PROPOSITION DE BUFFET MÉDIÉVAL (FRANCE 14e SIÈCLE
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PROPOSITION DE BUFFET MÉDIÉVAL (FRANCE 14e SIÈCLE
PROPOSITION DE BUFFET MÉDIÉVAL (FRANCE 14e SIÈCLE) Avertissement Au Moyen Âge, le système du buffet dînatoire tel que nous le connaissons aujourd¹hui n¹existe pas. Le buffet désigne uniquement le meuble (de grand luxe et très souvent à gradins) où sont disposés, aux côtés de la vaisselle précieuse (en or ou argent), le matériel servant au service des boissons: verres, aiguières, pichets. On y trouve également des aliments: non seulement des dragées (bonbons au sucre tiré ou pétri épicés diversément: anis, gingembre, menthe) disposées dans de somptueux drageoirs constellés de pierreries étincelantes, mais aussi des entremets dits ³élevés² (pièces montées en tout genre, servies froides) afin de permettre aux convives de les admirer avant de les déguster. Il n¹est donc pas interdit d¹y ajouter les autres mets destinés à compléter la dégustation; j¹ ai de préférence choisi ceux pouvant être servis froids. Toutes les recettes proviennent de réceptaires français du 14e siècle: le Viandier (attribué injustement à Taillevent), le Ménagier de Paris et les Enseingnemenz qui enseignent a apareillier toutes manieres de viandes. 1° Tailliz ou pudding au pain ³Prenez figues, roisins et lait d¹amendes boully, eschaudez, galettes et crouste de pain blanc couppé menu par petitz quarrez, et faictes boullir vostre lait, et saffren pour luy donner couleur, et succre, et puis mettez boullir tout ensemble tant qu¹il soit bien lyant pour taillier; et mettres par escuelles ³ (éd. R. LEHOUCQ , p. 232). Le ³tailliz², qui est dérivé du verbe tailler parce qu¹on doit pouvoir y détailler des tranches subsiste toujours en Belgique sous le nom de ³poding² (ou ³boding² ) et en Angleterre sous celui de bread-pudding (pudding au pain). C¹est devenu un plat populaire, car il permet de récupérer des restes (de pain). Mais, au Bas Moyen Âge, le ³tailliz² était un mets aristocratique; ses autres ingrédients (figues, raisins secs, dattes, amandes, safran, sucre) étaient en effet des produits de luxe, importés à grands frais des régions méditerranéennes. Le Viandier de la Vaticane (1ère partie) le prépare sans oeufs, car la recette est destinée aux jours maigres. La version initiale en prévoyant, j¹en ai néanmoins mis afin de rendre la composition plus onctueuse. Une autre version du même Viandier de la Vaticane ajoute des dattes (idem , p. 267) Ingrédients un pain rassis de 400 gr deux oeufs un demi-litre de lait d¹amandes (fait avec des amandes en poudre de délayées dans de l¹eau de l¹eau) 75 gr de raisins secs 75 gr de figues sèches 75 gr de dattes sèches 75 gr de sucre une pincée de safran huile d¹amandes Façons Hachez le pain, mélangez-le avec le lait d¹amandes, les oeufs battus, le sucre, le safran et les fruits secs éventuellement coupés en morceaux. Placez l¹appareil dans un plat allant au four et préalablement graissé avec de l¹¹huile d¹amandes. Faites cuire le ³tailliz² à four chaud pendant environ une heure. Vérifiez s¹il est à point en le piquant avec un fin bâtonnet qui doit en ressortir bien sec. Laissez refroidir. Astuce: vous pouvez faire de ce pudding un peu rustique un entremets raffiné en le nappant avec le ³chaudeau flamand² ci-après. 2) Chaudeau flamand ou candel ³Men zal nemen .IIJ gelten wyns, ende een gelt bastaerts, ende . L. doeyer van eyeren, een pont van zuycker, ende .j. vierdeel caneels ³ (manuscrit brabançon sans titre, 15e siècle, éd. W.L. Braekman, Scripta, 1986, p. 61). ³Prenez III mesures de vin, une mesure de vin doux, et .L. jaunes d¹oeuf, une livre de sucre et 1/4 de cannelle ² . Le chaudeau est, selon Jean-Louis Flandrin, une eau de cuisson de viande, autrement dit, un genre de bouillon clair. La version dite flamande est, en, revanche, une émulsion faite avec des oeufs et du vin qui est décrite par les différentes versions du Viandier , dont le manuscrit de Sion: Les premières formules sucrées sont données par un manuscrit brabançon du 15e siècle qui les appelle aussi bien ³candel ³ qu¹oeufs à la lombarde. Ils posent, en effet, les jalons du sabayon italien; c¹est, en somme, une manière de rendre à César ce qui appartient à César! Ingrédients 25 cl de vin blanc doux 60 gr de sucre en poudre 4 jaunes d¹oeuf une c. à c. de cannelle en poudre Façons Faites bouillir le vin avec 30 gr de sucre et la cannelle. Cependant, battez les jaunes avec le sucre restant. Retirez le vin du feu et versez-le sur les jaunes. Remettez le mélange sur feu très doux en le fouettant constamment afin qu¹il ne coagule pas et se transforme en une crème mousseuse. Mettez au frais. Consommez immédiatement. 