire les revendications légitimes de la population. Il a exhorté les autorités libyennes à faire preuve de la plus grande retenue, à respecter les droits de l’homme, et à donner aux observateurs internationaux des droits de l’homme un accès immédiat au pays, à garantir la sécurité de tous les étrangers et de leurs biens. Dans cette résolution, le Conseil a décidé également de saisir le Procureur de la CPI par rapport à la situation qui régnait en Jamahiriya arabe libyenne depuis le 14 février 2011. Les autorités libyennes et tous les pays membres de l’ONU doivent coopérer pleinement avec la Cour et le Procureur et leur apporter toute 1 Alsanosi (S.), Les Libyens entre la révolution et la démocratie, article disponible sur : http://www.aljazeera.net/NR/exeres/4FE89469-B66F-4446-B831-D5F7BA1262A0.htm, référence de la page consultée le 27 août 2011. 2 Guolo (R.), Notre très embarrassant ami Kadhafi, Courrier international, article disponible sur : http://www.courrierinternational.com/article/2011/02/22/notre-tres-embarrassant-ami-kadhafi, référence de la page consultée le 22 février 2011. Voir aussi : Le Monde, Les citoyens de Benghazi sont des résistants, pas des militaires professionnels, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/08/les-citoyens-debenghazi-sont-des-resistants-pas-des-militaires-professionnels_1503406_3232.html, référence de la page consultée le 25 avril 2011. 3 Cela a été notamment le cas des médias syriens et irakiens. Voir : Lucha (C.), Le soulèvement révolutionnaire en Libye, op. cit., http://www.lariposte.com/le-soulevement-revolutionnaire-en,1571.html. Voir aussi : Agora, Les causes sociales du conflit libyen, op. cit., http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/les-causessociales-du-conflit-94364. 120 l’assistance voulue, en application de cette résolution. Il a été décidé que tous les Etats membres doivent prendre immédiatement les mesures nécessaires pour empêcher la fourniture, la vente ou le transfert direct ou indirect des armes en Libye, à partir de leur territoire ou à travers leur territoire ou par leurs nationaux. Il a déclaré un gel des avoirs de Kadhafi et cinq membres de sa famille, il a également émis une interdiction de voyage contre Kadhafi et seize personnes de sa famille et des responsables du régime libyen 1. Le 27 février 2011 à Benghazi, un Conseil national de transition/CNT a été officiellement créé, comité de gestion des crises, depuis début mars, composé d'une quarantaine de membres. Il visait à assurer la transition politique si la rébellion armée parvenait à faire chuter le dictateur. Ce Conseil se déclarait être « le seul représentant de la Libye ». Depuis, reconnu par la Communauté internationale, en commençant par la France, il devrait exercer le pouvoir lâché par Kadhafi pour mettre en place la démocratie, comme le stipulait sa feuille de route. Ce conseil a créé un bureau exécutif et également un conseil militaire, constitué pour organiser les forces armées rebelles, composé de cinq officiers dissidents représentant les armées de Terre, de l’Air et de la Marine. 2 Le 17 mars le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1973 autorisant une intervention militaire internationale. Le 19 mars, la coalition, menée par les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne et forte du soutien de la Ligue des Etats arabes/LEA, est passée à l'offensive en bombardant des objectifs militaires libyens. Dans cette résolution le Conseil de sécurité a approuvé l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye. Il s'est aussi déclaré en faveur de frappes aériennes pour empêcher l'avancée des troupes du régime. Celles-ci sont aux portes de Benghazi, à l'Est du pays, siège du Conseil national de transition, et seraient sur le point de lancer l'assaut sur ce bastion de la rébellion 3. La France, avec le Royaume-Uni, militant pour un recours à la force contre les forces libyennes, ont mis à disposition leurs bases aériennes en Méditerranée. Les premières frappes ont été menées dès 1 La résolution 1970 du 26 février 2011 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 2 Jehl (J.), Libye : saisine de la CPI, embargo sur les armes, interdiction de voyager et gel des avoirs, JCPG, 14 mars 2001, n° 11-12, pp. 538-544. Voir aussi : Shabib (N.), Le peuple libyen veut faire tomber la tyrannie, Libye : révolution d’une identité, raisons et sacrifices libyennes, op. cit., pp.1-2. Le Monde, Ce que l’on sait du Conseil national de transition, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/08/22/libye-ceque-l-on-sait-du-conseil-national-de-transition_1561994_3212.html, référence de la page consultée le 25 septembre 2011. 3 La résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES/1973 (2011). 121 le 19 mars. Une semaine plus tard, les pays, en application de la décision du Conseil de sécurité, ont accordé à l’OTAN la direction de la mission de l’exclusion des frappes aériennes 1. A ce propos, il faut souligner que la Libye représente la sixième réserve mondiale de pétrole, avec 44 milliards de barils exploités par Total pour seulement 15% sous la direction de Kadhafi 2. Ce qui rend, plus ou moins, compréhensible le soutien des pays occidentaux à la révolution libyenne. Il est vrai que le régime de Kadhafi était incontestablement dictatorial, et que cette intervention était inévitable pour protéger les civils en Libye, en revanche l’OTAN est loin d’être l’ange sauveur des populations libyennes. Les pays intervenant en Libye dont l’économie est en souffrance, savaient pouvoir se rétribuer auprès des rebelles avec le pétrole libyen dont une grande partie n’a pas encore été exploitée, a fortiori lorsque l’on sait combien les ressources pétrolières mondiales s’amenuisent. Le régime était sous un dictateur sanguinaire qui devait indéniablement être délogé, mais l’occident dans son intervention en Libye, pour protéger les populations, s’assurait dans le même temps, la mainmise sur une ressource qui se raréfie 3. Assurément et au regard du monde entier, les exactions menées par le régime libyen contre un peuple subissant des massacres quotidiens, était inacceptable. Mais cette situation libyenne n’était en rien différente de celle que le peuple syrien vit depuis le début de ses manifestations. Comment se fait-il que l’ONU ait pris aussi vite des résolutions au nom de l’humanité pour sauver le peuple libyen, tout en laissant le régime de Damas riposter contre son propre peuple ? Les raisons humanitaires qui ont poussé l’ONU à prendre des décisions contre l’attaque du régime libyen sont toutes aussi recevables, sinon plus, dans le cas de la Syrie. La brutalité génocidaire de la famille El Assad est à la mesure du courage suicidaire des Syriens. Le peuple syrien fait face aux tanks et aux balles sans autre arme que 1 Le Monde, Tripoli sous les frappes de l’OTAN, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/05/27/libye-tripoli-sous-les-frappes-de-l-otan-misratabombardee_1528064_1496980.html, référence de la page consultée le 3 juin 2011. Voir aussi : Courier international, L’ONU choisit la force contre Kadhafi, article disponible sur : http://www.courrierinternational.com/breve/2011/03/18/l-onu-choisit-la-force-contre-kadhafi, référence de la page consultée le 18 mars 2011. 2 Pour plus d’informations sur ce point, voir : ifnra, pp. 182-188. 3 Le Post, Libye : du soutien à la révolution au pétrole, article disponible sur : http://www.lepost.fr/article/2011/09/05/2582851_libye-du-soutien-a-la-revolution-au-petrole.html, référence de la page consultée le 5 avril 2011. 122 leur désir de changement. Le gouvernement les massacre, les torture, et emprisonne leurs proches. La réponse la plus fréquemment avancée est : « C’est une histoire de pétrole ». La Libye dispose de fait d’une grande quantité de brut, contrairement à la Syrie. Ainsi, en suivant cette logique, le véritable objectif de l’agression militaire contre le régime libyen serait de rechercher, voire s’arroger, ses champs pétrolifères. Et si la Syrie échappe à une intervention militaire occidentale, c’est parce qu’elle aurait peu de pétrole à vendre. Dans tous les cas, le fait que l’ONU se montre incapable ou non motivé de prendre de véritables et sérieuses mesures contre le régime syrien, remet en question ses raisons d’autoriser l’intervention en Libye 1. Par ailleurs, dès le début, l’ONU a étroitement collaboré avec toutes les parties concernées en Libye, avec les organisations régionales, notamment l’UA, la LEA et l’Organisation de la Coopération islamique (OCI), ainsi qu’avec l’ensemble de la Communauté internationale. La Libye est ainsi devenue le théâtre d'une confrontation armée entre les insurgés et les troupes de Kadhafi depuis février. Une opération militaire internationale s’est déroulée dans ce pays le 19 mars 2011. Elle a débuté deux jours après l'adoption par le Conseil de sécurité de l'ONU d'une résolution destinée à protéger les civils libyens et autorisant le recours à la force à cet effet. D’ailleurs, à de nombreuses reprises, un cessez-le-feu lié à des arrangements de transition répondant aux aspirations du peuple libyen a été la seule solution politique durable à la crise en Libye. De plus un Comité ad hoc de haut niveau de l’UA sur la Libye a été créé et a entrepris plusieurs projets de cessez-le-feu. L’Envoyé spécial de l’ONU a mis l’accent sur ce point lors de tous ses entretiens avec des interlocuteurs clefs du monde entier. Le 18 juillet, le Comité ad hoc sur la Libye a convoqué une réunion technique interactive sur la Libye à Addis-Abeba, à laquelle le Conseil national de transition, le Gouvernement libyen et l’ONU ont été invités. Le Secrétaire général restait profondément résolu à trouver une solution politique. Par exemple, le 22 juillet, il s’est entretenu avec le 1 Naim (M.), Pourquoi attaque-t-on la Libye et pas la Syrie ?, article disponible sur : er http://www.slate.fr/story/38383/bombarder-libye-pas-syrie-pourquoi, référence de la page consultée le 1 juin 2011. Voir aussi : Boisvert (Y.), La dure responsabilité de protéger, article disponible sur : http://www.cyberpresse.ca/chroniqueurs/yves-boisvert/201108/23/01-4428096-la-dure-responsabilite-deproteger.php, référence de la page consultée le 20 août 2011. Le Point.fr, L'ONU pourrait saisir la CPI sur la situation en Syrie, article disponible sur : http://www.lepoint.fr/monde/l-onu-pourrait-saisir-la-cpi-sur-la-situationen-syrie-18-08-2011-1363703_24.php, référence de la page consultée le 27 août 2011. Pour plus d’informations sur ce point, voir : infra, pp. 181-194. 123 Président d’Afrique du Sud sur les moyens de progresser et sur les approches susceptibles de resserrer la coopération entre l’ONU et l’UA 1. Par ailleurs, on évalue à plus de 630 000 le nombre de personnes ayant fui la Libye depuis que le conflit a éclaté, y compris quelque 100 000 Libyens. D’autres Libyens, au nombre de 200 000, ont été déplacés. Il y avait plus de 2 600 personnes bloquées aux postes frontières avec l’Egypte, la Tunisie et le Niger, pour la plupart des ressortissants de pays tiers, dont certains étaient des demandeurs d’asile qui ne pouvaient rejoindre leurs foyers. En outre, près de 22 000 personnes, pour la plupart des migrants africains, sont arrivées par bateau en Italie et à Malte en provenance de Libye. Au moins 1 400 personnes ont péri au cours de la traversée ou sont portées disparues. Le Gouvernement libyen s’est plaint à maintes reprises des pénuries de médicaments, de vaccins et d’équipements. En outre, il était fait état de graves pénuries de carburant à Tripoli. L’aide humanitaire et le carburant arrivaient régulièrement dans les zones contrôlées par l’opposition, bien qu’il y eût des pénuries là-bas aussi. La pénurie de carburant, bien évidemment, affecte la circulation des personnes, des biens, la distribution d’électricité, l’alimentation en eau, l’emploi, les hôpitaux, l’agriculture et la pêche. Le Conseiller spécial pour la planification du relèvement en Libye poursuit le travail préparatoire au sein de l’ONU, avec des partenaires clefs, pour trouver les moyens de venir en aide une fois que le conflit aura pris fin. Le processus de pré-évaluation à l’échelle du système de l’ONU pour élaborer des scénarios possibles et définir des domaines où l’appui de l’ONU et celui de la Communauté internationale seraient éventuellement appropriés, s’il est demandé, est en voie d’achèvement. La coopération sur ce processus a été excellente, à l’intérieur et à l’extérieur du système de l’ONU. Cet effort sera extrêmement précieux si l’ONU est appelée à intervenir rapidement en Libye après le conflit, quel que soit le moment 2. Au Conseil de sécurité, un plan d’intervention rapide était en voie d’élaboration au Département des opérations de maintien de la paix concernant les rôles militaire et policier que l’ONU serait appelé à jouer après un cessez-le-feu. Le Secrétariat serait prêt à discuter avec les autorités libyennes et à proposer au Conseil les priorités les plus immédiates d’une 1 Lambidie (L.), La position de la République d'Afrique du Sud dans le conflit politique en Libye, Aljazeera.net, article disponible sur : http://studies.aljazeera.net/reports/, référence de la page consultée le 25 novembre 2011. Voir aussi : Alidrissi (M.), La Ligue arabe et l'Union africaine appuient sur la solution politique pour la crise libyenne, Alwatan, article publié le 31 mai 2011, p. 1. 2 Pascoe (L.), Réunion du Conseil de sécurité sur la Libye, article disponible sur : http://www.voltairenet.org/article171116.html, référence de la page consultée le 3 décembre 2011. 124 assistance de l’ONU durant une transition lorsque les développements politiques le permettront éventuellement. En effet, les problèmes qu’a suscités la crise en Libye sont d’une extrême gravité, en conséquence de quoi il était nécessaire de les gérer en trouvant une solution politique négociée avec les deux parties en conflit 1. Nous devons ici rappeler que l’intention de la résolution 1973 était d’assurer la protection des civils, non de changer le régime ou de cibler des individus. Par ailleurs, les parties libyennes se sont engagées à ouvrir immédiatement des négociations en application du paragraphe 2 de la résolution 1973 et de la feuille de route de l’UA 2. Ce dialogue a porté sur les questions suivantes : cessation immédiate des hostilités, trêve humanitaire, cessez-le-feu global, réconciliation nationale, arrangements liés à la transition et programme de changement démocratique. Le dialogue national s’est tenu sous les auspices du Comité ad hoc de haut niveau de l’UA sur la Libye et de l’ONU, représentée par l’Envoyé spécial du Secrétaire général, avec l’appui de la LEA, de l’OCI et de l’UE. En ce qui concerne les mesures de confiance et d’autres mesures connexes, les parties se sont engagées à œuvrer à l’apaisement et à la réconciliation, et envisageront notamment la création d’une commission vérité et réconciliation. Les parties s’engageront à demander au Conseil de sécurité de lever le gel des avoirs libyens, comme le prévoient les résolutions 1970 et 1973 au profit du Gouvernement intérimaire 3. De plus, la Communauté internationale s’est engagée à appuyer le processus et les accords conclus entre les parties prenantes libyennes. Ces propositions en faveur d’un accordcadre ont été présentées au Gouvernement libyen et au Conseil national de transition pour examen. L’UA a exhorté les parties libyennes à faire preuve de la volonté politique nécessaire et à placer l’intérêt suprême de leur pays et de leur peuple au-dessus de toute considération. Il était donc impératif que toutes les parties s’attachent à trouver une solution politique. Le 1 Mohamed (A.), La Libye et les initiatives politiques, Islam times, article disponible sur : http://www.islamtimes.org/vdcfv1dv.w6dveaikiw.txt, référence de la page consultée le 21 juin 2011. Voir aussi : Almistiri (S.), L’Union Africaine tient à une solution politique en Libye, Alwatan, article publié le 9 mai 2011, p. 1. 2 Pascoe (L.), Réunion du Conseil de sécurité sur la Libye, op. cit., http://www.voltairenet.org/article171116.html. 3 Ibid, http://www.voltairenet.org/article171116.html. 125 Conseil et la Communauté internationale dans son ensemble doivent leur faire comprendre la nécessité d’un tel processus politique 1. En sus, il était manifestement clair que l’action axée sur la solution militaire n’a pas atteint l’objectif qu’elle s’était fixé. Elle a plutôt contribué à déstabiliser encore plus le pays, et par conséquent la sécurité et la stabilité à long terme de la Libye demeurent incertaines à mesure que la situation se détériore, avec davantage de pertes civiles et une destruction massive de l’infrastructure. Il faudrait s’engager à respecter strictement les résolutions 1970 et 1973 dans leur intégralité, dans la lettre et dans l’esprit. Cela signifiera aussi qu’il faut consacrer l’énergie à trouver une solution politique à la crise, comme indiqué au paragraphe 2 de la résolution 1973, où il est souligné qu’il faut redoubler d’efforts pour apporter une solution à la crise 2. En même temps que les combats politiques jouaient leur rôle, les combats sur la terre libyenne n’ont pas cessé pendant six mois, faisant des milliers de morts des deux côtés. Aucun côté n’a vaincu l’autre, mais au cours du dernier mois, il a été clairement observé que les rebelles libyens ont commencé a gagné du terrain et à contrôler les villes l’une après l’autre avec une vitesse remarquable, et début août, les rebelles progressaient vers Tripoli. Le 22 août, les rebelles sont entrés à Tripoli, ont pris le contrôle et ont déclaré officiellement la chute du régime de Kadhafi qui avait probablement quitté la ville. Ici commence la recherche de Kadhafi, surtout après l'annonce de l'arrivée de certains membres de sa famille en Algérie et au Niger. Le Conseil national de transition a déménagé à Tripoli avec un plan de transfert du pouvoir à un gouvernement provisoire comme un pas vers des élections démocratiques 3. 1 Meyssan (T.), Monologues à l’ONU, article disponible sur : http://www.voltairenet.org/article176067.html, référence de la page consultée le 28 juillet 2011. 2 Le paragraphe 2 de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, annonce que le Conseil de sécurité « Souligne qu’il faut redoubler d’efforts pour apporter une solution à la crise, qui satisfasse les revendications légitimes du peuple libyen, et note que le Secrétaire général a demandé à son Envoyé spécial de se rendre en Jamahiriya arabe libyenne et que le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a décidé d’envoyer son Comité ad hoc de haut niveau sur la Libye sur place pour faciliter un dialogue qui débouche sur les réformes politiques nécessaires à un règlement pacifique et durable ». Voir aussi : Meyssan (T.), Monologues à l’ONU, op. cit., http://www.voltairenet.org/article176067.html. 3 Mansor (A.), Le combat de Tripoli, Alwatan, article publié le 27 septembre 2011, p.1. Voir aussi : Kadry (M.), La révolution libyenne : la fin du commencement, Alahram, article publié le 26 août 2011, p. 1. 126 Par ailleurs, le 8 septembre 2011, le Procureur de la CPI a demandé à Interpol de délivrer une « notice rouge » contre Mouammar Kadhafi, son fils Seif Al-Islam et son beaufrère Abdallah Al-Senoussi. Ces trois hommes sont soupçonnés de crimes contre l’humanité commis en Libye depuis le 15 février 1. Interpol, de son côté, avait déjà au mois de mars émis une « alerte orange » à l'encontre du colonel Kadhafi et de 15 de ses proches. Il a également diffusé, vendredi 9 septembre 2011, une « notice rouge » pour demander à ses cent quatrevingt-huit pays membres, l'arrestation de ces personnes en vue de leur extradition visée par un mandat d'arrêt international émis par la CPI. Il a aussi proposé le soutien de son « centre de commandement et de coordination » et demandé à ses membres « de prendre toutes les mesures conformes à leur législation pour aider la CPI à localiser et interpeller Kadhafi »2. Malgré la chute de Tripoli, les combats se sont poursuivis sur le théâtre libyen, tout comme la recherche du Colonel libyen. Le peuple vivait entre la joie de la libéralisation de la capitale, l'anticipation du destin de Kadhafi et la peur de l’avenir. Après la libération de Tripoli, les rebelles se sont dirigés vers le lieu de naissance du Colonel, Syrte, l'une des rares villes encore sous le contrôle de Kadhafi et dans laquelle les combats se poursuivaient ; un conflit violent pendant des semaines, sans interruption ni trêve. Le 20 octobre 2011, tous les Libyens regardent surpris, sans avertissement, une image de Kadhafi arrêté par les rebelles. Kadhafi a été blessé ; il a été repéré et bombardé par l'OTAN, après avoir décidé de quitter sa ville natale (Syrte), étant assiégé par les rebelles. Quelques heures après la confirmation de son arrestation, les rebelles ont annoncé que Kadhafi avait succombé à ses blessures. Etait-ce réellement à cause de ses blessures ou étaitce une expression de la justice du vainqueur ? Une chose était certaine : Kadhafi était mort 3. 1 CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, communiqué de presse du 9 septembre 2011, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 12 janvier 2011. 2 Vampouille (T.), Interpol demande l’arrestation de Kadhafi, Le Figaro, article publié le 9 septembre 2011. Voir aussi : Le Monde, l’Interpol délivre un mandat d’arrêt contre Kadhafi, Saif Al-Islam et son beau-frère, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/09/09/interpol-delivre-un-mandat-d-arret-contre- kadhafi-saif-al-islam-et-son-beau-frere_1569850_1496980.html, référence de la page consultée le 19 novembre 2011. 3 Le Monde, Libye : Les rebelles qui ont arrêté Kadhafi racontent les dernières heures du « Guide », article disponible sur : http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/10/31/les-rebelles-qui-ont-arrete-kadhafi-racontent-les127 Après la mort du Colonel libyen, la situation en Libye a commencé à revenir progressivement au calme, la recherche des criminels s’est poursuivie, notamment en ce qui concerne Saïf Al-Islam Kadhafi et son beau-frère Abdullah Al-Senussi. Le 19 novembre 2011, les rebelles ont annoncé l’arrestation du fils de Kadhafi dans le désert libyen et ont déclaré qu'il était en garde à vue dans la ville d’Alzentan 1. Le 17 mars 2012, les autorités mauritaniennes ont annoncé l'arrestation d’Abdullah Al-Senussi, recherché par la Libye et la CPI. La Mauritanie (Etat non partie à la CPI) déclare qu’Abdullah Al-Senussi va faire l’objet d’une enquête afin de démontrer comment il est illégalement entré en Mauritanie. Abdullah Al-Senussi, arrêté en Mauritanie, a fait l’objet de plusieurs demandes. La Libye exige son extradition pour plusieurs crimes commis en Libye, la France a également décidé de demander son extradition, car il a été condamné en 1999 par contumace à perpétuité par la Cour d'assises de Paris, pour son rôle dans l'attaque d'un avion de ligne français en 1989. La CPI exige, elle aussi, son extradition pour jugement pour crimes contre l’humanité commis en Libye. Des mandats d'arrêt internationaux, toujours valables en théorie, ont été délivrés contre lui 2. C’est alors que soudainement, le 5 septembre 2012, sans aucune explication, la Mauritanie a remis aux autorités libyennes Abdallah Al-Senussi, ex- dernieres-heures-du-guide_1596252_1496980.html, référence de la page consultée le 31 octobre 2011. Voir aussi : L’Express, Kadhafi a rencontré son destin, article disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/libye-kadhafi-a-ete-tue-c-est-la-fin-de-la-tyrannie_1042849.html, référence de la page consultée le 20 octobre 2011. 1 Le Monde, Libye : Saïf Al-Islam Kadhafi a été arrêté dans le Sud de la Libye, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/11/19/saif-al-islam-kadhafi-a-ete-arrete-dans-le-sud-de-lalibye_1606470_1496980.html?xtmc=saif_al_islam&xtcr=45, référence de la page consultée le 19 novembre 2011. Voir aussi : La déclaration du porte-parole du Conseil national de transition libyen, Almanara, le 20 novembre 2011. 2 Le Nouvel Observateur, Libye : l'extradition de Senoussi arrêté en Mauritanie, demandée par Paris et Tripoli, article disponible sur : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20120317.AFP0671/libye-l-extraditionde-senoussi-arrete-en-mauritanie-demandee-par-paris-et-tripoli.html, référence de la page consultée le 25 mars 2012. Voir aussi : Le Monde, Libye : Le Libyen Al-Senoussi inculpé en Mauritanie, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/libye/article/2012/05/21/le-libyen-al-senoussi-inculpe-en mauritanie_1704957_1496980.html, référence de la page consultée le 21 mai 2012. 128 chef des services de renseignement du régime de Kadhafi recherché par la Libye, la CPI et même la France 1. 1 Pour plus d’informations, voir : Le Monde, La Mauritanie remet Al-Senoussi, l'ex-espion de Kadhafi, aux autorités libyennes, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/libye/article/2012/09/05/la-mauritanie-remetal-senoussi-l-ex-espion-de-kadhafi-aux-autorites-libyennes_1755792_1496980.html, référence de la page consultée le 5 septembre 2012. Voir aussi : Le Point, La Mauritanie remet Al-Senoussi à la Libye, article disponible sur : http://www.lepoint.fr/monde/la-mauritanie-a-remis-abdallah-al-senoussi-a-la-libye-05-09-20121502767_24.php, référence de la page consultée le 5 septembre 2012. 129 Section II. L’adoption des résolutions 1593 et 1970 du Conseil de sécurité : les enjeux juridiques Après avoir donné un aperçu historique des situations soudanaise et libyenne, il est important d’analyser l’adoption des résolutions concernant ces pays et de déterminer les enjeux qui ont accompagné cette adoption, afin de pouvoir montrer les obstacles qui apparaissent lors de l’application de ces résolutions. Suivant l’apparition chronologique de ces résolutions, nous traiterons d’abord l’adoption de la résolution 1593 à propos du Soudan (§ I), puis celle de la résolution 1970 relative à la Libye (§ II). § I. La résolution 1593 du Conseil de sécurité : le cas du Soudan La CPI a été saisie, en vertu de l’article 13-b du Statut, de la situation soudanaise déférée par le Conseil de sécurité. La commission d’enquête créée par le Conseil de sécurité aux fins d’examiner la situation des droits de l’Homme et du droit international humanitaire, de déterminer si des actes de génocide ont été perpétrés et d’identifier leurs auteurs, avait conclu que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité avaient été commis au Darfour mais qu’il ne s’agissait pas d’un génocide. Elle recommandait donc que la situation soit déférée par le Conseil de sécurité à la CPI conformément à l’article 13-b du Statut. Suite à toutes sortes de pressions provenant notamment de la société civile, le Conseil de sécurité s’est penché sur l’adoption de mesures pour régler le problème au Darfour. Le débat concernant la CPI constitue l’un des thèmes les plus polémiques au sein du Conseil de sécurité, en particulier quant à l’adoption d’une résolution sur le Soudan 1. En effet, aucune convergence d’opinion vis-à-vis de cette juridiction n’est envisageable parmi les cinq membres permanents. Or, une conciliation s’avère nécessaire afin d’éviter l’usage du droit de veto. En effet, l’adoption de la résolution 1593 est un exemple de ce type de conciliation malgré les intérêts divergents des superpuissances. Elle a été adoptée par onze voix sur quinze, quatre pays s’étant abstenus, à savoir les Etats-Unis, la Chine, 1 La résolution 1564 du Conseil de sécurité, op. cit., § 12. Voir aussi : le rapport de la Mission de Haut Niveau sur la Situation des Droits de l’Homme au Darfour, op. cit., § 630. 130 l’Algérie et le Brésil. La désapprobation permanente des Etats-Unis vis-à-vis de la CPI les a conduits à proposer d’autres solutions que la saisine de cette Cour : soit la création d’un nouvel organe de répression, par exemple un tribunal ad hoc ; soit une extension du mandat du TPIR. Cette vision américaine, excluant la CPI, a été le projet de la résolution soumis le 28 mars 2005 et aboutissant à la résolution 1591. Les Etats-Unis ont ainsi persisté dans l’opinion que la CPI ne saurait être en mesure d’exercer sa juridiction sur des ressortissants, y compris les responsables gouvernementaux d’Etats non parties au Statut de Rome. Cela porte selon eux atteinte à l’essence même de la notion de souveraineté. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité adopte des sanctions à l’encontre du Soudan qu’il reste à mettre en œuvre : o Une interdiction est faite aux Etats de laisser entrer leurs ressortissants sur leur territoire sauf pour des motifs humanitaires ; o Un gel des avoirs est décrété. Le Conseil de sécurité instaure de plus un comité composé de tous ses membres pour encadrer et suivre la mise en œuvre du régime de sanctions 1. Pour éviter l’exercice du droit de veto par les américains, plusieurs réserves apparaissent dans cette résolution sans pour autant avoir été formulées spécifiquement pour la superpuissance 2. Il est remarquable que, depuis les négociations du Statut, Washington n’ait jamais reconnu la compétence de la CPI, allant même jusqu’à militer contre le développement de cette Cour. Il est donc attendu que les Etats-Unis usent de leur droit de veto pour paralyser tout avancement de cette résolution, d’autant que celle-ci ouvrirait la voie à l’élargissement et à l’universalité de la compétence de cette instance 3. C’est exactement l’une des raisons pour lesquelles les Etats-Unis n’ont pas adhéré au Statut de la Cour, car Washington n’accepte pas la comparution éventuelle de citoyens américains devant une juridiction internationale. Une question se pose dès lors : pour quelle raison les Etats-Unis n’ont-ils pas entravé le vote de la résolution 1953 concernant le Darfour 4? 1 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 363. 2 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 10. 3 Bassiouni (C.), Une étude historique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 32. 4 Pour plus d’informations, voir : infra, pp. 275-278. 131 Examinons par ailleurs la position des deux autres membres permanents au Conseil de sécurité, la Chine et la Fédération de Russie, dont l’intérêt est de conserver leurs agissements propres hors de la portée d’une telle instance. Il leur fallait donc éviter de créer un précédent qui pourrait être utilisé contre eux comme modalité de répression des crimes commis sous leur régime. Malgré cette position commune, la Fédération de Russie vote en faveur de la résolution sans exprimer de position explicite dans la perspective de lutter effectivement contre l’impunité tandis que la Chine s’abstient. Elle justifie cette posture en affirmant qu’elle serait favorable à une poursuite des responsables des crimes au Darfour par les autorités judiciaires soudanaises, qu’elle n’est pas partie au Statut de Rome et qu’elle émet des réserves envers certaines dispositions 1. Elle ne peut ainsi soutenir cette initiative du Conseil de sécurité. La France et la Grande-Bretagne votent en faveur de la saisine devant la CPI, ce qui manifeste leur entier soutien à l’autorité de cette juridiction. Le groupe africain, Algérie, Bénin et Tanzanie, se montre favorable à l’approche américaine parce qu’elle semble privilégier le rôle de l’Afrique dans l’institutionnalisation de la répression. Dans ce cadre, notons l’abstention de l’Algérie qui doit être interprétée comme une critique sévère de ce pays envers l’attitude du Conseil de sécurité favorisant une approche autre que celle proposée par l’UA. Le rapport de la Commission sur le Darfour, dont prend note le préambule de cette résolution, entretient lui-même des incertitudes en reconnaissant la possibilité pour le Conseil de sécurité de saisir la CPI puisque la situation au Darfour constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales, comme il l’a lui-même constaté dans ses résolutions 1556/2004 et 1564/2004. Or, dans les termes de ces dernières, le Conseil qualifie de la sorte la situation au Soudan 2. Une pratique constante du Conseil de sécurité consiste à conserver la même terminologie tout au long des résolutions portant sur une même situation nonobstant les évolutions constatées. Il faut, selon lui, s’inscrire dans la continuité des qualificatifs originaux. En ce sens, la situation au Soudan continue de faire peser une menace, précise-t-il dans la résolution 1953/2005 3. 1 Adjovi (R.), Braha (H.), La résolution 1593 déférant la situation du Darfour à la Cour pénale internationale, op. cit., p. 249. 2 La résolution 1556 du 30 juillet 2004, et la résolution 1564 du 18 septembre 2004, du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 3 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 122-123. 132 Le 31 mars 2005, malgré ces enjeux politiques divers et l’opposition du Soudan, les membres du Conseil de sécurité trouvent un accord consécutif à la résolution 1593 : nonobstant les différentes propositions, le Conseil de sécurité prend finalement la résolution de déférer la situation soudanaise à la CPI 1. Conformément à l’article 13 § B, par l’adoption de la résolution 1593, le Conseil de sécurité, « agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a décidé de déférer au Procureur de la Cour pénale internationale la situation au Darfour depuis le 1er juillet 2002 »2. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité se conforme à la pensée de la Commission d’Enquête au Darfour créée par la résolution 1564 de 2004 3. Par ailleurs, son adoption est basée sur plusieurs fondements juridiques dont les sources diffèrent : certaines trouvent leur origine dans la Charte de l’ONU, d’autres dans le Statut de Rome. Examinons les dispositions constituant les bases de cette résolution tant dans la Charte de l’ONU que dans les textes du Statut de Rome. En décrétant la résolution 1593, plusieurs dispositions de la Charte de l’ONU qui lui sont relatives ont été appliquées : - L’article 24-1 conférant au Conseil de sécurité le pouvoir d’exécution des décisions de l’ONU afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation. - L’article 39 en vertu duquel il revient au Conseil de sécurité de constater l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression. - L’article 41 stipulant l’intervention du Conseil de sécurité à travers différentes mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée : l'interruption complète ou partielle des relations économiques, des communications et des relations diplomatiques. - L’article 42 autorisant le recours aux forces armées aériennes, navales ou terrestres pour exécuter toute décision que le Conseil jugerait nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Le Conseil adopte de telles mesures lorsqu’il estime que les mesures prévues à l'article 41 sont inadéquates ou qu'elles se sont révélées comme telles 4. 1 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 46. 2 La résolution 1593 du 1er juillet 2005 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 3 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., p. 116. 4 La Charte des Nations Unies (articles 24/25/39/41/42). 133 D’autre part, quant aux dispositions du Statut de Rome, le Conseil de sécurité a adopté cette résolution en application de plusieurs de ses articles qu’il est possible de classer ainsi : - Les articles 12 et 13 relatifs aux conditions préalables à l'exercice de la compétence de la Cour. - Les articles 5, 6, 7 et 8 relatifs à la portée de la compétence matérielle de la Cour. - Les articles 11, 24 et 126 relatifs à l'étendue de la compétence temporelle de la Cour et à l'entrée en vigueur de son Statut. - Les articles 25 et 27 relatifs à la compétence personnelle de la Cour 1. Consécutivement à la résolution 1593 au lendemain de la saisine de la CPI, le Procureur a adressé une déclaration dans laquelle il annonce avoir pris note de la saisine et qu’il entrerait en contact avec les autorités nationales et internationales concernées 2, dont l’ONU et l’UA, afin de fixer les modalités nécessaires à l’accomplissement de leur mission 3. En l’espèce, la résolution 1593 donne mandat au Procureur pour enquêter en vue d’élucider les soupçons. Il va de soi que le Procureur peut se fonder sur les éléments de preuve rassemblés par l’enquête de la Commission que le Secrétaire général doit lui transmettre dans leur intégralité. Dans cette résolution le Conseil de sécurité se fonde notamment sur les conclusions d'une commission internationale d'enquête qui a recommandé la saisine de la CPI4. De fait, le 5 avril 2005, seulement quelques jours après l’adoption de la résolution, le bureau du Procureur reçoit les documents de la Commission d’enquête créée par le Conseil de sécurité : des milliers de documents, des rapports publics et des conclusions que cette Commission avait produits qui ont été remis à la fin de son travail. L’objectif du Procureur était d’examiner ces documents et de réunir tous les autres renseignements disponibles afin d’en conclure l’existence d’une base raisonnable pour ouvrir une enquête. On trouve également la liste de cinquante et une personnes que la Commission internationale 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 5, 6, 7, 8, 11, 12, 13, 25, 27). 2 Ibid, (articles 18, 54 et 86). 3 CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc- cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 10 octobre 2010, 4 La résolution 1593 du Conseil de sécurité du 1er juillet 2005, op. cit., UN.Doc.S/RES. 134 d’enquête de l’ONU soupçonne d’être coupables des crimes graves commis au Darfour et les raisons pour lesquelles la Commission les considère de la sorte. Pour prendre sa décision, le Procureur doit aussi s’interroger sur les conditions de recevabilité établies dans l’article 17 du Statut et c’est principalement dans cette phase préliminaire qu’il doit évaluer si « L’affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un Etat ayant compétence en l’espèce, à moins que cet Etat n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites »1. A cette époque, les autorités soudanaises affirmaient en effet avoir amorcé des enquêtes et le Procureur lui-même reconnaissait que cela pourrait s’avérer être un élément capital : sa tâche consistait donc à examiner les efforts nationaux avec soin et en toute impartialité, évaluant d’une part les crimes perpétrés au Darfour et d’autre part les efforts déployés pour les éviter et les endiguer 2. Abordons maintenant les intérêts de la justice. Suite au renvoi du Conseil de sécurité, le bureau du Procureur effectue des analyses et s’enquiert d’informations complémentaires conformément à l’article 53 du Statut et à la règle 104 du Règlement de procédure et de preuve afin de vérifier si les critères nécessaires à l’ouverture d’une enquête sont réunis. Ce bureau déclare avoir recueilli des milliers de documents provenant de sources différentes. Il a également consulté plus de cinquante experts indépendants. Après une analyse minutieuse, le 1er juin 2005, le Procureur confirme l’existence d’une base raisonnable pour ouvrir une enquête sur la situation au Soudan. Il en informe sur le champ la Chambre préliminaire I désignée pour la situation au Darfour, déclarant : « L’enquête sera impartiale et indépendante, et s’intéressera principalement aux personnes portant la responsabilité pénale la plus lourde concernant les crimes commis au Darfour. […] Pour les besoins de l’enquête, il sera nécessaire d’obtenir la coopération durable des autorités nationales et internationales. Cette coopération s’inscrira dans le cadre d’un effort collectif venant compléter les initiatives de l’Union Africaine et d’autres organisations visant à mettre fin à la violence au Darfour et à promouvoir la justice. Les mécanismes traditionnels africains peuvent constituer un 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 17-A). 2 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 110-114. 135 complément important à ces efforts, et permettre d’obtenir la réconciliation locale »1. Le 6 juin 2005, trois mois après le renvoi de la situation soudanaise devant la Cour par le Conseil de sécurité, le Procureur ouvre officiellement une enquête sur la situation au Darfour. Le 27 février 2007, des enquêtes sont menées par le Procureur de la CPI au cours desquelles il demande à la Chambre préliminaire I d’adresser aux personnes soupçonnées d’être coupables des citations à comparaître devant la CPI. Trois mois plus tard, la Chambre préliminaire I conclut à l’existence de motifs valables pour estimer que ces personnes sont, d’un point de vue pénal, responsables des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis au Darfour en 2003 et 2004 2. En conséquence, des mandats d’arrêt sont émis à l’encontre des personnes citées par le Procureur dans sa requête de février : - Ahmed Muhammed Harun (Ahmed Haroun), ancien Ministre d’Etat soudanais chargé des Affaires humanitaires et alors gouverneur de la province du SudKordofan, le 27 avril 2007, mandat rendu public le 1er mai 2007. - Ali Muhammed Ali Abd-Al-Rahman (Ali Kushaib), chef de milice janjaouid, le 27 avril 2007, mandat rendu public le 1er mai 2007. - Omar Hassan el-Béchir, Président soudanais en exercice, mandat rendu public le 4 mars 2009. Ces trois accusés sont toujours en liberté. Une autre citation à comparaître, rendue publique le 17 mai 2009, est lancée à l’encontre de Bahr Idriss Abu Garda, commandant rebelle au Darfour, qui comparaît librement devant la CPI. D’autres demandes de citations à comparaître sont en cours, notamment contre deux autres rebelles soudanais dont les noms n’ont pas été dévoilés, les juges ne s’étant pas encore prononcés. Dans tous les cas, le Procureur requiert un mandat d’arrêt à l’encontre du Président du Soudan, Omar el-Béchir, qu’il accuse d’avoir orchestré le plan visant la destruction de certains groupes ethniques habitant la région. Pour la première fois, le Procureur de la CPI accuse de génocide un chef d’Etat en exercice. Le 4 mars 2009, la Chambre préliminaire I rend publique sa décision de répondre positivement à cette requête et 1 CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc- cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 10 novembre 2010, Voir aussi : Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 50 2 CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc- cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 10 octobre 2010. 136 de délivrer un mandat d’arrêt contre lui. La Chambre préliminaire n’a pas retenu la charge de génocide mais le Procureur interjette appel sur ce point. Cependant, à ce jour la Chambre d’Appel ne s’est pas encore prononcée. Le gouvernement soudanais nie intégralement les accusations et met en cause la compétence de la CPI. C’est pourquoi la situation au Darfour pose un défi important à la Communauté internationale et notamment aux Etats parties qui sont appelés à soutenir cette Cour et à coopérer avec elle. Cette coopération implique non seulement l’exécution des mandats d’arrêts dans le cas où les personnes inculpées se déplaceraient en dehors du Soudan mais également le soutien politique et diplomatique de la CPI dans le cadre des relations bilatérales avec le Soudan ainsi que dans des forums multilatéraux 1. Actuellement, aucune décision n’a été prise quant aux personnes qui feront l’objet de poursuites. La CPI poursuit sans répit son enquête au Darfour bien que la situation actuelle dans cette région en matière de sécurité reste fortement instable, marquée par une violence et des attaques de tous instants. Or, la mise en place d’un système efficace de protection des victimes et des témoins demeure une condition préalable à la tenue de toute investigation au Darfour. Compte tenu du climat général d’insécurité, les investigations des organes de la CPI se sont donc déroulées jusqu’à présent en dehors du Darfour 2. Dès la constatation d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, il convient de réaliser un lien entre le maintien de la paix et de la sécurité internationales et le recours à la justice pénale internationale. Sans doute n’était-il pas nécessaire que le Conseil de sécurité se montre aussi explicite que les tribunaux pénaux ad hoc quant à l’existence de ce lien, lequel peut être déduit du Statut, en particulier de son préambule. En effet, il aurait été intéressant que, par cette première saisine, le Conseil de sécurité apporte quelques éclaircissements aux zones d’ombre persistant sur ses rapports avec la CPI. « La résolution 1953 du Conseil de sécurité, par laquelle ce dernier saisit pour la première fois la CPI, semble être a minima. Cette économie de moyen traduit en quelque sorte une mauvaise volonté de la part de 1 FILDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Darfour : le Conseil de sécurité devrait soutenir la CPI - Des ONG de la Campagne pour le Darfour appellent les membres du Conseil de sécurité à exiger que le Soudan coopère avec la Cour, article disponible sur : http://www.fidh.org/Darfour-leConseil-de-securite-devrait-soutenir, référence de la page consultée le 23 mars 2010. Voir aussi : CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc- cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 10 octobre 2010, 2 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 52. 137 l’organe politique mais cela transparaîtra plus clairement dans les limites posées à la compétence de la CPI » 1. 1 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., p. 122. Voir aussi : Adjovi (R.), Braha (H.), La résolution 1593 déférant la situation du Darfour à la Cour pénale internationale, op. cit., p. 252. Voir aussi : CFCPI, site officiel de la coalition française pour la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.cfcpi.fr/, référence de la page consultée le 11 décembre 2010. 138 § II. La résolution 1970 du Conseil de sécurité : le cas de la Libye A la suite des événements qui se sont produits en Libye, et avec le soutien de la Ligue arabe d’imposer une zone d'exclusion aérienne, un projet d’une résolution francobritannique présenté à l’ONU, dans lequel ces deux Etats ont demandé que la résolution prévoie un embargo total sur les armes, prévoie d'autre part des sanctions et également la saisine de la CPI pour crime contre l'humanité. Ce projet estime que la situation en Libye est très grave, il faut absolument que le Conseil de sécurité intervienne, c'est un signal très fort à donner. La situation en Libye est absolument dramatique ; il n’y avait pas de certitude sur le nombre de victimes, mais tout indique qu'elles sont au nombre de plusieurs centaines par semaine ; il ne peut donc pas y avoir d'impunité. La saisine de la situation libyenne devant la CPI est du ressort exclusif du Conseil de sécurité de l’ONU. Les sanctions peuvent être des interdictions de visa par exemple ou des mesures financières 1. Dans le cas de la Libye, il semble que les violences perpétrées par le pouvoir contre les manifestants pourraient constituer des crimes contre l'humanité. Une analyse partagée par plusieurs organisations de défense des droits de l'homme. L'article 7 du Statut de Rome établit une liste de ces crimes, commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. Y figurent notamment le meurtre et l'emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international. Si le Conseil de sécurité saisit le Procureur de la CPI, celui-ci devra transmettre le dossier à une chambre préliminaire composée de six juges, qui détermineront si les motifs sont suffisants pour engager une procédure. Le cas échéant, le Procureur ouvrira une enquête. Dans ce cadre, il pourra décider d'émettre des mandats d'arrêt contre les auteurs présumés des crimes en question 2. Le projet de saisir la CPI pour crimes contre l'humanité ne faisait pourtant pas 1 Le Nouvel Observateur, Projet de résolution à l'ONU sur la Libye et appel à une réunion d'urgence de l'Otan, article publié le 25 février 2011. 2 Vampouille (T.), Libye : les possibles recours à la Cour pénale internationale, article disponible sur : http://www.lefigaro.fr/international/2011/02/24/01003-20110224ARTFIG00577-libye-les-possibles-recours-ala-cour-penale-Internationale.php, référence de la page consultée le 25 février 2011. Voir aussi : Le Monde, Libye : l’ONU saisit la Cour pénale internationale, article disponible sur : 139 consensus au début des discussions. En effet, le recours à la CPI a généré de vives objections, en particulier par six Etats : les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Brésil, l'Afrique du Sud et l’Algérie. Le secrétaire général de l'ONU avait estimé qu'il était temps pour le Conseil de prendre des mesures « concrètes » concernant la Libye. « Une perte de temps signifie une perte en vies humaines », avait-il dit. L'ambassadeur de Libye à l'ONU, ancien ministre des Affaires étrangères du pays, avait cependant fait parvenir une lettre au Conseil de sécurité dans laquelle il déclarait soutenir le recours à la CPI. Ce recours contient une portée qui va bien au-delà de la Libye, a souligné l'ambassadeur de France à l'ONU 1. Pour tenter de sortir du blocage concernant la saisine de la CPI, la délégation libyenne à l'ONU, qui a rompu ses liens avec le régime, a apporté son soutien au projet défendu par la France et la Grande-Bretagne. Les Etats-Unis, l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne proposent, outre la saisine de la CPI, un gel des avoirs et une interdiction de déplacement à l'encontre de Kadhafi et ses proches. Ces Etats espèrent un vote sur ce projet de résolution et on ignore si, pour parvenir à un vote unanime, ils renonceront à mentionner dès à présent une saisine de la CPI. Car les Etats-Unis, la Russie et la Chine n'ont pas adhéré à la CPI. Or, ils sont tous trois membres permanents du Conseil de sécurité et disposent à ce titre d'un droit de veto. Enfin, Washington a soutenu la position franco-britannique tandis que Moscou n'y a guère prêté d'importance. La Chine et l'Inde, qui n'ont pas non plus adhéré à la CPI, de même que le Portugal et le Brésil, membres de la CPI, seraient en revanche réticents à l'idée d'évoquer immédiatement la Cour de La Haye 2. Par ailleurs, le vendredi 25 février 2011 à Genève, le Conseil des droits de l'homme de l’ONU a condamné les atteintes aux droits humains commises en Libye. Amnesty international, quant à elle, a exhorté le Conseil des droits de l'homme, la LEA et l’UA, qui ont tous annoncé l’envoi de la mission d’enquête en Libye, à mener à bien ces investigations dans les plus brefs délais et à en transmettre dès que possible les conclusions au Procureur de la http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/27/libye-l-onu-saisit-la-cour-penale internationale_1485768_3212.html, référence de la page consultée le 20 mars 2011. 1 Ibid,http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/27/libye-l-onu-saisit-la-cour-penale- Internationale_1485768_3212.html. 2 L’Express, Vifs débats à l'Onu au sujet de la Libye, article disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualites/2/monde/vifs-debats-a-l-onu-au-sujet-de-la-libye_966704.html?xtor=x, référence de la page consultée le 10 mars 2011. 140 CPI. Amnesty a également appelé le Conseil de sécurité à envisager de prendre des décisions similaires pour d’autres pays 1. Le 26 février 2011, le Conseil de sécurité se déclare, dans sa résolution 1970, gravement préoccupé par la situation en Jamahiriya arabe libyenne, et condamne la violence et l’usage de la force contre les civils. Il regrette vivement les violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme, notamment la répression exercée contre des manifestants pacifiques, exprime la profonde préoccupation que lui inspire la mort de civils et dénonce sans équivoque l’incitation à l’hostilité et à la violence émanant du plus haut niveau du Gouvernement libyen dirigé contre la population civile. L’UA et le Secrétaire général de l’OCI accueillent avec satisfaction la condamnation par la LEA des graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui sont commises en Jamahiriya arabe libyenne. Rappelant que les autorités libyennes ont la responsabilité de protéger le peuple libyen, ils exigent que soit immédiatement mis fin à la violence et demandent que des mesures soient prises pour satisfaire les revendications légitimes de la population. Ils décident également de saisir le Procureur de la CPI de la situation qui règne en Jamahiriya arabe libyenne depuis le 15 février 2011. Ils décident également que les autorités libyennes doivent coopérer pleinement avec la Cour et le Procureur et leur apporter toute l’assistance voulue 2. Par la résolution 1970, les membres du Conseil de sécurité envoient donc un signal fort en considérant que « les attaques systématiques » contre la population civile en Libye « peuvent être assimilées à des crimes contre l'humanité ». Le Conseil de sécurité décide de transférer au Procureur de la CPI « la situation en Libye depuis le 15 février 2011 » et 1 Amnesty international, La Libye, résolution historique du Conseil de sécurité, article disponible sur : http://www.amnesty.ch/fr/pays/moyen-orient-afrique-du-nord/libye/docs/2011/resolution-historique-conseilsecurite, référence de la page consultée le 30 juillet 2011. Voir aussi : site officiel du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, disponible sur : http://www2.ohchr.org/french/bodies/hrcouncil/index.htm, référence de la page consultée le 3 août 2011. 2 La résolution 1970 du 26 février 2011 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. Voir aussi : Le Conseil de sécurité, Département de l’information, Service des informations et des accréditations, Le Conseil de sécurité impose des sanctions contre le régime de Qadhafi à la suite de la répression meurtrière en Libye, 6491e séance – soir, le 26 février 2011. 141 demande aux autorités libyennes de « coopérer pleinement » avec la CPI1. D’ailleurs, il faut noter que cette résolution du Conseil de sécurité est basée sur des fondements juridiques et que ceux-ci sont dans l’ensemble, les mêmes que ceux de la résolution 1593 concernant le Soudan. Certains de ces fondements trouvent leur origine dans la Charte de l’ONU (les articles 24-1, 39, 41 et 42) ainsi que dans le Statut de Rome (les articles 5, 6, 7, 11, 12, 13, 24, 25, 27 et 126) 2. Le Conseil de sécurité a donc décidé de saisir le Procureur de la CPI de la situation qui règne en Jamahiriya arabe libyenne depuis le 15 février 2011. Cette saisine de la CPI, par le Conseil de sécurité au sujet de la Libye, marquerait un instant historique dans la lutte contre l’impunité pour des crimes de droit international. Les probables crimes contre l'humanité en Libye ne resteront pas impunis grâce à la saisine par le Conseil de sécurité. Pour le peuple libyen, cette décision est le signe que la Communauté internationale ne détournera pas ses yeux des atteintes aux droits humains dont il continue de souffrir 3. Les membres du Conseil de sécurité se sont affrontés sur l'opportunité de saisir dès à présent la CPI pour la répression meurtrière en Libye du soulèvement contre le régime libyen. En revanche, un fort consensus existait parmi les 15 membres du conseil pour imposer des sanctions au dirigeant libyen et à ses proches dans le cadre d'un projet de résolution franco-britannique à l'étude. Les membres du Conseil demandaient en outre la fin immédiate des violences et que des mesures soient prises pour répondre aux aspirations légitimes du peuple libyen. Il a exhorté les autorités libyennes à agir, « avec la plus grande retenue, à assurer la sécurité de tous les étrangers, à assurer le passage sûr des fournitures humanitaires et médicales, et à lever immédiatement toutes les restrictions sur toutes les formes de médias »4. Depuis l’adoption de la résolution 1 Le Monde, Libye : l'’ONU saisit la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/27/libye-l-onu-saisit-la-cour-penaleInternationale_1485768_3212.html. Voir aussi : Amnesty international, La Libye, résolution historique du Conseil de sécurité, op. cit., http://www.amnesty.ch/fr/pays/moyen-orient-afrique-du- nord/libye/docs/2011/resolution-historique-conseil-securite. 2 Voir : Supra, pp. 133-134. La Charte des Nations Unies (articles 24, 25, 39, 41 et 42). Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 5, 6, 7, 8, 11, 12, 13, 25 et 27). 3 Le Monde, Libye : l'ONU saisit la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/27/libye-l-onu-saisit-la-cour-penaleInternationale_1485768_3212.html. 4 La résolution 1970 du 26 février 2011 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 142 1970, le Secrétaire général a reçu 43 communications adressées par plus de 20 Etats Membres et par des accords et organismes régionaux pour l’informer d’actions liées à la mise en œuvre de la résolution. Suite à la résolution 1970, le Procureur de la CPI a ouvert une enquête sur la situation libyenne le 3 mars 2011. La Cour concentre ses investigations sur les allégations de crimes contre l'humanité. Le bureau du Procureur doit notamment établir si les actes commis en Libye ont un caractère grave et massif, entrant dans le contexte d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile 1. De surcroît, il faut noter que l'enquête ouverte par la CPI devrait se focaliser sur les plus hauts responsables des exactions commises depuis le 15 février 2011. Ils ont visé principalement Mouammar Kadhafi, ses fils et leur cercle rapproché, ainsi que le ministre des Affaires étrangères, le chef de la sécurité du régime et du renseignement militaire, et le chef de la sécurité personnelle de Kadhafi. La qualité de chef d'Etat en exercice ne protégeait pas Kadhafi d'éventuelles poursuites selon l’article 27 du Statut de Rome. Omar el-Béchir, président en exercice du Soudan, fait d'ailleurs, comme nous l’avons vu, l'objet d’un mandat d'arrêt de la CPI pour crime commis dans le cadre de la guerre civile au Darfour. De manière opportune, cette résolution du Conseil de sécurité oblige la Libye à coopérer pleinement avec la Cour et le Procureur et à leur apporter toute l’assistance voulue. La Libye n'a en effet aucune obligation envers la CPI elle-même, tandis qu'elle est juridiquement tenue par les résolutions du Conseil de sécurité prises en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. Mais l'enquête n'entraînera pas nécessairement de poursuites devant la Cour. Le bureau du Procureur doit d'abord rassembler suffisamment d'éléments de preuves (images, vidéos, témoignages) sur les crimes commis en Libye, et identifier avec précision les niveaux de responsabilité dans le commandement des forces fidèles au colonel Kadhafi. Les milliers de Libyens réfugiés en Tunisie pourraient apporter des témoignages précieux, de même que les hauts responsables repentis, en cas d'effondrement du régime 2. Par ailleurs, il faut souligner la rapidité d'intervention du Conseil de sécurité dans l'affaire libyenne. Dans le cas du Darfour, la CPI avait été saisie plus de six mois après la constatation de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité par une Commission d'enquête 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 7). 2 CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc- cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 22 août 2012. 143 créée par le Conseil de sécurité à cet effet. Dans le cas libyen, la méthode et les délais sont tout autres : le Conseil de sécurité a saisi la CPI moins de dix jours après le début du conflit, en se satisfaisant des premiers éléments de preuve amenés devant le Conseil des droits de l'homme de l’ONU 1. Le Procureur de la CPI a annoncé l'ouverture d'une enquête pour crimes contre l'humanité en Libye, visant le colonel Mouammar Kadhafi, ses fils et plusieurs hauts responsables libyens. Il a déclaré que « Nous souhaitons vous annoncer que le 3 mars 2011 le bureau du Procureur a décidé d'ouvrir une enquête pour crimes qui auraient été commis contre l'humanité en Libye depuis le 15 février. Nous avons identifié certains individus qui jouissent d'une autorité de facto ». Le Procureur a également cité le chef de la sécurité du régime et du renseignement militaire et le chef de la sécurité personnelle de Kadhafi et le chef de l'organisation de la sécurité interne, sans donner de noms. « Nous voulons saisir cette occasion pour notifier que si les forces dont ils ont le commandement commettent des crimes, ils pourraient être tenus pour responsables pénalement », a poursuivi le Procureur. Le Conseil de sécurité avait saisi le Procureur de la CPI de la situation en Libye, considérant que « les attaques systématiques contre la population civile de ce pays peuvent être assimilées à des crimes contre l'humanité ». Selon la Ligue libyenne des droits de l'Homme, la répression a fait 6.000 morts, dont 3.000 à Tripoli et 2.000 à Benghazi, un bilan nettement plus important, dans cette dernière ville, que les 220 à 250 morts avancés par des sources hospitalières locales. Selon lui, la répression menée par Tripoli a déjà fait des milliers de morts et donné lieu à une campagne de viols de masse. Elle a également entraîné la fuite à l'étranger de près de 650 000 Libyens, ainsi que le déplacement à l'intérieur du pays de 243 000 autres, selon l'ONU. La campagne de bombardements de l'Otan pour aider les rebelles libyens, qui dure depuis cent jours, n'a pas empêché l'enlisement du conflit, et le colonel Kadhafi est toujours au pouvoir 2. 1 Bourguignon (J.), L’affaire libyenne devant la Cour pénale internationale, article disponible sur : http://www.lepetitjuriste.fr/droit-international/droit-international-public/laffaire-libyenne-devant-la-cour-penaleInternationale, référence de la page consultée le 20 mars 2011. 2 La déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale, le 3 mars 2011. Voir aussi : CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 25 août 2011. 144 Très forte symboliquement, l'annonce de la CPI a été accueillie par des scènes de liesse. Mais elle risque pourtant de rester lettre morte. C'est le cas pour le président soudanais Omar el-Béchir, sous le coup d'un mandat d'arrêt depuis 2009 mais qui se trouve toujours à la tête du Soudan. Depuis qu'il est recherché, il a toujours pris soin de ne voyager que dans des pays qui ne reconnaissent pas la légitimité de la CPI. Or celle-ci, ne disposant d'aucune force de police propre, dépend de la volonté des Etats pour l'exécution des mandats d'arrêt. Concernée par les dossiers soudanais et libyen, l'UA s'était prononcée collectivement contre la CPI à propos d'Omar el-Béchir, refusant de l'arrêter sur le territoire africain. Sur la Libye, le président sud-africain a, au nom de l'Afrique, haussé le ton face à l'OTAN, soulignant que l'Alliance n'avait pas été mandatée par l'ONU pour conduire « l'assassinat politique » de Kadhafi. Il est donc peu probable, à nouveau, que l’UA soit décidée à épauler la CPI sur ce dossier 1. Le gouvernement libyen a récusé la demande du Procureur de la CPI d’émettre un mandat d’arrêt à l’encontre du dirigeant libyen. Le porte-parole de ce gouvernement, a indiqué dans un communiqué que la CPI était « dépendante des informations fournies par la presse pour évaluer la situation en Libye ». La CPI a donc tiré des « conclusions incohérentes » a-t-il ajouté. Le gouvernement libyen n’a jamais « ordonné de tuer des civils ou engagé de mercenaires contre son propre peuple » a-t-il souligné, appelant la Communauté internationale à mener des enquêtes sur place 2. Le 4 mai 2011, le Procureur de la CPI a informé le Conseil de sécurité qu’il demandera dans les prochaines semaines aux juges de la CPI de délivrer des mandats d’arrêt à l’encontre de trois personnes suspectées d’avoir commis des crimes contre l’humanité en Libye depuis le 15 février 2011. Sur la base des éléments de preuve déjà recueillis, les intéressés portent la plus grande part de responsabilité pour ces crimes. Il reviendra ensuite aux juges de rejeter cette requête, d’y faire droit ou de demander davantage d’éléments de preuve. Sur la base des éléments de preuve qu’il a rassemblés jusqu’à présent, le Procureur a déclaré que « des crimes contre l’humanité ont été et continuent d’être commis en Libye, 1 Vampouille (T.), Kadhafi frappé par un mandat d’arrêt international, article disponible sur : http://www.lefigaro.fr/international/2011/06/27/01003-20110627ARTFIG00549-kadhafi-frappe-par-un-mandatd-arret-international.php, référence de la page consultée le 25 février 2011. Voir aussi : Abou Alkair (A.), La Cour pénale internationale permanente, op. cit., pp. 15-32. 2 Vampouille (T.), Kadhafi frappé par un mandat d’arrêt international, op. cit., http://www.lefigaro.fr/international/2011/06/27/01003-20110627ARTFIG00549-kadhafi-frappe-par-un-mandatd-arret-international.php. 145 notamment des meurtres et des actes de persécution, dans de nombreuses villes sur l’ensemble du territoire libyen ». En vertu de la résolution 1970, la paix, la sécurité et la protection des civils en Libye doivent être garantis par les principes de la justice. « Aujourd’hui, la justice est en marche. Cependant, si des intérêts divergents compromettent l’adoption d’une position ferme et cohérente concernant les décisions de la Cour, les meurtres, les persécutions, les arrestations systématiques, la torture, les assassinats, les disparitions forcées et les attaques contre les civils se poursuivront sans relâche », a indiqué le Procureur. Il a également appelé les Etats à prendre d’ores et déjà les mesures nécessaires en vue d’arrestations au cas où les juges délivreraient des mandats d’arrêt. Il a ajouté que « le moment est venu de commencer à planifier l’exécution d’éventuels mandats d’arrêt »1. En outre, le Bureau du Procureur poursuivra ses enquêtes sur les différentes formes de persécution à l’encontre des civils à Tripoli et dans d’autres régions du pays, ainsi que sur des cas de viols, d’arrestations illégales, de mauvais traitements et de meurtres d’Africains sub-sahariens considérés à tort comme des mercenaires. Le Bureau du Procureur mènera également des enquêtes sur des crimes de guerre qui auraient été commis en Libye depuis la fin du mois de février, et notamment sur le recours à des armes non précises telles que des armes à sous-munitions, des lance-roquettes multiples, des mortiers et d’autres types d’armes lourdes dans des zones urbaines fort peuplées. Le 16 mai 2011, le Procureur de la CPI a déposé auprès des juges de la CPI une requête aux fins de la délivrance de mandats d’arrêt contre Mouammar Kadhafi, Saïf Al-Islam Kadhafi et le chef du renseignement militaire, Abdullah Al-Senoussi, pour des crimes contre l’humanité commis en Libye depuis février 2011. Le Bureau a recueilli des éléments de preuve directs attestant que Mouammar Kadhafi avait lui-même donné des ordres, que Saïf Al-Islam avait organisé le recrutement de mercenaires et qu’Al Senoussi avait participé aux attaques lancées contre des manifestants. En outre, le Bureau dispose d’informations selon lesquelles tous les trois auraient tenu des réunions dont le but était de planifier ces opérations. Les éléments de preuve rassemblés montrent que des civils ont été attaqués dans leurs foyers, que des manifestations ont été réprimées par des tirs à balles réelles sur la foule, que des armes lourdes ont été utilisées 1 La déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale, la CPI, le 4 mai 2011. 146 contre des personnes qui participaient à des cortèges funèbres et que des tireurs isolés avaient été positionnés pour tuer des personnes qui quittaient la mosquée après la prière 1. Le 27 juin 2011, la Chambre préliminaire I de la CPI a délivré trois mandats d’arrêt à l’encontre de Mouammar Kadhafi, Saïf Al-Islam Kadhafi et Abdullah Al-Senussi, pour des crimes contre l’humanité (meurtre et persécution) qui auraient été commis en Libye du 15 février 2011 jusqu’au 28 février 2011 au moins, à travers l’appareil d’Etat libyen et les forces de sécurité. Cette Chambre a considéré qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les trois suspects ont commis les crimes qui leur sont attribués et que leur arrestation paraît nécessaire pour garantir qu’ils comparaîtront, qu’ils ne continueront pas de faire obstacle aux enquêtes et n’en compromettront pas le déroulement, et pour les empêcher d’utiliser leurs pouvoirs pour poursuivre l’exécution de crimes relevant de la compétence de la Cour. La CPI a donc lancé un mandat d'arrêt à l'encontre du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, pour crimes contre l'humanité commis depuis le soulèvement populaire du 15 février 2. Le Procureur accuse Kadhafi d'avoir personnellement ordonné des attaques contre des manifestants et des dissidents présumés. Son fils Saïf Al-Islam, « premier ministre de facto », a, selon lui, notamment organisé le recrutement de mercenaires. Abdallah Al-Senoussi, beaufrère et bras droit du colonel Kadhafi, a monté des attaques contre des manifestants, selon le Procureur. La révolte en Libye a fait des milliers de morts, selon le Procureur de la CPI. Elle a également entraîné la fuite à l'étranger de près de six cent cinquante mille Libyens et le déplacement à l'intérieur du pays de deux cent quarante-trois mille autres, selon l'ONU. L'annonce des mandats d'arrêt intervient alors que la campagne de bombardements des pays membres de l'OTAN pour aider les rebelles libyens a franchi le cap des cent jours. Ainsi, Kadhafi est le deuxième chef d'Etat à faire l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI, après le président soudanais recherché pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre au Darfour 3. Avant les événements en Libye, un seul chef d'Etat en exercice a fait l'objet d'un 1 CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, les rapports hebdomadaires du 4 mai 2011 et du 16 mai 2011 de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 21 mai 2011. 2 Ibid, http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 29 juin 2011. 3 Le Monde, La CPI lance un mandat d’arrêt contre Mouammar Kadhafi, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/06/27/la-cpi-doit-decider-s-il-faut-delivrer-un-mandat-d-arret-contrekadhafi_1541251_1496980.html, référence de la page consultée le 30 juin 2011. Voir aussi : France diplomatie, Mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre M. Kadhafi, article disponible sur : 147 mandat d'arrêt international émis par la CPI, le président soudanais. Point commun avec la Libye : le Soudan ne reconnaît pas la compétence de la CPI. C'est donc une initiative de l'ONU qui a permis au Procureur de lancer la procédure. Fait inédit dans le cas de la Libye : le Conseil de sécurité a été mis en situation de prendre une telle décision à propos d'un de ses membres, la Libye ayant été élue en mai 2010. Une fois émis le mandat d'arrêt, encore faut-il pour conduire à une arrestation que le président se rende dans un pays qui coopère avec la CPI. Jusqu'à présent, Omar el-Béchir s'en est toujours bien gardé 1. Concernant le cas du chef d’Etat libyen, après la chute de son régime à Tripoli, il est resté un certain temps introuvable. Traqué sans relâche par les combattants du CNT, isolé au sein même de son camp, Kadhafi a maintenu sa présence à travers des messages audio. Pourtant, selon toute vraisemblance, Kadhafi devait toujours être dans le pays, ou dans un pays voisin, où il disposait toujours de soutiens 2. Le Procureur de la CPI a demandé le 8 septembre 2011 à Interpol de délivrer une « notice rouge » contre Mouammar Kadhafi, son fils Saïf Al-Islam et son beau-frère Abdallah Al-Senoussi, qui ont fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI. Le bureau du Procureur a indiqué dans un communiqué : « L’arrestation de Kadhafi est une question de temps ». Les trois hommes sont soupçonnés de crimes contre l’humanité commis en Libye depuis le 15 février, date à laquelle avait éclaté la rébellion qui s’était ensuite transformée en conflit armé. Les notices rouges d’Interpol visent à l’arrestation provisoire de personnes recherchées en vue de leur extradition ou de leur reddition à un Tribunal international sur la base d’un mandat d’arrêt ou d’une décision de justice, rappelle le bureau du Procureur de la CPI dans son communiqué 3. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/libye/la-france-et-la-libye/evenements-4528/article/mandat-darret-de-la-cour-penale, référence de la page consultée le 27 juin 2011. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, le rapport hebdomadaire du 27 juin 2011 de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 29 juin 2011. 1 Vampouille (T.), Libye : les possibles recours à la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.lefigaro.fr/international/2011/02/24/01003-20110224ARTFIG00577-libye-les-possibles-recours-ala-cour-penale-Internationale.php. 2 Le Monde, Kadhafi : traqué partout, trouvé nulle part, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/09/09/kadhafi-traque-partout-trouve-nulle-part_1569747_1496980.html, référence de la page consultée le 20 novembre 2011. 3 CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, Communiqué de presse du 9 septembre 2011, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 12 septembre 2011. 148 Interpol a diffusé, le 9 septembre 2011, une « notice rouge » pour demander à ses cent quatre-vingt-huit pays membres, l'arrestation de ces trois personnes en vue de leur extradition visée par un mandat d'arrêt international émis par la CPI. Cette notice « va restreindre significativement les possibilités pour ces trois hommes de franchir les frontières et sera un outil important pour aider à leur localisation et leur capture », estime dans un communiqué le Secrétaire général de l'Organisation Policière Internationale basée à Lyon. Interpol propose également le soutien de son « centre de commandement et de coordination » et demande à ses membres « de prendre toutes les mesures conformes à leur législation pour aider la CPI à localiser et interpeller Kadhafi », selon le communiqué. En mars, Interpol avait déjà émis une « alerte orange » à l'encontre du Colonel Kadhafi et de 15 de ses proches, afin de faciliter la mise en œuvre des sanctions de l'ONU et l'enquête ouverte par la CPI. Le Procureur avait demandé à Interpol de délivrer une « notice rouge » contre ces trois responsables libyens, suspectés notamment de crimes contre l'humanité, à savoir meurtres et persécutions 1. Le 20 octobre 2011, Kadhafi a été repéré et bombardé par l'OTAN, et il a été blessé. Plus tard, les rebelles ont annoncé sa mort 2. Le 19 novembre 2011, le fils de Kadhafi a été arrêté dans le désert libyen 3. Le 17 mars 2012, les autorités mauritaniennes ont annoncé l'arrestation d’Abdullah Al-Senussi, recherché par la Libye et la CPI 4, et le 5 septembre 2012, la Mauritanie a remis Abdallah Al-Senussi, aux autorités libyennes 5. 1 Vampouille (T.), Interpol demande l’arrestation de Kadhafi, op. cit., pp. 1-2. Voir aussi : Le Monde, Interpol délivre un mandat d’arrêt contre Kadhafi, Saif Al-Islam et son beau-frère, op. cit., p. 1. 2 Le Monde, Libye : les rebelles qui ont arrêté Kadhafi racontent les dernières heures du « Guide », op. cit., http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/10/31/les-rebelles-qui-ont-arrete-kadhafi-racontent-les-dernieresheures-du-guide_1596252_1496980.html. Voir aussi : L’Express, Kadhafi a rencontré son destin, op. cit.,http://www.lexpress.fr/actualite/monde/libye-kadhafi-a-ete-tue-c-est-la-fin-de-la-tyrannie_1042849.html. 3 Le Monde, Libye : Saïf Al-Islam Kadhafi a été arrêté dans le Sud de la Libye, op. cit., http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/11/19/saif-al-islam-kadhafi-a-ete-arrete-dans-le-sud-de-lalibye_1606470_1496980.html?xtmc=saif_al_islam&xtcr=45. Voir aussi : La déclaration du porte-parole du Conseil national de transition libyen, Almanara, le 20 novembre 2011. 4 Le Nouvel Observateur, Libye : l'extradition de Senoussi arrêté en Mauritanie, demandée par Paris et Tripoli, op. cit., http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20120317.AFP0671/libye-l-extradition-de-senoussiarrete-en-mauritanie-demandee-par-paris-et-tripoli.html. Le Monde, Libye : Le Libyen Al-Senoussi inculpé en Mauritanie, op. cit., http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/10/31/les-rebelles-qui-ont-arrete-kadhafi- racontent-les-dernieres-heures-du-guide_1596252_1496980.html. 5 Le Monde, La Mauritanie remet Al-Senoussi, l'ex-espion de Kadhafi, aux autorités libyennes, op. cit., http://www.lemonde.fr/libye/article/2012/09/05/la-mauritanie-remet-al-senoussi-l-ex-espion-de-kadhafi-auxautorites-libyennes_1755792_1496980.html. Voir aussi: Le Point, La Mauritanie remet Al-Senoussi à la Libye, 149 Depuis l’arrestation d’Abdullah Al-Senussi et surtout Saïf Al-Islam, les pourparlers se poursuivent entre la Libye et la CPI concernant cette affaire. La Libye veut les poursuivre en justice, et elle annonce qu'elle est en mesure de leur garantir un procès équitable. La Libye souligne qu’elle ne fait toujours pas partie de la CPI, et dans tous les cas, elle appelle à l'application du principe de complémentarité prévu dans le Statut de Rome. Elle déclare qu’elle est la première juridiction compétente à les juger et que la Libye ne veut qu’un peu de temps pour assurer un procès équitable. La Libye avait d’ailleurs fourni une requête à la CPI où elle demande de suspendre la demande de la CPI de transférer les responsables présumés et elle demande un peu de temps pour prouver à la CPI que la Libye est parfaitement capable de les juger 1. le représentant de la Libye au Conseil de sécurité a exprimé, lors de la présentation du rapport du Procureur de la CPI devant le Conseil, la volonté de son gouvernement de coopérer avec la CPI, il a assuré que le système judiciaire libyen reposait désormais sur de « nouvelles fondations » et était « prêt à mener des procès justes et impartiaux, conformément aux normes internationales en vigueur ». La demande d’exception d’irrecevabilité présentée par les autorités libyennes témoigne de leur volonté de tenir les procès en Libye, a-t-il déclaré, en ajoutant : « tous les Libyens souhaitent que ces procès aient lieu en Libye » 2. Quant à la CPI, le Procureur a fait plus d'une visite en Libye pour cette question, et a fait plusieurs déclarations montrant la capacité de la CPI et son désir de juger le fils de Kadhafi, dans le respect de la souveraineté libyenne. La CPI se dit compétente pour juger Saïf Al-Islam et une résolution du Conseil de sécurité oblige la Libye à coopérer avec la juridiction internationale. Le Procureur avait également déclaré que Saïf Al-Islam Kadhafi et Abdallah Al-Senoussi devaient être traduits en justice. Dans sa résolution 1970, le Conseil de sécurité de l'ONU a renvoyé la situation en Libye devant la CPI et indiqué que les autorités libyennes op. cit., http://www.lepoint.fr/monde/la-mauritanie-a-remis-abdallah-al-senoussi-a-la-libye-05-09-2012- 1502767_24.php. 1 Alnahas (S.), La Libye et la compétence de la Cour pénale, article disponible sur : http://www.almanaralink.com/press/2012/04/15786, Almanara, Libye, référence de la page consultée le 25 mai 2012, p. 2. Voir aussi : Bidir (A.), L’obligation de délivrer Saif al-Islam à la Cour pénale internationale, Aldiwan, article publié le 4 mai 2012, p. 1. Alkarbal (M.), Une proposition pour sortir de la crise entre la Libye et la Cour pénale internationale, Almostakbal, article publié le 21 juillet 2012, pp. 1-3. 2 Le troisième rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1970 (2011), 15 mai 2012. 150 étaient tenues de coopérer avec la Cour 1. Le Procureur a décidé de porter l'affaire devant la Cour pour discuter cette question. Pour sa part, le Procureur a déclaré à la CPI qu’il était peu probable que Saïf Al-Islam soit jugé après les premières élections libres menées en Libye. Il a ajouté qu’il n'y avait pas de date limite pour le juger, et que la Libye était en train de préparer son procès, en collectant des témoignages et des documents. Mais il ne croit pas vraiment qu’un procès pourrait avoir lieu en Libye. La CPI a souligné qu’elle pouvait renvoyer la question au Conseil de sécurité en cas de défaillance du nouveau gouvernement libyen pour se conformer à la résolution du Conseil de sécurité 2. Le 23 janvier 2012, le CNT s’est prévalu de l’article 94 du Statut de Rome, qui autorise le sursis à exécution d’une demande à raison d’une enquête ou de poursuites en cours, afin d’obtenir le report de la remise de Saïf Al-Islam et Abdallah Al-senoussi à la CPI3. Le Procureur a demandé aux juges de la CPI de rejeter cette demande lancée par la Libye. Il a ajouté que l’appel fait par la Libye n’exonèrerait pas la décision du pouvoir judiciaire. La décision de la Cour est obligatoire jusqu'à la révocation ou la suspension. Il a également demandé à la CPI de renvoyer la Libye au Conseil de sécurité si elle souhaitait toujours mettre la main sur Saïf Al-Islam et Abdallah Al-senoussi. Le 7 mars 2012, la Chambre a refusé de faire droit à cette demande et a exigé de la Libye qu’elle transfère Saïf Al-Islam à La Haye. Elle a demandé à Tripoli de remplir ses obligations de mettre en œuvre le mandat d'arrêt émis à l'encontre de Saïf Al-Islam et de le remettre à la Cour sans tarder. Le 22 mars 2012, la Libye a informé la CPI de son intention de contester la recevabilité de l’affaire concernant Saïf Al-Islam et Abdallah Al-senoussi, se fondant sur l’article 19-2 b du Statut de Rome « Peut contester la recevabilité de l’affaire pour les motifs indiqués à l’article 17 ou contester la compétence de la Cour l’Etat qui est compétent à l’égard du crime considéré du fait qu’il mène ou a mené une enquête, ou qu’il exerce ou a exercé des poursuites en l’espèce ». La requête, soumise le 30 mars à la Cour, demandait aux juges de suspendre l’obligation de remise de Saïf Al-Islam. Cette hypothèse est prévue à l’article 95 du Statut de Rome, intitulé « sursis à exécution d’une demande en raison d’une exception d’irrecevabilité ». Dans sa 1 La résolution 1970 du 26 février 2011 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 2 La Cour pénale internationale, Bureau du Procureur, Communiqué de presse du 29 novembre 2011, ICC-OTP Fr. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc- cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 4 avril 2012. 3 Alnahas (S.), La Libye et la compétence de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 2. 