Un retard dans les paiements permet
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Un retard dans les paiements permet
11, rue du Général Dufour 1204 Genève Switzerland tél: +41 22 322 25 00 fax: +41 22 322 25 15 8, rue du Grand-Chêne C.P. 5463 1002 Lausanne Switzerland tél: +41 21 348 11 88 fax: +41 21 348 11 89 Un retard dans les paiements permet-il l’arrêt des travaux ? Par Benoît CARRON Docteur en droit Avocat au Barreau de Genève Chargé de cours à l’Université de Fribourg Exposé présenté dans le cadre de la Conférence du mercredi 28 février 2007 organisée au Bâtiment AVE à Sion Etat: février 2007 ILF – International Law Firm – www.ilf.ch Maxdo Center 44/F, Xing Yi Road Shanghai China tél: +86 21 5208 2020 fax: +86 21 5208 2386 ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 2 Table des abréviations al. alinéa(s) art. article(s) AVE Association valaisanne des entrepreneurs CC Code civil suisse, du 10 décembre 1907 (RS 210) cf. confer ch. chiffre(s) CO Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (Livre cinquième: Droit des obligations) (RS 220) éd. édition/éditeur i.f. in fine i.i. in initio LF loi fédérale n. numéro(s) op. cit. opus citatum O Ordonnance ORF O du Conseil fédéral du 22 février 1910 sur le registre foncier (RS 211.432) p. page(s) p. ex. par exemple phr. phrase RS Recueil systématique du droit fédéral s./ss suivant(e)/suivant(e)s SIA Société suisse des ingénieurs et des architectes SIA-118 Conditions générales pour l’exécution des travaux de construction, édité par la SIA, éd. 1977/1991 (réédition de 1991 avec modifications terminologiques) ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 3 Introduction 1 Placé sous l’égide de l’Association valaisanne des entrepreneurs (AVE), le présent exposé se demande si un retard dans les paiements permet à l’entrepreneur d’arrêter ses travaux. 2 Le sujet présente un réel intérêt pratique car les retards de paiement du maître d’ouvrage sont fréquents. Confronté à un tel problème, l’entrepreneur se demande s’il a meilleur temps de s’en aller ou de continuer le travail sans être payé. La tentation est grande à cet égard de partir car les liquidités sont comptées et les forces de travail pourraient être mieux employées ailleurs. 3 Après quelques généralités [I], l’exposé traitera de l’exigibilité du prix dans le contrat d’entreprise [II], puis examinera les différents droits dont dispose l’entrepreneur lorsque le maître est en retard dans ses paiements [III]. 4 L’exposé ne se focalise donc pas uniquement sur le droit d’arrêter les travaux fondé sur l’art. 82 CO. Pour savoir s’il a intérêt ou non à interrompre les travaux, l’entrepreneur doit en effet savoir aussi quelles sont les possibilités alternatives qui s’offrent à lui. I. Généralités 5 On commencera par quelques rappels sur l’obligation principale du maître qu’est l’obligation de payer un prix pour l’ouvrage livré [A]. On indiquera ensuite comment se détermine le moment auquel les obligations doivent être exécutées [B] avant d’esquisser le régime général de la demeure [C]. A. L’obligation de payer un prix Source: P. Gauch, Le contrat d’entreprise, Zurich 1999, n. 895 ss 6 Le contrat d’entreprise est un contrat par lequel une des parties (l’entrepreneur) s’oblige à exécuter un ouvrage moyennant un prix que l’autre partie (le maître) s’engage à lui payer (art. 363 CO). 7 Selon la définition légale du contrat d’entreprise, le maître s’engage à « payer un prix ». L’obligation légale du maître de payer la rémunération constitue donc un élément essentiel du contrat d’entreprise. Il est nécessaire et suffisant que l’entrepreneur ait droit, selon les termes convenus du contrat, à une rémunération. Le montant de la rémunération due par le maître n’a, par contre, pas à être déterminé d’entrée de cause. ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 4 8 Si le prix a été fixé à l’avance, on parle de « prix fermes » (art. 373 CO). Cette notion englobe plusieurs réalités: 9 - Les prix forfaitaires (« Pauschalpreis »). On se trouve en présence d’un tel prix lorsque les parties se sont entendues pour que l’entrepreneur ait à exécuter (et à livrer) tout l’ouvrage dû pour une somme d’argent fixée contractuellement. Il s’agit à la fois d’un prix maximum et d’un prix minimum. 10 - Le prix global (« Globalpreis »). C’est un prix forfaitaire avec clause de variation de prix. Les parties ont convenu que la rémunération sera adaptée à une éventuelle variation des prix (le cas échéant uniquement à la variation du prix des salaires ou du matériel), entamant ainsi le caractère ferme du prix forfaitaire. 11 - Le prix unitaire (« Einheitspreis »). Il s’agit là aussi d’une exécution de l’ouvrage à prix fermes au sens de l’art. 373 CO. Le prix unitaire fixe la rémunération d’une prestation déterminée que l’entrepreneur doit fournir pour exécuter l’ouvrage. Sa particularité tient au fait qu’il est fixé par unité de cette prestation (p. ex. au mètre courant, au mètre carré, au mètre cube au kilogramme ou à la pièce). 12 Si le prix n’a pas été fixé à l’avance ou s’il ne l’a été approximativement, il doit être déterminé d’après la valeur du travail et les dépenses de l’entrepreneur (art. 374 CO). Quelques précisions à ce sujet: 13 - Le prix dû à l’entrepreneur se détermine alors sur la base de la dépense de l’entrepreneur. C’est cette dépense qui donne la mesure de la rémunération que le maître doit payer en vertu de l’art. 374 CO. Cette rémunération est indépendante de la valeur de l’ouvrage achevé qui, elle, peut aussi dépendre d’autres facteurs que la dépense consentie par l’entrepreneur (p. ex. de la situation du marché, de la qualité de l’ouvrage ou des prestations fournies par un architecte commis par le maître). 14 - Dans le langage technique des hommes de l’art, les travaux contractuels qui doivent être rémunérés d’après la dépense sont appelés « travaux en régie » ou « travaux de régie » (art. 48 SIA-118). Sauf convention contraire, cette dépense doit être calculée d’après les coûts propres effectifs, augmentés d’un supplément adéquat pour les risques et le bénéfice, et majorés des impôts sur le chiffre d’affaires incombant à l’entrepreneur. 15 - La méthode légale de calcul du prix à la dépense est de nature dispositive. Les parties sont libres d’adopter des règles qui y dérogent, ce qui se produit fréquemment en pratique (cf. art. 49 al. 2 phr. 2 SIA-118, où la rémunération de la dépense est fixée conformément à l’usage; on pense également aux conventions où les parties conviennent de l’application de taux de régie sur la base desquels la rémunération de la dépense doit être calculée). ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 5 16 Le fait que le prix de l’ouvrage ne puisse souvent pas être déterminé à l’avance exerce une influence certaine sur l’exercice du droit d’arrêter les travaux. En effet, ce n’est souvent qu’à l’issue du procès que l’entrepreneur est vraiment sûr du bien-fondé de ses revendications impayées. Avant, il vit dans l’incertitude et doit rester attentif aux conséquences financières extrêmement lourdes qui peuvent être attachées à un arrêt non-autorisé des travaux (dommages-intérêts pour cause de retard). 17 L’entrepreneur qui se veut se ménager le droit d’arrêter les travaux en cas de nonpaiement a donc intérêt à bien définir, dans son contrat, comment le prix sera arrêté et à bien documenter les modifications de commande au fur et à mesure qu’elles se produisent. B. L’époque de l’exécution Source: P. Tercier, Le droit des obligations, 3e éd., Zurich 2004, n. 950 ss P. Gauch/W. R. Schluep/P. Tercier, Partie générale du droit des obligations, 2e éd., Zurich 1982, n. 1300 ss 18 Le CO traite du moment auquel les obligations peuvent et doivent être exécutées à son art. 75: « A défaut de terme stipulé ou résultant de la nature de l’affaire, l’obligation peut être exécutée et l’exécution peut en être exigée immédiatement ». 