Discours de M. Marshall - 41.5 kOctets - PDF

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Discours de M. Marshall - 41.5 kOctets - PDF
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTREE
DU 5 JANVIER 2011
DISCOURS DE DIDIER MARSHALL, PREMIER PRESIDENT
Mesdames, Messieurs.
Je tiens tout d’abord à vous remercier de votre présence à cette audience solennelle.
Elle traduit votre attachement à l’institution judiciaire.
Au nom des magistrats et des fonctionnaires de la cour, j’adresse à chacun de vous mes
meilleurs vœux pour cette nouvelle année.
Ces vœux je les destine également aux justiciables et à ceux qui, au sein de ce ressort, sont au
service de la justice.
Je pense notamment aux justiciables que les difficultés économiques vont conduire vers les
juridictions, que ce soit les conseils de prud’hommes, les tribunaux de commerce, les juges
des loyers, les juges du surendettement, voire les juges aux affaires familiales ou les juges
pénaux.
Il est important que dans l’organisation de nos juridictions une attention particulière leur soit
réservée pour éviter que des lenteurs ou des difficultés judiciaires ne viennent se surajouter
aux problèmes économiques.
Mes pensées vont également vers ceux qui par leur profession, ou par leur engagement social,
syndical ou associatif sont des partenaires permanents ou occasionnels de notre institution.
Chacun à notre place nous participons à l’acte de justice et, que nous le voulions ou non, nous
en sommes des symboles.
Comme nous le demande le législateur, nous devons apporter au justiciable une réponse de
qualité dans un délai raisonnable.
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Cette qualité passe par la disponibilité, l’écoute et le respect du justiciable, la rigueur et le
professionnalisme de notre réponse, et notre capacité à toujours considérer chaque situation
avec un regard neuf et impartial.
Je souhaite que cet objectif imparti à cette mission si particulière qui est celle de rendre la
justice, nous anime durant cette année nouvelle.
Mais je ne voudrais pas débuter cette audience solennelle sans avoir une pensée particulière
pour Paul NOUGARET, qui a exercé les fonctions de premier président de cette cour de 1972
à 1977, et qui est décédé cette semaine.
J’adresse à sa femme et à sa famille, au nom de la cour, l’expression de mes très vives et très
sincères condoléances.
Mesdames, Messieurs
Le code de l’organisation judiciaire dispose qu’une audience solennelle est tenue chaque
année pendant la première quinzaine du mois de janvier et qu’il y est fait un exposé de
l’activité de la juridiction durant l’année écoulée.
L’audience de rentrée : une volonté de transparence, un objectif de démocratie
Ces dispositions qui s’inscrivent dans le respect d’un usage ancien et constant, correspondent
d’abord pour l’institution judiciaire à un souci de transparence.
Comme tous les services publics, il est important que les juridictions rendent publiquement
compte de leur activité à l’ensemble de leurs partenaires que sont les représentants de l’Etat,
les élus, et les acteurs du monde judiciaire.
Mais cette démarche de transparence répond aussi à un objectif de démocratie.
En effet la place particulière de l’institution judiciaire et l’indépendance dont bénéficient les
juges justifient davantage encore qu’ils rendent compte des conditions dans lesquelles ils ont
répondu à leurs missions.
C’est donc dans cette double perspective que se situe l’audience solennelle de ce matin.
Rendre compte de l’activité d’un service public comme celui de la justice, c’est bien
évidemment présenter un bilan d’activité en le replaçant dans son contexte, et c’est aussi faire
part des perspectives qui s’ouvrent pour l’année qui débute.
Avec l’entrée en application des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances,
la justice est entrée dans une logique de performance.
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La performance d’un service s’apprécie en mettant en perspective l’activité mise en œuvre, au
regard des moyens dont il a disposé, mais aussi au regard du niveau de la qualité de la
prestation qui a été assurée.
Lors de votre arrivée dans cette salle d’audience, vous avez reçu une plaquette synthétisant
l’activité de la cour d’appel et des principales juridictions du ressort.
Je limiterai mes commentaires à la cour d’appel, en distinguant les affaires nouvelles et les
affaires traitées.
Une activité marquée par une forte augmentation des saisines en matière sociale
Sur le premier point quatre traits caractérisent les affaires nouvelles de l’année qui s’achève :
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en matière civile une augmentation des affaires portées devant les chambres civiles,
familiales et commerciales,
une augmentation sensible des saisines relatives aux procédures de référé et au
contentieux des étrangers en situation irrégulière
une forte hausse des affaires nouvelles portées devant les chambres sociales. Cette
dernière augmentation s’explique largement par la situation économique,
en matière pénale, une situation stable des affaires portées devant la chambre de
l’instruction et un tassement des affaires correctionnelles
Durant cette année, et dans un contexte de difficulté sur lequel je reviendrai, la cour a
poursuivi son effort pour assurer un traitement rapide des procédures dont elle a été saisie.
