Destruction/construction: la véritable liberté

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Destruction/construction: la véritable liberté
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Destruction/construction: la véritable liberté
24.12.2010 | Von Xavier Comtesse | http://www.avenir-suisse.ch/?p=3144
Le législateur légifère. Il a donc naturellement tendance à édicter des lois, à restreindre des libertés et à réguler des
comportements. Cependant, il lui arrive aussi de déréguler. Ces dernières décennies, nous avons assisté en Suisse,
notamment sous la pression du marché européen, à la dérégulation partielle du marché des télécommunications, de
l'électricité, de la poste, de la circulation des capitaux, des travailleurs, etc. Ce mouvement d'aller-retour des régulateurs
provoque à chaque fois une remise en question des rapports de force sociétaux et donc une redistribution des parts de
marché pour les acteurs économiques. Ainsi, parfois, un monopole doit laisser la place à la concurrence et des
entreprises se trouvent en situation délicate. Le législateur détient ainsi une grande part de responsabilité quant au
fonctionnement des marchés et de nos libertés. C'est évident. Ce qui l'est moins, c'est lorsqu'une nouvelle technologie
émerge et provoque une profonde perturbation des équilibres antérieurs. Prenons l'exemple d'internet et, plus
particulièrement, du e-commerce pour illustrer notre propos. Tout le monde a pu observer comment il a bouleversé la
distribution des livres, entraînant des difficultés bien réelles pour les libraires, comment le e-ticket des transporteurs
aériens a perturbé le travail des agences de voyage, comment le e-banking a fait baisser le nombre des caissiers,
comment le e-shopping a réorienté le commerce, etc. Nous assistons à une destruction/construction créatrice, principe si
cher à l'économiste Joseph Schumpeter. En un sens - et particulièrement pour le consommateur - de nouveaux champs
de liberté s'ouvrent et procurent une augmentation des choix. Mais la technologie apporte aussi son lot de contraintes,
comme la nécessité absolue pour tous de posséder et de maîtriser les pratiques internet. La technologie, comme la
régulation, bouscule les anciennes habitudes mais ne diminue pas forcément le stock de liberté à notre disposition; elles
peut aussi l'augmenter. Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'elle a tendance à nous forcer à nous réorganiser. Ainsi, la
liberté apparaît plus comme une quête que comme une disposition naturelle donnée par les conditions cadre de la
régulation et de l'évolution technologique. Il s'agit toujours de la conquérir.
LA DONNE DES MÉDIAS SOCIAUX
Prenons un autre exemple de mutation profonde, induite elle aussi par internet, et qui renforce la nécessité d'adaptation.
Encore récemment, les médias avaient le quasi-monopole de l'information. On parlait de l'asymétrie de l'information
pour désigner cet état de fait. De cette asymétrie les médias tiraient pouvoir et profit. Mais aujourd'hui chaque citoyen,
chaque consommateur peut librement, instantanément, globalement et, en général, gratuitement avoir accès aux mêmes
sources d'information. Les consommacteurs en ont largement profité et sont devenus acteurs de blogs ou de réseaux
sociaux, ces fameux médias sociaux. Leur liberté s'est étendue. Les entreprises, qui avaient déjà souvent des difficultés
de communication avec les médias, se sont trouvées face à une inconnue de taille: le comportement imprévisible des
médias sociaux. Leur liberté d'action paraît s'être sérieusement réduite. Cette situation peut perdurer tant qu'elles
n'auront pas maîtrisé cette nouvelle donne et qu'elles n'auront pas su tirer avantage du bouleversement.
CHANGEMENT PERMANENT
Ce ne sont ni les changements de régulation, ni le développement des nouvelles technologies qui sont au cœur du
problème des entreprises, mais bien leur capacité d'anticipation et de mise à profit rapide du changement. Trop de
régulation et trop de technologie peuvent mettre en péril des activités économiques, mais l'absence d'adaptation et de
réponse active est encore plus dangereuse pour les entreprises. C'est là que réside sans doute la principale caractéristique
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de notre temps: le changement est devenu permanent, ou, en d'autres termes, le changement est devenu une constante.
Pour affiner notre propos, voici quelques exemples de situations qui obligeront les entreprises à se réorganiser en partie.
L'intuitif est le mode de fonctionnement de la jeunesse. Comment cela va-t-il affecter les affaires et, plus
particulièrement, les modes d'emploi des produits et des services? Les processus d'innovation se sont élargis aux clients.
Comment co-créer avec eux? Le travail et la vie privée: comment organiser les nouvelles relations de travail? La culture
occidentale va devoir de plus en plus cohabiter avec les autres (Chine, Inde, Brésil, Moyen-Orient, etc.). Comment les
Occidentaux vont-ils s'adapter? Le principe du «end to end» propre à internet s'étend à toute l'économie. Comment faire
monter le client dans la chaîne de valeur? Le tissu social évolue rapidement, notamment avec l'apparition de nouvelles
classes comme les bobos, les DINK (acronyme de dual income, no kids - ndlr), la génération Y (les personnes nées entre
la fin des années septante et le milieu des années quatre-vingts - ndlr), les créatifs, le quatrième âge, etc. Comment les
entreprises doivent-elles faire évoluer leurs produits et leurs services? Cette courte liste est loin d'être exhaustive mais
représente déjà une menace pour l'activité de chaque entreprise, aussi petite soit-elle. En effet, l'adaptation demande
toujours beaucoup d'efforts, de temps et d'investissements. C'est pourquoi les entreprises devront acquérir un nouveau
réflexe: celui du changement constant. Il y a gros à parier que l'on assistera à la généralisation du rôle de CCO (Chief
Change Officer), qui devra veiller à ce que tout changement se fasse de manière multidimensionnelle et réaliste au sein
de l'entreprise. Son action permettrait d'avoir une organisation claire, cohérente et alignée sur les objectifs de l'entreprise
dans cette période de grande mutation, donc d'incertitude. Avant que cela se mette en place, il serait bon que les chefs
d'entreprise l'entrevoient comme une chance et non comme une contrainte, car le changement autorise la reconstruction
ou la construction de marchés nouveaux et donc aussi la possibilité d'exploiter de nouvelles libertés pour eux-mêmes ou
pour leurs clients. C'est ce que nous avons souhaité démontrer dans cet article: «La liberté est une conquête qui passe par
la destruction/construction» et il serait erroné de croire simplement que la liberté, les libertés, sont issues d'une absence
ou d'une diminution de régulation, car alors ce concept serait réduit à une figure inversée de la contrainte et de la
régulation. Non, la liberté est véritablement une entreprise de conquête propre à dépasser, voire à surpasser l'ensemble
des contraintes.
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