J`agis pour l`accès aux soins en prison.

Transcription

J`agis pour l`accès aux soins en prison.
J’agis pour l’accès aux soins en prison.
« Ils vont me faire mourir et je ne veux pas mourir », Adil Taychi, deux jours avant son décès.
Mort des complications liées à ulcère en prison
Il se plaignait de vives douleurs abdominales depuis plusieurs mois. Adil Taychi, détenu en
maison d’arrêt, ne parvenait plus à s’alimenter et avait perdu plus de 20kg… Malgré ses demandes
insistantes, il n’a pas bénéficié à temps des examens et des soins nécessaires. Il est décédé dans sa
cellule, d’un ulcère perforé, en février 2016. L’histoire dramatique d’Adil Taychi met le doigt sur une
problématique maintes fois dénoncée : celle du manque d’accès aux soins médicaux en prison. Un
rapport conjoint des inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des services judiciaires
(IGSJ) est venu le rappeler en février 2016.
Un manque de médecins spécialistes
En prison, les soins sont la plupart du temps réalisés au sein de l’unité sanitaire implantée sur les
lieux. C’est sans compter cependant sur le manque cruel de spécialistes dans les prisons. En cause
notamment, la très grande difficulté à recruter certains professionnels de santé pour travailler au
sein des lieux de privation de liberté. Pour consulter un médecin spécialiste, les personnes détenues
sont donc contraintes de se faire soigner à l’extérieur, ce qui nécessite des extractions médicales
effectuées par des escortes pénitentiaires.
L’accès aux soins réduit à peau de chagrin
Lourdes et coûteuses, les extractions médicales sont difficiles à mettre en place. Dans ces
conditions, les personnes détenues peuvent attendre des mois pour obtenir la consultation
demandée. « Je demande, en vain depuis vingt-sept mois, un rendez-vous avec un ophtalmologue
», signale Manuel, détenu à la prison de Châteaudun, auprès de l’Observatoire international des
prisons (OIP) en juin 2016. L’unité sanitaire ne dément pas. En août 2016 elle confirme avoir « une
liste de 34 personnes en attente de consultations », dont « certains depuis janvier 2014 ». Les
conséquences d’un tel retard de prise en charge médicale sont parfois très graves. De bénins
problèmes de santé, qui auraient pu être traités par une prise en charge rapide, s’accumulent et
s’aggravent, parfois jusqu’à devenir incurables… Voire mortels. Adil Taychi en a fait les frais.
Une proposition : la permission de sortir
Cette situation pourrait pourtant en partie être résolue. L’ACAT se joint à l’IGAS pour préconiser
que les personnes remplissant les conditions légales puissent bénéficier de permissions de sortir
pour se rendre seules à un rendez-vous médical. Ce dispositif répondrait en effet à la fois aux
exigences de réinsertion et de sécurité.
Lettre d'intervention à télécharger
….........................................................................................
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….........................................................................................
M. Jean-Jacques URVOAS,
Garde des Sceaux,
13, place Vendôme
75042 Paris Cedex 01
A …..............................................., le ….../....../......
Monsieur le Garde des Sceaux,
Les personnes détenues disposent des mêmes droits d’accès aux soins que toute autre personne.
Cependant, à ce jour, le manque cruel de médecins spécialistes intervenant en prison - et la lourdeur des
extractions médicales avec escorte - rendent de facto l’accès à des consultations médicales spécialisées
extrêmement difficile.
Les conséquences d’un tel retard de prise en charge médicale sont parfois très graves. De bénins
problèmes de santé, qui auraient pu être traités par une prise en charge rapide, s’accumulent et
s’aggravent, parfois jusqu’à devenir incurables – voire mortels.
Se joignant aux préconisations des inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des services
judiciaires (IGSJ), l’ACAT recommande une utilisation plus large des permissions de sortir, pour que les
personnes détenues puissent se rendre seules à un rendez-vous médical. Ce dispositif répondrait à la
fois aux exigences de réinsertion et de sécurité.
Je vous prie de recevoir, Monsieur, mes salutations respectueuses.
L’ACAT-France est membre de la Fédération internationale de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (FIACAT) ayant statut
consultatif auprès des Nations unies
Les détenus du centre de détention de Châteaudun privés de soins
ophtalmologiques
Au mois de septembre 2016, trente-quatre détenus de
Châteaudun
(Eure-et-Loir)
étaient
en
attente
de
consultations et de soins en ophtalmologie depuis des
mois,
voire
des
années.
En
cause :
l’absence
d’intervention de médecin ophtalmologiste au centre de
détention ou à son hôpital de rattachement, une
pénurie
de
l’impossibilité
soignants
de
permissions de
pallier
dans
cette
le
département
carence
sortir pour raison
et
par
des
médicale.