3. Pommeaulx dorés Ce sont des boulettes ayant la ³forme de pomme² (Ménagier ). Le Viandier de la Vaticane les range parmi les ³dorures² d¹entremets où elles accompagnent la fameuse ³poulaille farcie² (cf. ci-après). A l¹instar de celle-ci, les ³pommeaulx² sont dorés au moyen d¹oeufs voire de feuilles d¹or. Façons prenez de la chair de porc, ni trop grasse ni trop maigre, hachez-la, ajoutez des jaunes d¹oeuf cru et du safran; salez; formez des boulettes que vous faites bouillir dans de l¹eau; égouttez-les et dorez-les à l¹oeuf; embrochezles en veillant à ce qu¹elles ne se touchent pas; grillez-les. Retirez-les ensuite de la grille et dorez-les à nouveau. Répétez ces opérations jusqu¹à ce que les boulettes soient d¹un beau jaune orangé. Saupoudrez-les de sucre avant de les servir. 4. Poulaille farcie Recette du Ménagier (p. 725). Il faut commencer par dépiauter le poulet, en veillant à ne pas déchirer la peau. La carcasse et les blancs doivent être enlevés, tandis que les pattes, les ailes, le cou et la tête restent intacts (non pelés). Remplir la voialle avec la farce suivante: blanc de poulet récupéré, mouton, veau, porc hachés avec fromage (mozzarella, par exemple), oeufs, gingembre, cannellle, girofle, graine de paradis (cf. infra), sucre, safran, sel. Recoudre. Cuireau four La dorure est assurée au moyen de jaunes d¹oeuf ou de safran, comme ci-dessus . 5. Rissoles de moelle ³Les rissoles pour les jours gras sont de saison à partir de la Saint-Rémi (1er octobre). Il vous faut une cuisse de porc dont vous enlèverez toute la graisse. Mettez le maigre à cuire dans un pot et ajoutez beaucoup de sel. Enlevez-le lorsqu¹il est presque cuit. Préparez des oeufs durs et hachez blancs et jaunes; d¹autre part hachez menu la partie consistante de votre potage. Puis mélangez oeufs et viande et saupoudrez de poudre fine d¹épices. Mettez-le en pâté et faites-le cuire dans sa propre graisse. Nota que c¹est la farce appropriée pour le cochon. Parfois les cuisiniers l¹achètent aux rôtisseurs. Cependant, pour la farce destinée au cochon, il est recommandé de rajouter du bon vieux fromage. Item, à la cour de seigneurs comme Monseigneur de Berry, lorsqu¹on tue un boeuf, on fait des rissoles de moelle² (Ménagier de Paris, éd. BRERETON-FERRIER citée, p. 743). Le Ménagier décrit également des rissoles (aux fruits (châtaignes, figues, dattes, pommes, noix, p. 741). On les retrouve chez vander Noot (roffioelen aux fruits, pommes, noix et ayant la forme d¹une demi-lune, n° 127). Le Ménagier signale par ailleurs des petits pâtés de moelle devant être portés chez le pâtissier pour qu¹il les cuise au four. A défaut, ils sont frits dans de la graisse, à l¹instar donc des rissoles. Le Ménagier ajoute que si on veut faire des beignets à la moelle, il faut procéder de la même manière (p. 739). Les rissoles de moelle sont d¹ailleurs surnommés beignets (dans le Ménagier de Paris ). Ingrédients pâte brisée oeufs durs sel poudre fine: une once de gingembre, un quarteron de cannelle, girofle et graine de paradis (maniguette), chacun un demi quart d¹once, un quarteron de sucre saindoux moelle Façons Préparez la farce: faites d¹une part cuire trois oeufs jusqu¹à ce qu¹ils soient durs; de l¹autre, faites pocher pendant cinq minutes trois os à moelle dans de l¹eau frémissante salée. Laissez les os refroidir dans l¹eau. Egouttez-les ensuite et retirez délicatement la moelle à l¹aide d¹un couteau fin. Hachez-la avec les oeufs, assaisonnez avec une cuillerée de gingembre, cannelle, girofle, graine de paradis, sucre, salez. Etalez la pâte et découpez-y des petits disques au moyen d¹un emporte-pièce ou d¹un verre. Posez au centre de chaque disque