151 décision du 4 avril 2012, la Cour déclare tout d’abord irrecevable la réponse du Bureau du Conseil public pour la défense dans la mesure où il excède le délai autorisé. A la demande de suspension de la procédure en raison de la contestation de la recevabilité de l’affaire, la Cour répond que l’article 58 du Règlement de procédure et de preuve de la Cour, sur lequel la demande est fondée, ne mentionne pas le report de l’obligation de coopération. Dès lors, l’article 58 susmentionné ne peut être la base légale de la requête 1. La Libye se fonde par ailleurs sur l’article 95 du Statut de Rome, qui prévoit la possible suspension des demandes en 1 L’article 58 du Statut de Rome, appelé Délivrance par la chambre préliminaire d’un mandat d’arrêt ou d’une citation à comparaître, déclare que : « 1. A tout moment après l'ouverture d'une enquête, la Chambre préliminaire délivre, sur requête du Procureur, un mandat d'arrêt contre une personne si, après examen de la requête et des éléments de preuve ou autres renseignements fournis par le Procureur, elle est convaincue : a) Qu'il y a des motifs raisonnables de croire que cette personne a commis un crime relevant de la compétence de la Cour ; et b) Que l'arrestation de cette personne apparaît nécessaire pour garantir : i) Que la personne comparaîtra ; ii) Qu'elle ne fera pas obstacle à l'enquête ou à la procédure devant la Cour, ni n'en compromettra le déroulement ; ou iii) Le cas échéant, qu'elle ne poursuivra pas l'exécution du crime dont il s'agit ou d'un crime connexe relevant de la compétence de la Cour et se produisant dans les mêmes circonstances. 2. La requête du Procureur contient les éléments suivants : a) Le nom de la personne visée et tous autres éléments utiles d'identification ; b) Une référence précise au crime relevant de la compétence de la Cour que la personne est censée avoir commis ; c) L'exposé succinct des faits dont il est allégué qu'ils constituent ce crime ; d) Un résumé des éléments de preuve qui donnent des motifs raisonnables de croire que la personne a commis ce crime ; et e) Les raisons pour lesquelles le Procureur estime qu'il est nécessaire de procéder à l'arrestation de cette personne. 3. Le mandat d'arrêt contient les éléments suivants : a) Le nom de la personne visée et tous autres éléments utiles d'identification ; b) Une référence précise au crime relevant de la compétence de la Cour qui justifie l'arrestation ; et c) L'exposé succinct des faits dont il est allégué qu'ils constituent ce crime. 4. Le mandat d'arrêt reste en vigueur tant que la Cour n'en a pas décidé autrement. 5. Sur la base du mandat d'arrêt, la Cour peut demander l'arrestation provisoire ou l'arrestation et la remise de la personne conformément au chapitre IX. 6. Le Procureur peut demander à la Chambre préliminaire de modifier le mandat d'arrêt en requalifiant les crimes qui y sont visés ou en y ajoutant de nouveaux crimes. La Chambre préliminaire modifie le mandat d'arrêt si elle a des motifs raisonnables de croire que la personne a commis les crimes requalifiés ou les nouveaux crimes. 7. Le Procureur peut demander à la Chambre préliminaire de délivrer une citation à comparaître au lieu d'un mandat d'arrêt. Si la Chambre préliminaire est convaincue qu'il y a des motifs raisonnables de croire que la personne a commis le crime qui lui est imputé et qu'une citation à comparaître suffit à garantir qu'elle se présentera devant la Cour, elle délivre la citation, avec ou sans conditions restrictives de liberté (autres que la détention) si la législation nationale le prévoit. La citation contient les éléments suivants : a) Le nom de la personne visée et tous autres éléments utiles d'identification ; b) La date de comparution ; c) Une référence précise au crime relevant de la compétence de la Cour que la personne est censée avoir commis ; et d) L'exposé succinct des faits dont il est allégué qu'ils constituent le crime. La citation est notifiée à la personne qu'elle vise ». 152 raison d’une exception d’irrecevabilité 1. La Cour rejette donc la demande libyenne et réaffirme l’obligation de livrer les accusés à la CPI. Le 10 avril, le Gouvernement libyen a fait appel de la décision devant la Chambre d’appel. Il allègue une mauvaise interprétation des articles 19 et 95 du Statut de Rome par la Chambre lorsqu’elle a décidé qu’il n’y avait aucun fondement au report. Le nouveau Gouvernement libyen déclare vouloir juger Saïf Al-Islam au niveau national 2. Par ailleurs, le Procureur a déclaré qu’une analyse de cette recevabilité ne constituait pas, selon lui, en vertu du Statut de Rome, une évaluation du système judiciaire libyen dans son ensemble. Il a expliqué que son Bureau entendait plutôt déterminer si les autorités nationales avaient mené ou menaient des enquêtes et des poursuites véritables au sujet des affaires sélectionnées. Le Conseil de sécurité pourrait décider de présenter des observations, mais, a-t-il fait observer, il s’agit d’une question judiciaire qui sera tranchée par les juges de la Chambre préliminaire. A la suite de cette requête, la Chambre préliminaire de la CPI a demandé des observations de la part des différentes parties ainsi que du Conseil de sécurité. Pour le Procureur de la CPI, « il n’y a aucun doute sur la légalité des principes ». Le représentant de la France au Conseil de sécurité a félicité le gouvernement libyen d’avoir présenté son recours en admissibilité en pleine conformité avec le Statut de Rome. Comme le Procureur l’a rappelé, la décision finale sur le cas de Saïf Al-Islam et Abdallah Al-Senoussi reviendra aux Juges de la CPI dont les décisions devront être appliquées. Le respect, par la Libye, de ses obligations internationales et notamment des termes de la résolution 1970 est 1 L’article 95 du Statut de Rome, appelé Sursis à exécution d’une demande en raison d’une exception d’irrecevabilité, déclare que : « Lorsque la Cour examine une exception d'irrecevabilité conformément aux articles 18 ou 19, l'Etat requis peut surseoir à l'exécution d'une demande faite au titre du présent chapitre en attendant que la Cour ait statué, à moins que la Cour n'ait expressément décidé que le Procureur pouvait continuer de rassembler des éléments de preuve en application des articles 18 ou 19 ». 2 Alkarbal (M.), Une proposition pour sortir de la crise entre la Libye et la Cour pénale internationale, op. cit., p. 5. Voir aussi : CFCPI : site officiel de la coalition française pour la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.cfcpi.fr/, référence de la page consultée le 14 avril 2012, Alwatan, La Cour pénale internationale rejette la demande libyenne, article disponible sur : http://alwatan.kuwait.tt/articledetails.aspx?Id=184786, référence de la page consultée le 13 avril 2012. Almanara, La Cour pénale internationale a rejeté la demande de la Libye de reporter la livraison de Saif alIslam, article disponible sur : http://www.almanaralink.com/press/2012/04/14314/, référence de la page consultée le 5 avril 2012. 153 un indice clef de son attachement à l’Etat de droit 1. Amnesty international a déclaré que la décision prise par la CPI, d’exiger de la Libye qu’elle délivre les accusés immédiatement, se présente comme un pas en avant dans la réalisation de la justice et la responsabilisation. Une telle décision délivrée par les juges de la CPI, met un terme à cette histoire des accusés libyens. Amnesty demande à la Libye de réagir à la décision de la CPI, et de remettre ces accusés, sans plus tarder 2. Au-delà, le Procureur tente surtout de convaincre les juges de ne pas fermer la porte aux discussions, et d’organiser une audience pour débattre des différentes options. La Libye a ainsi proposé au Procureur de surveiller un éventuel procès à Tripoli, ce que les Britanniques avaient d’ailleurs suggéré. Le Procureur avait refusé cette option, qui n’entre pas dans son mandat. Il a en revanche proposé que les juges de la CPI conduisent le procès en Libye, au lieu de La Haye. « Les autorités libyennes n’ont pas exclu cette possibilité », écrit-il dans sa requête aux juges. Elles ne l’ont, à ce jour, ni accepté, ni refusé. La balle est désormais entre les mains des juges de la Cour. Il semble que le sujet de ce procès soit encore en discussion dans les couloirs de la CPI d’un côté, et dans les pourparlers entre la CPI et la Libye de l’autre côté. En effet, les données initiales suggèrent que la Libye va essayer de juger Saïf Al-Islam et Abdallah Al-senoussi, en application du principe de complémentarité, à la condition que la Libye assure à la CPI que ses accusés se trouvent devant une véritable justice, dans un procès équitable avec tous ses droits, et que ce procès se conforme à la neutralité judiciaire et à l'application de la loi 3. En outre, il est essentiel ici de rappeler que la question libyenne a été déférée à la CPI par une résolution du Conseil de sécurité, pour la simple raison que la Libye ne fait pas partie de la CPI. D’un côté, Le Procureur ne pouvait alors pas intervenir, et d’un autre côté, il n'était pas prévu ni raisonnable que le régime de Kadhafi lui-même se défère à la CPI. Il n’y 1 Le troisième rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1970 (2011), op. cit., 15 mai 2012. 2 Amnesty international, site officiel d’Amnesty international, référence de la page consultée le 17 mai 2012, http://www.amnesty.org/fr. 3 Maupas (S.), La libye prête à coopérer avec la CPI, article disponible sur : http://www.rfi.fr/afrique/20111125- libye-prete-cooperer-cpi, référence de la page consultée le 19 mai 2011. Voir aussi : CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 4 avril 2012. 154 avait que l’intervention du Conseil de sécurité comme moyen pour sauver la situation. Mais il faut rappeler aussi que le rôle du Conseil de sécurité ici n’est pas juste un moyen de déférer la situation en Libye à la CPI, mais il oblige, par la suite, tous les Etats parties à coopérer avec la CPI à cet égard, notamment la Libye. Alors, si la Libye refusait de coopérer, d’extrader et de juger Saïf al-islam et Abdallah Al-senoussi par exemple, le Conseil de sécurité pourrait intervenir et même imposer des sanctions contre la Libye. Et cela en vertu, non seulement, du Statut de Rome, mais aussi de la Charte de l’ONU. L’hypothèse d’extrader et juger Saïf AlIslam et Abdullah Al-Senussi devant la CPI pourrait ainsi restée toujours valable. De surcroît, comme nous l’avons vu, le 4 mars 2009, le Procureur de la CPI a émis des mandats d’arrêt à l’encontre d’Omar el-Béchir le président soudanais en exercice et deux autres personnes soupçonnées d’être responsables des crimes commis au Darfour. El-Béchir et ces deux hommes sont toujours en liberté 1. Les crimes commis au Soudan et ceux qui ont été commis en Libye entrent dans la compétence de la CPI, les mandats d’arrêts contre les suspects de ces crimes ont la même valeur, tous deux étant chefs d’Etat. Alors la question qui se pose ici est : Pourquoi le Procureur de la CPI a demandé à Interpol de délivrer une « notice rouge » contre Kadhafi si vite, (six mois à peine après l’ouverture de l’enquête du Procureur), et n’a pas pris cette même mesure contre el-Béchir alors qu’il est recherché depuis mars 2009 ? Est-ce parce que Kadhafi était plus dangereux qu’El-Béchir ? Les crimes commis par ce dernier seraient-ils moins forts et moins dangereux ? Ou bien est-ce parce que certains plans politiques et économiques exigent que Kadhafi soit arrêté le plus vite possible et que la justice ne soit pas le seul critère probant pour la CPI ? 1 Pour plus d’informations, voir : Supra, p. 136. Voir aussi : FILDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Darfour : le Conseil de sécurité devrait soutenir la CPI - Des ONG de la Campagne pour le Darfour appellent les membres du Conseil de sécurité à exiger que le Soudan coopère avec la Cour, op. cit., http://www.fidh.org/Darfour-le-Conseil-de-securite-devrait-soutenir. 155 Chapitre II L’apparition des obstacles lors des saisines par le Conseil de sécurité : les cas du Soudan et de la Libye 156 Maintien de la paix et de la justice pénale internationale sont deux objectifs qui peuvent s’entrechoquer lors de la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité. Cet organe, chargé de préserver la paix, ne peut a priori pas percevoir la justice comme un élément secondaire. La véritable difficulté réside dans la définition même de ces deux finalités. En effet, bien que possédant une apparence juridique, la couleur politique de ces objectifs reste indéniable puisqu’ils dépendent largement de situations concrètes où se mêlent les différents intérêts étatiques 1. Les cas soudanais et libyen mettent en exergue ce curieux dilemme. Le règlement des conflits entre le Nord et le Sud du Soudan, ou les massacres perpétués depuis le mois de février 2011 en Libye sont venus alimenter les interrogations. Comment la Communauté internationale pouvait-elle mettre un terme à une tragédie reconnue par tous ? Si les saisines soudanaise et libyenne marquent un instant historique dans la lutte contre l’impunité pour des crimes de droit international 2, l’étude de ces saisines met en évidence les obstacles liés à la compétence et à l’indépendance de la CPI (Section I) ainsi que les difficultés liées à l’application du principe de complémentarité et à la question de la sélectivité (Section II). Section I. Les obstacles liés à la compétence et à l’indépendance de la Cour pénale internationale La question de la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité révèle un problème structurel lié à la divergence d’objectifs de ces deux organes. A cela, il faut ajouter que la souveraineté des Etats, souvent de nature inflexible, vient se heurter à l’idée de compétence universelle que la CPI acquiert lors qu’elle est saisie par le Conseil de sécurité 3. Dans ce cas précis, les conditions préalables à l’exercice de sa compétence ne sont pas appliquées 4; ce que nous avons pu constater dans les conflits soudanais et libyen. En l’espèce, il s’agit de 1 L’Ouganda (le 29 janvier 2004), la République Démocratique du Congo (le 19 avril 2004) et la République Centrafricaine (le 6 janvier 2005). 2 Le Monde, Libye : l'ONU saisit la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/27/libye-l-onu-saisit-la-cour-penaleInternationale_1485768_3212.html. 3 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., p. 114. 4 Pour plus d’informations, voir : Supra, pp. 31-32 et 72-78. 157 comprendre les difficultés liées à la compétence de la CPI (§I), dont l’indépendance (§II) devient donc primordiale. § I. La saisine par le Conseil de sécurité (Soudan et Libye) et la compétence de la Cour pénale internationale Comme nous l’avons mentionné 1, selon le Statut de Rome, la CPI n’est compétente que pour les crimes commis sur le territoire d’un Etat partie et/ou par un ressortissant d’un Etat partie. Cependant, une dérogation à cette règle est possible si c’est le Conseil de sécurité qui saisit la CPI. Ainsi, les critères préalables posés par le Statut de la CPI ne s’appliquent nullement au renvoi traité par le Conseil de sécurité 2. A cette exception procédurale, et comme il a été également mentionné, le Statut de la CPI a ajouté que la Cour pouvait également recourir au Conseil de sécurité dans certains cas, notamment en ce qui concerne la coopération avec elle. En pratique, lorsque le Conseil de sécurité a saisi la CPI, cette dernière pourra l’aviser en cas de non-coopération des Etats. Le Conseil de sécurité peut alors décider de prendre des mesures contre cette non-coopération, et ce, même si cet Etat n’est pas partie au Statut de Rome. Concrètement, ce Conseil de sécurité peut donc saisir la CPI de faits concernant un Etat tiers au Statut de Rome et même émettre des obligations à l’encontre de ce même Etat. Cette compétence se justifie par le fait que le Conseil de sécurité n’est pas régi par le Statut de Rome, mais par le Chapitre VII de la Charte de l’ONU qui présente un caractère obligatoire vis-à-vis de tous les membres de cette organisation 3. Toutes ces particularités mettent en évidence le caractère universel de la CPI lorsqu’elle est saisie par le Conseil de sécurité 4. 1 Ottenhof (R.), L’association internationale de droit pénal et la création de la Cour pénale internationale. RIDP, op. cit., p. 34. Voir aussi : Cottereau (G.), Statut en vigueur, la Cour pénale internationale s’installe, op. cit., p. 141. Bercheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 355. Huet (A.), La mise en place de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 1302. 2 Huet (A.), La mise en place de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 1302. Bercheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 355. Ottenhof (R.), L’association internationale de droit pénal et la création de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 34. 3 Broomhall (B.), La Cour pénale internationale : présentation générale et coopération des Etats, op. cit., p. 157.Voir aussi : Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 25. 4 Cottereau (G.), Statut en vigueur, la Cour pénale internationale s’installe, op. cit., p. 141. 158 Ce caractère universel peut aisément s’illustrer en pratique. En effet, si les événements au Soudan et en Libye demandaient implacablement que justice soit rendue, aucun de ces deux pays ne pouvait saisir la CPI, et le Procureur ne pouvait pas non plus intervenir, faute pour eux d’être Etats parties au Statut de Rome 1. Se tourner vers le Conseil de sécurité a alors été la solution. Seul lui pouvait prendre une résolution permettant d’engager une procédure devant la CPI et ce, au titre du chapitre VII de la Charte de l’ONU. Reste le problème lié à la compétence temporelle de la CPI. Rappelons qu’en vertu de l’article 12-3 du Statut de Rome, l’Etat qui devient partie au Statut doit accepter la compétence de la CPI. De même, l’article 11-1 précise que celle-ci ne peut concerner que les crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut de Rome, c'est-à-dire le 1er juillet 2002. Cependant, les faits antérieurs pourront être sanctionnés sur la base d’autres mécanismes de responsabilité 2. Dans sa résolution 1593, le Conseil de sécurité de l’ONU a déclaré qu’« agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies décide de déférer au Procureur de la Cour pénale internationale la situation au Darfour depuis le 1er juillet 2002 »3. En décidant de ne renvoyer que les faits postérieurs au 1er juillet 2002, le Conseil de sécurité a donc bien respecté l’article 11-1 précité. Le problème réside dans le fait que les crimes perpétrés au Soudan s’étendent sur une période qui débute bien avant cette date. Concernant la Libye, la résolution 1970 du Conseil de sécurité indique qu’ « agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies et prenant des mesures au titre de son article 41 (…) Décide de saisir le Procureur de la Cour pénale internationale de la situation qui règne en Jamahiriya arabe libyenne depuis le 15 février 2011 »4. Une fois de plus, il s’agit bien de faits postérieurs à l’entrée en vigueur du Statut de Rome, conformément à l’article 11-1. Pourtant, la résolution 1970 appelle plusieurs commentaires. Dans un premier temps, il faut noter que la CPI ne s’intéressera nullement à l’ensemble des crimes dont est accusé le régime libyen par Mouammar Kadhafi depuis 1969. Deuxièmement, on pourrait s’interroger sur le fait que le Conseil de sécurité n’ait pas pris en compte les crimes perpétrés en Libye pour la période du 1 Maupas (S.), Comment la CPI compte enquêter sur les crimes commis en Libye, article disponible sur : http://www.rfi.fr/afrique/20110228-le-Procureur-cpi-ouvre-une-enquete-preliminaire-crimes-commis-libye, référence de la page consultée le 15 mai 2011. 2 Katansi (L.), Crimes et châtiments dans la région des Grands lacs, la Cour pénale internationale, tribunaux internationaux, tribunaux nationaux, op. cit., p.170. 3 La résolution 1593 du 1er juillet 2005 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 4 La résolution 1970 du 26 février 2011 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 159 1er juillet 2002 au 15 février 2011, alors qu’il a déféré la situation soudanaise à partir du 1er juillet 2002. En effet, rappelons que la compétence de la CPI est restreinte ratione temporis aux actes commis après le 1er juillet 2002, date d’entrée en vigueur de son Statut. Cela explique que seuls les crimes commis au Soudan après cette date soient pris en compte. En revanche, l’explication pour la situation libyenne peut interpeller et démontre que le Conseil de sécurité ne s’intéresse qu’aux événements intervenus après le 15 février 2011 et ne veut pas s’immiscer dans les événements antérieurs 1. Indépendamment de ces remarques, la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des situations soudanaise et libyenne, qui sont deux Etats non parties au Statut, renforce l’idée d’une compétence universelle de la CPI. Elle implique également un renforcement de la coopération avec la CPI en obligeant tous les Etats membres de l’ONU. Mais n’est-il pas paradoxal que les membres permanents du Conseil de sécurité non parties à la CPI et non favorables à l’idée de cette saisine, ne l’aient pas empêchée grâce à leur droit de veto ? En effet, malgré la difficulté de distinction entre crimes commis avant et après l’entrée en vigueur du Statut et le fait que ces crimes antérieurs puissent rester impunis, ces pays ont tout de même laissé le Conseil de sécurité déférer les situations soudanaise et libyenne devant la CPI. Dès lors, une nouvelle question se pose : le silence engendré par la non-utilisation de leur droit de veto est-il susceptible de révéler l’existence d’autres intérêts pour ces pays 2 ? 1 Bourguignon (J.), L’affaire libyenne devant la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.lepetitjuriste.fr/droit-international/droit-international-public/laffaire-libyenne-devant-la-cour-penaleInternationale. 2 Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., p. 52. Voir aussi : Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la CPI, op. cit., p. 119. 160 § II. La saisine par le Conseil de sécurité (Soudan et Libye) et l’indépendance de la Cour pénale internationale Théoriquement, selon l’article 13 du Statut, l’indépendance de la CPI n’est pas entravée dans l’hypothèse d’une saisine par le Conseil de sécurité. Cet article précise en effet que le Conseil de sécurité peut déférer la situation au Procureur. Ce dernier peut, par la suite, au vu des renseignements relatifs à la situation, conclure ou non à l’existence d’une base raisonnable pour ouvrir une enquête. Ainsi, il appartient uniquement au Procureur, et non au Conseil de sécurité, de déterminer quels individus peuvent faire l’objet de poursuites. De plus, sa décision pourrait elle-même être soumise à la possibilité de révision par la Chambre préliminaire, conformément à l’article 13-3. Le Procureur peut aussi décider, sous réserve de l’autorisation de la chambre préliminaire, de procéder à l’investigation d’autres crimes non précisés lors de la saisine par le Conseil de sécurité 1. Dans la résolution 1593, par laquelle le Conseil de sécurité défère la situation du Darfour à la CPI, le paragraphe 8 dispose que : « le Conseil de sécurité invite le Procureur à informer le Conseil de sécurité, dans les trois mois suivant la date de l’adoption de la présente résolution, puis tous les six mois, de la suite donnée à la présente résolution » 2. Pour honorer l’engagement de la CPI vis-à-vis du Conseil de sécurité, le Procureur informe ce dernier, le 29 juin 2005, c'est-à-dire seulement trois mois plus tard, des actions qu’il a entreprises en application de la résolution 1593 3. Dans sa déclaration au Conseil de 1 L’article 13-b du Statut de Rome annonce que « Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies » et l’article 15-2 et 3 déclare que « 2. Le Procureur vérifie le sérieux des renseignements reçus. A cette fin, il peut rechercher des renseignements supplémentaires auprès d'Etats, d'organes de l'Organisation des Nations Unies, d'organisations intergouvernementales et non gouvernementales, ou d'autres sources dignes de foi qu'il juge appropriées, et recueillir des dépositions écrites ou orales au siège de la Cour. 3. S'il conclut qu'il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête, le Procureur présente à la Chambre préliminaire une demande d'autorisation en ce sens, accompagnée de tout élément justificatif recueilli. Les victimes peuvent adresser des représentations à la Chambre préliminaire, conformément au Règlement de procédure et de preuve ». 2 3 La résolution 1593 du 1er juillet 2005 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. Le premier rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1593 (2005), 29 juin 2005. 161 sécurité, le Procureur demande la coopération du gouvernement soudanais et de toutes les parties en conflit. Il souligne que collaborer avec l’UA, les Etats et la société civile dans la région, constituait pour son bureau une priorité. En effet, le renvoi devant la CPI de cette situation a apporté une pierre à la construction d’une justice internationale, impartiale et indépendante, à travers les efforts collectifs internationaux et régionaux déployés pour faire cesser les violences perpétrées au Darfour 1. Le 13 décembre 2005, le Procureur présente un deuxième rapport au Conseil de sécurité qui résume en détails les progrès accomplis dans la première phase de l'enquête, de juin à décembre 2005. Ainsi, il fait Etat du regroupement de faits se rapportant aux différents crimes commis au Darfour ainsi qu'aux groupes et aux individus en portant la responsabilité. Son rapport a également présenté la stratégie qu’il envisage d’adopter pour la deuxième phase de l'enquête pendant laquelle il se concentrerait sur certains actes criminels ainsi que « sur les personnes qui en portent la responsabilité la plus lourde » qui feront l'objet de poursuites sauf s’il constate, conformément au paragraphe 2 de l'article 53 du Statut, une base insuffisante pour engager des poursuites 2. La décision de l’ouverture d’une enquête préliminaire est donc conditionnée par le résultat de différentes procédures et analyses effectuées par le bureau du Procureur afin d’établir une base raisonnable. A ce propos, l’article 53-1 du Statut énonce que : « Le Procureur, après avoir évalué les renseignements portés à sa connaissance, ouvre une enquête, à moins qu’il ne conclue qu’il n’y a pas de base raisonnable pour poursuivre en vertu du présent Statut. Pour prendre sa décision, le Procureur examine : 1) Si les renseignements en sa possession fournissent une base raisonnable pour croire qu’un crime relevant de la compétence de la Cour a été ou est en voie d’être commis ; 2) Si l’affaire est ou serait recevable au regard de l’article 17 ; 1 CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, Communiqué de presse du 29 juin 2005, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 12 décembre 2010. 2 Le deuxième rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1593 (2005), 13 décembre 2005. 162 3) S’il y a des raisons sérieuses de penser, compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, qu’une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice »1. Le Procureur déclare dans ce rapport que « le 1er juin 2005, le Procureur a estimé qu'il existait une base raisonnable pour ouvrir une enquête à propos de la situation au Darfour depuis le 1er juillet 2002. Cette décision a marqué le début de l’enquête et a donné effet aux pleins pouvoirs d'investigation que le Statut de Rome confère au Procureur. Au cours de la première phase de l'enquête, le Bureau du Procureur rassemble les faits se rapportant aux multiples crimes qui auraient été commis au Darfour, ainsi qu'aux groupes et aux individus qui en portent la responsabilité. Le Bureau a bien progressé au cours de cette première phase »2. Le 7 juin 2007, au siège de l’ONU, le Procureur a présenté un nouveau rapport sur l’état d’avancement de l’enquête. La présentation publique a été suivie d’un débat privé, au cours duquel les membres du Conseil de sécurité ont fait des déclarations. Le Procureur a également tenu une conférence de presse au point de presse de l’ONU dans laquelle il a appelé la Communauté internationale à coopérer pour assurer l’arrestation et la remise à La Haye des deux suspects afin qu’ils puissent répondre de leurs actes devant la justice 3. Concernant la situation libyenne, la résolution 1970 du 26 février 2011 du Conseil de sécurité, dans son paragraphe 7, effectue la même demande que la résolution 1953 puisqu’elle : « invite le Procureur à l’informer, dans les deux mois suivant la date de l’adoption de la présente résolution, puis tous les six mois, de la suite donnée à celle-ci »4. Cette requête démontre une certaine similitude entre le cas libyen et soudanais. Le 4 mai 2011, le Procureur a fait une déclaration au sein de l’ONU. Celle-ci a rappelé que l’adoption à l’unanimité de la résolution 1970 par l’ONU avait permis de déférer la situation libyenne à la CPI. Le Procureur a également souligné que « les auteurs des attaques perpétrées contre des civils, y compris les attaques menées par des forces placées 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 53-1) 2 Le deuxième rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1593 (2005), op. cit., p. 2. 3 Le rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU présenté le 7 juin 2007, en application de la résolution 1593 (2005). 4 La résolution 1970 du Conseil de sécurité, op. cit., le 26 février 2011. 163 sous leur contrôle, devaient être amenés à répondre de leurs actes ». En outre, il a annoncé qu’une analyse factuelle et légale menée par son Bureau en vue de la mise en œuvre de ce renvoi, avait été effectuée. Sur la base de cette analyse, il a décidé d’ouvrir une enquête le 3 mars 2011. Rappelons que dans l’exécution du mandat donné par le Conseil de sécurité en vertu de la résolution 1970, le Bureau du Procureur devait respecter les normes imposées par le Statut de Rome. Ainsi, il devait établir la vérité sur les crimes qui auraient été commis en Libye en menant des enquêtes indépendantes et impartiales. Le Procureur a également décrit « les actes équivalents à des crimes contre l’humanité et faisant l’objet d’enquêtes par son bureau. Les éléments de preuve montrent que les forces de sécurité ont systématiquement pris pour cible des manifestants pacifiques et ce, selon le même mode opératoire et à plusieurs endroits du pays ». De même, il a noté que les événements similaires survenus en Egypte et en Tunisie avaient incité les forces de sécurité libyennes à se préparer à l’éventualité des manifestations en Libye. Il a mentionné que dès le début du mois de janvier, des mercenaires avaient été recrutés et s’étaient déployés en Libye. Enfin, le Procureur a annoncé « qu’en application du mandat confié par le Conseil de sécurité par sa résolution 1970, il entend présenter une affaire devant la Chambre préliminaire de la CPI. Il demande aux juges de délivrer des mandats d’arrêt à l’encontre de trois personnes susceptibles de porter la plus grande part de responsabilité pénale pour les crimes contre l’humanité commis sur le territoire libyen depuis le 15 février » 1. A cette même date, le 4 mai 2011, le Procureur a rendu son premier rapport au Conseil de sécurité sur les actions qu’il avait entreprises en application de la résolution 1970 2, honorant ainsi l’engagement de la CPI dans un délai de seulement 68 jours. Ce premier rapport du Procureur confirme dès le début l’invitation faite par le Conseil de sécurité de l’informer dans les deux mois suivant la date de l’adoption de la résolution 1970, puis tous les six mois, de la suite donnée à celle-ci. Le Procureur y présente les mesures prises par son Bureau, conformément à la résolution 1970. On y retrouve l’examen préliminaire évaluant la compétence de la CPI dans le cadre de cette situation, l’enquête conduite jusqu’à présent, ainsi que les actions envisagées sur le plan judiciaire. Plus précisément et concernant 1 La déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale à l’ONU en application de la résolution 1970 (2011), 4 mai 2011. 2 CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc- cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 10 juin 2011. 164 l’examen préliminaire, le Procureur déclare que, « conformément au Statut de Rome, il est chargé de déterminer s’il y a lieu d’ouvrir une enquête judiciaire, sous réserve, si besoin est, d’un examen judiciaire ». Le Procureur devait également examiner la question de la compétence (rationae temporis, rationae materiae et rationae loci ou rationae personae), de la recevabilité (critères de complémentarité et de gravité) et des intérêts de la justice. Au vu du Statut, le Procureur ne décide d’ouvrir une enquête dans une situation donnée que s’il estime qu’il y a une « base raisonnable » justifiant de le faire. Concernant la compétence et grâce aux informations recueillies, le Bureau a déclaré avoir des raisons de penser que des crimes contre l’humanité avaient été commis en Libye et continuaient de l’être. De plus, s’agissant de la complémentarité et de la recevabilité, il a affirmé qu’il convenait d’examiner si des procédures nationales pertinentes avaient été engagées dans le cadre des affaires susceptibles de faire l’objet d’une enquête du Bureau et ce, sans perdre de vue que ce dernier concentre son action sur les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde pour les crimes les plus graves 1. Lorsque des enquêtes ou des poursuites sont menées à l’échelle nationale, le Bureau évalue leur authenticité. Le Procureur a conclu le 3 mars 2011 que les critères définis par le Statut pour procéder à l’ouverture d’une enquête dans la situation en Libye depuis le 15 février 2011 étaient remplis. D’après les dispositions du Statut de Rome, l’action de la CPI et celles des juridictions pénales des Etats sont complémentaires. Le 22 février 2011, le Bureau du Procureur a ainsi proposé qu’une commission nationale enquête sur les manifestations et l’agitation populaire en question 2. Le Procureur de la CPI a également informé le Conseil de sécurité que, dans les prochaines semaines, il demanderait aux juges de la CPI de délivrer des mandats d’arrêt à l’encontre de trois personnes suspectées d’avoir commis des crimes contre l’humanité commis en Libye depuis le 15 février 2011. Sur la base des éléments de preuve déjà recueillis, les intéressés portaient la plus grande part de responsabilité pour ces crimes 3. 1 Le premier rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1970 (2011), 4 mai 2011, pp. 1-2. 2 Ibid., pp. 2-4. Voir aussi : Actualités du droit international, Libye : Le rapport du Procureur de la CPI, article disponible sur : http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/archive/2011/05/09/libye-le-rapport-du-procureurde-la-cpi.html, référence de la page consultée le 30 mai 2011. 3 Le rapport hebdomadaire du 4 mai 2011 et du 16 mai 2011 de la Cour pénale internationale, disponible sur : CPI, site officiel de la Cour pénale internationale : disponible sur : http://www.icc- cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 21 mai 2011. Voir aussi : CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, la CPI semaine après semaine : la situation en Libye, communiqué de 165 Après ce bref exposé concernant les rapports du Soudan et de la Libye effectués par le Procureur, le rôle du Conseil de sécurité aurait dû s’arrêter à la saisine de la CPI, comme le demande le Statut de Rome. Or, il semble qu’en l’espèce, le Conseil de sécurité outrepasse son rôle. En effet, les résolutions 1593 et 1970 invitent le Procureur à informer le Conseil de sécurité de la suite donnée à ces résolutions 1, ce qu’il a d’ailleurs fait 2. Cette invitation pourrait amener le Procureur à mener une enquête sur la situation sans possibilité d’en refuser l’ouverture. Il ne serait dès lors plus libre de son choix. Sur ce point, il semble que si le Conseil de sécurité demande, après avoir saisi la CPI d’une situation, au Procureur de l’informer de la suite donnée aux présentes résolutions, cela n’entrave en rien l’indépendance de ce dernier. Ainsi, il pourrait décider de ne pas ouvrir d’enquête s’il estime qu’aucune base raisonnable ne le permet en vertu de l’article 53 du Statut de la CPI. Par conséquent, cette hypothèse de renvoi « n’implique pas une automaticité de l’exercice de l’action pénale puisque le Procureur est responsable de cet aspect ». L’action pénale n’étant aucunement imposée et le Procureur décidant seul, il disposerait d’un grand pouvoir discrétionnaire 3. Pour résumer, et malgré le rôle prééminent joué par le Conseil de sécurité par rapport à la Cour, le renvoi du Conseil de sécurité n’implique pas automatiquement l’activation de l’action pénale car le Procureur doit préalablement procéder à des pré-enquêtes pour déterminer si les présomptions sont suffisantes pour saisir les Chambres d’un acte d’accusation. En effet, si le Procureur tient informé le Conseil de sécurité de la suite de son travail, ce n’est qu’en application de l’engagement de la CPI de tenir informé le Conseil de sécurité. Selon l’article 17-1 de l’Accord négocié régissant les relations entre la CPI et presse du 9 mai 2011, disponible sur : http://212.159.242.181/NR/rdonlyres/7730EFFC-8FD7-4D3C-9C61E5DEC8C64DE7/283274/Ed76Fra.pdf, référence de la page consultée le 1 avril 2011. 1 La résolution 1593 (2005) du 1er juillet 2005, et la résolution 1970 du 26 février 2011 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 2 Les rapports du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU, en application des résolutions 1593 (2005), 1970 (2011), sont la meilleure preuve que le Procureur n’a manqué aucune occasion de se présenter devant le Conseil de sécurité. 3 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 50-51. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 15, 52 et 53). 166 l’ONU 1 : « Lorsque le Conseil de sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, décide de déférer au Procureur […], la Cour s’engage à tenir le Conseil de sécurité informé conformément au Statut et au Règlement de procédure et de preuve » 2. A ce propos, la rapidité avec laquelle le Procureur a su élaborer et présenter ses rapports au Conseil de sécurité (seulement trois mois pour le Soudan et 68 jours pour la Libye) 3 n’est-elle pas une acceptation indirecte et implicite de sa part concernant les événements de ces pays ? Au cours de cette période si courte, le Procureur a-t-il pu réellement mener à bien toutes les enquêtes requises par la compétence de la CPI pour de tels crimes ? On pourrait s’interroger sur un éventuel non-respect des principes appliqués, tels que le principe de complémentarité. En effet, il faut noter que les rapports présentés au Conseil de sécurité sont approfondis et détaillés et comprennent le même degré de précision que ceux destinés à la Chambre préliminaire. Il paraît donc improbable que la demande retranscrite dans les résolutions du Conseil de sécurité ne constitue qu’une simple invitation à l’informer de la suite donnée aux présentes résolutions. Cette analyse laisse penser que le Procureur est tributaire de la CPI mais aussi du Conseil de sécurité. De même, le terme « inviter », employé dans les résolutions 1593 et 1970, laisse sous-entendre que la demande a été formulée de manière cordiale. Cependant, si la formule exacte du Conseil de sécurité indique « qu’il invite le Procureur à informer le Conseil de la suite donnée à la présente résolution »4, c’est bien une date butoir et donc un délai de trois mois pour l’exécution de cette tâche qui est fixé au Procureur. En outre, il doit continuer d’informer le Conseil « tous les six mois » sans pour autant conditionner explicitement la fin de cette mission à une échéance. Cela risquerait en effet de révéler le caractère en réalité peu cordial de l’« invitation ». Dans le même esprit, le Conseil achève son texte par : « [le Conseil de sécurité] décide de rester saisi de la question ». Même si le Conseil de sécurité a l’habitude de formuler ainsi ses décisions, c'est-àdire d’utiliser de telles expressions et de fixer les dates des missions qu’il juge appropriées, cela ne lui confère cependant aucun droit d’agir ainsi lorsqu’il s’adresse à la CPI. En effet, 1 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 51. 2 L’accord entre la Cour pénale internationale et l’Organisation des Nations Unies (article17-1). 3 Jehl (J.), Libye : saisine de la CPI embargo sur les armes, interdiction de voyager et gel des avoirs, JCPG, 14 mars 2001, Nos 11-12, p. 544. 4 La résolution 1593 (2005) du 1er juillet 2005, et la résolution 1970 du 26 février 2011 du Conseil de sécurité, op. cit., UN.Doc.S/RES. 167 traditionnellement, les décisions du Conseil de sécurité s’adressent aux Etats parties à l’ONU, dont 15 Etats qui participent à l’élaboration de ces décisions. Cependant, la situation diffère lorsqu’il s’agit de la CPI et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle ne participe pas à la prise de décision. Ensuite, elle n’est ni partie ni subordonnée à l’ONU ou au Conseil de sécurité. Enfin, elle n’est pas obligée, en théorie, de mettre en œuvre les décisions du Conseil de sécurité. Il est dès lors important de noter qu’il ne faut pas considérer la CPI comme membre de l’ONU. De plus, comme nous l’avons déjà vu, le Procureur a présenté à l’heure actuelle plusieurs rapports concernant le Soudan au Conseil de sécurité et ce comme il le lui a été demandé. Chacun de ces rapports s’ouvre sur : « Le présent rapport a été établi par le Procureur de la CPI en application du paragraphe 8 de la résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité. Le Procureur y fait le point sur les activités judiciaires entreprises depuis le dernier rapport »1. La même formule est retrouvée dans son rapport concernant la Libye 2. Dès lors, cela donne le sentiment que le Procureur fonde ses actes sur un unique paragraphe d’une résolution prise par une entité politique. Ce couplet devient donc incontournable, donnant ainsi l’impression qu’il est supérieur aux obligations stipulées dans le Statut de la CPI, et notamment celles d’impartialité permettant une véritable justice. Par ailleurs, la conception selon laquelle l’information du Conseil de sécurité par le Procureur ne serait que la mise en œuvre de l’obligation stipulée dans l’article 17-1 de l’Accord négocié régissant les relations entre la CPI et l’ONU, amène à des conclusions erronées : - Tout d’abord, la pratique de cet article et ce point de vue contrastent avec l’article 2 du même Accord en vertu duquel : « 1. L’Organisation des Nations Unies reconnaît la Cour en tant qu’institution judiciaire permanente indépendante qui, conformément aux articles premier et 4 du Statut, a la personnalité juridique internationale et la capacité juridique qui lui est nécessaire pour exercer ses fonctions et accomplir sa mission. 2. La Cour reconnaît les attributions que la 1 Les rapports du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1593 (2005). 2 Le premier rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1970 (2011), op. cit., 4 mai 2011. 168 Charte confère à l’Organisation des Nations Unies. 3. L’Organisation des Nations Unies et la Cour s’engagent à respecter mutuellement leur Statut et leur mandat 1. - Ensuite, cette conception néglige le cas d’espèce soudanais. En effet, si la résolution 1970 concernant la Libye a été prise après la signature de l’Accord précité, la résolution 1593 concernant le Soudan a été prise avant la signature de l’Accord. La décision qui consiste à contraindre le Procureur à informer le Conseil de sécurité ne peut raisonnablement pas découler de l’Accord qui a été établi ultérieurement à une de ces décisions. Enfin, cette interprétation amène à penser que l’Accord précité serait plus puissant et important que le Statut. Elle soulève ici la question de la hiérarchie des engagements pour la CPI et le Procureur. Pourtant, le Statut dispose que la CPI et son Procureur sont totalement indépendants et que leur relation avec le Conseil de sécurité et l’ensemble de l’ONU n’est pas un lien de subordination. Malgré ces remarques, les propos du Procureur concernant la situation libyenne peuvent s’analyser comme s’il faisait partie du Conseil de sécurité et non pas de la CPI. En effet, il déclare : « en exécution du mandat que le Conseil de sécurité m’a confié par sa résolution 1970, j’entends présenter une affaire devant la Chambre préliminaire de la CPI »2. Cette formule sous-entend ainsi que le Conseil de sécurité a confié au Procureur le dossier et que ce dernier va entreprendre les démarches devant la CPI. Alors qu’il devrait être indépendant, le Procureur devient donc un simple lien entre le Conseil de sécurité et la CPI. De plus, le Conseil de sécurité n’a pas « confié » l’affaire au seul Procureur mais a « déféré » la situation à la CPI. Dans tous les cas, le Procureur est tenu, en vertu des obligations contenues dans le Statut de Rome, de faire face au Conseil de sécurité en tant que superviseur de l’affaire. En outre, le Statut de la CPI tente de détruire le moindre doute pouvant résulter de la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité. Ce dernier doit respecter les dispositions du 1 L’accord entre la Cour pénale internationale et l’Organisation des Nations Unies. 2 La déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale à l’ONU en application de la résolution 1970 (2011), 4 mai 2011. 169 Statut. Les rapports entre le Conseil de sécurité et la Cour n’ont pas à être subordonnés, mais doivent être entretenus dans le respect mutuel 1. Le Statut traduit en réalité le souci de ne pas faire de la CPI, organe juridique, un instrument à la merci du Conseil de sécurité, organe politique. Il persiste dans la non-distinction des trois modes d’activation de la CPI, y compris la saisine par le Conseil de sécurité. En effet, ce dernier doit, dans tous les cas, respecter les limites de la compétence de la Cour 2. Or, le Statut semble se contredire en privilégiant, in fine, le Conseil de sécurité en tant qu’outil d’activation de la Cour. Ainsi, il permet l’initiative du Conseil de sécurité pour que la Cour puisse exercer sa compétence à l’égard des crimes d’agression alors que la Cour elle-même n’exercera sa compétence pour de tels crimes qu’à la suite d’un Amendement au Statut. En outre, lorsqu’elle est saisie par le Conseil de sécurité, la CPI peut également s’opposer à tout Etat membre de l’ONU, y compris ceux non-parties au Statut et n’ayant pas par conséquent accepté sa compétence. Nous ne pouvons donc admettre que le Conseil de sécurité ait une position égale aux autres instruments et que son renvoi ait la même valeur et la même force que le renvoi prononcé par un Etat partie ou même par le Procureur. Autrement dit, si le Procureur peut théoriquement décider de ne pas ouvrir une enquête, même sur décision du Conseil de sécurité, cette initiative se heurte à une problématique beaucoup plus complexe concernant la supériorité des décisions du Conseil de sécurité. La question qui se pose est de savoir si, dans le cas où le Conseil requiert l’ouverture d’une enquête et sur le constat d’une menace effective pour la paix et la sécurité internationales qu’il est le seul à pouvoir établir, la CPI pourrait refuser d’y procéder. La décision du Conseil de sécurité présente-t-elle une supériorité sur la décision du Procureur de la CPI ? Différents pays se montraient favorables à la saisine par le Conseil de sécurité concernant les situations soudanaise et libyenne à la CPI. L’idée sous-jacente serait de permettre une avancée vers une universalité de compétences pour la CPI. De même, cet acte soutiendrait la paix et la sécurité internationales. Ainsi, le Conseil de sécurité escomptait que, par ces résolutions, justice soit rendue vis-à-vis des responsables de crimes commis dans ces pays. Il a donc estimé que le meilleur mécanisme instaurant et appliquant une justice efficiente serait d’envoyer le dossier soudanais à la CPI. Avec cette attitude, le Conseil de 1 Déclaration de représentant de l’Uruguay, lors de la Conférence de Rome, au cours de la huitième séance plénière, 18 juin 1998, pp. 5-6. 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 11, 13, 19 et 53). 170 sécurité a parfaitement rempli son rôle tel qu’il est détaillé par la Charte de l’ONU ou par le Statut de Rome. Cela traduit également la confiance du Conseil de sécurité en la CPI pour juger les responsables de ces crimes. Cependant, le fait que le Conseil de sécurité se tienne continuellement informé du travail mené par la CPI fait douter de la confiance qu’il lui porte. Au regard du rôle capital du Conseil de sécurité, il est peu vraisemblable que le Procureur rejette une saisine émanant d’un tel organe. Comme prévu dans la Charte de l’ONU et même dans le Statut de Rome, le Conseil de sécurité agit en vertu du chapitre VII de la Charte pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Il peut donc adopter les mesures qu’il estime les meilleures 1. Pour résumer, la déclaration américaine, au moment de l’adoption de la résolution concernant la situation soudanaise, démontre très clairement l’intention de ce pays d’utiliser le Conseil de sécurité comme une sorte de contrôle sur le travail de la CPI : « en déférant la situation au Darfour à la CPI le Conseil de sécurité exercera un ferme contrôle politique du processus ». Entre la volonté d’un contrôle politique exercé par le Conseil de sécurité et le désir caché d’un contrôle américain, il n’y a qu’un pas. En substance, tous ces différents points de vue et remarques remettent en cause l’indépendance théorique de la CPI et celle de son Procureur face au Conseil de sécurité. Au regard des pouvoirs importants accordés à celui-ci dans le Statut de Rome, il est possible d’estimer son influence sur l’ensemble des activités de la CPI. Selon la sensibilité politique du Conseil, comment ne pas imaginer qu’il n’y ait pas de nombreuses retombées sur la capacité juridique de la Cour 2 ? 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 13). La Charte des Nations Unies (articles 24, 25, 39, 41 et 42). 2 Ottenhof (R.), L’association internationale de droit pénal et la création de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 45. 171 Section II. Les difficultés liées à la complémentarité et à la sélectivité Les saisines du Conseil de sécurité par les résolutions 1593 et 1790 posent également d’autres questions quant à leur application. Nous traiterons dans la présente section les obstacles liés au principe de complémentarité du Statut de la CPI (§ I) et à la sélectivité du Conseil de sécurité vis-à-vis de ses pouvoirs prévus dans la Charte de l’ONU (§ II). § I. Les obstacles liés au principe de complémentarité L’article premier du Statut de la CPI aborde le lien entre les juridictions internationales et internes, prévoyant explicitement que la juridiction internationale est complémentaire des juridictions criminelles nationales. A cet égard, une lecture de l’article 17 du Statut, relatif aux questions de la recevabilité, semble indiquée. Selon cet article, la Cour possède le pouvoir de prononcer l’irrecevabilité d’une affaire si : - L’affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un Etat ayant compétence en l’espèce, à moins que cet Etat n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites ; - L’affaire a fait l’objet d’une enquête de la part d’un Etat ayant compétence en la matière et que cet Etat a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que, comme dans la première hypothèse, cette décision ne soit l’effet d’un manque de volonté ou de l’incapacité de l’Etat de mener véritablement à bien des poursuites ; - La personne concernée a déjà été jugée pour un comportement faisant l’objet de sa plainte ; - L’affaire n’est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite 1. L’examen d’une telle disposition démontre que la Cour, seul juge de sa compétence, peut conduire une poursuite dans certains cas : - 1 Si, sur la même affaire, aucune action n’a été activée ; Le Statut de la Cour pénale internationale (article 17). 172 - Si les tribunaux nationaux ont déjà renoncé à une poursuite ou l’ont close, celle-ci ayant été conduite en l’absence de volonté ou de conditions nécessaires 1. S’agissant de l’application de ce principe de complémentarité dans le cas où la Cour est saisie par le Conseil de sécurité, comme pour le Soudan ou la Libye, certains 2 observent que le Statut favorise la compétence nationale en établissant une présomption en faveur des juridictions nationales. En effet, l’exercice de la compétence de la Cour intervient en dernier ressort pour compléter l’incapacité ou l’absence de volonté des juridictions nationales. Ce principe est appliqué quel que soit l’outil d’activation de la compétence de la Cour, y compris lorsque le Conseil de sécurité est à l’origine du renvoi 3, comme dans les cas libyen et soudanais. En conséquence, il résulte que le champ de compétence de cette Cour est implicitement limité par le système de complémentarité, ce système ne reconnaissant aucune exception. En revanche, d’autres considèrent que le renvoi devant la CPI par le Conseil de sécurité en vertu de l’article VII de la Charte de l’ONU est loin d’être effectué sans contrainte 4. En effet, il est encadré par une structure clairement délimitée comprenant le principe de complémentarité ainsi que celui de l’exclusion de la primauté de la CPI sur les juridictions nationales et ce, même si la procédure a été engagée sur l’initiative du Conseil de sécurité en vertu de l’article 13-b du Statut. Cependant, il semble que le Conseil ne soit pas nécessairement tenu par ce principe s’il décide le renvoi devant le Procureur de la Cour. En effet, le principe de complémentarité est examiné lors de l’examen des conditions de la recevabilité par le Procureur. Son application serait alors intégrée à la question de la recevabilité des affaires présentées à la Cour, dont les conditions substantielles sont précisées dans l’article 17 du Statut. Le Conseil de sécurité doit donc, lorsqu’il renvoie une affaire devant la CPI, ne s’en tenir qu’à la gravité des crimes qui paraissent avoir été commis. Ainsi, 1 FILDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Darfour : le Conseil de sécurité devrait soutenir la CPI - Des ONG de la Campagne pour le Darfour appellent les membres du Conseil de sécurité à exiger que le Soudan coopère avec la Cour, op. cit., http://www.fidh.org/Darfour-le-Conseil-desecurite-devrait-soutenir. Voir aussi : Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 5. 2 Voir : Pazartzis (P.), La répression pénale internationale des crimes internationaux, op. cit., p. 80. Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., p.55. 3 Pazartzis (P.), La répression pénale internationale des crimes internationaux, op. cit., p. 80. 4 Ottenhof (R.), L’association internationale de droit pénal et la création de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 45. Voir aussi : Abou Alkair (A.), La Cour pénale internationale permanente, op. cit., pp. 215-217. 173 le principe de complémentarité peut être pris en compte dans la décision de renvoyer une question, même si le dernier mot appartient à la CPI1. Cependant, en tant que membres de l’ONU, le Soudan et la Libye se doivent de respecter ces résolutions, d’autant plus qu’elles ont été adoptées en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU. Prises suite au constat de la menace pour la paix et la sécurité internationales que constituaient le conflit du Darfour et les attaques contre les civils en Libye, ces résolutions ont par conséquent une nature contraignante. En tout état de cause, la souveraineté ne peut en aucun cas constituer un prétexte à la non-poursuite des responsables de crimes graves, y compris les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les génocides 2. Ainsi, concernant les situations soudanaise et libyenne, le Procureur aurait dû examiner, s’agissant des questions d’irrecevabilité prévues à l’article 17 du Statut, si la Cour pouvait exercer une compétence complémentaire à celle des juridictions pénales nationales. A ce propos, les rapports du Procureur adressés au Conseil de sécurité indiquent que la CPI exerce une compétence complémentaire à celles des juridictions nationales soudanaises et libyennes. Elle ne devrait donc intervenir qu’en dernier ressort, c'est-à-dire dans les cas où, conformément à l’article 53 du Statut paragraphe 2, alinéa b : - Aucune enquête ou poursuite sur le plan national n’a été menée au sujet des affaires pour lesquelles la Cour a décidé d'engager des poursuites ; - L’enquête ou les poursuites menées sont entachées d'un manque de volonté ou d'une incapacité à les mener à bien 3. Les critères juridiques sont donc propres à chacune des affaires que le Bureau du Procureur décide de poursuivre, et non à la situation du système judiciaire national dans son ensemble. A de nombreuses reprises, tant le Procureur que les juges ont constaté que les autorités soudanaises manquaient de volonté et/ou de capacité à engager des enquêtes ou des 1 Bakker (C.), Le principe de complémentarité et les auto-saisines, un regard critique sur la pratique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 362. Voir aussi : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 441. 2 FILDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Darfour : le Conseil de sécurité devrait soutenir la CPI - Des ONG de la Campagne pour le Darfour appellent les membres du Conseil de sécurité à exiger que le Soudan coopère avec la Cour, op. cit., http://www.fidh.org/Darfour-le-Conseil-desecurite-devrait-soutenir. 3 Le deuxième rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1593 (2005), op. cit., p. 3. 174 poursuites vis-à-vis de crimes internationaux faisant l’objet de procédures devant la Cour et ce, malgré la mise en place de différents dispositifs et mécanismes, y compris le Tribunal spécial pour le Darfour créé en application de décrets publiés les 7 et 11 juin 2005. Sur ce point, il faut noter que le Procureur persévère à suivre les travaux de ce Tribunal, ainsi que ceux des autres comités et organes créés, afin d’examiner et de traiter la situation du Darfour. Il a cherché, concernant les affaires que la CPI est amenée à traiter, à déterminer l’existence d’enquêtes menées par ces institutions tout en évaluant si ces procédures remplissaient les critères énoncés à l’article 17 du Statut de Rome. Signalons que les autorités soudanaises ont maintenu les poursuites envers les responsables même après l’adoption 1593 du Conseil de sécurité. Ce faisant, elles ont instauré deux tribunaux supplémentaires en novembre 2005 ainsi que des institutions ad hoc, comme le Comité d’enquêtes judiciaires, les Commissions spéciales chargées des poursuites, la Commission nationale d’enquête et les Comités de lutte contre le viol, toutes chargées d’appuyer le travail de ces tribunaux. Les autorités soudanaises affirmaient ainsi que leur pays avaient déclenché des enquêtes. Cette situation avait d’ailleurs été reconnue par le Procureur lui-même et il lui suffisait donc d’examiner avec soin et en toute indépendance les crimes perpétrés au Darfour et les efforts nationaux déployés pour les endiguer. Cependant, jusqu’à l’amorce de la phase d’analyse de la situation au Darfour, le Procureur n’a pas constaté, compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, de preuves probantes justifiant le bénéfice d’une enquête pour les intérêts de la justice. Les enquêtes du Procureur ont révélé qu’en réalité, les autorités soudanaises ne s’attardaient depuis cinq ans que sur des affaires sans lien avec les crimes commis au Darfour. Ainsi, malgré leurs actes et déclarations et malgré les éléments apportés par le Procureur lui-même en intégrant un paragraphe titré « la recevabilité » dans chaque rapport 1, celui-ci déclare de façon abrupte : « Le Bureau a appliqué le principe de complémentarité du Statut de Rome. Toutes les initiatives soudanaises visant à déterminer les responsabilités ont été suivies de près et évaluées. Le Bureau a effectué des missions à Khartoum en 2006 et en 2007 et a recueilli des renseignements à propos des procédures nationales. Cette analyse ne constitue pas une évaluation du système judiciaire dans son ensemble, mais entend plutôt déterminer si 1 Le troisième rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1593 (2005), op. cit., p. 3. Voir aussi : du premier au sixième rapport, le Procureur évoque, d’une manière ou d’une autre, les efforts fournis par les autorités soudanaises. 175 le Soudan a mené ou mène des enquêtes et des poursuites véritables au sujet de la ou des affaire(s) sélectionnée(s) par le Bureau. Dans la décision qu’elle a rendue le 27 avril, la Chambre préliminaire I a conclu qu’il semblait qu’aucune procédure n’était en cours ou n’avait été engagée en ce qui concerne le comportement d’Harun et de Kushayb qui motive la requête du Bureau. Elle a décidé qu’à la lumière des éléments de preuve et des renseignements fournis par le Bureau concernant Ahmad Harun et Ali Kushayb, et sans préjudice du dépôt d’une exception d’irrecevabilité de l’affaire conformément aux alinéas a et b de l’article 19-2 du Statut ou de toute décision subséquente à son propos, l’affaire concernant Ahmad Harun et Ali Kushayb relève de la compétence de la Cour et semble recevable »1. Pour expliquer ce constat, il faut rappeler que la justice soudanaise s’est heurtée à de nombreux écueils, dont le manque de volonté politique, pour mener à bien les enquêtes et les poursuites pour ces crimes, ce qui met en évidence l’incapacité de cette justice 2. Selon l’étude des rapports rédigés par le Procureur lui-même, ce dernier décide, avec l’aval de la Chambre préliminaire I, que le principe de complémentarité doit être appliqué dans cette affaire et que les autorités soudanaises n'ont pas rempli leurs obligations à l’encontre des responsables de ces crimes. Par conséquent, aucune raison ne s’oppose à ce que la Cour décide de recevoir cette affaire. Par ailleurs, s’il est vrai que la compétence de la CPI en vertu du principe de complémentarité est justifiée par l’attitude passive de l’Etat soudanais, alors cette idée ne semble pas prendre en compte le fait que si un Etat ne peut unilatéralement déroger à une obligation imposée par un Traité, il peut en revanche déroger à son propre droit de soumettre les personnes concernées à sa juridiction nationale 3. De surcroît, dans le cas de la Libye, la 1 Le sixième rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1593 (2005), op. cit., p. 3. 2 FILDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Darfour : le Conseil de sécurité devrait soutenir la CPI - Des ONG de la Campagne pour le Darfour appellent les membres du Conseil de sécurité à exiger que le Soudan coopère avec la Cour, op. cit., http://www.fidh.org/Darfour-le-Conseil-desecurite-devrait-soutenir.Voir aussi : Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 5152. 3 Bakker (C.), Le principe de complémentarité et les auto-saisines, un regard critique sur la pratique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 377. 176 saisine de la CPI a joué d’abord un rôle dissuasif non négligeable à l'égard des dirigeants libyens et des autres régimes touchés par la crise du monde arabe. La Cour n'interviendra que dans un second temps, et non sans connaître certaines difficultés pratiques. On peut noter en particulier l'absence de financement de l'enquête par les Nations Unies, fruit du compromis trouvé au sein du Conseil de sécurité pour pouvoir adopter la résolution. Mais qu'importe : la reconnaissance de la légitimité de la CPI par ses plus grands détracteurs constitue pour elle une première victoire dans l'affaire libyenne 1. Cependant, il faut noter que dans le cas de la Libye, le Procureur n’a pas présenté autant de rapports, que dans le cas du Soudan, il n’a pas donné de grands détails sur le principe de la complémentarité dans l’affaire libyenne. Tout au plus, ces rapports ont, même si c’est de loin, touché la question de la recevabilité : « Le Procureur doit examiner la question de la compétence (rationae temporis, rationae materiae et rationae loci ou rationae personae), de la recevabilité (critères de complémentarité et de gravité) et des intérêts de la justice. Au vu du Statut, le Procureur ne décide d’ouvrir une enquête dans une situation donnée que s’il estime qu’il y a une « base raisonnable » justifiant de le faire ». Il a également ajouté que « Pour ce qui est de la complémentarité, il convient d’examiner si des procédures nationales pertinentes ont été engagées dans le cadre des affaires susceptibles de faire l’objet d’une enquête du Bureau et ce, sans perdre de vue que ce dernier concentre son action sur les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde pour les crimes les plus graves. Lorsque des enquêtes ou des poursuites sont menées à l’échelle nationale, le bureau évalue leur authenticité ». Enfin, il a déclaré que « Conformément au principe de complémentarité positive, il est favorable à la tenue d’enquêtes nationales menées sur des crimes présumés qui ne répondent pas aux critères de la Cour en matière de poursuites »2. Mais il ne s’agit là que d’un simple rappel des textes du Statut de Rome sur le principe de complémentarité. Aucune référence n’est faite à la possibilité d’appliquer ce principe à la 1 Bourguignon (J.), L’affaire libyenne devant la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.lepetitjuriste.fr/droit-international/droit-international-public/laffaire-libyenne-devant-la-cour-penaleInternationale. Voir aussi : Béligh (N.), La Cour pénale internationale à l’épreuve du conflit libyen, article disponible sur : http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article5066, référence de la page consultée le 25mai 2011. 2 Le premier rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1970 (2011), op. cit., (§ 5, 7 et 25). 177 situation libyenne. En effet, dans son premier rapport concernant la situation du Darfour, le Procureur avait eu le même laïus concernant la complémentarité. En outre, une question reste en suspens : une base raisonnable permet-elle au Procureur de ne pas mettre en œuvre un principe aussi important que le principe de complémentarité ? L’article 17 du Statut de la CPI énonce qu’il revient à la Cour de mettre en œuvre le principe de complémentarité. Une telle hypothèse de base contredirait en quelque sorte ce principe de complémentarité prévu au Préambule du Statut de la CPI. Reste à savoir ce que peut faire la Cour : soit elle refuse de recevoir une affaire en appliquant le principe de complémentarité et ce, même si cette dernière a été envoyée devant la Cour par le Conseil de sécurité ; soit elle ferme les yeux sur ce principe et décide d’accepter l’affaire. La réponse à cette question, comme bien d’autres, reste liée à deux interrogations : La CPI est-elle objectivement indépendante du Conseil de sécurité ? Comment hiérarchiser d’une part, les décisions du Conseil de sécurité prises en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU et d’autre part, les décisions de la CPI prises en vertu du Statut de Rome ? Pour conclure, il faut se demander si le renvoi d’une situation devant la CPI par le Conseil de sécurité n’a pas pour conséquence d’entraver la marche des juridictions nationales. Ne les prive-t-il pas d’exercer leurs pouvoirs juridiques contre les crimes commis ainsi que de mener des procédures à l’encontre de leurs responsables ? Certains revendiquent « la supériorité intellectuelle » des résolutions du Conseil de sécurité sur le Traité de Rome 1, celles-ci pouvant être obligatoires pour une institution pénale internationale indépendante créée par le consentement des Etats parties. Rappelons en effet que de telles décisions recèlent généralement une volonté politique des Etats membres permanents au Conseil de sécurité. En effet, la réponse à cette question peut se faire selon deux fondements, dont chacun aboutit à une opinion distincte : - D’un côté, si nous considérons que la Charte de l’ONU dispose, d’un point de vue juridique, d’une valeur supérieure aux autres conventions internationales (y compris le Traité de Rome), nous aboutissons à la conclusion que le renvoi d’une situation par le Conseil de sécurité devant le Procureur peut entraver toute initiative, procédure ou enquête prise par les juridictions nationales pour exercer leur compétence sur le crime faisant l’objet de ce renvoi. En effet, le Conseil de sécurité 1 Cottereau (G.), Statut en vigueur, la Cour pénale internationale s’installe, op. cit., p. 140. 178 réagit dans ce cas, à l’instar de la situation soudanaise, en vertu de la Charte de l’ONU et non en vertu du Statut de Rome. - En revanche, si nous considérons que la Charte de l’ONU dispose d’une valeur juridique égale à celle des conventions internationales, nous en déduisons que la CPI doit incontestablement appliquer le principe de complémentarité et en conséquence, rejeter ou non l’ouverture d’une enquête ou l’engagement de poursuites et ce, même si la saisine a été prononcée par le Conseil de sécurité. Certains estiment que l’article 103 de la Charte de l’ONU traite cette dernière question en déclarant qu’« en cas de conflit entre les obligations des membres de l’ONU en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ». Or, cet article aborde simplement le cas d’un Etat à la fois membre de l'ONU et signataire d’autres conventions. Dans un tel cas, un dilemme peut s’instaurer pour cet Etat entre les obligations imposées par la Charte de l’ONU et les obligations imposées par d’autres conventions ou traités. Dès lors, la priorité de l’application serait octroyée aux obligations relevant de la Charte. Cependant, tel n’est pas le cas 1. Notre question concerne le cas où le Conseil de sécurité, dépasse le Traité de Rome, et crée des obligations à l’encontre d’un Etat qui n’a pas ratifié le Traité, n’est pas partie au Statut et n’accepte pas la compétence de cette Cour. Ainsi, si cette arme est utilisée, cela obligerait un Etat qui n’a pas ratifié le Traité et qui n’est pas partie au Statut à respecter le Statut de Rome, alors que la décision même du Conseil de sécurité ne le respecterait pas nécessairement. Ce qui porterait atteinte à la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. Cette Convention énonce en effet, dans sa quatrième section appelée « traité et Etats tiers » et par son article 34 appelé « règle générale concernant les Etats tiers », qu’« Un traité ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement » 2. 1 Voir : Mansor (A.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 80. Voir aussi : Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., pp. 53-54. Bourguignon (J.), L’affaire libyenne devant la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.lepetitjuriste.fr/droit-international/droit-internationalpublic/laffaire-libyenne-devant-la-cour-penale-Internationale. 2 La Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (article 34). Pour plus d’informations sur cette question, voir : Zakr (N.), Les aspects institutionnels de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 469 179 Notre question consiste strictement à élucider jusqu’à quel point un organe foncièrement juridique et indépendant serait obligé de prendre en considération ou d’appliquer des obligations imposées par la Charte, issues d’un organe politique conduit par la volonté politique et économique des Etats parties. Néanmoins, aucune obligation au sein de cette Charte ne contraint les Etats parties à exercer leur juridiction sur des crimes commis sur leur territoire en poursuivant et punissant les responsables. Cette situation contredit le droit à la souveraineté garanti par l’ensemble des conventions du système international. Autrement dit, si la CPI avait, en vertu du principe de complémentarité, laissé le Soudan mener des enquêtes sur les crimes commis sur son sol, et si, en réponse, le Conseil de sécurité avait estimé que cette application du principe de complémentarité menaçait la paix et la sécurité internationales, alors qu’il est le seul compétent à pouvoir le constater, quelle aurait été dès lors la réaction de la CPI ? 180 § II. Le Soudan, la Libye et la sélectivité du Conseil de sécurité Nous avons vu que la compétence temporelle de la CPI ne s’applique pas à des crimes commis avant l’entrée en vigueur du Statut de Rome. Nous savons également que le Conseil de sécurité a renvoyé la situation du Darfour devant la CPI par la résolution 1593/2005 pour des faits apparus depuis le 1er juillet 2002 bien que des crimes aient déjà été commis avant cette date. Il a ainsi respecté les limites de sa compétence temporelle. De plus, il ne contrevient pas à son rôle, puisqu’il défère une situation et non une affaire ou un cas précis. Cette distinction est fondamentale car elle garantit une saisine politique. Ainsi, malgré l’obstacle de la compétence temporelle de la CPI qui a contraint le Conseil de sécurité à ne pas déférer tous les crimes qui ont été commis au Soudan, le Conseil de sécurité a déféré le dossier soudanais devant cette Cour. La même méthode a été utilisée par le Conseil de sécurité dans le cas de la Libye 1. En effet, il a saisi la Cour uniquement sur les actes commis depuis le 15 février 2011. La CPI ne s'intéresse donc pas à des crimes commis avant cette date. Cependant, dans ce cas précis, le fait d’allier cette méthode à la compétence ratione temporis ne donne pas de résultat convaincant. Si le Conseil de sécurité a déféré la situation libyenne en prenant en considération le fait que la CPI est compétente pour les crimes commis après le 1er juillet 2002, il est donc plus raisonnable que le Conseil défère la situation depuis cette date. En l’espèce, le Conseil de sécurité n’a renvoyé la situation que depuis le 15 février 2011. Malgré le fait qu’il existait des événements importants commis avant cette date, le Conseil de sécurité a fermé les yeux. L’intérêt pour le Conseil est donc que justice soit rendue seulement à propos de ce qui s’est passé après cette date et pas plus 2. Avec le rappel de ces faits, on pourrait analyser la prise des résolutions du Conseil de sécurité sous l’angle d’une certaine sélectivité. Le fait que le Conseil de sécurité ne défère pas la totalité de la situation libyenne, mais seulement les crimes commis après le 15 février 2011, ne pourrait-il pas correspondre à un genre de nouvelle sélectivité du Conseil de sécurité? 1 Voir : Supra, pp. 158-161. Voir aussi : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., pp. 438-439. 2 Bourguignon (J.), L’affaire libyenne devant la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.lepetitjuriste.fr/droit-international/droit-international-public/laffaire-libyenne-devant-la-cour-penaleInternationale. Voir aussi: Béligh (N.), La Cour pénale internationale à l’épreuve du conflit libyen, op. cit., http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article5066. 181 Cependant, malgré l’obstacle de la compétence temporelle de la CPI qui a contraint le Conseil de sécurité à ne pas déférer tous les crimes qui ont été commis au Soudan et en Libye, le Conseil de sécurité a déféré ces dossiers devant cette Cour 1. Cette volonté présente le double avantage de faciliter l’adhésion au Traité et d’éviter certaines saisines polémiques qui risqueraient de politiser l’action du Juge 2. De ce constat émane une pluralité de questions : quelles peuvent être les mesures et résolutions prises par le Conseil de sécurité concernant les crimes commis avant ces dates ? Seraient-elles moins menaçantes pour la paix et la sécurité internationales ? Revêtent-elles une importance et une gravité moindre que les crimes commis ultérieurement ? Demeurent-ils impunis ? Ces renvois manifestent-ils une sélectivité de la part du Conseil de sécurité dans sa prise de décision ? Si tel est le cas, pourquoi sélectionner les seuls responsables des crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut concernant le Soudan, ou après le 15 février 2011 concernant la Libye? Par ce genre de saisine discutable ne risque-t-on pas de politiser l’action du Juge 3? Plusieurs pays estiment que les résolutions 1593 et 1970, par lesquelles le Conseil de sécurité a déféré les situations soudanaise et libyenne à la CPI, constituent un bon exemple de conciliation entre les différentes superpuissances pour défendre leurs intérêts. De plus, cette catégorie de résolutions confère à la CPI une compétence plus large et universelle. Cela se justifie par l’inapplication des conditions préalables stipulées dans le Statut de la Cour, lorsque la situation est traitée par le Conseil 4, comme indiqué dans le Statut 5. Il est important de rappeler que ces renvois sont considérés comme un progrès pour la justice pénale internationale, malgré certains aspects qui peuvent paraître injustes. La neutralité de la recherche exige l’étude exhaustive de ces renvois, que cela soit du côté des avantages ou des 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 11). 2 Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., p. 988. 3 Katansi (L.), Crimes et châtiments dans la région des Grands lacs, la Cour pénale internationale, tribunaux internationaux, tribunaux nationaux, op. cit., p. 170. Voir aussi : Bassiouni (C.), Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 8. David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 345. Le Statut de la Cour pénale internationale (article 11). Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., p. 988. 4 Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 440. Voir aussi : Zakr (N.), Les aspects institutionnels de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 471. Bassiouni (C.), Une étude historique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 32. 5 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 13). Pour plus d’information, voir : Supra, pp. 72-78 et 158- 160. 182 inconvénients. Cependant, le fait de déférer la situation soudanaise ou la situation libyenne ne constitue pas une décision juste dans la mesure où ces renvois soulèvent la question de la sélectivité dans les décisions du Conseil de sécurité, surtout si elles sont liées à la justice pénale internationale, comme le cas du renvoi d’une situation devant la CPI. Par ailleurs, le Conseil de sécurité a souvent considéré que des conflits, apparemment internes, pouvaient constituer une menace contre la paix : Rwanda, Haïti, Angola, Somalie, Afghanistan etc. Il est utile à ce stade de démontrer, à l’aide de plusieurs exemples, la sélectivité du Conseil de sécurité dans la prise de ses résolutions : Le premier cas concerne celui de la Syrie. Comme la Libye et le Soudan, ce pays n’a pas ratifié le Statut de Rome. De même, un parallèle peut être fait entre ce qui s’est passé en Libye et ce qui se passe actuellement en Syrie. Dans les deux cas, des manifestants désarmés demandent leur liberté et leurs droits en tant que citoyens. La Syrie et la Libye ont donc une multitude de points communs : ils ont le même Statut juridique puisque ce sont deux Etats non parties à la CPI, les mêmes faits, les mêmes événements, et les mêmes réactions hostiles des régimes. La différence réside dans le fait que dans le cas libyen, le Conseil de sécurité a été mis en situation de prendre une décision à propos d'un de ses membres, la Libye ayant été élue en mai 2010 1. On pourrait s’interroger sur le fait que la situation libyenne ait été déférée et pas la situation syrienne. En réponse à cette question, le gouvernement américain a déclaré qu’il ne voulait pas attendre que des images de massacres surviennent. Il s’agirait donc d’une simple action préemptive humanitaire 2. Mais, pourquoi le régime de Damas serait à l’abri des représailles exercées comme pour son jumeau libyen ? Les motifs humanitaires qui justifient l’attaque contre le régime libyen sont tout aussi recevables, sinon plus, dans le cas de la Syrie. 1 Vampouille (T.), Libye : les possibles recours à la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.lefigaro.fr/international/2011/02/24/01003-20110224ARTFIG00577-libye-les-possibles-recours-ala-cour-penale-Internationale.php. 2 L’Express, Vifs débats à l'ONU au sujet de la Libye, article disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualites/2/monde/vifs-debats-a-l-onu-au-sujet-de-la-libye_966704.html?xtor=x, référence de la page consultée le 10 mars 2011. 183 Certains estiment que la réponse réside dans la question du pétrole, la Libye disposant d’une grande quantité de brut, contrairement à la Syrie 1 : en effet, la Libye est classée 3e producteur africain de pétrole et 17e au niveau mondial avec une production de 1,6 million de barils par jour et un sous-sol regorgeant d’une des plus grosses réserves pétrolières du continent 2. La Libye bénéficie d'une augmentation substantielle de ses revenus pétroliers, due notamment à l'offensive commerciale de Kadhafi : le Colonel obtenait le relèvement des royalties et de la fiscalité et augmentait fortement les prix. Les revenus du pétrole pouvaient être multipliés par huit. Le pétrole libyen était le domaine réservé de Kadhafi et de son entourage proche : la gestion des recettes échappait à la National Oil Corporation (compagnie pétrolière nationale) elle-même, et aucune structure n'avait de droit de regard sur les comptes de ce secteur d'activité. Par ailleurs, il se trouvait en Libye un nombre d'entreprises étrangères produisant du pétrole et du gaz depuis des décennies ; elles ont signé des accords avec l'ancien régime et ses associés à titre personnel. De plus, en 2008, un grand nombre d'accords ont été signés avec plusieurs compagnies pétrolières européennes, surtout italiennes et françaises 3. Aujourd’hui, la Libye fait déjà l’objet de toutes les convoitises alors que le gouvernement de transition élu vient d’être nommé 4. Cela d’autant plus que l’activité 1 Voir : Boisvert (Y.), La dure responsabilité de protéger, article disponible sur : http://www.cyberpresse.ca/chroniqueurs/yves-boisvert/201108/23/01-4428096-la-dure-responsabilite-deproteger.php, référence de la page consultée le 20 août 2011. 2 A savoir : la Libye possède près de 44 milliards de barils devant le Nigeria (37,2 milliards de barils), l’Angola (12,5 milliards) et l’Algérie (12,2 milliards). 3 Pour plus d’informations sur ce sujet, voir : Burgat (F.), Laronde (A.), La Libye, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2003, pp. 115-122. Haimzadeh (P.), Au cœur de la Libye de Kadhafi, JC Lattès, 2011, p. 108. Algadamsi (M.), Le pétrole libyen, Dar Aljabal, Beyrouth, 1998, pp. 25-42. Abdulkarim (M.), Kadhafi et le pétrole libyen, Journal du ministère de la Justice, Libye, article publié en mai 2011, pp. 1-4. Djaziri (M.), Etat et société en Libye : islam, politique et modernité, L'Harmattan, Paris, 1996, p. 187. Pinta (P.), La Libye, Karthala, 2006, p. 186. Otayek (R.), La politique africaine de la Libye, Karthala, 1986, p. 62. Almarhone (A.), L’économie libyenne entre deux époques, Alrhiad, article publié le 29 mars 2010. Le Monde, Les milliards cachés de Mouammar Kadhafi, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/10/22/lesmilliards-caches-de-mouammar-kadhafi_1592193_1496980.html, référence de la page consultée le 22 janvier 2012. Almatloti (A.), L’impact de à la découverte de pétrole sur la vie économique et sociale en Libye, Almanara, article publié le 1er août 2009. 