Une
situation parfaitement connue des autorités, mais qui
semble loin d’être réglée.
« Je demande, en vain depuis vingt-sept mois, un rendez-vous avec un ophtalmologue. Je ne vois
plus assez pour lire et pour écrire », signale à l’OIP au mois de juin 2016 Manuel, détenu au centre de
détention (CD) de Châteaudun. Saisie par l’OIP, l’unité sanitaire confirme le 23 août 2016 avoir « une
liste de trente-quatre personnes en attente de consultations », dont « certains depuis janvier 2014 ».
Parmi ces patients en attente, « quatre diabétiques » pour lesquels un fond d’œil doit être pratiqué
« tous les ans ou tous les deux ans». Manuel « va devoir encore attendre malheureusement », conclut
l’unité sanitaire. En effet, aucune consultation ophtalmologique n’est assurée par l’hôpital de
Châteaudun auquel l’unité sanitaire de la prison est rattachée. A l’hôpital de Chartres, seul un
ophtalmologue intervient, « à mi-temps ». Et hors du département, à Orléans, où « les praticiens ne sont
pas nombreux » les consultations s’obtiennent « au goutte à goutte : deux consultations en 2015 et
quatre consultations depuis début 2016 ». Les besoins ne sont pourtant pas immenses. L’unité sanitaire
estime qu’« un quota d’une consultation par mois aurait déjà permis de diminuer la file d’attente depuis
2014 », et que, pour le fonctionnement courant du service, « deux consultations par mois » seraient
« l’idéal ».
« L’ARS [(Agence régionale de santé)] est prévenue, les préfets sont prévenus, nous sommes
toujours à la recherche d’une solution » explique l’unité sanitaire. Contactée par l’OIP, l’ARS confirme
être au courant d’une situation « à laquelle il est très compliqué de remédier » car le département
« connait une grave pénurie médicale » en généralistes et spécialistes. Certaines pistes sont explorées,
comme la possibilité de faire intervenir une orthoptiste, pouvant réaliser les bilans d’acuité visuelle. Une
solution toujours pas effective en septembre 2016, et qui ne résoudrait en rien la question « des soins
en cas de maladie ophtalmique », précise l’ARS, mais permettrait de régler une bonne partie du
problème, 80% des patients en attente présentant, selon l’unité sanitaire, « des diminutions d’acuité
visuelle simples ». Un « projet de télémédecine dans quelques spécialités dont l’ophtalmologie »,
concernant « certains établissements pénitentiaires du Centre Val-de-Loire » dont Châteaudun, n’a à ce
jour, selon l’unité sanitaire, « toujours pas abouti ».
La solution de la permission de sortir pour raison médicale, si elle ne concerne que les détenus qui
y sont éligibles[1], permettrait à ceux-ci de se rendre à des consultations de ville ou dans des hôpitaux
des départements voisins, désengorgeant ainsi la liste d’attente au sein de la prison. Sollicité fin
septembre 2016 par l’OIP, la vice-présidente chargée de l’application des peines du TGI de Chartres,
dont dépend le CD de Châteaudun, répond ne pas avoir été saisie de demandes de permissions « ayant
pour motif médical la nécessité de bénéficier de soins ou de consultations ophtalmologiques », ni avoir
été saisie par des détenus « faisant état de cette difficulté ». Pourtant, il y a une dizaine d’années, le
service de l’application des peines accordait régulièrement ce type de permissions. L’unité sanitaire
explique avoir cessé de le solliciter, les juges précédents n’étant « malheureusement pas favorables » à
cette mesure. Une rencontre entre unité sanitaire et service de l’application des peines devrait être
prochainement organisée.
Dans un rapport conjoint rendu public en mai dernier, les inspections générales des affaires
sociales (IGAS) et des services judiciaires (IGSJ), dressent un état des lieux accablant de la prise en charge
sanitaire des personnes détenues. Elles pointent notamment une « offre de soins est très disparate et
encore insuffisante » et recommandent une utilisation plus large des permissions de sortie pour raison
médicale d’une journée ainsi que « de modifier la norme pour permettre l’octroi par le juge de
permissions de sortie de plusieurs jours pour suivre des soins ».
[1] Seules les personnes condamnées peuvent bénéficier d’une permission de sortir, sous certaines conditions. Cf. Articles 723-3 et D.142 à 147 du Code
de procédure pénale
(source : http://www.oip.org/index.php/component/k2/item/1256-chateaudun-prives-de-soins-ophtalmologiques)
Le témoignage de la compagne d'Adil Taychi, mort d'un ulcère en prison
Adil Taychi, détenu à la prison de Sequedin, était en proie à de vives douleurs depuis plusieurs mois et ne
parvenait plus à s’alimenter. Il a perdu 23 kg. Malgré des demandes insistantes, il n’a pu bénéficier à temps
de soins ni d’examens approfondis pour déterminer la nature de son mal. Il est décédé dans sa cellule le
vendredi 12 février 2016 d’un ulcère perforé, comme le révèlera l’autopsie.