une petite noix de farce. Humectez les bords. Repliez en forme de chausson. Soudez en appuyant sur les bords avec une fourchette. Faites frire à la grande friture. Vous pouvez aussi les cuire au four. 6. Pâtes norrois ³Pour faire pâtés norrois, prenez de la menuise (des abats) de brochet ou d¹un autre poisson , et faites la bouillir, puis taillez-la en morceaux comme des dés, et y mettez gingembre et cannelle, et mouillez avec un peu de vin, puis en faites vos pâtés. Et les faites petits et faites les frire dans l¹huile² (Ens. 223). Le Ménagier les fourre au foie de morue (p. 739). D¹après Grewe-Hieatt et Scully, ils viseraient la Norvège dont ils seraient originaires Façons: Faites une pâte brisée avez 250 gr de farine, 125 gr de beurre, 10 cl d¹eau et du sel. Préparez la farce; prenez soit des oeufs ou de la laitance de poisson, soit du foie de morue (qu¹on trouve en conserve dans les grandes surfaces). Hachez cette ³menuise² au mixer et épicez-la généreusement avec du gingembre et de la cannelle. Mouillez avec un peu de vin blanc très sec (du gros plant par exemple). Etalez la pâte et découpez-y des petits cercles au moyen d¹un emporte-pièce ou d¹un verre. Posez au centre de chaque cercle une petite noix de farce. Humectez les bords. Repliez en forme de ravioli. Soudez en appuyant sur les bords avec une fourchette. Faites cuire au four. Servez chaud ou froid. 7. Froide sauge La froide sauge est un plat froid à base de poulet et d¹oeufs durs (sans compter la sauge bien sûr) et pris en gelée; un aspic de volaille en somme. Le Viandier de Sion est, le premier, à en donner la formule: ³ Prenez vostre poulaille, et metez cuire en eaue, puis metez reffroidir; briez fleur de canelle, graine , girofle, percil, sauge, le plus de pain, ung pou de saffren, et passé la verdure; pour estre vert gay, coullez parmy l¹estamine de moiaux (jaunes) d¹eufs cuis, deffaites de bon vin aigre sans boullir; metez dedens vostre poulaille par menbrez et aubins (blancs) d¹eufs cuis durs dessus. Sourps de porcelet fait comme froide sauge, sans mettre nulz eufs, et moins de sauge² (Viandier de Sion, France, vers 1300, éd. R. Lehoucq, Lille, 1991, p. 346). Le Ménagier y ajoute simplement des ³oeufs durs par quartiers ²: ³Prenez vostre poulaille et mettez par quartiers, et la mettez cuire en eaue avec du sel, puis la mettez reffroidier: puis broyez gingembre, fleur de cannelle , graine , giroffle, et broyez bien sans couler (passer); puis broyez du pain trempé en l¹eaue des poucins, percil le plus, sauge et un pou de saffren en la verdure pour estre vertgay, et les coulez par l¹estamine et aucuns y coulent (pour couleur?) des moyeux (jaunes) d¹oeufs durs et deffaites de bon vinaigre: et icelles deffaites, mettez sur vostre poulaille, et avec et pardessus icelle poulaille mettez des oeufs durs par quartiers et getez vostre sausse pardessus tout ² (Ménagier , éd. Pichon, p. 215). INGRÉDIENTS une poule d¹environ 1 kg un bon verre de vinaigre de vin blanc deux oeufs durs un gros bouquet de persil plat frais un gros bouquet de sauge fraîche une c. à s. de chapelure une c. à s. de gingembre en poudre une c. à s. de graines de paradis une c. à s. de fleur de cannelle (ou de cannelle en poudre) une c. à s. de clous de giroffle une c. à c. de safran sel FAçONS Pochez la poule dans de l¹eau salée (pendant une heure environ). Écumez. Egouttez-la quand elle est cuite, désossez-la et coupez-la en morceaux. Dégraissez le court-bouillon. Assaisonnez-le avec les épices, colorez-le au safran, ajoutez le vinaigre et faites-le réduire. Passez-le ensuite par l¹étamine. Mettez-y les morceaux de poule, la chapelure, un jaune d¹oeuf dur haché et in fine les herbes également hachées. Rectifiez l¹assaisonnement. Versez dans une terrine et laissez reposer au frigo pendant deux jours au moins. Démoulez et garnissez avec les blancs hachés voire des rondelles d¹oeufs durs. 8. Sulta Dans les Enseingnemenz, la sulta ou ³souls² se fait de la façon suivante : ³Les IIII piez e les orilles e le groing, en souz, de beaucoup de perresil et d¹espices détrempé de vinaigre². C¹est un fromage de tête. Il en va de même du ³sous² du Ménagier de Paris comportant ³du groing, des