4 En effet, avant la chute de Kadhafi, le pays produisait 1,55 million de barils de pétrole par jour (2% de la production mondiale). La Libye était le 17e producteur de pétrole dans le monde. Pendant l'ère Kadhafi, l'Italie était le pays qui importait le plus de pétrole de la Libye : 376 000 barils de pétrole brut par jour, contre 205 000 184 pétrolière totalement paralysée durant la révolution, a repris progressivement depuis la chute de la capitale, Tripoli, en août 2011. Avec le décès de Kadhafi, le CNT et par la suite le Conseil National général/CNG élu, contrôle aujourd’hui officiellement le pays qui est l’un des plus importants producteurs d’or noir en Afrique. De plus, avec leur chef décédé, les partisans de l’ancien chef libyen pouvaient abandonner leur cause et déposer les armes. Ce qui a simplifié la venue des sociétés pétrolières internationales dans les zones (productrices) qui étaient jugées très volatiles en raison de la présence des pro-Kadhafi. Mais, il semblerait que les grands groupes énergétiques occidentaux, notamment européens, ne tiennent pas compte de ce paramètre dans la mesure où ils seraient déjà engagés dans une compétition frénétique pour l’exploitation du pétrole libyen 1. La France, un des principaux soutiens du CNT pour la chute du régime de Kadhafi, est perçue par les experts comme le premier bénéficiaire du gros gâteau pétrolier libyen. Ainsi, selon une lettre datant du 3 avril adressée à l’Emir du Qatar et publiée par le quotidien français Libération, le CNT révélait avoir signé « un accord attribuant 35% du total du pétrole brut aux Français en échange de leur soutien total et permanent »2. Malgré des démentis émanant des deux parties, des interrogations subsistent sur l’existence d’accords secrets entre la rébellion libyenne et les grandes puissances de l’OTAN qui l’ont soutenue militairement. Des accords qui octroient à ces dernières, de pour la France. Si aujourd'hui la production de pétrole libyen est descendue d'1,55 million de barils par jour à 50.000 et que, d'après les experts, il faudra des années pour que le pays revienne à plein régime, le marché libyen reste tout de même très attractif, d'autant plus que l'or noir n'est pas le seul appât du pays. 1 Le Monde, Le pétrole libyen de main en main, article disponible sur : http://www.monde- diplomatique.fr/2011/04/SERENI/20369, référence de la page consultée le 20 février 2012. Voir aussi : Libération, Libye : la course aux contrats commence, article disponible sur : http://www.liberation.fr/monde/01012356298-libye-la-course-aux-contrats-commence, référence de la page consultée le 22 mai 2012. Gorina, Libye : des contrats pétroliers avec des grandes entreprises pour 2012, article disponible sur http://www.qurynanew.com/24471, référence de la page consultée le 29 septembre 2011. Le Monde, La Libye va revoir ses contrats avec le géant pétrolier italien ENI, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/libye/article/2011/12/29/la-libye-va-revoir-ses-contrats-avec-le-geant-petrolier-italieneni_1624190_1496980.html, référence de la page consultée le 27 avril 2012. Libération, Libye: la course aux contrats commence, op. cit., http://www.liberation.fr/monde/01012356298-libye-la-course-aux-contrats- commence,. 2 Libération, Pétrole : l’accord secret entre le CNT et la France, article disponible sur : http://www.liberation.fr/monde/01012357324-petrole-l-accord-secret-entre-le-cnt-et-la-france, référence de la page consultée le 5 septembre 2012. Voir aussi : Algazawi (R.), Un accord secret entre la France et le Conseil de transition libyen, Alwatan, article publié le 2 septembre 2012, p. 1. 185 nombreux avantages économiques, en particulier dans le secteur des hydrocarbures 1. Mais selon toute vraisemblance, c’est l’Italie, ancienne puissance coloniale de la Libye, qui, de prime abord, a les faveurs du CNT avec notamment le retour du groupe ENI présent dans le pays depuis 1959 et dont les contrats de production pétrolière ont été conclus jusqu’en 2042. La compagnie a ainsi signé récemment (août 2011) un protocole d’accord avec les rebelles libyens « en vue de créer les conditions d’une reprise rapide et totale de [son] activité » interrompue pendant le conflit, indiquait le groupe dans son communiqué de presse. En effet, il était jusqu’au début de la révolution, le premier producteur étranger d’hydrocarbures dans le pays avec une production de 116 000 barils de pétrole par jour en 2010. Le groupe espère donc, avec cet accord, relancer rapidement ses activités. « L’Italie maintiendra sa première place. Nous l’avions et nous l’aurons », avait alors affirmé le ministre italien des Affaires étrangères, interrogé sur d’éventuelles inquiétudes de son pays de perdre sa première place face à d’autres pays concurrents comme la France dont le groupe Total est également présent en Libye où il dispose de permis d’exploration prometteurs. En plus de ces géants occidentaux (BP, Shell et ExxonMobil, etc.), de nouveaux acteurs comme la compagnie nationale du Qatar ou la société de négoce Vitol, se lancent dans la course 2. Mais pour d’autres, cet argument ne tient pas la route. Le régime libyen était pour l’occident une meilleure garantie d’accès au pétrole. Le chaos et l’incertitude régnant depuis 1 Le Figaro, Les rebelles libyens ne feront pas de « favoritisme », article disponible sur : http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/09/01/04016-20110901ARTFIG00440-brut-accord-secret-entre-lesrebelles-libyens-et-la-france.php, référence de la page consultée le 28 mars 2012. Voir aussi : Libération, Libye : la course aux contrats commence, op. cit., http://www.liberation.fr/monde/01012356298-libye-la-course-auxcontrats-commence. Le Monde, Le pétrole, priorité des rebelles libyens, article disponible sur : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/08/22/le-petrole-priorite-des-rebelleslibyens_1562277_3212.html, référence de la page consultée le 18 octobre 2012. 2 Le Figaro, Libye / hydrocarbures : Italie va rester 1er, article disponible sur : http://www.lefigaro.fr/flash- eco/2011/09/03/97002-20110903FILWWW00435-libyehydrocarburesitalie-va-rester-1er.php, référence de la page consultée le 25 septembre 2012. Voir aussi : Algitlawi (K.), Le Conseil national général et les sociétés étrangères de production de pétrole et de gaz en Libye, Alwatan, article publié le 27 juin 2012, disponible sur : http://www.1libya.com/articals.php?id=41, référence de la page consultée le 15 septembre 2012. Le Point, Les Européens se disputent le pétrole libyen, article disponible sur : http://www.lepoint.fr/economie/les-europeensse-disputent-le-petrole-libyen-03-09-2011-1369586_28.php, référence de la page consultée le 1 octobre 2012. Almanara, La révolution a fait d’ENI la compagnie la plus forte de Libye, article disponible sur : http://www.almanaralink.com/press/2012/05/16309/, référence de la page consulté le 1 septembre 2012. 186 l’opération militaire engagée contre la Libye rendent aujourd’hui cette donnée incertaine. Sous ce régime, l’activité des compagnies pétrolières occidentales se portait très bien et la dernière chose dont elles avaient besoin était le changement 1. Par ailleurs, il faut également noter que la Syrie est largement supérieure à la Libye sur le plan militaire. En effet, son armée dispose du plus gros effectif du Proche-Orient, leurs soldats étant bien équipés et entraînés. En outre, le régime libyen ne disposait pas réellement de l’appui d’alliés forts, contrairement à la Syrie qui compte de puissants amis au sein et en dehors de la région, à commencer par l’Iran, la Russie et même la Chine. Il n’est même pas certain qu’Israël préfèrerait voir s’opérer une transition chaotique en Syrie plutôt que de laisser ce régime aux rênes du pouvoir 2. En effet, malgré la forte similitude des faits, du temps et des réactions des régimes entre la Libye et la Syrie, l’incapacité du Conseil de sécurité à déférer la situation syrienne à la CPI nous montre que la justice n’a pas été la seule raison d’envoyer la situation libyenne devant la CPI 3. En effet, si c’était le cas, il devait faire de même envers la situation syrienne. Pour que la justice soit appliquée, il faut probablement étudier d’autres éléments que les crimes, les massacres et les coupables, à savoir la géopolitique, les intérêts politiques et 1 Naim (M.), Pourquoi attaque-t-on la Libye et pas la Syrie ?, Article disponible sur : er http://www.slate.fr/story/38383/bombarder-libye-pas-syrie-pourquoi, référence de la page consultée le 1 juin 2011. En effet, bien avant les événements en Libye, plusieurs entreprises pétrolières étrangères avaient déjà signé des accords avec le régime de Kadhafi et travaillaient dans des conditions tolérables : par exemple, la société italienne ENI, qui travaillait à Ghadamès et à Murzuq, avait signé 6 accords avec Kadhafi. La société autrichienne OMV en avait signé 5, Petro-Canada, 6. Total, qui travaillait également à Murzuq avait aussi signé plus de 3 accords. La société allemande Wintershall a également signé un accord avec l’ancien régime libyen, et possède même un gisement de pétrole à côté du champ détenu par Gulf Oil. Même les entreprises américaines ont déjà obtenu leur part du pétrole libyen en signant des accords avec le régime de Kadhafi : la société Amerada Hess corporation, ConocoPhillips et Marathon Oil corporation travaillent en Libye. Pour plus d’informations sur ce sujet, voir : Algitlawi (K.), Le Conseil national général et les sociétés étrangères de production de pétrole et de gaz en Libye, op. cit., http://www.1libya.com/articals.php?id=41. 2 Naim (M.), Pourquoi attaque-t-on la Libye et pas la Syrie ? op. cit., article disponible sur : http://www.slate.fr/story/38383/bombarder-libye-pas-syrie-pourquoi. Voir aussi, Le Point, L'ONU pourrait saisir la CPI sur la situation en Syrie, article disponible sur :http://www.lepoint.fr/monde/l-onu-pourrait-saisir-lacpi-sur-la-situation-en-syrie-18-08-2011-1363703_24.php, référence de la page consultée le 27 août 2011. 3 Weckel (P.), Syrie, la protection de la population civile et l’ONU, article disponible sur : http://sentinelle-droit- international.fr/bulletins/a2011/20110508_bull_264/sentinelle_264.htm#10482, référence de la page consulté le 12 avril 2012. 187 économiques. Il est à espérer que la conclusion de cette étude ne laisse pas transparaître que la justice soit devenue une puissante arme pour réaliser des projets et des plans politiques et économiques. En effet, deux conditions politiques (ni juridiques ni humanitaires) sont nécessaires pour qu’une action internationale guidée par le Conseil de sécurité soit menée. Il faut d’abord qu’un certain nombre d’Etats pilotes (permanents) prennent l’initiative d’endosser la responsabilité particulière de la crise. Comme c’est le cas concernant la Libye, d’où la rapidité d’exécution du Conseil de sécurité contrairement à la répression syrienne. Ensuite, l’unité des organisations régionales est une donnée non négligeable pour expliquer l’intervention du Conseil de sécurité. Nous avons vu que pour la Libye, malgré des débuts poussifs, l’OTAN et la LEA ont joué un rôle déterminant. L’autre exemple concerne la Palestine. En 2009, les ministres de la Justice et des Affaires étrangères de l’Autorité Palestinienne ont demandé à la CPI d’enquêter sur des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis sur le territoire palestinien depuis 2002. « Nous sommes venus aujourd’hui apporter des documents qui montrent que la Palestine en tant qu’Etat [...] est en mesure de saisir la Cour et de demander une enquête sur les crimes commis par l’armée israélienne » a déclaré le ministre de la Justice palestinien devant des journalistes. « Nous déposerons encore d’autres documents sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, pas seulement à Gaza lors de la dernière attaque israélienne, mais aussi de 2002 à aujourd’hui » a-t-il ajouté 1. Plusieurs ONG, comme Amnesty international et le Conseil des Droits de l'Homme, ont par ailleurs demandé à la CPI de se prononcer sur sa compétence à enquêter sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité qui auraient été commis durant le conflit de 2008-2009 à Gaza et dans le sud d'Israël. Il faut noter que les autorités israéliennes comme palestiniennes avaient eu la possibilité et suffisamment de temps pour rendre justice aux victimes, ce qu’elles n’ont pas fait 2. 1 Le Figaro, Israël « crime de guerre » : La Cour pénale internationale saisie, article disponible sur : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/02/13/01011-20090213FILWWW00595-israel-crime-de-guerre-la-cpisaisie.php, référence de la page consultée le 25 décembre 2009. 2 Amnesty international, site officiel d’Amnesty international, Il faut que la CPI se prononce sur sa compétence à enquêter sur le conflit de Gaza, article disponible sur : http://www.amnesty.org/fr/news-andupdates/icc-urged-decide-gaza-conflict-investigation-2010-09-27, référence de la page consultée le 10 décembre 2009. 188 La question reste à savoir si la Cour enquêterait à Gaza. Dans les faits, si la juridiction de La Haye s’est vue sommée de toutes parts de se saisir des crimes commis dans les territoires palestiniens, elle ne s’est pas encore prononcée sur cette éventualité. Elle affiche même une remarquable discrétion et semble se tenir hors des remous politico-médiatiques créés par l’hypothèse de son entrée sur la scène du conflit israélo-palestinien ; un scénario singulièrement risqué sur lequel les analystes du bureau du Procureur se penchent depuis deux ans. Dans l’affirmative, se saisir d’un tel dossier pourrait certes représenter une chance inespérée pour la CPI de récuser la critique constante qui fait d’elle l’instrument d’une justice à « deux vitesses » au service des Etats puissants. Cependant, les circonstances dans lesquelles ce dossier est parvenu jusqu’au bureau du Procureur ont paradoxalement fait du dossier israélo-palestinien un cadeau empoisonné 1. En effet, selon le Statut de Rome, la Cour ne peut recevoir que des affaires déférées soit par l’Etat sur le territoire duquel le crime a été commis, soit par l’Etat dont la personne accusée est ressortissante. Le Procureur peut également engager des enquêtes sur une affaire si le pays de résidence ou de nationalité des accusés est un Etat partie. Ce n’est le cas ni pour l’Etat d’Israël ni pour la Palestine. Il reste que la CPI peut exercer sa compétence sur le conflit israélo-palestinien dans l’hypothèse où cette situation serait déférée par le Conseil de sécurité. Il existe toutefois une alternative : en vertu de l’article 12-3 du Statut de Rome, un Etat non partie au Statut a également la possibilité de reconnaître la compétence de la CPI sur une base ad hoc, c’est-à-dire au regard d’un crime spécifique et ce, par le biais d’une déclaration expresse déposée auprès du Greffier de la Cour. Le 21 janvier 2009, l’Autorité palestinienne a soumis à la Cour une déclaration de ce type, relative aux crimes commis sur le territoire de la Palestine depuis le 1er juillet 2002 2. 1 Salmawy (M.), La Cour pénale internationale et la justice sélective, article disponible sur : http://www.info- palestine.net/spip.php?article4864, référence de la page consultée le 10 décembre 2010. Voir aussi : Amira (H.), Alahram (W.), Le crime des crimes, article disponible sur : http://www.info-palestine.net/spip.php?article6026, référence de la page consultée le 13 décembre 2010. Chaïmaa (A.), Et pourquoi pas Bush et les autres ?, article disponible sur : http://www.info-palestine.net/spip.php?article4864, référence de la page consultée le 13 décembre 2010. Amnesty international, site officiel d’Amnesty international, disponible sur : http://www.amnesty.org/fr, référence de la page consultée le 10 décembre 2009. 2 Amnesty international, site officiel d’Amnesty international, Il faut que la CPI se prononce sur sa compétence à enquêter sur le conflit de Gaza, op. cit.,http://www.amnesty.org/fr/news-and-updates/icc-urgeddecide-gaza-conflict-investigation-2010-09-27. Voir aussi : Site officiel du Journal Le Monde, référence de la page consultée le 29 octobre 2010, http://www.lemonde.fr/. 189 Plusieurs questions essentielles peuvent alors être abordées suite à ces explications : la CPI peut-elle s’en tenir à une stricte interprétation de l’article 12 sans avoir à se prononcer sur la nature juridique de l’entité palestinienne ? Quelle est au fond la véritable étendue du champ d’application du Statut de Rome ? Et plus essentiel encore : en validant la demande de l’Autorité palestinienne, et en créant de ce fait un précédent historique, la Cour ne risque-telle pas d’ouvrir une boîte de Pandore ? En examinant cette déclaration, elle avance en terrain miné, celui d’un conflit quasi séculaire très médiatisé et marqué d’une forte charge émotionnelle. Ce faisant, elle doit éviter de s’avancer sur un autre terrain qui n’est a priori pas le sien : celui de la politique internationale et des relations diplomatiques entre les Etats. Compte tenu de tout ce qui précède, il est peu vraisemblable que la CPI décide de lancer une enquête au sujet des faits qui se sont déroulés à Gaza, que l'auteur de ces crimes se révèle être palestinien ou israélien ; le but étant ici de rendre la justice. Outre la Palestine, il est possible de citer des cas similaires, en Irak, et bien avant, en Afghanistan. Or, la Cour n’a jusqu’à aujourd'hui pas compétence pour enquêter sur le conflit israélo-palestinien ni même sur la guerre en Irak puisque Israël et les Etats-Unis n'ont pas ratifié le Statut de la CPI. En comparaison avec les situations soudanaise et libyenne, qui concernent des Etats non-parties, la compétence de la Cour a été tirée des résolutions 1593 et 1970 du Conseil de sécurité, adoptées en vertu du Chapitre VII de la Charte de l'ONU. Le motif invoqué était la menace pour la paix et la sécurité internationales. Cependant, et malgré la gravité des crimes commis dans les conflits irakien et israélo-palestinien, la CPI n’est pas compétente, sauf si le Conseil de sécurité considère que ce qui se passe dans ces pays constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales et que par la suite, il renvoie ces situations devant elle. Si Israël, la Palestine et l’Irak ne sont pas des Etats parties au Statut de la CPI, l’Afghanistan, en revanche, en est un. Le Procureur étant donc à même de se pencher sur sa situation, cette dernière n’a pas été déférée. De plus, même si certaines de ces situations, à Gaza, en Irak ou en Afghanistan, concernent des Etats non parties, le Procureur peut néanmoins engager des poursuites à l’encontre de ces situations, comme dans le cas du Soudan ou de la Libye, à condition que le Conseil de sécurité le charge d’enquêter. A moins qu’Israël reconnaisse temporairement la compétence de la Cour, mais cela semble exclu, il est hautement improbable qu’une enquête soit engagée dans le cas palestinien. La requête de la Palestine risque donc de rester vaine. Malgré tous les massacres commis, le Procureur n’a réalisé qu’un simple examen préliminaire, selon les propos de son bureau à La Haye, sur les 190 allégations de crimes commis à Gaza par Israël. Après avoir reçu des communications à ce sujet de la part du ministre de la Justice palestinien et d’ONG, le bureau du Procureur a déclaré qu’il allait examiner « attentivement tout ce qui est lié à ce sujet, y compris les problèmes de compétence ». Cependant, il a également ajouté que « cet examen préliminaire ne signifie pas qu’une enquête sera ouverte ». Cette formulation fait dire qu’aucune enquête ne sera ouverte pour le cas palestinien. Il faut d’ailleurs évoquer la question de la légitimité morale du Conseil de sécurité. En effet, plusieurs de ses membres permanents, et disposant de fait du droit de veto, sont susceptibles d’être jugés pour crimes de guerre 1. Il devient donc aisé pour le chef d’Etat soudanais de demander : « où était la justice internationale durant l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan, le bombardement de Gaza et les crimes commis dans les prisons de Guantanamo et d’Abu Ghraib ? ». Comme nous l’avons vu, le Statut de la CPI est entré en vigueur le 1er juillet 2002 et, en principe, sa compétence ne peut s’exercer que si l’Etat sur le territoire duquel le crime est commis ou l’Etat dont les personnes accusées de crimes sont ressortissantes est partie au Statut (article 12-2). Or, ni les Etats-Unis, ni l’Irak n’ont encore ratifié le Statut 2. Cela ne justifie en rien les crimes commis au Darfour ou en Libye, mais pour être juste, la Justice doit être égale envers tous et ses règles doivent être claires et identiques pour tous. Qu’attend le Conseil de sécurité pour demander à la Cour de poursuivre les dirigeants des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, d’Israël ou même de Palestine ? Même en l’absence de cette demande, le Procureur aurait pu agir à propos des crimes commis par la Grande-Bretagne en Irak et en Afghanistan, qui est un Etat partie, ainsi qu’à propos de ceux commis par les Etats-Unis en Afghanistan. Il est toutefois à noter que la justice britannique a poursuivi certains soldats pour assassinats de civils en Irak, ce qui leur permet de justifier les non poursuites à l’encontre des plus hauts responsables, sur la base du principe de « complémentarité » de la Cour avec les juridictions nationales. Dans le cas du Darfour, les autorités soudanaises ont aussi indiqué que leur justice avait procédé à des poursuites, suivies de condamnations parfois lourdes, mais cela n’a pas empêché la saisine 3. 1 Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., pp. 1-2. 2 Croix Rouge, site officiel de la Croix Rouge, disponible sur : http://www.croix-rouge.fr/, référence de la page consultée le 2 décembre 2010. 3 Copyright (D.), La Cour pénale internationale et le Soudan : quelques remarques, article disponible sur : http://www.grotius.fr/, référence de la page consultée le 1er octobre 2010. 191 Par ailleurs, la décision du Procureur de la CPI d'engager des poursuites à l’encontre du président soudanais El-Béchir et de l’ancien chef libyen Mouammar Kadhafi, a accru le sentiment de partialité de cette institution. Cependant, des arguments selon lesquels la Cour s’acharnerait contre l'Afrique, et serait donc partiale, ne résistent pas à un examen objectif de la situation. En premier lieu, il importe de souligner que les Etats africains constituent aujourd'hui près d'un tiers des Etats parties au Statut, reconnaissant et acceptant ainsi la compétence de la CPI sur leur territoire ou contre leurs ressortissants. En second lieu, c'est parce qu'ils avaient ratifié le Statut de la CPI et donc reconnu sa compétence, qu’ils ont euxmêmes saisi cette dernière, et demandé au Procureur d'ouvrir une enquête sur les crimes perpétrés sur leur territoire, reconnaissant leur absence de capacité à mener à bien des enquêtes et poursuites sur ces crimes 1. Enfin, même dans les cas qui ont été déférés à la CPI par le Conseil de sécurité, ce dernier a construit une sorte de sélectivité établie sur la base des intérêts de ses membres. Il suffit de se pencher sur le cas libyen avec un peu d’attention. Il est remarquable que le Conseil de sécurité fût beaucoup plus attentif et persévérant dans le cas de la Libye que celui du Soudan : - Le Conseil de sécurité n’est intervenu en déférant la situation soudanaise devant la CPI qu'après de longues années, alors qu’en ce qui concerne la Libye, quelques jours seulement après le déclenchement des événements, le Conseil de sécurité a déféré cette situation devant la CPI 2. 1 FILDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, disponible sur : http://www.fidh.org, référence de la page consultée le 2 septembre 2010. Voir aussi : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., pp. 438-439. 2 Malgré cela la saisine soudanaise constitue un pas important : si la compétence de la CPI concernant la situation soudanaise ne s’est pas imposée immédiatement, c’est parce que les Etats-Unis ont défendu un projet d’institution d’un tribunal ad hoc pour connaître cette situation afin de ne pas paraître légitimer une Cour honnie pour la menace qu’elle représente à l’égard de leurs nationaux. Le rapport de la Commission Internationale d’enquête sur le Darfour, ONU S/2005/60, le 1er février 2005. Voir aussi : S/RES/1564 (2004) du 18 septembre 2004. 192 - Depuis plusieurs années, Omar el-Béchir est, toujours, recherché par la CPI qui a émis un mandat d'arrêt contre lui. Nous n’avons pas remarqué de réel enthousiasme, ni de la part du Conseil de sécurité ni de la part de la CPI, pour la mise en œuvre de ce mandat d'arrêt, alors que s’agissant de la Libye, la question était toute autre : une décision du Conseil de sécurité de saisir la CPI, ainsi que des mandats d’arrêts, ont été rapidement mis en place, allant jusqu'à l'implication d’Interpol pour garantir des arrestations rapides. - En outre, après cet énorme intérêt porté au dossier du Colonel Kadhafi, nous notons que l’efficacité concernant la situation libyenne n’a pas été entravée par la mort de Kadhafi, après quoi l’intérêt s’est porté sur son fils. Même si le Conseil de sécurité n’est pas encore intervenu, nous notons que la CPI n'a pas perdu de vue un seul instant ce dossier, toujours dans le cas d'un suivi continu de cette affaire. En outre, il est étrange que la CPI n'ait pas donné la même attention à Abdullah AlSenussi, alors qu’il était, en effet, l'homme le plus dangereux de Libye. La question qui se pose ici est : ce soin porté à la situation libyenne est-il vraiment basé sur une réelle ambition du Conseil de sécurité, d’établir la justice, la protection des civils et de maintenir la paix et la sécurité internationales ? Si la réponse est oui, pourquoi cette sélectivité ? Pourquoi la Libye ? Pourquoi pas la Syrie, l'Irak, l'Afghanistan, la Palestine et bien d’autres pays en tension qui ont également besoin d’une justice, d’une protection des civils et d’une paix ? Toutes ces questions doivent nous amener à prendre conscience de la sélectivité adoptée par le Conseil de sécurité dans la prise de ses décisions, et à conclure que la paix et la sécurité internationales ne sont pas toujours les seuls motifs d’une décision de la part du Conseil de sécurité. 193 Deuxième Partie Le pouvoir du Conseil de sécurité d'entraver l'activité de la Cour pénale internationale 194 Il est possible de dire que le Statut de Rome a connu une certaine réussite après son entrée en vigueur en juillet 2002. Cependant, malgré ce succès, la tâche de la CPI semble difficile et très complexe, notamment en ce qui concerne le rôle du Conseil de sécurité dans l'activation de la compétence de la CPI sans porter atteinte à son indépendance. La mission de cette Cour devient encore plus délicate lorsque l’application de la justice peut avoir des implications sur les opérations de paix fondées sur des plans purement politiques. En effet, il faut toujours rappeler la relation étroite entretenue par la responsabilité du maintien de la paix et de la justice pénale internationale, cette dernière se déroulant généralement dans des circonstances où la paix est menacée. C’est pourquoi le Statut de Rome a accordé au Conseil de sécurité une place fondamentale dans les mécanismes de fonctionnement de la Cour. En ce qui concerne l’activation de la CPI, le Conseil de sécurité joue notamment un rôle central dans le Statut de Rome. Cette place n’est en rien fortuite mais 1 reflète l’influence de cette relation sur l’activation de la CPI . Dans notre recherche, nous traiterons non seulement des relations entre la CPI et le Conseil de sécurité mais aussi des doutes que fait naître cette relation au sujet de l’indépendance de la Cour, caractère que toute Cour de justice se doit de revêtir. Nous examinerons l’indépendance de cette juridiction internationale face à la pression politique exercée par le Conseil de sécurité. Selon le Statut de la CPI, il est clair que le Conseil de sécurité a une relation très particulière avec ce nouvel organisme appelé la CPI. Cette relation se reflète dans certains pouvoirs qui ont été accordés au Conseil de sécurité, non seulement en vertu du Statut de Rome, mais aussi en vertu de la Charte de l’ONU. Ces pouvoirs du Conseil de sécurité prévus dans le Statut de Rome sont basés sur deux piliers : - Le premier pilier est représenté par la norme qui permet au Conseil de sécurité d’être l'un des outils qui activent la CPI. Par ce mode de saisine, qui illustre la nature 1 Alrashidi (M.), Le mécanisme de la compétence de la Cour pénale internationale face aux crimes internationaux conformément au Statut de Rome (le Conseil de sécurité, la Cour pénale internationale, les juridictions nationales), Le Journal du Droit, Université du Koweït, N° 2, 2003, p. 44. Voir aussi : Roberg (M.C), La nouvelle Cour pénale internationale : évaluation préliminaire, RICR, 12/1998, p. 832. 195 du compromis de Rome, le Conseil de sécurité peut, en s’appuyant sur le chapitre VII de la Charte de l’ONU, renvoyer devant la Cour une situation dans laquelle semblent avoir été commis un ou plusieurs crimes relevant de la compétence de cette 1 Cour , comme nous l’avons déjà évoqué ci-dessus 2. - Le deuxième pilier est représenté par les pouvoirs qui permettent au Conseil de sécurité d’entraver ou de suspendre l’activité de la CPI. Le Statut de Rome a attribué au Conseil de sécurité le pouvoir de suspendre, voire de paralyser les enquêtes et les poursuites conduites par la CPI. Dans cette partie nous traiterons d’abord le pouvoir effectif du Conseil de sécurité d’entraver l’activité de la CPI (Titre I). Ensuite, nous aborderons le rôle potentiel du Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression (Titre II). 1 Le Statut de la Cour pénale internationale, (articles 13 et 87). 2 Voir : Supra, pp. 53-64. 196 Titre I Le pouvoir effectif du Conseil de sécurité de suspendre l’action de la Cour pénale internationale 197 Après quelques années de fonctionnement, l'espoir mis dans cette Cour n’a pas été totalement vain. La preuve en est dans les affaires qui ont été examinées devant elle, notamment les cas de personnalités politiques de haut rang impliquées dans des crimes internationaux. Il faut reconnaître que son existence tend même à se socialiser de plus en plus au sein de la Communauté internationale. En revanche, de nombreuses zones d'ombre ou encore des faiblesses liées aux actions de tous les acteurs de la Cour ne peuvent être négligées. Dans de nombreuses hypothèses, cette faiblesse reste intrinsèque aux relations internationales qui ne sont pas dominées par une rationalité objective. Elles voient intervenir de nombreux facteurs très subjectifs pouvant influer sur le cours de la justice internationale. Seule la socialisation, en d'autres termes l'intégration dans le chef des Etats de la notion d'intérêt supérieur de la Communauté internationale dans son ensemble, pourrait atténuer 1 voire pallier les obstacles liés à la saisine de la CPI . Si le rôle du Conseil de sécurité d’assurer l'activation de la compétence de la CPI, conformément à l'article 13 du Statut de Rome, peut avoir un grand impact, comme il est stipulé, il n’est ni plus ni moins qu’un mécanisme pour activer cette compétence parmi d’autres prévus dans cet article. En revanche, en ce qui concerne l'article 16 du Statut de Rome, le pouvoir est encore plus dangereux, car conformément à cet article, le Conseil de sécurité est le seul ayant le droit de suspendre l'enquête ou la poursuite devant la CPI, dans les 2 cas où les exigences de paix et de sécurité internationales l’exigent . Dans un premier temps, nous traiterons la faculté du Conseil de sécurité de surseoir à l’activité de la CPI (Chapitre I). Et par la suite nous examinerons l’exercice par le Conseil de sécurité de sa faculté de surseoir à l'activité de la CPI (Chapitre II). 1 Clerc (M.), La Cour pénale internationale : une victoire contre l'impunité ?, Petites affiches, N° 86, 30 avril 2002, p. 4. 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 16 et 87-7). Voir aussi : Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, Le Journal du Droit, le Conseil des publications scientifiques, Université du Koweït, 4e édition, décembre 2005, p. 34. 198 Chapitre I La faculté du Conseil de sécurité de surseoir à l’activité de la Cour pénale internationale 199 Le Statut de Rome tient compte du fait que la responsabilité du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales ne va pas toujours dans la même direction que celle de la CPI vis-à-vis de la justice pénale internationale. Bien qu’il existe une 1 coopération et une coordination, il existe également un conflit et une dépendance . Pour que ces deux objectifs (la justice pénale internationale et la paix internationale), puissent être 2 réalisés et se consolider , l’article 16 du Statut de Rome stipule qu’aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le 3 Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens auprès de la Cour . Selon ce texte, l'étude de ce pouvoir accordé au Conseil de sécurité exige, pour être mieux comprise, d’étudier les négociations et les positions lors de la Conférence de Rome concernant ce pouvoir (Section I), ainsi que l'article 16 du Statut de Rome permettant au Conseil de sécurité de suspendre l’activité de la CPI (Section II). Section I. La faculté de surseoir : négociations et positions lors de la Conférence de Rome Au cours des discussions lors de la Conférence de Rome, la question des pouvoirs du Conseil de sécurité a révélé la difficulté dans la mise en place d'un organe judiciaire en relation avec de graves violations des droits de l'homme. L’exemple le plus complexe a été la question de la suspension de l’activité de la CPI. Ici, nous étudierons tout d’abord la phase des négociations (§ I), avant d’aborder les justifications du pouvoir de sursis : une campagne américaine ? (§ II). § I. La phase des négociations Au cours des débats à Rome, la question du rôle du Conseil de sécurité à l’intérieur du système de la CPI a revêtu une importance croissante. Les différents points de vue exprimés lors des travaux des Comités ad hoc ont fait l'objet de fortes oppositions sur ce 1 Benamer (T.), La relation entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité, Le journal du droit public, Tunis, N° 4, 2006, p. 1161. 2 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 36. 3 Le Statut de la Cour pénale internationale, (article 16). 200 1 sujet . Cette discussion a été plus compliquée que celle du pouvoir de saisir la CPI. Les Etats membres permanents du Conseil de sécurité n’ont pas été satisfaits de ne voir accordé à celuici que le pouvoir de la saisine. En effet, ils auraient bien davantage préféré pouvoir contrôler 2 l’activité de la CPI . Ainsi, la tâche des délégations était de créer une règle qui pourrait assurer la primauté du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales dans le contexte prévu au Statut, tout en garantissant que l’action entreprise par le Conseil de sécurité dans ce sens n’affecte pas l’indépendance de la Cour. Selon la CDI, ce propos préservait l’indépendance de la Cour sous deux aspects : d’un côté, il ne donnait pas au Conseil de sécurité une pure possibilité de veto sur tout commencement d’une enquête faite par la Cour, car il demandait aussi l’engagement dans une action concrète par le Conseil même. D’un autre côté, les enquêtes pouvaient être entreprises par la Cour une fois que 3 l’action accomplie sous le Chapitre VII était achevée . La proposition de la CDI a fait l’objet de fortes critiques pendant les négociations, parce qu’elle était vue comme une interférence dans l’indépendance et l’impartialité de la future institution juridique. En particulier, elle a été considérée inconcevable parce qu’elle permettait que la fonction judiciaire de la Cour soit assujettie à la décision d’un organe politique. Cette proposition conditionne l’activité de la CPI à une autorisation préalable de la part du Conseil de sécurité par laquelle ce dernier disposerait d’un droit du veto qui pourrait arrêter et paralyser le travail de la CPI. De même, les éventuelles applications du principe proposé par la CDI sont contestables. Notons l'exemple du cas où le travail de la CPI pourrait être entravé par une simple action à l'ordre du jour du Conseil de sécurité et ensuite par le renouvellement automatique de cet ordre qui pourrait s'étendre sur de longues périodes, sans 4 même une nouvelle décision du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII . 1 Le rapport de la Commission du Droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, op. cit., pp. 28-31. 2 Elshekri (A.), La justice pénale internationale dans un monde en mutation, Dar Altakafa, Aman, 2008, p. 91. 3 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 55-60. 4 Le rapport du Comité préparatoire pour la création d'une Cour pénale internationale, note 6-142, UN Doc A/51/22 (1996). 201 Certains Etats 1, se montrant en effet hostiles à une implication du Conseil de sécurité dans l’activité de la Cour, soutenaient le fait qu’en permettant aux considérations politiques d’influencer l’action de la Cour, tout le processus judiciaire pouvait être discrédité. En outre, certains membres permanents du Conseil de sécurité ont voulu s’assurer contre les poursuites politisées qui n’auraient pour seul but que la stigmatisation des interventions militaires extérieures de certains Etats. Cette préoccupation était notamment celle du représentant français à la Conférence de Rome : « la France ne souhaite pas que la Cour se transforme en tribune de nature politique, saisie de plaintes abusives qui auraient pour seul objet de mettre en cause les décisions du Conseil de sécurité ou la politique extérieure de l’un des trop rares pays qui acceptent d’assumer les risques des opérations de maintien de la paix » 2. Dans le même temps, d’autres gouvernements mettaient en évidence le besoin de prévoir ce contrôle pour éviter à la poursuite de la justice d’interférer, sinon d’empêcher la poursuite de la paix 3. Entre ces deux positions extrêmes, une variante plus nuancée et médiatrice par rapport à sa version originale, a retenu l’attention. L’élaboration de ce pouvoir a été laborieuse, et l’accord final a prévalu seulement après le rejet de plusieurs alternatives. Selon cette troisième voie, s’il fallait confier au Conseil de sécurité le pouvoir de suspendre l’action de la CPI dans des situations où la paix et la sécurité internationales sont menacées, il fallait prévoir des limites très spécifiques à ce pouvoir pour en empêcher tout abus au détriment de 4 l’indépendance de la Cour . Cependant, accorder ou non un rôle au Conseil de sécurité ne changerait rien puisque celui-ci pourrait directement s’appuyer sur la Charte de l’ONU pour détenir un tel pouvoir. Selon cette proposition, s’il était donc nécessaire de doter le Conseil de sécurité du pouvoir de suspendre l’activité de la Cour, il fallait alors établir des règles claires dans le but de limiter ce pouvoir, par exemple, à travers la détermination des cas où le Conseil de sécurité aurait pu agir en tel sens. 1 Essentiellement des Etats arabes (Syrie, Algérie, Libye), africains et d’Amérique latine. 2 A/CONF.183/SR.6 (1998), p. 9. Voir aussi : Charvin (R.), L’impunité internationale des politiques et la Cour pénale internationale, extrait de Juger les politiques, Sueur (J.), « Nouvelles réflexions sur les responsabilités des dirigeants publics » L’Harmattan, février 2011 article disponible sur : http://mosourpa.hautetfort.com/media/02/02/874451562.pdf, référence de la page consultée le 3 avril 2011. 3 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp. 349-350. 4 Hasan (S.), La Cour pénale internationale (sa création, son Statut, sa compétence) et la justice pénale internationale, Dar Elnahda, Le Caire, 2004, pp. 291-302. 202 Dans un tel contexte, la proposition présentée par Singapour a marqué un vrai point de rupture pour les négociations. Alors que jusque-là, l’influence du Conseil de sécurité sur la CPI se manifestait comme un pouvoir implicite, avec la proposition présentée par Singapour, les termes de la question se trouvaient profondément modifiés. En effet, « […] l’action du Conseil de sécurité n’était plus demandée dans le but de consentir à l’activation de la Cour mais seulement pour en suspendre l’action »1. Dans cette proposition, le prédicat de la disposition change, remplacé par le suivant : « la Cour n’agit pas si le Conseil de sécurité choisit dans un tel sens. Si dans la synthèse de cette dernière expression, les éléments pour la réalisation de la condition restent les mêmes, la majorité des votes et l’absence du veto, ils jouent dans un sens contraire : le veto du Conseil de sécurité, au lieu de permettre 2 l’activation de la Cour, lui empêche l’action » . Cependant, les discussions ne sont pas parvenues à garder un tel pouvoir qui exclurait la possibilité d’un renouvellement de décision du Conseil de sécurité pour suspendre l’activité de cette Cour tout en cherchant à sauvegarder l’activité déjà engagée par le Procureur. C’est ainsi que certains pays latino-américains proposaient que la décision de suspendre soit renouvelable une seule fois. La Belgique, par ailleurs, proposait d’attribuer au Procureur le pouvoir de préserver les preuves pendant la suspension décidée par le Conseil de sécurité. Certains Etats, surtout les membres permanents, qui comme toujours, ont déployé une fonction d’arrière-garde, se sont opposés non seulement avec fermeté mais aussi avec succès à ces propositions : aucune limite temporelle sur le pouvoir du Conseil de sécurité. Il y 3 a donc bien le risque que la décision soit renouvelable un nombre infini de fois . 1 Voir la proposition de Singapour lors de la conférence de Rome : CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 14 mars 2011. 2 Ottenhof (R.), L’association internationale de droit pénal et la création de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 45-48. Voir aussi : Della morte (G.), Les frontières de la compétence de la Cour pénale internationale : observations critiques, op. cit., pp. 22-30. Hasan (S.), La Cour pénale internationale (sa création, son Statut, sa compétence) et la justice pénale internationale, op. cit., pp. 300-302. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 20 avril 2011. 3 Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 444. 203 Enfin, au cours de cette Conférence, les délégations de la Belgique et de l’Espagne avaient proposé des amendements visant à introduire des mesures de protection et de conservation des preuves ainsi qu’à établir une limite à l’extension temporelle de la suspension. Les deux propositions ont été rejetées, la raison étant que Singapour offrait des 1 garanties suffisantes . En ce qui concerne cette question, le propos de Singapour a contribué à 2 l’aboutissement d’un accord sur la question . 1 Becheraoui (D.), L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale, RIDP, 2005/3 – Vol.76, pp. 341-350. 2 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 55-60. 204 § II. Les justifications du pouvoir de sursis : une campagne américaine Le Conseil de sécurité a obtenu le pouvoir de saisir la CPI. Tout comme des Etats parties, cet organe politique, dont cinq Etats sont membres permanents avec un droit de veto, peut remettre au Procureur des informations et demander l'ouverture des investigations sur des crimes rentrant dans la compétence de la CPI. Les Etats-Unis, qui comptent parmi ces Etats, ont envoyé le 6 mai 2002, une lettre au Secrétaire général de l'ONU, demandant le retrait de leur signature du Traité de Rome, manifestant dans le même temps leur volonté de ne jamais être partie au Statut de la Cour. Les Etats-Unis ont eu, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, un rôle prédominant dans l’institutionnalisation de la justice pénale internationale. Ils ont largement influencé la création des tribunaux militaires internationaux en tant que principal vainqueur de la Seconde Guerre mondiale et ont soutenu la formation des tribunaux pénaux internationaux et spéciaux, dans le cadre du Conseil de sécurité, qui ont vu le 1 renforcement de l’influence du droit anglo-saxon sur le droit pénal international . Ils ont voté en faveur des résolutions 827 du 25 mai 1993 et 955 du 8 novembre 1994 du Conseil de 2 sécurité , qui les a respectivement instituées. Leur soutien s’est traduit par la participation au processus de négociation et par une contribution financière conséquente, s’élevant par exemple à environ un quart du budget annuel du TPIY. Ils ont plus récemment défendu la mise en place de Cours spéciales à l’image des tribunaux spéciaux de Sierra Leone et du Cambodge. En plus de leur vote en faveur des résolutions onusiennes qui les instituent, et de leur contribution financière, (les Etats-Unis sont le pays qui a apporté les contributions volontaires les plus élevées pour le Tribunal spécial de Sierra Leone), ils ont déclaré à maintes reprises leur soutien à cette initiative mixte, qui combine les participations nationale et internationale tout en préservant la responsabilité souveraine des Etats pour juger les auteurs de crimes de guerre 3. 1 Pour plus d’informations sur ce point, voir : Supra, pp. 18-23. 2 Cette résolution 827 du 25 mai 1993 du Conseil de sécurité concerne la création du Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie, et la résolution 955 du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité concerne la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda. 3 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. 205 Malgré le soutien historique des Etats-Unis à l’égard des juridictions pénales internationales ad hoc, la donne s’est soudainement inversée lorsque le processus d’instauration d’une CPI s’est précisé lors de conférences plénipotentiaires successives sous l’égide de l’ONU. Les raisons de ces crispations face à une juridiction pénale internationale permanente s’expliquent en partie par un contexte politique tendu, qui conduit à un repli sécuritaire et à l’adoption d’un certain unilatéralisme sur la scène internationale de la part des Etats-Unis. Ces raisons politiques se traduisent par un certain nombre de mesures juridiques en droits interne et international visant à combattre sur tous les fronts, et surtout vis-à-vis de la compétence de la CPI. D’ailleurs, à l’origine, les Etats-Unis n’étaient pas fondamentalement opposés à l’idée d’une CPI : au début des années 1990, ils avaient même exprimé leur soutien au projet. Par ailleurs, la conférence diplomatique de cinq semaines a été le théâtre de véritables négociations. Ce ne sera que progressivement, avec la prise de conscience que la future CPI ne pourra être subordonnée au pouvoir américain, que 1 Washington perd intérêt au projet . Dès lors, les Etats-Unis ont défendu pendant toutes les négociations le pouvoir du Conseil de sécurité de suspendre l’activité de la CPI. Les raisons de leur refus du Statut de Rome et celles de leur position d’accorder au Conseil de sécurité un pouvoir de suspendre le travail de la CPI, vont au même but : cela se comprend à travers la menace d’une perte de souveraineté nationale face à l’obligation de soumettre leurs ressortissants à une juridiction pénale internationale permanente et donc extranationale. Une telle menace s’explique par l’absence d’un droit de veto contre les poursuites menées par la CPI à l’encontre de ressortissants américains. Les négociations sur le Statut n’ont pas conforté les positions américaines qui considéraient le droit de veto comme une des conditions primordiales à leur signature du Statut de Rome. Dans la perspective d’une perte de souveraineté, l’appui américain concernant le principe de complémentarité de la CPI devient alors 2 compréhensible . 1 Georg (N.), Le droit international face au défi américain, Pédone, Paris, 2005, pp. 32-64. Voir aussi : Bouquemont (C.), La Cour pénale internationale et les Etats-Unis, L’Harmattan, Paris, 2003, pp. 22-54. Detais (J.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, RDF, N° 3, janvier-décembre, 2003, pp. 37-48. 2 Voir : Supra, pp. 24-30 et 54-58. 206 De surcroît, les Etats-Unis ont, en effet, milité pour que le Conseil de sécurité de l’ONU soit le seul à pouvoir déférer une affaire devant la CPI ainsi que suspendre les enquêtes et les poursuites devant cette Cour, contrôlant ainsi ses activités. Cette volonté américaine s’explique par leur position de membre permanent du Conseil de sécurité, disposant ainsi d’un droit de veto permettant le blocage d’une résolution de ce Conseil. Ces raisons ne sont pas évoquées de manière exhaustive, les Etats-Unis remettant en cause plusieurs articles du Statut notamment des articles concernant l’impartialité des juges et le Statut accordé aux Etats non parties dont les ressortissants peuvent être poursuivis s’ils ont commis des crimes relatifs au mandat de la Cour sur le territoire d’un Etat partie. Pour se prémunir des effets d’une Cour qui ne serait pas en accord avec leur volonté, les Etats-Unis 1 ont mis en place des instruments en droit interne pour s’en prémunir . Il semble que même les Etats-Unis, partie tiers au Statut de la Cour, pourraient à tout moment, tout en refusant de se soumettre à l'ordre juridique pénal international, utiliser cet organe (le Conseil de sécurité) en faveur de leurs propres intérêts de domination. Le danger est plus menaçant si le Statut de la CPI prévoit que le Conseil de sécurité a le pouvoir de paralyser totalement toute action d'investigation ou de suspendre tout procès devant la CPI. Il n'est donc pas à exclure que là où les intérêts stratégiques des Etats-Unis sont menacés, le Conseil ne devienne un instrument de leur politique, consacrant juridiquement l'impunité. Ces craintes sur la possible manipulation du Conseil de sécurité sont, malheureusement, fondées. Les Etats-Unis ont été, pendant les négociations, les premiers à exiger un rôle central pour le Conseil de sécurité quant au contrôle de la CPI2. Enfin, les Etats-Unis voulaient que la compétence de la Cour dépende exclusivement du consentement de l’Etat dont les nationaux étaient présumés avoir commis un crime. En d’autres termes, un américain ne pourrait être jugé par la CPI que si les Etats-Unis le voulaient. Cette requête a été fermement refusée par l’ensemble des autres délégations. Le premier souci des Etats-Unis était de se protéger contre tout risque. Face à ce qui ressemble à bien plus que de la mauvaise volonté, les autres 1 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. 2 Tambwe (PS.), De l'analyse critique des règles de compétence de la Cour pénale internationale, article disponible sur : http://www.memoireonline.com/07/09/2253/De-lanalyse-critique-des-regles-de-competence-dela-cour-penale-internationale.html, référence de la page consultée le 25 avril 2011. 207 délégations, excédées, ont compris qu’un compromis n’était plus envisageable, à moins 1 qu’elles n’acceptent d’aller plus ou moins dans leur sens . L’indépendance de la CPI par rapport à l’ONU et surtout par rapport au Conseil de sécurité, reflète la méfiance des Etats-Unis face à l’indépendance du Procureur inscrite dans le Statut et des compétences étendues qui en découlent, malgré la création d’une Chambre Préliminaire devant laquelle le Procureur doit rendre compte de ses activités. Les Etats-Unis ont développé une politique de boycott permanent contre la création de cette Cour. Un argument a été avancé afin de justifier cette position américaine : la crainte que des plaintes abusives soient déposées auprès de la CPI contre leurs autorités gouvernementales, leurs 2 fonctionnaires civils, leurs militaires et leurs soldats . Il semble que cette opposition ait été essentiellement motivée par le refus de la Communauté internationale d’accorder au Conseil de sécurité le pouvoir de décider des affaires portées devant la Cour. Cette compétence revient en effet à un Procureur indépendant, qui est tenu d’agir dans un cadre garantissant l’équité des procès. Le 31 décembre 2000, Bill Clinton, alors président des Etats-Unis, a néanmoins signé le Statut de Rome, ce qui constituait une avancée en faveur de la CPI. Toutefois, la position américaine a radicalement changé depuis l’investiture de George W. Bush en 2001. Le 6 mai 2002, le gouvernement américain a pris l’initiative sans précédent de revenir sur sa signature et a lancé une campagne mondiale pour affaiblir la CPI et faire en sorte que les citoyens américains ne puissent être poursuivis par cette instance. La lutte contre l’impunité, qu’ils ont aidé à promouvoir dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, est ainsi affectée par leur crainte de voir un jour un citoyen américain, quel que soit son statut, jugé par la CPI ; éventualité d’autant plus probable que la politique étrangère américaine et la tournure unilatérale qui la caractérise depuis ces dernières années amènent les citoyens américains et surtout les forces armées américaines à s’engager dans des conflits qui constituent des cadres propices aux crimes les plus graves 3 pour lesquels la CPI est compétente . 1 Bouquemont (C.), La Cour pénale internationale et les Etats-Unis, op. cit., pp. 22-46. 2 Hugo (R.), La Cour pénale internationale : entre volontarisme étatique, lutte contre l’impunité et désir de l’efficacité, op. cit., http://cadtm.org/La-Cour-Penale-Internationale. 3 Detais (J.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 36-44. Voir aussi : Bouquemont (C.), La Cour pénale internationale et les Etats-Unis, op. cit., pp. 25-34. Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, 208 Les Etats-Unis ont même tenté de passer des accords d’impunité avec d’autres pays à travers le monde. Ces accords prévoient que les citoyens américains accusés de génocide, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre ne seront pas livrés ni transférés à la CPI par les Etats signataires, même si celle-ci en fait la demande. De toute façon, il serait souvent impossible aux tribunaux américains d’instruire ces affaires, car la législation des Etats-Unis ne reconnaît pas un grand nombre des crimes visés par le Statut de Rome. Le 1er juillet 2003, les Etats-Unis ont même prononcé qu’ils retiraient leur aide militaire à trente-cinq Etats parties au Statut de Rome ayant refusé de signer un accord d’impunité. Dès lors, il convient de se demander sur quelles bases juridique et politique se fonde l’attitude des Etats-Unis visà-vis de cette juridiction pénale internationale. Comment expliquer leur opposition radicale par rapport à la CPI compte tenu de leur soutien antérieur à l’institutionnalisation d’une justice pénale internationale, alors même que la CPI semble être l’aboutissement logique de ce processus ? A la lecture de la définition des crimes prévue par le Statut et au vu des actions commises dans le cadre de la guerre en Irak, avec notamment les cas de torture désormais tristement célèbres de la prison d’Abu Graib, peut-on penser que les Etats-Unis ont bien fait de ne pas se constituer comme Etat partie de la CPI et de se soustraire ainsi à sa 1 compétence ? op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. 1 Tomarchio (A.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale : les fondements d’un refus, Mémoire de fin d’étude de DEA, institut d’Etudes politiques de Lyon, présenté à l’Université de Lyon II, 2003, pp. 60-75. Voir aussi : Amnesty international, site officiel d’Amnesty international, disponible sur : http://www.amnesty.org/fr, référence de la page consultée le 19 mars 2011. 209 Section II. L’article 16 du Statut de Rome Il est clair aujourd'hui que le Conseil de sécurité entretient une relation étroite avec la CPI. La tâche du Conseil de sécurité, en tant que premier gardien de la paix et de la sécurité internationales, a joué un rôle de premier plan dans cette relation. Le Conseil de sécurité a pris une place importante à l'égard de la CPI, disposant notamment de pouvoirs pouvant activer l’organe judiciaire. En effet, les rapports entre la CPI et le Conseil de sécurité sont, entre autres, fondés sur le pouvoir de sursis du Conseil de sécurité. Le Statut de Rome a présenté ce pouvoir dans son article 16 par lequel il reconnaît au Conseil de sécurité le pouvoir de suspendre les enquêtes ou les poursuites menées par la Cour, ou mieux encore de bloquer l’activité de cette juridiction internationale. L’étude de ce pouvoir exige de traiter le texte adopté lors de la Conférence de Rome (§ I), afin d’analyser la portée du texte vis-à-vis du fonctionnement de la CPI (§ II). § I. Le texte adopté lors de la conférence de Rome Après d’intenses et difficiles négociations concernant le pouvoir du Conseil de sécurité de suspendre l’activité de la CPI, un compromis a été établi et présenté par le Statut dans son article 16. Ce dernier déclare que : « Aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; la demande peut être 1 renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions » . L’article 16 du Statut de Rome est constitué de différents éléments regroupant les conditions requises ainsi que la possibilité d’examiner la demande de sursis du Conseil de sécurité : 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 16). 210 - La différence entre le texte élaboré par la CDI et le principe contenu dans l’article 16 du Statut de Rome porte principalement sur la modalité d’exercice de ce pouvoir. Selon le texte de la CDI, la Cour ne pouvait pas engager d’enquêtes ni de poursuites sans l’autorisation du Conseil de sécurité. Cependant, le Statut de Rome, dans son article 16, prévoit que la CPI puisse engager des enquêtes et des poursuites sauf si le 1 Conseil de sécurité en demande la suspension . - L'article 16 du Statut de Rome autorise donc le Conseil de sécurité à demander à la Cour de suspendre une enquête ou des poursuites pendant une période de douze mois renouvelable, lorsqu'il considère que les actions de la Cour portent atteinte à la paix et la sécurité internationales. Il convient de rappeler qu'il ne s'agit pas de mettre fin mais de suspendre les procédures pour une période limitée, que ce soit un Etat partie ou le Conseil de sécurité qui le demande. Dans le cas du Soudan, dès la soumission de la requête du Procureur, la LEA et l'UA ont entrepris des démarches pour demander au Conseil de sécurité de suspendre les enquêtes et les poursuites en vertu de l'article 16 du Statut, mais le maintien des procédures devant la CPI est une mesure indispensable à la poursuite de la paix au Soudan. En ce sens, l’administration américaine a déclaré qu'elle ne voyait aucune raison pour soutenir un sursis à 2 enquêter ou à poursuivre à ce moment . Par ailleurs, l’article 16 du Statut prévoit des conditions à respecter afin de disposer d’un exercice légitime du pouvoir de sursis par le Conseil de sécurité. Ces conditions ont la valeur de garanties supplémentaires pour l’indépendance de la Cour à l’abri de cet organe politique. Plusieurs prérogatives doivent être remplies pour que le Conseil de sécurité puisse utiliser ce pouvoir. 1 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 55-60. Voir aussi : le Statut de la Cour pénale internationale (article 16). 2 FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, La Cour pénale internationale et le Darfour, article disponible sur : http://www.fidh.org/IMG/pdf/Q_A_Bechir_FR_final.pdf, référence de la page consultée le 23 mars 2010. 211 - Tout d’abord, il faut que le Conseil de sécurité vise une situation menaçant la paix et la sécurité internationales. Si le Conseil de sécurité ne vise pas une telle situation, la demande de ce Conseil, de suspendre le travail de la CPI, ne peut être rattachée au Chapitre VII de la Charte de l’ONU. L’existence d’une menace contre paix et la 1 sécurité internationales est donc indispensable . A cet égard, l'utilisation du chapitre VII ouvre la porte aux contradictions. Il n'est pas clairement stipulé comment le Conseil de sécurité doit constater l'existence de l'un des cas prévus à l'article 39 de la Charte de l’ONU pour justifier la suspension de l’activité de la CPI 2 en tant que mesure de gardien de la paix . Comment pourrait-on imaginer que le processus de l'impunité en faveur des auteurs des crimes les plus graves, puisse aider à maintenir la paix et la sécurité internationales ? En effet, le Conseil de sécurité est indépendant pour estimer si un tel cas menace ou non la paix et la sécurité internationales. Dans un tel conflit, le Conseil de sécurité vise tout d’abord la paix et la sécurité internationales avant la justice, lorsqu’il conclut un accord entre les parties du conflit, même si elles sont responsables de crimes internationaux, pour éviter une menace contre la paix. Sur cette base, l’article 16 du Statut de Rome doit être interprété en conformité avec l’article 39 du chapitre VII de la Charte de l’ONU. Le but d’accorder au Conseil de sécurité ce pouvoir de suspension est de maintenir la paix avant même la justice pénale internationale. Lorsque le Conseil de sécurité agit en vertu du chapitre VII, il prend en considération l’objectivité de ces actes qui se trouve dans le maintien de la 3 paix et de la sécurité internationales avant d’établir une justice internationale . - Le Conseil de sécurité doit adopter une résolution demandant explicitement à la CPI de suspendre une enquête ou des poursuites. Le simple fait que le Conseil de sécurité traite une situation en tant que menace contre la paix et la sécurité n'est pas suffisant pour que la CPI mette fin à l’enquête concernant cette situation. Le Conseil de sécurité doit adopter une décision positive adressée à la CPI, demandant 1 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 41. 2 Prezas (I.), La justice pénale internationale à l'épreuve du maintien de la paix à propos de la relation entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité, op. cit., p. 83. 3 Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., p. 985. Voir aussi : Benamer (T.), La relation entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité, op. cit., pp. 1158-1159. 212 officiellement la suspension de l'enquête sur la question en examen. L’article 16 du Statut de Rome a été clair en exigeant la prise d'une décision et non seulement une simple recommandation, contrairement à l’article 13 du Statut en ce qui concerne la 1 saisine par le Conseil de sécurité, dont le texte était un peu vague . En effet, cette exigence d’obtenir une résolution de la part du Conseil de sécurité a soutenu l’idée 2 que le droit de veto pouvait enfin jouer un rôle positif en faveur de la CPI . De plus, le Conseil de sécurité doit déclarer dans sa résolution, d’une façon claire, la 3 suspension des enquêtes . - Le Conseil de sécurité doit faire une demande en ce sens (de ne pas enquêter ou poursuivre) à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. Cette demande, s’appliquant à une durée de douze mois, peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions. L'article 16 du Statut de Rome est clair sur ce point. La suspension des activités de la CPI par le Conseil de sécurité devrait être limitée dans le temps, et ne pas dépasser douze mois. Une fois que cette période prend fin, la CPI peut reprendre ses travaux. Cependant, le Conseil de sécurité peut suspendre à nouveau le travail de la CPI pendant douze mois sous les 4 mêmes conditions . D’ailleurs, le texte ne précise pas la date limite pour le début de la période de douze mois : s’agit-il de la date de dépôt de la demande du Conseil de sécurité ? Ou de la date de réception de la décision par la CPI ? Comme les décisions du Conseil de sécurité sont rendues publiques, il est possible que cette durée commence à la date de la publication de la décision 1 L’article 13-b du Statut de la Cour pénale internationale déclare que « Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies… [….] ... ». Pour plus d’informations, voir : Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 43. 2 Fernandez (J.), La politique juridique extérieure des Etats-Unis à l’égard de la Cour pénale internationale, Pédone, Paris, 2010, p. 81. Voir aussi : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., pp. 443. 3 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 38. 4 Serage (A.), Le principe de complémentarité dans le système de la justice pénale internationale, Dar Elnahda, Le Caire, 2001, p. 113. Voir aussi : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 443. 213 1 du Conseil de sécurité . En effet, cette limitation est d'une grande importance car cela signifie que s’il existe une possibilité de suspendre la justice pénale internationale, elle ne va pas nécessairement durer indéfiniment. En outre, l’existence d'une telle limitation temporelle exige une nouvelle résolution dans les mêmes conditions de la part du Conseil de sécurité pour renouveler la demande de suspension. Ce qui signifie que le travail de la CPI ne serait pas toujours subordonné à la volonté des membres permanents du Conseil de sécurité. L'utilisation du droit de veto par l'un de ces Etats membres conduirait à la non poursuite de la suspension. La rédaction du texte de l'article 16 du Statut de Rome peut enfin présenter un 2 aspect positif . Enfin, bien que de nombreuses délégations voient dans cette norme un instrument de paralysie de l’activité de la Cour, il n’en est pas moins vrai qu’elle a été acceptée par la plupart des gouvernements, convaincus qu’une telle règle était plutôt une mesure préventive dans le Statut en cas de potentiels conflits d’intérêts entre le Conseil de sécurité et la CPI mais sans vraiment croire qu’elle puisse trouver facilement une application. Mais leur conviction n’a pas été confirmée, puisque l’évolution des événements relatifs à l’article 16 du Statut s’est révélée contraire aux prévisions de ces optimistes partisans d’un raisonnable contrôle 3 politique sur l’exercice de la juridiction de la CPI . Ces conditions ne satisfont pas pleinement à certaines exigences de garantie. D’un point de vue substantiel, l’article 16 du Statut de Rome interdit d’engager une enquête ou poursuite quelconque, en bloquant par conséquent tout acte relatif à l’action pénale conduite par le Procureur et son développement, vraisemblablement de même au cours d’un procès engagé par la Cour. Il entraînerait une paralysie. Une autre observation critique concerne la durée de la suspension établie par le Conseil de sécurité, qui après une première paralysie de douze mois, peut être renouvelée aux mêmes conditions. De plus, bien que le texte de l’article 16 du Statut représente le résultat d’un processus d’atténuation par rapport à sa version originale, les termes génériques relatifs au renouvellement de la demande du Conseil de sécurité de 1 Serage (A.), Le principe de complémentarité dans le système de la justice pénale internationale, op. cit., pp. 113-114. Voir aussi : Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 40. 2 Serage (A.), Le principe de complémentarité dans le système de la justice pénale internationale, op. cit., p. 114. 3 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 55-60. 214 suspendre l'activité de la Cour semblent favoriser éventuellement la demande. Une interprétation plus large de la part du Conseil de sécurité permettrait de 1 reporter la procédure judiciaire, et ce indéfiniment . Nous avons déjà souligné que l’article 13-b a inclus les conditions indispensables à la résolution du Conseil de sécurité de saisir une situation à la CPI. Ces conditions représentent les fondations du pouvoir de la CPI pour un éventuel examen de la décision de la saisine et de la recevabilité de l'affaire. Comme c’est le cas pour l'article 13 du Statut de Rome, l'article 16 a inclus l’ensemble des conditions régissant l'autorisation du Conseil de sécurité de suspendre le travail de la CPI. Si la résolution du Conseil de sécurité de suspension est sans faille, les procédures devant la CPI seront suspendues. En revanche, en cas de conflit sur une des conditions nécessaires à la résolution du Conseil de sécurité, le Statut de Rome n'a pas 2 proposé de solution ou de positionnement clairs pouvant être suivis dans un tel cas . C’est cela qui a déclenché la question sur la possibilité d’examiner une telle décision par la CPI, mais aussi la question de déterminer l’organe compétent pour cette révision. En effet, ces questions ont divisé la jurisprudence entre les partisans et les opposants de la révision. A ce propos, il existe deux points de vue différents : le premier voit dans la possibilité d’examiner, une question inévitable dans le sens qu’elle affecte négativement la compétence de la CPI et qu’elle relève des conditions prévues par le Statut de Rome. La question de l'examen se présente fortement dans ce cas, car la question consiste à geler la compétence de la Cour. Autrement dit, la CPI a la compétence des compétences, elle dispose d'une personnalité morale grâce à laquelle les résolutions du Conseil de sécurité ne peuvent la 3 limiter en aucun cas . La possibilité d’examiner la décision du Conseil de sécurité peut être déduite, selon ce point de vue, à travers l'article 16 lui-même, lorsque celui-ci comporte un ensemble de conditions régissant le pouvoir de suspension du Conseil de sécurité. Dans tous 1 Gargiulo (V.), Le report d’une enquête ou poursuites devant la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité, in Lattanzi (F.), Schabas (A.W.), Le Statut de Rome, 1999, p. 85. 2 Alrashidi (M.), Le mécanisme de la compétence de la Cour pénale internationale face aux crimes internationaux conformément au Statut de Rome (le Conseil de sécurité, la Cour pénale internationale, les juridictions nationales), op. cit., p. 50. 3 Poitevin (A.), Cour pénale internationale : les enquêtes et la latitude du Procureur, op. cit., p. 9. Voir aussi : Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 42-56. 215 les cas, la possibilité d’examiner la décision de la suspension serait identique à celle de l’examen de la saisine par le Conseil de sécurité, en termes de conformité avec la Charte de l’ONU. C’est un examen très limité par rapport au pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité concernant la menace de la paix et de la sécurité internationales. Si ces conditions, telles que contenues dans l'article 16 du Statut de Rome, existaient, la CPI n'aurait pas de 1 pouvoir discrétionnaire pour ne pas interrompre les enquêtes ou les poursuites . Le deuxième point de vue estime que le Statut de Rome ne prévoit pas un tel examen. Par conséquent, cet examen reste une simple interprétation doctrinale, rien de plus. C'est ainsi que nous tombons dans le même point de vue théorique qui ignore les grands pouvoirs du Conseil de sécurité en vertu de la Charte de l’ONU, alors que pour résoudre un tel conflit, il est censé y avoir une disposition explicite qui décide si cette possibilité 2 d’examen existe ou non. Ni le Statut, ni la Charte ne contient une telle disposition . En outre, en supposant l’existence de l’examen de décision de suspension, contrairement à l'article 13 du Statut de Rome, l'article 16 ne précise ni à qui s’adresserait la décision de suspension, ni quels seraient les organismes compétents qui pourraient examiner cette décision de suspension émise par le Conseil de sécurité conformément à la Charte de l’ONU. L'article 13 du Statut déclare explicitement que la saisine par le Conseil de sécurité se transfère directement au Procureur de la CPI, en tant que chargé de l'enquête, tandis que la résolution du Conseil de suspendre l’activité de la CPI peut être envoyée non seulement au Procureur, mais aussi aux juges, au président de la CPI, chacun suivant le stade de l’affaire atteint devant la Cour. En effet, la logique de l'article 16 montre que la suspension de la Cour peut être décidée à n'importe quel stade de la procédure prise par la Cour, que ce soit dans l'enquête ou dans la poursuite. L'accord qui a organisé la relation entre le Conseil de sécurité et la CPI avait indiqué implicitement que la décision du Conseil de sécurité de suspension se transférait 1 Alrashidi (M.), Le mécanisme de la compétence de la Cour pénale internationale face aux crimes internationaux conformément au Statut de Rome (le Conseil de sécurité, la Cour pénale internationale, les juridictions nationales), op. cit., p. 48. Voir aussi : Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 364. 2 Alrashidi (M.), Le mécanisme de la compétence de la Cour pénale internationale face aux crimes internationaux conformément au Statut de Rome (le Conseil de sécurité, la Cour pénale internationale, les juridictions nationales), op. cit., pp. 23-50. 216 directement à la CPI, ce qui signifie que c’est le Président de la Cour qui reçoit la décision, et 1 par la suite celui-ci qui la transfère aux organes de la Cour . En effet, les demandes de sursis du Conseil de sécurité devraient faire l’objet d’un contrôle de légalité par la Cour. Bien qu’il ne soit pas explicitement prévu par le Statut, il pourrait se baser sur l’article 19 § 1 disposant que « la Cour s'assure qu'elle est compétente pour connaître de toute affaire portée devant elle » 2, autrement dit, que la Cour dispose de la «compétence des compétences ». Cette proposition permettrait, à l’avenir, d’encadrer strictement les demandes du Conseil de sécurité et l’obligerait à démontrer le lien entre une éventuelle intervention de la CPI et une menace de la paix, rupture de la paix ou acte d’agression. Une situation particulièrement pertinente pourrait être, entre autres, un cas où l’action de la Cour viendrait mettre en péril des négociations de paix ou serait susceptible de 3 provoquer des tensions qualifiables de menaces pour la paix . Le problème qui se pose ici est que le Statut de Rome demeure obscur en ce qui 4 concerne ce point, puisqu’il reste même silencieux sur les mesures adéquates à cet égard . De plus, même si nous reconnaissons la possibilité d’examiner la décision de suspension par la CPI, celle-ci se heurtera au cours de l'engagement de ses fonctions à la non coopération des Etats membres de l'ONU à son égard. En effet, en suivant la manière avec laquelle le Conseil de sécurité prend et applique ses décisions, nous comprenons bien la difficulté de réaliser l’examen de ses décisions en général, même par la CPI. Dès lors, envisager la possibilité d'un examen de la décision du Conseil de sécurité de suspendre l’activité de la CPI, reste une simple interprétation, et par conséquent tous les membres permanents du Conseil de sécurité pourraient utiliser ce pouvoir de suspension à leur profit, d’autant plus que le Statut de Rome 1 L’accord entre la Cour pénale internationale et l’Organisation des Nations Unies, (article 17-2). Voir aussi : Benamer (T.), La relation entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité, op. cit., p. 1160. Alrashidi (M.), Le mécanisme de la compétence de la Cour pénale internationale face aux crimes internationaux conformément au Statut de Rome (le Conseil de sécurité, la Cour pénale internationale, les juridictions nationales), op. cit., p. 50. 2 Le Statut de la Cour pénale internationale, (article 19 § 1). 3 Poitevin (A.), Cour pénale internationale : les enquêtes et la latitude du Procureur, RDF, N° 4, janvier- décembre 2004, pp. 105-120. Voir aussi : le résumé des travaux du comité ad hoc au cours de la période allant du 3 au 13 avril 1995, § 49, document de l’ONU A/AC.244/2. 4 Le rapport de La Commission consultative de Droit international humanitaire (CCDIH), p. 6. 217 ne dispose d’aucune garantie pour protéger la CPI contre une telle ingérence dans son travail. Le Statut de Rome ouvre grand la porte au Conseil de sécurité pour surveiller le travail de la CPI qui se trouve alors surveillée et contrôlée au lieu d’être celle qui surveille ou celle qui 1 contrôle . Enfin, malgré cette ambiguïté et cette absence de mécanisme clair et explicite concernant la possibilité d’examiner la décision de suspension par le Conseil de sécurité, ce pouvoir du Conseil demeure, avec certaines conditions restrictives théoriques, prévues dans l'article 16 du Statut. Mais, sans aucun doute, la pratique négative par le Conseil de sécurité, 2 de ce pouvoir sans justification, constituera une contrainte qui entravera le travail de la CPI . 1 Alrashidi (M.), Le mécanisme de la compétence de la Cour pénale internationale face aux crimes internationaux conformément au Statut de Rome (le Conseil de sécurité, la Cour pénale internationale, les juridictions nationales), op. cit., pp. 23-50. 2 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 68. 218 § II. La portée du texte vis-à-vis du fonctionnement de la Cour pénale internationale L’article 16 du Statut de Rome octroie au Conseil de sécurité le droit de demander à la CPI de surseoir aux enquêtes et aux poursuites qu’elle a engagées ou qu’elle mène «pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle il a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies». Cet article précise également que «la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les 1 mêmes conditions» . Le Conseil de sécurité ne peut empêcher le Procureur d’ouvrir une information sur toute situation où des crimes visés au Statut de Rome ont été commis puisque cet article parle d’une « enquête » et que celle-ci ne commence, aux termes du Statut, qu’à partir du moment où la Chambre préliminaire l’autorise. A ce propos, la suspension paralyse-t-elle tous les organes juridictionnels de la CPI ? Dans la mesure où des poursuites ne peuvent être engagées qu’après une enquête, et dans la mesure où l’article 16 du Statut autorise le Conseil de sécurité à empêcher des poursuites, cela signifie que celui-ci peut interrompre une enquête en 2 cours . La généralité des termes de l’article 16 tend à confier au Conseil de sécurité le pouvoir d’interrompre l’ensemble des enquêtes relatives à une situation précise ; le Conseil de sécurité dispose bel et bien d’un pouvoir d’injonction négative. Il en va de même des poursuites, en théorie. Celles-ci devraient commencer lorsque le Procureur retient des charges contre une personne, mais ces charges ne devraient être connues qu’au moment où la Chambre préliminaire les confirme. Comme l’établissement des charges précède nécessairement la décision de la Chambre, le Conseil de sécurité peut donc bloquer la procédure dès qu’un vent favorable lui apprend que des charges sont retenues contre une personne. En outre, le Conseil de sécurité peut décider d’une suspension à n’importe quelle phase de la procédure judiciaire 3. Rien n’oblige, bien sûr, le Procureur à avertir le Conseil de sécurité du fait qu’il 1 Le Statut de la Cour pénale internationale, (article 16). 2 La question qui se pose ici : le Conseil de sécurité respecte-t-il cette règle dans ses résolutions concernant ce pouvoir ? Ou bien applique-t-il cet article d’une façon différente ? C’est ce que nous allons voir dans le deuxième chapitre de ce Titre. Voir : Le Statut de la Cour pénale internationale, (articles 15-1/2 et 53-2). 3 Pour plus d’informations, voir : infra, pp. 252-259. Par exemple le Conseil de sécurité dans sa résolution 1442 a demandé la suspension des enquêtes et des poursuites avant même l’existence d’une affaire devant la CPI. 219 1 compte entamer des poursuites contre telle ou telle personne . Une telle démarche serait même incompatible avec son indépendance, et avec les principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature. Il en découle que le Conseil de sécurité ne devrait être officiellement averti de l’existence de poursuites qu’au moment de la confirmation des charges par la Chambre préliminaire. Une autre manière pour le Conseil de sécurité, d’être informé que des poursuites pourraient être entamées, réside dans la possibilité pour le Procureur de demander à la Chambre préliminaire, dès le stade de l’enquête, de délivrer un mandat d’arrêt ou une citation à comparaître, dès lors qu’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne en cause a commis un crime visé au Statut. Le Conseil de sécurité peut interrompre les poursuites jusqu’au jugement définitif, c’est-à-dire une décision qui n’est plus susceptible de recours, ce qui peut aller jusqu’au prononcé d’un arrêt de la Chambre d’appel. En pareil cas, pour les preuves et les témoins, le Procureur et la Chambre préliminaire peuvent prendre les mesures propres à assurer la préservation des preuves et la protection des auteurs. Quant aux personnes arrêtées, elles devraient être remises en liberté car l’article 16 autorise le Conseil de sécurité à reconduire le 2 blocage de la CPI d’année en année . Par ailleurs, si le Procureur jouit d’une indépendance totale dans la décision d’ouvrir une information ou de demander l’autorisation d’ouvrir une 3 enquête , le Conseil de sécurité peut, toutefois, décider en vertu du chapitre VII de la Charte 4 de l’ONU, qu’aucune enquête ou poursuite ne soit engagée pendant un an renouvelable . Autrement dit, le Conseil de sécurité peut faire prévaloir des raisons politiques, mais aussi juridiques puisqu’elles figurent dans un texte de droit, à savoir : le maintien de la paix et de la 1 Pourtant, dans les faits, le Conseil de sécurité est toujours averti par le Procureur de la suite des enquêtes qu’il mène, surtout si la situation a été déférée à la CPI par le Conseil de sécurité. Dans sa résolution 1593 sur le Soudan et la résolution 1970 sur la Libye, le Conseil de sécurité invite le Procureur à informer le Conseil de sécurité, dans les trois mois, concernant la situation soudanaise, et dans les deux mois concernant la situation libyenne, suivant la date de l’adoption de ces présentes résolutions, puis tous les six mois, de la suite donnée à ces présentes résolutions. Rappelons que la CPI est un organe juridique et que son Procureur est un juriste et non un politique. Voir : Supra, pp. 161-171. 2 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 357. 3 Kherad (R.), La compétence de la Cour pénale internationale, Recueil Dalloz, 13 juillet 1998, N° 2, pp. 592- 593. Voir aussi : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 433. Pour plus d’informations, voir : Supra, pp. 161-171. 4 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 16). 220 sécurité internationales, pour empêcher le Procureur d’entreprendre des poursuites ou des 1 enquêtes à propos des crimes les plus graves dont un individu peut se rendre coupable . Ce 2 propos a été traduit dans l’article 16 du Statut de Rome . Ce compromis représentait à la fois l’avantage de reconnaître au Conseil de sécurité son rôle de protagoniste dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales, et d’empêcher que l’activité judiciaire de la Cour ne soit bloquée à moins qu’il n’y ait un acte formel en ce sens 3. Cependant, ce pouvoir soulève de nombreuses questions concernant le fonctionnement de la CPI : - Tout d'abord, il est à déplorer qu’un rôle aussi déterminant soit donné au Conseil de sécurité sur le fonctionnement de la Cour alors même que l’efficacité de cette dernière repose sur son indépendance. D’aucuns justifient cette disposition en rappelant qu’elle n’affecte que les situations où la saisine pourrait représenter une menace pour la paix selon les termes du Chapitre VII : par exemple, dans une situation, où la saisine de la Cour par un Etat contre un autre Etat pourrait créer une situation conflictuelle avec risque de guerre. Cependant, il convient de souligner que cette apparente restriction est en réalité loin d’en être une. Les termes du Chapitre VII sont assez larges pour être interprétés selon les convenances, et peuvent être compris comme «menace pour la paix». Cette disposition porte ainsi incontestablement atteinte à l’impartialité supposée de la CPI 4. - Ce pouvoir accordé au Conseil de sécurité soulève une autre question importante concernant les relations entre la Cour, organe judiciaire, et le Conseil de sécurité, organe éminemment politique. Le Statut de Rome contient des dispositions spécifiques à cet égard, d’ailleurs le Conseil de sécurité y a déjà eu recours en 5 appliquant l’article 13-b du Statut . C’est un défi pour la CPI dans son entièreté. Mais il y a une réelle crainte que la logique politique du Conseil de sécurité ne finisse par déteindre sur cette Cour, si le Conseil de sécurité abuse des pouvoirs qui 1 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 351. 