“La restriction des libertés est inévitable” Renaud Dély Didier Maus
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“La restriction des libertés est inévitable” Renaud Dély Didier Maus
“La restriction des libertés est inévitable” Renaud Dély Didier Maus Président émérite de l’Association française de Droit constitutionnel Pour le constitutionnaliste Didier Maus Président émérite de l’Association française de Droit constitutionnel, les mesures annoncées par François Hollande ne menacent pas le bon fonctionnement de la démocratie, qui demeure garanti par la possibilité de recourir au juge Modifier la Constitution comme le propose François Hollande, n’est-ce pas prendre le risque d’institutionnaliser une sorte d’état d’urgence permanent ? Nous disposons aujourd’hui de trois régimes différents pour temps de crise qui sont insatisfaisants au regard de la situation. Il y a l’état de siège, qui implique le transfert des pouvoirs civils au pouvoir militaire et qui correspondait aux situations du xixe siècle, mais ne correspond pas aux enjeux du xxie siècle. Il y a les pouvoirs exceptionnels définis par l’article 16 qui impliquent qu’une grave crise extérieure, du type de juin 1940, interrompe de fait le fonctionnement régulier de l’Etat. Et enfin, il y a l’état d’urgence, ce régime créé sur mesure en 1955 dans le contexte de la guerre d’Algérie. La proposition, issue du comité Balladur de 2007, est donc de moderniser les textes sans aller jusqu’à recourir à la bombe atomique de l’article 16. L’hypothèse de « moderniser » l’état d’urgence avait déjà été évoquée après son instauration en novembre 2005 lors des émeutes dans les banlieues. Certains constitutionnalistes avaient évoqué cette possibilité mais le débat ne s’était pas concrétisé par une réforme. L’idée d’adapter les pouvoirs de crise à la situation terroriste et à la modernité technologique me semble donc cohérente, normale et raisonnable. Quitte à restreindre le champ des libertés individuelles ? C’est inévitable, mais il est indispensable qu’une garantie constitutionnelle soit édictée a priori. Déjà, la récente loi sur le renseignement restreint les libertés, en particulier parce qu’elle offre la possibilité de développer les interceptions de sécurité. François Hollande a eu raison de soumettre la loi, en totalité, au contrôle a priori du Conseil constitutionnel. De même, le nouveau régime qui sera inscrit demain dans la Constitution, si la révision aboutit, devra être soumis au Parlement tant pour son déclenchement que pour sa prorogation. Et il devra être complété par une loi organique, laquelle a l’avantage de devoir être automatiquement soumise au Conseil constitutionnel. Dans ce contexte sécuritaire, quels recours reste-t-il au justiciable ? En 1955, il n’y avait pas la Cour européenne des Droits de l’Homme. Son existence contraint le législateur à s’assurer a priori de la compatibilité avec la convention européenne des droits de l’homme et par voie de conséquence de la constitutionnalité de ses textes. Les juges français, tant le Conseil constitutionnel que la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat, sont très attentifs à la jurisprudence de la cour de Strasbourg. Certes, un brevet de constitutionnalité n’est pas une garantie absolue de conformité à la convention européenne des droits de l’homme, mais il La restriction des libertés est inévitable” Renaud Dély 1 limite les risques de condamnation. Même chose avec la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Nous sommes à l’évidence dans une époque où, lorsqu’il veut encadrer les droits de l’homme, le pouvoir doit se plier à beaucoup plus de contrôles qu’en 1955. Il n’empêche qu’il arrive un moment où le pragmatisme vient se mêler aux principes. Entre exigence de sécurité et respect des libertés publiques, tout ne serait donc qu’affaire de curseur ? C’est vrai, et il n’y a pas d’étalon objectif pour placer ce curseur. En droit, on dit que tout est une question de ce que l’on appelle « la proportionnalité ». C’est au législateur d’apprécier la situation et les risques. La question se pose par exemple quant à la durée des gardes à vue. Quelle est la durée justifiée pour interroger un individu accusé de terrorisme sans le déférer à un juge d’instruction ? Trois jours ? Quatre jours ? Cinq jours ? Il n’y a rien de scientifique, mais il est évident qu’il apparaîtrait injustifiable que le législateur fixe demain cette durée à un mois. De même, quels sont les motifs qui permettent la déchéance de la nationalité d’un binational ? L’appréciation est ouverte, donc discutable. Pour l’heure, le Conseil constitutionnel a précisé deux principes. D’abord, on ne peut pas créer d’apatrides. Ensuite, il faut un avis conforme du Conseil d’Etat, lui aussi garantie de respect des libertés individuelles. Plusieurs voix de l’opposition réclament l’internement de tous les individus fichés S [pour « sûreté de l’Etat »]et le président soumettra cette proposition au Conseil d’Etat. Vous semble-t-elle crédible ? Il semble très difficile de décider que toute personne inscrite sur un fichier puisse faire l’objet de mesures de contrainte. La jurisprudence conduit à étudier les situations individuelles sans adopter de mesures systématiques non personnalisées. Certes, l’appartenance à une liste de fichés est un facteur aggravant, mais il semble impossible de prendre des mesures catégorielles non individualisées. L’arsenal sécuritaire annoncé n’est donc pas une menace pour la démocratie ? Il faut bien comprendre que ce qui garantit le maintien de la démocratie en situation de crise, c’est, toujours, la possibilité de recourir au juge. D’abord au juge constitutionnel pour s’assurer que telle ou telle disposition est conforme, et ensuite au juge administratif ou au juge judiciaire, selon les cas, pour traiter des cas individuels. C’est ainsi, par exemple, que quelqu’un qui est assigné à résidence peut contester la décision devant un juge. Dans les dictatures, il arrive que les gens enfermés disparaissent sans laisser de trace, pas dans les démocraties. On peut, pour des raisons parfaitement respectables, refuser par principe toute restriction des libertés. Sur ce sujet, il faut toujours être vigilant et le débat doit être permanent. Mais aujourd’hui, les garde-fous sont en place et je ne vois pas de menace excessive. . La restriction des libertés est inévitable” Renaud Dély 2