oreilles, de la queue, des jarrectz cours (de devant), et des quatre trotignons (pieds) bien cuis et tres bien plumez, puis mis en saulce de percil broyé, vinaigre et espices ² (p. 216) . Voici la recette que j¹en propose en m¹inspirant de celle de la ³froide sauge², car le Viandier de Sion spécifie que le ³sourps de porcelet se fait comme froide sauge, sans metre nulz eufs, et moins de sauge²: Ingrédients une demi tête de porc avec la langue entière deux pieds de porc un bon verre de vinaigre de vin blanc un gros bouquet de persil plat frais un petit bouquet de sauge fraîche une c. à s. de gingembre en poudre une c. à s. de poivre du moulin sel (contrairement à ce que dit l¹auteur de la recette, il en faut assez bien) Façons Faites cuire la tête de porc (avec la langue) et les pieds dans de l¹eau salée pendant au moins deux heures; écumez. Enlevez et désossez-les. Faites réduire le court-bouillon et dégraissez-le. Ajoutez-y du vinaigre, du gingembre et du poivre. Cependant coupez la chair en menus morceaux et remettez-les dans le bouillon. Vérifiez l¹assaisonnement. Il faut que le plat soit acide et suffisamment salé. Ajoutez les herbes hachées. Versez le contenu de la casserole dans une terrine afin qu¹il refroidisse. Laissez prendre en gelée au frigo. Consommez le ³souet² ou fromage de tête après l¹avoir laissé se reposer pendant quelques jours. 9. Soutyé Le Ménagier écrit que ³le mot soutyé est dit de soux, pource qu¹il est fait comme soux de pourcel². Autrement dit, le ³soutyé² est la variante ³marine² de la sulza . Il en donne deux versions. - d¹une part une ³saulce vert d¹épices² pour poisson avec oseille, persil, marjolaine, acidulée au verjus et vinaigre avec en sus gingembre, girofle, graine de paradis et liée à la mie de pain. La recette recette ajoute que cette sauce est un bon ³soucié² si elle ne comporte pas de pain et moins d¹épices; - ³Ung soutyé vergay à garder poisson de mer. Prenez percil, sauge, salemonde, vinaigre et coulez; mais avant aiez broyé coq, ysope, ozeille toute (entière), marjolaine, gingembre, fleur de cannelle, poivre long, giroffle, graine et osté hors du mortier. Et mectez dessus vostre poisson quand tout sera passé, et soit vergay. Et aucuns y mectent salemonde a toute la racine ³ (Le Ménagier de Paris, éd. K. Ueltschi, , p. 750). La salemonde (Geum urbanum L.) est un autre mot pour la benoîte et le coq pour la balsamite (Balsamita suavolens L. à l¹odeur de menthe, que vous pouvez donc éventuellement remplacer par cette dernière). Ne les utilisez qu¹avec parcimonie (sauf si vous mettez de la menthe fraîche); prenez la même précaution avec l¹hysope, si elle est sèche. La graine de paradis (ou maniguette, Amomum melegueta , appelée ainsi car elle provient de l¹ancienne Malaguette ou Maniguette sur la côte Ouest de l¹Afrique) possède une saveur brûlante proche de celle du poivre (originaire d¹Inde). Ses graines sont enfermées dans une capsule, à l¹instar de la cardamome, avec laquelle il ne faut surtout pas la confondre. Quant au poivre long (Piper longum ), il a la forme d¹une petite grappe noire et dure de quelques centimètres de long, au goût également brûlant. Les Français les utilisent à la place du poivre rond (Piper nigrum) qu¹ils ont banni. La fleur de cannelle est, pour sa part, le fruit immature de la cannelle de Chine (Cinamomum cassia ); elle a quasi la même saveur que la cannelle mais l¹aspect du clou de girofle. J¹ai choisi de la raie pochée pour accompagner le ³soutyé vergay² qui évoque (de loin) une spécialité belge connue sous le nom de ³raie à la daube², c¹està-dire, en gelée. Ingrédients 300 gr de raie découpée en morceaux un grand verre de vinaigre de vin blanc (de préférence balsamique) un bouquet de persil frais un bouquet de sauge fraîche un bouquet d¹oseille fraîche une pincée de benoîte sèche une pincée de balsamite sèche (ou un bouquet de menthe fraîche) une c. à c. d¹hysope sèche (ou une c. à s. d¹hysope fraîche) une c. à s. de marjolaine fraîche ou sèche une c. à s. de gingembre en poudre une c. à s. de fleur de cannelle (ou de cannelle en poudre) une c. à s. de poivre long trois clous de girofle une c. à s. de graines de paradis Façons Faites infuser les herbes sèches et les épices dans le vinaigre. Passez-le par l¹étamine. Cependant, faites frire les éperlans ou pocher la raie. Hachez finement les herbes fraîches et mettez-les dans le vinaigre assaisonné. Donnez un bouillon et recouvrez le poisson avec le vinaigre verdi. Laissez refroidir et reposer au frigo pendant deux jours afin que la prise en gelée puisse se faire en toute tranquillité. 