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 16). 3 Dobelle (J.F.), La Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 363-370. Voir aussi : Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., pp. 90-95. 4 Tine (A.), Les défis de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.frontlinedefenders.org/node/312. 5 Par exemple : les résolutions 1953 et 1970 Conseil de sécurité concernant le Soudan et la Libye. 221 lui sont confiés par le Statut. L’article 16 du Statut constitue en ce sens une arme redoutable dont le but a été dénaturé par les résolutions du Conseil de sécurité 1 concernant la CPI . Par exemple : la résolution 1422 qui tendait à protéger certaines 2 catégories de personnes . Le manque d’instruments coercitifs de la CPI empêche cette dernière de jouir d’une force de contrainte : elle est donc dépendante de la bonne volonté et de la coopération des Etats parties. Or, cette dernière est déterminante pour l’effectivité des poursuites qui peuvent être exercées par les Etats eux-mêmes, pour la remise à la CPI des personnes qui font l’objet de poursuites ainsi que pour l’exécution des décisions de la Cour. Les conditions de travail de la CPI dépendent donc substantiellement du degré de coopération des Etats, et à ce titre 3 restent aléatoires . Bien qu'il constitue l'organe dont la saisine pourrait véritablement universaliser la CPI et lui servir de bras armé afin de la doter d’une certaine efficacité, le Conseil de sécurité pourrait aussi se révéler un véritable obstacle pour le bon fonctionnement de la Cour. En effet, au-delà même de l'ensemble des pouvoirs que le chapitre VII sur la base duquel a été prévue la saisine de la CPI, livre au Conseil de sécurité, le Statut prévoit, dans 4 son article 16, un véritable pouvoir d'empêchement au profit du Conseil . Nous pouvons ici opérer une analogie avec la théorie de Montesquieu concernant le pouvoir d’empêchement du roi. Ce dernier, principal organe du pouvoir exécutif, est aussi un « organe partiel de la fonction législative. Il doit pouvoir exercer cette fonction en toute indépendance. D’où l’irresponsabilité. Mais, il est aussi l’organe de la fonction exécutive, qui est une fonction subordonnée. En cette qualité, il n’est pas un pouvoir ; il est commis. Sortir de la stricte exécution des lois, ce serait s’emparer du pouvoir législatif. Il faut donc éviter qu’il ne sorte de cette fonction et on pourrait donc imaginer de le rendre responsable. Mais c’est impossible parce que ce serait le mettre à la merci du Corps législatif et l’empêcher d’exercer sa fonction législative »5. Ainsi, le roi, organe exécutif, détient le pouvoir d’intervenir dans le 1 Jorda (C.), Regard sur la Cour pénale internationale : entretien avec Jorda (C.), juge à la Cour pénale internationale, Droit fondamentaux, N° 4, 2007, pp. 5-7. 2 Pour plus d’informations, voir : infra, pp. 267-277. 3 Tine (A.), Les défis de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.frontlinedefenders.org/node/312. 4 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 16). 5 Troper (M.), La constitution de 1791 aujourd’hui, RFDC, 1972, pp. 4-5. « Il y a dans la Constitution de 1791 bien d’autres manifestations de cette conception de la Constitution comme un mécanisme propre à produire 222 pouvoir législatif, allant jusqu’à entraver son fonctionnement ou créer des textes de loi. On retrouve ce même cas dans la possibilité accordée au Conseil de sécurité d’entraver l’action de la CPI. Néanmoins, cette question est d’autant plus complexe qu’il s’agit ici d’un pouvoir d’empêchement détenu par le pouvoir exécutif au détriment du pouvoir judiciaire. Il faut toutefois souligner que même la décision du Conseil de sécurité de suspendre une enquête ou une poursuite décidée par la CPI nécessite l’accord de tous les membres permanents. Cette suspension agit comme un droit de veto du Conseil de sécurité sur l’activité de la CPI. En outre, les Etats membres du Conseil de sécurité ont également un droit de veto sur toute décision du Conseil de sécurité. Ce droit de veto pourrait enfin déployer une fonction positive dans les cas où le Conseil aurait décidé de s’occuper d’une des situations visées à l’article 39 de la Charte de l’ONU et qu’il l’aurait estimée être reliée à des crimes rentrant dans la compétence de la CPI. Ici, il est considéré comme un veto sur le veto. Par conséquent, la proposition ne subordonne pas systématiquement l’ouverture d’une enquête ou 1 d’une poursuite à une autorisation préalable du Conseil de sécurité . - L’application de l’article 16 dans l’hypothèse d’un ou plusieurs procès en cours sera lourde de conséquences. Il exprime jusqu’à la caricature, le pouvoir des Etats sur la CPI. Si cette règle est toujours maintenue, il conviendrait, au moins, de la limiter au cas de déclenchement d’une enquête, mais alors celle-ci une fois entamée, plus 2 rien ne devrait interrompre le cours de la justice . Cependant, il faut souligner que la Conférence de révision prévue à l’échéance de sept années après l’entrée en vigueur certains résultats. Ainsi, l’institution de ministres responsables. Le roi est organe partiel de la fonction législative. Il doit pouvoir exercer cette fonction en toute indépendance. D’où l’irresponsabilité. Mais, il est aussi l’organe de la fonction exécutive, qui est une fonction subordonnée. En cette qualité, il n’est pas un pouvoir ; il est commis. Sortir de la stricte exécution des lois, ce serait s’emparer du pouvoir législatif. Il faut donc éviter qu’il ne sorte de cette fonction et on pourrait donc imaginer de le rendre responsable. Mais c’est impossible parce que ce serait le mettre à la merci du Corps législatif et l’empêcher d’exercer sa fonction législative. La solution doit, en principe, contraindre chacun à rester dans les limites de ses compétences : le roi est bien irresponsable, mais il ne peut s’abriter derrière cette irresponsabilité pour donner des ordres illégaux parce que chacun de ses actes doit être contresigné par un ministre et que, comme celui-ci est responsable, il refusera se donner son contreseing à un acte illégal ». 1 Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 444. 2 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 55-65. 223 du Statut de Rome, a été accueillie avec déception : cette Conférence de révision n’a rien changé concernant ce pouvoir, et même dans l’accord signé entre l’ONU et la 1 CPI, la question n’a malheureusement pas été abordée . - Même si nous acceptons l’idée que le Conseil de sécurité pourrait suspendre les enquêtes devant la CPI sous prétexte que les Etats ou bien le Procureur envisagent une enquête menaçant la paix, il n’en reste pas moins que nous ne trouverons aucune disposition concernant le cas où c’est le Conseil de sécurité qui a envoyé la situation devant la CPI. En conséquence, même si le Conseil de sécurité envoie une situation devant la CPI, il peut à n’importe quel moment suspendre le travail de celle-ci sous le même prétexte, alors même que cette situation avait déjà été envoyée par le Conseil de sécurité lui-même en invoquant une soi-disant menace pour la paix. Le Conseil de sécurité peut donc déférer une situation à la CPI au motif que cette situation menace la paix et la sécurité internationales, et il peut également suspendre les enquêtes de la CPI concernant la même situation pour le même motif. Il est évident qu’il y a là un risque d’incohérence. - Le Statut de Rome dans son article 16 limite le pouvoir de suspension du Conseil de sécurité en exigeant que la suspension dure douze mois, renouvelable sous les mêmes conditions. Cette condition peut-elle être considérée comme une tentative de restreindre les pouvoirs du Conseil de sécurité issus de la Charte de l’ONU ? D’autant plus qu’il n’existe aucune limitation de pouvoirs du Conseil de sécurité dans cette même Charte. Cette condition peut-elle réellement limiter le pouvoir du Conseil de sécurité en faveur de la CPI ? La forme de l’article 16 du Statut de Rome exige-t-elle l’existence d’une situation présente devant la CPI ou bien le Conseil de sécurité peut-il demander de suspendre l’activité de la CPI, même s’il n’y a aucune affaire devant cette Cour ? Comment un organe basé sur un Traité (la CPI) encadrerait-il une action du Conseil de sécurité basée sur la Charte de l’ONU ? 1 En effet, certains pensent que cette limitation temporelle des décisions du Conseil de sécurité, exigée par l’article 16 du Statut de Rome, est discutable. Si la Charte de l’ONU et 1 Ibid, pp. 58-62. 224 surtout son article 103 a été pris en considération, cette limitation ne sera plus applicable. Aucune disposition de la Charte de l’ONU n’interdit au Conseil de sécurité de suspendre 2 l’activité de la CPI d’une façon illimitée . Le Conseil de sécurité peut imposer aux Etats membres de l'ONU la suspension de toute coopération avec la CPI pendant plus de douze 3 mois et éventuellement pour une durée indéterminée . Ainsi, la décision du Conseil de sécurité continuera à produire ses effets. En introduisant une limitation dans le temps de l’action du Conseil de sécurité, le Statut de Rome constitue une sorte de révision conventionnelle qui aurait pour effet de rompre la hiérarchie entre les différents accords internationaux et la Charte de l’ONU. Cette question se pose à nouveau car pour que le Conseil de sécurité puisse renouveler sa demande, il doit adopter une nouvelle résolution que l’un des cinq membres permanents peut bloquer 4. Il faut d’ailleurs souligner que le Conseil de sécurité ne peut, conformément au chapitre VII, prendre que des mesures temporaires liées au maintien de la paix et de la sécurité. Ce qui signifie que l'article 16 du Statut de Rome est conforme à l'esprit de la Charte de l’ONU en imposant le caractère temporaire des décisions de suspension émises par le Conseil de sécurité. La suspension, par définition, est de nature temporaire. Par conséquent, ce que l’article 16 du Statut de Rome a fait, c’est d’autoriser le Conseil de sécurité à déterminer la durée de ces mesures temporaires pour qu’elles puissent 5 être compatibles avec les intérêts et les objectifs de l’ONU . En outre, en ce qui concerne l’obligation de l’existence d’une affaire devant la CPI, une partie de la jurisprudence exige que la demande du Conseil de sécurité de suspendre l’activité de la CPI vise une situation déjà présente devant cette dernière. La référence de l’article 16 du Statut de Rome au chapitre VII exige non seulement qu'il y ait une situation 6 bien présente devant la CPI , mais aussi que le Conseil estime que les enquêtes et les 1 Sur (S.), Le droit international pénal entre l’Etat et la société internationale, dans Actualité et Droit international, octobre 2001, p. 5. 2 Ibid, pp. 5-6. 3 Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, op. cit, p. 44. 4 Fernandez (J.), La politique juridique extérieure des Etats-Unis à l’égard de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 81-88. Voir aussi : Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, op. cit, p. 45. 5 Sur (S.), Le droit international pénal entre l’Etat et la société internationale, op. cit., p. 5. 6 Poitevin (A.), Cour pénale internationale : les enquêtes et la latitude du Procureur, op. cit., p. 9. 225 poursuites concernant cette situation menacent la paix et la sécurité internationales. Ce qui signifie que la décision du Conseil de sécurité concernant une demande de suspension serait 1 incorrecte si la situation visée ne s'était pas produite ou n’était pas présente devant la CPI . En conséquence, il n’est pas raisonnable que la demande du Conseil de sécurité de suspendre le travail de la CPI soit considérée comme une mesure de précaution pour le maintien de la paix alors que la CPI n'a mené aucune action ni activité, à moins de considérer que la seule 2 existence de la CPI en elle-même menace la paix et la sécurité internationales . La question concernant l'article 16 du Statut de Rome et ses activités, est habituellement abordée après la question de la compétence et non avant, ce qui suppose déjà la survenance de l’affaire devant la CPI où cette dernière est compétente, et là, le Conseil de sécurité peut demander à la CPI de surseoir à l'exercice de sa compétence en demandant de suspendre toute enquête ou poursuite devant cette Cour. La suspension, par définition, est une procédure temporaire. Le Procureur peut, malgré la suspension, analyser les informations à sa disposition, évaluer et peut-être demander des renseignements supplémentaires provenant de diverses sources, avant d’obtenir la permission d'ouvrir une enquête. Cela signifie l’existence 3 d'un cas particulier devant la CPI . Si la CPI n’est pas déjà compétente pour examiner une telle affaire pour une raison quelconque, il n'y a pas besoin d'une décision prise par le Conseil de sécurité de suspendre les travaux de la CPI conformément à l'article 16 concernant cette affaire. Bien que cette interprétation de l’article 16 du Statut de Rome se fonde sur une base solide, elle n'est pas vraiment compatible avec le texte de cet article qui stipule qu’« Aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut [….] ». Si cette interprétation est compatible avec le second terme « menées », elle ne l’est plus avec le premier terme « engagées ». Par conséquent, le texte de l'article semble permettre plus qu’une simple suspension du travail de la CPI concernant un cas particulier devant cette Cour. Le Conseil de sécurité, en conformité avec cet article, peut suspendre les travaux de la CPI avant même le début de l'enquête ou de la poursuite. 1 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 41. 2 Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, op.cit, p.44. 3 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 52. 226 C’est une lacune, parmi d'autres, dont les Etats-Unis ont profité en adoptant certaines 1 résolutions concernant la CPI . Par ailleurs, pour évaluer la situation de la CPI envers ce pouvoir du Conseil de sécurité, il est important de répondre à des questions cruciales et particulièrement à la question de l'impact de ce pouvoir du Conseil de sécurité sur l’activité de la Cour. Le Conseil de sécurité dispose de pouvoirs inhabituels en vertu du chapitre VII de la Charte, et son pouvoir de suspendre l’activité de la CPI en vertu de la présente Charte aurait à son tour un impact sur les procédures judiciaires de la CPI, particulièrement sur l'application du principe de complémentarité et la coopération des Etats avec la CPI. Lorsque le Conseil de sécurité intervient en vertu de l'article 16 du Statut de Rome, la CPI ne peut prendre aucune mesure 2 contre les personnes accusées de crimes relevant de sa compétence . L’article 16 réduit strictement la compétence de la CPI. Il lui attache les mains en l’empêchant d’exercer sa compétence à n'importe quel stade de la procédure, pour une période indéfinie et potentiellement illimitée. A la base, la suspension dure un an renouvelable sous les même conditions, mais pour renouveler la demande de suspension, l’article n’a pas précisé d’autres 3 conditions que l’intention du Conseil de sécurité, il n'y a aucune autre considération . De plus, la limitation temporelle imposée par l'article 16 peut être inutile pour empêcher le Conseil de sécurité de suspendre ou bien de renouveler la suspension. En outre, si le pouvoir du Conseil de sécurité peut mettre fin à toutes procédures devant la CPI, ce pouvoir peut également suspendre la juridiction nationale concernée. Car s’il n’est pas possible que la CPI exerce sa compétence dans le cas où la juridiction nationale ne soit pas en session ou qu’elle ne soit pas 4 capable d’exercer sa compétence , alors le principe de complémentarité perd son efficacité 5 pour réaliser la justice pénale internationale . 1 Ibid., pp. 41-42. 2 Serage (A.), Le principe de complémentarité dans le système de la justice pénale internationale, op. cit., p. 113. 3 Mahmode (D.), Yousf (B.), La Cour pénale internationale : la domination du Droit, ou le Droit de la domination, Bait Elhekmah, Algérie, 2003, p. 243. 4 Pour plus d’informations sur ce point, voir : Supra, pp. 24-30 et 97-101. 5 Khashab (K.), Le principe de complémentarité de la Cour pénale internationale, Dar Elnahda, Le Caire, 2007, p. 113. Voir aussi : Serage (A.), Le principe de complémentarité dans le système de la justice pénale internationale, op. cit., p. 113. Mahmode (D.), Yousf (B.), La Cour pénale internationale : la domination du 227 A cet égard, il eut été préférable de limiter ce pouvoir du Conseil de sécurité lorsqu'il agit en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU, en exigeant du Conseil de sécurité de présenter sa demande de suspension à l'Assemblée des Etats parties, qui peut répondre favorablement à sa demande ou la rejeter 1. En revanche, le Conseil de sécurité a le pouvoir de désactiver et de paralyser la CPI, surtout à la lumière des rapports de force politiques qui 2 pourraient dominer cette Cour . En effet, l'article 16 du Statut de Rome ne prévoit pas de mécanisme pour faire face à différents problèmes pratiques qui sont susceptibles d'apparaître comme la conséquence de restreindre le principe de complémentarité, (en particulier en ce qui concerne les droits des 3 suspects et des accusés) . La lenteur de la justice peut être considérée comme une forme d'injustice, (toutes les conventions internationales déclarent l’obligation de terminer le 4 procès pénal dans un temps raisonnable) . Cependant, ce qui réduit l'ampleur de cet impact négatif sur le principe de complémentarité, est que la demande de suspension émise par le Conseil de sécurité n'empêche pas le Procureur conformément à l'article 15-2 de chercher les informations préliminaires et supplémentaires auprès des Etats et des organisations concernés 5 car cela ne fait pas partie de l'enquête ou des poursuites citées par l'article 16 . En outre, comme nous l’avons déjà mentionné, l’obligation des Etats de coopérer avec la CPI, lorsque le Conseil de sécurité la saisit, a été imposée en vertu du Statut de Rome d’une part et en vertu 6 du Chapitre VII de la Charte de l’ONU d'autre part . Si le pouvoir du Conseil de sécurité de saisir la CPI impose aux Etats parties et non parties de coopérer avec la CPI, le pouvoir du Conseil de sécurité de suspendre l’activité de la Cour impose aux Etats de respecter cette suspension, et de ne pas coopérer avec la CPI, pour une période de douze mois Droit, ou le Droit de la domination, op. cit., p. 243. Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 444. 1 Serage (A.), Le principe de complémentarité dans le système de la justice pénale internationale, op. cit., p. 114. 2 3 Ibid, pp. 114-115. Elbikaîrate (A.), La justice pénale internationale : punir les responsables des crimes contre l’humanité, Dywon Elmatbohat, Algérie, 2005, p. 238. 4 Serage (A.), Le principe de complémentarité dans le système de la justice pénale internationale, op. cit., p. 116. 5 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 42. 6 Voir : Supra, pp. 79-89. 228 1 renouvelables . La source de cet engagement est l'article 25 de la Charte de l’ONU, ce qui conduit à débarrasser ces pays de leurs obligations possibles selon le Statut de Rome 2. L'impact négatif de la suspension de l’activité de la CPI sur la coopération des Etats est plus fort quand le Conseil de sécurité renouvelle la suspension de la CPI pour un temps 3 indéfini, aussi longtemps qu’il le souhaite . Le Conseil de sécurité peut même complètement ignorer la condition de durée fixée par l'article 16 du Statut de Rome. En effet, dans le Statut de Rome il n'y a pas de mécanisme pour faire face à ce genre de dilemmes. Cela peut, sans aucun doute, entraver le travail de la CPI et celui de la justice internationale, ce qui est réprouvé selon l'intérêt de la Communauté internationale de vivre dans la paix et la sécurité. Cependant, le Conseil de sécurité, malgré ses larges pouvoirs discrétionnaires accordés par la Charte de l’ONU, reste limité par les buts et les principes de cette Charte. 1 Prezas (I.), La justice pénale internationale à l'épreuve du maintien de la paix à propos de la relation entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité, op. cit., p. 84. 2 L’article 25 de la Charte des Nations Unies déclare que « Les Membres de l'Organisation conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte ». 3 Sur (S.), Le droit international pénal entre l'Etat et la société internationale, op. cit., p. 5. Voir aussi : infra, pp. 239-241. Nous verrons que le Conseil de sécurité ignore la question de la durée de suspension dans sa résolution N° 1497 concernant le conflit au Liberia. 229 Chapitre II L’exercice par le Conseil de sécurité de sa faculté de surseoir à l'activité de la Cour pénale internationale 230 Depuis que le Statut de Rome est entré en vigueur en juillet 2002, il s'est produit certains événements touchant l'avenir de l'indépendance de la CPI. En vertu du pouvoir de suspendre le travail de la CPI accordé au Conseil de sécurité, ce dernier a pris certaines résolutions, en appliquant l'article 16 du Statut en rapport avec son pouvoir de sursis de l’activité de la CPI, qui soulèvent de nombreuses interrogations. Quelle influence peuvent avoir ces résolutions sur l’indépendance de la CPI ? Peuvent-elles instaurer une politique de sélectivité ? Quel est l’impact de l’action américaine sur la CPI ? Quelles sont les obligations qui pèsent sur les Etats membres et en quoi leurs relations avec les Etats-Unis peuvent-elles être contraires à leur engagement ? Quel est le rôle qu’entretient le Conseil de sécurité avec la CPI ? A-t-il le pouvoir de remettre en cause la compétence de la Cour ? Enfin, quelles sont les motivations de l’administration américaine ? Les mesures prises par l’administration américaine à l’encontre de la CPI montrent une volonté de neutralisation de la Cour à l’égard de leurs ressortissants. La politique américaine n’est cependant pas dénuée d’ambiguïté car l’action menée ne paraît pas toujours en adéquation avec l’objectif officiel annoncé. Ainsi, il est important d’étudier les résolutions du Conseil de sécurité concernant sa faculté de surseoir : texte et contexte (Section I), et d’aborder par la suite les inconvénients liés à l’usage du pouvoir de sursis par le Conseil de sécurité (Section II). Section I. Les résolutions du Conseil de sécurité concernant le pouvoir de suspension : texte et contexte Personne n'avait pensé que l’article 16 du Statut de Rome aurait pu être invoqué par le Conseil de sécurité, juste quelques jours après son entrée en vigueur le 1er juillet 2002. Afin de bien comprendre cet événement, on doit avoir à l’esprit la politique anti-Cour, que les Etats-Unis ont mise en œuvre à partir de leur voix contraire à l’adoption du Statut de Rome. Cette opposition se base sur la présomption que le texte du Traité, contenant beaucoup de défauts, pouvait être utilisé comme un instrument de rétorsion politique à l'égard des ressortissants américains impliqués dans les opérations de maintien de la paix. L’opposition américaine contre la juridiction pénale internationale s’est manifestée de manière flagrante dans plusieurs domaines, jusqu’à transformer aussi le Conseil de sécurité 231 en un théâtre de lutte entre les partisans et les opposants de cette institution. Le Conseil de sécurité a pris plusieurs résolutions qui touchent, de près ou de loin, son pouvoir de surseoir enquêtes et poursuites devant la CPI. Pour mieux comprendre ces résolutions et leurs enjeux, il faut expliquer d’abord les textes de ces résolutions du Conseil de sécurité (§ I.), et ensuite analyser le contexte de ces résolutions (§ II.). § I. Les textes des résolutions du Conseil de sécurité entre négociation et adoption La création rapide de la CPI a surpris en effet certains Etats notamment les EtatsUnis, qui, suite à leur insatisfaction sur certains aspects du Statut de Rome et par crainte de voir leurs ressortissants traduits devant la Cour, ont mené une campagne agressive contre la CPI. C'est la raison pour laquelle les Etats-Unis mènent une politique active de limitation de la compétence de la CPI à travers la signature des accords bilatéraux d’immunité/ABI avec des Etats parties ou non parties au Statut de Rome, empêchant ces pays de remettre les ressortissants américains à la Cour en cas de crimes commis sur leur territoire 1. Cette logique est purement préemptive et ces ABI laissent carte blanche aux Etats-Unis en matière d’impunité des crimes les plus graves dans les pays signataires de ces accords. Pour obtenir la signature de ces accords, les Etats-Unis menaçaient les autres Etats signataires de suspendre leur soutien financier et militaire. Ces initiatives se fondaient sur une loi américaine adoptée à cet effet, l’« American Service Members Protection Act » connue sous le nom de « Hague 3 Invasion Act »2, interdisant toute coopération des Etats-Unis avec la CPI . Moins de quinze jours après l’entrée en vigueur du Statut de Rome, le gouvernement américain a voulu s’assurer que la CPI ne puisse pas poursuivre des ressortissants américains 1 FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, La CPI : les premières années de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.fidh.org/Cour-penale-Internationale-les. 2 « Par l'intermédiaire du droit interne, les Etats-Unis prohibent toute coopération positive des Etats-Unis avec la CPI, avec les États parties au Statut de Rome ou encore toute action Internationale qui comporte un risque de voir un ressortissant américain, voire une personne placée sous la compétence des États-Unis ou assimilée, jugée par la CPI ». Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 49. 3 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. 232 engagés dans une opération de maintien de la paix ou toute autre opération militaire décidée par le Conseil de sécurité. Par exemple, en utilisant leur droit de veto lors de l’adoption d’une résolution du Conseil prévoyant un renouvellement du mandat de la Mission des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine (MINUBH). Ils ont ainsi décidé de subordonner la prolongation des opérations de maintien de la paix à la promesse que les militaires américains participant à ces opérations, sur le territoire d’un Etat partie au Statut de Rome de la CPI, ne seraient pas traduits devant cette Cour pour des crimes visés par son Statut 1. A la suite de cette obstruction à la reconduction du mandat des forces de maintien de la paix, obstruction qui ressemblait fort à du chantage, le Conseil de sécurité a commencé à considérer un compromis pour que les membres des contingents d’Etats non parties au Statut de Rome et participant à des opérations de maintien de la paix et de la sécurité internationales ne fassent l’objet d’aucune enquête ou 2 poursuite pendant une période renouvelable de douze mois . Un projet de résolution présenté par les Etats-Unis demande une application de l’article 16 du Statut de Rome dont le Statut est entré en vigueur le 1er juillet 2002. Ce projet de loi stipule de n'entreprendre aucune enquête ou action judiciaire pendant une période d'un an à partir du 1er juillet 2002 contre le personnel des opérations de maintien de la paix de l'ONU. Cette immunité, aux termes de la résolution qui est accordée pour une durée d'un an, a été présentée au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU par les Etats-Unis : « “Dans un monde idéal, nous n'aurions jamais dû voter une telle résolution sur un traité international ˮ commente un ambassadeur membre du Conseil « “ […]… mais nous sommes dans un monde réel dans lequel les Etats-Unis font la loi, et nous avons été obligés de faire des concessionsˮ ». Les Etats-Unis continuent de tenter d’obtenir une résolution par le Conseil de sécurité protégeant leurs ressortissants contre tout jugement devant la CPI, en présentant ce projet au Conseil de sécurité. Ce projet est exigé surtout de la part de Washington qui, au départ, avait exigé l'immunité préventive, générale et permanente mais qui, face à l'opposition ouverte et énergique d'une grande majorité des Etats membres, a dû se contenter d'une 1 Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 51-54. 2 La résolution 1422 du 12 juillet 2002 du Conseil de sécurité, UN.Doc. S/RES/1422(2002). 233 protection limitée à un an (si le cas se présente) à moins que le Conseil de sécurité n'en décide 1 autrement . D’autre part, le Conseil de sécurité et les Etats-Unis avaient demandé la protection systématique et perpétuelle contre toute poursuite devant la CPI de tout citoyen d'un pays, n'ayant pas signé le Traité de Rome, participant à une opération de maintien de la paix. Ils considérent illégitime toute éventuelle détention d'un ressortissant américain par la CPI, ils menacaient de s'opposer au renouvellement des opérations de maintien de paix de l’ONU à travers le monde, et l'expiration de leur mandat, s'ils n'obtenaient pas pour leurs ressortissants une protection jugée par eux suffisante 2. Le 12 juillet 2002, le Conseil de sécurité dans sa 4572e séance, adopte la résolution 1422, dans laquelle il déclare : « Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, 1. Demande, conformément à l’article 16 du Statut de Rome, que, s’il survenait une affaire concernant des responsables ou des personnels en activité ou d’anciens responsables ou personnels d’un Etat contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome à raison d’actes ou d’omissions liés à des opérations établies ou autorisées par l’Organisation des Nations Unies, la Cour pénale internationale, pendant une période de 12 mois commençant le 1er juillet 2002, n’engage ni ne mène aucune enquête ou aucune poursuite, sauf si le Conseil de sécurité en décide autrement ; 2. Exprime l’intention de renouveler, dans les mêmes conditions, aussi longtemps que cela sera nécessaire la demande visée au paragraphe 1, le 1er juillet de chaque année, pour une nouvelle période de 12 mois ; 3. Décide que les Etats Membres ne prendront aucune mesure qui ne soit pas conforme à la demande visée au paragraphe 1 et à leurs obligations 3 internationales » . 1 Aidh.org, Le Conseil de sécurité suspend pour un an la compétence de la Cour pénale internationale à poursuivre en justice le personnel des missions de maintien des Nations Unies, l’éducation aux Droits de l’Homme, article disponible sur : http://www.aidh.org/Justice/02opp_us_03.htm, référence de la page consultée le 15 mai 2010. 2 L’intervention de représentant permanent des Etats-Unis auprès des Nations Unies, le 12 juillet 2002 lors de l’adoption de la résolution 1442. 3 La résolution 1422 du 12 juillet 2002 du Conseil de sécurité, UN.Doc. S/RES/1422 (2002). 234 Cette résolution a été adoptée dans le cadre du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. Suivant sa décision de suspendre pour un an la compétence de la CPI à traduire en justice le personnel des opérations de maintien de la paix, le Conseil de sécurité a prorogé les mandats des Missions de l’ONU en Bosnie-Herzégovine et dans la péninsule de Prevlaka. Le mandat de la MINUBH a été prorogé jusqu'au 31 décembre 2002, date à laquelle lui succédera une Mission de police de l'Union européenne 1. Plusieurs Organisations internationales, en particulier Amnesty international, se sont opposées à cette résolution : Amnesty international a publié une analyse juridique dans laquelle elle conclut que cette résolution 1422 est contraire au Statut de Rome ainsi qu’à la Charte de l’ONU. Amnesty international a demandé au Conseil de sécurité de ne pas la 2 renouveler . La résolution 1422 s'en trouvera-t-elle renouvelée ? En effet, outre l'immunité qu'elle confère, elle se verra considérée comme un Amendement général au Statut de Rome. Cette résolution illégale mine sérieusement l'efficacité et l'intégrité de la CPI et tout le processus régissant l'adoption des traités de l'ONU, de même que la crédibilité et la légitimité du Conseil de sécurité. La résolution 1422 constitue un affront au droit international et ne respecte ni l'esprit ni la lettre du Statut de Rome. En légitimant l'immunité complète pour les crimes les plus odieux en vertu du droit international, cette résolution marque un pas en arrière dans les efforts de la Communauté internationale pour lutter contre l'impunité. D’autres organisations invitent également les membres du Conseil de sécurité à ne pas renouveler la résolution et à régler cette question d'une manière qui respecte le droit international et qui préserve l'intégrité du Statut de Rome. Elles exhortent tous les Etats à collaborer pour constituer une opposition ferme au renouvellement de la résolution 1422. Ici, il faut mentionner les efforts des pays en faveur de la CPI, comme le Canada, la Jordanie, la Nouvelle-Zélande et la Suisse, qui font pression sur le Conseil de sécurité pour qu'un second 1 CAO, site officiel du Centre d’Actualités de l’ONU, Le Conseil de sécurité proroge les mandats des Missions de l'ONU en Bosnie-Herzégovine et dans la péninsule de Prevlaka, article disponible sur : http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=3974&Cr=&Cr1=, référence de la page consultée le 13 septembre 2010. 2 Amnesty international, site officiel d’Amnesty international, La Cour pénale internationale menacée par les Etats-Unis, article disponible sur : http://www.amnestyinternational.be/doc/agir-2099/nos-campagnes/justiceInternationale-295/la-cour-penale-Internationale/article/la-cour-penale-Internationale, référence de la page consultée le 1er octobre 2010. 235 débat public ait lieu avant qu'une décision soit prise à propos de la résolution. Un tel débat fournirait une autre occasion à la vaste majorité des Etats membres de l'ONU de réitérer leur opposition aux modalités de la résolution. Néanmoins, si le rejet catégorique de la résolution 1422 se révélait impossible et que son renouvellement devenait inévitable, Droits et Démocratie estime qu'au minimum, les Etats parties et les Etats signataires du Statut de Rome auront un rôle important à jouer pour inciter le Conseil de sécurité à respecter l'intégrité du Statut de Rome et de la Charte de l'ONU. L'avenir de la CPI comme institution indépendante et efficace et le principe de justice universelle sont de nouveau mis à mal par Washington. L'opposition au renouvellement de la résolution 1422 ne sera pas chose facile, mais les enjeux que cette résolution soulève sont trop importants pour qu'on les néglige. «La meilleure façon pour les Etats-Unis de promouvoir leurs intérêts et d'assurer la protection nécessaire à leurs citoyens consiste à maintenir des relations avec la Cour et à travailler de façon constructive à l'édification d'une culture démocratique mondiale contre l'impunité de même qu'à promouvoir la paix et la justice» a ajouté le représentant du comité de direction de la Coalition 1 internationale des ONG pour la CPI . A la fin de la période prévue dans la résolution 1422 du Conseil de sécurité, les Etats qui ont soutenu cette résolution se sont trouvés obligés d’obtenir une autre résolution avec une nouvelle durée. Sous la menace des Etats-Unis de cesser toute tentative en cours pour étendre le travail des forces de l'ONU dans le monde, tel que celui en Bosnie-Herzégovine, le Conseil de sécurité a renouvelé la résolution 1422 par la résolution 1487. Le 12 juin 2003, le Conseil de sécurité adopte dans sa 4772e séance, la résolution 1487 par laquelle il déclare que : « Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, 1. Demande, conformément à l’article 16 du Statut de Rome, que, s’il survenait une affaire concernant des responsables ou des personnels en activité ou d’anciens responsables ou personnels d’un Etat contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome en raison d’actes ou d’omissions liés à des opérations établies ou autorisées 1 Droits et Démocratie (le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique), Cour pénale internationale : le renouvellement de la résolution 1422 du Conseil de sécurité doit être rejeté, communiqués de presse, article disponible sur : http://www.droit-et-democratie.org/, référence de la page consultée le 13 septembre 2010. Voir aussi : CPCPI, La ratification du Mexique porte le nombre d’Etats parties à 100, article disponible sur : http://www.iccnow.org/documents/Monitor31fr.pdf, référence de la page consultée le 20 désembre 2010. 236 par l’Organisation des Nations Unies, la Cour pénale internationale, pendant une période de 12 mois commençant le 1er juillet 2003, n’engage ni ne mène aucune enquête ou aucune poursuite, sauf si le Conseil de sécurité en décide autrement ; 2. Exprime l’intention de renouveler, dans les mêmes conditions, aussi longtemps que cela sera nécessaire, la demande visée au paragraphe 1, le 1er juillet de chaque année, pour une nouvelle période de 12 mois; 3. Décide que les Etats Membres ne prendront aucune mesure qui ne soit pas conforme à la demande visée au paragraphe 1 et à leurs obligations 1 internationales» . La résolution 1422 (2002) a alors été reconduite, jusqu’au 1er juillet 2004, par la résolution 1487 (2003) du 12 juin 2003. Ces résolutions ont une portée générale et visent toute situation future impliquant des ressortissants d’Etats non parties au Statut de la CPI participant à une opération décidée ou autorisée par l’ONU. En outre, le Conseil de sécurité s’adresse tant à la CPI qu’aux Etats membres des Nations Unies. Il «demande » à la CPI de ne mener aucune enquête ou poursuite si cela concerne des membres d’opérations établies ou 2 autorisées par l’ONU et ressortissants d’Etats non parties au Statut de la CPI . Le paragraphe 2 du dispositif de la résolution 1422 ne comportait pas d’engagement de renouvellement automatique. Il exprimait certes une intention du Conseil de sécurité quant au renouvellement de cette résolution. Cette formulation impliquait bien une obligation de juger de l’opportunité, selon les circonstances, du renouvellement. A la suite de longues et parfois difficiles négociations, la France, comme les autres Etats membres du Conseil, avait souscrit pour un an aux exemptions prévues par la résolution 1422 3. Elle l’avait fait pour tenir compte notamment de deux éléments circonstanciels très importants : le risque existant alors 1 La résolution 1487 du 12 juin 2003 du Conseil de sécurité, UN.Doc. S/RES/1487 (2003). 2 Croix rouge, site officiel de la Croix rouge, Les résolutions 1422 (2002) et 1487 (2003) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le « maintien de la paix par les Nations Unies », problèmes au regard du Statut de la Cour pénale internationale, article disponible sur : http://www.croix-rouge.be, référence de la page consultée le 19 octobre 2010. Voir aussi : CPCPI, site officiel de la coalition pour la Cour pénale internationale, une Cour mondiale soutenue dans le monde entier, les Etats-Unis et la CPI, article disponible sur : http://www.iccnow.org/?mod=usaicc&lang=fr, référence de la page consultée le 22 février 2011. 3 L’intervention de M. Michel Duclos, représentant permanent adjoint de la France auprès des Nations Unies, le 12 juin 2003 lors de l’adoption de la résolution 1487. 237 quant au non renouvellement du mandat de certaines forces ou missions de l’ONU; et le souci de laisser aux Etats-Unis, en répondant à une demande de leur part, un délai supplémentaire pour trouver une solution durable à leurs préoccupations concernant le Statut de la CPI. Ces deux éléments appartiennent maintenant à un contexte dépassé 1. De surcroît, la qualité et la compétence reconnues des membres de la Cour assurent à n’en pas douter la crédibilité de cette juridiction internationale, et cette crédibilité apporte la meilleure garantie contre les soupçons qui pouvaient encore exister concernant une cour politiquement motivée. Enfin, au moment même où cette CPI se met en place, il ne nous semblait pas approprié de renouveler pour un an les exemptions accordées à certains personnels d’Etats non parties au Statut de Rome participant à des forces ou missions sous l’égide de l’ONU. Un tel renouvellement risque, en effet, d’accréditer la perception d’une permanence de ces exemptions et cette perception ne peut qu’affaiblir la Cour et nuire à son 2 autorité . Par ailleurs, il faut signaler que l’application de l’article 16 du Statut de Rome a pris fin en juin 2004, lorsque les Etats-Unis ont dû renoncer à l'obtention du renouvellement, pour la troisième fois. Au vu de toutes ces irrégularités de droit et face à la limitation de la compétence d’une CPI naissante, la demande américaine de renouvellement de la résolution 1487 s’est heurtée à un refus des membres du Conseil de sécurité dans un contexte international de scepticisme à l’égard de la politique internationale américaine car il était clair que la majorité des Etats membres du Conseil de sécurité ne les suivraient plus 3. Le scandale des mauvais traitements infligés par des soldats américains aux prisonniers irakiens de la 1 Coulée (F.), La pratique française du droit international, AFDI, 2009, pp. 744-750. Voir aussi : L’intervention de M. Michel Duclos, représentant permanent adjoint de la France auprès des Nations Unies, le 12 juin 2003 lors de l’adoption de la résolution 1487. Communiqué de presse, le Conseil de sécurité, Pour une nouvelle période d’un an, le Conseil de sécurité demande à la Cour pénale internationale de s’abstenir de poursuivre le personnel de maintien de la paix d’un Etat non partie à son Statut, 4772e séance matin. 2 L’intervention de M. Michel Duclos, représentant permanent adjoint de la France auprès des Nations Unies, le 12 juin 2003 lors de l’adoption de la résolution 1487. Voir aussi : David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 354. 3 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. 238 prison d’Abou Ghraib était encore présent dans les esprits de tous. L’opposition déclarée de l’Espagne et du Secrétaire général de l’ONU, à la reconduction de l’exemption, avait permis de vaincre les hésitations de certains Etats, comme le Brésil, la Chine, la Roumanie, qui 1 avaient rejoint le camp des opposants . Devant ces réactions, les Etats-Unis ont retiré leur projet de renouvellement en raison du manque de disponibilité des votes nécessaires à son activation. Nous pouvons considérer que ce retrait est une victoire pour la justice pénale internationale. Il est cependant important de signaler que Washington s’est, peut-être, heurté aux réactions des membres 2 de l'ONU pour renouveler la résolution 1422 . Mais, il faut aussi rappeler que deux mois après la prise de la résolution 1487, le Conseil de sécurité a pris le 1er août 2003 la résolution 1497, à l'occasion du conflit au Liberia, en vertu de laquelle le Conseil a mis en place une force multinationale dans ce pays afin de soutenir la mise en œuvre de l'accord de cessez-le feu qui avait été établi. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité déclare que : « Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, 1. Autorise les Etats Membres à mettre en place une force multinationale au Liberia, afin d’appuyer la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu du 17 juin 2003, notamment en créant un cadre propice aux phases initiales du désarmement et aux activités de démobilisation et de réinsertion, de contribuer à l’instauration et au 1 Bouqumont (C.), La Cour pénale internationale et les Etats-Unis, L’Harmattan, Paris, p. 90. Voir aussi : les interventions du Secrétaire général de l’ONU, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, de la Jordanie, de la Grèce au nom de l’Union européenne, de l’Iran, de Malawi, du Pérou, de l’Allemagne, de la Syrie, du Mexique, et également de la France : voir les Nations Unies, Doc. S/PV.4772, 12 juin 2003, pp. 2-30 et les Nations Unies, Doc.S/PV.44803, 1er août 2003, p. 3. Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit., http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762949. CPCPI, site officiel de la coalition pour la Cour pénale internationale, Une Cour mondiale soutenue dans le monde entier, les Etats-Unis et la CPI, op. cit., http://www.iccnow.org/?mod=usaicc&lang=fr. 2 Tambwe (PS.), De l'analyse critique des règles de compétence de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.memoireonline.com/07/09/2253/De-lanalyse-critique-des-regles-de-competence-de-la-cour-penaleinternationale.html. Voir aussi : Tomarchio (A.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale : les fondements d’un refus, op. cit., pp. 77-98. Yshwi (L.), la Cour pénale internationale et ses compétences, Dar Eltakafa, Amman, 2008, pp. 296-297. 239 maintien de la sécurité durant la période qui suivra le départ du Président en exercice et l’établissement de l’autorité qui lui succédera, compte tenu des accords auxquels devraient aboutir les parties libériennes, et de réunir les conditions nécessaires à l’acheminement de l’aide humanitaire et de préparer la mise en place d’une force de stabilisation de l’ONU à plus long terme destinée à relever la Force multinationale[…] 5. Autorise les Etats Membres participant à la Force multinationale au Liberia à prendre toutes les mesures nécessaires pour lui permettre de s’acquitter de son mandat ; 7. Décide que les responsables ou les personnels en activité ou les anciens responsables ou personnels d’un Etat contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale sont soumis à la compétence exclusive dudit Etat pour toute allégation d’actes ou d’omissions découlant de la Force multinationale ou de la force de stabilisation des Nations Unies au Liberia ou s’y 1 rattachant, à moins d’une dérogation formelle de l’Etat contributeur ; [...]» . Par cette résolution, le Conseil de sécurité a mis en place une force multinationale pour le maintien de la paix au Liberia et a décidé que les ressortissants des pays participant à cette mission et qui ne sont pas parties au Statut de Rome seraient soumis à la compétence de leurs Etats. Cependant, ce qui distingue cette résolution est que l'exemption de la compétence de la CPI n’a jamais été limitée dans le temps, ce qui signifie que cette exemption n’aurait pas besoin d’un renouvellement, car la décision du Conseil de sécurité n’a posé aucune limite pour la fin de cette exemption de la compétence de la CPI. Dans tous les cas, devant les réactions des Etats membres à l’ONU contre cette résolution, Washington a abandonné l’idée 2 de renouveler la décision en 2004 . Il convient de noter ici que l'utilisation de ce pouvoir par le Conseil de sécurité ne s'arrête pas à ces résolutions. Le Conseil a continué de prendre des résolutions, même si elles ne concernaient pas exclusivement la suspension de l’activité de la CPI mais traitaient généralement d’autres sujets. En revanche, elles contenaient une application de l'article 16 du 1 La résolution 1497 du 12 août 2002 du Conseil de sécurité, UN.Doc. S/RES/1497 (2003). 2 Prezas (I.), La justice pénale internationale à l'épreuve du maintien de la paix à propos de la relation entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité, op. cit., p. 88. 240 Statut de Rome. Les exemples de ce fait sont la résolution 1593 sur le Soudan et la résolution 1973 sur la Libye. Dans la résolution 1593, et en particulier dans le paragraphe 2 de son préambule, le Conseil de sécurité a fait une référence à son pouvoir prévu dans l'article 16 : « Rappelant l’article 16 du Statut de Rome, selon lequel aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées par la Cour pénale internationale pendant les 12 mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens » une demande faite à la CPI1. En effet, cette résolution n'a pris fin qu’après une claire application du pouvoir du Conseil de sécurité de suspension prévu dans l'article 16 du Statut de Rome : « 6. Décide que les ressortissants, responsables ou personnels en activité ou anciens responsables ou personnels, d’un Etat contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale sont soumis à la compétence exclusive dudit Etat pour toute allégation d’actes ou d’omissions découlant du Soudan établies ou autorisées par le Conseil ou l’Union 2 africaine ou s’y rattachant, à moins d’une dérogation formelle de l’Etat contributeur » . En outre, avec la même formulation et les mêmes termes que ceux employés par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1593, le Conseil introduit sa résolution 1973 concernant la Libye en rappelant son pouvoir prévu dans l'article 16 : « Rappelant l’article 16 du Statut de Rome, selon lequel aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées par la Cour pénale internationale pendant les 12 mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens ». Le Conseil de sécurité ne termine cette résolution qu’après avoir déclaré que : « 6. Décide que les ressortissants, responsables ou personnels en activité ou anciens responsables ou personnels, d’un Etat autre que la Jamahiriya arabe libyenne qui n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale sont soumis à la compétence exclusive dudit Etat pour toute allégation d’actes ou d’omissions découlant des opérations en Jamahiriya arabe libyenne établies ou autorisées 3 par le Conseil ou s’y rattachant, à moins d’une dérogation formelle de l’Etat » . Ces exemples montrent clairement que l’usage du pouvoir de suspension de l’activité de la CPI par le Conseil de sécurité ne s’est pas arrêté à la résolution 1422, ni à son renouvellement. 1 La résolution 1497 du Conseil de sécurité, op. cit., paragraphe 2, le 12 août 2002. 2 La résolution 1593 du Conseil de sécurité, op. cit., le 31 mars 2005. 3 La résolution 1973 du Conseil de sécurité, op. cit., le 26 février 2011. 241 242 § II. Le contexte des résolutions du Conseil de sécurité Nous avons vu que selon l'article 16 du Statut de Rome, aucune action ne peut être menée pendant douze mois en vertu du Chapitre VII de la Charte de l'ONU, par conséquent, la Cour ne pourra être temporairement dessaisie que si aucun des cinq membres permanents du Conseil de sécurité n'oppose son veto à la demande. La résolution 1422/2002 a été renouvelée par la résolution 1487 du 12 juin 2003. Ainsi que l’intitulé « Le maintien de la paix par l’ONU » et le contenu de ces résolutions le font apparaître, celles-ci ne portent nullement sur le renouvellement de la Mission de l’ONU en Bosnie-Herzégovine, ni d’ailleurs sur aucune autre situation particulière. Elles ont une portée générale et visent toute situation future impliquant des ressortissants d’Etats non parties au Statut de la CPI et participant à une 1 opération décidée ou autorisée par l’ONU . Le Conseil de sécurité s’adresse tant à la CPI qu’aux Etats membres de l’ONU et il demande à la CPI de ne mener aucune enquête ou poursuite si cela concerne des membres d’opérations établies ou autorisées par l’ONU et ressortissants d’Etats non parties au Statut de la CPI. L’article 16 du Statut de Rome prévoit que c’est uniquement sur la base d’une résolution adoptée en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU que le Conseil de sécurité peut demander à la CPI de suspendre des enquêtes ou poursuites. En d’autres termes et conformément à l’article 39 de la Charte qui ouvre ce chapitre VII, le Conseil de sécurité doit constater l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte 2 d’agression . Or, si dans les résolutions 1422 (2002) et 1487 (2003), le Conseil indique bien qu’il agit en vertu du chapitre VII, les termes de ces résolutions n’établissent toutefois pas 1 FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Non à l’exception américaine : sous couvert de la lutte contre le terrorisme, l’offensive américaine contre la Cour pénale internationale, Rapport de position n°8, 2002, disponible sur : http://www.fidh.org/IMG/pdf/cpi345n8.pdf, référence de la page consultée le 23 février 2011. Voir aussi : Croix rouge, site officiel de la Croix rouge, Les résolutions 1422 (2002) et 1487 (2003) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le « maintien de la paix par les Nations Unies », problèmes au regard du Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.croixrouge.be. 2 La Charte des Nations Unies, article 39 : « Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales». 243 explicitement quelle est la menace contre la paix qui motive ces décisions ; ni la résolution 1422 ni la résolution 1487 ne comportent une telle mention d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression 1. A la lecture de l’ensemble des résolutions précitées, on pourrait penser que le Conseil de sécurité considère que c’est l’entrée en vigueur du Statut et le fait que les membres des opérations de maintien de la paix pourraient être poursuivis devant la CPI qui constituent une menace contre la paix. Cette interprétation est cependant problématique au regard tant de la Charte de l’ONU que du Statut de la CPI. Cette dernière a précisément pour but, en luttant contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves, de contribuer à la paix et à la sécurité internationales 2. L’existence d’une menace contre la paix qui permettrait de fonder une décision du Conseil de sécurité sur la base du chapitre VII de la Charte, conformément à l’article 16 du Statut de la Cour, semble donc douteuse dans l’hypothèse des résolutions 1422 (2002) et 1487 (2003). Il est donc clair que l’exigence d’une menace contre la paix pour justifier l’exclusion de la compétence de la CPI n’a pas été retenue dans ces résolutions. Ainsi, la question qui se pose ici est de savoir sur quelle base le Conseil de sécurité a alors pris ces résolutions, excluant la compétence de la CPI ? En effet, il s’agit de satisfaire la volonté de certains Etats d’empêcher leurs ressortissants d’être jugés devant la CPI 3. L’article 16 s’applique uniquement dans le cadre de situations particulières. Que ce soit le texte, les travaux préparatoires ou les positions des Etats exprimées lors de l’adoption des résolutions considérées, tout indique que cet article vise seulement à permettre, cas par cas, au Conseil de sécurité de demander à la Cour de suspendre une enquête ou des poursuites au regard d’une situation concrète. Il ne s’agit dès lors pas de permettre au Conseil de sécurité de limiter la compétence de la CPI dans une situation indéterminée et future. S’il fallait conclure que l’article 16 permet au Conseil de sécurité de suspendre, de façon générale et indéfinie dans le temps, la compétence de la Cour à l’égard de toutes les opérations qu’il aura décidées ou autorisées par l’ONU, cette interprétation aboutirait à un résultat absurde et priverait le Statut de la CPI de son objet et de son but à savoir, la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves et la contribution au maintien et au rétablissement de la paix. Ces résolutions disposent que ses effets prennent cours, de façon rétroactive, à partir du 1 Detais (J.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 36-45. 2 Voir les résolutions 1422 et 1487 du Conseil de sécurité. 3 Ascensio (H.), Maison (R.), L’activité des juridictions pénales internationales, AFDI, 2005, pp. 424-430. 244 1er juillet 2002. Or, l’article 16 du Statut ne prévoit pas la possibilité d'une décision du Conseil de sécurité avec effet rétroactif. Ces résolutions violent l’article 16 du Statut de Rome en ce qu’elles systématisent le dessaisissement de la CPI pour toute affaire concernant des responsables ou des personnels en activité ou d’anciens responsables ou des personnels d’un Etat contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome à raison d’actes ou d’omissions liés à 1 des opérations établies ou autorisées par l’ONU . En effet, la CPI, n’étant pas même en place à l’époque, elle n’a pas eu à se prononcer sur la légalité, pour le moins douteuse, de cette résolution : l’article 16 ne doit s’appliquer qu’en cas de menace contre la paix et la sécurité internationales ; or, la résolution 1422 étant adoptée sur la base de l’article 16, répond à une menace contre la paix. Quelle est la nature de cette menace ? Peut-être est-ce le fait que la CPI puisse connaître des crimes de droit international humanitaire commis par des membres de missions de maintien de la paix d’Etats non parties au Statut de Rome ? S'agirait-il de vouloir éviter des procès concernant des crimes de droit international humanitaire qui auraient été commis par des membres de la mission de maintien de la paix d’Etats non parties au Statut de Rome, à l’inverse du préambule de ce Statut qui ne cite que les menaces de paix et le bien-être du monde ? En effet, ces résolutions suggèrent que poursuivre les auteurs de ces crimes devant la CPI, lorsqu’ils sont ressortissants 2 d’un Etat non partie, serait constitutif de menace contre la paix et la sécurité internationales . L'évaluation de ces résolutions du Conseil de sécurité exige d’étudier la compatibilité de ces décisions avec le Statut de Rome (surtout son article 16) d’un côté et le chapitre VII de la Charte de l’ONU, de l'autre côté. Les résolutions du Conseil de sécurité à l'examen, ne 1 FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, La Cour pénale internationale : les Etats-Unis menacent l’Union européenne, article disponible sur : http://www.fidh.org/Courpenale-Internationale-les, référence de la page consultée le 23 novembre 2010. Voir aussi : Croix rouge, site officiel de la Croix rouge, Les résolutions 1422 (2002) et 1487 (2003) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le « maintien de la paix par les Nations Unies », problèmes au regard du Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.croix-rouge.be. 2 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 354. Voir aussi : Le Conseil de sécurité, Département de l’information, Service des informations et des accréditations, le Conseil de sécurité débat du rôle de la Cour pénale internationale dans la réalisation des objectifs communs de pais et de justice, Les pistes d’un renforcement des liens du Conseil et de la Cour ont également été explorées, l’intervention de M. Sang-Hyun Song, Président de la Cour pénale internationale (CPI), 6849e séance – matin & après-midi, 17 octobre 2012. 245 précisent aucun cas considéré comme une menace contre la paix et la sécurité internationales ou un acte d'agression, en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. L’utilisation du Chapitre VII dans ces résolutions a été menée dans une logique de systématisation et non pour 1 remédier à une situation menaçant la paix et la sécurité internationales . La modalité de ces résolutions semble exagérée et reflète une politique de prévention pour protéger la paix et la sécurité internationales car la menace contre la paix et la sécurité internationales qui justifie la 2 suspension de l’activité de la CPI n'existe pas dans ces cas . Par ailleurs, les Etats-Unis ont profité de l’ambiguïté de la rédaction de l’article 16 du Statut de Rome, en ce qui concerne l’existence d’une affaire devant la CPI : si cet article exige l’existence d'une affaire devant la CPI, la décision du Conseil de sécurité de suspendre les enquêtes devant la CPI est donc incorrecte si elle vise une situation qui ne s'était pas 3 produite ou n'avait pas été présentée devant la CPI car la décision du Conseil de sécurité ne 4 peut être qu’une simple mesure de précaution . De plus, l’examen de la suspension est habituellement abordé après la question de la compétence, ce qui suppose l’existence d’une 5 affaire devant la CPI . Si cette dernière n’est pas compétente pour examiner une telle affaire pour une raison quelconque, il n'y a aucunement besoin de la décision du Conseil de 6 sécurité de suspendre quoi que ce soit selon l'article 16 concernant cette affaire . Les résolutions 1422 et 1487 du Conseil de sécurité ont été adoptées pour des situations pouvant éventuellement survenir le dans le futur et qui seraient examinées devant la CPI. Par conséquent, ces résolutions ne sont pas vraiment compatibles avec l’esprit du texte de l'article 7 16 du Statut de Rome . Cependant, il faut souligner que cette interprétation n'est pas compatible avec certains termes du texte de l'article 16 qui stipule que « Aucune enquête ni 1 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 51. 2 Prezas (I.), La justice pénale internationale à l'épreuve du maintien de la paix à propos de la relation entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité, op. cit., p. 88. 3 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 41. 4 Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, op. cit, p. 44. 5 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 52. 6 Yshwi (L.), La Cour pénale internationale et ses compétences, op. cit., p. 294. Voir aussi : La résolution 1828 du 31 juillet 2008 du Conseil de sécurité, UN. Doc.S/RES/1828 (2008). La résolution 1953 du Conseil de sécurité, op. cit., le 31 mars 2005. 7 Yshwi (L.), La Cour pénale internationale et ses compétences, op. cit., p. 292. 246 aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut […] ». Si cette interprétation est compatible avec le second terme « menées », elle ne l'est plus avec le premier terme « engagées ». Par conséquent, le texte de l'article semble permettre bien plus qu’une simple suspension du travail de la CPI concernant un cas particulier devant cette Cour. Le Conseil de sécurité, en conformité avec cet article, peut suspendre les travaux de la CPI avant même le début de l'enquête ou de la poursuite, ce qui met en évidence une lacune, parmi 1 d'autres, dont les Etats-Unis ont profité en adoptant certaines résolutions concernant la CPI . Le Conseil de sécurité peut demander un sursis à enquêter ou à poursuivre concernant une telle situation, mais en aucun cas il ne peut obtenir de sursis général. L’exception reconnue au Conseil de sécurité ne saurait concerner des situations futures qui ne se sont pas encore révélées 2. Au demeurant, si le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales est incontestable, il faut noter que ces résolutions ont été adoptées sans mettre en cause de cas concret et sans soutenir l’existence de circonstances nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales 3. En effet, même s'il semble que l'article 16 du Statut de Rome permette de suspendre l’activité de la CPI avant le commencement des enquêtes et des poursuites, et même avant l’existence d’une situation devant cette Cour, il faut malgré tout tenir compte du fait que l’article 16 est une exception à l’exercice de la compétence de la CPI dans les affaires portées devant elle. Cette exception ne devrait pas être élargie dans son interprétation, mais au contraire, limitée. Sans quoi, cela apparaîtrait comme un Amendement au Statut de Rome par les résolutions du Conseil de sécurité. Dans ce cas, cette interprétation de l’article 16 est incorrecte, elle dépasse même les pouvoirs du Conseil de sécurité, car ce Conseil ne détient nullement la compétence pour modifier les accords et les conventions internationales telles que le Traité de Rome, et même le chapitre VII de la Charte de l’ONU. En effet, la base juridique de l’adoption de ces résolutions du Conseil de sécurité ne lui donne pas ce pouvoir, 1 Serage (A.), Le principe de complémentarité dans le système de la justice pénale internationale, op. cit., p. 134. Voir aussi : Yshwi (L.), La Cour pénale internationale et ses compétences, op. cit., pp. 290-296. Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 58. 2 Denis, (C.), Le pouvoir normatif du Conseil de sécurité, Bruylant, Bruxelles, 2005, pp. 407-408. Voir aussi : Bannelier (K.), Christakis (T.), Corten (O.), Delcourt (B.), Le droit international face au terrorisme, Pédone, Paris, 2002, p. 356. 3 Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 55-57. 247 au contraire, cela signifie une violation de l’article 39 de la Convention de Vienne sur le Droit 1 des traités de 1969 . Lors des débats au Conseil de sécurité sur la résolution 1422, certains Etats l’ont qualifiée de paradoxale. Ainsi, pour la Suisse, ce type de résolution revenait à considérer que la CPI était, par elle-même, un obstacle à la paix. De même pour le Liechtenstein, qui a déclaré que la résolution 1422 invoquait le chapitre VII de la Charte de l’ONU sans déterminer l’existence d’une menace pour la paix et la sécurité internationales. Cela implique 2 que la CPI constituerait elle-même cette menace . Le Conseil de sécurité n’en a pas moins adopté la résolution 1487 qui reconduisait la résolution 1422 pour un an, non sans que le Secrétaire général de l’ONU et la plupart des Etats eussent souligné que l’article 16 du Statut de Rome n’avait pas été conçu pour une reconduction annuelle automatique de l’exemption qu’elle prévoyait. Moins de deux mois plus tard, le Conseil de sécurité autorisait les Etats à déployer une force multinationale au Liberia et décidait que les personnels de ces Etats relèveraient de la compétence exclusive de ces Etats dès lors que ceux-ci n’étaient pas parties au Statut de Rome de la CPI et que des faits imputables à la force multinationale leur étaient reprochés. Ces résolutions (1422/1487) du Conseil de sécurité aboutissaient à exclure non seulement la compétence de la CPI, mais aussi la compétence passive des Etats dont des citoyens auraient été victimes de faits commis par des ressortissants d’Etats non parties au Statut de Rome participant à la force multinationale. Ici, encore, il s’agit d’une véritable violation du droit international. L’application de l’article 16 du Statut de Rome a pris fin en juin 2004, lorsque les Etats-Unis ont dû renoncer à obtenir, pour la troisième fois, le renouvellement de leur demande d’exemption car il était clair que la majorité des Etats membres du Conseil de sécurité ne les suivraient plus, suite au scandale d’Abou Ghraib, comme nous l’avons déjà expliqué. Rappelons que l’opposition déclarée de l’Espagne et du Secrétaire général de l’ONU, à la reconduction de l’exemption, avait permis 1 La Convention de Vienne sur le Droit des traités 1969 (article 39) appelé règle générale relative à l’amendement des traités, « Un traité peut être amendé par accord entre les parties. Sauf dans la mesure où le traité en dispose autrement, les règles énoncées dans la partie II s’appliquent à un tel accord ». 2 Les Nations Unies, Doc.S/PV.4772, 12 juin 2003, p. 8. 248 de vaincre les hésitations de certains Etats comme le Brésil, la Chine, la Roumanie, qui avaient rejoint le camp des opposants 1. Il faut noter que les forces de l’ONU sont présentes sur plusieurs zones de conflits ou tensions dans le monde, afin de rétablir ou maintenir la paix et la sécurité internationales, ce qui constitue une mission aussi délicate qu’importante. Néanmoins, il serait possible que certains Etats sur les territoires desquels ces forces sont présentes, cherchent à manipuler la CPI, en envoyant devant elle des situations concernant ces forces, dans le but de les renvoyer de leur territoire. Et ce d’autant plus que la manipulation est aujourd’hui facilitée par les moyens technologiques et médiatiques. Alors, une question se pose ici : pourrait-on accorder un Statut juridique spécial aux forces de l’ONU, notamment en créant un tribunal pour ces forces, à l’image du tribunal administratif de l’ONU ? En effet, bien qu’il soit pertinent de poser cette question, il s’avère qu’un tel Statut ou tribunal constituerait une exception, ce qui amène à nous interroger : pourquoi alors créer une CPI, dont l’une des vocations est d’éviter l’institution de nouveaux tribunaux ad hoc, si l’on continue à accorder de telles exceptions ? De plus, cela risquerait d’inciter certaines personnes comme des chefs d’Etats à revendiquer le même droit. Il paraît donc difficile de dégager une raison valable pour l’attribution de cette exception aux forces de l’ONU. D’autre part, malgré le non-renouvellement de cette résolution, le Conseil de sécurité a pu réussir à prendre des résolutions excluant une application de l'article 16 du Statut de Rome 2. Dans ces résolutions le Conseil de sécurité oblige les Etats à respecter leurs 1 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 354. Voir aussi : Les interventions du Secrétaire général de l’ONU, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, de la Jordanie, de la Grèce au nom de l’Union européenne, de l’Iran, de Malawi, du Pérou, de l’Allemagne, de la Syrie, du Mexique, et également de la France : l’ONU, Doc. S/PV.4772, 12 juin 2003, pp. 2-30. L’ONU, Doc.S/PV.44803, 1er août 2003, p. 3. Ambrosetti (D.), S’opposer aux Etats-Unis au Conseil de sécurité, l’argumentation contre la puissance dans les négociations multilatérales, article disponible sur : http://www.erudit.org/revue/ei/2004/v35/n3/009907ar.html?vue=resume, référence de la page consultée le 10 avril 2009, pp. 469-494. FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Cour pénale internationale : les Etats-Unis menacent l’Union européenne, op. cit., http://www.fidh.org/Cour-penale-Internationale-les. 2 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 354. Voir aussi : Ambrosetti (D.), S’opposer aux Etats- Unis au Conseil de sécurité, l’argumentation contre la puissance dans les négociations multilatérales, op. cit., pp. 469-494. 249 1 engagements internationaux . Ce geste de la part du Conseil de sécurité est assez flou. Si nous interprétons ces résolutions d’une manière large, il est possible de penser que le Conseil de sécurité voulait passer un message aux Etats sur le respect de leurs engagements concernant la non-extradition des citoyens américains à la CPI, particulièrement ceux qui sont sur le territoire des pays qui ont signé des accords bilatéraux d’immunité avec les Etats-Unis (des accords appelés par les Organisations internationales non gouvernementales, des accords d’impunité). Mais il faut rappeler que les Etats sont obligés de ne pas appliquer les dispositions du Statut de Rome qui sont incompatibles avec la demande du Conseil de sécurité : comme de ne pas renvoyer toute situation au Procureur de la CPI concernant des Etats non parties au Traité de Rome, ou de ne pas répondre aux demandes du Procureur sur la 2 coopération, ou tous autres types de coopération . Quel que soit le cas, cette interprétation de ces résolutions ne nie pas en principe le droit des Etats à exercer leurs pouvoirs judiciaires envers ces crimes, d’autant plus que le Statut de Rome souligne qu'il est du devoir de chaque Etat d'exercer sa juridiction pénale 3 contre les responsables de ces crimes . De plus, ces résolutions ont inclus dans leurs préambules la nécessité de supporter leur responsabilité face aux auteurs de crimes internationaux devant les juridictions nationales, afin d'assurer la continuité des Etats non parties au Traité de Rome. Ce qui a été confirmé par la résolution 1487, en affirmant la nécessité de soumettre les forces de la paix des Etats non parties au Statut de Rome sous la 4 compétence exclusive des juridictions nationales de leurs pays . Enfin, dans tous les cas, le Conseil de sécurité ne peut empêcher le Procureur d’ouvrir une information sur toute situation où des crimes visés au Statut de la CPI ont été commis, puisque cet article parle d’une « enquête » que la Cour ne peut entamer, aux termes du Statut, qu’à partir du moment où la Chambre préliminaire l’y autorise. Mais la question qui 1 La résolution 1422 du Conseil de sécurité, op. cit., (paragraphe 3). La résolution 1487 du Conseil de sécurité, op. cit., (paragraphe 3). 2 Le rapport de la Commission consultative de Droit international humanitaire (CCDIH), p. 6. 3 Condorelli (L.), La Cour pénale internationale : un pas de géant, op. cit., p. 19. 4 Le préambule de la résolution 1422 du Conseil de sécurité, op. cit., (paragraphe 5). La résolution 1487 du Conseil de sécurité, op. cite., (paragraphe 7). 250 se pose ici est de savoir si le Conseil de sécurité dans ces résolutions concernant ce pouvoir a respecté cette règle. 251 Section II. Les inconvénients liés à l’usage du pouvoir de sursis par le Conseil de sécurité Le pouvoir de suspension a été accordé au Conseil de sécurité sous le prétexte d’articuler l’action de la CPI avec la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales (mission confiée au Conseil de sécurité). Ce pouvoir a fait l’objet de très nombreuses critiques émanant notamment d’ONG de défense des droits de l’homme car ainsi, l’action de la justice pourrait être entravée par une décision politique qui limiterait les possibilités de poursuites de la Cour. Une telle crainte a été confirmée dès le 12 juillet 2002, soit quelques jours seulement après l’entrée en vigueur du Statut de la CPI, par la résolution 1422 du Conseil de sécurité adoptée à l’unanimité, malgré l’opposition de quelques 130 Etats sur les 191 siégeant à l’Assemblée générale de l’ONU qui, réunis concomitamment en séance plénière, se sont prononcés contre la proposition américaine. Cette position est révélatrice de l’opinion de la société internationale qui dans sa grande majorité a contesté l’action de Washington et du Conseil de sécurité 1. Nous traiterons l’utilisation de ce pouvoir par le Conseil de sécurité dans certaines résolutions. Il ne s’agit pas d’une suspension mais du blocage de l’activité de la CPI ; il est alors important d’étudier l'usage de la faculté de surseoir vis-à-vis du fonctionnement et de l'indépendance de la CPI (§ I), et puis de poser la question de la position américaine concernant ce pouvoir et du principe de l’immunité (§ II). § I. De l'usage de la faculté de surseoir vis-à-vis du fonctionnement et de l'indépendance de la Cour pénale internationale Le Statut de Rome, même s'il est déterminé à créer une CPI permanente et indépendante, a en même temps accordé au Conseil de sécurité une place fondamentale dans l’architecture et dans les mécanismes de fonctionnement de cette Cour. Le Conseil de sécurité joue un rôle central et incomparable dans le système international actuel. Il est capable d’obliger les Etats à appliquer sa volonté. Le Conseil de sécurité est en effet un organe 1 Detais (J.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., p. 38. Voir aussi : Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 80-83. 252 principal de l’ONU créé par sa Charte et régi par son chapitre VII. En dépit de l’affirmation du principe d’égalité, la Charte opère une distribution des pouvoirs veillant à assurer cette prépondérance 1. Selon la Charte de l’ONU, le Conseil de sécurité après avoir constaté de façon discrétionnaire l’existence d’une menace contre la paix ou d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, propose des recommandations ou décide des mesures en appliquant les articles 41 et 42. Et toujours selon la Charte, les décisions du Conseil de sécurité, au regard de leur caractère contraignant, doivent être appliquées par tous les Etats, tandis que les termes utilisés ne sont pas définis et sont suffisamment neutres pour ne pas enfermer le Conseil de 2 sécurité . Le Conseil de sécurité est une instance politique, qui prend des mesures politiques, selon des motifs et objectifs politiques. Sa mission ne consiste pas à faire respecter le droit, mais à maintenir ou à rétablir la paix et la sécurité internationales. Il est subordonné à la Charte, mais dans un cadre indéfini. Il dispose d’un pouvoir discrétionnaire irréductible. Le seul véritable contrôle sur le Conseil de sécurité est exercé par ses membres avec leur droit de veto. Il est donc clair que le fait de donner le pouvoir de suspendre l’activité de la CPI au Conseil de sécurité n’est qu’un moyen pour réaliser les projets politiques de ses membres permanents, d’autant que parmi ces membres, certains ont montré une réaction hostile à la création et au fonctionnement de cette Cour. En effet, l’action de la CPI se voit paralysée sur simple demande du Conseil de sécurité pour une période pratiquement illimitée et sans aucune possibilité de mesures conservatoires. L’usage de ce pouvoir offre, en effet, au Conseil de sécurité la possibilité de soustraire un Etat partie à l’exercice de la compétence de la Cour, du 3 moins en cas de renouvellement illimité de la demande . 1 Kinombe (C.), Le Conseil de sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale: dépendance ou indépendance ?, op. cit., http://www.memoireonline.com/12/12/6553/m_Le-Conseil-de-Securite-des-NationsUnies-et-la-Cour-Penale-Internationale-dependance-ou-indepe3.html. Voir aussi : Detais (J.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 38-41. 2 La Charte des Nations Unies (articles 24, 41et 42). 3 Sur (S.), Le Conseil de sécurité : blocage, renouveau et avenir, op. cit., p. 69. Voir aussi : Prezas (I.), La justice pénale internationale à l'épreuve du maintien de la paix à propos de la relation entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité, op. cit., p. 84. Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, op. cit, p. 44. 253 Dans les résolutions 1422 et 1487, le Conseil de sécurité indique qu’il agit conformément à l’article 16 du Statut de Rome. Les décisions seraient donc adoptées en application de cette disposition. Cet article constitue une disposition exceptionnelle du Statut à plus d’un titre. Il vise à réaliser un équilibre délicat, mais parfois indispensable, entre des principes de justice et les nécessités politiques. Lorsque l'article 16 a déclaré que le Conseil de sécurité pouvait renouveler sa demande dans les mêmes conditions, cela n’était qu’une simple possibilité de renouvellement. Lorsque le Conseil de sécurité a exprimé son «intention de renouveler, dans les mêmes conditions, aussi longtemps que cela sera nécessaire la demande visée au paragraphe 1, le 1er juillet de chaque année, pour une nouvelle période de 12 mois», cela n’a fait qu'accroître le doute à ce sujet 1. Le Conseil a déclaré son intention de renouveler la demande chaque année. Ainsi, il voudrait uniquement appliquer l'article 16 pour suspendre l’activité de la CPI pour un an seulement, mais son objectif porte au-delà car il 2 pourrait paralyser le travail de la CPI en devenant systématique . Le Conseil de sécurité est allé plus loin dans sa résolution 1422, adoptée le 12/07/2002, en déclarant que cette résolution était applicable depuis le 1er juillet 2002, alors que l'article 16 du Statut de Rome ne prévoit aucune possibilité de mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité concernant la suspension de l’activité de la CPI 3 de façon rétroactive . En effet, en tentant compte des faits qui ont conduit à leur adoption, ces résolutions ne s’insèrent pas vraiment dans l’objectif de l’article 16 du Statut de Rome. Bien au contraire, elles contiennent les résultats « d’un chantage à la paix » 4, que les Etats-Unis ont arrangé pour exclure la compétence de la Cour à l’égard de leur personnel militaire, l’article 16 n’étant qu’un moyen légal d’obtenir une véritable impunité pour leurs ressortissants. Il ne fait plus aucun doute, au regard de ces observations, qu’aucune forme de 1 Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 55. 2 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 72. Voir aussi : Detais (J.), Les Etats- Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 34-36. Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 52-53. 3 Le rapport de La Commission consultative de Droit international humanitaire (CCDIH), p. 8. Voir aussi : FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Cour pénale internationale : La route ne s'arrête pas à Rome, Rapport de position n°3 : analyse du Statut de la CPI, novembre 1998, disponible sur : http://www.fidh.org/rapports/r266.htm, référence de la page consultée le 3 mars 2011. 4 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., p. 128. 254 limitation temporelle ne puisse véritablement neutraliser l’action de l’organe politique de l’ONU. Les inquiétudes de la soumission politique de la CPI au Conseil de sécurité négligent ainsi l’aspect juridique de la problématique 1. Les résolutions 1422 et 1487 sont-elles conformes au Statut de la CPI ? Et s’il fallait considérer que tel n’était pas le cas, quelles en seraient les conséquences sur la compétence et 2 l’indépendance de la CPI, d’une part, et sur les obligations des Etats, d’autre part ? Ces résolutions sont loin de la philosophie sur laquelle le texte de l'article 16 a été basé puisqu’elles peuvent par la suite suspendre le travail de la CPI d’une façon illimitée et même 3 toucher à l’indépendance de la CPI . En effet, les Etats ne pourront plus déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes visés au Statut paraissent avoir été commis par des membres d’opérations de l’ONU, ressortissants d’Etats non parties à ce Statut. Ils n’auront plus droit non plus à une demande de coopération du Procureur ou de la Cour concernant ces mêmes individus. Ils ne pourront donc pas donner suite à une demande 4 d’arrestation et de remise d’un accusé, ni à une demande de comparution d’un témoin . La CPI est dotée d’une personnalité juridique propre. Elle n’est pas liée par les décisions du Conseil de sécurité. Elle est juge de sa propre compétence. Si, en vertu de l’article 25 de la Charte de l’ONU, les Etats sont tenus d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité, c’est uniquement dans la mesure où celles-ci sont adoptées conformément à la Charte de l’ONU. Le Conseil de sécurité doit respecter cette Charte. Il n’a pas le pouvoir d’amender un Traité international, comme l’ont rappelé plusieurs Etats lors de l’adoption des résolutions 1422 et 1487. Dans le cas de l’affaire Lockerbie, certains Etats avaient décidé de ne plus appliquer les décisions en cause du Conseil de sécurité, considérant qu’elles étaient injustes pour la Libye. Or, ces décisions allaient dans le sens de la justice internationale puisqu’elles sommaient la Libye de remettre les responsables de cette affaire à une cour 1 Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, op. cit, p. 45. 2 Croix rouge, site officiel de la Croix rouge, Les résolutions 1422 (2002) et 1487 (2003) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le « maintien de la paix par les Nations Unies », problèmes au regard du Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.croix-rouge.be. 3 Yshwi (L.), La Cour pénale internationale et ses compétences, op. cit., p. 292. 