La conjointe d'Adil Taychi, Anne Guénantin, l’a accompagnée dans son combat. Elle raconte
son dernier parloir.
« Il est 16 h 30, le 10 février 2016, quand j’arrive à la maison d’arrêt de
Sequedin. Comme tous les mercredis, je rends visite à mon compagnon au
parloir. Je suis avec toutes les autres familles en salle d’attente quand l’appel
commence. Celles qui auraient dû être placées après moi sont appelées et on leur
attribue un boxe. Je demande au surveillant si je n’ai pas été oubliée. Il me dit
non, que le chef du parloir veut s’entretenir avec moi, qu’il faut que je reste là.
Alors j’attends. Tandis que les familles sont installées au parloir, je patiente
toujours. Je demande à ce qu’on reporte mon temps de parloir : 45 minutes, c’est
déjà peu, mais si ça continue, il ne va me rester que dix minutes avec Adil ! Le
surveillant reçoit un nouvel appel sur son talkie : on lui demande enfin de me
Adil Taychi, décédé en
prison le 12 février 2016. ©
Baziz Chibane / La Voix du
Nord
placer.
J’entre dans la cabine face à la salle d’attente. Adil arrive, je vois tout de
suite qu’il est faible et énervé. Il me dit : « Ils veulent me rendre fou, ils m’ont dit
que tu n’étais pas là. » Il savait très bien que c’était faux : on s’était eu au téléphone à midi et je lui avais
confirmé ma présence. Il me dit qu’il a insisté pour se rendre au parloir malgré son état de faiblesse. Il a
demandé une chaise roulante, mais on la lui a refusée. Il me rapporte que ce sont finalement des
détenus qui l’ont aidé.
Il s’assoit au sol parce que le froid le soulage, je ne sais pas pourquoi. Il me demande de lui faire
un massage parce qu’il a de très vives douleurs dans le dos et dans le cœur. Je lui fais ce massage quand
toute une équipe de surveillants arrive et lui demande de s’assoir sur sa chaise sous prétexte que ce
n’est pas une tenue correcte dans un parloir. Il se relève péniblement, je l’aide à se rassoir.
Adil commence à sangloter. Je ne l’avais jamais vu comme ça. Il me dit : « Hier soir, j’ai vu la mort mais
j’ai voulu venir à ce parloir parce que j’ai des choses à te dire. » Il me demande pardon pour m’avoir fait
connaitre la prison et pour tout ce que j’ai subi à cause de ça. Il dit qu’il va mourir et me demande de
prévenir sa maman. Il veut qu’elle demande un permis de visite pour qu'il puisse lui dire au revoir.
« Il me dit que l'administration le prend pour un simulateur»
J’essaie de le rassurer comme je peux. Je lui dis qu’avec son avocat, nous allons tout faire pour le
sortir de là, pour qu’il soit soigné. Il me dit qu’il n’y croit pas, que l’administration pénitentiaire le prend
pour un simulateur, que le service médical lui dit que c’est dans sa tête et lui a prescrit des
antidépresseurs! « Ils vont me faire mourir et je ne veux pas mourir. » Il me confie qu’il n’arrive même
plus à se déplacer jusqu’aux toilettes, qu’il est « à bout de force », qu’il « souffre », qu’il a eu des
malaises toute la semaine, qu’on « ne veut pas le soigner », que « personne ne le prend au sérieux ».
Ils annoncent la fin du parloir. Adil se lève. Il n’a même pas le temps d’atteindre la porte qu’il
tombe par terre. Je le mets en position latérale de sécurité. Je continue de lui parler mais il ne répond
pas. J’appelle le surveillant via l’interphone. Il me dit qu’il se charge de prévenir le chef des parloirs. La
main d’Adil devient de plus en plus froide, du sang coule de sa bouche.
La porte de la cabine est ouverte, chaque famille passe devant nous pour regagner la salle
d’attente. Je crie, pleure, tape aux portes… J’appelle à l’aide par tous les moyens. Les familles alertent
les surveillants du fait qu’« un détenu est à terre et que ça ne va pas ». On leur répond : « On sait, on
n’est pas pompier ». Les familles refusent alors de regagner la salle d’attente. Comme je ne vois toujours
personne arriver, j’appelle une seconde fois. On me dit « oui c’est bon, le chef est averti », d’un ton
agacé.