10. Brouet vergay d anguilles Le ³soutyé vergay² évoque, par ailleurs, les anguilles au vert qui se font aussi avec un luxuriant bouquet d¹herbes (où domine l¹oseille) et ont une saveur acidulée. Mais, l¹archétype des anguilles au vert se trouve dans le ³brouet vergay d¹anguilles², qui utilise cependant beaucoup moins d¹herbes (en fait, uniquement de persil, sauge + épices) et d¹éléments acides (vin), est lié au pain et au fromage; ce brouet est repris à la fois par le Ménagier et le Viandier . Voici la recette: coupez-les anguilles en tronçons, faites-les pocher dans de l¹eau et du vin; ensuite hachez du persil et du pain grillé avec du gingembre et du safran; passez au chinois et teminez avec du fromage . 11. Blanc-manger ³Cuisiez en yaue; broiez amandez grant foison, du broion du chappon; deffaitez de vostre boillon, passez pamy l¹estamine, faitez boullir tant qu¹il soit liant; pour tailler, versez en une escuelle; fillez demie douzene d¹amandez pellez, et les asséez sur la moitié du bout de vostre escuelle; en l¹autre moitié, des pepins de pomme de grenade et du succre² (éd. du Viandier de Sion, R. LEHOUCQ, Lille, 1991, p. 351). Le blanc-manger médiéval n¹a rien à voir avec les tremblotantes gelées de sinistre réputation, connues sous le même nom Outre-Manche. Il subsiste, par contre, au Portugal, où le manjar branco est une sorte de crème blanche qui, comme au Moyen Age, comporte du blanc de poulet pilé, du sucre, de la farine de riz, du lait . Cela dit, le Viandier (et le Ménagier ) rangent le blanc-manger parmi les mets pour malades. INGRÉDIENTS 2 blancs de chapon ou de poulet 1 cuillerée à soupe de sucre blanc (de préférence de canne) en poudre un peu de sirop de sucre de canne 100 gr d¹amandes en poudre 100 gr de crème de riz quelques amandes effilées 1 grenade FAçONS Pochez les blancs de volaille dans de l¹eau salée; égouttez-les et hachez-les finement; mettez-les dans une casserole avec les amandes en poudre, la crème de riz (que j¹ajoute pour donner un liant supplémentaire) et le sirop de canne (qu¹on retrouve dans la pupart des autres recettes et qui en relève le goût); mouillez avec un peu de jus de cuisson afin que l¹appareil n¹adhère pas au fond. Tournez-y constammnent jusqu¹à ce qu¹il soit suffisamment ferme pour qu¹on puisse y couper des tranches. Mettez-le refroidir dans un moule. Démouler le lendemain sur un plat; garnissez celui-ci d¹une côté d¹amandes effilées, de l¹autre, de graines de grenade et de sucre. 12. Gramose Selon le Ménagier de Paris: Prendre une pièce de boeuf (petit nerf). La cuire dans une croûte de gros sel (mélangé avec farine, eau, ail et romarin). Découper le boeuf . Préparer la sauce suivante: piler ensemble ail, jaunes d¹oeuf, pain, huile d¹olive, poivre, safran, verjus, (peu de sel); monter à l¹huile d¹olive. 13. Faux grenon ³Cuisiez en eaue et en vin des foies et des jugiers (gésiers) de poulaille, ou de char de veel, ou d¹une cuisse de porc ou de mouton, puis la hachiez bien menuement et friolez au saing de lart: puis broyez gingembre, canelle, giroffle, graine (de paradis), vin, vertjus, boullon de beuf ou de celluy mesmes (celui dans lequel ont cuit les viandes citées plus haut), et des moyeux (jaunes d¹oeuf) grant foison, et coulez (versez après avoir filtré) dessus vostre char, et faites bien boulir ensemble. Aucuns y mettent du saffran, car il doit estre sur jaune couleur, et aucuns y mettent pain harlé (grillé), broyé et coulé (passé), car il doit estre liant et d¹oeufs et de pain, et si doit estre aigre de vertjus. Et au drécier, sur chascune escuelle, pouldrez pouldre de canelle² (Le Ménagier de Paris, fin 14e siècle, éd. J. PICHON, Paris, 1846, T II, p. 211). Le faux grenon est une sorte de sabayon aux foies et gésiers de volaille qui, selon les cas, sont laissés entiers ou