4 Le Statut de la Cour pénale internationale, (articles 13, 14, 64, 86 et 89). 255 compétente. On pourrait donc considérer que les Etats, dans d’autres cas où ils estimeraient que les résolutions 1422 et 1487 ne sont pas conformes au Statut de la CPI et aux pouvoirs du Conseil de sécurité en vertu de la Charte, pourraient d’autant plus refuser d’appliquer les résolutions précitées et notamment continuer de coopérer avec la CPI1. Tout comme dans l’affaire Lockerbie où certains Etats avaient finalement décidé de ne plus appliquer les décisions en cause du Conseil de sécurité. En outre, en vertu du Statut de Rome, la compétence de celle-ci est subsidiaire par rapport à celle des juridictions nationales. C’est le principe de complémentarité. Les juridictions nationales peuvent (et doivent) donc réprimer les crimes internationaux en premier lieu. Si l’activité de la Cour reste bloquée en raison des décisions du Conseil de sécurité, il appartiendra donc aux Etats de poursuivre les membres d’opérations (établies ou autorisées par l’ONU) qui se seraient rendus coupables de crimes graves. L’article 16 du Statut de la CPI constitue une exception à la compétence de la Cour, en vue d’un objectif bien défini : celui de permettre au Conseil de sécurité de continuer à agir afin de contribuer au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales, dans le cadre de situations délicates, lorsque l’exercice d’une compétence pénale par la Cour pourrait affecter cette démarche du Conseil. A la lumière de différents éléments précités, la légalité des résolutions 1422 et 1487 au regard de l’article 16 du Statut de la CPI peut être remise en cause. Il appartiendra à la CPI de se prononcer, le cas échéant, sur l’applicabilité de 2 ces résolutions aux cas dont elle serait saisie . Par ailleurs, nous pouvons nous interroger sur la validité juridique de l’article 16 du Statut de Rome et celle des résolutions du Conseil de sécurité 1422 et 1487 dans la mesure où 1 En 1988, un avion de la compagnie américaine Pan Am a explosé au-dessus de Lockerbie (village écossais). Un mandat d'arrêt international a été lancé par les autorités judiciaires écossaises et américaines contre deux citoyens libyens. Le Conseil a exigé de la Libye qu’elle extrade les deux suspects vers les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne. La Libye a refusé cette extradition, suite à quoi le Conseil de sécurité a adopté la résolution 748 du 31 mars 1992 prévoyant la suspension du trafic aérien vers et à partir de la Libye ainsi que l'interdiction de toute vente d'armes à ce pays. En 1993, le Conseil de sécurité a imposé des sanctions supplémentaires dans sa résolution 883 adoptée le 11 novembre. Pour plus d’informations sur ce point, voir : Supra, pp. 103-104, note en bas de page. Woll (W.), L’affaire de Lockerbie devant la justice écossaise, op. cit., pp. 8-15. Perez (N.), Le règlement pénal de l’affaire de l’incident aérien de Lockerbie, op. cit., pp. 2-6. 2 Sur (S.), Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les O.N.G et le Conseil de sécurité, op. cit, pp. 44-46. Voir aussi : Croix rouge, site officiel de la Croix rouge, Les résolutions 1422 (2002) et 1487 (2003) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le « maintien de la paix par les Nations Unies » problèmes au regard du Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.croix-rouge.be. 256 cet article et ces résolutions portent atteinte au principe fondamental de l’indépendance de la magistrature, reconnu par les instruments protecteurs des droits de la personne et la Déclaration universelle des droits de l’Homme, précisément dans les articles 10 et 14 du Pacte 1 relatif aux droits civils et politiques . Cette disposition et ses applications paraissent contraires au droit d’accès à la justice ainsi qu’à la voie de recours effective, règles que la Chambre d’appel du TPIY et le Comité des droits de l’Homme ont qualifié de règles impératives du droit international. Or, comme le Conseil de sécurité doit agir conformément aux buts et principes de l’ONU (la Charte de l’ONU, article 24-2), lesquels comprennent le respect des principes de la justice et du droit international, il en découlerait que l’article 16 du Statut ne pourrait justifier une intervention du Conseil de sécurité dans les enquêtes et poursuites du Procureur. En sens inverse, il est observé qu’aux termes mêmes des principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, d’une part : « Les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisis impartialement, d’après les faits et conformément à la Loi, sans restriction et sans être l’objet d’influence, incitations, pressions, menaces ou interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit et pour quelque raison que ce soit ». 2 D’autre part : « la justice s’exerce à l’abri de toute intervention injustifiée ou ingérence » . 3 A ce propos, certains pensent qu’il serait alors permis de considérer que l’intervention du Conseil de sécurité dans les enquêtes et les poursuites de la CPI par des résolutions ne seraient ni « indue » ni « injustifiée » dès lors qu’elle serait fondée sur le chapitre VII de la Charte de l’ONU, donc sur les exigences du maintien de la paix et de la 1 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 348-355. Voir : Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté et ouvert à la signature à la ratification et à l'adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, entrée en vigueur : le 23 mars 1976 (articles 10 et 14). 2 Kinombe (C.), Le Conseil de sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale: dépendance ou indépendance ?, op. cit., http://www.memoireonline.com/12/12/6553/m_Le-Conseil-de-Securite-des-NationsUnies-et-la-Cour-Penale-Internationale-dependance-ou-indepe3.html. Voir : Principes adoptés par le septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, Milan, 27 août-6 septembre 1985, approuvés par l’Assemblée générale des Nations Unies par la résolution 40/146, 3 décembre 1985. 3 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 349-351. Klein (P.), La responsabilité des organisations internationales, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 31. Voir aussi : Aly (S.), Martin (A.), Compétence contentieuse de la CIJ et mise en cause par un Etat de la validité d’une autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU de recourir à la force : le droit en action, Lausanne, 1996, p. 249. Schaus (A.), La légitimité du Conseil de sécurité, à la recherche du nouvel ordre mondial, édition Complexe, Bruxelles, 1993, pp. 9-29. 257 sécurité internationales 1. Il reste que, eu égard à son caractère exorbitant, ce pouvoir de blocage du Conseil de sécurité devrait être interprété à la lettre car le Conseil de sécurité doit justifier sa décision de suspendre une procédure en cours devant la CPI en montrant que cette suspension contribue réellement aux objectifs du chapitre VII de la Charte. En effet, il faut par ailleurs souligner que dans l’hypothèse d’une procédure en cours, la CPI serait fondée à contrôler la légalité du pouvoir exercé par le Conseil de sécurité et à vérifier l’existence réelle 2 d’une menace contre la paix et la sécurité internationales . Les décisions du Conseil sont prises par un vote. C’est le fameux droit de veto qui permet à chacune des cinq grandes puissances de bloquer le mécanisme de la prise de décisions. Cette primauté reconnue aux membres permanents va à l’encontre du principe de l’égalité souveraine des Etats, consacré par la Charte. Celle-ci préfère l’inaction de l’Organisation, l’inaccomplissement de ses responsabilités dans une crise donnée, à une action 3 susceptible de mettre l’ONU en conflit avec l’un des cinq . Il est important de souligner que ce pouvoir dont dispose le Conseil de sécurité à l’encontre de la CPI est conditionné par l’accord de tous les membres permanents de ce Conseil. Par conséquent, chaque fois que le Conseil de sécurité envisagera de déférer une situation à la CPI, comme nous l’avons vu, chacun des cinq membres permanents, en particulier la Chine, les Etats-Unis et la Fédération de Russie, non-parties au Statut de Rome, pourra à son gré, en vertu de son droit de veto, 4 empêcher la CPI de remplir les missions qui lui sont imparties . 1 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 349-350. 2 Kinombe (C.), Le Conseil de sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale: dépendance ou indépendance ?, op. cit., http://www.memoireonline.com/12/12/6553/Le-Conseil-de-Securite-des-NationsUnies-et-la-Cour-Penale-Internationale-dependance-ou-indepe.html. Voir aussi à propos de ce point : Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., p. 22-30. Voir aussi : Abou Alkair (A.), La Cour pénale internationale permanente, op. cit., p. 201-210. Aly (S.), Martin (A.), Compétence contentieuse de la CIJ et mise en cause par un Etat de la validité d’une autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU de recourir à la force, op. cit., p. 249. Klein (P.), La responsabilité des organisations internationales, op. cit., pp. 30-32. Schaus (A.), La légitimité du Conseil de sécurité, à la recherche du nouvel ordre mondial, op. cit., pp. 15-29. 3 Virally (M.), L’Organisation mondiale, Armand colin, Paris, 1972, pp. 102-103. 4 Le rapport du groupe de travail de l’Assemblée générale de l’ONU, rendu public le 20 septembre 1994. 258 Ce pouvoir de suspension accordé au Conseil de sécurité et le droit de veto de ses membres permanents, permettent à ces Etats d'exercer librement une politique de sélectivité à des fins d’intérêts politiques et économiques, sous le prétexte de la justice pénale internationale. D’un côté, si la CPI désire ou décide de commencer une enquête concernant des crimes entrant dans sa compétence, les Etats permanents au Conseil de sécurité peuvent paralyser cette enquête par une résolution du Conseil de sécurité si leurs intérêts politiques et économiques l’exigent. D’un autre côté, si le Conseil de sécurité décide de suspendre une enquête devant la CPI en raison d’une menace pour la paix et la sécurité internationales, ces Etats avec leur droit de veto peuvent également bloquer la prise de cette décision si leurs intérêts politiques et économiques l’exigent. En conséquence, ces Etats peuvent facilement sélectionner les cas dans lesquels ils réagissent en faveur de leurs intérêts. Ainsi, le droit de veto, peut jouer un rôle positif mais peut également jouer un rôle négatif. En outre, la pratique de ce pouvoir par le Conseil de sécurité montre une sorte de sélectivité dans ses décisions : - Dans les résolutions 1422 et 1487, le Conseil de sécurité a utilisé ce pouvoir en suspendant les enquêtes et les poursuites de la CPI en faveur de certains Etats (les Etats participant aux opérations de l’ONU et qui ne sont pas parties au Statut de Rome). L’application de ce pouvoir par une telle résolution a été décidée pour satisfaire les demandes de certains Etats (en l'occurrence, les Etats-Unis). - Dans le cas contraire, le Conseil de sécurité ne s’est pas montré favorable à l’utilisation de ce pouvoir concernant d'autres cas. Dès la présentation de la requête du Procureur contre le président soudanais, la LEA et l'UA ont entrepris des démarches pour demander au Conseil de sécurité de suspendre les enquêtes et les poursuites en vertu de l'article 16. Néanmoins, la question n'a pas fait l'objet d'un débat formel au sein du Conseil de sécurité, ses membres ayant des positions divergentes sur une telle suspension. De plus, en ce sens, la nouvelle administration américaine a déclaré récemment qu'elle ne voyait aucune raison pour soutenir un 1 sursis à enquêter ou à poursuivre en ce moment . 1 FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, La Cour pénale internationale et le Darfour, op. cit., http://www.fidh.org/IMG/pdf/Q_A_Bechir_FR_final.pdf. Voir aussi : Le 259 -En ce qui concerne le président soudanais, l'application de l'article 16 du Statut de Rome s’est faite entre partisans et opposants. Certains pays ont appuyé la demande de l’application de l’article 16. L’alinéa 9 du préambule de la résolution 1828 1 a exprimé la préoccupation de nombreux Etats membres de l'ONU et du Conseil de sécurité sur l'éventuel impact négatif pouvant résulter de la demande du Procureur de la CPI, contre le président soudanais, sur le processus la paix et le travail de la force interarmées. De nombreuses organisations régionales se sont également exprimées, y compris l'UA, la LEA, l'OCI et le Mouvement des pays non-alignés, sur les craintes concernant la demande du Procureur de saper les efforts de la paix et de compliquer encore davantage la situation au Darfour, au Soudan et plus globalement dans l'ensemble des pays de la région. La Chine, de son côté, soutient la demande présentée par l'UA et d'autres organisations pour que le Conseil prenne rapidement des mesures pour suspendre l'acte d'accusation contre le président du Soudan. En effet, la Chine voit que la décision du Procureur est inappropriée, qu’elle a été prise au mauvais moment, et qu’elle touche gravement le climat politique mutuel entre les pays de l'ONU et le gouvernement soudanais. La Russie a également exprimé ses préoccupations au sujet de la dégradation potentielle au Soudan suite à la demande du Procureur de la détention du président soudanais. Plusieurs pays ont soutenu l'UA à cet égard, et parmi eux : le Vietnam, l'Indonésie et le Royaume-Uni. Pour sa part, dans sa résolution 1828, le Conseil de sécurité a seulement mentionné la demande de l'UA, sans l'application de l'article 16 du Statut de Rome refusant de suspendre enquêtes et poursuites concernant le présidant soudanais 2. Contrairement aux résolutions du Conseil de sécurité, 1422, 1487 et 1497, Washington a subi une forte Conseil de sécurité, Département de l’information, Service des informations et des accréditations, le Conseil de sécurité débat du rôle de la Cour pénale internationale dans la réalisation des objectifs communs de pais et de justice, op. cit., le 17 octobre 2012. 1 L’alinéa 9 du préambule de la résolution 1828 déclare que « Prenant note du communiqué de l’Union africaine en date du 21 juillet 2008, publié à l’issue de la cent quarante-deuxième réunion du Conseil de paix et de sécurité, ayant à l’esprit les préoccupations exprimées par certains de ses membres au sujet de l’évolution potentielle de la situation suite à la demande formulée par le Procureur de la Cour pénale internationale le 14 juillet 2008 et notant qu’ils ont l’intention de poursuivre l’examen de ces questions». 2 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., p. 128. Doc. Voir aussi : Decaux (E.), La crise du Darfour : chronique d'un génocide annoncé, AFDI, Paris, 2004, pp. 750-751. S/PV.5158, 31 mars 2005, p. 3. 260 opposition de la part de plusieurs Etats quant à l'application de l'article 16 du Statut de Rome après l’annulation de la requête du Procureur concernant l’arrestation du 1 président soudanais . Les Etats-Unis sont le seul pays à s’être abstenu lors du vote sur la résolution 1828, malgré l'annulation des propositions initiales concernant la suspension de l’activité de la CPI après la délivrance d'un mandat d’arrêt du Procureur contre le président soudanais. Le délégué des Etats-Unis à l’ONU a souligné le solide soutien de son pays à la résolution 1593 du Conseil de sécurité qui prévoit le renvoi des responsables de ces crimes à la justice en mettant fin au climat 2 d'impunité . Par ailleurs, si le Conseil de sécurité a refusé de suspendre les enquêtes et les poursuites de la CPI contre le président soudanais, malgré la demande quasi-internationale, il serait clair que le Conseil de sécurité n’aurait même pas discuté sur la possibilité de suspendre l’activité de la CPI contre l'ancien chef d’Etat libyen Mouammar Kadhafi. En comparant avec le président du Soudan, Mouammar Kadhafi n'a pas reçu la même attention de la part des Etats membres à l’ONU, qui n’ont même pas eu de réelle discussion sur la possibilité de suspendre les enquêtes et les poursuites de la CPI contre Mouammar Kadhafi comme c’était le cas pour le président soudanais. En tous cas, le Conseil de sécurité a refusé l'application de l'article 16 du Statut de Rome en ce qui concerne la situation soudanaise. Différentes remarques ont été évoquées à cet égard : - Le Conseil de sécurité en adoptant la résolution 1828 a totalement ignoré la philosophie de l'article 16. Il pourrait y avoir certains cas où la conciliation entre les exigences de maintien de la paix internationale et les considérations de la justice internationale n’est pas possible temporairement. C'est pourquoi les rédacteurs du Statut de Rome ont pris en considération cette question et ont donné la priorité au Conseil de sécurité, temporairement aussi, de prendre des mesures, y compris la demande de la suspension de l’activité de la CPI. 1 Yshwi (L.), La Cour pénale internationale et ses compétences, op. cit., p. 294. 2 Voir : L’intervention de représentant permanent des Etats-Unis auprès des Nations Unies lors de l’adoption de la résolution 1593, le 1er juillet 2005. Les résolutions 1828/2008 et 1593/2005 du Conseil de sécurité. 261 - Il semble que les résolutions du Conseil de sécurité contiennent une distinction claire entre les Etats et consacrent une politique explicite de doubles standards et de sélectivité au sein du Conseil de sécurité. Et ce, à la différence de la résolution 1422 (et autres résolutions pertinentes) dans laquelle le Conseil de sécurité fournit l'immunité aux ressortissants des Etats-Unis en suspendant le travail de la CPI, malgré l'absence de conditions de l'application de ce pouvoir. Pourtant le Conseil de sécurité n'a pas appliqué ce pouvoir dans sa résolution 1828 (par exemple) malgré la 1 vérification des conditions d'application de ce pouvoir . - La négligence de l'application de l'article 16 du Statut de Rome par le Conseil de sécurité dans certaines de ses décisions par rapport à l’application de la résolution 1422 et d'autres résolutions pertinentes, suscite la crainte de nombreux Etats que cet article ne devienne un moyen pris par les membres permanents du Conseil de sécurité pour protéger leurs citoyens d’un côté, et la menace de faire briller l’épée de la justice de l'autre. Ces pays peuvent donc obtenir un pouvoir à deux visages, car comment pouvons-nous refuser une proposition de suspendre l’activité de la CPI contre une telle situation alors que cette proposition représente l'opinion de plus de 2 deux tiers des membres de la Communauté internationale ? - Le préambule de la résolution 1828, dans le § 9, « Affirme à nouveau qu’il ne saurait y avoir de solution militaire au conflit du Darfour et que la paix ne peut être rétablie au Darfour qu’à la suite d’un règlement politique associant toutes les 3 parties et du déploiement réussi de la MINUAD » . Ce qui confirme qu'il est absolument nécessaire que le Conseil de sécurité réexamine cette question à une date ultérieure. Jusqu'à maintenant, il n'y a eu aucune infraction à cette résolution. -De plus, l’article 16 du Statut de Rome transpose les problématiques de paix et de sécurité internationales de la Charte de l’ONU au sein du Statut de la Cour. Ces 1 Serage (A.), Le principe de complémentarité dans le système de la justice pénale internationale, op. cit., p. 134. Voir aussi : Yshwi (L.), La Cour pénale internationale et ses compétences, op. cit., p. 296. 2 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 58. Voir aussi : Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., 27 avril 1999. 3 La résolution 1828 du 31 juillet 2008 du Conseil de sécurité, UN. Doc.S/RES/1828 (2008). 262 préoccupations sont telles que, en définitive, c’est le Conseil de sécurité qui a le dernier mot en ce qui concerne les poursuites 1. En cela, les dispositions de l’article 16 du Statut rejoignent celles de la Charte de l’ONU, qui confère au Conseil « la 2 responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales » . 3 Ainsi l’article 16 constitue une exception au devoir d’enquêter et de poursuivre . L’obligation du recours au chapitre VII devrait en principe impliquer la reconnaissance par le Conseil de sécurité d’une menace à la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression dans le cadre de l’article 39 de la Charte. Cela est censé fixer un minimum de conditions pour que le Conseil puisse émettre sa demande à la Cour. Lors des deux recours à l’article 16, avec les résolutions 1422 et 1487, le Conseil de sécurité n’a pourtant pas explicitement fait référence à une menace pour la paix, rupture de la paix ou acte d’agression. Pire, adoptant une lecture extensive de l’article 16, le Conseil de sécurité a fait une demande préventive à la Cour de n’engager et de ne mener aucune enquête concernant les personnels 4 d’un Etat non partie au Statut, contribuant à une opération de maintien de la paix . -En outre, la résolution 1593 outrepasse les carcans de l’article 16 du Statut de Rome. Cette résolution n’exclut pas seulement la compétence de la CPI, mais elle prévoit une compétence exclusive de tout Etat contributeur n’étant pas partie au Traité de Rome. En effet, la résolution 1593 semble neutraliser l’esprit du Statut de Rome qui s’est clairement fixé pour objectif de favoriser la répression des crimes internationaux les plus graves qui touchent l’ensemble de la Communauté internationale aussi bien sur le plan moral que juridique 5. De surcroît, l'étude de toutes ces résolutions concernant le pouvoir de sursis et son effet exige que cette étude soit menée à la lumière de l'article 16 du Statut de Rome. Cet 1 Poitevin (A.), Cour pénale internationale : les enquêtes et la latitude du Procureur, op. cit., pp. 104-106. Voir aussi : Le Conseil de sécurité, Département de l’information, Service des informations et des accréditations, le Conseil de sécurité débat du rôle de la Cour pénale internationale dans la réalisation des objectifs communs de pais et de justice, op. cit., le 17 octobre 2012 2 La Charte des Nations Unies (article 24-1). 3 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 16). 4 Le Conseil de sécurité, 4568e séance, 10 juillet 2002, UN. Doc.S/PV.4568. 5 Aumond (F.), L’humanité dans l’œuvre de René-Jean Dupuy, RDF, N° 5, 2005, p. 54. Voir aussi : Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp. 366-367. 263 article déclare que la demande de suspension par le Conseil de sécurité devrait être limitée à une période de douze mois, afin de ne laisser aucun moyen aux auteurs de crimes internationaux d'échapper à la justice selon le préambule du Statut. Bien qu’une telle suspension soit proprement perturbatrice du fonctionnement de la CPI et de son indépendance, le Conseil de sécurité dans ses résolutions 1422 et 1487 a respecté cette durée stipulée par l'article 16. En revanche, dans sa résolution 1497 pour le Liberia, il n'a mentionné aucune limite de durée de la suspension des enquêtes et des poursuites concernant les forces 1 de maintien de la paix . Autrement dit, la CPI attendra une nouvelle résolution du Conseil de sécurité qui lui permettra alors d’envisager des enquêtes et des poursuites concernant ces cas. Cela peut donc facilement paralyser totalement le fonctionnement de la CPI et porter atteinte à son indépendance 2. Confier au Conseil de sécurité un tel pouvoir est en réalité une mesure qui lui permet de contrôler le travail de la Cour. L’extrême politisation de cette institution et les pouvoirs de contrôle que le Statut de Rome lui a confiés mettent en doute sa crédibilité, en tant que Cour de justice indépendante ; en effet, nous nous demandons s’il est possible de sauvegarder son indépendance face aux fortes pressions politiques qui pourraient provenir du rôle prééminent attribué au Conseil de sécurité dans le cadre de la Cour. En tenant compte de la crise de légitimité et du manque de crédibilité de cet organe de l'ONU, les rôles du Conseil de sécurité, 3 prévus dans le Statut de Rome, restent dangereux . En effet, en vertu de ce pouvoir accordé au Conseil de sécurité, ce dernier a déjà subordonné l’activité de la Cour à sa volonté et surtout à celles de ses membres permanents par les résolutions 1422 et 1487. Ces derniers ont demandé de ne pas autoriser la CPI à statuer sur des crimes rentrant pourtant dans sa compétence en vertu du consentement des Etats impliqués, ou alors de l’autoriser seulement sur la base de la considération faite par le Conseil de sécurité que ces crimes seraient liés à une des situations dont il constatait l’existence en 1 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 52. 2 Ibid, pp. 52-53. 3 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 37-39. Voir aussi : Hugo (R.D.), La Cour pénale internationale : entre volontarisme étatique, lutte contre l’impunité et désir de l’efficacité, op. cit., http://cadtm.org/La-Cour-Penale-Internationale. 264 vertu de l’article 39 de la Charte. Un tel choix aurait donc fait fonctionner le pouvoir de veto 1 afin de paralyser la CPI . La question qui se pose ici est de savoir si la décision d’utiliser ou non le pouvoir de suspension du Conseil de sécurité est toujours prise au nom de la justice. En effet, il ne s’agit pas de la justice que le Conseil de sécurité vise par une telle décision, qui est davantage liée aux Etats en cause et leurs intérêts politiques et économiques. Ce constat soulève donc la question de la sélectivité dans la prise de décisions du Conseil de sécurité, a fortiori si ces décisions sont liées à la justice pénale internationale. Malgré l’existence de l’article 16 du Statut et du Chapitre VII de la Charte de l’ONU stipulant au Conseil de déférer une affaire à la Cour et le vote d’un possible sursis à enquêter ou à poursuivre de la Cour pendant une durée de douze mois renouvelable, les exigences américaines n’ont pu être satisfaites. Cette indépendance de la CPI par rapport à l’ONU fait écho à la méfiance des Etats-Unis face à l’indépendance du Procureur inscrite dans l’article 15 du Statut et des compétences étendues qui en découlent, malgré la création d’une Chambre Préliminaire devant laquelle le Procureur doit rendre compte de ses activités. Bien que le Conseil de sécurité ait pris ces résolutions, il n’a précisé aucun cas d’une menace contre la paix mais il mène une politique de prévention 2 pour protéger la paix et la sécurité internationales . Ainsi, ces résolutions, qui ne mentionnent pas de menace contre la paix et la sécurité internationales, peuvent être considérées comme un 3 geste sans précédent de la part du Conseil de sécurité . En effet, le Conseil de sécurité a décidé dans ses résolutions que les responsables ou personnels en activité ou les anciens responsables ou personnels d’un Etat contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome de la CPI seraient soumis à la compétence exclusive dudit Etat pour toute allégation d’actes ou d’omissions découlant de la force multinationale ou de la 1 Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 444. Voir aussi : Detais (J.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., p. 39. 2 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. Voir aussi : Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p.51. 3 Prezas (I.), La justice pénale internationale à l'épreuve du maintien de la paix à propos de la relation entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité, op. cit., p. 88. 265 force de stabilisation de l’ONU 1. L’innovation réside ici dans les importantes dérogations à la compétence juridictionnelle des Etats membres de l’ONU et privilégie la compétence exclusive de l’Etat contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome. Ainsi ces résolutions écartent la compétence territoriale, la compétence personnelle passive et même la compétence universelle 2. Or, le Conseil de sécurité a formellement ouvert la boîte de Pandore dans laquelle il pourra toujours puiser lorsque la compétence juridictionnelle de la CPI ou d’un Etat particulier s’avèrera gênante pour un des membres permanents. Enfin, octroyer au Conseil de sécurité le pouvoir de suspendre l’activité de la CPI reste avant tout une question aux enjeux politiques. Il s’agit de gratifier un organe politique d’un pouvoir de neutralisation d’une structure juridictionnelle. Le résultat trouvé par l’article 16 du Statut de Rome est loin d’être le bon traitement. En effet, malgré l’octroi au Conseil de sécurité du pouvoir de suspendre l’activité de la Cour, celle-ci exige une demande expresse de la part du Conseil de sécurité. On en arrive donc à la reconnaissance d’une forme de droit de veto « inversé» 3. 1 Voir : les résolutions 1422, 1487, 1953 et 1970 du Conseil de sécurité. 2 Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 57-58. 3 Pour plus d’informations, voir : Laucci (C.), Compétence et complémentarité dans le Statut de la future Cour pénale internationale, L’Observateur des Nations Unies, op. cit., p. 144. Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp. 350-353. Le rapport du Comité préparatoire pour la création d’une Cour criminelle internationale, vol. I, Travaux du Comité préparatoire en mars-avril et août 1996, A/51/22, 13 septembre 1996. 266 § II. De la position américaine et du principe de l’immunité L’entrée en vigueur d’une CPI a vite été remise en cause par les pressions américaines sur la société internationale. Le progrès de la justice pénale internationale vient de s’échouer sur les orientations politiques du gouvernement américain. La lutte contre le terrorisme, notamment après les attentats du 11 septembre 2001, a fait apparaître l’unilatéralisme américain. Le fait que les Etats-Unis soient engagés sur tous les fronts contre le terrorisme ne semble pas compatible avec l’existence d’une CPI permanente susceptible d’incriminer les armées américaines pour leurs actes découlant de cette mission. La politique anti-CPI est l’un des moyens pour garantir les buts affichés de l’Administration Bush. En revanche, Bill Clinton, malgré son opposition à certaines dispositions du Statut de Rome, l’avait finalement signé, ouvrant ainsi l’espoir d’un retour à une conception plus favorable de 1 la justice et de sa mise en œuvre de la part des Etats-Unis d’Amérique . Après l’entrée en vigueur du Statut de Rome, les Etats-Unis ont tenté de passer des accords d’impunité illégaux avec d’autres pays à travers le monde. Ces accords sont les conséquences d’une politique diplomatique forcenée qui peut faire pression sur les Etats dans la mesure où ces derniers ont des accords d’assistance militaire et commerciaux avec les Etats-Unis. Ces accords se comprennent par l’autorisation préalable des Etats à livrer leurs ressortissants. Dans la mesure où ces accords ne sont pas des « gentlemen’s agreements », c’est-à-dire liant seulement les chefs d’Etat de chaque pays, ils doivent être ratifiés par les deux instances législatives nationales. Les Etats-Unis légitiment ces accords par l’article 98-b du Statut de Rome, en les détournant à leur profit selon l’article 16. L’article 98 reconnaît la primauté des accords internationaux d’immunité et de leurs obligations sur le devoir de transférer tout individu soupçonné d’avoir commis un ou plusieurs crimes en vertu du Statut de Rome 2. En effet, cet article dispose dans son alinéa 1 que : « La Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de remise ou d’assistance qui contraindrait l’Etat requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière 1 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. 2 Ibid,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=13333537629 49. 267 d’immunité des Etats ou d’immunité diplomatique d’une personne ou de biens d’un Etat tiers, à moins d’obtenir au préalable la coopération de cet Etat tiers en vue de la levée de 1 l’immunité » . Cet alinéa démontre bien que les accords sont conformes aux dispositions de l’article. Cependant, en multipliant ces accords, les Etats-Unis font preuve de mauvaise foi en les signant juste avant l’entrée en vigueur du Statut de la CPI. Cette interprétation extensive de l’article 98 pose des freins à la lutte contre l’impunité pour les crimes les plus graves en permettant aux Etats non parties de se prémunir à la fois de la compétence de la Cour et des Etats parties 2. On est en droit de s’interroger sur la véritable portée qui le Statut de Rome détient face à la possibilité d’une interprétation à double tranchant de ses propres articles, l’article 98 en étant le témoignage le plus criant. De plus, les Etats-Unis ont lancé une nouvelle loi, l’American Service-membres’ Protection Acta/ ASPA qui est une loi de droit interne assurant l’immunité des ressortissants américains et résidents permanents contre la compétence de la CPI. Majoritairement votée au Sénat le 7 décembre 2001, elle est signée et promulguée le 2 août 2002 après l’échec de sa première version. Ses sections présentes dans 3 la législation ASPA témoignent clairement d’une farouche opposition à la CPI . Nous pouvons en citer quelques-unes : - l’interdiction de toute coopération avec la CPI de la part des tribunaux américains, des gouvernements local, fédéral et national. Cette section recouvre l’interdiction de toutes les enquêtes sur le sol américain ou d’assistance à la CPI 4; 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 98). 2 Amnesty international, site officiel d’Amnesty international, La Cour pénale internationale menacée par les Etats-Unis, op. cit., http://www.amnestyinternational.be/doc/agir-2099/nos-campagnes/justice-Internationale295/la-cour-penale-Internationale/article/la-cour-penale-Internationale. Voir aussi : CPCPI, site officiel de la coalition pour la Cour pénale internationale, Une Cour mondiale soutenue dans le monde entier, les Etats-Unis et la CPI, op.cit., http://www.iccnow.org/?mod=usaicc&lang=fr. 3 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. 4 CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, Représenter les victimes devant la Cour pénale internationale, diponible sur : http://www.icc-cpi.int/iccdocs/PIDS/OPCV/OPCVManualFra.pdf, référence de la page consultée le 22 mai 2011. Voir aussi : Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et 268 - la restriction de la participation des Etats-Unis dans des opérations onusiennes de maintien de la paix dans le cas où ces troupes ne seraient pas exemptées de la compétence de la Cour 1. - l’interdiction de toute assistance militaire des Etats-Unis aux Etats parties de la Cour à l’exception des membres de l’OTAN et de ses principaux alliés 2 ; - l’octroi au Président du droit d’utiliser «tous les moyens nécessaires et appropriés» pour libérer un membre du personnel civil américain qui serait détenu par la CPI. Cette section sous-entend la possibilité de recours aux forces armées pour parvenir à cette libération 3. La loi ASPA est donc un instrument juridique garantissant l’immunité des personnels civils et militaires américains. Elle fut approuvée dans le contexte des attentats du 11 septembre 2001. On peut observer cependant que la loi est surtout le reflet d’une politique de rupture avec le traditionnel et historique soutien des Etats-Unis envers des juridictions pénales internationales. Mais la lutte anti-CPI s’internationalise et les Etats-Unis sont parvenus à 4 garantir l’immunité de leurs ressortissants face à la Cour en droit international . Les EtatsUnis exigeaient que les affaires proposées à la Cour ne le soient qu’au nom d’un Etat. Cette proposition peut paraître anodine mais elle garantissait de facto une immunité pour les Etats- les juridictions pénales internationales, op. cit., http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762949. 1 Ibid,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=13333537629 49. A ce propos voir aussi : Novosseloff (A.), Les Etats-Unis et les Nations Unies, article disponible sur : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/FD001402.pdf, référence de la page consultée le 10 mai 2011, pp. 648-650. 2 Detais (J.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., pp.35-37. Voir aussi : Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. 3 Nots (C.), Terrorismes d'Etat 2001-2025, Editions Publibook, Paris, 2012, p. 426. 4 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. Voir aussi : Le Nouvel Observateur, Les Etats-Unis maintiennent leur hostilité totale à la création de la Cour : Bush contre la justice, article publié le 5 juillet 2002. Libération, Les Etats-Unis se mettent hors la loi, article publié le 5 juillet 2002. 269 Unis 1. Quel Etat aurait risqué de compromettre ses relations diplomatiques et économiques avec la superpuissance de «l’Oncle Sam» ? La proposition des Etats-Unis entraînait une justice sélective : les criminels des Etats les plus puissants ne risqueraient pas d’être inquiétés. Pour éviter une justice partiale de ce type, on proposa alors la création de la fonction de Procureur indépendant, qui pourrait décider de façon autonome, d’ouvrir une enquête sur telle ou telle affaire 2. Les Etats-Unis cédèrent à cette exigence uniquement lorsqu’ils prirent conscience qu’elle était inévitable, car fermement défendue par la quasi-totalité des délégations présentes. Ils s’arrangèrent alors (soutenus en cela par d’autres Etats) pour avoir la garantie qu’aucune enquête ne soit ouverte sans l’autorisation d’une chambre préliminaire. Les Etats-Unis, estimant devoir tout faire pour protéger leurs nationaux et ressortissants du risque d’être l’objet d’une enquête, voire d’une accusation, de la part de la CPI, déploient tout un arsenal de moyens dans ce sens, aussi bien dans le cadre national qu’international. Ainsi, la campagne anti-CPI comporte plusieurs volets 3. Grâce à leur position au Conseil de sécurité de l’ONU, les Etats-Unis sont parvenus à faire voter deux résolutions successives garantissant l’immunité de leurs civils face à la CPI. Se servant du renouvellement de la résolution 1357 du Conseil de sécurité expirant en juin 2002, concernant le délai supplémentaire de six mois du mandat de l’ONU et des forces de maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine, le gouvernement américain a exigé la mise en place d’un Statut d’immunité pour ses civils et ses militaires engagés dans des opérations onusiennes de maintien de la paix. Ce dernier les exempte d’éventuelles poursuites de la CPI4. Les tentatives ratées des Etats-Unis visant à modifier le Statut de Rome les ont poussés à chercher dans le Statut toute échappatoire permettant de protéger leurs citoyens contre des 1 Acontresens, Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, article disponible sur : http://www.acontresens.com/contrepoints/monde/26.html, référence de la page consultée le 3 juin 2011. 2 Syfou (M.), ( Palestiniens et la Palestine), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, article disponible sur : http://www.intervalle-dz.com/t2239-palestiniens-et-la-palestine, référence de la page consultée le 23 mai 2011. Voir Aussi : Acontresens, Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.acontresens.com/contrepoints/monde/26.html. 3 Syfou (M.), ( Palestiniens et la Palestine), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.intervalle-dz.com/t2239-palestiniens-et-la-palestine. 4 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. Voir aussi : La résolution 1375 du 21 juin 2001, du Conseil de sécurité, UN. Doc.S/RES/1357 (2001). 270 poursuites devant la CPI. Quelques jours après l’entrée en vigueur du Statut de Rome, Washington a contesté la compétence de la CPI sur les crimes commis par des individus n'appartenant pas à un Etat partie si ces crimes avaient eu lieu sur le territoire d'un Etat partie même si ces individus avaient été en mission officielle dans ce pays. En effet, Washington a trouvé ce qu'il voulait dans l'article 16 du Statut de Rome. Après un premier refus des autres membres permanents sur ce Statut d’exception et les votes successifs de résolutions de prolongement du mandat de l’ONU en Bosnie-Herzégovine sur de courtes durées, les EtatsUnis sont parvenus enfin au vote à l’unanimité de la résolution 1422 le 12 juillet 2002 1. Ils ont fondé légalement cette résolution sur l’article 16 du Statut de Rome qui autorise le Conseil de l’ONU à mettre en sursis les enquêtes et poursuites mises en œuvre par la CPI pour une durée de douze mois renouvelable. L’immunité serait donc considérée comme un sursis. Il y a là un détournement de l’article 16 au profit d’un Statut juridique international d’immunité des personnels américains 2. Malgré sa force, la réaction internationale a pris fin avec l'adoption de la résolution N° 04 de la Commission des droits de l'homme de l'ONU qui condamne explicitement le contenu de la résolution 1422. Le 12 juin 2003, la résolution 1422 a été renouvelée par la résolution 1487 à l’unanimité 3. Grâce à ces deux résolutions, les Etats-Unis ont contourné l’absence de droit de veto et de contrôle du Conseil de sécurité sur la CPI en instrumentalisant l’article 16 du Statut de Rome et en légalisant l’immunité. Les renouvellements des résolutions démontrent que l’article 16 est devenu une arme de contrôle automatique du Conseil de sécurité sur les activités de la CPI en amendant son Statut. De plus, il est fondamental de noter que les Etats parties au Statut n’ont pas eu le droit de voter ainsi que le 1 La résolution 1422 du Conseil de sécurité, op. cit., le 12 juillet 2002. 2 Pour plus d’informations, voir : Detais (J.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., pp.35-36. Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. Burgorgue-Larsen (L.), les Etats-Unis d’Amérique et la justice pénale internationale, entre l’utilisation et et l’instrumentalisation du droit international, in Ben Achour (R.), Laghmani (S.), Le Droit international à la croisée des chemins, force du droit et droit de la force, Pédone, Paris, 2004, pp. 233-269. Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., 27 avril 1999. 3 Pour plus d’information, voir : Fernandez (J.), Genèse et déclin de l’esprit de Rome, Vol.VII, 2 0 0 6 , pp. 59-62. 271 Conseil de sécurité et les membres permanents qui ont le droit de veto ne sont que cinq dont 1 certains ne sont pas parties au Statut . Le renouvellement de la résolution 1487 s’est heurté à une opposition des membres du Conseil de sécurité dans un contexte international de 2 scepticisme à l’égard de la politique internationale américaine . La résolution 1422 viole l'article 16 du Statut de Rome en ce qu'elle systématise le dessaisissement de la CPI pour toute affaire concernant des responsables ou des personnels en activité ou d'anciens responsables ou des personnels d'un Etat contributeur des forces de l’ONU qui ne serait pas partie au Statut de Rome à raison d'actes ou d'omissions liés à des opérations établies ou autorisées par l'Organisation des Nations Unies 3. L'immunité consacrée concerne à la fois des citoyens d'Etats non-parties et ceux d'Etats parties au Statut de Rome. Il suffit par conséquent que l'Etat contributeur à une opération onusienne soit un Etat non partie, peu importe que les personnes placées sous son commandement soient des nationaux d'Etats parties ou non, pour que l'ensemble de son personnel soit à l'abri de la compétence de la CPI4. Cette résolution 1422 du Conseil de sécurité adoptée en juillet 2002, puis renouvelée en juin 2003 par la résolution 1487, a accordé l’immunité au personnel des Etats non parties de la CPI qui participent aux missions établies ou autorisées de l’ONU pendant une durée renouvelable 1 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. 2 Amnesty international, site officiel d’Amnesty international, La Cour pénale internationale menacée par les Etats-Unis, op. cit., http://www.amnestyinternational.be/doc/agir-2099/nos-campagnes/justice-Internationale295/la-cour-penale-Internationale/article/la-cour-penale-Internationale. Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les Voir juridictions aussi : Bonnefoy pénales (S.), internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. 3 FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Non à l’exception américaine : sous couvert de la lutte contre le terrorisme, l’offensive américaine contre la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.fidh.org/IMG/pdf/cpi345n8.pdf. Detais (J.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., p.39. FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Buch négocie l’impunité des soldats américains en Irak, article disponible sur : http://edu.fidh.org/BUSH-NEGOCIE-L-IMPUNITE-DES, référence de la page consultée le 10 mars 2011. 4 FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Cour pénale internationale : les Etats-Unis menacent l’Union européenne, op. cit., http://www.fidh.org/Cour-penaleInternationale-les. 272 de douze mois. Les membres de la CPI soutiennent les conclusions des experts juridiques de plusieurs pays, selon lesquelles cette résolution est incompatible avec le Statut de Rome, car elle témoigne d’un usage incorrect du Conseil de sécurité, et contredit la Charte de l’ONU et 1 le droit international . Conformément aux résolutions 1422 et 1487, les Etats parties tombent dans l’illégalité car ils préservent les « immunités » d’un ressortissant américain en sa «qualité officielle». Ces résolutions s’opposent aussi aux articles 59 et 87-5 du Statut, respectivement sur l’obligation de remettre à la Cour toute personne ayant commis un ou des crimes rentrant dans son mandat (article 5 du Statut) et l’obligation de coopération d’un Etat non partie avec cette dernière 2. Ces résolutions du Conseil de sécurité sont émises, en effet, dans l’illégalité car l’article 27 du Statut perd sa substance. Cet article dans son alinéa 2 stipule que : «les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, 3 n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne » . Il est vrai que cet article au départ a été créé pour les hauts fonctionnaires, comme par exemple un chef d’Etat. Cependant, cela n’empêche pas d’appliquer cet article aux militaires ou aux responsables des forces de l’ONU puisque le Conseil de sécurité suspend les enquêtes et les poursuites concernant les participants aux opérations de maintien de la paix et de la sécurité internationales en raison de leur qualité officielle en tant que participants aux forces de l’ONU. Le Conseil de sécurité dans ses résolutions 1422 et 1487 a bien respecté la durée limitée de renouvellement existant dans l'article 16 concernant la suspension de travail de la CPI. En revanche, dans sa résolution 1497 concernant le Liberia, le Conseil de sécurité n'a 1 CPCPI, site officiel de la coalition pour la Cour pénale internationale, Une Cour mondiale soutenue dans le monde entier, les Etats-Unis et la CPI, op. cit., http://www.iccnow.org/?mod=usaicc&lang=fr. Voir aussi : Detais (J.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., pp.31-32. Kinombe (C.), Le Conseil de sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale: dépendance ou indépendance ?, op. cit., http://www.memoireonline.com/12/12/6553/Le-Conseil-de-Securite-des-Nations-Unies-et-la-Cour-PenaleInternationale-dependance-ou-indepe.html. Burgorgue-Larsen (L.), les Etats-Unis d’Amérique et la justice pénale internationale, entre l’utilisation et et l’instrumentalisation du droit international, op. cit., pp. 233-269. 2 Bonnefoy (S.), Lewandowska (D.), Leandri (L.), Les Etats-Unis et les juridictions pénales internationales, op. cit.,http://www.utcapitole.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1333353762 949. 3 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 27). 273 voté aucune limite de temps. La suspension prévue dans cette résolution est donc illimitée et accorde par conséquent aux forces de maintien de la paix, une immunité indéfinie. Cette résolution constitue une violation flagrante : premièrement, selon l'article 16 du Statut de Rome, qui a défini une période de seulement douze mois pour suspendre l’activité de la CPI. Deuxièmement, selon l’article 27 qui déclare que la CPI ne reconnaît aucun système d'immunité quel que soit le Statut de l'accusé. Le Conseil de sécurité a totalement ignoré ces textes et n’a précisé aucune limite, ce qui signifie une immunité permanente des forces de 1 maintien de la paix de l’ONU . En effet, comme la suspension est naturellement temporaire, il n’est donc pas possible qu’elle soit permanente, surtout si cette suspension constitue une exception à la règle générale du Statut de Rome, l'objectif étant d’établir la justice et de maintenir la paix et la sécurité internationales. Au contraire, cela peut créer une sorte d'immunité permanente au profit des forces de la paix de l’ONU sans justification claire. Les résolutions 1422 et 1487 ont créé un nouveau principe pour fournir l'immunité aux forces de la paix, et cela montre que 2 l'article 16 du Statut de Rome a été mal interprété . Cependant, quelques années plus tard, cette campagne anti-CPI a pris fin par manque d'efficacité. Les Etats-Unis ont d’ailleurs joué un rôle clef dans la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité sur la situation du Soudan et de la Libye, non seulement en n’opposant pas leur veto, mais surtout en soutenant cette saisine. L’élection de Barak Ozama et de la nouvelle majorité au Congrès américain sont porteurs d’un changement de la politique américaine. A cet égard, le 5 février 2009, Barak Ozama a publiquement soutenu la CPI et l’émission 1 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 52. Voir aussi : Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 72. 2 Didat (M.), Les articulations entre les juridictions nationales et la justice internationale : complément nécessaire et suffisant ?, Centre de droit internationalet de sociologie appliquée au droit international, Bruxelles, 2005, p. 11. Pour plus d’informations, voir : Detais (J.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale, op. cit., p. 39. Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 68. FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, La Cour pénale internationale : les Etats-Unis menacent l’Union européenne, op. cit., http://www.fidh.org/Cour-penale-Internationale-les. Voir aussi : Croix rouge, site officiel de la Croix rouge, Les résolutions 1422 (2002) et 1487 (2003) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le « maintien de la paix par les Nations Unies », problèmes au regard du Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.croix-rouge.be. 274 1 possible d’un mandat d’arrêt contre le président soudanais . Cependant on se demande si ces efforts américains reflètent une réelle volonté de stopper la campagne anti-CPI. En sus, il est vrai que les Etats-Unis ont été en faveur de la saisine dans la situation soudanaise et même dans celle de la Libye. La prise de position américaine a toujours été claire envers la CPI, et le consentement des Etats-Unis concernant la saisine des situations soudanaise et libyenne confirme cette position. Mais ce n'est pas pour la justice que les EtatsUnis ont accepté ces saisines. Ils ont utilisé ces résolutions non seulement pour réaliser leurs objectifs politiques et économiques dans ces pays, mais aussi pour pouvoir à la fois saisir et protéger ainsi qu’assurer l’immunité de leurs ressortissants : - par la résolution 1593 pour le Soudan, le Conseil de sécurité a envoyé la situation soudanaise devant la CPI. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité, après avoir mentionné (sans raison) l’article 16 du Statut, « Décide que les ressortissants, responsables ou personnels en activité ou anciens responsables ou personnels, d’un Etat contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale sont soumis à la compétence exclusive dudit Etat pour toute allégation d’actes ou d’omissions découlant des opérations au Soudan établies ou autorisées par le Conseil ou l’Union africaine ou s’y rattachant, à moins d’une dérogation 2 formelle de l’Etat contributeur » . - dans la résolution 1970 concernant la Libye, le Conseil de sécurité décide de renvoyer la situation libyenne à la CPI. Il a également mentionné l’article 16 du Statut de Rome : le Conseil de sécurité « Décide que les ressortissants, responsables ou personnels en activité ou anciens responsables ou personnels, d’un Etat autre que la Jamahiriya arabe libyenne qui n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale sont soumis à la compétence exclusive dudit Etat pour toute allégation d’actes ou d’omissions découlant des opérations en Jamahiriya arabe 1 FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, La CPI : les premières années de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.fidh.org/Cour-penale-Internationale-les. 2 La résolution 1953 du Conseil de sécurité, op cite., le 31 mars 2005. 275 libyenne établies ou autorisées par le Conseil ou s’y rattachant, à moins d’une 1 dérogation formelle de l’Etat » . Dans ces résolutions, il est à observer que le Conseil de sécurité a utilisé une pratique en violation flagrante du Statut de Rome. Les résolutions 1593 et 1970 contiennent des dispositions dans lesquelles la compétence de la Cour est exclue sans aucune limitation de suspension et sans aucune mention à une juridiction compétente autre que celle de l’Etat du ressortissant. Par ces résolutions, le Conseil de sécurité n’a pas déféré à la CPI une demande de suspension mais il a décidé, discrétionnairement, que seule la juridiction de l’Etat du ressortissant était compétente pour juger les actes des participants des forces établies ou autorisées au Soudan et en Libye. La demande de suspension prévue dans l’article 16 du Statut de Rome a disparu dans ces résolutions pour laisser la place à une décision unilatérale du Conseil de sécurité 2. Autrement dit, dans ces résolutions, le Conseil de sécurité décide que les ressortissants d’un Etat autre que le Soudan et la Libye, qui n’est pas partie au Statut de Rome de la CPI, sont soumis à la compétence exclusive dudit Etat pour toute allégation d’actes ou d’omissions découlant des opérations au Soudan et en Libye établies ou autorisées par le Conseil ou s’y rattachant, à défaut d’une dérogation formelle de l’Etat. Le but est évident : éviter que des poursuites puissent viser des membres des forces armées (américaines) en cas d'intervention militaire des Etats-Unis au Soudan ou en Libye. Sans cette restriction, les Etats-Unis auraient 3 très certainement opposé leur veto à la saisine de la Cour . En effet, les résolutions 1593 et 1970 déférant à la CPI la situation au Darfour et en Libye ne se singularisent pas seulement comme étant les premiers cas de saisines de la juridiction permanente par le Conseil de sécurité. Elles contiennent une disposition dont la conformité avec le Statut de Rome semble 1 La résolution 1970 du Conseil de sécurité, op. cit., le 26 février 2011. 2 Aumond (F.), La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, op. cit., p. 127. Voir aussi : Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp. 363-364. 3 Bourguignon (J.), L’affaire libyenne devant la Cour pénale internationale, op. cite., http://www.lepetitjuriste.fr/droit-international/droit-international-public/laffaire-libyenne-devant-la-cour-penaleInternationale. Voir aussi : Le Conseil de sécurité, Département de l’information, Service des informations et des accréditations, Le Conseil de sécurité impose des sanctions contre le régime de Qadhafi à la suite de la répression meurtrière en Libye, 6491e séance – soir, le 26 février 2011. La résolution 1970 du Conseil de sécurité, op. cit., le 26 février 2011. 276 très douteuse. Les Etats-Unis restent toujours contre la CPI, sans aucun changement de leur politique en ce qui concerne la justice pénale internationale, sauf si la CPI sert leurs propres intérêts politiques et économiques, ce qui est bien plus dangereux pour l’idée même d’une justice universelle 1. En effet, les résolutions 1593 et 1970 pourraient affecter l’objet même de la Convention de Rome dans son ensemble en ce qu’elle vise à lutter contre l’impunité 2. En outre, il faut prendre en compte la forte sélectivité de la politique américaine. D’un côté, nous remarquons cette insistance américaine pour assurer l'immunité réaliste et totale pour leurs ressortissants face à la compétence de la CPI en appliquant l'article 16 du Statut, malgré l'opposition de la majorité des pays dans le monde. D’un autre côté, nous notons paradoxalement une forte insistance américaine à ne pas utiliser l'article 16 du Statut de Rome dans le cas des chefs d’Etat soudanais et libyen, malgré l'approbation d'un grand nombre d’Etats présents. Enfin, il est clair que ces résolutions du Conseil de sécurité n'ont pas seulement violé le Statut de Rome, mais aussi la Charte de l’ONU elle-même. Cela conduit à dire que ce genre de décisions facilitent et encouragent à commettre ces crimes en donnant l'immunité à certaines personnes, et cela est inadmissible. De plus, cela encourage les pays 3 participants aux opérations de l'ONU à ne pas adhérer au Statut de Rome . 1 Ascensio (H.), Maison (R.), L’activité des juridictions pénales internationales, op. cit., p. 430. 2 Decaux (E.), La crise du Darfour : chronique d'un génocide annoncé, op. cit., p. 751. 3 Pour plus d’informations, voir : Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 57. Voir aussi : FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, La Cour pénale internationale et le Darfour, op. cit., http://www.fidh.org/IMG/pdf/Q_A_Bechir_FR_final.pdf. Burgorgue-Larsen (L.), les Etats-Unis d’Amérique et la justice pénale internationale, entre l’utilisation et et l’instrumentalisation du droit international, op. cit., pp. 233-269. 277 Titre II Le rôle potentiel du Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression 278 La compétence de la CPI se limite à certains crimes considérés comme de graves atteintes au droit international. Cette compétence exclut d'autres violations des droits de l'homme, même si la violation de ces droits obéit à une politique étatique. Les violations considérées, ne constituant pas des crimes internationaux, relèveraient ainsi des mécanismes internationaux de contrôle et surveillance ainsi que du droit pénal interne des Etats 1. En ce qui concerne les crimes au regard du droit international, les délits qui tombent sous la compétence de la CPI sont les suivants : 1) Le crime de génocide, limité au cadre classique défini suivant les critères énoncés 2 par le Tribunal de Nuremberg et par la Convention de 1948 . 2) Les crimes contre l'humanité qui comprennent la disparition forcée des personnes et l'emploi de la torture. 3) Les crimes de guerre, dont les figures se trouvent décrites dans les Conventions de Genève de 1949. 4) La Cour exercera sa compétence à l'égard du crime d'agression quand une disposition, qui définira ce crime et fixera les conditions d'exercice de la compétence de la Cour à son égard, aura été adoptée conformément aux articles 121 et 123. Cette disposition devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte de l’ONU 3. D'après l'énumération des crimes sur lesquels la Cour pourra exercer sa compétence, il faut tenir compte du fait que l’agression est souvent à l'origine de pratiques criminelles des gouvernements, avec des répercussions dramatiques sur la population civile. Nous pouvons citer, parmi d'autres, les cas chilien et argentin, où les intérêts des multinationales et des 1 Ntaganda (E.), De la paix collective à la justice répressive, in De la paix à la justice, Cahier du centre de gestion des conflits, n°6, Butare, 2002, pp. 30-32. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale (paragraphe 6 du préambule et l’article 17). 2 La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (CPRCG), est un traité de droit international approuvé à l'unanimité le 9 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations Unies. Elle est entrée en vigueur le 12 janvier 1951. 3 Hugo (R.D.), La Cour pénale internationale : entre volontarisme étatique, lutte contre l’impunité et désir de l’efficacité, op. cit., http://cadtm.org/La-Cour-Penale-Internationale. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 5 à 8). 279 institutions financières internationales ont joué un rôle important dans la pratique criminelle 1 de ces régimes totalitaires . Avant de commencer à aborder la question de la compétence de la CPI et le rôle du Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression, il est important de signaler, que nous traitons cette question, car le Statut donne compétence à la CPI pour juger les responsables des crimes visés par l'article 5, qui ont été commis après l'entrée en vigueur de son Statut. Il s’agit des crimes contre l’humanité, crimes de guerre, du génocide et du crime d'agression. Mais nous remarquerons que le Statut de Rome a suspendu la compétence de la Cour à l’égard de ce dernier à certaines conditions. Ces conditions sont en rapport avec le Conseil de sécurité. Indépendamment des questions juridiques, pratiques et théoriques, soulevées par ces exigences, leur inexistence pourrait bien entendu entraver l’activité de la CPI vis-à-vis du crime d’agression, pouvant aller jusqu’à toucher à l’indépendance de la Cour. En effet, la question de la compétence de la CPI à l’égard du crime d’agression est une question complexe. Cela exige d’étudier dans un premier temps la compétence de la CPI conditionnée par la définition du crime d’agression (Chapitre I), et par la suite d’aborder le rôle donné au Conseil de sécurité par la modification du Statut de Rome à l’égard du crime d’agression (Chapitre II). 1 Weckel (P.), La Cour pénale internationale, présentation générale, op. cit., p. 988. Voir aussi : Hugo (R.D.), La Cour pénale internationale : entre volontarisme étatique, lutte contre l’impunité et désir de l’efficacité, op. cit., http://cadtm.org/La-Cour-Penale-Internationale. 280 Chapitre I La compétence de la Cour pénale internationale conditionnée par la définition du crime d’agression 281 L’agression était déjà interdite par le droit international avant la Seconde Guerre mondiale, constituant un acte illicite engageant la responsabilité internationale de l’Etat agresseur. Mais ce n’est qu’en 1945, avec le Statutdu Tribunal militaire international de Nuremberg, que l’agression sera reconnue comme un crime international pouvant engager la responsabilité pénale individuelle de ses auteurs, et définie comme étant un crime contre la 1 paix . Un crime d’agression a lieu lorsqu’un Etat a recours à la force armée contre un autre Etat, en violation de la Charte de l’ONU, qui stipule que : « les membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute 2 autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies » . Cependant, le recours à la force ne constitue pas un crime d’agression : - dans les cas de légitime défense, individuelle ou collective, autorisée par la Charte de l’ONU. - Lorsque le recours à la force est autorisé par le Conseil de sécurité de l’ONU dans 3 le but de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationales . En effet, depuis la création de l’ONU, l’agression d’un Etat par un autre, a toujours été considérée comme un crime contre la paix. Il s’agit d’un crime particulier dont la définition fait l’objet de nombreuses propositions : les pays n’ont pas emprunté la même voie ni la même méthode pour le définir. Dans cette étape nous aborderons la recherche de la définition du crime d’agression de Versailles à la Conférence de Rome (Section I), ce qui nous permettra d’étudier en profondeur le rôle éventuel du Conseil de sécurité adopté à Rome (Section II). 1 TRIAL (Track Impunity Always), Définitions des crimes, article disponible sur : http://www.trial- ch.org/fr/ressources/droit-international/definition-des-crimes.html, référence de la page consultée le 12 janvier 2011. Voir aussi : Le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg (article 6). 2 La Charte des Nations Unies (article 2). 3 Ibid, (articles 42 et 51). 282 Section I. La définition de l’agression : du Traité de Versailles à la Conférence de Rome La notion de crime d'agression définit les crimes commis par les personnes ou les Etats ayant préparé, accompli ou promu un conflit armé visant à déstabiliser un ou plusieurs Etats souverains. La définition d'un crime d'agression n'est pas encore fixée dans le Statut de Rome ; lorsqu'elle le sera, les personnes ayant commis un tel crime, pourront être poursuivies devant la CPI. En juillet 1998 à Rome, lors de la Conférence qui a adopté le Statut de la CPI, une brèche est restée ouverte dans le champ de la compétence matérielle de la Cour. Si le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre avaient trouvé leur définition, celle du crime d’agression a été renvoyée à une Conférence de révision après l’entrée en vigueur du Statut 1. Ici, nous donnerons une idée générale de la question classique de la définition du crime d’agression (§ I), et aborderons par la suite les propositions et négociations concernant ce crime lors de la Conférence de Rome (§ II). § I. La question classique de la définition du crime d'agression Le crime d’agression doit être jugé internationalement. Il se rattache aux crimes contre la paix, visés à l’article 277 du Traité de Versailles qui prévoyait le jugement de l’Empereur. Mais cela laisse entier le problème de sa définition. La SDN, puis l’ONU, se sont essayées, sans succès, à définir le crime d’agression de 1925 à 1974. En effet, ce crime fait 1 Pour plus d’informations, voir : Currat (P.), Définir le crime d’agression à Kampala, BPI, 15 Octobre 2010, pp. 1-2. V oir aussi : Tshibala (D.M), La saisine de la cour pénale internationale, cas de l'affaire laurent gbagb, article disponible sur : http://www.memoireonline.com/02/13/6875/m_La-saisine-de-la-cour-penale- internationale-cas-de-laffaire-laurent-gbagbo1.html, référence de la page consultée le 10 février 2011. FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, Cour pénale internationale : La route ne s'arrête pas à Rome, op. cit., http://www.fidh.org/rapports/r266.htm. TRIAL (Track Impunity Always), Définitions des crimes, op. cit., http://www.trial-ch.org/fr/ressources/droit-international/definition-des- crimes.html. Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-313_mono.html#toc20. Tambwe (P.S), De l'analyse critique des règles de compétence de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.memoireonline.com/07/09/2253/De-lanalyse-critique-des-regles-de-competence-de-la-cour-penaleinternationale.html. 283 1 écho aux crimes contre la paix, définis par l’article 6 du Statut de Nuremberg . Le crime d’agression, eût-il existé dans le Statut du TPIY, obligerait à enquêter sur les raisons de l’entrée en guerre des différents pays, décision éminemment politique. En effet, l’enquête sur le génocide doit porter sur la décision de détruire tout ou partie d'un groupe racial, national, ethnique ou religieux en tant que tel et l’expérience montre, en ex-Yougoslavie comme au Rwanda, qu’elle est prise au plus haut échelon politique. De même pour les crimes contre l’humanité, qui sont le plus souvent l’expression de la politique d’un Etat, décidée à son sommet. Les enquêtes pour les crimes relevant de la compétence de la CPI portent donc toujours et par nature sur des éléments politiques. Ainsi, l’inculpation du président en exercice au Soudan, revêt incontestablement une dimension politique, tout comme l’inculpation chef d’Etat libyen et de ses personnels. De plus, au vu du conflit armé existant au Darfour comme sur la plupart des terrains sur lesquels intervient la Cour, l’enquête sur les décisions d’entrer dans le conflit, de l’initier ou d’y participer est inéluctable, quand bien même la qualification d’agression n’est pas en jeu. En outre, comment la CPI pourrait-elle réellement construire sa crédibilité à long terme si sa compétence porte sur un crime dont on est incapable d’apporter la définition ? Il y a là une contradiction manifeste avec le principe de légalité : la compétence de la CPI demeurera boiteuse tant que cette difficulté n’aura pas 2 été résolue . Après des années de discussions, l’Assemblée générale a adopté une définition de l’agression dans sa résolution 3314 du 14 décembre 1974. Celle-ci définit l’agression comme étant : « l'emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la 1 Pellet (A.), Compétence matérielle et modalités de saisine, in La Cour pénale internationale : droit et démocratie, La Documentation française, Paris, 1999, p. 51. Pour plus d’informations, voir : Lemasson (AT.), Le crime contre la paix ou crime d’agression, de la réactivation d’une infraction de droit international classique, RSCDPC, 2006, pp. 27 3-290. Maison (R.), La responsabilité individuelle pour crime d’Etat en droit international public, Collection de droit international, Bruylant, Bruxelles, 2004, pp. 77-80. 2 Currat (P.), Ajouter enfin le crime d’agression aux compétences de la CPI, article disponible sur : http://www.letemps.ch/Facet/print/Uuid/356360cc-6f4e-11df-95cc af86b8145834/Ajouter_enfin_le_crime_dagression_aux_comp%C3%A9tences_de_la_CPI, référence de la page consultée le 20 juin 2010. Voir aussi : Kamto (M.), L’agression en droit international : Enfin une définition du crime d’agression, Pédone, Paris, 2010, p. 82. Assemblée Nationale, Mission d’information sur le Rwanda, Rapport d’information, N° 1271, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 décembre 1998. 284 1 Charte des Nations Unies, ainsi qu'il ressort de la présente définition » . Cette définition est complétée par une liste non exhaustive d’actes constituant une agression. Nous y trouvons notamment : « L'invasion ou l'attaque du territoire d'un Etat par les forces armées d'un autre Etat, ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d'une telle invasion ou d'une telle attaque, ou toute annexion par l'emploi de la force du territoire ou d'une partie du territoire d'un autre Etat. Le bombardement, par les forces armées d'un Etat, du territoire d'un autre Etat, ou l'emploi de toutes armes par un Etat contre le territoire d'un autre Etat. Le blocus des ports ou des côtes d'un Etat par les forces armées d'un autre Etat »2. Pourtant, ces dispositions sont soumises à une large marge discrétionnaire réservée au Conseil de sécurité quant à la qualification d’un acte en tant qu'agression. D’autre part, la résolution ne précise 3 pas si ce crime entraîne la responsabilité pénale individuelle . La reprise des travaux de la CDI en 1982, sur le projet de Codes des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, a relancé le débat sur l’opportunité de codifier le crime d’agression et sur le problème de l’inclusion dans ce code d’une définition de l’agression. Ce projet, adopté en 1996, stipule simplement que : « tout individu qui, en qualité de dirigeant ou d’organisateur, prend une part active dans, ou ordonne, la planification, la préparation, le déclenchement ou la conduite d’une agression commise par un Etat, est responsable de crime d’agression» 4. La CDI s’en est tenu à l’incrimination de la participation individuelle de ce crime. Pourtant, il est difficile de séparer clairement le régime de la responsabilité individuelle 5 de celui de la responsabilité étatique . 1 La résolution 3314 de l’Assemblée générale de l’ONU, du 14 décembre 1974, (article premier). 2 Ibid, (article 3). 3 Dumée (M.), Le crime d’agression, in Ascencio (H.), Decaux (E.), et Pellet (A.), Droit international pénal, CEDIN, Pédone, Paris, p. 264. Voir aussi : La résolution 3314 de l’Assemblée générale de l’ONU, du 14 décembre 1974. 4 Le projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité présenté par la Commission de droit international, 1981. Voir aussi : La résolution 3314 de l’Assemblée générale de l’ONU, op. cit., (article 5). 5 Pazartzis (P.), La répression pénale internationale des crimes internationaux, op. cit., p. 36. Voir aussi : Le projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité présenté par la Commission de droit international, 1981. La résolution 3314 de l’Assemblée générale de l’ONU du 14 décembre 1974 (article 5). 285 Concernant la CPI, il y a eu assez vite un consensus pour réduire sa compétence à l’égard des quatre crimes qui sont définis à l’article 5 du Statut de Rome. En effet, s’agissant des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité, le droit international avait de façon continue considéré qu’il s’agissait de crimes de nature internationale, c’est-à-dire comme le précise l’article 5 du Statut, de crimes les plus graves touchant l’ensemble de la Communauté internationale. De plus, le caractère international de ces crimes était bien évidemment acquis du fait de l’adoption et de l’entrée en vigueur des quatre conventions de Genève du 12 août 1949 et des deux Protocoles additionnels de 1977. Quant au crime d’agression qui figurait comme les trois autres dans le projet élaboré à l’origine par la CDI, il comporte une particularité qui a été à plusieurs reprises invoquée simultanément dans le Statut du Tribunal de Nuremberg, puis dans la Charte de l’ONU : il est resté en quelque sorte un crime, dénommé, mais jamais définitivement identifié. Les contours exacts de cette qualification 1 juridique restent donc encore à préciser . En effet, concernant le crime d’agression, « tant au plan définitionnel que juridictionnel, la réaffirmation au droit international classique, qui préserve la souveraineté des Etats, a été préférée aux élans d’innovation qui promeuvent l’essor de la justice pénale internationale. Il y a ainsi, quant à la définition, une double référence aux principes de Nuremberg et à la résolution 3314 de l’Assemblée générale des Nations Unies »2. La CPI ne pourra connaître ce crime que le jour où il sera défini selon la procédure prévue pour amender et réviser le Statut. L’adoption d’un Amendement pourra être effectuée par l’Assemblée des Etats parties ou par une conférence de révision qui ne pourra se tenir que sept ans après l’entrée en vigueur du Statut de Rome 3. Cette décision est étrange à plus d’un titre. En effet, il est étonnant de geler l’incrimination d’un fait que le Tribunal militaire de Nuremberg avait qualifié de crime international suprême, ne différant des autres crimes de 1 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., pp. 37-38. Voir ausii : Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-313_mono.html#toc20. 2 Lafontaine (F.), Tachou-Sipowo (A.G.), Tous les chemins ne s’arrêtent pas à Rome : la révision du Statut de la Cour pénale internationale à l’égard du crime d’agression ou la difficile conciliation entre justice pénale internationale et sécurité internationale, RBDI, Bruxelles, 2009, pp. 78-115, p. 79. 3 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 121-3). 286 guerre que du fait qu’il les contient tous 1. Autrement dit, plus le crime est grave, moins les Etats sont en accord. Ensuite, il semblerait qu’on ait considéré que ni le concept défini dans les Statuts des tribunaux militaires internationaux et appliqué par ceux-ci, ni la définition arrêtée par l’Assemblée générale de l’ONU le 14 décembre 1974 dans sa résolution 3314, n’étaient d’une quelconque utilité pour la définition de l’infraction portée par le Statut, après plus de vingt ans de discussion. En réalité, si beaucoup d’Etats arabes et africains étaient favorables à la définition portée par la résolution 3314, d’autres Etats souhaitaient que l'on réduise le champ d’application de cette définition et que l’on revienne plutôt à celle figurant au Statut du Tribunal de Nuremberg. Quoi qu’il en soit, l’agression est une infraction trop grave pour que sa poursuite soit laissée à l’appréciation discrétionnaire d’un simple procureur. Si l’Irak avait reconnu, sur la base de l’article 14 du Statut de Rome, la compétence de la CPI la veille de son intervention par les Etats-Unis et le Royaume-Uni en mars 2003, et si l’agression avait fait partie des infractions que la CPI aurait pu connaître, eût-il été concevable que le Procureur puisse attraire les responsables de cette intervention ? Il est compréhensible, dès lors, que les Etats, en particulier les grandes puissances, n’aient pas voulu instituer un Procureur sous forme d’électron libre, pour des faits qui relèvent de leurs choix politiques les 2 plus fondamentaux . Le conflit permanent, entre normes délicates d’inspiration morale et politiques juridiques dirigées par les intérêts particuliers des Etats 3, a été une des raisons pour lesquelles les propositions de définition n’ont jamais pu générer de consensus. En effet, « La tâche de la définition de crimes était inégalement ardue : relativement facile pour le génocide, elle était plus compliquée pour les crimes de guerre, encore plus pour les crimes contre l’humanité et elle était carrément impossible pour l’agression »4. Lorsqu’il est question de répression pénale internationale, les considérations politiques entrent toujours en ligne de compte. Le crime d’agression est directement lié à la volonté politique. Ce crime n’échappe pas à cette 1 Lemasson (AT.), Le crime contre la paix ou crime d’agression, de la réactivation d’une infraction de droit international classique, op. cit., pp. 273-279. Voir aussi : Maison (R.), La responsabilité individuelle pour crime d’Etat en droit international public, op. cit., pp. 77-79. 2 David (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., pp. 370-371. Voir aussi : Bassiouni (C.), L’expérience des premières juridictions pénales internationales, op. cit., pp. 655-659. 3 Kamto (M.), L’agression en droit international, op. cit., p. 82. 4 Pellet (A.), Compétence matérielle et modalités de saisine, op. cit., p. 46. 287 règle 1. Pour d'aucuns, la raison en est simple. Il s’agit évidemment du crime international par nature le plus politique, de sorte que les Etats ont toujours eu la préoccupation obstinée de n’être jamais liés par une quelconque définition afin de conserver les mains libres. En d’autres termes, engager une discussion sur la définition du crime d’agression aurait impliqué, aux yeux de nombreux Etats, le risque d’ouvrir une véritable boîte de Pandore 2. Cependant, certains Etats s’y sont efforcés, comme Cuba et l’Irak, qui, à plusieurs reprises, ont tenté d’amorcer une discussion sur la nature criminelle de l’embargo. Cela peut alors ouvrir la 3 possibilité d’attaquer les pratiques des Etats dominants . 1 Dumée (M.), Le crime d’agression, op. cit., pp. 250-254. 2 Ondo (T.), Réflexion sur la responsabilité pénale internationale du chef d’Etat africain, RTDH, 69/2007, pp. 163-164. 3 Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 38. Voir aussi : Abou Alkair (A.), La Cour pénale internationale permanente, op. cit., p. 210. 288 § II. La Conférence de Rome : propositions et négociations Tout d’abord, il faut noter que l’examen des travaux préparatoires de la Charte de l’ONU permet de relever que plusieurs amendements proposés par les Etats fondateurs avaient pour objectif d’insérer dans cette Charte une définition de l’agression afin de rendre effectif son système de sécurité collective. Parmi ces amendements, celui de la Bolivie, qui se caractérise par son pragmatisme et sa motivation, retiendra particulièrement l’attention. Il reconnaît le rôle déterminant des grandes puissances, membres permanents du Conseil de sécurité avec un droit de veto dans le règlement des conflits qui peuvent surgir à tout moment entre les Etats membres de la Communauté internationale. Pour assurer et garantir la paix, il préconise l’action collective internationale sous l’égide du Conseil de sécurité mais il considère que cette action ne deviendra effective que si nous lui donnons une définition de l’agression et que nous procédons à l’identification de l’Etat agresseur. Cette identification s’opérerait par le truchement d’une liste établissant les cas d’agression en vertu desquels le Conseil de sécurité agirait automatiquement. Selon la délégation bolivienne, l’automaticité de l’action du Conseil de sécurité revêt une importance particulière. Elle produirait nécessairement un effet dissuasif sur les Etats sachant par avance que s’ils commettent un acte d’agression, ils pourront tomber sous le coup de sanctions internationales. Cet Amendement 1 fut discuté aux séances de la Commission de la Conférence de San Francisco . En effet, la question de la définition du crime d’agression a fait l’objet de vives controverses. Certains favorisaient tout d’abord, une définition d’ordre général avec un rôle actif du Conseil de sécurité. Ensuite, d’autres défendaient une définition générale avec une liste. Certains exemples nous permettront de mieux comprendre cette divergence. En ce qui concerne les défenseurs d’une définition générale, la Colombie, proposait qu’outre l’identification de l’auteur du crime d’agression, celle-ci doive impérativement porter atteinte à la souveraineté, l’intégrité territoriale ou encore l’indépendance politique d’un Etat. De plus, aux termes de la Conférence de Rome, la Commission préparatoire a présenté une proposition comprenant une définition générale ainsi que des éléments 1 Compte-rendu de la IXe séance du comité III/3 ; 18 mai 1945, p. 345 (Doc, 442, III/3/20). 289 constitutifs du crime d’agression. Elle a ainsi exposé les conditions selon lesquelles la CPI pourra exercer sa compétence à l’égard de ce crime 1. Ensuite, parmi ceux qui étaient en faveur d’une définition avec une liste, nous trouvons les ONG. Elles préconisaient l’établissement d’une juridiction universelle indépendante des Etats et particulièrement du Conseil de sécurité. Elles étaient contre une définition générale du crime d’agression. Leur argument principal consistait à dire que l’agression est un crime de nature différente de celle des autres crimes énumérés dans le Statut de Rome, dans la mesure où la constatation de son existence relève de l’appréciation d’un organe politique : le Conseil de sécurité 2. De plus, de nombreuses délégations, dont celles des Etats arabes, se sont exprimées en faveur de la reprise de la résolution 3314 de l’Assemblée générale, qui effectuait une définition globale du crime d’agression en y incluant une liste non exhaustive 3. L’Arménie quant à elle, a proposé une définition sur la base de la même résolution en essayant de trouver un compromis. Néanmoins, la proposition arménienne au lieu de rassembler les Etats autour d’une même définition n’a fait qu’accroître leur division 4. Enfin, le Cameroun admettait deux axes. Tout d’abord, il suggérait que la CPI punisse le crime d’agression sans porter atteinte aux pouvoirs du Conseil de sécurité exercés en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. Ensuite, il proposait une séparation technique et formelle de la définition du crime d’agression par rapport au rôle du Conseil de sécurité. Le Conseil de sécurité se charge de constater et sanctionner l’agression en tant que crime de l’Etat ; la CPI, quant à elle, se charge de la répression du crime d’agression en tant que crime de l’individu 5. 