19 On constate, ici aussi, que l’arme de l’arrêt des travaux doit être utilisée avec précaution si les choses ne sont pas fixées avec précision. a) Quelques notions 20 L’époque de l’exécution est une notion générale qui recouvre quatre aspects distincts: 21 - L’exigibilité (« die Fälligkeit »). C’est le moment (ou le temps) auquel le créancier a le droit d’exiger la prestation du débiteur. Dès que la créance est exigible, le créancier peut prétendre à son exécution et librement choisir le moment de l’échéance. Tant que le créancier ne l’exige pas (art. 102 CO), le débiteur n’a pas besoin de s’exécuter. 22 - L’échéance (« der Verfalltag »). C’est le moment auquel le débiteur doit faire sa prestation. Il doit s’exécuter et le créancier est dans tous les cas tenu d’accepter la prestation à ce moment. L’échéance est le point de départ de la demeure, c’est-à-dire le moment auquel celle-ci intervient si les autres conditions en sont remplies (art. 102 ss CO). 23 - L’exécutabilité (« die Erfüllbarkeit »). C’est le moment auquel (ou à partir duquel) le débiteur a le droit d’exécuter sa prestation avec effet libératoire. Au droit du débiteur correspond le devoir du créancier d’accepter la prestation sous peine de demeure (art. 91 ss CO). Le débiteur peut dès lors choisir le mo- ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 6 ment auquel il veut faire sa prestation et ce même avant qu’elle devienne exigible. 24 - La demeure (« der Verzug »). Le terme, d’origine romaine (mora: le retard), désigne le moment à partir duquel le débiteur qui n’a pas exécuté sa prestation est soumis aux sanctions spéciales que la loi attache au retard. b) Le mode de détermination 25 La détermination du moment de l’exécution peut se faire de manière absolue ou relative. 26 - La détermination absolue. La détermination du moment de l’exécution est absolue lorsque le moment de l’exécution est fixé à l’aide d’une mesure de temps tirée du calendrier. Celle-ci est directe lorsqu’elle se réfère à une date précise (p. ex. le 28 février 2007) ou indirecte, lorsqu’elle se fonde sur des éléments complémentaires (p. ex. dans un an à partir d’aujourd’hui). 27 On recourt à cet égard le plus souvent aux notions de délai (« die Frist »), qui est un laps de temps durant lequel la prestation doit être exécutée, et de terme (« der Termin »), qui est un jour déterminé à partir duquel la prestation est exigible ou exécutable. 28 - La détermination relative. La détermination du moment de l’exécution est relative lorsque le moment de l’exécution est fixé par un événement, indépendamment des règles du calendrier (p. ex. la livraison de l’ouvrage, l’arrivée des matériaux sur le chantier, la réception d’une facture, etc.). c) Les règles de détermination 29 Selon l’art. 75 CO, les termes et les délais peuvent être déterminés de deux manières: 30 - Par la volonté des parties. Les parties sont en principe libres de déterminer le moment de l’exigibilité et de l’exécutabilité comme elles l’entendent. Elles peuvent le faire expressément dans le contrat ou par une convention ultérieure. A défaut, cette détermination se fera implicitement, en fonction de la « nature de l’affaire ». Si un artisan est appelé pour une réparation, les deux parties ne conviennent pas nécessairement du moment déterminant; le maître est en droit de s’attendre à ce que le travail soit fait dans un délai raisonnable, compte tenu des habitudes de la branche et de la nature du travail à effectuer. 31 - Par la loi. A défaut de règles conventionnelles, le moment déterminant est fixé par la loi, soit dans des règles spéciales, soit dans des règles générales. Le principe général fixé par l’art. 75 CO et applicable à toutes les obligations est qu’une dette est immédiatement exigible; le créancier peut tout de suite provoquer l’échéance par interpellation (art. 102 CO), sous réserve du délai de réaction nécessaire. Cette règle ne vaut qu’en l’absence de règle spéciale (cf. infra ch. 58 ss). ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs C. Page 7 Le régime général de la demeure 32 La demeure du débiteur est la situation juridique (défavorable) dans laquelle se trouve le débiteur en retard dans l’exécution de son obligation. Elle est traitée aux art. 102 à 109 CO. 33 Le système comporte deux degrés: la demeure simple, applicable à toutes les obligations [a], et la demeure qualifiée, applicable aux obligations en rapport d’échange (synallagmatiques) [b]. a) La demeure simple 34 Il y a demeure simple lorsque, sans motif justificatif, le débiteur d’une obligation ne l’a pas exécutée à l’échéance. Il faut donc trois conditions: 35 - L’arrivée de l’échéance. Selon l’art. 102 CO, l’échéance peut être fixée soit par contrat soit par interpellation. 36 L’échéance est fixée par contrat lorsqu’elle a été arrêtée soit d’un commun accord dans le contrat soit postérieurement par l’une des parties « en vertu d’un droit à elle réservé et au moyen d’un avertissement régulier » (« la dénonciation »). Le débiteur est en retard, sans intervention supplémentaire du créancier, s’il n’exécute pas sa prestation à ce moment (ou jusqu’à ce moment). On parle du terme comminatoire. 37 L’échéance est fixée par interpellation lorsque le contrat ne prévoit rien. Le créancier doit alors « interpeller » le débiteur en l’invitant à exécuter sa prestation. Le débiteur qui reçoit l’invitation doit pouvoir en déduire, au besoin, selon le principe de la confiance, que le créancier demande l’exécution. Une telle demande ne peut être faite que pour une date postérieure à l’exigibilité. On notera que, dans certains cas, le créancier est dispensé d’interpeller le débiteur. Ainsi, lorsque celui-ci a clairement manifesté sa volonté de ne pas exécuter son obligation (art. 108 CO par analogie) ou qu’il s’est intentionnellement soustrait à la réception de l’interpellation (art. 156 CO par analogie). 38 - L’inexécution de l’obligation. A l’échéance, le débiteur n’a pas encore (totalement) effectué sa prestation. 39 - L’absence de motif justificatif. Bien que la loi ne le précise pas expressément, le débiteur n’est pas en demeure s’il a des motifs légitimes pour refuser sa prestation. C’est le cas en particulier si le créancier est lui-même en retard (demeure du créancier) ou si le débiteur dispose d’exceptions qui lui permettent de refuser temporairement sa prestation (exceptions dilatoires). 40 La demeure simple ne modifie pas l’obligation du débiteur, qui reste fondamentalement tenu de son exécution. Néanmoins, le créancier se voit reconnaître des droits supplémentaires. Il faut distinguer deux aspects: 41 - L’obligation de réparer le préjudice. « Le débiteur en demeure doit des dommages-intérêts pour cause d’exécution tardive […] » à moins qu’il ne prouve « qu’il s’est trouvé en demeure sans aucune faute de sa part […] » (art. 103 CO). ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 8 42 Selon le texte, le débiteur en demeure « répond même du cas fortuit ». L’hypothèse visée est celle où la chose disparaît ou est endommagée, après la demeure, pour une cause dont le débiteur n’aurait pas à répondre. Sa responsabilité est engagée, puisqu’il s’agit d’une conséquence naturelle de sa demeure: il en est par contre libéré s’il parvient à prouver « que le cas fortuit aurait atteint la chose due, au détriment du créancier, même si l’exécution avait eu lieu à temps » (art. 103 al. 2 i.f. CO) ou s’il établit qu’il s’est trouvé en demeure sans faute de sa part (art. 103 al. 2 i.i. CO). 43 - Pour les dettes d’argent, les art. 104 à 106 CO prévoient un régime particulier, à deux niveaux: le versement d’un intérêt moratoire et la réparation du dommage supplémentaire. 44 L’art. 104 CO impose au débiteur d’une somme d’argent l’obligation de payer des intérêts, et ce même s’il n’a pas commis de faute. La règle tend à éviter un enrichissement illégitime du débiteur qui continue de jouir de la somme échue. Le taux d’intérêt est de 5% (art. 104 al. 1 CO), à moins que le contrat ne stipule un taux supérieur (art. 104 al. 2 CO). Toutefois, entre commerçants, le taux applicable est celui de l’escompte pratiqué par les banques dans le lieu du paiement (art. 104 al. 3 CO), pour autant qu’il soit supérieur à celui qui serait sinon applicable. 