Les affaires évacuées ont été, en matière civile, sensiblement équivalentes à celles qui avaient
été traitées l’an dernier.
L’activité de la chambre des appels correctionnels a baissé en raison d’une part de la
diminution des affaires nouvelles et d’autre part de la suppression de certaines audiences à
compter du mois de septembre dernier.
Un effectif de magistrats du siège en forte baisse qui va conduire à la suppression de
nombreuses audiences civiles et pénales à la cour d’appel
La performance ne peut s’apprécier qu’au regard des moyens dont le service a disposé.
A cet égard l’année qui vient de se terminer a été marquée pour la cour d’appel par une sévère
réduction de ses effectifs de magistrats du siège qui, en une année, sont passés de 51 à 41. La
cour avait par le passé bénéficié d’un renforcement passager de ses effectifs. Il a été mis fin à
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cette aide temporaire qui ne semble plus de mise dans le contexte actuel, et plusieurs autres
départs de magistrats sont survenus durant ces derniers mois. A ces départs non remplacés
s’ajoutent des vacances de postes de fonctionnaires qui n’ont pas été pourvus lors des
mouvements de fin d’année.
Le début de cette année va donc être très difficile et d’ores et déjà de nombreuses audiences
civiles et pénales ont été supprimées.
Les choix auxquels j’ai dû procéder sur ce point s’inscrivent dans le double objectif de
préserver la qualité des décisions rendues et de tenir compte de l’urgence qui s’attache à
certains contentieux.
C’est la raison pour laquelle je n’ai pas voulu augmenter le nombre des audiences tenues à
juge unique en matière civile, familiale et sociale. Les justiciables de ces contentieux qui ont
souvent comparu devant un seul magistrat en première instance ont le droit de voir examiner
leur affaire par trois magistrats lorsque le litige le justifie.
Le second critère m’a conduit, sauf exception, à privilégier en matière civile les procédures
urgentes et les procédures familiales et sociales. En matière pénale ce sont les procédures
appelées devant la chambre de l’instruction et devant la chambre de l’application des peines
qui ont été considérées comme prioritaires.
Dans ces conditions, ce sont quatorze audiences civiles et cinq audiences correctionnelles
mensuelles qui ont été supprimées, soit environ 15% de l’activité de la cour. Il en résultera un
allongement des délais de traitement des procédures qui, jusqu’à ces derniers mois, étaient
très favorables et plaçaient la cour d’appel de Montpellier dans le groupe des juridictions les
plus diligentes.
Je mesure bien le sentiment de découragement qu’éprouvent les magistrats et les
fonctionnaires de la cour qui depuis plusieurs années avaient œuvré sans relâche pour réduire
les délais procéduraux.
Avec le procureur général et le directeur du service administratif régional, nous avons
entrepris des démarches pour qu’il soit remédié à cette situation dans le cadre des prochains
mouvements de magistrats et de fonctionnaires qui n’interviendront maintenant d’une manière
significative qu’en septembre prochain.
Nous espérons être entendus mais il convient de souligner que, pour l’ensemble du territoire,
l’effectif des magistrats des cours et des tribunaux diminuera en 2011 d’une centaine de
postes.
Une forte réduction du nombre des assistants de justice
Je me dois également de souligner la réduction assez drastique de notre effectif d’assistants de
justice. Ces étudiants de troisième cycle recrutés à titre temporaire constituent un appui de
grande qualité par l’aide qu’ils apportent aux magistrats en préparant de notes de synthèse ou
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des projets de rapports pour la tenue des audiences. Leur nombre, pour l’ensemble du ressort,
est passé en une année de 45 à 18. C’est là un élément que je déplore car je pense que le
magistrat doit de plus en plus travailler en équipe, et les assistants de justice permettent sur ce
point d’avancer très positivement.
Les moyens ce sont aussi des bâtiments et sur ce point l’année écoulée a été porteuse de
résultats et d’engagements prometteurs.
La mise en service de la cité de la Méditerranée pour le tribunal d’instance, le conseil de
prud’hommes et le tribunal de commerce de Montpellier
Les sites judiciaires montpelliérains étaient marqués par une insuffisance d’espace et par
certains bâtiments devenus nettement inadaptés.