1 Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 338-342. Voir aussi : CPI : site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc- cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx. Pendant les négociations, cette opposition a été fortement soutenue par certains pays arabes et africains. 2 FIDH, site officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, disponible sur : http://www.fidh.org/, référence de la page consultée le 12 février 2011. CPI : site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 11 janvier 2011. 3 Voir : la résolution 3314 de l’Assemblée générale de l’ONU, op. cit., (articles 1et 3). 4 Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 345-346. 5 CPCPI, site officiel de la coalition pour la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.iccnow.org/?mod=usaicc&lang=fr, référence de la page consultée le 22 février 2011. Voir aussi : 290 Cette seconde option présente l’avantage de relier l’agression commise par un Etat à l’agression en tant que crime de l’individu, tout en garantissant l’autonomie de décision de la CPI en ce sens 1. Par la suite, nous pouvons constater l’importance du rôle du Conseil de sécurité. En effet dans la proposition camerounaise, le Conseil de sécurité et la CPI auraient exercé leur compétence à l’égard de ce crime de manière séparée, sans concurrence de domaines. Alors, le Conseil de sécurité pourrait constater le crime d’agression et se chargerait de la sanction de l’agression étatique. De son côté, la CPI s’occuperait de la responsabilité de la répression du crime d’agression en tant que crime de l’individu. En sus, sans aller jusqu’à refuser l’insertion de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome, certaines délégations comme celles de l’Inde, de Cuba, et du Mexique, se sont opposées à une définition précisant le rôle déterminant du Conseil de sécurité. Finalement, à l’issue d’âpres discussions, une large majorité d’Etats s’est prononcée en faveur d’une définition du crime d’agression reconnaissant le rôle essentiel du Conseil de sécurité dans la détermination de l’agression, même si des divergences ont resurgi quant aux modalités de ce rôle. La majorité des pays non-alignés, plus enclins à être victimes de l’agression, et l’ayant effectivement été au cours de l’histoire, ont opté pour une définition générale 2. Par ailleurs, lors de la Conférence de Rome, les Etats qui assuraient les opérations de maintien de la paix, soutenaient avec fermeté que la qualification d’un acte d’agression par le Conseil de sécurité devait constituer une condition préalable et indispensable à tout renvoi d’une situation devant la CPI. Une fois ce préalable acquis, il relèverait alors de la compétence de la Cour d’apprécier s’il y a ou non préparation d’un crime d’agression. De Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-septième session (2 mai – 21 juillet 1995). CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icccpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 10 décembre 2010. 1 Le rapport de la Commission préparatoire pour la création d’une CPI, projet de Statut d’Acte final : A/Conf.183/2/Add.2, 1998. Voir aussi : Kamto (M.), L’agression en droit international, op. cit., pp. 89-90. 2 Altaif (A.), La Cour pénale internationale entre volonté et obligation, étude présentée à la Conférence Internationale de la Cour pénale internationale, Tripoli, 2006, p. 12. Voir aussi : Lafontaine (F.), TachouSipowo (A.G.), Tous les chemins ne s’arrêtent pas à Rome : la révision du Statut de la Cour pénale internationale à l’égard du crime d’agression ou la difficile conciliation entre justice pénale internationale et sécurité internationale, op. cit., p. 75-85. 291 plus, les membres permanents, pour conforter leur position, ont réclamé lors de la Conférence de Rome le dessaisissement automatique de la Cour dès lors que le Conseil de sécurité avait 1 été saisi sur le fondement du Chapitre VII de la Charte de l’ONU . A ce propos, rappelons que les exigences de Washington, concernant le rôle du Conseil de sécurité, étaient partagées par les cinq membres permanents, qui craignaient un conflit possible entre la compétence de la CPI et la fonction du Conseil de sécurité. Cette crainte s’exprimait par rapport à la compétence de la CPI à l’égard du crime d’agression car ces Etats estimaient que la définition du crime d’agression ne devait pas conduire à reconnaître à la CPI un rôle qui méconnaisse la mission assumée par le Conseil de sécurité. Les Etats-Unis, membre permanent du Conseil de sécurité, voulaient que la compétence de la CPI ne puisse s’exercer sur ce crime qu’une fois que le Conseil de sécurité avait constaté 2 qu’une agression avait eu lieu . En effet, les Etats-Unis estimaient que les actes d’agression n’entraînaient pas tous une responsabilité pénale individuelle. En outre, toute définition devait préciser les faits qui, dans des circonstances également déterminées, sont constitutifs du crime. Cette définition devait encore mentionner explicitement le rôle exclusif que la Charte confie au Conseil de sécurité dans la détermination de l’existence d’une agression, condition préalable à l’exercice de la compétence judiciaire de la CPI3. A la suite de la Conférence de Rome, un consensus semblait se dessiner sur l’adoption d’une définition mixte du crime d’agression englobant une approche générique et une liste précisant les actes d’agression. Enfin, aucune proposition demandant la reprise 1 Ibid, pp. 12-42. Voir aussi : Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 346. Le rapport du Comité préparatoire pour la création d’une Cour criminelle internationale, A/CONF.183/2/Add.1, 14 avril 1998. 2 Coulée (F.), Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 40. Voir aussi : Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 349. 3 Scheffer (D.), Compte-rendu analytique de la 9e séance plénière, 17 juillet 1998, § 29. Voir aussi : Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 348. Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-313_mono.html#toc17. 292 1 intégrale de la définition de l’Assemblée générale ne fut agréée . Les Etats participant à la Conférence de Rome ne sont pas parvenus à un compromis à cause du blocage sur le rôle du Conseil de sécurité. Certains se sont fortement opposés à son intervention 2, comme condition préalable à l’exercice de la compétence de la CPI, tandis que d’autres, notamment les membres permanents au Conseil de sécurité, souhaitaient que seul cet organe, en vertu de la 3 Charte de l’ONU, soit compétent pour qualifier préalablement l’acte d’agression . 1 Dobelle (J.F.), La Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 360. Voir aussi : Kamto (M.), L’agression en droit international, op. cit., pp. 88-91. 2 Pendant les négociations, cette opposition a été fortement soutenue par certains pays arabes et africains. 3 Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 338-346. 293 Section II. Le rôle éventuel du Conseil de sécurité vis-à-vis du texte adopté à Rome Les questions de la définition du crime d’agression et de la détermination de l’organe compétent pour définir ce crime, ont toujours été épineuses au niveau international. La meilleure preuve est de constater que les délégations ont formulé des points de vue forts différents lors de la Conférence de Rome. Indépendamment de ce qui s'est passé là-bas, les Etats présents avaient atteint une sorte de compromis, plus ou moins acceptable, entre ces différents points de vue. Cet accord ne signifie pas nécessairement que la CPI ne soit pas compétente pour l'examen du crime d'agression, mais il n'a pas non plus été décidé que cette Cour puisse exercer sa compétence à l’égard de ce crime après l'entrée en vigueur de son Statut. Cet accord, conclu et mentionné dans l'article 5 du Statut de Rome, rend la CPI compétente à l’égard du crime d'agression, mais soumet cette compétence à certaines conditions. Celles-ci, dans l'ensemble, sont en rapport avec le Conseil de sécurité et ses pouvoirs prévus en vertu de la Charte de l’ONU. Alors, il nous faut en premier lieu étudier le texte convenu qui a été adopté à Rome concernant le crime d'agression (§ I), avant d’aborder la discussion sur le rôle du Conseil de sécurité à l’égard de ce crime (§ II). §I. Le texte adopté à Rome concernant le crime d’agression Lors de l’adoption du Traité de Rome, le crime d’agression a été, après d’âpres négociations, inséré, mais non défini, dans le Statut de Rome de la CPI. Celui-ci, par article 5, reconnaît la compétence de la CPI, mais laisse en suspens la définition du crime d’agression et précise dans son paragraphe 2 que la Cour exercera sa compétence à l’égard du crime d’agression dans une définition qui aura été adoptée 1 conformément aux articles 121 et 123 définissant ce crime et fixera les conditions de l’exercice de la compétence de la Cour à son 1 L’article 5-2 du Statut de la Cour pénale internationale déclare que « La Cour exercera sa compétence à l'égard du crime d'agression quand une disposition aura été adoptée conformément aux articles 121 et 123, qui définira ce crime et fixera les conditions de l'exercice de la compétence de la Cour à son égard. Cette disposition devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies ». 294 1 égard . Ainsi, la compétence de la CPI en matière de crime d’agression n’est, pour l’instant, que virtuelle. Elle ne sera effective que lorsqu’un avenant au Statut, sous forme de nouvelle convention, aura qualifié ce crime 2. Mais, il faut noter qu’il est vraisemblable que dans la plupart des cas, les trois autres crimes relevant de la compétence de la Cour, crime de génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre, seront précédés d’un crime d’agression. Il serait parfaitement illogique et contre-productif, de ne pas réprimer le crime à la source de 3 tous les autres . Les Etats disposeront, en vertu de l'article 5 du Statut et à travers la Commission préparatoire pour la CPI, de sept ans de réflexion pour aboutir à une définition claire du crime d'agression. La France défend sur ce point une conception qui tend à préserver les prérogatives du Conseil de sécurité, premier responsable, en vertu de l'article 39 du Chapitre VII de la Charte de l’ONU pour déterminer l'existence d'un acte d'agression. Cette détermination par le Conseil de sécurité serait une condition préalable et nécessaire au renvoi d'une situation devant la Cour. Une fois ce préalable éventuellement acquis, il serait alors de la compétence de la Cour d'apprécier s'il y a eu ou non, dans le cadre de l'acte d'agression reconnu par le Conseil, commission d'un crime d'agression. Cette position française, énoncée au cours de l'année 1999, tend à éviter que la Cour ne devienne une nouvelle instance, qui serait alors concurrente du Conseil de sécurité, devant laquelle les Etats viendraient porter 4 leurs différends politiques militaires, ce qui nuirait à l'efficacité et à la crédibilité de la CPI . L'article 5 du Statut de Rome, qui énumère les crimes relevant de la compétence de la Cour, précise dans son paragraphe 2, que la Cour ne sera de fait compétente à l'égard du crime d'agression que lorsqu'un avenant au Statut, sous forme d'une nouvelle convention, aura défini ce crime 5. Le texte précise que « cette disposition devra être compatible avec les 1 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 5, 121 et 123). Guglielmi (G.J.), Cours des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, Thème 5 : Les sources internationales, Université Panthéon-Assas (Paris II), Second semestre 2004-2005, pp. 32-33. 3 Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 338-337. 4 Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-31311.html. 5 Ibid, http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-313_mono.html#toc20. 295 dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies »1. Il n'existe pas, en effet, d'instrument international normatif à vocation universelle définissant l'agression 2. Certains textes, de portées bien différentes, étaient toutefois à la disposition des négociateurs de Rome : - le Statut de Nuremberg qui, dans son article 6 (a), définit les crimes contre la paix comme « la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent » 3. - la définition de l'agression annexée à la résolution 3314 de l'Assemblée générale de l’ONU en date du 14 décembre 1974. Elle a été adoptée par consensus mais n'a pas de valeur normative. Elle ne donne au demeurant qu'une définition très vague qui relève de l'évidence : « l'agression est l'emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies [...] »4. En effet, paradoxalement, le Statut affirme que la Cour aura compétence pour juger du crime d’agression, tandis que les Etats ont montré leur impuissance à s'accorder sur sa définition. L’exigence des Etats présumés plus ou moins maîtres du jeu international de ne pas être entravés par une quelconque définition, se retrouve tout naturellement dans l’article 5 du Statut de Rome, qui rappelle que la définition de ce crime devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte de l’ONU 5. En d’autres termes, les Etats membres permanents du Conseil de sécurité ont réaffirmé leur souci de permettre à ce Conseil de jouer 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 5). 2 Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-31311.html. 3 Le Statut du Tribunal de Nuremberg (article 6-A). 4 La résolution 3314 de l'Assemblée générale de l’ONU, op. cit., 14 décembre 1974. 5 Ondo (T.), Réflexion sur la responsabilité pénale internationale du chef d’Etat africain, op. cit., pp. 163-164. 296 1 le rôle de filtre nécessaire et préalable à toute qualification du crime d’agression . Ce problème ne pouvait que resurgir lors des discussions portant sur l’adoption du Statut de la CPI. Le crime d’agression a finalement été inclus dans la compétence de cette Cour, mais sa définition a été reportée à des travaux ultérieurs, dont le résultat sera soumis à la conférence de révision qui devra se tenir sept ans après la date d’entrée en vigueur du Statut de Rome. Le Traité de Rome a prévu l’instauration d’une Commission préparatoire à la CPI, dont l’une des missions est la définition du crime d’agression et les modalités d’exercice par la Cour de sa compétence à son égard. Cette Commission s'est réunie pour la première fois en février 1999. Un Groupe de travail sur le crime d’agression a été mis en place dès la troisième session le 19 novembre 1999 2. L’inauguration de la CPI a eu lieu à La Haye, aux Pays-Bas. En principe, cette CPI est aussi compétente pour les crimes d’agression. Mais, dans le contexte actuel, quel Etat 3 oserait prendre le leadership sur la délicate question de la définition de ce crime ? La CPI n’était pas encore affranchie de toutes les raisons d’Etat et les divergences de vues concernant le crime d’agression ne purent être résolues pendant cette Conférence ; le crime fut inclus, mais les travaux concernant sa définition et les éléments constitutifs, reportés. Il y a fort à parier que des pressions exercées par les Etats-Unis, se renouvelleront, car le Pentagone s’est toujours opposé à l’inclusion du crime d’agression dans le champ de compétence de la Cour. Il faudrait donc une énorme dose de courage politique pour progresser sur la voie de la sanction du crime d’agression, puisqu’avant de poursuivre des individus, le 1 Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-313_mono.html#toc20. Voir aussi : Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 38. 2 Tambwe (PS.), De l'analyse critique des règles de compétence de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.memoireonline.com/07/09/2253/De-lanalyse-critique-des-regles-de-competence-de-la-cour-penaleinternationale.html. Voir aussi : Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98313_mono.html#toc20. 3 Dubrulle (C.), La Cour pénale internationale : une compétence sur le crime d’agression à finaliser, article disponible sur : http://survie.org/bpem/dossiers-thematiques/justice-penale-internationale/revue-de-presse- 297/article/cour-penale-internationale-une, référence de la page consultée le 12 avril 2010. 297 Conseil de sécurité doit déterminer si oui ou non un Etat en a agressé un autre 1. Enfin, il est vrai que l’article 5 du Statut de Rome a permis de reconnaître la compétence de la CPI sur le crime d’agression. Néanmoins, l’insertion de ce crime dans le Statut de Rome ne s’est pas faite sans inquiétudes. Nonobstant ce succès, les pouvoirs du Conseil de sécurité prévus dans le Statut de Rome, en particulier en ce qui concerne son pouvoir de saisir et celui de suspension, redoublent les craintes d’une utilisation politique de la part de ce Conseil. De plus, les risques d’un renvoi ou d’une suspension politique, ainsi qu’une définition du crime d’agression par le Conseil de sécurité, dépendant du bon vouloir de certains Etats, constitueraient de nouveaux écueils pour le bon fonctionnement de cette Cour et son indépendance 2. 1 Ibid,http://survie.org/bpem/dossiers-thematiques/justice-penale-internationale/revue-de-presse-297/article/cour- penale-internationale-une. Voir aussi : Tambwe (PS.), De l'analyse critique des règles de compétence de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.memoireonline.com/07/09/2253/De-lanalyse-critique-desregles-de-competence-de-la-cour-penale-internationale.html. 2 Voir : infra, pp. 325-336. Nous traiterons les craintes et les obstacles causés par l’intervention du Conseil de sécurité dans la compétence de la CPI à l’égard du crime d’agression. 298 § II. Le rôle du Conseil de sécurité : une discussion ouverte Tout d’abord, il faut noter que l’adoption par consensus au sein de l’Assemblée générale de l’ONU de la résolution 3314, a été saluée comme un événement historique dans l’évolution du droit international, alors que d’autres l’ont considérée comme irréaliste, 1 lacunaire et conservatrice . Notre propos n’est pas ici de l’étudier de manière approfondie, mais de mettre en évidence le rôle déterminant du Conseil de sécurité, consacré à définir la qualification d’acte d’agression. La définition, conformément à la Charte de l’ONU, dès le premier considérant de son préambule, souligne que l’un des buts essentiels de l’ONU est de maintenir la paix et la sécurité internationales ainsi que de prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces contre la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix. Si dans le premier considérant, la référence au rôle déterminant du Conseil de sécurité est implicite, le deuxième reconnaît explicitement le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité en rappelant les termes de l’article 39 de la 2 Charte garantissant ainsi la liberté de son jugement . La primauté du Conseil de sécurité, dans la qualification d’acte d’agression, n’est pas uniquement affirmée dans le préambule et les articles 2 et 4 de la résolution 3314 de l’Assemblée générale de l’ONU 3. L’article 2 pose le principe de l’antériorité afin d’écarter 4 toute justification de la guerre préventive . Il en découle que le Conseil de sécurité est en mesure de tenir compte des autres circonstances pertinentes, y compris le fait que les actes en 1 Zourek (J.), Enfin une définition de l’agression, AFDI, 1975, pp. 9-20. Voir aussi : Hasbi (A.), Lamouri (M.), La définition de l’agression à l’épreuve de la réalité, in Discours juridique sur l’agression et réalité internationale, réalités du droit international contemporain, 6e Rencontres de Reims, Publications Universitaires de Reims, pp. 25-45. 2 Dupuy (R.J.), L’impossible agression : les Malouines entre l’ONU et l’OEA, op. cit., pp. 338-339. Voir aussi : Mbongo (P.), La qualité des décisions de justice, Editions du Conseil de l’Europe, 2007, pp. 21-22. 3 L’article 2 dispose que « L'emploi de la force armée en violation de la Charte par un Etat agissant le premier constitue la preuve suffisante à première vue d'un acte d'agression, bien que le Conseil de sécurité puisse conclure, conformément à la Charte , qu'établir qu'un acte d'agression a été commis ne serait pas justifié compte tenu des autres circonstances pertinentes, y compris le fait que les actes en cause ou leurs conséquences ne sont pas d'une gravité suffisante. » et l’article 4 déclare que «L'énumération des actes ci-dessus n'est pas limitative et le Conseil de sécurité peut qualifier d'autres actes d'actes d'agression conformément aux dispositions de la Charte ». 4 Hasbi (A.), Lamouri (M.), La définition de l’agression à l’épreuve de la réalité, op. cit., p. 22. 299 cause ou les conséquences ne sont pas d’une gravité suffisante. En définitive, le Conseil de sécurité, en vertu de son pouvoir discrétionnaire est en droit de renverser la preuve de la présomption d’agression, il peut se fonder sur l’insuffisance de gravité de l’acte ou de 1 circonstances pertinentes, qui couvrent l’absence d'intention agressive . D’ailleurs, une liste des actes d’agression a été dressée par l’article 3, mais cette liste n’est pas limitative, mais 2 seulement indicative . D'autre part, l’article 4 de la résolution 3314 précise que le Conseil de sécurité peut qualifier d’autres actes comme actes d’agression, conformément aux dispositions de la Charte de l’ONU. Autrement dit, si la situation l’exige, le Conseil de sécurité peut, de sa propre initiative, compléter la liste d’actes d’agression dressée par l’article 3, mais il n’en demeure pas moins que l’exigence de conformité de ces actes aux dispositions de la Charte apporte la preuve irréfutable que le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité en la matière n’est ni 3 arbitraire ni illimité . Du reste, le Conseil de sécurité s’est jusqu’alors refusé à employer le terme « agression », préférant avoir recours aux autres expressions proposées par l’article 39 de la Charte de l’ONU et parler de « menace contre la paix », ou « rupture de la paix »4. En outre, il est tout de même rare que la rupture de la paix ne soit pas la conséquence d’un acte d’agression. En revanche, la notion de rupture de la paix n’est pas neutre, mais nous faisons comme si tel était le cas et qu’elle résultait de la survenance d’une situation dont nous ne discernons pas à qui en imputer la production. Elle permet ainsi de s’évader de la recherche et 5 de la dénonciation du coupable . 1 La Charte des Nations Unies (article 2). 2 Pour plus d’informations, voir : Supra, pp. 284-285. Voir aussi : Dupuy (P.M.), Les grands textes de droit international public, 4e édition, Dalloz, Paris, pp. 279-281. 3 Bothe (M.), Les limites des pouvoirs du Conseil de sécurité, Colloque de l’Académie de droit international de la Haye (21 au 23 juillet 1992), 1993, pp. 67-81. Voir aussi : Cahin (G.), La notion de pouvoir discrétionnaire appliquée aux organisations internationales, RGDIP, 2003/3, p. 535. 4 Comme c’était le cas concernant la guerre des Malouines en 1982 et la guerre de Corée en 1950, le Conseil de sécurité déclare qu’il prend « acte de l’invasion armée». 5 Dupuy (R.J.), L’impossible agression : les Malouines entre l’ONU et l’OEA, op. cit., p. 343. 300 En effet, le rôle du Conseil de sécurité dans la qualification de l’acte d’agression a toujours été une question complexe à laquelle plusieurs solutions variées ont été proposées : une proposition a été adoptée par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Ce dernier est le seul organe compétent en vertu de la Charte pour qualifier les actes d'agression, ce qui devrait prendre en compte les pouvoirs du Conseil de sécurité, même en vertu du Statut de la CPI. En ne donnant pas à la Cour le pouvoir de se prononcer sur tout incident relatif à l'agression, une décision du Conseil de sécurité doit alors auparavant, déterminer si l'incident est un acte d'agression ou non. Une autre proposition a été adoptée par une majorité particulière des pays arabes, ainsi que les Etats membres du Mouvement des non-alignés. Les partisans de cette tendance ont fortement contesté la qualification de l’acte présentée devant la Cour, en tant qu'acte d'agression ou non, par la compétence exclusive du Conseil de sécurité, et cela, en raison de plusieurs facteurs que nous allons résumer ci-dessous : - Accorder ce pouvoir discrétionnaire au Conseil de sécurité conduirait à la politisation de la CPI en reliant son fonctionnement à des résolutions du Conseil de sécurité, sans oublier que la Cour a été constituée par un Traité pour lui assurer l'indépendance. - Il est acceptable que le Conseil de sécurité devienne une source d'information pour la CPI, mais il ne peut en aucun cas être le seul organe autorisé à qualifier l’acte d'agression. - Le Conseil de sécurité, étant donné sa nature politique peut, parfois, être incapable de prouver l'existence d'un acte d'agression, et ce en raison de l'absence de compétence juridique, qui peut être nécessaire dans certains cas pour vérifier la survenance de l'agression. Cela peut détruire la relation d’équilibre nécessaire entre la juridiction pénale de la CPI d'une part et d'autre part, la nature politique qui caractérise les actions du Conseil de sécurité en vertu de la Charte de l’ONU. - Conférer au Conseil de sécurité la compétence exclusive de la détermination de l'existence d'une agression donnerait à ce Conseil un nouveau moyen par lequel il 301 pourrait appliquer une politique de double standard, basée sur le principe d'une 1 justice sélective . Il est remarquable que ces propositions se fondent sur des points de vue différents : du point de vue juridique, on serait en mesure de dire que la première opinion qui soutient le monopole de l'autorité du Conseil de sécurité à déterminer l’existence de l’acte d'agression, a une base plus puissante parce qu'elle est fondée sur l'article 39 de la Charte de l’ONU. Elle est aussi compatible avec ce qui a été exigé par l'article 5 du Statut de Rome qui a stipulé que la définition adoptée devait être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte de l’ONU pour que la Cour puisse exercer sa compétence à l'égard du crime d'agression. Mais du point de vue de l'évaluation politique et pratique, il est constaté que la proposition qui rejette le pouvoir du Conseil de sécurité de déterminer l’acte d'agression est la mieux fondée. Face aux actions du Conseil de sécurité au cours des dernières années, la crainte des partisans de cette proposition semble fondée, voire réalisée 2. Même si le Conseil de sécurité détient le pouvoir discrétionnaire de maintenir la paix et la sécurité internationales en cas de rupture de la paix ou d'un acte d’agression, il n'en reste pas moins que la réticence du Conseil de sécurité à invoquer l’imprononçable agression est 3 incompréhensible . L’Assemblée générale, dans sa définition, et le Statut de Rome, ont néanmoins confirmé son rôle déterminant dans la constatation de l’agression. De son côté, le Statut de Rome prévoit la conformité des dispositions du Statut de Rome à la Charte de l’ONU, soulevant ainsi la question de la super-légalité internationale, qui consiste en la reconnaissance de l’existence de normes supérieures qui s’imposeraient à tous, auxquelles 1 Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., p. 52. Pour plus d’information sur ce sujet, voir : Tomarchio (A.), Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale : les fondements d’un refus, op. cit., pp. 53-70. Le Conseil de sécurité, Département de l’information, Service des informations et des accréditations, le Conseil de sécurité débat du rôle de la Cour pénale internationale dans la réalisation des objectifs communs de pais et de justice, op. cit., le 17 octobre 2012. Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-313_mono.html#toc20. 2 Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., pp. 25-43. Voir aussi : Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 4 à 8 ). 3 Hasbi (A.), Lamouri (M.), La définition de l’agression à l’épreuve de la réalité, op. cit., p. 27. Voir aussi : Dupuy (R.J.), L’impossible agression : les Malouines entre l’ONU et l’OEA, op. cit., p. 342. 302 aucune dérogation n’est permise. A cet égard, il importe de dire que le Traité de Rome n’est pas le seul à reconnaître cette supériorité. La Charte de l’ONU, elle-même, dans son article 1 103, la consacre également . L’inclusion du crime d’agression dans le Statut, obtenue dans les derniers jours de la Conférence de Rome, est le fruit d’un compromis qui, s’il permet en apparence à la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de celui-ci, n’offre aucune garantie que cette Cour puisse un jour effectivement poursuivre les auteurs de ce crime, bien au contraire. L’application à l’Amendement de l’article 5 du Statut des exigences de majorité de vote prévues pour tout Amendement au Statut, offrait à elle seule peu d’espoir qu’un tel Amendement n'intervienne un jour. En effet, l’article 121-3 du Statut de Rome prévoit que « L'adoption d'un amendement lors d'une réunion de l'Assemblée des Etats Parties ou d'une conférence de révision requiert, s'il n'est pas possible de parvenir à un consensus, la majorité des deux tiers des Etats Parties ». La seule perspective d’exercer pour la Cour sa compétence relativement au crime d’agression à l’égard de tout Etat partie, et même plus largement de tout Etat membre de l’ONU, résidera une fois l’Amendement intervenu, dans la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité 2. Il semble que la déclaration de la compétence de la CPI à l’égard du crime d’agression ne sera effective qu’après une qualification de ce crime. La définition du crime d’agression devra établir une large compétence au profit du Conseil de sécurité dans la constatation 3 préalable d’un acte d’agression . La compétence de la CPI sur le crime d’agression est donc 1 Carreau (D.), Droit international, 7e édition, Pédone, Paris, 2001, p. 73. Pour une thèse opposée voir : Weil (P.), Vers une normativité relative en droit international, RGDIP, 1982, p. 6. 2 Pour plus d’informations, voir : Schwebel (S M.), Aggression, intervention and self-defence, RCADI, 1972-11, vol.136, pp. 433-435. Voir aussi : Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., pp. 441-450. Laucci (C.), Compétence et complémentarité dans le Statut de la future Cour pénale internationale, op. cit., p. 145-160. 3 Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-313_mono.html#toc20. Voir aussi : Abougrara (M.), Les compétences de la Cour pénale internationale, Mémoire de fin d’étude de DEA, présenté à l’Université d’Alfateh, Tripoli, 2001, pp. 73-82. Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, op. cit, p. 338. 303 dépendante du pouvoir politique de constatation accordé au Conseil de sécurité, qui pourra ainsi bloquer l’action de la CPI. Ce pouvoir du Conseil de sécurité est confirmé non seulement par l’Assemblée générale dans sa résolution définissant le crime d’agression, mais aussi par le Statut de Rome 1. 1 Ibid, pp. 349-360. 304 Chapitre II Le rôle donné au Conseil de sécurité par la modification du Statut de Rome à l’égard du crime d’agression 305 Le rôle du Conseil de sécurité concernant le crime d’agression, a été, en effet, l’un des aspects les plus controversés de la relation entre la CPI et le Conseil de sécurité. L’inclusion du crime d’agression a, tout au long des travaux préparatoires, donné lieu à de vives discussions, allant de la question de son inclusion au rôle réservé au Conseil de sécurité en cas de compétence de la Cour à l’égard de ce crime. Les oppositions sur les réponses à apporter à toutes ces questions ne sont bien sûr pas nées lors de l’élaboration du Statut de Rome. L'acte d'agression, comme nous l'avons vu, fait de longue date l’objet de controverses au sein de l’ONU. Il n’a pas été possible lors de la Conférence de Rome, pour des raisons pratiques évidentes, en particulier par manque de temps, de rapprocher les points de vue 1. Il est vrai que le Statut de Rome avait décidé que la compétence de la Cour serait suspendue en cas de crime d'agression, mais il a également été décidé que ce Statut serait révisé sept ans après son entrée en vigueur, par un groupe spécial chargé d'examiner la définition du crime d'agression et de la compétence de la Cour à l’égard de ce crime, un groupe appelé : Groupe de Travail Spécial sur le Crime d’Agression /GTSCA. Ce groupe doit, dans sa mission et ses propositions, tenir compte de ce que prévoient la Charte de l’ONU et le Statut de Rome en ce qui concerne le crime d’agression. Il doit également présenter son travail à la Conférence de révision prévue sept ans après l'entrée en vigueur du Statut. En effet, les négociations lors de la Conférence de Rome et le Statut de la CPI n’ont débouché que sur un report de la définition du crime d’agression à la prochaine Conférence de révision. Il n’a été procédé qu’à une insertion du crime d’agression dans le texte du Statut; la question de la définition étant repoussée et ce, à la grande satisfaction des membres permanents du Conseil de sécurité 2. Depuis que ce groupe GTSCA a été créé et qu'il a commencé sa mission concernant le crime d'agression, les sept années suivant l'entrée en vigueur du Statut se sont écoulées. 2010 a été l'année de la révision du Statut de Rome, ainsi que du crime d'agression dont la 1 Medina (JE.), Le crime d’agression devant la Cour pénale internationale, le Journal du Centre de droit international, article publié le 7 décembre 2011, p. 8. Voir aussi : Tambwe (PS.), De l'analyse critique des règles de compétence de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.memoireonline.com/07/09/2253/Delanalyse-critique-des-regles-de-competence-de-la-cour-penale-internationale.html. 2 Observations reçues en application du paragraphe 4 de la résolution 49/53 de l’Assemblée générale concernant la création d’une Cour criminelle internationale, Comité ad hoc pour la création d’une Cour criminelle internationale, A/AC.244/1Add.2, 31 mars 1995. 306 définition et l'envergure de la compétence de la Cour concernant ce crime restent encore à préciser. Une conférence a eu lieu le 11 juin 2010 à Kampala en Ouganda où un Amendement concernant le crime d’agression (définition et compétence) a été élaboré 1. En effet, pour bien déchiffrer la question de la compétence de la CPI et le rôle donné au Conseil de sécurité en ce qui concerne le crime d’agression, il est important d’étudier l’Amendement du Statut de Rome à l’égard de ce crime (section I), puis de traiter le nouveau rôle, conféré par cet Amendement, au Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression (section II). Section I. L’Amendement du Statut de Rome Le Groupe de travail spécial a pour mandat de soumettre à une conférence de révision des projets concernant le crime d’agression à l’Assemblée des Etats parties ayant l’objectif de considérer des modifications au Statut de Rome. Ce dernier stipule que la conférence de révision pourra avoir lieu au plus tôt dans sept ans. Le Groupe a décidé de soumettre aux Etats parties ses projets sur le crime d’agression au moins douze mois avant le début de la conférence. Le Groupe a eu l’occasion de se réunir deux fois en 2007, à la réunion intersession du 11 au 14 juin 2007 et à la sixième session de l’Assemblée des Etats parties du 30 novembre au 14 décembre 2007 à New York. Le travail devait continuer jusqu’en 2008 2. La décision d'inclure le crime d'agression dans les compétences de la CPI constitue une avancée pour la justice internationale, mais suscite des attentes que la Cour pourrait être incapable de satisfaire, selon des analystes. La question est de savoir quand la CPI pourra exercer sa compétence à l'égard d'un crime d'agression qui préoccupe la Communauté internationale toute entière. Pour répondre à cette question, nous étudierons le compromis trouvé pour le crime d’agression (§ I), et par la suite nous analyserons le nouveau texte de l’Amendement s'agissant de ce crime (§ II). 1 CPI : La Cour pénale internationale, Assemblée des États Parties, ICC-ASP/6/INF.2, Sixième session 30 novembre - 14 décembre 2007. 2 Kirsch (P.), La Cour pénale internationale : du Rome à Kampala, Pédone, Paris, 2012, p. 26. Voir aussi : Rapport de la première conférence de révision du Statut de Rome, 31 mai-11 juin 2010, Kampala, Ouganda. 307 § I. Le compromis trouvé pour le crime d'agression La question de la définition du crime d’agression a été posée avec une acuité particulière à la Conférence de Rome. Lorsque la CPI est compétente pour juger les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la Communauté internationale 1, il est impensable d’écarter le crime d’agression de son champ de compétence. Malgré la nécessité de donner de la substance au crime d’agression, la Conférence de Rome n’est pourtant jamais parvenue à en fixer la définition 2. Ainsi, la question de la définition du crime d’agression a continué d’occuper les Etats et les instances de la CPI3. Par conséquent, le Statut de Rome, par lequel la CPI a été créée dans le but de mettre un terme à l’impunité des auteurs de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, devait être révisé au cours d’une conférence internationale qui réunirait les 111 Etats parties au Statut, les autres Etats invités, l’ONU et des centaines d’ONG, à Kampala (Ouganda). Réunis à Kampala depuis le 31 mai 2010 pour amender le Statut de la CPI, aujourd’hui compétente dans la poursuite des responsables de génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, les Etats parties au Statut de Rome sont parvenus, le 11 juin 2010, à adopter un compromis qui devrait, en théorie, permettre à la juridiction de juger un jour les responsables de crimes d’agression 4. L’objectif premier de cette Conférence de révision était de parvenir à une définition du crime d’agression figurant dans le Statut de Rome. L’agression constitue un acte très particulier, à plusieurs titres, et les projets de définition qui sont discutés depuis le 11 juin 5 2010 comportent certains éléments délicats . Bien que le crime d’agression soit inscrit dans l’article 5-1 du Statut de Rome, Traité fondateur de la CPI, cette Cour, ne peut malgré tout pas 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 18). 2 Kamto (M.), L’agression en droit international, op. cit., p. 274. 3 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., p. 379. 4 CPCPI, site officiel de la coalition pour la Cour pénale internationale, Conférence de révision : résumé informel du vendredi 11 juin, article disponible sur : http://www.iccnow.org/?mod=newsdetail&news=4000&lang=fr, référence de la page consultée le 15 janvier 2011. Voir aussi : CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icccpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 9 janvier 2011. 5 Currat (P.), Ajouter enfin le crime d’agression aux compétences de la CPI, op. cit., http://www.almendron.com/tribuna/ajouter-enfin-le-crime-d%E2%80%99agression-aux-competences-de-la-cpi/. 308 poursuivre en justice les personnes pour ledit crime jusqu’à ce que les Etats parties décident de sa définition. A la différence du génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre qui sont des crimes principaux clairement définis et relevant sans aucune ambiguïté de la compétence de la Cour, l’agression est un crime qui a provoqué un débat entre les Etats parties au Statut de Rome 1. Au moment de l’adoption formelle du Statut de Rome en 1998, les Etats n’avaient pas décidé d’une définition du crime d’agression ni des conditions d’exercice de la compétence dans lesquelles la Cour pourrait se charger d’un tel crime. La Commission préparatoire pour la CPI a conduit à des projets de disposition sur l’agression dans le document du Coordonnateur de 2002 qui a été mis à jour au début de 2007. En septembre 2002, l’Assemblée des Etats parties à la CPI a créé le GTSCA, (ouvert à tous les Etats y compris les Etats non parties) afin de poursuivre les discussions sur ce crime. Ce groupe s’est réuni officiellement de 2003 jusqu’en 2007. Dès la première réunion, ce Groupe a été prié d'adopter 2 le rapport et de l'utiliser pour la suite des débats sur le crime d'agression . Plusieurs délégations ont saisi cette occasion pour exprimer leurs positions sur des questions de fond évoquées dans le rapport de la réunion intersession 3. Le groupe a noté que des divergences de vues persistaient au sujet des conditions d'exercice de la compétence de la CPI à l’égard du crime d’agression. Néanmoins, des progrès notables avaient été accomplis à cet égard, comme le reflétaient les paragraphes du projet dans l'article 15 bis. Il avait été convenu que les trois mécanismes de déclenchement de la compétence visés à l'article 13 du Statut de Rome s'appliqueraient au crime d'agression ; le Procureur devrait tenir le Conseil de sécurité informé et coopérer avec lui ; le scénario idéal serait celui d'une action combinée du Conseil de sécurité et de la Cour ; le constat d'un acte d'agression par un organe extérieur à la Cour ne lierait pas celle-ci, ce qui garantirait 1 CPCPI, site officiel de la coalition pour la Cour pénale internationale, La CPI et le crime d’agresion, article diponible sur: http://www.iccnow.org/documents/CICCFS_Crime_of_Aggression_Factsheet_FINAL_17May07_fr.pdf,référene de la page consultée le 5 décembre 2010. 2 Le rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d'agression, 25 décembre 2005. 3 Le rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d’agression, 19 février 2009. 309 l'indépendance judiciaire dans l'application des dispositions juridiques de fond 1; et les conditions spécifiques, le cas échéant, auxquelles pourrait être subordonnée l'ouverture d'une enquête sur le crime d'agression, n'affecteraient pas les enquêtes menées au sujet de l'un 2 quelconque des trois autres crimes fondamentaux . Pendant les négociations, une partie des délégations ont réitéré leur préférence pour la « version 1 » qui stipulait que le Procureur ne pouvait ouvrir d’enquête à propos du crime d'agression que lorsque le Conseil de sécurité avait constaté l'existence d'un acte d'agression ou lorsqu’il avait d'une autre façon demandé au Procureur de mener une enquête à propos d'un crime d'agression. Certains arguments avancés par le passé à l'appui de cette position ont été rappelés. Il a été dit qu'aux termes de l'Article 39 de la Charte de l’ONU, seul le Conseil de sécurité était compétent pour constater qu'un acte d'agression avait été commis. Le paragraphe 2 de l'article 5 du Statut de Rome stipulait que les Amendements relatifs au crime d'agression devaient être conformes à la Charte. Il était essentiel d'établir une relation constructive entre la Cour et le Conseil de sécurité, surtout à propos du crime d'agression. Par ailleurs, une autre partie des délégations ont réitéré leur préférence pour la « version 2 », selon laquelle le Procureur serait, dans certains cas, autorisé à ouvrir une enquête en l'absence de constat de l'existence d'un acte d'agression par le Conseil de sécurité. Un soutien énergique s’est manifesté en faveur de la version 2, qui conférerait le rôle de filtre de compétence à la Chambre préliminaire. Les délégations favorables à ce filtre judiciaire interne ont mis en relief la nécessité pour la Cour de pouvoir agir de façon indépendante afin d'éliminer l'impunité. Elles ont fait valoir que cette approche respecterait le rôle primordial qui incombait au Conseil de sécurité s'agissant de constater l'existence d'un acte d'agression. Il 3 a été dit aussi que le filtre judiciaire interne pourrait être renforcé davantage . 1 CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, Conférence de révision du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Kampala, 31 mai-11 juin 2010, article disponible sur : http://www.icc- cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP9/OR/RC-11-FRA.pdf, référence de la page consultée le 13 décembre 2010. Voir aussi : Le rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d’agression, 19 février 2009. 2 Le projet de rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression, du 31 mai /11 juin 2010, présenté par le Groupe de travail spécial sur le crime d’agression. 3 Rapport de la Commission de vérification des pouvoirs nommée par la Conférence de révision conformément à la règle 14 du Règlement intérieur de la Conférence de révision. Voir aussi : CPCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, Réaliser les promesses d’une Cour juste, efficace et indépendante, Conférence de révision du Statut 310 En outre, il a été dit que la procédure applicable au crime d'agression ne devrait pas s'écarter des procédures existantes concernant les trois autres crimes. Cependant, les divergences de vues entre les délégations persistaient sur deux points : - Premièrement, les délégations étaient d'avis différents sur la question de savoir s'il fallait exiger que l'Etat agresseur ait accepté la compétence active de la Cour à l'égard de ce crime, par exemple par sa ratification d'Amendements relatifs à l'agression. - Deuxièmement, les délégations n'étaient pas du même avis sur la démarche que devait suivre la Cour au cas où le Conseil de sécurité ne constaterait pas l'existence d'un acte d'agression. Le Président a souligné qu'à ce stade, la plupart des délégations qui considéraient que la Cour devait avoir d'autres possibilités d'intervenir en l'absence de constat d'un acte d'agression par le Conseil de sécurité préféraient qu'une telle décision relève de la Cour elle-même, par exemple de la Chambre préliminaire 1. Il faut souligner que l'article 121 du Statut annonce que l'adoption d'un Amendement requiert la majorité des deux tiers des Etats Parties, s'il n'est pas possible de parvenir à un consensus. L’Amendement entre en vigueur à l'égard de tous les Etats Parties un an après que les sept huitièmes d'entre eux ont déposé leurs instruments de ratification ou d'acceptation auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. Cet Amendement entre en vigueur à l'égard des Etats Parties qui l'ont accepté un an après le dépôt de leurs instruments de ratification ou d'acceptation. La Cour n'exerce pas sa compétence à l'égard d'un crime faisant l'objet de cet Amendement lorsque ce crime a été commis par un ressortissant d'un Etat Partie qui n'a pas accepté l'Amendement ou sur le territoire de cet État. Selon cette approche, de Rome, article disponible sur : http://www.iccnow.org/?mod=review&lang=fr, référence de la page consultée le 8 août 2011. Le rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d'agression, 25 décembre 2005. Rapport de la première conférence de révision du Statut de Rome, 31 mai-11 juin 2010, Kampala, Ouganda. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, Conférence de révision du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Kampala, 31 mai-11 juin 2010, op. cit., http://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP9/OR/RC11-FRA.pdf. 1 Le projet de rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression, du 31 mai /11 juin 2010, op. cit., pp. 1-2. Voir aussi : Le rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d’agression, 10 juin 2010, p. 2. 311 il ne serait pas nécessaire que l'Etat agresseur accepte les Amendements, ce qui conférerait à 1 la Cour une compétence plus large . Le débat principal dans les négociations des conditions d’exercice de la compétence était de savoir si un organe externe devait décider si l’Etat concerné avait commis un acte d’agression, avant que la Cour ne puisse poursuivre la procédure. Il est ainsi nécessaire de décider préalablement si un acte d’agression a été commis par l’Etat afin d’éviter la politisation de la Cour. En outre, il a été envisagé que l’exercice de la compétence de la Cour dépende du constat préalable du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale, ou de la CIJ. Une autre proposition permettrait à une Chambre préliminaire élargie de décider si la Cour peut poursuivre la procédure. Une dernière proposition permettrait au Conseil de sécurité de 2 fournir une déclaration précisant qu’il ne fait pas objection à la procédure de la Cour . En outre, la question la plus controversée relève du lien entre le Conseil de sécurité et la CPI, notamment dans les cas où le Conseil de sécurité n’a pas encore décidé si l’Etat concerné a commis un acte d’agression 3. En effet, en vertu de l’article 39 de la Charte de l’ONU, le Conseil de sécurité dispose de la compétence de constater l’existence ou non d’un acte d’agression de la part d’un Etat. De ce point de vue, la CPI ne pourrait pas poursuivre une affaire en l’absence de constat par le Conseil de sécurité. Mais il faut également rappeler que le Conseil de sécurité détenait l’autorité principale, mais non exclusive, de constater l’existence ou non d’un acte d’agression, et que l’absence de constat du Conseil de sécurité ne devrait pas empêcher la Cour de poursuivre une affaire. D’autres délégations ont fait valoir que, puisque le Conseil de sécurité pouvait déférer une situation et une enquête à la Cour en application des articles 13 et 16 du Statut de Rome, aucune disposition du constat préalable d’un acte d’agression n’était nécessaire. Dans l’ensemble, de nombreuses délégations ont 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 5 et 121-3). Voir aussi : Le projet de rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression, op. cit., du 31 mai au 11 juin 2010. 2 La résolution N° 1, ICC-ASP/1/Res.1 de l’Assemblée des Etats parties de la Cour pénale internationale, adoptée par consensus, à la 3e séance plénière, le 9 septembre 2002. Voir aussi : CPCPI, site officiel de la coalition pour la Cour pénale internationale, La CPI et le crime d’agresion, op. http://www.iccnow.org/documents/CICCFS_Crime_of_Aggression_Factsheet_FINAL_17May07_fr.pdf. site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : cit., CPI, http://www.icc- cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 3 décembre 2010. 3 Le rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d’agression, 10 juin 2010, pp. 1-2. 312 insisté sur le fait que les conditions d’exercice de la compétence devraient refléter l’équilibre entre l’indépendance de la Cour en tant qu’organe judiciaire et le rôle fondamental du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité, en vertu de la Charte de l’ONU 1. D’ailleurs, les discussions du GTSCA se sont concentrées essentiellement sur deux aspects du crime d’agression : - Les conditions d’exercice de la compétence de la Cour : dans quelles circonstances la Cour peut-elle invoquer le crime d’agression ? Un organe indépendant comme le Conseil de sécurité doit-il constater l’existence ou non d’un acte d’agression avant que la Cour puisse exercer sa compétence sur le crime ? - Le groupe s’est concentré sur trois éléments de la définition du crime d’agression : • La condition de dirigeant, • Le comportement de l’individu, • Le comportement de l’Etat dans un crime d’agression 2. Le Groupe de travail s’accorde sur le fait que le crime d’agression est un crime de dirigeant. L’auteur du crime doit être «véritablement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un Etat»3 au moment de la commission du crime d’agression. Les autres crimes visés par le Statut de Rome sont contenus dans un autre article (article 25) qui décrit les différentes formes de participation par lesquelles les individus engagent leur responsabilité pénale pour ces crimes. Les Etats doivent décider si cette définition traite le crime d’agression en tant que fait d’un individu ou en tant que fait de l’Etat 4. En outre, le 1 CPI, la Cour pénale internationale, Assemblée des Etats parties, Réunion informelle intersession du Groupe de travail spécial sur le crime d’agressionsite, 5 décembre 2006, Cinquième session, Groupe de travail spécial sur le crime d’agression 23 novembre – 1 décembre 2006, pp. 6-12. 2 CPCPI, site officiel de coalition pour la Cour pénale internationale, La CPI et le crime d’agresion, op. cit., http://www.iccnow.org/documents/CICCFS_Crime_of_Aggression_Factsheet_FINAL_17May07_fr.pdf. 3 Le projet de rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression, du 31 mai au 11 juin 2010, présenté par le Groupe de travail spécial sur le crime d’agression. 4 Medina (J.E.), Le crime d’agression devant la Cour pénale internationale, op. cit., p. 8. Voir aussi : Abdelgawad (E.L.), La répression du crime international d’agression : la révision programmée du Statut de Rome va-t-elle permettre l’impensable ?, RSCDPC, 2008, pp. 190-191. Lafontaine (F.), Tachou-Sipowo 313 débat a continué quant à savoir si la définition devrait être générique ou spécifique, ou une combinaison des deux : - Une définition générique ne comporte pas de liste des actes d’agression. - Une définition spécifique est accompagnée d’une telle liste. - Une combinaison des approches générique et spécifique inclurait un chapeau de portée générale et une liste mais non exhaustive d'actes spécifiques 1. Enfin, la résolution 3314 de l’Assemblée générale de l’ONU sur la définition d’un acte d’agression a été adoptée en 1974 après de nombreuses années de négociations. Jusqu’à présent, les avis des Etats divergent quant à savoir si l’on devrait citer toute la résolution, ou seulement certains de ses articles. En effet, la résolution 3314 ne s’applique pas à la Cour et par conséquent, ne devrait pas être citée dans la définition de l’acte d’agression d’un Etat, étant donné qu’elle devait servir de recommandation pour le Conseil de sécurité. Les discussions sur l’acte d’agression ont aussi porté sur l’établissement d’un seuil afin d’exclure de la compétence de la Cour des cas limites. De plus en plus d’Etats exigeraient une violation manifeste de la Charte de l’ONU tandis que certains Etats prendraient en compte l’objectif ou le résultat d’un acte d’agression ou incluraient une référence à une « guerre d’agression ». D’autres maintiennent que la notion de seuil est inhérente à la limitation de la compétence de la Cour en vertu du Statut de Rome : « les crimes les plus graves ayant une portée 2 internationale » . (A.G.), Tous les chemins ne s’arrêtent pas à Rome : la révision du Statut de la Cour pénale internationale à l’égard du crime d’agression ou la difficile conciliation entre justice pénale internationale et sécurité internationale, op. cit., p. 90. Lemasson (A.T.), Le crime contre la paix ou crime d’agression, de la réactivation d’une infraction de droit international classique, op. cit., p. 287. 1 CPCPI, site officiel de coalition pour la Cour pénale internationale, La CPI et le crime d’agresion, op. cit., http://www.iccnow.org/documents/CICCFS_Crime_of_Aggression_Factsheet_FINAL_17May07_fr.pdf. 2 Le projet de rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression, du 31 mai au11 juin 2010, présenté par le Groupe de travail spécial sur le crime d’agression. Voir aussi : Medina (JE.), Le crime d’agression devant la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 7-10. CPCPI, site officiel de coalition pour la Cour pénale internationale, La CPI et le crime d’agresion, op. http://www.iccnow.org/documents/CICCFS_Crime_of_Aggression_Factsheet_FINAL_17May07_fr.pdf. cit., CPI, site officiel de La Cour pénale internationale : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 3 décembre 2010. 314 § II. L’Amendement au Statut de Rome s'agissant du crime d’agression Après des années de travaux préparatoires et de débats, le 11 juin 2010, les Etats présents à la Conférence de révision du Statut de Rome (qui s’est tenue à Kampala du 31 mai au 11 juin 2010) ont adopté par consensus des Amendements au Statut de Rome, concernant notamment une définition du crime d’agression et le régime d’exercice de la compétence de la Cour à l’égard de ce crime 1. Cet Amendement au Statut de Rome de la CPI relatif au crime d’agression, fait le 11 juin 2010, décide tout d’abord la suppression du paragraphe 2 de l’article 5 qui dispose que « La Cour exercera sa compétence à l'égard du crime d'agression quand une disposition aura été adoptée conformément aux articles 121 et 123, qui définira ce crime et fixera les conditions de l'exercice de la compétence de la Cour à son égard. Cette disposition devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies». Il a également été décidé d’ajouter après l’article 8 le texte qui suit : - Crime d'agression « 1) Aux fins du présent Statut, on entend par « crime d’agression » la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un Etat, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte de l’ONU. 2) Aux fins du paragraphe 1, on entend par « acte d’agression » l’emploi par un Etat de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte de l’ONU. Qu’il y ait ou non déclaration de guerre, les actes suivants sont des actes 1 Medina (J.E.), Le crime d’agression devant la Cour pénale internationale, op. cit., p. 8. Voir aussi : CPCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, Réaliser les promesses d’une Cour juste, efficace et indépendante, Conférence de révision du Statut de Rome, op. cit., http://www.iccnow.org/?mod=review&lang=fr. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, Conférence de révision du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Kampala, 31 mai-11 juin 2010, op. cit., http://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP9/OR/RC11-FRA.pdf. 315 d’agression au regard de la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations Unies en date du 14 décembre 1974». Cette définition est complétée par une liste d’actes constituant une agression. Cette liste est pratiquement la même que celle présentée par la résolution 3314 de l’Assemblée générale de l’ONU 1. Nous donnons certains exemples : « a) L’invasion ou l’attaque par les forces armées d’un État du territoire d’un autre Etat ou l’occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou l’annexion par la force de la totalité ou d’une partie du territoire d’un autre Etat ; b) Le bombardement par les forces armées d’un Etat du territoire d’un autre Etat, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un Etat contre le territoire d’un autre État ; c) Le blocus des ports ou des côtes d’un Etat par les forces armées d’un autre Etat….». Par ailleurs, certains textes ont été insérés par l'Amendement, après l’article 15, appelé exercice de la compétence à l’égard du crime d’agression, qui sont les suivants : - Article 15 bis (Renvoi par un Etat, de sa propre initiative) 1) La Cour peut exercer sa compétence à l’égard du crime d’agression conformément aux paragraphes (a) et (c) de l’article 13 2, sous réserve des dispositions qui suivent. 2) La Cour peut exercer sa compétence uniquement à l’égard de crimes d’agression commis un an après la ratification ou l’acceptation des amendements par trente Etats Parties. 1 Pour plus d’informations, voir : Supra, pp. 284-285. 2 Il faut rappeler que l’article 13 du Statut de Rome déclare que « La Cour peut exercer sa compétence à l'égard d'un crime visé à l'article 5, conformément aux dispositions du présent Statut : a) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un État Partie, comme prévu à l'article 14 ; b) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; ou c) Si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime en question en vertu de l'article 15 ». 316 3) La Cour exerce sa compétence à l’égard du crime d’agression conformément à cet article, sous réserve d’une décision qui sera prise après le 1er janvier 2017 par la même majorité d’Etats Parties que celle requise pour l’adoption d’un amendement au Statut 1. 4) La Cour peut, conformément à l’article 12, exercer sa compétence à l’égard d’un crime d’agression résultant d’un acte d’agression commis par un Etat Partie à moins que cet Etat Partie n’ait préalablement déclaré qu’il n’acceptait pas une telle compétence en déposant une déclaration auprès du Greffier. Le retrait d’une telle déclaration peut être effectué à tout moment et sera envisagé par l’Etat Partie dans un délai de trois ans. 5) En ce qui concerne un Etat qui n’est pas Partie au présent Statut, la Cour n’exerce pas sa compétence à l’égard du crime d’agression quand celui-ci est commis par des ressortissants de cet Etat ou sur son territoire. 6) Lorsque le Procureur conclut qu’il y a une base raisonnable pour mener une enquête pour crime d’agression, il s’assure d’abord que le Conseil de sécurité a constaté qu’un acte d’agression a été commis par l’Etat en cause. Il avise le Secrétaire général de l’ONU de la situation portée devant la Cour et lui communique toute information et tout document utiles. 7) Lorsque le Conseil de sécurité a constaté un acte d’agression, le Procureur peut mener l’enquête sur ce crime. 8) Lorsqu’un tel constat n’est pas fait dans les six mois suivant la date de l’avis, le Procureur peut mener une enquête pour crime d’agression, à condition que la Section préliminaire ait autorisé l’ouverture d’une enquête pour crime d’agression selon la procédure fixée à l’article 15, et que le Conseil de sécurité n’en ait pas décidé autrement, conformément à l’article 16. 9) Le constat d’un acte d’agression par un organe extérieur à la Cour est sans préjudice des constatations que fait la Cour elle-même en vertu du présent Statut. 1 Le projet de rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression, du 31 mai 11 juin 2010, présenté par le Groupe de travail spécial sur le crime d’agression. Voir aussi : La résolution N° 1, ICC-ASP/1/Res.1 de l’Assemblée des Etats parties de la Cour pénale internationale, adoptée par consensus, à la 3e séance plénière, le 9 septembre 2002.Voir aussi : CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icccpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 10 décembre 2010. 317 10) Le présent article est sans préjudice des dispositions relatives à l’exercice de la compétence à l’égard des autres crimes visés à l’article 5. Article 15 ter (Renvoi par le Conseil de sécurité) 1) La Cour peut exercer sa compétence à l’égard du crime d’agression conformément au paragraphe (b) de l’article 13 1, sous réserve des dispositions qui suivent. 2) La Cour peut exercer sa compétence uniquement à l’égard de crimes d’agression commis un an après la ratification ou l’acceptation des amendements par trente Etats Parties. 3) La Cour exerce sa compétence à l’égard du crime d’agression conformément à cet article, sous réserve d’une décision qui sera prise après le 1er janvier 2017 par la même majorité d’Etats Parties que celle requise pour l’adoption d’un amendement au Statut. 4) Le constat d’un acte d’agression par un organe extérieur à la Cour est sans préjudice des constatations que fait la Cour elle-même en vertu du présent Statut. 5) Le présent article est sans préjudice des dispositions relatives à l’exercice de la compétence à l’égard des autres crimes visés à l’article 5. Il a été également été décidé d’ajouter le texte qui suit après le paragraphe 3 de l’article 25 : «S’agissant du crime d’agression, les dispositions du présent article ne s’appliquent qu’aux personnes effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un Etat». 1 L’article 13-b du Statut de Rome déclare que « La Cour peut exercer sa compétence à l'égard d'un crime visé à l'article 5, conformément aux dispositions du présent Statut : b) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies... [.…].. ». Ici, il faut rappeler que l’article 12 du Statut de Rome, concernant les conditions préalables à l’exercice de la compétence, dispose que ces conditions ne s’appliquent pas lorsque la CPI est saisie par le Conseil de sécurité. Autrement dit, comme dans le cas des autres crimes, lorsque la CPI est saisie par le Conseil de sécurité, elle peut exercer sa compétence à l’égard du crime d’agression même si l’Etat en question n’est pas un Etat partie au Statut de Rome. Pour plus d’informations, voir : Supra, pp. 31-32 et 72-78. 318 L’Amendement a remplacé la première phrase du paragraphe 1 de l’article 9 par la phrase suivante : «Les éléments des crimes aident la Cour à interpréter et appliquer les articles 6, 7, 8 et 8 bis». De plus, cet Amendement a également remplacé le chapeau du paragraphe 3 de l’article 20 1 par le texte suivant, le reste du paragraphe restant inchangé : - «Quiconque a été jugé par une autre juridiction pour un comportement tombant aussi sous le coup des articles 6, 7, 8 ou 8 bis ne peut être jugé par la Cour pour les mêmes faits que si la procédure devant l’autre juridiction»2. Notons qu'il n’y a pas eu de difficulté particulière sur cette définition qui est acceptée par tous, contrairement aux conditions d’exercice de cette compétence par la Cour. La Conférence a donc fondé la définition du crime d’agression sur la résolution 3314 de l’Assemblée générale de l’ONU, en date du 14 décembre 1974, et a convenu de qualifier d’agression un crime qui a été commis par un dirigeant politique ou militaire qui, en raison de sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte 3. Par ailleurs, il faut noter ici que les Etats fondateurs de l’ONU n’ont pas jugé utile de définir l’agression. Ils décidèrent en revanche que la constatation d’un acte d’agression 1 Le paragraphe 3 de l’article 20 du Statut de Rome dispose que « Quiconque a été jugé par une autre juridiction pour un comportement tombant aussi sous le coup des articles 6, 7 ou 8 ne peut être jugé par la Cour que si la procédure devant l'autre juridiction… » 2 Pour plus d’informations sur l’Amendement au Statut de Rome concernant la définition du crime d’agression et ses conditions, voir : La résolution N° 1, ICC-ASP/1/Res.1 de l’Assemblée des Etats parties de la Cour pénale internationale, adoptée par consensus, à la 3e séance plénière, le 9 septembre 2002. Le projet de rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression, du 31 mai au 11 juin 2010, présenté par le Groupe de travail spécial sur le crime d’agression. Medina (JE.), Le crime d’agression devant la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 5-12. Rapport de la Commission de vérification des pouvoirs nommée par la Conférence de révision conformément à la règle 14 du Règlement intérieur de la Conférence de révision. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 10 décembre 2010. CPCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, Réaliser les promesses d’une Cour juste, efficace et indépendante, Conférence de révision du Statut de Rome, op. cit., http://www.iccnow.org/?mod=review&lang=fr. 3 Proposition de la délégation colombienne, le 1er juillet 2002. Voir : Le projet de rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression, du 31 mai 11 juin 2010, présenté par le Groupe de travail spécial sur le crime d’agression. 319 relèverait du pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité. Ce pouvoir est confirmé non seulement par l’Assemblée générale dans sa définition sur l’agression armée, mais aussi par le 1 Statut de la CPI . En effet, il a été décidé de conférer la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales au Conseil de sécurité, en vertu des articles 24 et 39 de la Charte de l’ONU. Nous le savons, le Conseil de sécurité, selon l’article 39, est compétent pour constater l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, sans pour autant que ces notions ne soient définies. Il en découle ainsi un pouvoir discrétionnaire d’appréciation de l’organe du maintien de la paix, concernant la qualification d’un acte d’agression préalable à la mise en œuvre de l’action collective. Ce pouvoir discrétionnaire devrait inciter le Conseil de sécurité à constater l’acte d’agression considéré comme crime des crimes et à déclencher des sanctions contre l’Etat agresseur. Or, 2 la pratique atteste que le Conseil de sécurité s’est bien gardé d’utiliser la notion d’agression . A ce propos, l’article 5-2 du Statut de Rome déclare que «La Cour exercera sa compétence à l'égard du crime d’agression quand une disposition aura été adoptée conformément aux articles 121 et 123, qui définira ce crime et fixera les conditions de l'exercice de la compétence de la Cour à son égard »3. Ici, il faut noter que cet article du Statut de Rome ne soutient pas vraiment l’idée que les rédacteurs du texte du Statut voudraient accorder un rôle exclusif au Conseil de sécurité s’agissant du crime d’agression, notamment concernant la qualification d’un acte d’agression. En outre, l’article 24 de la Charte de l’ONU ne prévoit pas de compétence exclusive du Conseil de sécurité dans la qualification d’un acte d’agression, il n’existe également aucune condition qu’une telle qualification serait obligatoire pour un juge international 4. Ce qui, par conséquent, laisse le champ libre à l’intervention d’autres institutions dans le domaine de la qualification 5. 1 Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 338. 2 Pour plus d’informations sur ce point, voir : Combacau (J.), Le pouvoir de sanction de l’ONU : étude théorique de la coercition non militaire, Pédone, Paris, 1974, p. 96. Dupuy (R.J.), L’impossible agression : les Malouines entre l’ONU et l’OEA, op. cit., pp. 342-343. 3 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 5-2). 4 La Charte des Nations Unies (article 24). 5 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp. 403-404. 320 Ainsi, après de longues négociations, les Etats parties ont adopté les dispositions qui régissent l’enquête et les poursuites de la CPI en cas de crime d’agression. Ces Etats se sont mis d’accord sur un régime juridictionnel pour le crime d’agression, régime qui prévoit différentes conditions en s’appuyant largement sur les termes et les dispositions du Statut de Rome et de la Charte de l’ONU 1 : Premièrement, cet Amendement préciserait le moment à partir duquel la Cour serait autorisée à exercer sa compétence à l'égard du crime d'agression. La CPI exerce sa compétence un an après la ratification ou l’acceptation des Amendements par trente Etats parties et sous réserve d’une décision qui sera prise après le 1er janvier 2017 par la même majorité requise pour l’adoption d’un Amendement au Statut. En pratique, l’élargissement des compétences de la CPI au crime d’agression n’interviendra pas avant le 1er janvier 2017. Ce processus d’entrée en vigueur de l’Amendement sur le crime d’agression est fort compliqué car il exige d’autres conditions : la CPI exercera uniquement sa compétence à l’égard de crimes d’agression commis un an après la ratification ou l’acceptation des Amendements par trente Etats Parties. Cette compétence sera sous réserve d’une décision qui sera prise après le 1er janvier 2017. S'il n'est pas possible de parvenir à un consensus, cette décision devra être prise par la majorité des deux tiers des Etats Parties, c’est-à-dire par la même majorité que celle requise pour l’adoption d’un Amendement au Statut. Il est possible qu’à la date du 1er janvier 2017, les trente Etats ne soient pas réunis même si l’on pense qu’avec la pression des ONG, les Etats pourront achever le processus à partir du 1er janvier 2016, soit le 1er janvier 2017 avec une majorité de deux tiers des Etats parties 2. 1 CPCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, Réaliser les promesses d’une Cour juste, efficace et indépendante, Conférence de révision du Statut de Rome, op. cit.,http://www.iccnow.org/?mod=review&lang=fr. Voir aussi : Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-313_mono.html#toc20. 2 Pour plus d’informations à ce propos, voir : Lafontaine (F.), Tachou-Sipowo (A.G.), Tous les chemins ne s’arrêtent pas à Rome : la révision du Statut de la Cour pénale internationale à l’égard du crime d’agression ou la difficile conciliation entre justice pénale internationale et sécurité internationale, op. cit., pp. 83-84. Kamto (M.), L’agression en droit international, op. cit., pp. 464-467. Medina (J.E.), Le crime d’agression devant la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 7-10. Bakama (E.), La Conférence de Kampala, Cretro-actuel, article disponible sur : //www.c-retro-actuel.net/index.php?option=com_content&view=article&id=1992:la-conferencede-kampala-un-consensus-difficile-sur-le-crime-dagression-&catid=58:autre&Itemid=70, référence de la page consultée le 22 juin 2010. CFCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, disponible sur : http://www.iccnow.org/?mod=review&lang=fr, référence de la page consultée le 11 janvier 2011. CPI, site 321 Deuxièmement, l’Amendement prévoit également que les Etats parties peuvent se soustraire à la compétence de la Cour en déposant une déclaration de non-acceptation de la compétence auprès du Greffier de la Cour. Une telle déclaration pourra être faite à tout moment (y compris avant l’entrée en vigueur de l’Amendement) et sera révisée par l’Etat partie dans un délai de trois ans. Il dispose également que les Etats non parties ne seront pas soumis à la compétence de la Cour vis-à-vis du crime d’agression lorsque celui-ci aura été commis par des ressortissants ou sur le territoire d’un Etat non partie. Troisièmement, cet Amendement prévoit des conditions particulières (à la différence des autres crimes du Statut) concernant l’exercice de la compétence de la Cour à l’égard du crime d’agression : lorsqu’une situation est renvoyée au Procureur par le Conseil de sécurité, la compétence de la Cour est activée de la même manière que pour les autres crimes du Statut, ce qui signifie que le Procureur peut ouvrir une enquête sur le crime d’agression. En revanche, le Procureur ne peut ouvrir d’enquête sur un crime d’agression, de sa propre initiative ou sur renvoi par un Etat, qu’après avoir assuré que le Conseil de sécurité a constaté qu’un acte d’agression a été commis par l’Etat en cause (conformément à l’article 39 de la Charte des Nations Unies). Si un tel constat n’est pas fait dans les six mois suivant la date de l’avis, le Procureur peut mener une enquête pour crime d’agression, à certaines conditions, à savoir que la situation en question concerne un acte d’agression commis entre Etats parties, que la Section préliminaire ait autorisé l’ouverture d’une enquête pour crime d’agression, et que le Conseil de sécurité n’en ait pas décidé autrement, conformément à l’article 16 du Statut de 1 Rome . Rappelons ici que le Conseil de sécurité peut, conformément à l’article 16, arrêter les officiel de la Cour pénale internationale, Représenter les victimes devant la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.icc-cpi.int/iccdocs/PIDS/OPCV/OPCVManualFra.pdf. 1 Al Kasimi (M.), La création de la Cour pénale internationale : un pas vers le développement du système juridique international, op. cit., p. 78. Voir aussi : Lafontaine (F.), Tachou-Sipowo (A.G.), Tous les chemins ne s’arrêtent pas à Rome : la révision du Statut de la Cour pénale internationale à l’égard du crime d’agression ou la difficile conciliation entre justice pénale internationale et sécurité internationale, op. cit., p. 104. Le projet de rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression, du 31 mai au 11 juin 2010, présenté par le Groupe de travail spécial sur le crime d’agression. CPCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, disponible sur : http://www.iccnow.org/?mod=review&lang=fr, référence de la page consultée le 11 janvier 2011. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc- cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 10 décembre 2010. Amnesty 322 enquêtes et les poursuites devant la CPI pensant douze mois renouvelables sous les mêmes conditions 1. En outre, cet Amendement reflète également le Statut de la victime, la nécessaire coopération des Etats dans les enquêtes et l’arrestation des accusés, ainsi que la complémentarité. Enfin, après l’inscription de l’agression dans le Statut de Rome parmi les quatre crimes justiciables de la CPI, de longues discussions techniques ainsi que des négociations politiques pendant une dizaine d’années, les Etats ont enfin adopté une définition du crime d’agression. Il faut reconnaître que cette insertion du crime d’agression dans le Statut de Rome est un grand pas dans la lutte contre l’impunité. L’événement a eu lieu le 11 juin 2010 à l’instant ultime de la Conférence de Kampala sur la révision du Statut de la CPI. international, site officiel d’Amnesty international, disponible sur : http://www.amnesty.org/fr, référence de la page consultée le 19 janvier 2011, Bakama (E.), La Conférence de Kampala, op. cit., http://www.c-retroactuel.net/index.php?option=com_content&view=article&id=1992:la-conference-de-kampala-un-consensusdifficile-sur-le-crime-dagression-&catid=58:autre&Itemid=70. Al Kasimi (M.), La création de la Cour pénale internationale : un pas vers le développement du système juridique international, op. cit., pp. 78-79. Kamto (M.), L’agression en droit international : enfin une définition du crime d’agression, op. cit., pp. 464-474. Currat (P.), Ajouter enfin le crime d’agression aux compétences de la CPI, op. cit., http://www.almendron.com/tribuna/ajouter-enfin-le-crime-d%E2%80%99agression-aux-competences-de-la-cpi. 1 Pour plus d’informations, voir : Supra, pp. 210-218. 323 Section II. Le nouveau rôle du Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression Au moins trente Etats parties auront ratifié ou accepté l’Amendement au Statut de Rome, ainsi il faut que les deux tiers des Etats adoptent, à tout moment à compter du 1er janvier 2017, une décision pour activer cette compétence 1. Il faudra donc attendre une décision qui devra être prise après le 1er janvier 2017 par la même majorité d’Etats que celle pour l’Amendement au Statut. Etant donné que les textes adoptés lors de la Conférence de révision de la compétence de la Cour en matière de crime d’agression ne sont toujours pas entrés en vigueur, la compétence de la CPI à l’égard de ce crime est éventuelle 2. Ce crime d’agression devrait établir de larges compétences au profit du Conseil de sécurité dans la détermination préalable d’un acte d’agression. Les enquêtes pour les crimes relevant de la compétence de la CPI portent toujours et par nature sur des éléments politiques. C'est aussi politiser la Cour que d'être trop frileux dans une révision prévue. La volonté politique des Etats par rapport à la définition du crime d'agression ne tient pas dans la complexité de sa définition mais dans le souhait de protéger certaines libertés d'action dans leurs relations internationales, sans avoir à se retrouver face à la commission d'un crime. Il en 3 découle que ce n'est pas en attendant davantage que l'on facilitera le compromis . Dans cette section nous étudierons d’abord la faculté du Conseil de sécurité de constater l’agression (§ I), et par la suite nous traiterons la reconnaissance d’une nouvelle faculté d’empêcher l’action de la CPI (§ II). 1 CPCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, Réaliser les promesses d’une Cour juste, efficace et indépendante, Conférence de révision du Statut de Rome, op. cit.,http://www.iccnow.org/?mod=review&lang=fr. Voir aussi : Rapport de la première conférence de révision du Statut de Rome, 31 mai-11 juin 2010, Kampala, Ouganda. 2 Tavernier (P.), Editorial, dossier : La conférence de révision de la Cour pénale internationale, le Journal du Centre de droit international, article publié le 7 décembre 2011, p. 2. 3 Currat (P.), Ajouter enfin le crime d’agression aux compétences de la CPI, op. cit., http://www.almendron.com/tribuna/ajouter-enfin-le-crime-d%E2%80%99agression-aux-competences-de-la-cpi. Voir aussi : Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-313_mono.html#toc20. 324 § I. La faculté du Conseil de sécurité de constater l’agression La CPI peut, en vertu de l’Amendement au Statut de Rome, exercer sa compétence à l'égard du crime d'agression quand celui-ci est commis par des ressortissants ou sur le territoire d'un Etat partie à moins que celui-ci ait préalablement déclaré qu’il n’acceptait pas une telle compétence en déposant une déclaration au Greffe 1. Ce qui n’est évidemment pas le cas pour les autres crimes (crime contre l’humanité, crime de guerre et génocide) 2. En ce qui concerne l’Etat non partie, la Cour n’exerce pas sa compétence à l’égard du crime d’agression quand celui-ci est commis par des ressortissants de cet Etat ou sur son territoire, sauf en cas 3 de renvoi du Conseil de sécurité, ou si le crime a été commis sur le territoire d’un Etat partie . Le crime d’agression ne relève pas seulement de la compétence de la Cour, mais il contient également des lacunes radicales qui n’ont pas été traitées lors de la Conférence de Rome. Cette nature politique du crime d’agression ainsi que le fait d’accorder à un organe politique le pouvoir de constater l’acte d’agression, rendent la compétence de la CPI, pour juger les responsables d’un tel crime très délicate 4. L’Amendement au Statut de Rome laisse sept ans aux Etats pour confirmer les modalités d’enquête de la Cour. Selon le texte adopté, il appartiendra au Conseil de sécurité de donner le feu vert à la CPI pour qu’elle puisse enquêter 1 IRIN News, Accueil mitigé pour la décision de la CPI sur le crime d’agression, article disponible sur : http://www.irinnews.org/fr/Report/89520/MONDE-Accueil-mitig%C3%A9-pour-la-d%C3%A9cision-de-laCPI-sur-le-crime-d-agression-Analyse, référence de la page consultée le 13 février 2011. 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 12). 3 Pour plus d’informations, voir : La résolution N° 1, ICC-ASP/1/Res.1 de l’Assemblée des Etats parties de la Cour pénale internationale, adoptée par consensus, à la 3e séance plénière, le 9 septembre 2002. Voir aussi : Le Monde, Kampala, et après ?, article disponible sur : http://justice-inter.blog.lemonde.fr/2010/06/17/kampala-etapres/, référence de la page consultée le 13 février 2010. CAO, site officiel du Centre d’Actualités de l’ONU, Conférence de Kampala : le crime d'agression dans les statuts de la CPI, article disponible sur : http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=22178&Cr=CPI&Cr1=, référence de la page consultée le 13 mars 2011. Voir aussi : Le projet de rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression, du 31 mai au 11 juin 2010, présenté par le Groupe de travail spécial sur le crime d’agression. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx, référence de la page consultée le 10 décembre 2010. CPCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, Réaliser les promesses d’une Cour juste, efficace et indépendante, Conférence de révision du Statut de Rome, op. cit., http://www.iccnow.org/?mod=review&lang=fr. 4 Pellet (A.), Pour la Cour pénale internationale, quand même !, op. cit., pp. 144-159. 