45 L’art. 106 CO oblige le débiteur à réparer le dommage éprouvé par le créancier qui dépasse l’intérêt moratoire. b) La demeure qualifiée 46 La demeure qualifiée est un régime spécial qui accorde des droits supplémentaires au créancier. Il est fixé par les art. 107 à 109 CO, avant tout par le principe général de l’art. 107 CO. Il ne s’applique directement qu’aux prestations visées par un contrat synallagmatique (« bilatéral »), à savoir un contrat dont les obligations principales sont dans un rapport d’échange. Il peut s’appliquer par analogie à d’autres situations (p. ex. aux contrats multilatéraux). 47 Les droits supplémentaires découlant de la demeure qualifiée sont subordonnés à deux conditions cumulatives: 48 - L’inexécution dans le délai de grâce. Il ne suffit pas que le débiteur soit en retard; il faut qu’il le soit de manière qualifiée. C’est en principe le cas s’il ne s’est pas exécuté à l’expiration d’un délai supplémentaire. 49 Le créancier peut cependant exercer ses droits sans fixer un délai supplémentaire lorsque ce serait inutile ou excessif; l’hypothèse est principalement visées à l’art. 108 CO. Ainsi, lorsqu’il apparaît d’emblée que cette mesure serait sans effet ou que l’exécution devait être effectuée implicitement ou explicitement à une date déterminée que l’on appelle le « terme fatal ». 50 - La déclaration immédiate. Le créancier qui veut faire usage de ces droits supplémentaires doit en faire la déclaration immédiate, aussitôt après l’expiration du délai de grâce (art. 107 al. 2 CO); il peut aussi annoncer en fixant ce délai le parti qu’il prendra à son expiration. 51 S’il ne fait pas cette déclaration immédiatement, il conserve le droit de demander l’exécution et les dommages-intérêts; mais s’il veut faire valoir les droits supplémentaires de l’art. 107 al. 2 CO, il devra fixer un nouveau délai de grâce. ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 9 52 L’art. 107 al. 2 CO offre au créancier le choix entre deux droits: 53 - La modification du contrat. La première possibilité consiste à renoncer au droit d’exiger l’exécution et réclamer des dommages-intérêts pour cause d’inexécution. 54 Cela implique d’une part le maintien du contrat et le remplacement de la prestation du débiteur par des dommages-intérêts. Celui-ci ne doit plus exécuter la prestation en nature; elle est remplacée par des dommages-intérêts pour inexécution. 55 - La résolution du contrat. La seconde possibilité offerte au créancier consiste pour lui à « se départir du contrat ». 56 Cela implique d’une part l’extinction du contrat. L’art. 109 al. 1 CO en tire les conséquences: les parties ne doivent ni ne peuvent plus exécuter leurs obligations et elles ont le droit de réclamer la restitution des prestations qui auraient déjà été faites. Selon la jurisprudence récente, la résolution du contrat n’a pas pour effet de priver ces prestations de leur cause. Elle crée un rapport de liquidation: les parties restent liées par un rapport obligationnel, mais en vertu duquel chacune doit faire à l’autre les prestations nécessaires pour rétablir la situation antérieure au contrat. 57 Cela implique d’autre part la réparation du dommage résultant de la caducité du contrat. Elle est prévue par l’art. 109 al. 2 CO. Le débiteur en faute doit replacer le créancier dans la situation qui aurait été la sienne s’il n’y avait pas eu de contrat. II. L’exigibilité du prix dans le contrat d’entreprise Source: P. Gauch, op. cit., n. 1151 ss 58 L’obligation du maître de payer le prix naît à la conclusion du contrat, mais l’entrepreneur ne peut exiger le prix dû par le maître avant qu’il ne devienne exigible (cf. supra ch. 21). L’exigibilité du prix est traitée dans la loi à l’art. 372 CO [A]. Cette disposition, qui déroge à l’art. 75 CO, peut faire l’objet de conventions contraires [B]. A. 59 L’art. 372 al. 1 CO pose le principe selon lequel le prix de l’ouvrage est payable au moment de la livraison [a] tandis que l’art. 372 al. 2 CO ménage une exception à ce principe [b]. a) 60 La réglementation légale de l’art. 372 CO Le principe « Le prix de l’ouvrage est payable au moment de la livraison » (art. 372 al. 1 CO). Cela signifie que le prix devient exigible (cf. supra ch. 21) au moment de la livraison de l’ouvrage, c’est-à-dire ni avant (p. ex. déjà au moment de ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 10 l’achèvement de l’ouvrage), ni après (p. ex. seulement une fois que l’ouvrage livré aura été régulièrement examiné par le maître). 61 Pour le surplus, les précisions suivantes doivent être apportées: 62 - Avant la livraison de l’ouvrage (complet), le prix dû n’est exigible ni pour le tout ni pour partie, et ce même si les prestations originelles dues par l’entrepreneur ont été étendues au moyen d’une ou plusieurs modifications de commande ultérieures ou modifiées d’une autre façon. En différant l’exigibilité de toute la rémunération jusqu’à la livraison de l’ouvrage, l’art. 372 al. 1 CO fonde non seulement une obligation d’exécution préalable de l’entrepreneur en ce qui concerne l’exécution complète de l’ouvrage, mais il indique également, de façon indirecte, que l’entrepreneur n’a, de par la loi, aucun droit à des « rétro-acomptes » dans la mesure des différentes prestations fournies. 63 - Pour que l’ouvrage (complet) puisse être livré, il doit être achevé. L’achèvement de l’ouvrage doit cependant être distingué de son absence de défaut. Contrairement à une opinion largement répandue, le caractère défectueux de l’ouvrage n’empêche pas la survenance de l’exigibilité, mais il autorise le maître qui exerce son droit à la réfection de l’ouvrage (art. 368 al. 2 CO) à retenir (dans une certaine mesure) le paiement du prix en se fondant sur l’art. 82 CO. Si les parties ont fixé par convention les conditions auxquelles l’ouvrage doit être considéré comme livré, l’exigibilité intervient à la livraison, telle que définie par la convention. 64 Le principe de l’art. 372 CO, en vertu duquel le maître doit payer le prix « au moment de la livraison », est adapté au cas normal où la livraison porte sur un ouvrage achevé. Par contre, si le contrat d’entreprise prend fin de façon anticipée, deux cas doivent être distingués. Si l’extinction se produit « ex tunc », l’obligation du maître de payer le prix prend fin, de sorte que la question de l’exigibilité du prix ne se pose plus. Si, au contraire, l’extinction anticipée se produit « ex nunc », de telle sorte que l’entrepreneur a droit au paiement du travail fait, ce doit devient exigible au moment de la résiliation du contrat d’entreprise. L’art. 372 CO est muet sur ce point car il ne règle absolument pas ce cas. 65 Si les parties n’ont pas dérogé au principe de l’art. 372 al. 1 CO, la question d’une éventuelle interruption des travaux pour cause de non-paiement ne se pose pas. L’entrepreneur est en effet tenu d’exécuter et de livrer son ouvrage avant toute rémunération. b) 66 L’exception « Si des livraisons et des paiements partiels ont été convenus, le prix afférent à chaque partie de l’ouvrage est payable au moment de la livraison de cette partie » (art. 372 al. 2 CO). Cette exception déroge au principe de l’art. 372 al. 1 CO; elle laisse toutefois intacte l’obligation d’exécution préalable de l’entrepreneur relative à chaque partie de l’ouvrage, sans que l’entrepreneur n’ait à cet égard droit, de par la loi, au paiement de « rétro-acomptes » (sur la notion, cf. infra ch. 75). ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 11 67 L’exception suppose que l’entrepreneur soit tenu, d’après le contenu du contrat, d’effectuer des livraisons partielles et que le prix soit déterminé en fonction des parties à livrer. Si des livraisons partielles ont été convenues mais que le prix n’est pas déterminé en fonction des parties à livrer, le prix ne devient exigible, dans sa totalité, qu’au moment de la livraison de la dernière partie. 