hachés. C¹est une spécialité française qu¹on retrouve dans tous les livres de cuisine du Bas Moyen Âge. Ingrédients 400 gr de foies et gésiers de poulet 400 gr de porc 1 verre de vin blanc sec 1 bol de bouillon (fait avec des os voire des chutes de poulet et de porc) 100 gr de saindoux (ou mieux de graisse d¹oie) 2 c. à s. de gingembre 2 clous de girofle 2 c. à s. de cannelle 2 c. à s. de graines de paradis 2 c. à s. de verjus 1 c. à c. de safran 1 c. à s. de chapelure (facultative) 6 jaunes d¹oeufs sel Façons Faites confire les foies et les gésiers de volaille, préalablement blanchis, dans de la graisse d¹oie Egouttez-les. Faites rissoler le porc coupé en dés dans du saindoux. Mettez-les viandes dans une casserole, mouillez avec le vin, le bouillon, assaisonnez avec cannelle, gingembre et clous de girofle; colorez au safran; salez bien; épaississez avec de la chapelure et les jaunes d¹oeufs battus. Veillez à ce qu¹ils ne coagulent pas. Relevez avec le verjus et saupoudrez in fine de cannelle 14. Lait lardé C¹est un caillé au lard que le Ménagier range parmi les entremets: prenez du lait frais, ajoutez-y des oeufs battus, des dés de lard, du safran pilé et faites bouillir. Laissez refroidir et cailler. Mettez le lait caillé dans une étamine, afin que le petit-lait puisse se séparer du caillé. Placez celuici sous presse (précision donnée uniquement par le Ménagier et le Viandier ). Quand il est ³dur comme foye de beuf ³( Viandier ), coupez-le en tranches que vous faites rissoler dans de l¹huile d¹olive ou du saindoux (p. 741). 15. Morterel appelé ainsi parce que il est préparé à base de viande pilée dans un mortier. Ce pain de viande avant la lettre figure dans presque tous les livres de cuisine. En voici une recette française: hachez finement de la chair de poulet et de porc; mélangez avec de la mie de pain blanc délayée dans du vin; ajoutez des jaunes d¹oeuf et faites cuire (dans une terrine). Saupoudrez avec de la cannelle avant de servir. 16. Lait de vache lié ³Il faut prendre du meilleur du lait, comme il a été indiqué ci-dessus au chapitre des potages (c¹est-à-dire entier et bien frais); le porter à ébullition puis le sortir du pot. Faites filer dedans à travers une étamine des jaunes d¹oeuf à foison, et ôtez-en le germe. Broyez et ajoutez une cloche de gingembre et du safran; maintenez au chaud près du feu. Faites pocher des oeufs dans de l¹eau, mettez-en deux ou trois par écuelle et versez le lait par-dessus² (Ménagier de Paris, p. 667). C¹est une crème émulsionnée décriite par le Ménagier (p. 175); les oeufs y sont mélangés à du lait (+ gingembre et safran); Comme il doit recouvrir des oeufs pochés, il annonce les oeufs à la neige qui sont nappés d¹une crème anglaise, également à base d¹oeufs et de lait. Il se rapproche de la creme boyled ou plus exactement du luxel et leyt bulida catalan, puisqu¹ il n¹est pas sucré. Ingrédients lait oeufs gingembre safran Façons Pochez les oeufs dans de l¹eau frémissante vinaigrée. Faites la sauce: une crème anglaise sans sucre avec safran et carvi 17. Stockfisch à la tounaisienne Le Ménagier de Paris. (qui a vécu à Tournai) érit que la morue séchée se nomme stockfisch et est mangée à la moutarde ou (et) au beurre (comme aujourd¹hui en Belgique). Moutarde du Ménagier (p. 749): faire tremper des graines de sénevé (moutarde) dans du vinaigre pendant une nuit afin de les ramollir. Ajoutez les épices (cannelle, gingembre, galanga) + sel. Passez au mixer puis au chinois. Laissez reposer pendant quelques jours. 18. Tourte ³Prenez quatre pongnées de bettes, deux poignées de percil, une pongnée de cerfueil, un brain de fanoil et deux pongnées d¹espinoches, et les eslisez et lavez en eaue froide, puis hachiez bien menu: puis broyez de deux paires de frommages, c¹est assavoir du mol et du moïen, et puis mettez des oeufs avec ce, moyeu et aubun, et les broyez parmi le frommage; puis mettez les herbes dedans le mortier et broyez tout ensemble, et aussi mettez-y de la pouldre fine. Ou en lieu de ce aiez premièrement broyé au mortier deux cloches de gingembre, et sur ce broyez vos frommages, oeufs et herbes, et puis gettez du vieil frommage de presse ou autre gratuisé dessus celles