325 sur de tels crimes 1. Il s'agit d'un accord complexe, à l’image des tensions qu’il a suscitées. L’attaque américaine de mars 2003 sur l’Irak constitue un cas d’école en matière d’agression. Et au cours des dix jours de conférence, organisée en Ouganda, les Etats parties à la Cour, mais aussi ceux qui étaient invités, ont tous revendiqué leurs attaques. L’attaque survenue au large de Gaza a fait l’objet d’une passe d’armes musclée entre l’Autorité palestinienne, Israël et l’Egypte. La Géorgie a attaqué en termes vifs la Russie concernant la guerre de l’été 2008. La République démocratique du Congo a rappelé les agressions rwandaise et ougandaise dans l’Est du pays 2. Quoi qu’il en soit, le compromis adopté ne lèvera pas les critiques infligées à la CPI : une Cour à deux vitesses, dotée d’une compétence à la carte, et qui s’exerce différemment selon que l’Etat en question est puissant ou faible. Sans surprise, les cinq puissances du Conseil de sécurité ont âprement bataillé à Kampala pour préserver leur contrôle sur la CPI. Le consensus obtenu à l’arrachée a porté aussi bien sur la définition du crime et ses éléments que sur l’exercice de la compétence en cette matière, certains membres permanents du Conseil de sécurité ayant établi un lien entre les deux en laissant entendre que la définition du crime ne serait pas acquise si l’on ne parvenait pas à un consensus sur 3 l’exercice de la compétence, en particulier sur le rôle du Conseil de sécurité à cet égard . En sus, les difficultés pour définir le crime d'agression, lors de l'élaboration du Statut de Rome et au sein de la Commission préparatoire, résident dans sa nature intrinsèque. Ce crime, en effet, pour sa qualification, présuppose l'existence d'un acte d'agression commis par un Etat, n'engageant pas la responsabilité pénale individuelle. En revanche, en vertu de la compétence de la Cour, il est le fait d'une personne physique imputable à l'Etat et engageant la 1 CPCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, diponible sur : http://www.iccnow.org/?mod=newsdetail&news=4000&lang=fr, référnece de la page consultée le 1 février 2011. 2 Maupas (S.), La CPI trouve un compromis sur le crime d’agression, article publié le : samedi 12 juin 2010 disponible sur : http://www.rfi.fr/afrique/20100612-cpi-trouve-compromis-le-crime-agression, référence de la page consultée le 3 décembre 2010. Voir aussi : CPCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, Conférence de révision: Documents et rapports de presse sur le bilan de la Conférence et l'adoption du crime d'agression, 17 Juin 2010, article disponible sur : http://www.iccnow.org/?mod=newsdetail&news=4114&lang=fr, référence de la page consultée le 15 février 2011. 3 Kamto (M.), L’agression en droit international : enfin une définition du crime d’agression, op. cit., p. 464. Voir aussi : CPCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, Réaliser les promesses d’une Cour juste, efficace et indépendante, Conférence de révision du Statut de Rome, op. cit., http://www.iccnow.org/?mod=review&lang=fr. 326 responsabilité pénale individuelle. Or, la qualification d'acte d'agression procède du pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité, organe politique par excellence, tandis que la sanction d'une personne physique, auteur du crime d'agression, relève de la compétence ratione materiae de la Cour, instance juridictionnelle. Dès lors, se pose la question de la conciliation entre le pouvoir politique du Conseil de sécurité et la compétence judiciaire de la Cour 1. Si la définition du crime d'agression n'a pas vraiment fait l'objet de nombreux débats, les discussions ont en revanche achoppé sur les conditions d'exercice de la compétence de la CPI à l'égard de ce crime. Le débat sur la compétence de la CPI à l’égard de ce crime était loin d’être simple. Les délégations participantes ont exprimé des vues divergentes, en l’occurrence concernant les mécanismes de déclenchement de l’enquête en cas de comportement qualifiable de crime d’agression et des filtres internes à la Cour (Chambre préliminaire) aussi bien qu’externes (Conseil de sécurité). Sur l’exercice de la compétence en particulier, la Conférence de révision a convenu que l’agression devait être constatée par le Conseil de sécurité. Toutefois, en cas de silence gardé par cet organe pendant un délai de 6 mois après la demande du Procureur, celui-ci peut passer outre l’autorisation du Conseil et ouvrir une enquête pour crime d’agression s’il y est autorisé par la Chambre préliminaire de la CPI2. De surcroît, les mêmes mécanismes de renvoi s’appliquent au crime d’agression (renvoi par le Conseil de sécurité, un Etat partie ou l’action indépendante du Procureur). Cependant, il faut préciser que s’agissant des deux derniers mécanismes de renvoi (Etat partie ou Procureur), le Procureur s’assure d’abord que le Conseil de sécurité a constaté qu’un acte d’agression avait été commis par l’Etat en cause. Il avise le Secrétaire général de l’ONU de la 1 Alric (C.), La question de la définition du crime d'agression dans le statut de Rome : entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence judiciaire de la Cour pénale internationale, article publié le 13 juillet 2005, Le Monde du Droit, disponible sur : http://lemondedudroit.fr/affaires-internationales- international/143598.html, référence de la page consultée le 25 avril 2011. 2 Kamto (M.), L’agression en droit international : enfin une définition du crime d’agression, op. cit., p. 464. Voir aussi : Dupuy (R.J.), L’impossible agression : les Malouines entre l’ONU et l’OEA, op. cit., p. 343. Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., p. 40. 327 procédure judiciaire engagée devant la Cour 1. Lorsque le Conseil de sécurité n’a pas établi de tel constat du crime d’agression dans les six mois suivant la date de l’avis, le Procureur peut mener une enquête pour crime d’agression à condition : qu’il obtienne l’autorisation de la section préliminaire de la Chambre, et que le Conseil de sécurité n’applique pas l’article 16 du Statut de Rome (concernant le sursis des enquêtes). C’est donc sur cette disposition et sur le rôle du Conseil de sécurité que les débats se sont concentrés 2. Pour certains pays, la France, la Grande-Bretagne, en particulier, le Conseil de sécurité dispose, par la Charte de l’ONU, de la compétence exclusive de traiter de la question de l’agression, alors que la plupart des Etats parties au Statut étaient contre un filtre externe à la Cour. Le constat préalable de l’acte d’agression par le Conseil de sécurité pose problème. On constate l’extrême rareté d’un tel constat dans le passé puisque le Conseil de sécurité ne prend pas la responsabilité de le faire. En outre, ce serait placer la Cour sous la coupe du Conseil de sécurité, le Procureur dépendant du bon vouloir de ce Conseil. L’on fait du crime d’agression un cas à part, ce qui va créer une différence de traitement, sans compter qu'il y a aussi le risque d’un conflit en cas de 3 qualifications contradictoires entre le Conseil de sécurité et le bureau du Procureur . Le problème essentiel provient de la nature du lien qui pourrait éventuellement subordonner la capacité de la CPI à enquêter, à une décision préalable du Conseil de sécurité, auquel la Charte de l’ONU, dans son article 39, confère la responsabilité de qualifier un acte d'agression. En effet, une fois l'acte d'agression constaté par le Conseil de sécurité, la procédure judiciaire peut s'enclencher. Mais que faire en cas d'inaction du Conseil de sécurité ? Deux versions s'opposent sur la latitude à accorder au Procureur, qui serait soit soumis à 1 Bakama (E.), Crime d’agression, selon la CPI à Kampala, quid ?, article disponible sur : http://www.cheikfitanews.net/article-document-crime-d-agression-selon-la-cpi-a-kampala-quid-52906112.html, référence de la page consultée le 5 février 2011. 2 Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-313_mono.html#toc20. Voir aussi : CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, Représenter les victimes devant la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.icc-cpi.int/iccdocs/PIDS/OPCV/OPCVManualFra.pdf. CPI, site officiel de la Cour pénale internationale, Conférence de révision du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Kampala, 31 mai-11 juin 2010, op. cit., http://www.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP9/OR/RC-11-FRA.pdf. 3 Bakama (E.), Crime d’agression, selon la CPI à Kampala, quid ? op. cit., http://www.cheikfitanews.net/article-document-crime-d-agression-selon-la-cpi-a-kampala-quid-52906112.html. Voir aussi : CPCPI : site officiel de la Coalisation pour la CPI, Réaliser les promesses d’une Cour juste, efficace et indépendante, Conférence de révision du Statut de Rome, op. cit., http://www.iccnow.org/?mod=review&lang=fr. 328 l'avis exclusif du Conseil, soit conserverait la possibilité d'ouvrir une enquête de sa propre initiative, après autorisation de la Chambre préliminaire 1. Enfin, bien que l'Amendement au Statut ne donne pas au Conseil de sécurité un contrôle exclusif sur la compétence de la Cour à engager des poursuites dans les situations de crime d'agression, ce Conseil de sécurité offre la seule alternative en ce qui concerne les poursuites dans les situations d'agression commises par des ressortissants des Etats parties et non parties. Sans l'intervention du Conseil de sécurité, les pouvoirs de la CPI d'engager des poursuites dans les situations de guerres d'agression seront limités aux Etats parties consentants qui sont parties prenantes au conflit. Toutefois, cet Amendement pourrait impliquer la CPI dans des conflits hautement politiques entre Etats, ce qui pourrait affecter la perception de son rôle en tant qu'arbitre juridique impartial du droit pénal international. L'Amendement revient presque à prendre d'une main ce que l'on donne à l'autre. Enfin, le problème vient de vouloir lier la capacité de la Cour à enquêter, à une décision préalable du Conseil de sécurité. On assisterait dans ce cas à une politisation problématique de la Cour car le Conseil de sécurité est un organe politique 2. Il n’est pas compatible avec l’indépendance de la justice de faire dépendre la tenue d’un procès d’une décision politique préalable. Faut-il encore rappeler que le Conseil de sécurité n’a encore qualifié aucune situation d’agression, même lorsque c’était l’évidence même, en Corée, au Koweït ou en Irak pour ne citer que les plus criantes 3. 1 Zourek (J.), Enfin une définition de l’agression, op. cit., pp. 12-30. Voir aussi : Carreau (D.), Droit international, op. cit., pp. 72-74. 2 IRIN News, Accueil mitigé pour la décision de la CPI sur le crime d’agression, op. cit., http://www.irinnews.org/fr/Report/89520/MONDE-Accueil-mitig%C3%A9-pour-la-d%C3%A9cision-de-laCPI-sur-le-crime-d-agression-Analyse. Voir aussi : CPCPI : site officiel de la Coalition pour la CPI, Conférence de révision: Documents et rapports de presse sur le bilan de la Conférence et l'adoption du crime d'agression, 17 Juin 2010,op. cit., http://www.iccnow.org/?mod=newsdetail&news=4114&lang=fr. 3 Pour plus d’informations concernant cette question, voir : Glennon (M.), Le crime d’agression : une définition sans rime ni raison, une approche américaine, AFRI, vol.XI, 2010, p. 13. Dupuy (R.J.), L’impossible agression : les Malouines entre l’ONU et l’OEA, op. cit., pp. 342-343. Currat (P.), Ajouter enfin le crime d’agression aux compétences de la CPI, op. cit., http://www.almendron.com/tribuna/ajouter-enfin-le-crimed%E2%80%99agression-aux-competences-de-la-cpi. 329 § II. La reconnaissance d’une nouvelle faculté d’empêcher l’action de la Cour pénale internationale Le Conseil de sécurité est un organe principal de l’ONU, créé par sa Charte, et régi par son Chapitre VII. Parmi les organes de l’ONU, c’est le Conseil de sécurité qui est doté des fonctions essentielles et des pouvoirs fondamentaux. Ce Conseil est l’organe décisionnel de l’ONU qui doit satisfaire avant tout à l’exigence d’efficacité. La défense du Conseil de sécurité et de sa pratique sur ce terrain tient à sa nature. C'est une instance politique qui prend des mesures politiques, selon des motifs et objectifs politiques. Sa mission ne consiste pas à faire respecter le droit, mais à maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales, ce qui est tout à fait différent 1. De plus, même si le Statut de Rome a décidé de créer une CPI, il a également donné au Conseil de sécurité une place fondamentale dans les mécanismes de fonctionnement de cette Cour. L’extrême « politisation » de cette institution et les pouvoirs de contrôle, que le Statut de Rome lui a confiés, mettent en doute la crédibilité de la CPI en tant 2 que Cour de justice indépendante . En outre, d’autres préoccupations découlent de la constatation que l’abus du droit de veto par les cinq membres permanents a déçu les espoirs de considérer le Conseil de sécurité comme le gardien de l’application de « la loi », et nourrit par conséquent de sérieux doutes sur la possibilité qu’il fasse bon usage des instruments qu’il 3 possède à l’égard de la CPI . Le Conseil de sécurité examine régulièrement des thèmes et questions relatifs à l’activité de la CPI. Des requêtes faites par les Etats-Unis pour exempter 4 leur personnel de maintien de la paix de toute poursuite devant la CPI . En outre, il est possible de dire que la seule solution raisonnable, pour permettre à la CPI de juger les auteurs de crimes d’agression, est de donner au Conseil de sécurité le pouvoir de constater l’agression. Si nous n’acceptons pas cela, les responsables d’agression ne seront 1 Sur (S.), Le Conseil de sécurité : blocage, renouveau et avenir, op. cit., p. 69. 2 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 44. 3 Shekri (A.), La Cour pénale internationale : défi de l’immunité, étude présentée à la Conférence de la Cour pénale internationale, Damas, 2001, p. 39. 4 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 44. En effet, les meilleurs exemples de ces requêtes sont : la résolution 1422 du Conseil de sécurité concernant le maintien de la paix, la résolution 1487 du Conseil de sécurité concernant le renouvellement de sa résolution 1422, la résolution 1593 du Conseil de sécurité pour la situation au Soudan et la résolution 1970 du Conseil de sécurité concernant la situation en Libye. 330 jamais jugés. Sur ce point, il n’y a pas d’autre moyen que de faire confiance au Conseil de sécurité, dont la composition garantit qu’il ne qualifiera pas à la légère une situation 1 d’agression ; du reste, il ne l’a jamais fait jusqu’à présent . Toutefois, il faut noter que si cette condition préalable à l’exercice de la compétence de la Cour à l’égard du crime d’agression peut activer cette nouvelle compétence, elle peut également la paralyser. La subordination de la CPI à une décision préalable du Conseil de sécurité contient une véritable atteinte à l’indépendance de la Cour 2. En outre, la constatation, par le Conseil de sécurité, d’un acte d’agression, exige une décision de ce dernier. Ici, il faut penser également à l’existence du droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité, qui peuvent paralyser la prise de cette décision. En conséquence, il faut rappeler que l’usage du veto permettrait aux membres permanents de soustraire leurs dirigeants, ou ceux de pays amis, aux poursuites que la Cour souhaiterait engager en relation avec le crime d’agression ; ce double-standard est compréhensible d’un point de vue politique, mais pas du 3 point de vue juridique . Ainsi, exiger une décision préalable du Conseil de sécurité, comme condition à l’exercice de la compétence de la CPI à l’égard du crime d’agression, risquerait de vouer 4 celle-ci à demeurer purement théorique . La CPI est une juridiction, elle doit bénéficier d’une indépendance réelle. Il n’est pas imaginable dans un Etat de droit que le pouvoir politique puisse paralyser l’action pénale sous prétexte de considérations liées au maintien de l’ordre et ce n’est pas davantage acceptable sur le plan international. De plus, ce pouvoir de 1 Pellet (A.), Compétence matérielle et modalités de saisine, op. cit., p. 51. Voir aussi : La résolution N° 1, ICC- ASP/1/Res.1 de l’Assemblée des Etats parties de la Cour pénale internationale, adoptée le 9 septembre 2002. Bakama (E.), La Conférence de Kampala, op. cit., p. 4. 2 Abdelgawad (E.L.), La répression du crime international d’agression : la révision programmée du Statut de Rome va-t-elle permettre l’impensable ?, op. cit., pp. 193-194. Voir aussi : Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp. 343-350. 3 Shekri (A.), La Cour pénale internationale : défi de l’immunité, op. cit., p. 39. Voir aussi : Dobelle (J.F.), La Convention de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 360-363. 4 Pellet (A.), Annuaire du Droit international, 1991, Vol. I, p. 16. Voir aussi : Rigaux (F.), La compétence matérielle de la Cour pénale internationale, in Lattanzi (F.), Schabas (A.W.), Le Statut de Rome, 1999, p. 143. 331 qualification confié au Conseil de sécurité pourrait paradoxalement épargner les Etats qui, sur 1 la scène internationale, déploient plus fréquemment leurs troupes militaires . Un tel pouvoir réduirait considérablement la compétence de la CPI en matière de crime d’agression, du moins dans l’hypothèse de l’absence de constatation d’acte d’agression et se heurterait à l’opposition d’un grand nombre d’Etats. Il s’avère, d’après la pratique, que le Conseil de sécurité se montre fort réticent à qualifier une situation d’agression, même lorsqu’il s’est trouvé en présence de cas auxquels cette dernière s’appliquait incontestablement. Cependant, il importe de dire que dans quelques rares cas, le Conseil de 2 sécurité est parvenu à constater l’agression , comme c’est le cas dans la résolution 387 du 31 mars 1976, où le Conseil de sécurité a condamné l’agression de l’Afrique du Sud contre 3 l’Angola . Cependant, quelle serait la solution si le Conseil de sécurité décide que l’acte ne contient pas d’agression ? Et quelle serait la réaction de la CPI (surtout si l’Etat en question est un membre permanent du Conseil de sécurité)? En effet, quelle que soit la solution que retient l’Amendement, elle devra représenter un compromis entre la volonté de retenir la responsabilité pénale individuelle et la prise en compte du fait que l’agression est bien à la base l’œuvre d’un Etat. Le rôle du Conseil de sécurité sera un élément incontrôlable de ce compromis, l’article 39 de la Charte prévoyant la responsabilité du Conseil dans la détermination d’un acte d’agression par un Etat, et le Statut de la Cour ne pouvant porter atteinte à cette compétence. Or, tout donne à penser qu’en réalité, sans l’intervention du 1 Pellet (A.), Compétence matérielle et modalités de saisine, op. cit., p. 52.Voir aussi : Lafontaine (F.), Tachou- Sipowo (A.G.), Tous les chemins ne s’arrêtent pas à Rome : la révision du Statut de la Cour pénale internationale à l’égard du crime d’agression ou la difficile conciliation entre justice pénale internationale et sécurité internationale, op. cit., pp. 80-82. 2 Della morte (G.), Les frontières de la compétence de la Cour pénale internationale : observations critiques, op. cit., p. 45. Voir aussi : Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, op. cit, pp. 346-347. 3 La résolution 387 du Conseil de sécurité du 31 mars 1976, UN.DOC. S/RES/387(1976). Pour plus d’informations, voir : Kherad (R.), La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome entre pouvoir politique du Conseil de sécurité et compétence juridique de la Cour pénale internationale, op. cit, pp. 346-349. Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 44-52. 332 Conseil de sécurité, jamais la Cour ne pourra exercer sa juridiction s’agissant du crime 1 d’agression . Donner au Conseil de sécurité la fonction de filtre nécessaire et préalable à toute qualification d’acte d’agression, est, pour certains, une solution raisonnable. Accorder un tel rôle au Conseil de sécurité revient à éviter à la Cour de se prononcer sur des questions fondamentalement politiques. Néanmoins ne serait-il pas plutôt souhaitable d’assurer qu’une instance internationale indépendante, la CPI, punisse les responsables d’une agression sans 2 que des considérations politiques puissent l’en empêcher ? L’accès à la justice et la garantie d’un procès équitable impliquent que la Cour ne soit pas liée dans son jugement par une instance politique. Si le Conseil de sécurité se voit être la seule entité qui possède l’autorité de constater un acte d’agression, son action pourrait être bloquée par le veto d’un membre permanent et entraîner une immunité en faveur de l’auteur du crime d’agression. Chaque membre permanent pourrait, de ce fait, entraîner un veto pour tout constat d’un acte d’agression à son encontre ou à l’encontre de l’un de ses alliés. Alors, est-il vraiment raisonnable de subordonner le cours de la justice à un veto ? Si la Charte de l’ONU accorde au Conseil de sécurité la responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, elle ne lui confère pas une responsabilité exclusive. Les membres permanents ne le conçoivent pas, mais la majorité des délégations s’accordent pour affirmer que le Conseil de sécurité n’est pas le seul responsable 3 en matière de qualification d’agression . En bref, le Conseil de sécurité est un organe politique guidé par des motifs politiques. Il peut tenir compte de considérations juridiques mais n’est, à la différence de la CPI, pas tenu de les appliquer 4. 1 Bara (A.), Le système judiciaire de la Cour pénale internationale, Al Hamed, Aman, 2008, p. 149. 2 Rudolf (B.), Considérations constitutionnelles à propos de l’établissement d’une justice pénale internationale, RFDC, N° 39, 1999, pp. 45-482. Voir aussi : Bourdon (W.), Duverger (E.), La Cour pénale internationale, op. cit., p. 38. Pellet (A.), Compétence matérielle et modalités de saisine, op. cit., p. 52. 3 Bara (A.), Le système judiciaire de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 149-151. Voir aussi : Boutros (G.), Peut-on réformer les Nations Unies ? op. cit., pp. 12-13. 4 Kinombe (C.), Le Conseil de sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale: dépendance ou indépendance ?, op. cit., http://www.memoireonline.com/12/12/6553/m_Le-Conseil-de-Securite-des-NationsUnies-et-la-Cour-Penale-Internationale-dependance-ou-indepe3.html. Voir aussi : Dulait (A.), La Cour pénale internationale, la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et des forces armées, op. cit., 333 Par ailleurs, la question qui se pose est de savoir si le constat par le Conseil de sécurité d’un acte d’agression, est indispensable avant même que la CPI se déclare compétente d’une telle situation ? La CPI serait-elle liée par le constat ou l’absence de constat d’un acte d’agression par le Conseil de sécurité ? Ou pourrait-elle contrôler la validité du constat du Conseil de sécurité afin de préserver l’indépendance du procès ? Si la Cour décide de contrôler la décision du Conseil de sécurité concernant l’existence d’un acte d’agression, cela reviendrait à un jugement sur la recevabilité de l’affaire qui empiéterait nécessairement sur le jugement de fond. Accorder à la Cour le pouvoir de contrôler la décision du Conseil de sécurité est aussi problématique puisque le Conseil de sécurité est doté d’un pouvoir discrétionnaire en vue de l’article 39 de la Charte de l’ONU. Une telle qualification de 1 l’agression peut en effet conduire à une qualification de nature politique . Admettons qu’une relation entre la CPI et le Conseil de sécurité doive exister en ce qui concerne le crime d’agression, il est toutefois important que le politique et le juridique soient dissociés. En ce sens, la Cour ne doit être liée ni par la constatation par le Conseil de sécurité de l’existence d’un acte d’agression, ni par l’absence d’une telle constatation. Accorder à la Cour un pouvoir de dernier mot est impératif afin de préserver son indépendance. Lorsque le Conseil qualifiera une situation d’agression, la Cour suivra sans doute son constat. L’entrave au fonctionnement de la justice se situe davantage dans la propension du Conseil de sécurité à ne pas aboutir à un tel constat. Ainsi, subordonner la compétence de la Cour à une détermination préalable d’un acte d’agression par le Conseil de 2 sécurité, ne revient-il pas à priver la Cour de son pouvoir de jugement indépendant ? Pour tenter de contenir le rôle du Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression, il est important d’émettre des propositions qui permettraient de réduire l’intervention du Conseil de sécurité. Ainsi, concernant la question de la compétence de la Cour à l’égard du http://www.senat.fr/rap/r98-313/r98-313_mono.html#toc20. Le Conseil de sécurité, Département de l’information, Service des informations et des accréditations, le Conseil de sécurité débat du rôle de la Cour pénale internationale dans la réalisation des objectifs communs de pais et de justice, op. cit., le 17 octobre 2012. 1 Magora (M.), La Cour pénale internationale et sa relation avec le Conseil de sécurité, op. cit., p. 40. Voir aussi : Abougrara (M.), Les compétences de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 127. 2 Adris (A.), Quelle relation entre la juridiction pénale internationale et le maintien de la paix et la sécurité internationales, op. cit., pp. 10-12. Voir aussi : Bara (A.), Le système judiciaire de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 149-151. 334 crime d’agression, nous savons que ce dernier constitue l’un des crimes les plus menaçants et dangereux. Il est donc important de trouver une solution optimale pour que les responsables de ce genre de crimes ne restent pas impunis, en raison du manque de mécanisme juridique effectif à son encontre. Afin d'atteindre cet objectif, il est indispensable de trouver un compromis politique et juridique à l'égard de ce crime. De ce fait, il faut d’abord accepter la responsabilité première du Conseil de sécurité en ce qui concerne l’agression en vertu de la Charte de l’ONU en gardant le rôle de la CPI en parallèle avec ce Conseil. Enfin, la Cour peut suivre ses procédures malgré le silence du Conseil de sécurité : en l'absence de toute action de ce dernier, dans les six mois de la demande, la Cour peut 1 continuer à mener des procédures à l'égard de l'incident . En revanche, il faut souligner que si le Conseil de sécurité ne prononce pas l’existence d’un acte d'agression, cela peut signifier qu’il ne souhaitait pas voir l’affaire concernée envoyée à la CPI. Si tel est le cas, n’oublions pas que le Conseil de sécurité pourrait par la suite paralyser totalement toutes les démarches entreprises par la CPI en appliquant l’article 16 du Statut de Rome. 1 Bara (A.), Le système judiciaire de la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 149-151. Voir aussi : Adris (A.), Quelle relation entre la juridiction pénale internationale et le maintien de la paix et la sécurité internationales, op. cit., p. 12. 335 Conclusion 336 Suite à quelques années d’activité, l'espoir mis dans la CPI n’a pas été totalement vain. De hautes personnalités politiques impliquées dans des crimes internationaux ont fait l’objet d’affaires devant cette Cour. Il faut reconnaître que l’existence de cette dernière tend à s’affirmer de plus en plus au sein de la Communauté internationale. Toutefois, de nombreuses zones de faiblesses et d’incapacités liées aux actions de tous les acteurs de la CPI ne peuvent être négligées, susceptibles d’altérer l’activité optimale de cette juridiction 1. C’est ainsi que ces lacunes s’expriment souvent dans les rapports que cette Cour entretient avec le Conseil de sécurité, des rapports qui, il faut le reconnaître, ne sont pas régis par une rationalité objective. L’explication des rapports entre la CPI et le Conseil de sécurité, constitue de fait une donnée essentielle pour comprendre la portée et l’effectivité de cette juridiction pénale internationale permanente 2. Dans la première partie de notre travail, nous avons abordé le rôle du Conseil de sécurité qui contribue à l’activation de la CPI (la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité). Nous avons également étudié la pratique de ce pouvoir par le Conseil de sécurité (dans les cas du Soudan et de la Libye). Nous avons analysé les avantages de ce pouvoir par rapport à la compétence de cette Cour, en montrant toutefois que ce pouvoir s’est heurté à certains principes fondamentaux du Statut de Rome, tels que le principe de complémentarité et l’indépendance de la CPI. La deuxième partie, quant à elle, a été consacrée à l’étude du rôle du Conseil de sécurité qui peut entraver et même paralyser l’activité de cette Cour : le pouvoir du Conseil de sécurité de suspendre l’activité de la CPI et son rôle dans la compétence de cette Cour à l’égard du crime d’agression. L’étude de ces pouvoirs accordés au Conseil de sécurité, a été accompagnée de l’exposé de certains cas dans lesquels le Conseil les a utilisés. Tout au long de ce travail, nous avons constaté que l’étude des relations entre le Conseil de sécurité et la CPI se base, principalement, sur l’affinité, l’accomplissement et les contradictions entre les causes politiques et juridiques (justice et maintien de la paix et de la sécurité internationales). L’articulation d’une telle relation exige l’éclaircissement de certaines questions délicates. Le rôle accordé au Conseil de sécurité dans l’activité de la CPI ne contient-il pas l’écueil d’une incontestable politisation de la CPI ? 1 Clerc (M.), La Cour pénale internationale : une victoire contre l'impunité ?, op. cit., p. 4. 2 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., p. 240. 337 En effet, l’activité de la CPI en elle-même peut être considérée comme un succès, le fonctionnement de cette Cour pourrait constituer un système fondamental afin d’affirmer son autorité et mettre en valeur ses atouts et faiblesses. Il y a encore quelques années, la CPI n’était qu’une illusion, et aujourd’hui elle s’affirme 1. Les premières années de l’existence de cette Cour ont été riches en imprévus en ce qui concerne ses relations avec le Conseil de sécurité. Le rôle de ce Conseil au sein de la CPI a fait l’objet de longs débats, lors des négociations de Rome, souvent davantage politiques que juridiques. Ce rôle du Conseil de sécurité peut se manifester de deux manières ; il peut d’une part contribuer à l’activité de la CPI, mais il peut de l’autre, l’entraver. Nous sommes arrivés à la phase finale de cette étude, de la CPI et de ses rapports avec le Conseil de sécurité. Ce sujet revêt indéniablement une importance capitale, à la fois dans la théorie et dans la pratique. Il est également pertinent à la fois vis-à-vis des défis juridiques en droit international, en droit pénal international, et des défis politiques concernant la question (parfois le prétexte) du maintien de la paix et de la sécurité internationales. La CPI se trouve fréquemment face à de réels défis, comme le recours du Conseil de sécurité à l'utilisation arbitraire des pouvoirs qui lui sont confiés par le Statut de Rome, en particulier dans le domaine de la saisine ainsi que sa pratique, la suspension de l’activité de la CPI et sa compétence à l'égard du crime d’agression. 1. La saisine par le Conseil de sécurité : Il est à noter que l’action du Conseil de sécurité est encadrée par le système mis en place par le Statut de Rome. La CPI est un organe juridictionnel indépendant détenant sa propre personnalité juridique internationale. Mais le Conseil de sécurité peut, en vertu de l’article 13-b 2 du Statut de Rome, renvoyer une question au Procureur, alors même que l’Etat en question n’est pas partie au Traité. Cette saisine opérée par le Conseil de sécurité contraint 1 Martain (P.), La Cour pénale internationale : quel avenir pour une illusion, op. cit., p. 337. 2 L’article 13 du Statut de Rome, appelé exercice de la compétence de la Cour, déclare que « La Cour peut exercer sa compétence à l'égard d'un crime visé à l'article 5, conformément aux dispositions du présent Statut : a) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un État Partie, comme prévu à l'article 14 ; b) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; ou c) Si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime en question en vertu de l'article 15 ». 338 les Etats membres de l’ONU, même non parties au Statut de Rome, à être saisis devant la CPI et à coopérer pleinement avec elle. Il est vrai que ce mode de saisine permet à la CPI de jouir d’une compétence plus large. Toutefois cette possibilité agréée par l’article 13-b du Statut de Rome permettrait au Conseil de sécurité de saisir la CPI de manière arbitraire 1. La CPI a été instaurée par la volonté des Etats qui ont fait un effort considérable pour l’obtenir. Cette Cour a par ailleurs été fondée sur certains principes tels que le principe de complémentarité. Le Statut de Rome déclare que la priorité revient aux juridictions nationales des Etats. Au vu du pouvoir de saisine que détient le Conseil de sécurité, ce dernier pourrait entraver l’application de ce principe en envoyant une situation à la CPI sans tenir compte de la complémentarité sur laquelle est basée la CPI. De plus, la pratique de ce pouvoir révèle que, lorsqu’il s’agit d’une saisine par le Conseil de sécurité, la CPI pourrait voir son activité entravée, l’empêchant de mener un examen pour vérifier la recevabilité. Ainsi, si la saisine a été présentée à la CPI par le Conseil de sécurité, celle-ci se trouve confrontée à des obstacles de taille quant à l’exercice de son rôle de contrôle et de surveillance ; même dans le cas où elle souhaiterait exercer un tel contrôle, elle se heurterait alors aux pouvoirs du Conseil de sécurité reconnus par la Charte de l’ONU. Le Conseil de sécurité se doit, en effet, de respecter les dispositions du Statut de Rome concernant la saisine. Même si ce pouvoir peut activer la CPI, cette dernière n’a pas à être subordonnée. Cette relation entre la CPI et le Conseil de sécurité doit être entretenue dans le respect mutuel. Le Statut de Rome s’attache en effet à ce que la CPI, organe juridique, ne devienne pas un instrument à la merci du Conseil de sécurité, organe politique. Il persiste dans la non-distinction des trois modes d’activations de la CPI, y compris la saisine par le Conseil de sécurité. En effet, ce dernier doit, dans tous les cas, respecter les limites de la compétence de la CPI2. 1 Kinombe (C.), Le Conseil de sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale: dépendance ou indépendance ?, op. cit., http://www.memoireonline.com/12/12/6553/Le-Conseil-de-Securite-des-NationsUnies-et-la-Cour-Penale-Internationale-dependance-ou-indepe.html. 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (articles 11, 13, 19 et 53). 339 2. Les premières saisines par le Conseil de sécurité : Par la résolution 1593 de 2005, le Conseil de sécurité a déféré au Procureur de la CPI la situation du Darfour depuis le 1er juillet 2002. Il s’agissait là du premier renvoi du Conseil de sécurité à la CPI. Six ans plus tard, en 2011, le Conseil de sécurité envoie à la CPI par la résolution 1970, la situation en Libye. Les deux seules situations déférées à la CPI par le Conseil de sécurité concernent donc des situations africaines. En théorie, le pouvoir du Conseil de sécurité de saisir la CPI n'est qu’un moyen, parmi d’autres, d’activer cette Cour, mais les résolutions du Conseil, qui représentent l'application pratique de son pouvoir, témoignent de son désir de se montrer autoritaire, agissant avec une main robuste pouvant contrôler la Cour. La formulation même de ces résolutions peut confirmer cette idée. En effet, le Conseil tente d’employer un ton cordial, tout en touchant des zones sensibles et donnant des ordres contraignants. Nonobstant ses termes suggérant des demandes amicales, le fond de ces demandes prouve le contraire 1. Il traite la CPI comme s’il s’agissait d’un organe de l’ONU. C’est ainsi que la pratique par le Conseil de sécurité de son pouvoir de saisir la CPI a mis l’indépendance de cette dernière et celle de son Procureur en jeu. Dans ses résolutions, le Conseil de sécurité a demandé au Procureur de le tenir informé de l’avancement du travail sur ces cas. Il paraît improbable que la demande énoncée dans les résolutions du Conseil de sécurité ne constitue qu’une simple invitation à l’informer de la suite donnée aux présentes résolutions. Cela laisse entendre que le Procureur serait non seulement tributaire de la CPI, mais aussi du Conseil de sécurité. De plus, le Procureur a déjà présenté plusieurs rapports, concernant ces situations, au Conseil de sécurité, chacun de ces rapports se basant sur l’application de ces résolutions avant même celles du Statut de Rome 2. Ainsi, le Procureur fonde ses actes sur un unique paragraphe d’une résolution prise par une entité politique, ce qui suggère qu’il est supérieur aux obligations stipulées dans le Statut de la CPI, et notamment celle d’impartialité, prérequis incontournable à l’exercice d’une véritable justice. 1 Voir : Supra, pp. 167-170. 2 Les rapports du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1593 (2005). Voir aussi : Le premier rapport du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1970 (2011), 4 mai 2011. 340 Par ailleurs, dans les deux cas, une constante se dégage : la saisine par le Conseil de sécurité est dépendante du contexte politique qui entoure la commission des crimes allégués à l’origine de la compétence de la Cour. En effet, le pouvoir de la saisine par le Conseil de sécurité est indissociable de la politique des membres permanents du Conseil et de leur attitude par rapport à la CPI. Ce pouvoir de saisir reste entre les mains d’Etats puissants au Conseil de sécurité, un pouvoir dont l’utilisation sera donc tributaire de leurs plans politiques. Ces premiers cas de saisines malgré leurs avantages notables, montrent que cette modalité de renvoi est consubstantielle à une certaine forme de politisation de la justice pénale internationale. 3. Le pouvoir de suspension : Le Statut de Rome a décidé la création d’une CPI permanente et indépendante, tout en octroyant au Conseil de sécurité un espace prépondérant au sein du fonctionnement de cette Cour. Le Conseil de sécurité peut en effet demander à la Cour de suspendre une enquête ou des poursuites pendant une période de douze mois renouvelable, lorsqu'il considère que les actions de la CPI portent atteinte à la paix et la sécurité internationales. Selon la Charte de l’ONU, le Conseil de sécurité, après avoir constaté l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, peut prendre des mesures en application des articles 41 et 42 1. Le seul véritable contrôle sur le Conseil et son action est exercé par les membres eux-mêmes via leur veto. Autrement dit, jamais un contrôle effectif ne sera exercé sur les décisions du Conseil de sécurité, tant qu’il demeurera contrôlé par ce droit appelé veto 2. Il appert donc que cet octroi au Conseil de sécurité du pouvoir de suspendre l’activité de la CPI, pourrait constituer un moyen de réaliser les projets politiques des membres permanents et incontrôlables, d’autant que certains de ces membres ont témoigné une certaine hostilité à l’encontre de la création et du fonctionnement de cette Cour. En effet, l’action de la Cour se voit paralysée sur simple demande du Conseil de sécurité. L’utilisation de ce pouvoir offre, de ce fait, au Conseil de sécurité, la possibilité de soustraire un Etat partie à l’exercice de la compétence de la Cour, du moins en cas de renouvellement de la demande 3. 1 Le Statut de la Cour pénale internationale (article16). La Charte des Nations Unies (articles 24, 41 et 42). 2 Sur (S.), Le Conseil de sécurité : blocage, renouveau et avenir, op. cit., p. 69. 3 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., p. 44. 341 Ainsi, les membres permanents du Conseil de sécurité, qu’ils soient ou non parties au Statut de Rome, peuvent refuser de se soumettre à la CPI en recourant à cet organe. La crainte est d’autant plus fondée que le Statut de la CPI autorise le Conseil de sécurité à paralyser totalement toute action d'investigation ou à suspendre tout procès devant la CPI. Il n'est donc pas à exclure que là où les intérêts stratégiques de ces Etats sont menacés, cet organe politique ne devienne un instrument de leur politique, consacrant juridiquement l'impunité. L’exemple américain appuie encore cette crainte. Les Etats-Unis ont été, durant les négociations, le premier Etat à exiger un rôle central pour le Conseil de sécurité concernant le contrôle de la CPI ; ils ont défendu la proposition conférant à ce Conseil le droit de suspendre les enquêtes et les poursuites devant la Cour 1. En application de ce pouvoir, le Conseil de sécurité a pris certaines décisions (1422/2002 et 1487/2003), en vertu du Chapitre VII 2. L’étude de ces résolutions démontre qu’elles n’établissent pas explicitement la menace contre la paix qui devrait motiver ces décisions. La lecture de ces résolutions permet de déduire que le Conseil de sécurité considère que l’entrée en vigueur du Statut et la possibilité de poursuivre les membres des opérations de maintien de la paix devant la CPI, constituent une menace contre la paix. L’exigence d’une menace contre la paix qui permettrait de fonder une décision du Conseil de sécurité sur la base du Chapitre VII de la Charte, conformément à l’article 16 du Statut de Rome, paraît incertaine dans ces résolutions. De plus, l’article 16 du Statut de Rome s’applique dans le cadre de situations particulières. Le texte de cet article permet au Conseil de sécurité de demander à la CPI de suspendre une enquête ou des poursuites au regard d’une situation concrète. Cela n’est pas le cas dans ces résolutions. Le Conseil de sécurité se permet dans celles-ci de suspendre l’activité de la CPI concernant une situation éventuelle. S’il fallait conclure que l’article 16 du Statut de Rome permet au Conseil de sécurité de suspendre, de façon générale et indéfinie dans le temps, la compétence de la CPI à l’égard de toutes opérations autorisées par l’ONU, cette interprétation aboutirait à un résultat absurde et priverait le Statut de Rome de son objet. Ces résolutions disposent que leurs effets prennent cours, de façon rétroactive, à partir du 1er juillet 2002. Or, l’article 16 du Statut ne prévoit pas 1 Bouquemont (C.), La Cour pénale internationale et les Etats-Unis, op. cit., pp. 25-52. Voir aussi : Amnesty international, site officiel d’Amnesty international, disponible sur : http://www.amnesty.org/fr, référence de la page consultée le 19 mars 2011. 2 Pour plus d’informations, voir : Supra, pp. 231-243. 342 la possibilité d'une décision du Conseil de sécurité avec effet rétroactif. Ainsi, ces résolutions violent non seulement la Charte de l’ONU mais aussi l’article 16 du Statut de Rome 1. Cela nous permet d’affirmer qu’une telle résolution encourage à commettre ces crimes en accordant l'immunité à certaines personnes, ce qui est bien entendu inadmissible. Une telle décision encourage également les pays participants aux opérations de l'ONU à ne pas adhérer au Statut de Rome 2. En outre, la pratique de ce pouvoir montre la forte sélectivité de la politique américaine. D’une part, nous remarquons cette insistance des Etats-Unis à assurer une immunité effective pour leurs ressortissants face à la compétence de la CPI en appliquant l'article 16 du Statut, malgré l'opposition de la majorité des pays dans le monde. D’autre part, nous relevons une forte réticence américaine à appliquer l'article 16 du Statut de Rome dans la résolution 1828, lorsque le Procureur de la CPI a demandé un mandat d'arrêt contre le président soudanais Omar al-Béchir, malgré le soutien d'un grand nombre des Etats présents. En effet, ces résolutions visent avant tout à aboutir à une immunité automatiquement renouvelable et expliquent l’insatisfaction de certains pays à l’égard des modalités d’exclusion de la compétence de la CPI. Il s’agit donc d’un moyen offensif contre la compétence de la Cour afin d’aboutir à une immunité au caractère non plus provisoire et ponctuel mais permanent. D’ailleurs, la prise des résolutions 1422 et 1487, ne constituent que des réponses partielles aux préoccupations premières des Etats-Unis, désireux d’exclure de façon durable la compétence de la Cour à l’égard de leur personnel militaire 3. Par ailleurs, il est vrai que le pouvoir du Conseil de sécurité de saisir la CPI est avantageux car cette dernière ne serait plus obligée de respecter les conditions préalables à la saisine. Cependant, l’étude du pouvoir de saisine du Conseil de sécurité en parallèle avec celle de son pouvoir de suspension, révèle que ces pouvoirs ont un double visage. Si la saisine par le Conseil de sécurité peut accorder à la CPI une compétence large, le pouvoir de suspension peut, de son côté, réduire cette compétence. 1 FIDH, dite officiel de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme, La Cour pénale internationale : les Etats-Unis menacent l’Union européenne, op. cit., http://www.fidh.org/Cour-penaleinternationale-les. Voir aussi : Croix rouge, site officiel de la Croix rouge, Les résolutions 1422 (2002) et 1487 (2003) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le « maintien de la paix par les Nations Unies », problèmes au regard du Statut de la Cour pénale internationale, op. cit., http://www.croix-rouge.be. 2 Alajami (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., p. 57. 3 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp. 369-370. 343 D’une façon très simple, il est inconcevable que la CPI tout comme la justice ne visent pas la paix dans le monde. Le préambule même du Statut de Rome déclare que la CPI exige la paix et lutte contre les crimes menaçant la paix et la sécurité internationales. C’est la finalité même de cette Cour. Par conséquent, il serait parfaitement illogique que son travail (enquêtes et poursuites) menace la paix et la sécurité internationales. Ainsi, octroyer au Conseil de sécurité le pouvoir de suspendre les enquêtes devant la CPI sous le prétexte de l’existence d’une menace contre la paix, constitue un paradoxe 1. En effet, ce pouvoir a été accordé au Conseil après un conflit purement politique entre des Etats. Il représente une victoire pour les pays superpuissants dans leur volonté de contrôler la CPI, tout comme le pouvoir de saisine de la CPI par le Conseil de sécurité. Le pouvoir de suspension de ce Conseil reste aussi entre les mains d’Etats puissants, dont les politiques détermineront l’utilisation de ce pouvoir. Les résolutions 1422 et 1487 sont les meilleurs exemples d’immunité et de sélectivité. 4. Le Conseil de sécurité et le crime d’agression : La CPI est compétente pour juger les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la Communauté internationale 2 ; le crime d’agression est un des crimes entrant dans sa compétence. Le Statut de Rome n’est pourtant jamais parvenu à fixer sa définition. Ce Statut devait être révisé au cours de la Conférence internationale réunie à Kampala (Ouganda). A cette occasion, les Etats parties à la Cour sont parvenus, le 11 juin 2010, à adopter un compromis qui devrait, en théorie, permettre à la juridiction de juger un jour les responsables de crimes d’agression. Selon le texte adopté concernant ce crime, il appartiendra au Conseil de sécurité d’accorder à la CPI « l’autorisation » pour qu’elle puisse enquêter sur de tels crimes, à moins que l’agresseur et l’Etat agressé soient membres de la Cour et aient accepté sa compétence sur ce crime. Il s'agit en réalité d'un accord complexe 3. En effet, le rôle du Conseil dans la compétence de la CPI à l’égard du crime d’agression constitue l’une des bases sur lesquelles 1 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 5-6. 2 Le Statut de la Cour pénale internationale (article 18). 3 CPCPI, site officiel de la coalition pour la Cour pénale internationale, Conférence de révision : résumé informel du vendredi 11 juin, op. cit., http://www.iccnow.org/?mod=newsdetail&news=4000&lang=fr. 344 les rapports entre la CPI et le Conseil de sécurité ont été fondés. Ainsi cela pourrait prouver que la capacité juridique de la Cour dépend en partie de la sensibilité politique de cet organe. Si la CPI poursuit son activité en entretenant le même genre de rapport avec le Conseil de sécurité, l’exercice de cette Cour serait toujours subordonné à la volonté du Conseil de sécurité et surtout de ses membres permanents. Ces derniers pourraient décider de ne pas autoriser la Cour à connaître des crimes rentrant pourtant dans sa compétence. Un tel choix aurait engendré le recours au pouvoir de veto afin de paralyser la CPI 1. En effet, subordonner la capacité de la CPI à enquêter, à une décision préalable du Conseil de sécurité de qualifier un acte d'agression, est le point focal de notre questionnement. Il faut par ailleurs rappeler que, dans tous les cas, si cette condition préalable à l’exercice de la compétence de la Cour à l’égard du crime d’agression peut activer cette nouvelle compétence, elle peut également la paralyser. En outre, la subordination de la CPI à une décision préalable du Conseil de sécurité contient une véritable atteinte à l’indépendance de la justice pénale internationale 2. Par ailleurs, demeure la crainte que les responsables d’agression ne soient jamais jugés ; pour contourner cet écueil, il était nécessaire d’accepter que le seul moyen raisonnable consistait à donner à la CPI, compétence pour juger les auteurs de crimes d’agression, dont la définition aurait préalablement été établie par le Conseil de sécurité 3. En revanche, étant donnée la pratique du Conseil de sécurité, sa sélectivité, le contrôle et les intérêts de certains pays, même en donnant au Conseil de sécurité ce rôle, nous serons toujours confrontés à autant de responsables de crimes d’agression non jugés ; en effet, atteindre cette finalité ne constitue pas réellement le dessein du Conseil de sécurité, ni celui des pays qui contrôlent ce Conseil. Après avoir émis des conclusions concernant les quatre points focaux de notre étude, revenons à des considérations générales. Depuis la fin de la Guerre Froide, l'idée de l'intervention humanitaire a fait son chemin dans la jurisprudence internationale. Une de ses 1 Lattanzi (F.), Compétence de la Cour pénale internationale et consentement des Etats, op. cit., p. 444. 2 Abdelgawad (E.L.), La répression du crime international d’agression : la révision programmée du Statut de Rome va-t-elle permettre l’impensable ?, op. cit., pp. 193-194. 3 Pellet (A.), Compétence matérielle et modalités de saisine, op. cit., p. 51. 345 premières applications s'est produite suite à la deuxième guerre du Golfe : l'impact de la migration kurde d'Irak a poussé le Conseil de sécurité à adopter en 1991 la résolution 688, pour mettre fin à la répression et protéger la population civile. Mais l'invasion et l'occupation de l'Irak en 2003 et même avant de l’Afghanistan en 2001, ont mis en évidence l’application du principe d'intervention humanitaire en faveur des grands Etats puissants et leurs propres intérêts, selon des normes sélectives à double visage 1. Ces pays continuent aujourd’hui, en utilisant le Conseil de sécurité et ses missions de maintien de l’ordre, d’appliquer une politique à deux visages face au travail de la CPI. Rappelons ici que les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo étaient une incarnation de la force du vainqueur de la Seconde guerre mondiale, et furent instaurés non pas pour la justice, mais afin de soumettre les vaincus d’une façon moins conflictuelle que de déclarer la guerre. Aujourd’hui, nous sommes devant une autre réalité nommée la CPI, qui incite à opter pour des moyens en accord avec les principes de justice et plus pertinents que la création d’un tribunal des vainqueurs. Ainsi, le seul moyen d’être juste, tout en réalisant son intérêt, est d’accepter l’existence d’une telle Cour mais de chercher à la contrôler. De surcroît, l’idée que l’action de la CPI soit principalement subordonnée au rôle du Conseil de sécurité, affirme l’idée que l’activité de cette Cour ne dépend pas seulement de son efficacité mais aussi de la volonté politique du Conseil de sécurité et de ses membres. Le rôle conféré au Conseil rend la CPI tributaire de ce dernier. L’action pénale du Conseil de sécurité s’insère dans les missions que la Charte de l’ONU lui accorde en vertu des articles 24, 39, 41 et 42. Ces dispositions attribuent au Conseil de sécurité la compétence de prendre des mesures contre des crimes relevant en même temps de la compétence de la CPI. En effet, avec ses pouvoirs (le pouvoir de saisine de la CPI, le pouvoir d’obligation de coopération qu’il impose à tous les Etats membres de l’ONU lorsqu’il est à l’origine de la saisine, le pouvoir de suspension ou encore les prérogatives qu’il tire de la Charte en matière de crime d’agression), le Conseil de sécurité semble mener des opérations de maintien de la paix à caractère judiciaire. En effet, la problématique de ce genre de relation complexe ne concerne pas uniquement la reconnaissance du rôle du Conseil de sécurité dans l’activité de la CPI : le degré d’intervention de cet organe politique est, plus encore, facteur de contraintes. Le 1 Wallensteen (P.), Interview de Peter Wallensteen, RICR, vol.91, 2009, pp. 20-21. Voir aussi : Mbonda (EM.), Éditorial, dossier : Les acteurs non étatiques dans les cnflits armés, ASPECTS, Revue d’études francophones sur l’État de droit et la démocratie, n° 4, 2010, p. 8-11. 346 Conseil de sécurité, l’organe décisif de l’ONU, pourrait influencer la crédibilité de la CPI. Celle-ci se trouve alors acculée : soit elle réagit sous le pouvoir politique du Conseil de sécurité, faisant ainsi l’impasse sur son indépendance et sa légitimité, soit elle chemine sans égard au Conseil de sécurité, risquant alors l’inefficacité de son action pénale. En effet, les rapports de construction et de déconstruction de la CPI sont plus que jamais tributaires de la volonté et, parfois, du manque de volonté du Conseil de sécurité 1. Le Statut de Rome reconnaît en effet au Conseil de sécurité des rôles importants, dont certains apparaissent positifs et d’autres, totalement négatifs. Le Conseil de sécurité peut saisir la Cour, ce qui confère d’ailleurs à cette dernière une compétence accrue par rapport aux autres cas de saisine, mais il peut dans le même temps, suspendre les enquêtes et poursuites qu'elle serait en train de conduire. En somme, le Conseil de sécurité peut entretenir avec la Cour un double rapport, pouvant à la fois contribuer à son activité, et la désactiver voire toucher son indépendance. Par ailleurs, en ce qui concerne le droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité, il joue un rôle important dans la relation de la CPI avec le Conseil de sécurité (justice et maintien de la paix et de la sécurité internationales), et malgré les attentes qu’il suscite, ce droit se montre plus négatif que positif dans cette relation : Pour déférer une situation à la CPI ou bien suspendre l’activité de cette dernière, le Conseil de sécurité doit prendre une décision en ce sens. Alors les membres permanents, via leur droit de veto, auraient la possibilité d'exercer librement une politique sélective à travers laquelle ils pourraient réaliser des intérêts politiques et économiques. D’une part, si la CPI décide d’enquêter sur des crimes rentrant dans sa compétence, les membres permanents du Conseil de sécurité peuvent paralyser cette enquête par une résolution du Conseil de sécurité si leurs intérêts l’exigent, comme c’était le cas dans les résolutions 1422 et 1487. D’autre part, si le Conseil de sécurité s’apprête à renvoyer une situation devant la CPI, le droit de veto de ces Etats peut leur permettre de bloquer la prise de cette décision, toujours selon leurs intérêts, comme c’est d’ailleurs le cas actuel de la situation en Syrie. En conséquence, par ce droit, ces Etats peuvent facilement sélectionner les cas dans lesquels ils réagissent en faveur de leurs intérêts. Et, même si ce rôle pourrait se révéler positif selon l’article 16 du Statut de Rome, en 1 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., pp. 418-419. 347 empêchant le Conseil de sécurité de suspendre une enquête ou une poursuite, la pratique du Conseil de sécurité n’illustre pas cette possibilité. Le meilleur exemple a été l’absence du droit de veto lors de la prise de la résolution 1442 et son renouvellement par la résolution 1487, car le veto n’est simplement qu’une carte à jouer lorsque des intérêts sont en jeu, qui ne 1 sont d’ailleurs pas toujours en faveur de la CPI et la justice pénale internationale . La CPI possède sa personnalité juridique propre. Elle n’est pas subordonnée à la décision du Conseil de sécurité. Elle est juge de sa propre compétence. Si en vertu de l’article 25 de la Charte de l’ONU, les Etats sont tenus d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité, cela doit être uniquement dans la mesure où ces décisions sont adoptées conformément à la Charte de l’ONU. Le Conseil de sécurité doit respecter cette Charte. Il n’a pas le pouvoir d’amender un Traité international, comme l’ont rappelé plusieurs Etats lors de l’adoption des résolutions 1422 et 1487. Confier au Conseil de sécurité de tels pouvoirs est, en réalité, une mesure qui lui permet de contrôler le travail de la Cour. L’extrême politisation de cette Cour et les pouvoirs de contrôle que le Statut de Rome lui a confiés, mettent en doute sa crédibilité en tant que Cour de justice indépendante. En tenant compte de la crise de légitimité et du manque de crédibilité de cet organe de l'ONU, les rôles du Conseil de sécurité, prévus dans le Statut de Rome, restent dangereux. Il faut alors sauvegarder l’indépendance de cette juridiction par rapport aux fortes pressions politiques qui pourraient provenir du rôle prééminent attribué au Conseil vis-à-vis de la Cour 2. Le Conseil de sécurité a déjà eu recours aux pouvoirs attribués par le Statut de Rome 3. Cela a été un véritable défi pour la CPI dans son entièreté. Mais la peur que la logique politique du Conseil de sécurité et son prétexte de maintenir la paix et la sécurité internationales ne finissent par déteindre sur la Cour, demeure justifiée si le Conseil de sécurité use à l’excès de ses pouvoirs. Ces derniers constituent de fait une arme redoutable dont le but a, sans aucun doute, été dénaturé par les résolutions du Conseil de sécurité concernant la CPI, comme les résolutions 1422 et 1487 du Conseil de sécurité qui tendaient à 1 Le rapport du groupe de travail de l’Assemblée générale de l’ONU, rendu public le 20 septembre 1994. 2 Dainotti (F.), La Cour pénale internationale est une réalité, op. cit., pp. 37-39. 3 Par exemple : la résolution 1422 du 12 juillet 2002 du Conseil de sécurité. 348 conférer l’immunité à certaines catégories de personnes 1. En outre, l’examen montre que le rôle du Conseil de sécurité dans le fonctionnement de la CPI est conduit par des considérations politiques pouvant supplanter les considérations strictement juridiques. C’est la raison pour laquelle la CPI pourrait toujours souffrir d’un déficit de crédibilité et d’indépendance 2. En effet, le caractère politique du maintien de la paix est ancré dans le domaine de la justice pénale internationale et particulièrement dans la CPI. Le Conseil de sécurité est un organe politique, une nature dont il ne peut se séparer. Il n’y a alors aucune garantie que des considérations d’ordre politique, concernant le maintien de la paix et de la sécurité internationales, ne s’imposent à l’activité de la CPI. Il est possible que la CPI se trouve paralysée au point qu’elle ne puisse mener à bien l’examen afin de vérifier la recevabilité d’une situation déférée par le Conseil de sécurité. En rappelant sa mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales, le Conseil de sécurité se permet d’intervenir et bloquer le travail de la CPI, et prend de surcroît des mesures fortement sélectives par lesquelles il défère certaines situations à la CPI tout en suspendant son activité concernant les autres. Ces mécanismes demeurent tributaires de considérations purement politiques sous le prétexte de maintenir la paix et la sécurité internationales. Nous rappelons, à ce titre, que l’UA a réprouvé l’émission des mandats d’arrêt à l’encontre d’Omar Al-Béchir à la suite d’une saisine devant la CPI par le Conseil de sécurité. Dans toutes les situations, l’UA a dénoncé, et continue de le faire, la mise en place d’une Cour qui ne semble enquêter que sur des Etats africains même si, en dehors de la situation au Darfour et en Libye, ce sont les Etats eux-mêmes qui ont été à l’origine du déclenchement de sa compétence. Par ailleurs, même si nous voulons bien admettre formellement que le Conseil de sécurité a saisi la CPI des cas soudanais et libyen pour raison de justice, il n'est pas possible d’accepter l’exercice d’une justice sélective et à deux vitesses que ces renvois illustrent. Ces saisines sont incompatibles avec le contenu de l'article 27 du Statut de Rome, qui est consacré à l’immunité. Par ailleurs, il ne faut surtout pas oublier que malgré la création de la CPI, le Conseil de sécurité peut continuer de créer des tribunaux pénaux internationaux. Rien ne l’empêche de créer un nouveau Tribunal international, en invoquant son fameux prétexte du maintien de la paix et de la sécurité internationales, et en décidant qu’une 1 Jorda (C.), Regard sur la Cour pénale internationale : entretien avec Jorda (C.), juge à la Cour pénale internationale, RDF, op. cit., pp. 5-7. 2 Alpha Ndiaye (S.), Le Conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit., p.64. 349 situation, menaçant la paix et la sécurité internationales, mérite une telle création. C’est ainsi que la mission la plus visée par le Conseil de sécurité reste le maintien de la paix et de la sécurité internationales, et non nécessairement la justice. En réalité, la CPI ne pourra échapper à la critique concernant sa crédibilité et son indépendance et même son activité, tant que cette Cour ne se séparera pas de l’intervention automatique et systématique du Conseil de sécurité. Il faut que la CPI se base, dans ses actions, sur le soutien des Etats parties à son Statut. La CPI doit se présenter comme un pilier fort et fondamental pour convaincre les différentes tendances politiques et juridiques, et combler le vide dans la justice pénale internationale, en particulier suite aux atrocités dont le monde a été témoin et l'impunité dont jouissent la plupart des auteurs de ces barbaries. Une des premières missions de la CPI concerne la prévention des violations graves du droit international, mais son travail dépend de la volonté des Etats, ce qui soulève certains questionnements sur sa capacité à mener à bien son rôle. Cette Cour devait être l'un des mécanismes les plus efficaces pour appuyer les principes de droit au niveau international, mais le rôle du Conseil de sécurité dans les procédures devant cette Cour a accéléré la naissance de nombreuses craintes au sujet du comportement de cet organe politique face à la CPI, en particulier en ce qui concerne son pouvoir de suspension et son rôle vis-à-vis du crime d'agression. Ainsi, trouver un équilibre entre cette jeune Cour et le Conseil de sécurité (garant du maintien de la paix et de la sécurité internationales), n'est pas chose facile. Le Conseil de sécurité se doit de réagir dans le domaine de la paix et de la sécurité internationales, en évitant toute intervention excessive dans la compétence et l’activité de la CPI. Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que le Conseil de sécurité pourrait outrepasser toutes les barrières de la justice, sous le prétexte (du maintien de la paix et de la sécurité internationales), mais en réalité au nom d’un ordre international qu’il appelle de ses vœux. Cela est une réalité. Par l’étude des rapports du Conseil de sécurité avec la CPI, il est clair qu'il tend à négliger les principes fondamentaux de la justice et son indépendance lorsqu’il intervient, bien que le choix juridique du Statut de Rome ait été d’instituer une juridiction autonome et une justice indépendante. Le Conseil de sécurité peut borner les moyens d’action de la CPI et porter atteinte à son efficacité, même s’il lui est nécessaire pour cela d’utiliser comme prétexte la question de la paix et de la sécurité internationales. Les pouvoirs accordés au Conseil de sécurité par le Statut de Rome, et ses interventions pour maintenir l’ordre, ont été la cause de l’émergence des considérations 350 politiques qui sont aujourd’hui au cœur de l’activité de la CPI, tels que son pouvoir de suspension et ses applications purement politiques. Cela pourrait conduire la Cour à servir des objectifs qui ne sont pas en conformité avec son indépendance et son impartialité. De plus, l’existence du Conseil de sécurité dans la compétence de cette Cour (en particulier concernant le crime d'agression) constitue un obstacle majeur à toute tentative de poursuites contre certains Etats puissants. La majorité des décisions du Conseil de sécurité, visant le travail de la CPI, ont émergé à l’initiative de pays superpuissants (comme les Etats-Unis), employant toutes leurs puissances, militaires, politiques et économiques pour prendre et appliquer de telles décisions. Ces pays utilisent le Conseil de sécurité et ses pouvoirs pour soutenir une forte compagne anti-Cour. Quoi qu’il en soit, la création de la CPI est en soi un succès, la preuve d’un progrès de la conscience humaine. Un des objectifs de la mise en place d’une CPI est le désir de surmonter les insuffisances des anciennes expériences de tribunaux internationaux, tenter de combler les lacunes importantes dans le système juridique international, et obtenir une CPI avec une réelle efficacité et indépendance. Mais, donner au Conseil de sécurité de larges pouvoirs face à cette jeune CPI a réduit l’indépendance qui était espérée pour cette Cour. De plus, le Conseil de sécurité ne représente pas réellement un moyen d'exprimer les points de vue juridiques des pays membres permanents ou non permanents, mais n’exprime que les points de vue politiques, ce qui constitue une grave menace pour l’indépendance juridique de la CPI et son efficacité en termes de capacité d'initiative et d’action dans le but d'activer et de renforcer le droit international. Par ailleurs, les situations déférées à la CPI par le Conseil de sécurité révèlent clairement que ce Conseil intervient dans l’activité de la Cour en fonction de la volonté et de l’intérêt de ses membres permanents, toujours sous le prétexte officiel du maintien de la paix. Sinon, pourquoi le Conseil de sécurité ou plutôt ses membres permanents auraient-ils accepté de déférer la situation du Soudan et celle de la Libye ? En effet, ni la justice ni le maintien de la paix et de la sécurité internationales ne sont ici les principales raisons. Au Soudan, nous étions confrontés à deux types de conflits : d’une part un conflit interne, et de l’autre un conflit de puissance et d’intérêts américain, russe et chinois, qui a poussé le Conseil de sécurité à déférer cette situation à la CPI. Ces trois puissances se sont affrontées pour 351 défendre leurs intérêts dans ce pays, et il était également de leur intérêt que l'affaire soit renvoyée devant la CPI 1. En Libye, le régime de Kadhafi était en place depuis plus de quarante ans ; loin de représenter un modèle en matière de leadership, de liberté, d'éducation, de relations internationales, il constituait sans cesse une nuisance pour la Communauté internationale. Cette situation libyenne était notoire pour tous, mais la question qui se pose ici est la suivante : quelles sont les raisons ayant motivé le Conseil de sécurité à déférer la situation libyenne à la CPI ? En effet, si ce caractère dictatorial a joué un rôle dans le renvoi de la situation libyenne, ce rôle n’a pas été la cause principale de cette saisine. La Libye est un Etat détenant des richesses considérables, sous forme de réserves de pétrole, d'huile, de métal, de gaz, ainsi que de nombreux investissements. Ces richesses ont profité à l'ancien régime, ainsi qu’à certains pays comme l'Italie notamment, tandis que d’autres grands pays étaient très peu présents sur cette terre libyenne. La Libye représentait un butin inaccessible, mais la saisine de sa situation à la CPI et l’intervention en vue de se débarrasser de l'ancien régime, ont ouvert la porte à ces pays, désormais présents sur son territoire. Cette raison pourrait probablement expliquer que certains pays, qui mènent par ailleurs des campagnes anti-CPI, aient ici volontiers accepté la compétence de cette Cour en déférant cette situation devant elle 2. A l’inverse de ces situations, la situation syrienne nous donne une autre approche de la gestion des conflits au sein du Conseil de sécurité. Si les situations soudanaise et libyenne ont été déférées à la CPI après de vives discussions entre les membres permanents, qui sont parvenus à tomber d'accord pour déférer ces situations à la CPI, les relations politiques, économiques et militaires entre la Russie et la Syrie semblent étroites et représentent ici un 1 Pour plus d’informations sur ce point, voir : Supra, pp. 111-116 et 130-136. 2 Pour plus d’informations à ce propos, voir : Supra, pp. 122-124 et 184-186. Naim (M.), Pourquoi attaque-t-on la Libye et pas la Syrie ?, op. cit., http://www.slate.fr/story/38383/bombarder-libye-pas-syrie-pourquoi. Le Monde, Le pétrole, priorité des rebelles libyens, op. cit., http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/08/22/lepetrole-priorite-des-rebelles libyens_1562277_3212.html. 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Si l’on affirme que le renvoi des situations soudanaise et libyenne a été motivé par des causes humanitaires afin de parvenir à la justice et maintenir la paix et la sécurité internationales dans ces pays, alors l’actuelle situation syrienne, dont les atrocités se déroulent sous les yeux de la Communauté internationale, infirme la validité de cette analyse. C’est ainsi que la compétence de la CPI ne peut malheureusement être active qu’en faveur des intérêts politiques et économiques des membres permanents du Conseil de sécurité. Si les conditions sont réunies, le Conseil et ses membres réagissent, et comme toujours pour maintenir l’ordre. Les rapports entre la CPI et le Conseil de sécurité soulèvent toujours les critiques : avec une telle relation, nous disposons d’une Cour à deux vitesses, dotée d’une compétence à la carte, et qui s’exerce différemment en fonction du positionnement et de l’éventuel soutien des membres permanents du Conseil de sécurité. Celui-ci, plus précisément ses membres permanents se sont battus et persisteront pour garantir leur contrôle sur la CPI. C’est pourquoi il semble nécessaire de limiter les rôles du Conseil de sécurité prévus dans le Statut de Rome, notamment en ce qui concerne son pouvoir de suspension. La demande du Conseil de sécurité de suspendre l’activité de la CPI ne devrait pas être renouvelable. Ce Conseil peut demander de suspendre les enquêtes et les poursuites en présence de preuves suffisantes justifiant cette suspension ; douze mois semblent une durée suffisante pour que le Conseil de sécurité puisse traiter une question menaçant la paix et la sécurité internationales. En outre, il faut soutenir la tendance rejetant toute décision du Conseil de sécurité qui octroie l'immunité aux personnes d’un Etat non partie travaillant au sein des forces de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Ces décisions concernant l’immunité, engendre un nouveau pouvoir confié au Conseil de sécurité, celui de modifier les textes des conventions internationales. En tout état de cause, la mission du Conseil de sécurité de maintenir la paix et la sécurité internationales, ne doit pas être considérée comme un prétexte pour justifier le rôle joué par le Conseil de sécurité en ce qui concerne la CPI. De fait, cette Cour, en tant qu’instrument de la justice pénale internationale, chemine vers le même but que celui poursuivi par le Conseil de sécurité concernant le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Ainsi, il ne faut pas laisser le Conseil de sécurité manipuler cet objectif et l’utiliser comme un moyen de neutraliser cette Cour. En revanche, il faut remédier aux lacunes du Statut de Rome, dans le cadre d'un effort global tendant à l’amélioration de la place de la CPI dans ses relations avec l’ONU et notamment avec le Conseil de sécurité et reconsidérer certaines procédures régissant la 353 conduite des interventions du Conseil de sécurité dans l’activité de la CPI. Il faut rechercher un équilibre entre ces acteurs de la justice pénale internationale. Quelle crédibilité pourrait espérer acquérir une Cour dont le Statut ferait ostensiblement abstraction des compétences du Conseil de sécurité au regard de la Charte de l’ONU ? La présence du Conseil de sécurité dans l’activité de la CPI est, sans doute, nécessaire et importante. Mais il faut rappeler les pouvoirs considérables dont jouit le Conseil de sécurité, à la lumière des textes actuels, qui sont absolus et discrétionnaires ; il faut indiquer qu’il réagit en vertu du Chapitre VII. Cela s'ajoute à l'absence de mécanismes permettant de contrôler ses actes et ses actions. En outre, le droit de veto des membres permanents du Conseil conduit à entraver le travail de la CPI. Ainsi, il semble essentiel de réexaminer les pouvoirs accordés par le Statut de Rome au Conseil de sécurité, qui pourrait ainsi devenir un outil efficace pour contribuer à l’exercice de la justice pénale internationale. Il serait également pertinent de conclure un accord mettant en place des moyens de contrôle pour rendre l’utilisation des pouvoirs du Conseil de sécurité plus neutre, et prévenir toute paralysie du travail de la CPI par le Conseil et ses membres permanents. Pour conclure, les rapports entre la CPI et le Conseil de sécurité sont le résultat des considérations pratiques et théoriques des pouvoirs du Conseil de sécurité prévus dans la Charte de l’ONU. Ces rapports présentent plusieurs avantages : ils définissent la personnalité juridique internationale de la CPI et pourraient contribuer à son universalité. De plus, l'existence de ces rapports fournit un soutien administratif, fonctionnel, et matériel à la CPI. Enfin, malgré les divers obstacles qui entravent l’activité de la CPI, la mise en place de cette Cour est en soi une étape importante vers l’instauration de la paix et de la sécurité internationales et la promotion du respect du droit international. L'évolution et l’activation de cette justice pourraient inciter les Etats à adopter des réformes juridiques et législatives importantes, en vue de respecter les Droits de l'homme et d'empêcher l'impunité. En effet, la réelle volonté politique des nations de prévenir l'impunité est le moyen le plus efficace de surmonter tous les obstacles qui se dressent sur la voie de la ratification du Statut de Rome, et d’appliquer et respecter réellement ses dispositions. Enfin, il y a encore vingt ans, l’instauration d’une CPI n’était qu’un projet ambitieux canalisant tous les espoirs d’une paix durable au niveau international ; aujourd’hui, cette instance est en place. Il est vrai que des zones de faiblesse persistent et que les difficultés sont présentes, mais cette jeune Cour, en seulement dix années d’activité, est parvenue à traiter des affaires importantes concernant des 354 hauts responsables, mais surtout à se faire respecter et craindre même des grandes puissances, ce qui contribue à nourrir l’espoir d’une véritable justice pénale internationale indépendante. 355 Bibliographie 356 Ouvrages : Abou Alkair (A.), La Cour pénale internationale permanente, Dar Elnahda, Le Caire, 2001, (paru en arabe, titre traduit par mes soins). Adouki (D.), Droit international public, L’Harmattan, Paris, 2000. Algadamsi (M.), Le pétrole libyen, Dar Aljabal, Beyrouth, 1998, (paru en arabe, titre traduit par mes soins). 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La résolution 387 du Conseil de sécurité, UN.DOC.S/RES/387 (1976) : concernant la situation en Angola-Afrique du Sud. La résolution 58/318 de l’Assemblée générale de l’ONU, A/RES/58/318, 13/09/2004 : concernant la coopération entre l’ONU et la Cour pénale internationale. La résolution 731 du Conseil de sécurité, UNS. DOC.S/RES/731 (1992) : concernant la Libye (Lockerbie). La résolution 746 du Conseil de sécurité, UNS. DOC.S/RES/746 (1992) : concernant la situation en Somalie. La résolution 780 du Conseil de sécurité, UNS. DOC.S/RES/780 (1992) : concernant la situation de l’ex-République yougoslave de Macédoine. 398 La résolution 808 du Conseil de sécurité, UNS. DOC.S/RES/808 (1993) : concernant le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie. La résolution 827 du Conseil de sécurité, UNS. DOC.S/RES/827 (1993) : concernant le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie. La résolution 929 du Conseil de sécurité, UNS. DOC.S/RES/929 (1994) : concernant la situation au Rwanda (opération multinationale). La résolution 955 du Conseil de sécurité, UNS. DOC.S/RES/955 (1994) : concernant la situation au Rwanda (création du Tribunal international). La résolution N° 1, ICC-ASP/1/Res.1 de l’Assemblée des Etats parties de la Cour pénale internationale, adoptée par consensus, 3e séance plénière, le 9 septembre 2002. Le rapport d’information de l’Assemblée Nationale, Mission d’information sur le Rwanda, N° 1271, le 15 décembre 1998. Le rapport de la Comité préparatoire pour la création d’une Cour criminelle internationale, A/CONF.183/2/Add.1, 14 avril 1998. Le rapport de la Commission consultative de Droit international humanitaire (CCDIH). Le rapport de la Commission du Droit international à l’Assemblée générale de l’ONU, A/AC, 48/4, 5 novembre 1951, Le rapport de la Commission du Droit international lors de sa quarante-quatrième session, 1994. Le rapport de la Cour pénale internationale à l’Assemblée générale des Nations Unies, 22 août 2008, A/63/323. Le rapport de la Cour pénale internationale à l’Assemblée générale des Nations Unies, 17 septembre 2009, A/64/356. 399 Le rapport de la Mission de haut niveau sur la situation des droits de l’homme au Darfour, présenté en application de la résolution 4/101 du Conseil des droits de l’Homme, 2007. Le rapport de la Mission de haut niveau sur la situation en Libye, 2011. Le rapport de la première conférence de révision du Statut de Rome, 31 mai-11 juin 2010, Kampala, Ouganda. Le rapport du groupe de travail de l’Assemblée générale de l’ONU, rendu public le 20 septembre 1994. Le rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d’agression, 19 février 2009. Le rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d'agression, 25 décembre 2005. Le rapport hebdomadaire de la Cour pénale internationale, du 27 juin 2011 de la Cour pénale internationale. Le résumé des travaux du comité ad hoc au cours de la période allant du 3 au 13 avril 1995, § 49, document de l’ONU A/AC.244/2. Le septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, Milan, 27 août-6 septembre 1985, approuvés par l’Assemblée générale des Nations Unies par la résolution 40/146,1985. Les observations de la délégation lors de la Conférence de Rome, A/CONF.183, 15 juillet 1998. Les rapports du Comité préparatoire pour la création d’une Cour criminelle internationale, A/CONF.183/2/Add.1, 1995-1998. Les rapports du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1593 (2005). 400 Les rapports du Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité de l’ONU en application de la résolution 1970 (2011). Documents et jurisprudences : Annuaire de la Commission du droit international, 1996, vol. II, A/CN.4/SER.A/1996/add. Conférence de révision du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Kampala, documents officiels, RC/9/11, 31 mai-11 juin 2010. CPI : Situation au Darfour, Affaire le Procureur c. Omar Hassan Ahmad El-Béchir, Chambre préliminaire I, Mandat d’arrêt à l’encontre d’Omar Hassan Ahmad ElBéchir, ICC-02/05 01/09, 4 mars 2009. CPI : Situation de la Libye, Affaire le Procureur c. Mouammar Kadhafi, Chambre préliminaire I, Mandat d’arrêt à l’encontre de Mouammar Kadhafi, son fils Saïf Al-Islam et son beau-frère Abdallah Al-Senoussi, février 2011. L’Accord entre la Cour pénale internationale et l’Organisation des Nations Unies. L’Accord relatif aux privilèges et immunités ratifié par l’ensemble des Etats parties. L’Amendement du Statut de la Cour pénale internationale (2010). L’Arrêt de la Chambre d’appel, affaire IT-95-14-AR 108bis, 29/10/1997, Tribunal pénal international de l’ex-Yougoslavie, La Charte des Nations Unies. La Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. La Cour internationale de Justice, avis consultatif du 21 juillet 1962. La Cour internationale de Justice, avis consultatif du 21 juin 1971. 401 La Cour internationale de Justice, ordonnance en indication de mesures conservatoires du 14 avril 1992 (Lockerbie). Le projet d’Accord entre la Cour pénale internationale et les Nations Unies, conformément à l’article 2 du Statut de Rome, 2001, PCNICC/2001/1/Add.1. Le projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité présenté par la Commission de droit international, 1981. Le projet de la Commission de Droit international. Le projet de rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression, 2010. Le projet du Statut de la Cour pénale internationale. Le rapport du Groupe de travail sur le crime d'agression. Le Statut de la Cour pénale internationale (Statut de Rome, 1998). Le Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Le Statut du Tribunal pénal international pour Rwanda. Le Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Le Traité de Versailles 1919. Le travail du Comité préparatoire pour la création d’une Cour criminelle internationale, 1997. 402 Table des matières Remerciements ......................................................................................................................... 1 Résumé ...................................................................................................................................... 2 Résumé en anglais (Summary) ................................................................................................ 3 Sigles et abréviations ................................................................................................................ 4 Liste des annexes ...................................................................................................................... 6 Sommaire .................................................................................................................................. 8 Introduction ............................................................................................................................ 11 (I). La Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité : des acteurs de la justice pénale internationale .............................................................................................................. 13 (A) L’évolution historique du projet de création de la Cour pénale internationale ................. 14 1. L’évolution historique de la création de la Cour pénale internationale avant la Guerre Froide…………………………………………………………………………………………15 2. L’évolution historique de la création de la Cour pénale internationale après la Guerre Froide………………………………………………………………………………….……...19 (B) Présentation de la Cour pénale internationale et du Conseil de sécurité ........................... 23 1. Présentation générale de la Cour pénale internationale ....................................................... 