68 La livraison doit être distinguée de la facturation par l’entrepreneur. Celle-ci n’exerce, selon l’art. 372 CO, aucune influence sur l’exigibilité du prix, même si l’entrepreneur peut être tenu d’établir une facture selon les principes de la TVA. L’exigibilité du prix dans sa totalité (art. 372 al. 1 CO) ou d’un prix partiel (art. 372 al. 2 CO) se produit donc indépendamment de la question de savoir si l’entrepreneur a déjà envoyé ou non sa facture au moment de la livraison (de l’ouvrage ou d’une partie de l’ouvrage). La réglementation légale de l’art. 372 CO ne laisse donc pas l’entrepreneur libre de différer la date d’exigibilité de sa créance de prix et, notamment, le début du délai de prescription, en retardant la facturation. 69 Cela vaut également pour le cas où le montant exact de la créance de prix n’est porté à la connaissance du maître qu’au moment de la réception de la facture de l’entrepreneur, p. ex. parce que ce montant est fixé, en tout ou en partie, sur la base de prix unitaires ou « d’après la valeur du travail » (art. 374 CO). 70 Même dans ce cas, le prix devient exigible indépendamment de la facturation par l’entrepreneur. Une fois la créance exigible, l’entrepreneur a le droit de la faire valoir et d’exiger du maître qu’il effectue le paiement. Il ne peut cependant faire usage de cette faculté qu’en chiffrant sa créance devenue exigible et dont le maître ignore, à défaut, le montant, par la présentation d’une facture contrôlable et donc suffisamment détaillée. Tant que le maître n’a pas reçu une telle facture et n’est donc pas en mesure de contrôler le bien-fondé de la créance dont se prévaut l’entrepreneur, aucun paiement ne peut être raisonnablement attendu de sa part. Pendant ce temps, l’entrepreneur n’a pas non plus le droit (nonobstant l’exigibilité de sa prétention) de refuser la livraison de l’ouvrage faute de paiement simultané, de mettre le maître en demeure par interpellation (art. 102 al. 1 CO) ou d’opposer sa créance en compensation (art. 120 CO). Dans cette mesure, ce n’est pas l’exigibilité, mais bien les conséquences de l’exigibilité qui sont différées jusqu’à la facturation. B. 71 L’art. 372 CO est de droit dispositif, de sorte que les conventions contraires passées par les parties priment. La question sera examinée d’abord d’une manière générale [a], puis en relation avec le système de facturation de l’art. 118 SIA-118 [b]. a) 72 Les conventions contraires En général Les conventions qui dérogent à l’art. 372 CO sont fréquentes en pratique, notamment dans les contrats portant sur des ouvrages d’une certaine importance, ce qui montre que l’art. 372 CO ne renferme pas une règle d’exigibilité qui répond aux exigences de la pratique. De par la loi, ces conventions d’exigibilité ne sont soumises au respect d’aucune forme spéciale. Elles peuvent être expresses ou tacites, le cas échéant en renvoyant tacitement à un usage correspondant ou en étant intégrées tacitement à une convention sur le mode de facturation. ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 12 73 Le contenu des conventions d’exigibilité peut se présenter de différentes manières: 74 - Les parties peuvent, p. ex., convenir que, en dérogation de l’art. 372 al. 1 CO, la rémunération due deviendra déjà exigible (en tout ou en partie) avant la livraison de l’ouvrage (p. ex. un tiers à la conclusion du contrat et un autre tiers au commencement des travaux). 75 Si le maître doit, en vertu de la convention passée entre les parties, payer des prestations avant que l’entrepreneur ne les ait fournies, on parle de « paiements préalables » (« Vorauszahlungen »). Ils suppriment entièrement l’obligation de prestation préalable de l’entrepreneur. A l’inverse, les « rétro-acomptes » (« Abschlagszahlungen ») convenus entre les parties, qui deviennent également exigibles avant la livraison, sont fonction des prestations déjà effectuées par l’entrepreneur; toutefois, ils n’ont, contrairement aux « paiements partiels » définitifs, qu’un caractère provisoire, en ce sens qu’ils sont versés pour être imputés sur la totalité de la rémunération. 76 - Il se peut, à l’inverse, que les parties diffèrent l’exigibilité du prix ou d’une partie du prix à un moment situé après la livraison de l’ouvrage. Souvent, les parties conviennent que le prix ne deviendra exigible qu’au moment de la facturation par l’entrepreneur (le cas échéant uniquement à la réception d’une facture contrôlable) ou à l’échéance d’un certain délai à compter de la réception de la facture. 77 - La « clause de rémunération » (clause « Pay-When-Paid ») constitue une forme particulière de convention, que l’on rencontre dans de nombreux contrats de sous-traitance. Il s’agit soit d’une « pure clause d’exigibilité », soit d’une « clause de prétention », selon que le droit à la rémunération du soustraitant est subordonné uniquement dans le temps ou encore dans son existence au paiement de l’entrepreneur par son propre maître. 78 Celui qui se prévaut d’une convention d’exigibilité dérogeant à l’art. 372 CO en assume le fardeau de la preuve (art. 8 CC). Les conventions d’exigibilité sont importantes notamment parce qu’elles influent sur le début de la prescription qui, selon l’art. 130 al. 1 CO, « court dès que la créance est devenue exigible ». b) Le système de facturation de la Norme SIA-118 79 Les conventions sur l’exigibilité du prix sont fréquentes en pratique et se retrouvent souvent préformulées dans des conditions générales. Cela vaut notamment aussi pour la Norme SIA-118, qui traite dans de nombreuses dispositions de la facturation et, conjointement, de la question de l’exigibilité. 80 La facture par laquelle l’entrepreneur fait valoir son droit à la rémunération contient une invitation adressée au maître de payer le montant qui y figure. 81 Une des caractéristiques de la Norme tient au fait qu’elle prévoit un système de facturation différencié avec plusieurs types de factures. Il faut distinguer à cet égard: ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 13 82 - Les factures de régie (art. 55 al. 1 SIA-118). L’entrepreneur remet chaque mois les factures relatives aux travaux effectués en régie, la créance y relative devenant exigible à partir de ce moment. Le paiement de cette créance est un paiement partiel (cf. supra ch. 75) et non un simple acompte à imputer sur le prix. 83 - Les factures d’acomptes pour des prestations dont le prix est fixé sur la base de prix fermes (art. 145 al. 2 SIA-118): unitaires, forfaitaires ou globaux (n. 9 ss). Pour de telles prestations, qui doivent être rémunérées à prix fermes, l’entrepreneur a droit, dans le contrat à prix unitaires (art. 42 al. 2 SIA-118), à des « rétro-acomptes » mensuels (cf. supra ch. 75), qui deviennent exigibles à réception de la demande d’acompte régulièrement établie (art. 148 SIA-118). Le montant de chaque acompte dû par le maître (art. 145 al. 1 SIA-118) correspond à la valeur des prestations effectuées jusqu’à la fin du mois considéré (art. 145 al. 2 et 146 SIA-118), sous déduction de tous les acomptes devenus exigibles précédemment et d’une retenue qui sert de garantie au maître jusqu’à la réception de l’ouvrage ou d’une partie de l’ouvrage (art. 149 SIA-118) et qui est remplacée, après la réception, par une garantie (sûreté) pour la responsabilité de l’entrepreneur à raison des défauts (art. 181 s. SIA-118) 84 - Le décompte de variation de prix. Il intervient, lorsque la méthode des pièces justificatives (art. 65 al. 1/66 ss SIA-118) s’applique, au moyen de décomptes périodiques, en principe mensuels (art. 66 al. 4 SIA-118). Pour chaque période, l’entrepreneur arrête la variation de prix par la modification des bases de calcul (art. 66 al. 6 SIA-118). Le paiement de cette facture est un paiement partiel et non un simple acompte. En cas de baisse de prix, l’entrepreneur remet au maître une note de crédit (art. 66 al. 6 SIA-118). 