herbes, et portez au four, et puis faites faire une tartre et la mangez chaude² (éd. du Ménagier de Paris, J. PICHON, Paris, 1846, T. II, p. 218). Prenez quatre poignées de bettes, deux poignées de persil, une poignée de cerfeuil, un brin de fenouil et deux poignées d¹épinards; triez-les et lavezles dans de l¹eau froide; puis hachez-les finement; broyez ensuite deux sortes de fromages , du mou et du moyennement mou, ajoutez des oeufs entiers, blancs et jaunes, mélangez-les avec avec les fromages; pilez les herbes dans un mortier et broyez le tout; ajoutez de la poudre fine ou deux morceaux de gingembre broyés. Saupoudrez de vieux fromage durci sous presse et râpé, portez au four et faites une tarte; mangez-la chaude. Contrairement au pâté, la tourte n¹est en principe pas cuite au four mais sous la braise et dans une terrine, appelée ³test² ou ³trappe², prédécesseur de la tourtière. La trappe comporte deux parties: un fond et un couvercle sur lequel sont disposées les cendres incandescentes. La croûte de la tourte est comestible; ce qui n¹est, en général, pas le cas de celle du pâté; elle garde aussi de ses origines ( panis torta , pain rond) sa forme circulaire. La tourte du Ménagier est non seulement délicieuse mais d¹une magnifique couleur émeraude grâce aux multiples herbes puisées dans les potagers verdoyants offerts par la nature renaissante du printemps. INGRÉDIENTS 4 poignées de bettes 2 poignées de persil 1 poignée de cerfeuil quelques brins de fenouil (destinez le bulbe à une autre préparation) deux poignées d¹épinards 125 gr de mozzarella fraîche 100 gr de gruyère râpé 4 oeufs entiers une cuillerée à soupe de poudre fine (cf. supra: gingembre, cannelle, girofle, graine de paradis, sucre) ou une petite racine de gingembre pelée et pilée (ou une cuillerée à soupe de gingembre en poudre) sel 40 gr de parmesan râpé une abaisse de pâte brisée (qu¹on peut acheter prête à l¹emploi) FAçONS Laver les herbes, égouttez-les et hachez-les finement avec la mozzarella; ajoutez les oeufs battus, le gruyère râpé, les quatre-épices ou le gingembre pilé (voire en poudre). Salez. Foncez une tourtière avec l¹abaisse de pâté brisée. Versez-y la farce. Parsemez de parmesan râpé et faites cuire à four chaud (180°) pendant 35 minutes. 19. Pipefarces ³Prenez des jaunes d¹oeufs et de la farine et du sel, et un peu de vin, et battez fort ensemble, et du fromage coupé en ³lesches² (bâtonnets), et puis toulliez les lesches de fromage dans la pâte, et puis les frisiez (faites frire) dans une poêle de fer avec du saindoux dedans²(MP 227). Façons: Faites une pâte à crêpes avec 100 gr de farine, 3 oeufs, 1 dl de vin blanc, 1 dl d¹eau et du sel. Mélangez bien et laissez reposer pendant une ou deux heures. Versez un peu de pâte dans une poêle graissée au saindoux. Lorsqu¹elle est dorée, retournez-la. Recommencez l¹opération jusqu¹à épuisement de la pâte. Farcissez ensuite chaque crêpe avec de la mozzarella coupée en bâtonnets. Salez si nécessaire et poivrez. Réchauffez les pipefarces dans un plat allant au four et badigeonné de saindoux. On peut aussi en faire des beignets. 20. Civet de lièvre (ou de lapin) ³Premièrement, fendez le lièvre par la poitrine; et s¹il est de fraîche prise ou bien d¹un ou de deux jours, ne le lavez point, mais mettez-le harler (dorer) sur le gril, c¹est-à-dire, raidir sur un bon feu de charbon ou en la broche; puis ayez des oignons cuits et du saindoux en un pot, et mettez vos oignons avec le saindoux et votre lièvre par morceaux , et les rissolez au feu en hochant (remuant) le pot très souvent, ou le rissolez dans une poêle en fer. Puis harlez et brûlez du pain et trempez-le dans l¹eau (le jus) de la chair avec vinaigre et vin; et ayez au préalable broyé gingembre, graine (de paradis ou maniguette ) , girofle, poivre long , muscade et cannelle, broyez-les et détrempez (mouillez)-les avec du verjus et du vinaigre ou du bouillon de la chair; récueillez et mettez de côté. Puis broyez votre pain , défaites (mouillez) avec du bouillon et coulez (passez) le pain et non les épices par l¹étamine, et mettez cuire ensemble le bouillon, les oignons et le saindoux , les épices et le pain brûlé, et le lièvre aussi; et veillez à