Si le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance bénéficient d’un palais de justice
moderne et fonctionnel mis en service il y a une quinzaine d’années, l’augmentation rapide
des contentieux a rendu ce bâtiment insuffisant.
La cour d’appel et le tribunal de commerce restés dans le palais de justice bicentenaire
n’offrent pas des conditions de travail satisfaisantes tant pour les fonctionnaires que pour les
magistrats qui ne disposent pas de bureaux individuels.
Enfin le conseil de prud’hommes installé dans l’ancienne mairie de Montpellier, sur la
superbe place de la Canourgue, était installé dans des conditions matérielles devenues très
difficiles.
C’est pour remédier à l’ensemble de ces difficultés que la décision a été prise par le ministère
de la justice d’acquérir et de réaménager en totalité un grand bâtiments, la cité de la
Méditerranée, pour y recevoir le tribunal d’instance, le conseil de prud’hommes et le tribunal
de commerce.
Les travaux sont terminés et les trois juridictions sont entrées dans leurs nouveaux locaux ces
jours-ci.
Le tribunal de grande instance va pouvoir bénéficier des espaces dont il a besoin. Ce palais de
justice recevra également le pôle CHORUS, composé d’une vingtaine de fonctionnaires du
service administratif régional, qui seront spécialement chargés de la gestion budgétaire et
comptables des juridictions des ressorts de Montpellier et de Nîmes.
L’ancien palais de justice, où nous vous recevons aujourd’hui, va faire l’objet, probablement
en 2012, de travaux de restructuration permettant un fonctionnement satisfaisant des services.
Ces travaux porteront notamment sur le réaménagement de nombreux bureaux, l’organisation
de l’attente gardée et la rénovation de deux des grandes salles d’audience.
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Enfin le bâtiment de la place de la Canourgue va très prochainement être rendu à son
propriétaire, la ville de Montpellier.
Des nouveaux palais de justice pour les juridictions de Béziers et de Perpignan
Mais les projets immobiliers en cours ne concernent pas seulement la ville de Montpellier.
La chancellerie a décidé de remédier à deux situations immobilières difficiles, voire
dégradées, qui sont celles des juridictions de Béziers et de Perpignan. Pour ces deux sites la
décision a été prise de regrouper les juridictions de chacune de ces villes dans un nouveau
palais de justice.
Pour Béziers un terrain situé dans la zone de l’Hours, à proximité de la gare, a fait l’objet
d’une proposition de la ville qui a été acceptée par le ministère de la Justice. Un concours
d’architecture a été organisé au mois de décembre dernier et quatre équipes d’architectes
doivent remettre dans quelques semaines un projet dont l’un sera retenu.
Le nouveau bâtiment recevant le tribunal de grande instance, le tribunal d’instance, le conseil
de prud’hommes et le tribunal de commerce devrait être livré au début de l’année 2015.
Pour Perpignan un projet de même nature est en cours pour l’édification d’un palais de justice
à proximité de la nouvelle gare. Ce projet devrait faire l’objet d’un partenariat public privé
consistant à confier à un groupement privé la construction de ce bâtiment puis son
exploitation durant une trentaine d’années. La livraison de ce nouveau palais de justice
regroupant l’ensemble des juridictions perpignanaises, interviendrait en 2014 c’est-à-dire
avant celle de Béziers, le choix du partenariat public privé devant permettre un aboutissement
plus rapide.
Une maison de justice et du doit ouverte à Lodève en décembre 2010
Dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, plusieurs juridictions ont été fermées. Il en a
été ainsi du tribunal d’instance de Lodève.
Répondant à une forte demande des élus et de l’ensemble des partenaires judiciaires qui
estimaient que le bassin de Lodève justifiait une présence judiciaire, la chancellerie a accepté
d’y implanter une maison de justice et du droit.
Les maisons de justice et du droit sont des structures destinées à favoriser l’accès au droit
dans le cadre d’un partenariat organisé par les juridictions, les collectivités locales et les
partenaires judiciaires.
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Celle de Lodève aura la particularité de bénéficier comme toutes les structures d’accès au
droit, de la présence d’un service d’accueil assuré par un ou plusieurs agents spécialement
formés, mais également d’une borne inter active permettant au justiciable d’entrer en
communication avec les juridiction montpelliéraines et de leur adresser et de recevoir d’elles
par un système de scanner l’ensemble des imprimés nécessaires à sa démarche.
Cependant deux importants défis nous attendent avec la mise en place du progiciel de gestion
comptable et budgétaire CHORUS, et les réformes touchant à la procédure civile devant les
cours d’appel.