85 - Le décompte final (art. 153 ss SIA-118). Il est présenté par l’entrepreneur deux mois au plus tard après la réception de l’ouvrage (art. 154 al. 1 SIA-118). Le maître le vérifie dans le délai d’un mois (art. 154 al. 2 SIA-118). Si l’entrepreneur présente le décompte final avant la réception, ce qui ne se produit que rarement en pratique, le délai de vérification (art. 154 al. 2 SIA-118) commence à courir à compter de la réception de l’ouvrage. Si l’ouvrage de l’entrepreneur en question est livré par parties (art. 157 al. 1 SIA-118), le délai de présentation du décompte de deux mois (art. 154 al. 1 SIA-118) commence à courir au moment de la dernière réception partielle. 86 Contrairement à ce que sa dénomination pourrait laisser supposer, le décompte final de la Norme SIA-118 n’est pas, par rapport à l’ensemble des prestations, une facture globale. Au contraire, il n’englobe que les prestations à prix fermes (art. 153 al. 1) et donc pas les travaux en régie (art. 153 al. 2 SIA-118). Il arrête le montant total de la rémunération des prestations à prix fermes (art. 153 al. 1 SIA-118), mais sans tenir compte des augmentations ou des diminutions résultant des variations de prix (art. 153 al. 2 SIA-118). Si des (rétro-)acomptes devaient être payés, le décompte final détermine en outre « le solde correspondant »: le montant du décompte final diminué de tous les acomptes antérieurement échus, payés ou non (art. 153 al. 1 SIA-118). Ce solde est généralement en faveur de l’entrepreneur, exceptionnellement en faveur du maître (art. 155 al. 3 SIA-118). ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 14 87 Il résulte de ce qui précède que le décompte final n’englobe ni les travaux en régie ni la variation de prix, et qu’il ne donne aucune indication sur les créances ouvertes découlant de factures antérieures. Une créance de l’entrepreneur déterminée sur cette base ne concerne donc que des prestations à prix fermes (sans variation de prix). Par ailleurs, tous les acomptes échus antérieurement sont déduits, même s’ils n’ont pas encore été payés. De ce fait, le décompte final, pris isolément, est incomplet à plusieurs égards. C’est pourquoi l’entrepreneur joint au décompte final « une récapitulation de toutes les factures présentées (y compris le décompte final) et de tous les montants reçus du maître jusqu’au jour du décompte final ou qui lui sont encore dus (art. 153 al. 3 SIA118). « Sauf réserve écrite dans sa récapitulation (art. 153 al. 3 SIA-118), l’entrepreneur qui dépose ce document s’engage à ne présenter aucune facture nouvelle et à renoncer à toute rémunération pour des prestations qu’il n’aurait pas encore portées en compte. Les intérêts moratoires prévus par l’art. 190 demeurent réservés ». 88 - Le paiement de la retenue qui sert de garantie (sûreté) au maître jusqu’à réception de l’ouvrage (art. 149 al. 1 SIA-118). Le montant retenu sur les rétro-acomptes devient exigibles aux conditions de l’art. 152 SIA-118. Selon l’art. 152 al. 1 SIA-118, la créance devient exigible lorsque les conditions suivantes sont remplies: réception de l’ouvrage, remise du décompte final, échéance du délai de contrôle (art. 154 al. 2 SIA-118), compte tenu de l’échéance d’un éventuel délai supplémentaire (art. 155 al. 2 SIA-118) et constitution « de la garantie prévue à l’art. 181 » pour la responsabilité de l’entrepreneur à raison des défauts. 89 Les règles de la Norme SIA-118 sur l’exigibilité des différentes créances de prix sont complétées par l’art. 190 de la Norme. En vertu de cette disposition, le maître « effectue le paiements échus dans le délai de trente jours » « à moins que le texte du contrat ne prescrive un autre délai de paiement ». Ce délai de paiement de trente jours se caractérise par le fait qu’il commence à courir avec l’exigibilité de chaque paiement, de sorte qu’il ne diffère pas leur exigibilité mais la suppose. Il contient cependant un « pactum de non petendo » qui autorise le maître à s’opposer, par le biais d’une exception, au paiement « en soi » exigible jusqu’à l’échéance du délai. Et pour ce qui est de la demeure du débiteur, l’art. 190 al. 1 de la Norme prévoit expressément que le maître ne peut tomber en demeure qu’à l’expiration du délai de paiement. L’art. 190 al. 1 SIA-118 est même formulé de telle manière que l’interpellation nécessaire à la mise en demeure n’intervient qu’après l’expiration du délai de paiement. Une nouvelle interpellation après l’expiration du délai n’est cependant pas requise lorsque l’entrepreneur a interpellé le maître avant l’expiration du délai et à exigé de lui sans équivoque d’effectuer le paiement dû à l’expiration du délai ou à un moment ultérieur. ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 15 III. Les droits à disposition de l’entrepreneur en cas de retard de paiement 90 Le premier droit auquel pense l’entrepreneur victime d’un retard de paiement est celui d’interrompre les travaux [A]. Il dispose cependant aussi des droits ordinaire découlant de la demeure [B], du droit à la garantie de l’art. 83 CO [C] et du droit à l’inscription provisoire d’une hypothèque légale d’artisan et d’entrepreneur [D]. A. Le droit d’interrompre les travaux (art. 82 CO) Source: P. Gauch, op. cit., n. 1280 ss P. Gauch/W. R. Schluep/P. Tercier, op. cit., n. 1324 ss 91 L’entrepreneur qui ne reçoit pas un paiement exigible peut soulever l’exception d’inexécution du contrat et interrompre les travaux jusqu’à ce qu’il reçoive le paiement en souffrance (p. ex. un paiement préalable). 92 Ce droit d’interrompre les travaux n’est pas fondé sur les règles de la demeure, mais sur l’art. 82 CO: « Celui qui poursuit l’exécution d’un contrat bilatéral doit avoir exécuté ou offrir d’exécuter sa propre obligation, à moins qu’il ne soit au bénéfice d’un terme d’après les clause ou la nature du contrat ». 93 Quatre remarques à ce sujet: 94 - L’art. 82 CO visait à l’origine les contrats synallagmatiques ponctuels (p. ex. la vente). Le TF a toutefois élargi sa portée en appliquant par analogie l’art. 82 CO à certains contrats de durée, en particulier au contrat de travail. On peut donc admettre, avec une partie importante de la doctrine, que l’art. 82 CO peut, en soi, être appliqué par analogie au contrat d’entreprise. 95 - L’art. 82 CO réserve les cas dans lesquels l’autre partie est au bénéfice d’un terme (cf. supra ch. 25 ss) « d’après les clauses ou la nature du contrat ». La loi ou la convention peuvent en effet prescrire qu’une partie s’acquittera avant l’autre de son obligation. La règle prévoit donc que, sauf convention contraire, les prestations se qui se trouvent dans un rapport d’échange doivent être exécutées simultanément (« Zug um Zug »). 96 On a vu à cet égard que le contrat d’entreprise met en principe le maître au bénéfice d’un tel terme. En effet, le prix de l’ouvrage est payable normalement au moment de la livraison (cf. supra ch. 60), à moins que des livraisons et des paiements partiels aient été convenus (cf. supra ch. 66), les conventions contraires étant réservées (cf. supra ch. 71 ss). L’arme de l’interruption des travaux n’est donc disponible que si des livraisons et paiements partiels ont été convenus ou encore lorsque les parties se sont mises d’accord sur des paiements préalables ou des rétro-acomptes (cf. supra ch. 75 et 83). ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 16 97 - S’il n’a pas encore exécuté sa prestation, le créancier doit au moins avoir fait une offre sérieuse (« Realofferte ») et non seulement une offre purement verbale. Il doit en d’autres termes avoir pris toutes les mesures préparatoires nécessaires pour exécuter l’obligation conformément au contrat. 98 L’entrepreneur qui, sans faute du maître, n’est pas en mesure d’exécuter et de livrer l’ouvrage, par exemple parce qu’il ne dispose pas de la main-d’œuvre ou du matériel nécessaire, n’est donc pas en droit de déclarer qu’il interrompt les travaux en application de l’art. 82 CO. 99 - Si le créancier n’a pas exécuté ou n’a pas offert d’exécuter sa propre prestation, le débiteur dispose d’une exception tirée de la non-exécution du contrat (exception d’inexécution, « exceptio non adimpleti contractus »). Il s’agit d’une exception (dilatoire) au sens propre – soit d’une exception qui permet de refuser provisoirement la prestation – que le juge ne peut relever d’office. Selon la jurisprudence, elle a pour conséquence que le défendeur ne peut être condamné à faire sa prestation qu’au moment où le demandeur aura fait ou offert la sienne. 