ce que le civet soit brun, aguisé (acide) de vinaigre, tempéré en sel et en épices² (MP 169). Façons: Découpez un lièvre (ou lapin) en morceaux; faites-les dorer dans une poêle. Retirez-les. Faites ensuite revenir trois oignons hachés dans une casserole bien graissée avec du saindoux. Ajoutez le lièvre. Mouillez avec 10 cl de vin rouge, 5 cuillerées à soupe de vinaigre balsamique et 3 cuillerées à soupe de verjus. Ajoutez alors deux tranches de pain grillé. Assaisonnez généreusement avec les épices; salez et poivrez. Laissez mijoter pendant deux heures. Passez la sauce au chinois. Elle doit être de couleur brune et suffisamment épaisse de façon à enrober le lièvre. Rectifiez l¹assaisonnement. Ajoutez si nécessaire du vinaigre et du sel. Il faut que le civet soit à la fois acide, salé et épicé. 21. Canard ou ramier à la saupiquet ³Pour faire saupiquet sur connins (lapins) ou sur autre rôt, hallez (grillez) du pain comme pour faire cameline (cf. infra) et le mettez tremper avec du bouillon, faites fondre du lard en une poêle et émincez de l¹oignon bien menu, et faites-le frire; pour quatre plats, prenez deux onces de cannelle, une demi once de gingembre et un quart d¹once de menues épices, prenez du vin rouge et du vinaigre; passez le pain et toutes les épices ensemble, et mettez bouillir en une poêle ou en un pot, et puis mettez dessus le rôt (VT 178). Le Ménagier destine le saupioquet au canard ou tout autre oiseau (p. 755). Façons: Rôtissez le canard. Récuperez les sucs de cuisson dans la lèchefrite. Faites frire des oignons hachés dans de la graisse de canard; mouillez avec du bouillon de boeuf (nature, donc sans bouquet garni et autres ³fioritures²), du verjus, du vinaigre, du vin, les sucs de cuisson du canard. Ajoutez les épices et liez avec de la mie de pain grillée. Passez au chinois. Cameline Les premières traces de cameline ne remontent pas en-deça du 12e siècle. Bien qu¹on la retrouve partout, il ne peut, à mon avis, s¹agir que d¹une spécialité française . La cameline est en effet fondée sur la triple association entre cannelle, gingembre, poivre (qui sera détrôné par la maniguette voire poivre long, ayant la même saveur âcre que le poivre) et à laquelle les Français vouent un véritable culte. La cameline doit son nom à sa couleur ³poil de chameau² due à la cannelle qui y entre à grande foison. Le Ménagier de Paris donne une recette de cameline à la mode de Tournay aigre-douce avec du vin et du sucre (plus cannelle, gingembre, safran, muscade; curieusement sans poivre ou équivalent; un oubli sans doute - p. 230). prenez du pain blanc grillé, mouillez avec du vin rouge et du vinaigre, passé par l¹étamine (ou robot), assaissonnez de cannelle en grande quantité, gingembre, clou de girofle , graine de paradis, macis, poivre long et safran; salez; faites boullir ou non boullir comme vous voudrez; on peut y mettre du sucre. Hypocras L¹hypocras est incontournable dans tous les repas médiévaux où il est servi à la fin des agapes, comme digestif. J¹ai choisi une recette bourguignonne: ³Prenés une onches de cinamonde nommée longue canelle en pippe, avec unes cloche de gingembre et autant de garingal (galanga, Alpina officinarum Hance, surnommé gingembre chinois), bien estampé (écrasé) ensemble, puis prenés ung livre de bon çuquere (sucre); et tout cela bien broyés ensamble et destrempés avec ung lot du milleur vin de Beaune que pourés finir et le laissir tremper unge heure ou deux. Et puis coullés parmy ung chause (chausse) par plusieurs fois tant qu¹il soit bien cler² (ajouts au Ménagier de Paris recueillis dans la maison de Roubaix à la fin du 15e s., éd. J. PICHON, Paris, 1846, II, p. 273). Vinum salviatum (vin de sauge ou saugé ) Le vin de sauge est également omniprésent. La recette que j¹ai retenue vient du Tractatus: ³Prenez 3 livres de sauge et desséchez-la bien, 3 muids de bon vin parfumé, et de la sauge bien desséchée avec 1 sétier de ce vin, bien pulvérisée entre les mains, mélangez et placez dans un vase pour l¹espace d¹une nuit...² (Tractatus de modo preparandi et condiendi omnia cibaria , éd. M. MULON citée p. 382, tr. fr. L.P.). J¹y ai ajouté du miel qui a manifestement été oublié. 1 muid = 9 litres.