« Un surveillant le titille du pied en lui disant : "lève-toi!" »
Cinq ou six surveillants finissent par arriver. Ce sont les gradés. « Taychi c’est bon maintenant il y
en a marre, tu te lèves », lancent-ils à l’adresse d’Adil, qui ne réagit toujours pas. Aucun surveillant ne
s’abaisse pour s’enquérir de son état, lui parler ou prendre son pouls. L’un d’entre eux le titille du bout
du pied en lui disant « lève-toi, lève-toi ». On me demande de sortir du parloir, mais je refuse. La chef
me dit « si vous ne sortez pas on ne fera rien pour lui ». Je demande à Adil s’il préfère que je reste, il ne
répond pas. Je sors, les familles me suivent et regagnent la salle d’attente. Les surveillants ne ferment
pas tout de suite, je vois qu’ils continuent à le secouer du pied. La porte vitrée se referme. A travers le
verre, je vois qu’on le prend par le col de son pull et qu’on le traîne par terre. C’est la dernière image
que j’ai de lui.
Les familles protestent dans la salle d’attente. On sort à 19h. Je dis au chef des parloirs que je
refuse de laisser mourir Adil. Il me répond : « Taychi va très bien ». Je proteste : il ne peut même pas
marcher ! « Taychi court même, il va très bien », insiste-t-il encore.
Quand je sors de la maison d’arrêt, je parle de mes craintes pour Adil aux familles, certains me
disent de ne pas hésiter à leur demander si j’ai besoin de témoignages, mais j’entends sans entendre. Je
n’identifie pas ceux qui me parlent. Je récupère mon téléphone et laisse un message à l’avocat comme je
l’ai promis à Adil. Je pensais qu’il avait plus de pouvoir que moi pour faire bouger les choses. Il me dit
qu’il va faire le nécessaire et qu’il me rappelle dès le lendemain matin.
J’appelle ensuite les pompiers, qui me réorientent sur le Samu. Je leur fais part de la situation. Ils
me disent que c’est grave mais qu’ils ne peuvent pas intervenir comme ça. Ils me mettent en attente et
appellent la maison d’arrêt. L’établissement pénitentiaire leur aurait répondu qu’il y avait eu un incident
mais que leur intervention n’était pas nécessaire.
Je n’ai pas pu voir Adil le vendredi suivant car mon permis de visite avait été suspendu la veille.
C’est vrai, je me souviens avoir dit « bande de cons » aux surveillants, au moment où Adil était
inconscient à terre. Mais il m’est reproché d’avoir traité le lieutenant de « sale pute ». Je ne m’en
souviens absolument pas. L’effet du stress ? J’ai demandé aux familles, personne ne m’a entendu dire
cela… Peu importe aujourd’hui, puisque je ne reverrai pas Adil, ni ce jour-là ni jamais. Il est décédé le
vendredi 12 février 2016, à 23h, après avoir craché dès le matin beaucoup de sang. Un décès « par
défaillance cardiaque sur complication hémorragique d’un ulcère perforé évolué et abouché au foie »,
selon les termes de l’autopsie. Adil est mort en prison, en France, au XXIe siècle, d’un ulcère dont il
souffrait horriblement depuis des mois et qui n’aura jamais été diagnostiqué ni traité. Malgré ses
demandes incessantes auprès de l’administration pénitentiaire et du service médical. »
Selon le journal La Voix du Nord, une information judiciaire a été ouverte par le tribunal de grande
instance de Lille.
Ses codétenus se mobilisent
« La vie d’un détenu n’a-t-elle pas la même valeur que celle d’un citoyen libre ? » C’est la question
adressée par une trentaine de détenus de la maison d’arrêt de Lille-Sequedin à la directrice de
l’établissement, dans une pétition du 14 février 2016. Dans cette lettre écrite en réaction au décès d’Adil
Taychi, ils dénoncent la « négligence » dont a fait preuve l’équipe administrative en n’ayant pas assuré,
« en temps et en heure, le minimum de soins » dont leur « camarade » avait besoin. Soulignant avoir
« signalé à plusieurs reprises l’urgence indéniable de sa situation », ils demandent à la direction une
réponse propre à « atténuer [leur] colère et [leurs] angoisses », afin que « cela ne se reproduise jamais ».
Recueilli par Anne Chereul – 20 avril 2016
Cet article est issu de la revue trimestrielle Dedans-Dehors, éditée par la section française de l'Observatoire
international des prisons. Pour le citer : Observatoire international des prisons - section française, "Le dernier
parloir d'Adil Taychi, décédé d'un ulcère en prison", Dedans-Dehors, n°91, avril 2016, pp14-15.