100 L’exception d’inexécution peut également être soulevée lorsque la Norme SIA118 a été intégrée au contrat car celle-ci ne contient aucune disposition contraire. En effet, l’art. 37 al. 1 interdit simplement à l’entrepreneur d’interrompre les travaux « contrairement au contrat », c’est-à-dire sans droit: « En cas de divergence entre l’entrepreneur et le maître, chacun reste tenu d’exécuter consciencieusement ses obligations contractuelles. L’entrepreneur n’a donc pas le droit d’interrompre ses travaux contrairement au contrat; de la même façon, le maître n’a pas le droit de retenir les montants dus ». 101 Il n’en reste pas moins que l’injonction de ne pas interrompre les travaux si le non-paiement du maître repose sur une divergence est frappée au coin du bon sens. En interrompant ses travaux, l’entrepreneur prend en effet le risque de devoir payer d’importants dommages-intérêts (indemnisation du maître pour le retard pris et surcoûts liés à son remplacement) si le juge saisi de l’affaire devait parvenir à la conclusion que la rémunération litigieuse n’est finalement pas due. Une telle hypothèse n’est pas rare. En effet, le calcul du prix de l’ouvrage (et des acomptes y afférant) n’est pas toujours simple; de plus, le moment de l’exigibilité de ce prix est parfois difficile à fixer (s’il dépend, p. ex., d’un certain état d’avancement des travaux) et c’est en fin de compte l’entrepreneur qui a le fardeau de la preuve des faits qui s’y rapportent (art. 8 CC). Il n’est donc pas étonnant que le nombre de jugements sur la question soit extrêmement faible. 102 L’entrepreneur qui veut se ménager la possibilité d’interrompre les travaux n cas de non-paiement a donc intérêt à clarifier la situation sur le plan contractuel, tant en ce qui concerne le montant de sa rémunération et que l’exigibilité des différents versements intermédiaires. Un délai de paiement à échéance absolue – date du calendrier – s’avère ainsi préférable à un délai de paiement à détermination relative – en fonction de l’avancement du chantier (cf. supra ch. 25). 103 Le droit du maître d’interrompre les travaux existe indépendamment de la nature du paiement en souffrance. Il n’est pas nécessaire à cet égard que le paiement litigieux soit en lien avec les travaux qui doivent être interrompus. L’entrepreneur a donc le droit d’interrompre les travaux même si le paiement en question est un acompte ou un paiement partiel. ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 17 104 Le droit d’interrompre les travaux ne doit toutefois pas être constitutif d’un abus de droit (art. 2 al. 2 CC). Il ne peut donc pas être utilisé si l’interruption des travaux constitue une mesure totalement disproportionnée par rapport au paiement en souffrance. Cette disproportion s’examine en tenant compte de tous les inconvénients que le maître subit du fait de l’interruption des travaux. Le fait que le maître ait été informé suffisamment tôt de l’interruption des travaux peut diminuer ces inconvénients. 105 En définitive, l’entrepreneur avisé ne devrait interrompre les travaux sur la base de l’art. 82 CO que si le montant impayé est important et n’est pas litigieux. Ce qui, si l’on a pas pris soin de clarifier la situation sur le plan contractuel, limite très fortement son utilité pratique. Il est en effet très rare que le maître ose avouer que la seule raison du non-paiement d’un montant important tient à un simple manque de liquidités. Il préférera souvent déguiser son impécuniosité sous les habits plus respectables de la contestation juridique vigoureuse. Et seul l’entrepreneur au bénéfice d’un contrat clair sera capable de reconnaître avec certitude que les arguments soulevés par sa partie adverse sont dénués de toute pertinence. Sans compter que la loi prévoit une procédure spéciale lorsque le débiteur est devenue insolvable (cf. infra ch. 115 ss). 106 Pour les frais supplémentaire d’exécution de l’ouvrage découlant de l’interruption licite des travaux, l’entrepreneur a droit à une rémunération supplémentaire même si un prix ferme (ch. supra ch. 8 ss) a été convenu. S’il reste un dommage non couvert, il s’agit d’un élément du dommage que le maître doit réparer en tant que dommage résultant de la demeure, si celle-ci lui est imputable à faute (art. 103 al. 1 CO). B. Les droits découlant de la demeure Source: P. Gauch, op. cit., n. 1274 ss P. Gauch/W. R. Schluep/P. Tercier, op. cit., n. 1300 ss 107 L’entrepreneur qui préfère renoncer à interrompre les travaux en raison des risques qui y sont liés (cf. supra ch. 100) n’est pas absolument désarmé. Il peut encore se prévaloir des droits découlant de la demeure (cf. supra ch. 32 ss). 108 Si le maître est en demeure d’effectuer un paiement exigible (cf. supra ch. 43 ss), l’entrepreneur dispose naturellement des droits découlant de la demeure simple: 109 - Il peut réclamer au maître le versement d’un intérêt moratoire, qui est en principe de 5%. 110 - Il a également droit à la réparation du dommage consécutif au retard qui dépasse l’intérêt moratoire (p. ex. constitution de garanties destinées à couvrir un emprunt rendu nécessaire par le défaut de paiement). 111 L’entrepreneur peut également, aux conditions des art. 107 al. 1 et 109 CO (cf. supra ch. 46 ss), se départir du contrat, ce qui éteint les obligations (princi- ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 18 pales) des parties et fonde une obligation réciproque de répéter ce qui a déjà été reçu. 112 Cet effet de la résolution est certainement approprié aussi longtemps que l’entrepreneur n’a pas encore commencé l’exécution de l’ouvrage. Par contre, si le contrat d’entreprise se trouve déjà dans sa phase d’exécution, l’effet de la résolution prévu à l’art. 109 al. 1 CO satisfait très rarement les intérêts de l’entrepreneur (qui est ici la partie à protéger). Il s’avère au contraire inapproprié pour lui (notamment en matière de travaux de construction, de réparation ou de travaux avec la matière d’autrui). C’est pourquoi l’entrepreneur doit être autorisé à se départir du contrat d’entreprise « ex nunc » et non « ex tunc » (c’est-à-dire résilier le contrat) et à réclamer au maître (comme à l’art. 378 al. 1 CO) « le prix du travail fait et les autres dépenses non comprises dans ce prix » contre remise de la partie de l’ouvrage déjà exécutée. La question de savoir si la partie de l’ouvrage est « utilisable » (art. 379 al. 2 CO) ou non pour le maître ne joue aucun rôle à cet égard, puisque la résiliation du contrat se fonde sur une violation du contrat par le maître. 113 Si la demeure est due à une faute du maître (ou si sa responsabilité pour les auxiliaires selon l’art. 101 CO est engagée), celui-ci a l’obligation d’indemniser l’entrepreneur qui se départit du contrat, pour le dommage résultant de la caducité du contrat. On applique à cet égard l’art. 109 al. 2 CO, en vertu duquel l’entrepreneur a droit, sauf convention contraire (p. ex. art 190 al. 2 SIA-118: droit à la perte de gain résultant de l’extinction prématurée du contrat), à l’indemnisation de l’intérêt négatif. L’entrepreneur peut ainsi réclamer la réparation du dommage qu’il a subi en raison de la confiance qu’il avait placée dans l’exécution intégrale du contrat. 114 La possibilité de se départir du contrat aux conditions des art. 107 al. 1 et 109 CO se heurte aux mêmes difficultés pratiques que pour l’interruption des travaux fondée sur l’art. 82 CO (cf. supra ch. 101). S’il y a litige sur la rémunération impayée, l’entrepreneur qui se départit du contrat prend le risque de devoir payer des dommages-intérêts s’il s’avère au final que le montant n’est pas dû. L’arme de la résolution/résiliation du contrat doit donc être utilisée avec beaucoup de prudence. Ici aussi, un contrat bien rédigé peut faire des miracles. C. Le droit à la garantie (art. 83 CO) Source: P. Gauch/W. R. Schluep/P. Tercier, op. cit., n. 1333 ss 115 L’entrepreneur impayé qui renonce à interrompre les travaux (cf. supra ch. 101 et 105) et se contente de l’intérêt moratoire (cf. supra ch. 108 ss) prend le risque de ne pas être payé intégralement si le maître se révèle insolvable. 