Un nouveau logiciel comptable et budgétaire : CHORUS
L’Etat s’est doté d’un outil informatique destiné à gérer la comptabilité et le budget de
l’ensemble de ses services. Ce progiciel dénommé CHORUS a déjà été implanté dans
plusieurs administrations, comme les préfectures, et, au sein du ministère de la justice, dans
les services de l’administration pénitentiaire et dans les services de la protection judiciaire de
la jeunesse.
Les juridictions vont en être à leur tour équipées.
L’outil CHORUS nécessite de part sa conception une structure technique minimale, ce qui a
conduit la chancellerie à mettre en place des services regroupant deux par deux une vingtaine
de cours d’appel. C’est ainsi qu’une plate-forme composée d’une vingtaine d’agents gérera à
Montpellier la comptabilité et le budget des juridictions des ressorts de Nîmes et de
Montpellier. Cette plate-forme sera implantée dans les locaux du tribunal de grande instance
où une partie de l’espace a été libéré à la suite du départ des services du tribunal d’instance.
Mais ce progiciel CHORUS ne sera pas pour les juridictions qu’un nouvel outil informatique
dont il faut apprendre à maîtriser les arcanes présentées comme peu intuitives et nécessitant
un sérieux apprentissage. Ce progiciel impliquera de reconsidérer en profondeur les relations
comptables et budgétaires entre le service administratif régional et les juridictions. C’est donc
un nouveau circuit de la dépense que nous allons devoir mettre en place, avec sans doute une
rigueur accrue dans les saisies et l’ensemble de la procédure.
Si nous nous engagerons avec volontarisme dans ce nouveau chantier, je ne peux toutefois
m’empêcher de souligner l’importance que revêtent désormais au sein de l’appareil judiciaire,
comme sans doute au sein des autres services de l’état, les questions relatives à la maîtrise des
moyens informatiques. En découvrant CHORUS, nous avons parfois le sentiment d’être assez
éloignés de nos missions judiciaires originaires. Suis-je toujours dans ma mission de juge
lorsque je m’interroge sur les flux de la dépense, sur la maîtrise des crédits de paiement ou sur
celle des autorisations d’engagements ?
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D’importantes réformes de procédure civile associées à la dématérialisation des
procédures et à la fin annoncée des avoués à la cour
L’autre chantier qui nous attend est celui de la réforme de la procédure civile devant la cour
d’appel. Cette réforme est une sorte de fusée à trois étages, chacun étant étroitement
dépendant des deux autres.
Devant la cour d’appel deux schémas procéduraux s’appliquent selon qu’il s’agit de
procédures dans lesquelles le ministère d’avocat est obligatoire, ce qui est le cas pour la
majorité des affaires civiles, familiales ou commerciales, ou selon que ce ministère n’est pas
obligatoire, ce qui est le cas devant la chambre sociale pour les procédures relatives aux
litiges prud’homaux.
Ces deux procédures viennent d’être réformées en 2009 et 2010 avec l’objectif d’accélérer les
premières procédures grâce à des délais plus stricts, et de formaliser les secondes dans
lesquelles les avocats interviennent très fréquemment même si cette représentation n’est pas
obligatoire. Ces réformes sont désormais applicables.
Simultanément, et il s’agit du second étage, il a été prévu qu’à compter du 1er janvier 2011,
cette date ayant finalement été repoussée d’un trimestre, certains actes importants de la
procédure d’appel se feront désormais sous une forme électronique, donc dématérialisée, avec
tout ce que cela implique de mise en place de nouveaux outils et de nouvelles procédures pour
les partenaires concernés que sont les cours d’appel et les études d’avoués.
Enfin, et ce sera le troisième étage de cette fusée, le projet de fusion entre les professions
d’avoué et d’avocat, qui devait entrer en vigueur au 1er janvier 2011, a été repoussé d’une
année au 1er janvier 2012. Les nouvelles procédures seront donc portées par des acteurs dont
la perspective d’avenir est de quelques mois et qui devront cependant acquérir très rapidement
la maîtrise de nouveaux outils informatiques. Les magistrats de la cour d’appel, qui travaillent
actuellement avec une dizaine d’études d’avoués, auront dans un an plus de mille partenaires,
que sont les avocats de l’ensemble du ressort de la cour.
Ces mutations visant des procédures qui n’avaient qu’assez peu évolué ces dernières années,
contrairement à la procédure pénale, constituent de fortes secousses qu’il nous faut absorber
avec sérénité et détermination.