24 2. Présentation générale du Conseil de sécurité ....................................................................... 32 (II). Vers une problématique aux enjeux multiples ............................................................ 38 Première Partie : Le pouvoir du Conseil de sécurité de contribuer à l'activité de la Cour pénale internationale .............................................................................................................. 44 Titre I : La faculté du Conseil de sécurité de saisir la Cour pénale internationale……..48 Chapitre I : La saisine par le Conseil de sécurité : une voie dans la recherche de l’universalité de la Cour pénale internationale ................................................................... 52 Section I. La reconnaissance au Conseil de sécurité de la faculté de saisir la Cour pénale internationale ............................................................................................................................ 53 § I. La phase des négociations et le texte adopté ..................................................................... 54 403 § II. Les conditions préalables à la saisine............................................................................... 65 Section II. L’avantage de la saisine par le Conseil de sécurité ............................................... 72 § I. L’avantage de la saisine par le Conseil de sécurité vis-à-vis de la compétence et du fonctionnement de la Cour pénale internationale ..................................................................... 72 § II. L’avantage de la saisine par le Conseil de sécurité vis-à-vis de la coopération entre les Etats et la Cour pénale internationale ....................................................................................... 79 Chapitre II : La saisine par le Conseil de sécurité : un risque pour l’activité de la Cour pénale internationale .............................................................................................................. 90 Section I. Une éventuelle politisation de la compétence de la Cour pénale internationale ..... 91 Section II. Les difficultés liées à l’application du principe de complémentarité .................... 97 Titre II : L’exercice par le Conseil de sécurité de sa faculté de saisir la Cour pénale internationale ........................................................................................................................ 106 Chapitre I : Les premières saisines de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité : le Soudan et la Libye ........................................................................................... 109 Section I. Un aperçu des situations concernées (Soudan et Libye) ....................................... 110 § I. Un aperçu de la situation au Darfour ............................................................................... 111 § II. Un aperçu de la situation libyenne ................................................................................. 117 Section II. L’adoption des résolutions 1593 et 1970 du Conseil de sécurité : les enjeux juridiques ................................................................................................................................ 130 § I. La résolution 1593 du Conseil de sécurité : le cas du Soudan......................................... 130 § II. La résolution 1970 du Conseil de sécurité : le cas de la Libye ...................................... 139 Chapitre II : L’apparition des obstacles lors des saisines par le Conseil de sécurité : les cas du Soudan et de la Libye ............................................................................................... 156 Section I. Les obstacles liés à la compétence et à l’indépendance de la Cour pénale internationale .......................................................................................................................... 157 404 § I. La saisine par le Conseil de sécurité (Soudan et Libye) et la compétence de la Cour pénale internationale .......................................................................................................................... 158 § II. La saisine par le Conseil de sécurité (Soudan et Libye) et l’indépendance de la Cour pénale internationale .............................................................................................................. 161 Section II. Les difficultés liées à la complémentarité et à la sélectivité ................................ 172 § I. Les obstacles liés au principe de complémentarité .......................................................... 172 § II. Le Soudan, la Libye et la sélectivité du Conseil de sécurité .......................................... 181 Deuxième Partie : Le pouvoir du Conseil de sécurité d'entraver l'activité de la Cour pénale internationale ............................................................................................................ 194 Titre I : Le pouvoir effectif du Conseil de sécurité de suspendre l’action de la Cour pénale internationale ............................................................................................................ 197 Chapitre I : La faculté du Conseil de sécurité de surseoir à l’activité de la Cour pénale internationale ........................................................................................................................ 199 Section I. La faculté de surseoir : négociations et positions lors de la Conférence de Rome…… .............................................................................................................................. 200 § I. La phase des négociations ............................................................................................... 200 § II. Les justifications du pouvoir de sursis : une campagne américaine .............................. 205 Section II. L’article 16 du Statut de Rome ............................................................................ 210 § I. Le texte adopté lors de la conférence de Rome ............................................................... 210 § II. La portée du texte vis-à-vis du fonctionnement de la Cour pénale internationale ......... 219 Chapitre II : L’exercice par le Conseil de sécurité de sa faculté de surseoir à l'activité de la Cour pénale internationale .............................................................................................. 230 Section I. Les résolutions du Conseil de sécurité concernant le pouvoir de suspension : texte et contexte .............................................................................................................................. 231 § I. Les textes des résolutions du Conseil de sécurité entre négociation et adoption ............ 232 § II. Le contexte des résolutions du Conseil de sécurité ........................................................ 243 405 Section II. Les inconvénients liés à l’usage du pouvoir de sursis par le Conseil de sécurité…… ........................................................................................................................... 252 § I. De l'usage de la faculté de surseoir vis-à-vis du fonctionnement et de l'indépendance de la Cour pénale internationale ..................................................................................................... 252 § II. De la position américaine et du principe de l’immunité ................................................ 267 Titre II : Le rôle potentiel du Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression….....278 Chapitre I : La compétence de la Cour pénale internationale conditionnée par la définition du crime d’agression ........................................................................................... 281 Section I. La définition de l’agression : du Traité de Versailles à la Conférence de Rome .. 283 § I. La question classique de la définition du crime d'agression ............................................ 283 § II. La Conférence de Rome : propositions et négociations ................................................. 289 Section II. Le rôle éventuel du Conseil de sécurité vis-à-vis du texte adopté à Rome ......... 294 §I. Le texte adopté à Rome concernant le crime d’agression ................................................ 294 § II. Le rôle du Conseil de sécurité : une discussion ouverte ................................................ 297 Chapitre II : Le rôle donné au Conseil de sécurité par la modification du Statut de Rome à l’égard du crime d’agression ............................................................................................ 305 Section I. L’Amendement du Statut de Rome ....................................................................... 307 § I. Le compromis trouvé pour le crime d'agression ............................................................. 308 § II. L’Amendement au Statut de Rome s'agissant du crime d’agression ............................. 315 Section II. Le nouveau rôle du Conseil de sécurité à l’égard du crime d’agression ............. 324 § I. La faculté du Conseil de sécurité de constater l’agression .............................................. 325 § II. La reconnaissance d’une nouvelle faculté d’empêcher l’action de la Cour pénale internationale .......................................................................................................................... 330 Conclusion ............................................................................................................................. 336 406 1. La saisine par le Conseil de sécurité .................................................................................. 338 2. Les premières saisines par le Conseil de sécurité .............................................................. 340 3. Le pouvoir de suspension .................................................................................................. 341 4. Le Conseil de sécurité et le crime d’agression .................................................................. 344 Bibliographie......................................................................................................................... 356 Table des matières ................................................................................................................ 403 Annexes ................................................................................................................................. 408 Résumé .................................................................................................................................. 472 Résumé en anglais (Summary) ............................................................................................ 472 407 Annexes 408 Annexe 1 : Liste des articles du Statut de Rome de la Cour pénale internationale cités dans les développements (version conforme aux modifications apportées par l’Amendement du Statut en 2010: PRÉAMBULE Les États Parties au présent Statut, Conscients que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures forment un patrimoine commun, et soucieux du fait que cette mosaïque délicate puisse être brisée à tout moment, Ayant à l'esprit qu'au cours de ce siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été victimes d'atrocités qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine, Reconnaissant que des crimes d'une telle gravité menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde, Affirmant que les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale, Déterminés à mettre un terme à l'impunité des auteurs de ces crimes et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes, Rappelant qu'il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux, Réaffirmant les buts et principes de la Charte des Nations Unies et, en particulier, que tous les États doivent s'abstenir de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies, Soulignant à cet égard que rien dans le présent Statut ne peut être interprété comme autorisant un État Partie à intervenir dans un conflit armé ou dans les affaires intérieures d'un autre État, Déterminés, à ces fins et dans l'intérêt des générations présentes et futures, à créer une Cour pénale internationale permanente et indépendante reliée au système des Nations Unies, ayant compétence à l'égard des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale, Soulignant que la Cour pénale internationale dont le présent Statut porte création est complémentaire des juridictions pénales nationales, Résolus à garantir durablement le respect de la justice internationale et sa mise en oeuvre, Sont convenus de ce qui suit : CHAPITRE I INSTITUTION DE LA COUR Article 1 La Cour Il est créé une Cour pénale internationale (« la Cour ») en tant qu'institution permanente, qui peut exercer sa compétence à l'égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale, au sens du présent Statut. Elle est complémentaire des juridictions pénales nationales. Sa compétence et son fonctionnement sont régis par les dispositions du présent Statut. Article 2 Lien de la Cour avec les Nations Unies 409 La Cour est liée aux Nations Unies par un accord qui doit être approuvé par l'Assemblée des États Parties au présent Statut, puis conclu par le Président de la Cour au nom de celle-ci. Article 3 Siège de la Cour 1. La Cour a son siège à La Haye, aux Pays-Bas (« l’État hôte »). 2. La Cour et l’État hôte conviennent d’un accord de siège qui doit être approuvé par l’Assemblée des États Parties, puis conclu par le Président de la Cour au nom de celle-ci. 3. Si elle le juge souhaitable, la Cour peut siéger ailleurs selon les dispositions du présent Statut. Article 4 Régime et pouvoirs juridiques de la Cour 1. La Cour a la personnalité juridique internationale. Elle a aussi la capacité juridique qui lui est nécessaire pour exercer ses fonctions et accomplir sa mission. 2. La Cour peut exercer ses fonctions et ses pouvoirs, comme prévu dans le présent Statut, sur le territoire de tout État Partie et, par une convention à cet effet, sur le territoire de tout autre État. CHAPITRE II COMPÉTENCE, RECEVABILITÉ ET DROIT APPLICABLE Article 51 Crimes relevant de la compétence de la Cour La compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale. En vertu du présent Statut, la Cour a compétence à l'égard des crimes suivants : a) Le crime de génocide ; b) Les crimes contre l'humanité ; c) Les crimes de guerre ; d) Le crime d'agression. Article 6 Crime de génocide Aux fins du présent Statut, on entend par crime de génocide l'un quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. Article 7 Crimes contre l’humanité 1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l'humanité l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque : a) Meurtre ; b) Extermination ; 410 c) Réduction en esclavage ; d) Déportation ou transfert forcé de population ; e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; 1 Paragraphe 2 de l’article 5 (“La Cour exercera sa compétence à l’égard du crime d’agression quand une disposition aura été adoptée conformément aux articles 121 et 123, qui définira ce crime et fixera les conditions de l’exercice de la compétence de la Cour à son égard. Cette disposition devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies.”) a été supprimé conformément à l’annexe 1 de la résolution RC/Res.6 du 11 juin 2010. f) Torture ; g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; i) Disparitions forcées de personnes ; j) Crime d'apartheid ; k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. 2. Aux fins du paragraphe 1 : a) Par « attaque lancée contre une population civile », on entend le comportement qui consiste en la commission multiple d'actes visés au paragraphe 1 à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque ; b) Par « extermination », on entend notamment le fait d'imposer intentionnellement des conditions de vie, telles que la privation d'accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour entraîner la destruction d'une partie de la population ; c) Par « réduction en esclavage », on entend le fait d'exercer sur une personne l'un quelconque ou l'ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété, y compris dans le cadre de la traite des être humains, en particulier des femmes et des enfants ; d) Par « déportation ou transfert forcé de population », on entend le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d'autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international ; e) Par « torture », on entend le fait d'infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle ; l'acception de ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ; f) Par « grossesse forcée », on entend la détention illégale d'une femme mise enceinte de force, dans l'intention de modifier la composition ethnique d'une population ou de commettre d'autres violations graves du droit international. Cette définition ne peut en aucune manière s'interpréter comme ayant une incidence sur les lois nationales relatives à la grossesse ; g) Par « persécution », on entend le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international, pour des motifs liés à l'identité du groupe ou de la collectivité qui en fait l'objet ; h) Par « crime d'apartheid », on entend des actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe 1, commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et 411 de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l'intention de maintenir ce régime ; i) Par « disparitions forcées de personnes », on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l'autorisation, l'appui ou l'assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d'admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l'endroit où elles se trouvent, dans l'intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée. 3. Aux fins du présent Statut, le terme « sexe » s'entend de l'un et l'autre sexes, masculin et féminin, suivant le contexte de la société. Il n'implique aucun autre sens. Article 82 Crimes de guerre 1. La Cour a compétence à l'égard des crimes de guerre, en particulier lorsque ces crimes s'inscrivent dans le cadre d'un plan ou d'une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande échelle. 2. Aux fins du Statut, on entend par « crimes de guerre » : a) Les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève : i) L'homicide intentionnel ; ii) La torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ; iii) Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l'intégrité physique ou à la santé ; iv) La destruction et l'appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ; v) Le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou une personne protégée à servir dans les forces d'une puissance ennemie ; vi) Le fait de priver intentionnellement un prisonnier de guerre ou toute autre personne protégée de son droit d'être jugé régulièrement et impartialement ; vii) La déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale ; viii) La prise d'otages ; b) Les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international, à savoir, l'un quelconque des actes ci-après : i) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population 2 Les paragraphes 2 (e) (xiii) à 2 (e) (xv) ont été amendés par la résolution RC/Res.5 du 11 juin 2010 (les paragraphes 2 (e) (xiii) to 2 (e) (xv) ont été ajoutés). civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement part aux hostilités ; ii) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des biens de caractère civil, c'està-dire des biens qui ne sont pas des objectifs militaires ; iii) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d'une mission d'aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des Nations Unies, pour autant qu'ils aient droit à la protection que le droit international des conflits armés garantit aux civils et aux biens de caractère civil ; iv) Le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu'elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à 412 l'environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l'ensemble de l'avantage militaire concret et direct attendu ; v) Le fait d'attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires ; vi) Le fait de tuer ou de blesser un combattant qui, ayant déposé les armes ou n'ayant plus de moyens de se défendre, s'est rendu à discrétion ; vii) Le fait d'utiliser indûment le pavillon parlementaire, le drapeau ou les insignes militaires et l'uniforme de l'ennemi ou de l'Organisation des Nations Unies, ainsi que les signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève, et, ce faisant, de causer la perte de vies humaines ou des blessures graves ; viii) Le transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d'une partie de sa population civile, dans le territoire qu'elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l'intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d'une partie de la population de ce territoire ; ix) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l'enseignement, à l'art, à la science ou à l'action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, à condition qu'ils ne soient pas des objectifs militaires ; x) Le fait de soumettre des personnes d'une partie adverse tombées en son pouvoir à des mutilations ou à des expériences médicales ou scientifiques quelles qu'elles soient qui ne sont ni motivées par un traitement médical, dentaire ou hospitalier, ni effectuées dans l'intérêt de ces personnes, et qui entraînent la mort de celles-ci ou mettent sérieusement en danger leur santé ; xi) Le fait de tuer ou de blesser par traîtrise des individus appartenant à la nation ou à l'armée ennemie ; xii) Le fait de déclarer qu'il ne sera pas fait de quartier ; xiii) Le fait de détruire ou de saisir les biens de l'ennemi, sauf dans les cas où ces destructions ou saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de la guerre ; xiv) Le fait de déclarer éteints, suspendus ou non recevables en justice les droits et actions des nationaux de la partie adverse ; xv) Le fait pour un belligérant de contraindre les nationaux de la partie adverse à prendre part aux opérations de guerre dirigées contre leur pays, même s'ils étaient au service de ce belligérant avant le commencement de la guerre ; xvi) Le pillage d'une ville ou d'une localité, même prise d'assaut ; xvii) Le fait d'employer du poison ou des armes empoisonnées ; xviii) Le fait d'employer des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que tous liquides, matières ou procédés analogues ; xix) Le fait d'utiliser des balles qui s'épanouissent ou s'aplatissent facilement dans le corps humain, telles que des balles dont l'enveloppe dure ne recouvre pas entièrement le centre ou est percée d'entailles ; xx) Le fait d'employer les armes, projectiles, matières et méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus ou des souffrances inutiles ou à frapper sans discrimination en violation du droit international des conflits armés, à condition que ces armes, projectiles, matières et méthodes de guerre fassent l'objet d'une interdiction générale et qu'ils soient inscrits dans une annexe au présent Statut, par voie d'amendement adopté selon les dispositions des articles 121 et 123 ; xxi) Les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants ; 413 xxii) Le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, telle que définie à l'article 7, paragraphe 2, alinéa f), la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle constituant une infraction grave aux Conventions de Genève ; xxiii) Le fait d'utiliser la présence d'un civil ou d'une autre personne protégée pour éviter que certains points, zones ou forces militaires ne soient la cible d'opérations militaires ; xxiv) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre les bâtiments, le matériel, les unités et les moyens de transport sanitaires, et le personnel utilisant, conformément au droit international, les signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève ; xxv) Le fait d'affamer délibérément des civils comme méthode de guerre, en les privant de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l'envoi des secours prévus par les Conventions de Genève ; xxvi) Le fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer activement à des hostilités ; c) En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international, les violations graves de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l'un quelconque des actes ci-après commis à l'encontre de personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou par toute autre cause : i) Les atteintes à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels et la torture ; ii) Les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants ; iii) Les prises d'otages ; iv) Les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires généralement reconnues comme indispensables ; d) L'alinéa c) du paragraphe 2 s'applique aux conflits armés ne présentant pas un caractère international et ne s'applique donc pas aux situations de troubles et tensions internes telles que les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire ; e) Les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international, dans le cadre établi du droit international, à savoir l'un quelconque des actes ci-après : i) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des personnes civiles qui ne participent pas directement aux hostilités ; ii) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre les bâtiments, le matériel, les unités et les moyens de transport sanitaires, et le personnel utilisant, conformément au droit international, les signes distinctifs des Conventions de Genève ; iii) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d'une mission d'aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des Nations Unies, pour autant qu'ils aient droit à la protection que le droit international des conflits armés garantit aux civils et aux biens de caractère civil ; iv) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l'enseignement, à l'art, à la science ou à l'action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades et des blessés sont rassemblés, pour autant que ces bâtiments ne soient pas des objectifs militaires ; v) Le pillage d'une ville ou d'une localité, même prise d'assaut ; 414 vi) Le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, telle que définie à l'article 7, paragraphe 2, alinéa f), la stérilisation forcée, ou toute autre forme de violence sexuelle constituant une violation grave de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève ; vii) Le fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans les forces armées ou dans des groupes armés ou de les faire participer activement à des hostilités ; viii) Le fait d'ordonner le déplacement de la population civile pour des raisons ayant trait au conflit, sauf dans les cas où la sécurité des civils ou des impératifs militaires l'exigent ; ix) Le fait de tuer ou de blesser par traîtrise un adversaire combattant ; x) Le fait de déclarer qu'il ne sera pas fait de quartier ; xi) Le fait de soumettre des personnes d'une autre partie au conflit tombées en son pouvoir à des mutilations ou à des expériences médicales ou scientifiques quelles qu'elles soient qui ne sont ni motivées par un traitement médical, dentaire ou hospitalier, ni effectuées dans l'intérêt de ces personnes, et qui entraînent la mort de celles-ci ou mettent sérieusement en danger leur santé ; xii) Le fait de détruire ou de saisir les biens d'un adversaire, sauf si ces destructions ou saisies sont impérieusement commandées par les nécessités du conflit ; xiii) Le fait d’employer du poison ou des armes empoisonnées ; xiv) Le fait d’employer des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que tous liquides, matières ou procédés analogues ; xv) Le fait d’utiliser des balles qui s’épanouissent ou s’aplatissent facilement dans le corps humain, telles que des balles dont l’enveloppe dure ne recouvre pas entièrement le centre ou est percée d’entailles. f) L'alinéa e) du paragraphe 2 s'applique aux conflits armés ne présentant pas un caractère international et ne s'applique donc pas aux situations de troubles et tensions internes telles que les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire. Il s'applique aux conflits armés qui opposent de manière prolongée sur le territoire d'un État les autorités du gouvernement de cet État et des groupes armés organisés ou des groupes armés organisés entre eux. 3. Rien dans le paragraphe 2, alinéas c) et e), n'affecte la responsabilité d'un gouvernement de maintenir ou rétablir l'ordre public dans l'État ou de défendre l'unité et l'intégrité territoriale de l'État par tous les moyens légitimes. Article 8 bis3 Crime d'agression 1. Aux fins du présent Statut, on entend par «crime d’agression» la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies. 2. Aux fins du paragraphe 1, on entend par «acte d’agression» l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies. Qu’il y ait ou non déclaration de guerre, les actes suivants sont des actes d’agression au regard de la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations Unies en date du 14 décembre 1974 : 3 Ajout conformément à la résolution RC/Res.6 du 11 juin 2010. 415 a) L’invasion ou l’attaque par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État ou l’occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou l’annexion par la force de la totalité ou d’une partie du territoire d’un autre État ; b) Le bombardement par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un État contre le territoire d’un autre État ; c) Le blocus des ports ou des côtes d’un État par les forces armées d’un autre État ; d) L’attaque par les forces armées d’un État des forces terrestres, maritimes ou aériennes, ou des flottes aériennes et maritimes d’un autre État ; e) L’emploi des forces armées d’un État qui se trouvent dans le territoire d’un autre État avec l’agrément de celui-ci en contravention avec les conditions fixées dans l’accord pertinent, ou la prolongation de la présence de ces forces sur ce territoire après l’échéance de l’accord pertinent ; f) Le fait pour un État de permettre que son territoire, qu’il a mis à la disposition d’un autre État, serve à la commission par cet autre État d’un acte d’agression contre un État tiers ; g) L’envoi par un État ou au nom d’un État de bandes, groupes, troupes irrégulières ou mercenaires armés qui exécutent contre un autre État des actes assimilables à ceux de forces armées d’une gravité égale à celle des actes énumérés ci-dessus, ou qui apportent un concours substantiel à de tels actes. Article 94 Éléments de crimes 1. Les éléments des crimes aident la Cour à interpréter et appliquer les articles 6, 7, 8 et 8 bis. Ils doivent être adoptés à la majorité des deux tiers des membres de l'Assemblée des États Parties. 2. Des amendements aux éléments des crimes peuvent être proposés par : a) Tout État Partie ; b) Les juges, statuant à la majorité absolue ; c) Le Procureur. Les amendements doivent être adoptés à la majorité des deux tiers des membres de l'Assemblée des États Parties. 3. Les éléments des crimes et les amendements s'y rapportant sont conformes au présent Statut. Article 10 Aucune disposition du présent chapitre ne doit être interprétée comme limitant ou affectant de quelque manière que ce soit les règles du droit international existantes ou en formation qui visent d'autres fins que le présent Statut. 4 Conformément à la résolution RC/Res.6 du 11 juin 2010 (en incluant la référence à l’article 8 bis). Article 11 Compétence ratione temporis 1. La Cour n'a compétence qu'à l'égard des crimes relevant de sa compétence commis après l'entrée en vigueur du présent Statut. 2. Si un État devient Partie au présent Statut après l'entrée en vigueur de celui-ci, la Cour ne peut exercer sa compétence qu'à l'égard des crimes commis après l'entrée en vigueur du Statut pour cet État, sauf si ledit État fait la déclaration prévue à l'article 12, paragraphe 3. 416 Article 12 Conditions préalables à l'exercice de la compétence 1. Un État qui devient Partie au Statut accepte par là même la compétence de la Cour à l'égard des crimes visés à l'article 5. 2. Dans les cas visés à l'article 13, paragraphes a) ou c), la Cour peut exercer sa compétence si l'un des États suivants ou les deux sont Parties au présent Statut ou ont accepté la compétence de la Cour conformément au paragraphe 3 : a) L'État sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu ou, si le crime a été commis à bord d'un navire ou d'un aéronef, l'État du pavillon ou l'État d'immatriculation ; b) L'État dont la personne accusée du crime est un ressortissant. 3. Si l'acceptation de la compétence de la Cour par un État qui n'est pas Partie au présent Statut est nécessaire aux fins du paragraphe 2, cet État peut, par déclaration déposée auprès du Greffier, consentir à ce que la Cour exerce sa compétence à l'égard du crime dont il s'agit. L'État ayant accepté la compétence de la Cour coopère avec celle-ci sans retard et sans exception conformément au chapitre IX. Article 13 Exercice de la compétence La Cour peut exercer sa compétence à l'égard d'un crime visé à l'article 5, conformément aux dispositions du présent Statut : a) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un État Partie, comme prévu à l'article 14 ; b) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; ou c) Si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime en question en vertu de l'article 15. Article 14 Renvoi d'une situation par un État Partie 1. Tout État Partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et prier le Procureur d'enquêter sur cette situation en vue de déterminer si une ou plusieurs personnes identifiées devraient être accusées de ces crimes. 2. L'État qui procède au renvoi indique autant que possible les circonstances pertinentes de l'affaire et produit les pièces à l'appui dont il dispose. Article 15 Le Procureur 1. Le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour. 2. Le Procureur vérifie le sérieux des renseignements reçus. À cette fin, il peut rechercher des renseignements supplémentaires auprès d'États, d'organes de l'Organisation des Nations Unies, d'organisations intergouvernementales et non gouvernementales, ou d'autres sources dignes de foi qu'il juge appropriées, et recueillir des dépositions écrites ou orales au siège de la Cour. 3. S'il conclut qu'il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête, le Procureur présente à la Chambre préliminaire une demande d'autorisation en ce sens, accompagnée de tout élément justificatif recueilli. Les victimes peuvent adresser des représentations à la Chambre préliminaire, conformément au Règlement de procédure et de preuve. 417 4. Si elle estime, après examen de la demande et des éléments justificatifs qui l'accompagnent, qu'il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête et que l'affaire semble relever de la compétence de la Cour, la Chambre préliminaire donne son autorisation, sans préjudice des décisions que la Cour prendra ultérieurement en matière de compétence et de recevabilité. 5. Une réponse négative de la Chambre préliminaire n’empêche pas le Procureur de présenter par la suite une nouvelle demande en se fondant sur des faits ou des éléments de preuve nouveaux ayant trait à la même situation. 6. Si, après l'examen préliminaire visé aux paragraphes 1 et 2, le Procureur conclut que les renseignements qui lui ont été soumis ne constituent pas une base raisonnable pour l'ouverture d'une enquête, il en avise ceux qui les lui ont fournis. Il ne lui est pas pour autant interdit d'examiner, à la lumière de faits ou d'éléments de preuve nouveaux, les autres renseignements qui pourraient lui être communiqués au sujet de la même affaire. Article 15 bis5 Exercice de la compétence à l’égard du crime d’agression (Renvoi par un État, de sa propre initiative) 1. La Cour peut exercer sa compétence à l’égard du crime d’agression conformément aux paragraphes a) et c) de l’article 13, sous réserve des dispositions qui suivent. 2. La Cour peut exercer sa compétence uniquement à l’égard de crimes d’agression commis un an après la ratification ou l’acceptation des amendements par trente États Parties. 3. La Cour exerce sa compétence à l’égard du crime d’agression conformément à cet article, sous réserve d’une décision qui sera prise après le 1er janvier 2017 par la même majorité d’États Parties que celle requise pour l’adoption d’un amendement au Statut. 5 Insertion conformément à la résolution RC/Res.6 du 11 juin 2010. 4. La Cour peut, conformément à l’article 12, exercer sa compétence à l’égard d’un crime d’agression résultant d’un acte d’agression commis par un État Partie à moins que cet État Partie n’ait préalablement déclaré qu’il n’acceptait pas une telle compétence en déposant une déclaration auprès du Greffier. Le retrait d’une telle déclaration peut être effectué à tout moment et sera envisagé par l’État Partie dans un délai de trois ans. 5. En ce qui concerne un État qui n’est pas Partie au présent Statut, la Cour n’exerce pas sa compétence à l’égard du crime d’agression quand celui-ci est commis par des ressortissants de cet État ou sur son territoire. 6. Lorsque le Procureur conclut qu’il y a une base raisonnable pour mener une enquête pour crime d’agression, il s’assure d’abord que le Conseil de sécurité a constaté qu’un acte d’agression avait été commis par l’État en cause. Il avise le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies de la situation portée devant la Cour et lui communique toute information et tout document utiles. 7. Lorsque le Conseil de sécurité a constaté un acte d’agression, le Procureur peut mener l’enquête sur ce crime. 8. Lorsqu’un tel constat n’est pas fait dans les six mois suivant la date de l’avis, le Procureur peut mener une enquête pour crime d’agression, à condition que la Section préliminaire ait autorisé l’ouverture d’une enquête pour crime d’agression selon la procédure fixée à l’article 15, et que le Conseil de sécurité n’en ait pas décidé autrement, conformément à l’article 16. 9. Le constat d’un acte d’agression par un organe extérieur à la Cour est sans préjudice des constatations que fait la Cour elle-même en vertu du présent Statut. 10. Le présent article est sans préjudice des dispositions relatives à l’exercice de la compétence à l’égard des autres crimes visés à l’article 5. 418 Article 15 ter6 Exercice de la compétence à l’égard du crime d’agression (Renvoi par le Conseil de sécurité) 1. La Cour peut exercer sa compétence à l’égard du crime d’agression conformément au paragraphe b) de l’article 13, sous réserve des dispositions qui suivent. 2. La Cour peut exercer sa compétence uniquement à l’égard de crimes d’agression commis un an après la ratification ou l’acceptation des amendements par trente États Parties. 3. La Cour exerce sa compétence à l’égard du crime d’agression conformément à cet article, sous réserve d’une décision qui sera prise après le 1er janvier 2017 par la même majorité d’États Parties que celle requise pour l’adoption d’un amendement au Statut. 4. Le constat d’un acte d’agression par un organe extérieur à la Cour est sans préjudice des constatations que fait la Cour elle-même en vertu du présent Statut. 5. Le présent article est sans préjudice des dispositions relatives à l’exercice de la compétence à l’égard des autres crimes visés à l’article 5. 6 Insertion conformément à la résolution RC/Res.6 du 11 juin 2010. Article 16 Sursis à enquêter ou à poursuivre Aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions. Article 17 Questions relatives à la recevabilité 1. Eu égard au dixième alinéa du préambule et à l'article premier, une affaire est jugée irrecevable par la Cour lorsque : a) L'affaire fait l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un État ayant compétence en l'espèce, à moins que cet État n'ait pas la volonté ou soit dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites ; b) L'affaire a fait l'objet d'une enquête de la part d'un État ayant compétence en l'espèce et que cet État a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l'effet du manque de volonté ou de l'incapacité de l'État de mener véritablement à bien des poursuites ; c) La personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l'objet de la plainte, et qu'elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l'article 20, paragraphe 3 ; d) L'affaire n'est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite. 2. Pour déterminer s'il y a manque de volonté de l'État dans un cas d'espèce, la Cour considère l'existence, eu égard aux garanties d'un procès équitable reconnues par le droit international, de l'une ou de plusieurs des circonstances suivantes : a) La procédure a été ou est engagée ou la décision de l'État a été prise dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour les crimes relevant de la compétence de la Cour visés à l'article 5 ; b) La procédure a subi un retard injustifié qui, dans les circonstances, est incompatible avec l'intention de traduire en justice la personne concernée ; c) La procédure n'a pas été ou n'est pas menée de manière indépendante ou impartiale mais d'une manière qui, dans les circonstances, est incompatible avec l'intention de traduire en justice la personne concernée. 419 3. Pour déterminer s'il y a incapacité de l'État dans un cas d'espèce, la Cour considère si l'État est incapable, en raison de l'effondrement de la totalité ou d'une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l'indisponibilité de celui-ci, de se saisir de l'accusé, de réunir les éléments de preuve et les témoignages nécessaires ou de mener autrement à bien la procédure. Article 18 Décision préliminaire sur la recevabilité 1. Lorsqu'une situation a été déférée à la Cour comme le prévoit l'article 13, alinéa a), et que le Procureur a déterminé qu'il y aurait une base raisonnable pour ouvrir une enquête, ou lorsque le Procureur a ouvert une enquête au titre des articles 13, paragraphe c), et 15, le Procureur le notifie à tous les États Parties et aux États qui, selon les renseignements disponibles, auraient normalement compétence à l'égard des crimes dont il s'agit. Il peut le faire à titre confidentiel et, quand il juge que cela est nécessaire pour protéger des personnes, prévenir la destruction d'éléments de preuve ou empêcher la fuite de personnes, il peut restreindre l'étendue des renseignements qu'il communique aux États. 2. Dans le mois qui suit la réception de cette notification, un État peut informer la Cour qu'il ouvre ou a ouvert une enquête sur ses ressortissants ou d'autres personnes sous sa juridiction pour des actes criminels qui pourraient être constitutifs des crimes visés à l'article 5 et qui ont un rapport avec les renseignements notifiés aux États. Si l'État le lui demande, le Procureur lui défère le soin de l'enquête sur ces personnes, à moins que la Chambre préliminaire ne l'autorise, sur sa demande, à faire enquête lui-même. 3. Ce sursis à enquêter peut être réexaminé par le Procureur six mois après avoir été décidé, ou à tout moment où il se sera produit un changement notable de circonstances découlant du manque de volonté ou de l'incapacité de l'État de mener véritablement à bien l'enquête modifie sensiblement les circonstances. 4. L'État intéressé ou le Procureur peut relever appel devant la Chambre d'appel de la décision de la Chambre préliminaire, comme le prévoit l'article 82. Cet appel peut être examiné selon une procédure accélérée. 5. Lorsqu'il sursoit à enquêter comme prévu au paragraphe 2, le Procureur peut demander à l'État concerné de lui rendre régulièrement compte des progrès de son enquête et, le cas échéant, des poursuites engagées par la suite. Les États Parties répondent à ces demandes sans retard injustifié. 6. En attendant la décision de la Chambre préliminaire, ou à tout moment après avoir décidé de surseoir à son enquête comme le prévoit le présent article, le Procureur peut, à titre exceptionnel, demander à la Chambre préliminaire l'autorisation de prendre les mesures d'enquête nécessaires pour préserver des éléments de preuve dans le cas où l'occasion de recueillir des éléments de preuve importants ne se représentera pas ou s'il y a un risque appréciable que ces éléments de preuve ne soient plus disponibles par la suite. 7. L'État qui a contesté une décision de la Chambre préliminaire en vertu du présent article peut contester la recevabilité d'une affaire au regard de l'article 19 en invoquant des faits nouveaux ou un changement de circonstances notables. Article 19 Contestation de la compétence de la Cour ou de la recevabilité d'une affaire 1. La Cour s'assure qu'elle est compétente pour connaître de toute affaire portée devant elle. Elle peut d'office se prononcer sur la recevabilité de l'affaire conformément à l'article 17. 2. Peuvent contester la recevabilité de l'affaire pour les motifs indiqués à l'article 17 ou contester la compétence de la Cour : 420 a) L'accusé ou la personne à l'encontre de laquelle a été délivré un mandat d'arrêt ou une citation à comparaître en vertu de l'article 58 ; b) L'État qui est compétent à l'égard du crime considéré du fait qu'il mène ou a mené une enquête, ou qu'il exerce ou a exercé des poursuites en l'espèce ; ou c) L'État qui doit avoir accepté la compétence de la Cour selon l'article 12. 3. Le Procureur peut demander à la Cour de se prononcer sur une question de compétence ou de recevabilité. Dans les procédures portant sur la compétence ou la recevabilité, ceux qui ont déféré une situation en application de l'article 13, ainsi que les victimes, peuvent également soumettre des observations à la Cour. 4. La recevabilité d'une affaire ou la compétence de la Cour ne peut être contestée qu'une fois par les personnes ou les États visés au paragraphe 2. L'exception doit être soulevée avant l'ouverture ou à l'ouverture du procès. Dans des circonstances exceptionnelles, la Cour peut autoriser qu'une exception soit soulevée plus d'une fois ou à une phase ultérieure du procès. Les exceptions d'irrecevabilité soulevées à l'ouverture du procès, ou par la suite avec l'autorisation de la Cour, ne peuvent être fondées que sur les dispositions de l'article 17, paragraphe 1, alinéa c). 5. Les États visés au paragraphe 2, alinéas b) et c), soulèvent leur exception le plus tôt possible. 6. Avant la confirmation des charges, les exceptions d'irrecevabilité ou d'incompétence sont renvoyées à la Chambre préliminaire. Après la confirmation des charges, elles sont renvoyées à la Chambre de première instance. Il peut être fait appel des décisions portant sur la compétence ou la recevabilité devant la Chambre d'appel conformément à l'article 82. 7. Si l'exception est soulevée par l'État visé au paragraphe 2, alinéas b) ou c), le Procureur sursoit à enquêter jusqu'à ce que la Cour ait pris la décision prévue à l'article 17. 8. En attendant qu'elle statue, le Procureur peut demander à la Cour l'autorisation : a) De prendre les mesures d'enquête visées à l'article 18, paragraphe 6 ; b) De recueillir la déposition ou le témoignage d'un témoin ou de mener à bien les opérations de rassemblement et d'examen des éléments de preuve commencées avant que l'exception ait été soulevée ; c) D'empêcher, en coopération avec les États concernés, la fuite des personnes contre lesquelles le Procureur a déjà requis un mandat d'arrêt conformément à l'article 58. 9. Une exception n'entache en rien la validité de toute action du Procureur ou de toute ordonnance rendue ou de tout mandat délivré par la Cour avant que l'exception ait été soulevée. 10. Quand la Cour a jugé une affaire irrecevable au regard de l'article 17, le Procureur peut lui demander de reconsidérer sa décision s'il est certain que des faits nouvellement apparus infirment les raisons pour lesquelles l'affaire avait été jugée irrecevable en vertu de l'article 17. 11. Si, eu égard aux questions visées à l'article 17, le Procureur sursoit à enquêter, il peut demander à l'État intéressé de lui communiquer des renseignements sur le déroulement de la procédure. Ces renseignements sont tenus confidentiels si l'État le demande. Si le Procureur décide par la suite d'ouvrir une enquête, il notifie sa décision à l'État dont la procédure était à l'origine du sursis. Statut de Rome de la Cour pénale internationale Article 207 Ne bis in idem 1. Sauf disposition contraire du présent Statut, nul ne peut être jugé par la Cour pour des actes constitutifs de crimes pour lesquels il a déjà été condamné ou acquitté par elle. 421 2. Nul ne peut être jugé par une autre juridiction pour un crime visé à l'article 5 pour lequel il a déjà été condamné ou acquitté par la Cour. 3. Quiconque a été jugé par une autre juridiction pour un comportement tombant aussi sous le coup des articles 6, 7, 8 ou 8 bis ne peut être jugé par la Cour que si la procédure devant l'autre juridiction : a) Avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour des crimes relevant de la compétence de la Cour ; ou b) N'a pas été au demeurant menée de manière indépendante ou impartiale, dans le respect des garanties d'un procès équitable prévues par le droit international, mais d'une manière qui, dans les circonstances, était incompatible avec l'intention de traduire l'intéressé en justice. Article 21 Droit applicable 1. La Cour applique : a) En premier lieu, le présent Statut, les éléments des crimes et le Règlement de procédure et de preuve ; b) En second lieu, selon qu'il convient, les traités applicables et les principes et règles du droit international, y compris les principes établis du droit international des conflits armés ; c) À défaut, les principes généraux du droit dégagés par la Cour à partir des lois nationales représentant les différents systèmes juridiques du monde, y compris, selon qu'il convient, les lois nationales des États sous la juridiction desquels tomberait normalement le crime, si ces principes ne sont pas incompatibles avec le présent Statut ni avec le droit international et les règles et normes internationales reconnues. 2. La Cour peut appliquer les principes et règles de droit tels qu'elle les a interprétés dans ses décisions antérieures. 3. L'application et l'interprétation du droit prévues au présent article doivent être compatibles avec les droits de l'homme internationalement reconnus et exemptes de toute discrimination fondée sur des considérations telles que l'appartenance à l'un ou l'autre sexe tel que défini à l'article 7, paragraphe 3, l'âge, la race, la couleur, la langue, la religion ou la conviction, les opinions politiques ou autres, l'origine nationale, ethnique ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre qualité. CHAPITRE III PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT PÉNAL Article 22 Nullum crimen sine lege 1. Une personne n'est responsable pénalement en vertu du présent Statut que si son comportement constitue, au moment où il se produit, un crime relevant de la compétence de la Cour. 2. La définition d'un crime est d'interprétation stricte et ne peut être étendue par analogie. En cas d'ambiguïté, elle est interprétée en faveur de la personne qui fait l'objet d'une enquête, de poursuites ou d'une condamnation. 3. Le présent article n'empêche pas qu'un comportement soit qualifié de crime au regard du droit international, indépendamment du présent Statut. Article 23 Nulla poena sine lege Une personne qui a été condamnée par la Cour ne peut être punie que conformément aux dispositions du présent Statut. 422 Article 24 Non-rétroactivité ratione personae 1. Nul n'est pénalement responsable, en vertu du présent Statut, pour un comportement antérieur à l'entrée en vigueur du Statut. 2. Si le droit applicable à une affaire est modifié avant le jugement définitif, c'est le droit le plus favorable à la personne faisant l'objet d'une enquête, de poursuites ou d'une condamnation qui s'applique. Article 258 Responsabilité pénale individuelle 1. La Cour est compétente à l'égard des personnes physiques en vertu du présent Statut. 2. Quiconque commet un crime relevant de la compétence de la Cour est individuellement responsable et peut être puni conformément au présent Statut. 3. Aux termes du présent Statut, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime relevant de la compétence de la Cour si : a) Elle commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne ou par l'intermédiaire d'une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable ; b) Elle ordonne, sollicite ou encourage la commission d'un tel crime, dès lors qu'il y a commission ou tentative de commission de ce crime ; c) En vue de faciliter la commission d'un tel crime, elle apporte son aide, son concours ou toute autre forme d'assistance à la commission ou à la tentative de commission de ce crime, y compris en fournissant les moyens de cette commission ; 8 Conformément à la résolution RC/Res.6 du 11 juin 2010 (en incluant le paragraphe 3 bis). d) Elle contribue de toute autre manière à la commission ou à la tentative de commission d'un tel crime par un groupe de personnes agissant de concert. Cette contribution doit être intentionnelle et, selon le cas : i) Viser à faciliter l'activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, si cette activité ou ce dessein comporte l'exécution d'un crime relevant de la compétence de la Cour ; ou ii) Être faite en pleine connaissance de l'intention du groupe de commettre ce crime ; e) S'agissant du crime de génocide, elle incite directement et publiquement autrui à le commettre ; f) Elle tente de commettre un tel crime par des actes qui, par leur caractère substantiel, constituent un commencement d'exécution mais sans que le crime soit accompli en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Toutefois, la personne qui abandonne l'effort tendant à commettre le crime ou en empêche de quelque autre façon l'achèvement ne peut être punie en vertu du présent Statut pour sa tentative si elle a complètement et volontairement renoncé au dessein criminel. 3 bis. S’agissant du crime d’agression, les dispositions du présent article ne s’appliquent qu’aux personnes effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État. 4. Aucune disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des individus n'affecte la responsabilité des États en droit international. Article 26 Incompétence à l'égard des personnes de moins de 18 ans La Cour n'a pas compétence à l'égard d'une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment de la commission prétendue d'un crime. 423 Article 27 Défaut de pertinence de la qualité officielle 1. Le présent Statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'État ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un État, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. 2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne. Article 28 Responsabilité des chefs militaires et autre supérieurs hiérarchiques Outre les autres motifs de responsabilité pénale au regard du présent Statut pour des crimes relevant de la compétence de la Cour : a) Un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des forces placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces dans les cas où : i) Ce chef militaire ou cette personne savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou allaient commettre ces crimes ; et ii) Ce chef militaire ou cette personne n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites ; b) En ce qui concerne les relations entre supérieur hiérarchique et subordonnés non décrites au paragraphe a), le supérieur hiérarchique est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces subordonnés dans les cas où : i) Le supérieur hiérarchique savait que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ces crimes ou a délibérément négligé de tenir compte d'informations qui l'indiquaient clairement ; ii) Ces crimes étaient liés à des activités relevant de sa responsabilité et de son contrôle effectifs ; et iii) Le supérieur hiérarchique n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites. Article 29 Imprescriptibilité Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas. Article 30 Élément psychologique 1. Sauf disposition contraire, nul n'est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d'un crime relevant de la compétence de la Cour que si l'élément matériel du crime est commis avec intention et connaissance. 2. Il y a intention au sens du présent article lorsque : a) Relativement à un comportement, une personne entend adopter ce comportement ; 424 b) Relativement à une conséquence, une personne entend causer cette conséquence ou est consciente que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements. 3. Il y a connaissance, au sens du présent article, lorsqu'une personne est consciente qu'une circonstance existe ou qu'une conséquence adviendra dans le cours normal des événements. « Connaître » et « en connaissance de cause » s'interprètent en conséquence. Article 33 Ordre hiérarchique et ordre de la loi 1. Le fait qu'un crime relevant de la compétence de la Cour a été commis sur ordre d'un gouvernement ou d'un supérieur, militaire ou civil, n'exonère pas la personne qui l'a commis de sa responsabilité pénale, à moins que : a) Cette personne n'ait eu l'obligation légale d'obéir aux ordres du gouvernement ou du supérieur en question ; b) Cette personne n'ait pas su que l'ordre était illégal ; et c) L'ordre n'ait pas été manifestement illégal. 2. Aux fins du présent article, l'ordre de commettre un génocide ou un crime contre l'humanité est manifestement illégal. CHAPITRE IV COMPOSITION ET ADMINISTRATION DE LA COUR Article 34 Organes de la Cour Les organes de la Cour sont les suivants : a) La Présidence ; b) Une Section des appels, une Section de première instance et une Section préliminaire ; c) Le Bureau du Procureur ; d) Le Greffe. Article 40 Indépendance des juges 1. Les juges exercent leurs fonctions en toute indépendance. 2. Les juges n'exercent aucune activité qui pourrait être incompatible avec leurs fonctions judiciaires ou faire douter de leur indépendance. 3. Les juges tenus d'exercer leurs fonctions à plein temps au siège de la Cour ne doivent se livrer à aucune autre activité de caractère professionnel. 4. Toute question qui soulève l'application des paragraphes 2 et 3 est tranchée à la majorité absolue des juges. Un juge ne participe pas à la décision portant sur une question qui le concerne. Article 41 Décharge et récusation des juges 1. La Présidence peut décharger un juge, à sa demande, des fonctions qui lui sont attribuées en vertu du présent Statut, conformément au Règlement de procédure et de preuve. 2. a) Un juge ne peut participer au règlement d'aucune affaire dans laquelle son impartialité pourrait raisonnablement être mise en doute pour un motif quelconque. Un juge est récusé pour une affaire conformément au présent paragraphe notamment s'il est intervenu auparavant, à quelque titre que ce soit, dans cette affaire devant la Cour ou dans une affaire pénale connexe au niveau national dans laquelle la personne faisant l'objet de l'enquête ou des poursuites était impliquée. Un juge peut aussi être récusé pour les autres motifs prévus par le Règlement de procédure et de preuve. 425 b) Le Procureur ou la personne faisant l'objet de l'enquête ou des poursuites peut demander la récusation d'un juge en vertu du présent paragraphe. c) Toute question relative à la récusation d'un juge est tranchée à la majorité absolue des juges. Le juge dont la récusation est demandée peut présenter ses observations sur la question mais ne participe pas à la décision. Article 42 Le Bureau du Procureur 1. Le Bureau du Procureur agit indépendamment en tant qu'organe distinct au sein de la Cour. Il est chargé de recevoir les communications et tout renseignement dûment étayé concernant les crimes relevant de la compétence de la Cour, de les examiner, de conduire les enquêtes et de soutenir l'accusation devant la Cour. Ses membres ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucune source extérieure. 2. Le Bureau est dirigé par le Procureur. Celui-ci a toute autorité sur la gestion et l'administration du Bureau, y compris le personnel, les installations et les autres ressources. Le Procureur est secondé par un ou plusieurs procureurs adjoints, habilités à procéder à tous les actes que le présent Statut requiert du Procureur. Le Procureur et les procureurs adjoints sont de nationalités différentes. Ils exercent leurs fonctions à plein temps. 3. Le Procureur et les procureurs adjoints doivent jouir d'une haute considération morale et avoir de solides compétences et une grande expérience pratique en matière de poursuites ou de procès dans des affaires pénales. Ils doivent avoir une excellente connaissance et une pratique courante d'au moins une des langues de travail de la Cour. 4. Le Procureur est élu au scrutin secret par l'Assemblée des États Parties, à la majorité absolue des membres de celle-ci. Les procureurs adjoints sont élus de la même façon sur une liste de candidats présentée par le Procureur. Le Procureur présente trois candidats pour chaque poste de procureur adjoint à pourvoir. À moins qu'il ne soit décidé d'un mandat plus court au moment de leur élection, le Procureur et les procureurs adjoints exercent leurs fonctions pendant neuf ans et ne sont pas rééligibles. 5. Ni le Procureur ni les procureurs adjoints n'exercent d'activité risquant d'être incompatible avec leurs fonctions en matière de poursuites ou de faire douter de leur indépendance. Ils ne se livrent à aucune autre activité de caractère professionnel. 6. La Présidence peut décharger, à sa demande, le Procureur ou un procureur adjoint de ses fonctions dans une affaire déterminée. 7. Ni le Procureur, ni les procureurs adjoints ne peuvent participer au règlement d'une affaire dans laquelle leur impartialité pourrait être raisonnablement mise en doute pour un motif quelconque. Ils sont récusés pour une affaire conformément au présent paragraphe si, entre autres, ils sont antérieurement intervenus, à quelque titre que ce soit, dans cette affaire devant la Cour ou dans une affaire pénale connexe au niveau national dans laquelle la personne faisant l'objet de l'enquête ou des poursuites était impliquée. 8. Toute question relative à la récusation du Procureur ou d'un procureur adjoint est tranchée par la Chambre d'appel. a) La personne faisant l'objet d'une enquête ou de poursuites peut à tout moment demander la récusation du Procureur ou d'un procureur adjoint pour les motifs énoncés dans le présent article ; b) Le Procureur ou le Procureur adjoint intéressé, selon le cas, peut présenter ses observations sur la question. 426 9. Le Procureur nomme des conseillers qui sont des spécialistes du droit relatif à certaines questions, y compris, mais s'en s'y limiter, celles des violences sexuelles, des violences à motivation sexiste et des violences contre les enfants. Article 43 Le Greffe 1. Le Greffe est responsable des aspects non judiciaires de l'administration et du service de la Cour, sans préjudice des fonctions et attributions du Procureur définies à l'article 42. 2. Le Greffe est dirigé par le Greffier, qui est le responsable principal de l'administration de la Cour. Le Greffier exerce ses fonctions sous l'autorité du Président de la Cour. 3. Le Greffier et le Greffier adjoint doivent être des personnes d'une haute moralité et d'une grande compétence, ayant une excellente connaissance et une pratique courante d'au moins une des langues de travail de la Cour. 4. Les juges élisent le Greffier à la majorité absolue et au scrutin secret, en tenant compte des recommandations éventuelles de l'Assemblée des États Parties. Si le besoin s'en fait sentir, ils élisent de la même manière un greffier adjoint sur recommandation du Greffier. 5. Le Greffier est élu pour cinq ans, est rééligible une fois et exerce ses fonctions à plein temps. Le Greffier adjoint est élu pour cinq ans ou pour un mandat plus court, selon ce qui peut être décidé à la majorité absolue des juges ; il est appelé à exercer ses fonctions selon les exigences du service. 6. Le Greffier crée, au sein du Greffe, une division d'aide aux victimes et aux témoins. Cette division est chargée, en consultation avec le Bureau du Procureur, de conseiller et d'aider de toute manière appropriée les témoins, les victimes qui comparaissent devant la Cour et les autres personnes auxquelles les dépositions de ces témoins peuvent faire courir un risque, ainsi que de prévoir les mesures et les dispositions à prendre pour assurer leur protection et leur sécurité. Le personnel de la Division comprend des spécialistes de l'aide aux victimes de traumatismes, y compris de traumatismes consécutifs à des violences sexuelles. Article 44 Le personnel 1. Le Procureur et le Greffier nomment le personnel qualifié nécessaire dans leurs services respectifs, y compris, dans le cas du Procureur, des enquêteurs. 2. Lorsqu'ils recrutent le personnel, le Procureur et le Greffier veillent à s'assurer les services de personnes possédant les plus hautes qualités d'efficacité, de compétence et d'intégrité, en tenant compte, mutatis mutandis, des critères énoncés à l'article 36, paragraphe 8. 3. Le Greffier, en accord avec la Présidence et le Procureur, propose le Statut du personnel, qui comprend les conditions de nomination, de rémunération et de cessation de fonctions. Le Statut du personnel est approuvé par l'Assemblée des États Parties. 4. La Cour peut, dans des circonstances exceptionnelles, avoir recours à l'expertise de personnel mis à sa disposition à titre gracieux par des États Parties, des organisations intergouvernementales ou des organisations non gouvernementales pour aider tout organe de la Cour dans ses travaux. Le Procureur peut accepter un tel personnel pour le Bureau du Procureur. Les personnes mises à disposition à titre gracieux sont employées conformément aux directives qui seront établies par l'Assemblée des États Parties. Article 45 Engagement solennel 427 Avant de prendre les fonctions que prévoit le présent Statut, les juges, le Procureur, les procureurs adjoints, le Greffier et le Greffier adjoint prennent en séance publique l'engagement solennel d'exercer leurs attributions en toute impartialité et en toute conscience. Article 46 Perte de fonctions 1. Un juge, le Procureur, un procureur adjoint, le Greffier ou le Greffier adjoint est relevé de ses fonctions sur décision prise conformément au paragraphe 2, dans les cas où : a) Il est établi qu'il a commis une faute lourde ou un manquement grave aux devoirs que lui impose le présent Statut, selon ce qui est prévu dans le Règlement de procédure et de preuve ; ou b) Il se trouve dans l'incapacité d'exercer ses fonctions, telles que les définit le présent Statut. 2. La décision concernant la perte de fonctions d'un juge, du Procureur ou d'un procureur adjoint en application du paragraphe 1 est prise par l'Assemblée des États Parties au scrutin secret : a) Dans le cas d'un juge, à la majorité des deux tiers des États Parties sur recommandation adoptée à la majorité des deux tiers des autres juges ; b) Dans le cas du Procureur, à la majorité absolue des États Parties ; c) Dans le cas d'un procureur adjoint, à la majorité absolue des États Parties sur recommandation du Procureur. 3. La prise à la majorité absolue des juges. 4. Un juge, un procureur, un procureur adjoint, un greffier ou un greffier adjoint dont le comportement ou l'aptitude à exercer les fonctions prévues par le présent Statut sont contestés en vertu du présent article a toute latitude pour produire et recevoir des éléments de preuve et pour faire valoir ses arguments conformément au Règlement de procédure et de preuve. Il ne participe pas autrement à l'examen de la question. Article 47 Sanctions disciplinaires Un juge, un procureur, un procureur adjoint, un greffier ou un greffier adjoint qui a commis une faute d'une gravité moindre que celle visée à l'article 46, paragraphe 1, encourt les sanctions disciplinaires prévues par le Règlement de procédure et de preuve. Article 48 Privilèges et immunités 1. La Cour jouit sur le territoire des États Parties des privilèges et immunités nécessaires à l'accomplissement de sa mission. 2. Les juges, le Procureur, les procureurs adjoints et le Greffier jouissent, dans l'exercice de leurs fonctions ou relativement à ces fonctions, des privilèges et immunités accordés aux chefs de missions diplomatiques. Après l'expiration de leur mandat, ils continuent à jouir de l'immunité contre toute procédure légale pour les paroles, les écrits et les actes qui relèvent de l'exercice de leurs fonctions officielles. 3. Le Greffier adjoint, le personnel du Bureau du Procureur et le personnel du Greffe jouissent des privilèges, immunités et facilités nécessaires à l'exercice de leurs fonctions, conformément à l'accord sur les privilèges et immunités de la Cour. 4. Les avocats, experts, témoins ou autres personnes dont la présence est requise au siège de la Cour bénéficient du traitement nécessaire au bon fonctionnement de la Cour, conformément à l'accord sur les privilèges et immunités de la Cour. 5. Les privilèges et immunités peuvent être levés : a) Dans le cas d'un juge ou du Procureur, par décision prise à la majorité absolue des juges ; 428 b) Dans le cas du Greffier, par la Présidence ; c) Dans le cas des procureurs adjoints et du personnel du Bureau du Procureur, par le Procureur ; d) Dans le cas du Greffier adjoint et du personnel du Greffe, par le Greffier. Article 49 Traitements, indemnités et remboursement de frais Les juges, le Procureur, les procureurs adjoints, le Greffier et le Greffier adjoint perçoivent les traitements, indemnités et remboursements arrêtés par l'Assemblée des États Parties. Ces traitements et indemnités ne sont pas réduits en cours de mandat. Article 50 Langues officielles et langues de travail 1. Les langues officielles de la Cour sont l'anglais, l'arabe, le chinois, l'espagnol, le français et le russe. Les arrêts de la Cour ainsi que les autres décisions réglant des questions fondamentales qui lui sont soumises sont publiés dans les langues officielles. La Présidence détermine, au regard des critères fixés par le Règlement de procédure et de preuve, quelles décisions peuvent être considérées aux fins du présent paragraphe comme réglant des questions fondamentales. 2. Les langues de travail de la Cour sont l'anglais et le français. Le Règlement de procédure et de preuve définit les cas dans lesquels d'autres langues officielles peuvent être employées comme langues de travail. 3. À la demande d'une partie à une procédure ou d'un État autorisé à intervenir dans une procédure, la Cour autorise l'emploi par cette partie ou cet État d'une langue autre que l'anglais ou le français si elle l'estime justifié. Article 51 Règlement de procédure et de preuve 1. Le Règlement de procédure et de preuve entre en vigueur dès son adoption par l'Assemblée des États Parties à la majorité des deux tiers de ses membres. 2. Des amendements au Règlement de procédure et de preuve peuvent être proposés par : a) Tout État Partie ; b) Les juges agissant à la majorité absolue ; c) Le Procureur. Ces amendements entrent en vigueur dès leur adoption à la majorité des deux tiers des membres de l'Assemblée des États Parties. 3. Après l'adoption du Règlement de procédure et de preuve, dans les cas urgents où la situation particulière portée devant la Cour n'est pas prévue par le Règlement, les juges peuvent, à la majorité des deux tiers, établir des règles provisoires qui s'appliquent jusqu'à ce que l'Assemblée des États Parties, à sa réunion ordinaire ou extraordinaire suivante, les adopte, les modifie ou les rejette. 4. Le Règlement de procédure et de preuve, les amendements s'y rapportant et les règles provisoires sont conformes aux dispositions du présent Statut. Les amendements au Règlement de procédure et de preuve ainsi que les règles provisoires ne s'appliquent pas rétroactivement au préjudice de la personne qui fait l'objet d'une enquête, de poursuites ou d'une condamnation. 5. En cas de conflit entre le Statut et le Règlement de procédure et de preuve, le Statut prévaut. 429 Article 52 Règlement de la Cour 1. Les juges adoptent à la majorité absolue, conformément au présent Statut et au Règlement de procédure et de preuve, le règlement nécessaire au fonctionnement quotidien de la Cour. 2. Le Procureur et le Greffier sont consultés pour l'élaboration du Règlement de la Cour et de tout amendement s'y rapportant. 3. Le Règlement de la Cour et tout amendement s'y rapportant prennent effet dès leur adoption, à moins que les juges n'en décident autrement. Ils sont communiqués immédiatement après leur adoption aux États Parties, pour observation. Ils restent en vigueur si la majorité des États Parties n'y fait pas objection dans les six mois. CHAPITRE V ENQUÊTE ET POURSUITES Article 53 Ouverture d’une enquête 1. Le Procureur, après avoir évalué les renseignements portés à sa connaissance, ouvre une enquête, à moins qu'il ne conclue qu'il n'y a pas de base raisonnable pour poursuivre en vertu du présent Statut. Pour prendre sa décision, le Procureur examine : a) Si les renseignements en sa possession fournissent une base raisonnable pour croire qu'un crime relevant de la compétence de la Cour a été ou est en voie d'être commis ; b) Si l'affaire est ou serait recevable au regard de l'article 17 ; et c) S'il y a des raisons sérieuses de penser, compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, qu'une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice. S'il ou elle conclut qu'il n'y a pas de base raisonnable pour poursuivre et si cette conclusion est fondée exclusivement sur les considérations visées à l'alinéa c), le Procureur en informe la Chambre préliminaire. 2. Si, après enquête, le Procureur conclut qu'il n'y a pas de base suffisante pour engager des poursuites : a) Parce qu'il n'y a pas de base suffisante, en droit ou en fait, pour demander un mandat d'arrêt ou une citation à comparaître en application de l'article 58 ; b) Parce que l'affaire est irrecevable au regard de l'article 17 ; ou c) Parce que poursuivre ne servirait pas les intérêts de la justice, compte tenu de toutes les circonstances, y compris la gravité du crime, les intérêts des victimes, l'âge ou le handicap de l'auteur présumé et son rôle dans le crime allégué ; il ou elle informe de sa conclusion et des raisons qui l'ont motivée la Chambre préliminaire et l'État qui lui a déféré la situation conformément à l'article 14, ou le Conseil de sécurité s'il s'agit d'une situation visée à l'article 13, paragraphe b). 3. a) À la demande de l'État qui a déféré la situation conformément à l'article 14, ou du Conseil de sécurité s'il s'agit d'une situation visée à l'article 13, paragraphe b) la Chambre préliminaire peut examiner la décision de ne pas poursuivre prise par le Procureur en vertu des paragraphes 1 ou 2 et demander au Procureur de la reconsidérer. b) De plus, la Chambre préliminaire peut, de sa propre initiative, examiner la décision du Procureur de ne pas poursuivre si cette décision est fondée exclusivement sur les considérations visées au paragraphe 1, alinéa c) et au paragraphe 2, alinéa c). En tel cas, la décision du Procureur n'a d'effet que si elle est confirmée par la Chambre préliminaire. 4. Le Procureur peut à tout moment reconsidérer sa décision d'ouvrir ou non une enquête ou d'engager ou non des poursuites à la lumière de faits ou de renseignements nouveaux. 430 Article 54 Devoirs et pouvoirs du Procureur en matière d'enquêtes 1. Le Procureur : a) Pour établir la vérité, étend l'enquête à tous les faits et éléments de preuve qui peuvent être utiles pour déterminer s'il y a responsabilité pénale au regard du présent Statut et, ce faisant, enquête tant à charge qu'à décharge ; b) Prend les mesures propres à assurer l'efficacité des enquêtes et des poursuites visant des crimes relevant de la compétence de la Cour. Ce faisant, il a égard aux intérêts et à la situation personnelle des victimes et des témoins, y compris leur âge, leur sexe, tel que défini à l'article 7, paragraphe 3, et leur état de santé ; il tient également compte de la nature du crime, en particulier lorsque celui-ci comporte des violences sexuelles, des violences à caractère sexiste ou des violences contre des enfants ; et c) Respecte pleinement les droits des personnes énoncés dans le présent Statut. 2. Le Procureur peut enquêter sur le territoire d'un État : a) Conformément aux dispositions du chapitre IX ; ou b) Avec l'autorisation de la Chambre préliminaire en vertu de l'article 57, paragraphe 3, alinéa d). 3. Le Procureur peut : a) Recueillir et examiner des éléments de preuve ; b) Convoquer et interroger des personnes faisant l'objet d'une enquête, des victimes et des témoins ; c) Rechercher la coopération de tout État ou organisation intergouvernementale ou accord intergouvernemental conformément à leurs compétences ou à leur mandat respectifs ; d) Conclure tous arrangements ou accords qui ne sont pas contraires aux dispositions du présent Statut et qui peuvent être nécessaires pour faciliter la coopération d'un État, d'une organisation intergouvernementale ou d'une personne ; e) S'engager à ne divulguer à aucun stade de la procédure les documents ou renseignements qu'il a obtenus sous la condition qu'ils demeurent confidentiels et ne servent qu'à obtenir de nouveaux éléments de preuve, à moins que celui qui a fourni l'information ne consente à leur divulgation ; et f) Prendre, ou demander que soient prises, des mesures nécessaires pour assurer la confidentialité des renseignements recueillis, la protection des personnes ou la préservation des éléments de preuve. Article 55 Droits des personnes dans le cadre d'une enquête 1. Dans une enquête ouverte en vertu du présent Statut, une personne : a) N'est pas obligée de témoigner contre elle-même ni de s'avouer coupable ; b) N'est soumise à aucune forme de coercition, de contrainte ou de menace, ni à la torture ni à aucune autre forme de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; c) Bénéficie gratuitement, si elle n'est pas interrogée dans une langue qu'elle comprend et parle parfaitement, de l'aide d'un interprète compétent et de toutes traductions que rendent nécessaires les exigences de l'équité ; et d) Ne peut être arrêtée ou détenue arbitrairement ; elle ne peut être privée de sa liberté si ce n'est pour les motifs et selon les procédures prévus dans le présent Statut. 2. Lorsqu'il y a des motifs de croire qu'une personne a commis un crime relevant de la compétence de la Cour et que cette personne doit être interrogée, soit par le Procureur soit par les autorités nationales en vertu d'une demande faite au titre du chapitre IX, cette personne a de plus les droits suivants, dont elle est informée avant d'être interrogée : 431 a) Être informée avant d'être interrogée qu'il y a des raisons de croire qu'elle a commis un crime relevant de la compétence de la Cour ; b) Garder le silence, sans que ce silence soit pris en considération pour la détermination de sa culpabilité ou de son innocence ; c) Être assistée par le défenseur de son choix ou, si elle n'en a pas, par un défenseur commis d'office chaque fois que les intérêts de la justice l'exigent, sans avoir dans ce cas à verser de rémunération si elle n'en a pas les moyens ; et d) Être interrogée en présence de son conseil, à moins qu'elle n'ait renoncé volontairement à son droit d'être assistée d'un conseil. Article 56 Rôle de la Chambre préliminaire dans le cas où l'occasion d'obtenir des renseignements ne se présentera plus 1. a) Lorsque le Procureur considère qu'une enquête offre l'occasion unique, qui peut ne plus se présenter par la suite, de recueillir un témoignage ou une déposition, ou d'examiner, recueillir ou vérifier des éléments de preuve aux fins d'un procès, il en avise la Chambre préliminaire ; b) La Chambre préliminaire peut alors, à la demande du Procureur, prendre toutes mesures propres à assurer l'efficacité et l'intégrité de la procédure et, en particulier, à protéger les droits de la défense ; c) Sauf ordonnance contraire de la Chambre préliminaire, le Procureur informe également de la circonstance visée à l'alinéa a) la personne qui a été arrêtée ou a comparu sur citation délivrée dans le cadre de l'enquête, afin que cette personne puisse être entendue. 2. Les mesures visées au paragraphe 1, alinéa b), peuvent consister : a) À faire des recommandations ou rendre des ordonnances concernant la marche à suivre ; b) À ordonner qu'il soit dressé procès-verbal de la procédure ; c) À nommer un expert ; d) À autoriser l'avocat d'une personne qui a été arrêtée, ou a comparu devant la Cour sur citation, à participer à la procédure ou, lorsque l'arrestation ou la comparution n'a pas encore eu lieu ou que l'avocat n'a pas encore été choisi, à désigner un avocat qui se chargera des intérêts de la défense et les représentera ; e) À charger un de ses membres ou, au besoin, un des juges disponibles de la Section préliminaire ou de la Section de première instance, de faire des recommandations ou de rendre des ordonnances concernant le rassemblement et la préservation des éléments de preuve et les auditions de personnes ; f) À prendre toute autre mesure nécessaire pour recueillir ou préserver les éléments de preuve. 3. a) Lorsque le Procureur n'a pas demandé les mesures visées au présent article mais que la Chambre préliminaire est d'avis que ces mesures sont nécessaires pour préserver des éléments de preuve qu'elle juge essentiels pour la défense au cours du procès, elle consulte le Procureur pour savoir si celui-ci avait de bonnes raisons de ne pas demander les mesures en question. Si, après consultation, elle conclut que le fait de ne pas avoir demandé ces mesures n'est pas justifié, elle peut prendre des mesures de sa propre initiative. b) Le Procureur peut faire appel de la décision de la Chambre préliminaire d'agir de sa propre initiative en vertu du présent paragraphe. Cet appel est examiné selon une procédure accélérée. 4. L'admissibilité des éléments de preuve préservés ou recueillis aux fins du procès en application du présent article, ou de l'enregistrement de ces éléments de preuve, est régie par l'article 69, leur valeur étant celle que leur donne la Chambre de première instance. Article 57 432 Fonctions et pouvoirs de la Chambre préliminaire 1. À moins que le présent Statut n'en dispose autrement, la Chambre préliminaire exerce ses fonctions conformément aux dispositions du présent article. 2. a) Les décisions rendues par la Chambre préliminaire en vertu des articles 15, 18, 19, 54, paragraphe 2, 61, paragraphe 7, et 72 sont prises à la majorité des juges qui la composent ; b) Dans tous les autres cas, un seul juge de la Chambre préliminaire peut exercer les fonctions prévues dans le présent Statut, sauf disposition contraire du Règlement de procédure et de preuve ou décision contraire de la Chambre préliminaire prise à la majorité. 3. Indépendamment des autres fonctions qui lui sont conférées en vertu du présent Statut, la Chambre prél