116 Pour remédier à cet état de fait, l’art. 83 CO prescrit que « si, dans un contrat bilatéral, les droits de l’une des parties sont mis en péril parce que l’autre est devenue insolvable, et notamment en cas de faillite ou de saisie infructueuse, la partie ainsi menacée peut se refuser à exécuter jusqu’à ce que l’exécution de l’obligation contractée à son profit ait été garantie. Elle peut se départir du contrat si cette garantie ne lui est pas fournie, à sa requête, dans un délai convenable ». 117 La règle de l’art. 83 CO est applicables aux deux conditions cumulatives suivantes: 118 - Postérieurement à la conclusion du contrat, l’autre partie est devenue insolvable. Notion de droit fédéral, l’insolvabilité suppose l’incapacité prolongée du débiteur de satisfaire ses créanciers; la preuve peut en être rapportée ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 19 par tous moyens. Cette insolvabilité consiste en ceci que l’autre partie ne dispose plus de moyens suffisants pour faire face à ses engagements; ce sera notamment le cas s’il y a faillite, concordat, saisie infructueuse, ou encore interruption des paiements, demande de sursis. 119 - Cette insolvabilité met en péril les droits du créancier. Ceux-ci doivent être effectivement menacés par l’insolvabilité, ce qui n’est p. ex. pas le cas si la créance est garantie, notamment par des gages ou des cautionnements. 120 Lorsque ces conditions sont remplies, le débiteur qui devrait s’exécuter dispose de deux droits: 121 - Il a d’abord une exception (l’exception d’insolvabilité), qui lui permet de refuser la prestation « jusqu’à ce que l’exécution de l’obligation contractée à son profit ait été garantie » (art. 83 al. 1 CO). En faisant usage de ce droit, l’entrepreneur interrompt les travaux et subordonne leur reprise à la remise d’une garantie. 122 - Si la garantie demandée n’est pas fournie dans un délai convenable, le débiteur a ensuite un droit de résolution; il peut « se départir du contrat » (art. 83 al. 2 CO). 123 La situation est la même qu’en cas de demeure qualifiée (cf. supra ch. 111 ss): si les travaux ont déjà commencé, l’entrepreneur devra être autorisé à se départir du contrat avec effet « ex nunc » et à réclamer au maître le prix du travail fait et les autres dépenses non comprises dans ce prix. 124 L’entrepreneur ne peut faire usage de cette exception et de ce droit de résolution sans risque que si l’insolvabilité du maître est certaine. A défaut, il aura interrompu les travaux ou résolu le contrat sans droit et devra des dommages-intérêts au maître. Une fois de plus, l’entrepreneur sera donc bien inspiré de réfléchir à deux fois avant de recourir aux droits que semble lui conférer l’art. 83 CO car il risque d’y perdre alors qu’il pense y gagner. D’un côté, le recours à ces droits est facilité par l’absence de recours au juge, mais de l’autre, cette absence de décision judiciaire laisse le titulaire du droit dans une grande incertitude juridique. La portée pratique de l’art. 83 CO devrait donc être limitée aux cas d’insolvabilité patente. D. Le droit à l’inscription provisoire d’une hypothèque légale d’artisan et d’entrepreneur Source: P. Tercier, Introduction au droit privé de la construction, Fribourg 1993, n. 723 ss P. H. Steinauer, Les droits réels, vol. III, 3e éd., Berne 2003, n. 2855 ss 125 L’entrepreneur impayé qui n’est pas suffisamment certain du bien-fondé de ses prétentions pour interrompre les travaux (cf. supra ch 101 et 105) et qui craint que le maître soit insolvable sans en avoir la certitude (cf. supra ch. 115 ss) est réduit à requérir une hypothèque légale d’artisan et d’entrepreneur (art. 837 al. 1 ch. 3 et 839 ss CC). ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs a) Page 20 La notion 126 L’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs est une hypothèque légale indirecte privilégiée. 127 - Une hypothèque. C’est un droit de gage qui permet à son titulaire de se faire rembourser sa créance sur le montant de la réalisation forcée de l’immeuble grevé. 128 - Une hypothèque légale. Il s’agit d’une hypothèque qui peut être constituée sans l’accord du propriétaire de l’immeuble grevé, car le créancier gagiste déduit de la loi son droit à la constitution de l’hypothèque. 129 - Une hypothèque indirecte. Elle donne au créancier le droit de faire inscrire un gage immobilier sur le feuillet de l’immeuble concerné; par opposition à l’hypothèque légale dite directe qui naît de plein droit, elle nécessite pour sa formation une inscription au registre foncier. 130 - Une hypothèque privilégiée. Les artisans et entrepreneurs pourront demander à être payés en priorité sur le produit de la réalisation, même avant le titulaire de droit de gage immobiliers antérieurs, dans la mesure où ces créanciers gagistes pouvaient reconnaître que la constitution de leur droit de gage porterait atteinte aux artisans et entrepreneurs (art. 841 al. 1 CC). b) Les conditions 131 Le droit à l’inscription de l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs est subordonné au respect des conditions suivantes: 132 - L’ayant droit. Il s’agit, selon l’art. 837 al. 1 ch. 3 CC d’un artisan (« Handwerker ») ou d’un entrepreneur (« Unternehmer »). En général, cet artisan ou cet entrepreneur travaillera sur la base d’un contrat conclu avec le propriétaire de l’immeuble. Mais l’hypothèque légale lui est aussi accordée s’il travaille en tant que sous-traitant, pour un autre artisan ou entrepreneur. On rappellera que les architectes et les ingénieurs ne bénéficient pas de l’hypothèque légale. 133 - L’objet des travaux. L’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs peut être requise pour des travaux ayant porté sur un bâtiment ou un autre ouvrage. Par bâtiment (« Baute »), il faut entendre toute construction destinée à l’habitation de l’homme ou servant à abriter des animaux ou d’autres biens. L’expression « autre ouvrage » (« anderes Werk ») doit être comprise dans un sens très large. Elle englobe tout ce que l’homme fixe au sol à l’aide de moyens techniques (à la surface ou d’une manière souterraine). 134 - Les travaux. Pour bénéficier de l’hypothèque légale, un artisan ou un entrepreneur doit avoir « fourni des matériaux et du travail ou du travail seulement » (art. 837 al. 1 ch. 3 CC). Celui qui s’est contenté de livrer des matériaux qui n’ont pas été fabriqués spécialement (briques, tuiles, fers à béton non façonnés, etc.) n’est en principe pas protégé. Il agit comme un simple vendeur et ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 21 n’est donc en soi pas obligé par la nature de sa prestation, de faire crédit au maître d’ouvrage. 135 - L’objet du droit de gage. L’objet du droit de gage est constitué par l’immeuble sur lequel ont porté les travaux des créanciers qui demandent l’inscription de l’hypothèque légale (art. 837 al. 1 ch. 3 CC). 136 - Le sujet passif du droit à l’inscription. Le droit à l’inscription d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs est toujours dirigé contre le propriétaire actuel de l’immeuble sur lequel se trouve le bâtiment ou l’ouvrage concerné par les travaux. 137 - La non-prestation de sûretés. Le propriétaire peut éviter l’inscription de l’hypothèque légale en fournissant des sûretés suffisantes à l’artisan ou à l’entrepreneur (art. 839 al. 3 i.f. CC et art. 22 al. 3 ORF). Les sûretés peuvent être fournies sur la forme d’un cautionnement, d’une garantie bancaire, d’un nantissement, d’une consignation. Elles doivent être suffisantes pour couvrir la créance de l’artisan ou de l’entrepreneur, en cas de contestation sur la valeur des sûretés, c’est le juge et non le conservateur du registre foncier qui devra trancher le litige. Pour qu’une sûreté soit considérée comme suffisante, il faut qu’elle offre à l’ayant droit les mêmes garanties que l’hypothèque légale, y compris en ce qui concerne les intérêts (moratoires). Un cautionnement limité dans le temps ne satisfait pas cette exigence. c) La mise en œuvre du droit à l’inscription 138 Le législateur a édicté des règles particulières, qui concernent le moment de la requête, la reconnaissance de la créance par le propriétaire ou par le juge et l’inscription provisoire de l’hypothèque. 139 - Le moment de la requête. L’art. 839 al. 1 CC permet à l’ayant droit de former sa requête dès qu’il s’est obligé à exécuter le travail, à savoir dès le moment de la conclusion du contrat. L’art. 839 al. 2 CC prévoit que l’inscription de l’hypothèque légale au registre foncier « doit être requise [recte: inscrite] au plus tard dans les trois mois qui suivent l’achèvement des travaux ». Il s’agit d’un délai de péremption qui ne peut être ni suspendu ni interrompu. Par « achèvement des travaux », il faut entendre le moment où « tous les travaux qui constituent l’objet du contrat d’entreprise ont été exécutés et que l’ouvrage est livrable ». Des travaux de peu d’importance, secondaires ou accessoires, soit encore de simples retouches, ou encore des travaux de garantie ne doivent pas être pris en considération. 140 - La reconnaissance de la créance. La loi confère au bénéficiaire un droit propre de requérir unilatéralement l’inscription d’une hypothèque sur l’immeuble d’autrui. L’art. 839 al. 2 CC, en relation avec l’art. 22 al. 2 ORF, prévoit toutefois trois conditions alternatives pour pouvoir procéder à l’inscription de l’hypothèque: ou bien le propriétaire a reconnu la créance (« Pfandsumme »; art. 839 al. 3 CC et art. 22 al. 2 ORF), ou bien le propriétaire a autorisé ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 22 l’inscription (art. 22 al. 2 i.f. ORF) ou encore le juge a établi la créance (art. 839 al. 3 CC). 141 - L’inscription provisoire. L’art. 22 al. 4 ORF renvoie à l’art. 961 al. 1 ch. 1 CC et permet ainsi à l’ayant droit d’obtenir une inscription provisoire dans les deux cas suivants: lorsqu’il y a un désaccord entre les parties en ce qui concerne le montant ou l’existence de la créance, ou lorsque le montant des sûretés à fournir par le propriétaire est contesté. Pour obtenir du juge l’inscription provisoire de l’hypothèque légale, il suffit que l’entrepreneur ou l’artisan rende vraisemblable le droit allégué (art. 22 al. 4 ORF et art. 961 al. 3 CC). Le juge prononce après une procédure sommaire (art. 961 al. 3 CC) et ne doit ainsi pas formuler des exigences trop sévères quant aux éléments que doit rendre vraisemblables l’entrepreneur ou l’artisan. d) Les effets 142 L’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs et dite indirecte, ce qui signifie qu’elle ne prend naissance qu’après son inscription au registre foncier. On dit dès lors que l’inscription a un effet constitutif, puisqu’elle est nécessaire à la naissance du droit de gage (art. 971 al. 1 CC). 143 Par rapport à d’autres types de droits de gage immobilier, le rang de l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs est déterminé par la date de son inscription (art. 972 al. 1 et 2 CC). 144 Ainsi, en cas de réalisation forcée, une banque qui a fait inscrire une hypothèque pour garantir le prêt qu’elle a consenti au maître d’ouvrage sera désintéressée avant l’entrepreneur dont l’hypothèque légale a été inscrite ultérieurement. Il existe toutefois une protection pour l’entrepreneur qui subit une perte: le privilège prévu à l’art. 841 al. 1 CC, qui se justifie par le fait que l’entrepreneur ou l’artisan est en général le dernier, de par ses activités, à requérir l’inscription d’une hypothèque au cours d’une construction. 145 L’étendue du privilège dépend de la plus-value apportée à l’immeuble, qui détermine le montant de la créance que l’artisan ou l’entrepreneur peut faire valoir contre le créancier de rang antérieur. Si le montant pouvant être exigé des créanciers de rang antérieur ne couvre pas toutes les pertes, la part de chaque artisan ou entrepreneur sera proportionnelle à la contribution de l’artisan ou de l’entrepreneur à la plus-value totale. Le fait que certains artisans ou entrepreneurs n’aient pas obtenu d’hypothèque légale ou n’aient pas intenté l’action contre les créanciers de rang antérieur n’accroît pas la part de ceux qui font valoir leur privilège. Pour le calcul de la créance de l’artisan ou de l’entrepreneur contre le créancier de rang antérieur, il convient enfin de tenir compte des montants qu’il a déjà reçus, soit lors de la réalisation forcée, soit avant sous forme d’acomptes; il faut déduire ces montants de la créance maximale à laquelle il a droit. Le résultat obtenu fixe l’étendue de la créance contre les créanciers gagistes antérieurs. 146 L’existence d’une hypothèque légale ne met donc pas l’artisan ou l’entrepreneur à l’abri d’une perte, en particulier lorsque le solde impayé représente un pourcentage relativement faible de sa créance totale. ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs 147 Page 23 Entre les diverses hypothèques des artisans ou entrepreneurs, un principe différent s’applique. En effet, certains travaux doivent, pour des questions d’organisation, s’effectuer après les autres: ainsi, pour ne pas désavantager cette catégorie d’ayants droits, l’art. 840 CC prévoit que, lors de la réalisation forcée de l’immeuble (mais seulement à ce moment) les différents bénéficiaires de cette hypothèque concourent entre eux, à droit égal, sans égard à la date de l’inscription. Conclusion 148 Parvenu au terme de cet exposé, on constate que la loi contient plusieurs dispositions permettant à l’entrepreneur d’interrompre ses travaux en cours de chantier: 149 - L’art. 82 CO confère à l’entrepreneur une exception qui lui permet de refuser de continuer les travaux tant que le paiement partiel ou l’acompte en souffrance n’est pas exécuté. 150 - Les art. 107 al. 1 et 109 CO permettent à l’entrepreneur de résoudre le contrat lorsque le maître est en demeure qualifiée d’exécuter un paiement dû contractuellement. 151 - L’art. 83 CO autorise l’entrepreneur à refuser de continuer les travaux tant que sa créance de prix n’a pas été garantie et à résoudre le contrat si cette garantie n’est pas fournie dans un délai raisonnable lorsque le maître est devenu insolvable et que cette insolvabilité met ses droits en péril. 152 Ces différents droits doivent cependant être maniés avec précaution car l’entrepreneur court le risque de devoir payer d’importants dommages-intérêts s’il s’avère par la suite que la rémunération litigieuse n’était pas due ou que le maître n’était pas insolvable. 153 Il importe donc de clarifier, dans toute la mesure du possible, la manière avec laquelle la rémunération est calculée et de fixer de façon précise le moment de l’exigibilité des différents versements préalables. A défaut, l’entrepreneur en est réduit à continuer les travaux et à requérir une hypothèque légale d’artisan ou d’entrepreneur. ConstructionValais Conférence sur les droits des entrepreneurs Page 24 Table des matières Page Table des abréviations 2 INTRODUCTION 3 I. GENERALITES 5 A. Les obligations du maître 3 B. L’époque de l’exécution 5 a) b) c) Quelques notions Le mode de détermination Les règles de détermination 5 6 6 Le régime général de la demeure 7 a) b) 7 8 C. II. L’EXIGIBILITE DU PRIX DANS LE CONTRAT D’ENTREPRISE 9 A. 9 La réglementation légale de l’art. 372 CO a) b) B. III. La demeure simple La demeure qualifiée Le principe L’exception 9 10 Les conventions contraires 11 a) b) En général Le système de facturation de la Norme SIA-118 11 12 DROITS A DISPOSITION DE L’ENTREPRENEUR EN CAS DE RETARD DE PAIEMENT 15 A. Le droit d’interrompre les travaux (art. 82 CO) 15 B. Les droits découlant de la demeure 17 C. Le droit à la garantie (art. 83 CO) 18 D. Le droit à l’inscription d’une hypothèque légale d’artisan et d’entrepreneur 19 a) b) c) d) 20 20 21 22 LES CONCLUSION La notion Les conditions La mise en œuvre du droit à l’inscription Les effets 23