C’est la raison pour laquelle nous avons entrepris depuis plusieurs mois un travail
d’appropriation collective réunissant magistrats, fonctionnaires de justice, avoués et avocats
dans la perspective de définir, dans le cadre d’une convention, les bonnes pratiques qui
constitueront autant d’amortisseurs à ce choc réformateur.
Il est bien évident qu’il s’agit-là d’une démarche menée par des partenaires qui, de fait, seront
solidairement responsables de la réussite du projet. Ce ne sont ni les magistrats, ni les
fonctionnaires qui seuls pourront assurer le succès de cette mutation procédurale et
technologique.
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Comme très souvent en matière judiciaire, la qualité de la décision et de son efficacité sera
fonction de la qualité du travail et de l’engagement de nos partenaires, que sont en première
ligne pour la cour les avoués et les avocats.
Monsieur le président de la chambre des avoués, Mesdames et Messieurs les bâtonniers des
juridictions du ressort, soyez assurés que les magistrats et les fonctionnaires de la cour vont
poursuivre avec beaucoup de volontarisme les démarches déjà entreprises. Mais ils comptent
fortement sur votre appui, sur votre engagement et sur votre dynamisme pour aboutir à un
succès collectif dans cette entreprise complexe et urgente. Toute défaillance des uns ou des
autres rejaillira immédiatement sur la qualité de la prestation judiciaire.
J’ai la conviction qu’au-delà des motivations et des devenirs de chacun des acteurs, nous
partageons la volonté d’avancer avec l’objectif de maîtriser rapidement ce nouveau cadre
procédural et technologique dans l’intérêt des justiciables dont nous défendons, chacun à
notre place, les intérêts.
J’évoquai dans mes premiers propos la nécessité de présenter notre activité dans son contexte.
Quel est-il au début de cette année 2011 marquée par d’importantes réformes menées avec des
moyens contraints ?
Le juge doit aujourd’hui sans doute encore plus qu’autrefois intégrer dans l’exercice de ses
fonctions trois données fondamentales :
- il est d’abord au service de la loi dans toutes ses composantes même si elles évoluent
sans doute trop rapidement et trop fréquemment
- il bénéficie pour cette mission d’un statut protecteur qui garantit son impartialité
- il doit dans l’interprétation et l’adaptation de la loi aux litiges qui lui sont soumis
rester à l’écoute du justiciable.
Ce point est essentiel car c’est sans doute là le coeur de la problématique judiciaire actuelle.
Il y a une vingtaine d’années le justiciable attendait du juge indépendance, compétence et
célérité.
Cette attente a progressivement évolué. Nos concitoyens recherchent également une prestation
de qualité et une réponse judiciaire moins aléatoire.
Le magistrat doit répondre à l’attente du justiciable qui redoute les aléas judiciaires
Le justiciable attend d’abord de la justice ce qu’il demande à tous les services publics : des
décisions de qualité rendues dans des délais raisonnables, la qualité incluant des coûts
annoncés et respectés. Mais il redoute aussi les aléas procéduraux comme il craint les
accidents de la vie. Il voudrait pouvoir les éviter. C’est sans doute ce qui justifie l’attrait qu’il
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éprouve pour les modes alternatifs de résolution des conflits en matière civile, sociale ou
familiale, et pour les procédures pénales alternatives à la poursuite à l’audience, comme
l’ordonnance pénale ou le comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Le
justiciable apprécie d’être associé à un processus qu’il maîtrise en partie et qui est donc moins
aléatoire.
Le juge doit entendre cette attente qui concerne l’ensemble de ses activités. Il doit inscrire son
action dans des politiques judiciaires qui doivent être lisibles pour tous.
Une des missions de la cour : mieux faire connaître les politiques judiciaires à tous ses
partenaires
Telle est d’ailleurs la volonté du législateur qui a très récemment renforcé la coordination des
magistrats de première instance chargés des fonctions de juge des enfants, de juge des tutelles
ou des magistrats qui mettent en œuvre des mesures de médiation. Ces activités
juridictionnelles très dépendantes de l’action des partenaires institutionnels du juge doivent,
pour être comprises s’intégrer dans des pratiques connues de l’ensemble des partenaires et des
justiciables.
Au sein de la cour cette démarche est déjà celle du président de la chambre de l’instruction, de
la présidente de la chambre de l’application des peines ou de la conseillère déléguée à la
protection de l’enfance, qui, chacun dans leur domaine de compétence réunissent
régulièrement les juges d’instruction, les juges de l’application des peines et les juges des
enfants.
Mais cette lisibilité doit également porter sur l’activité juridictionnelle elle-même et il est
important pour une cour d’appel, chargée notamment d’unifier la jurisprudence, que cette
jurisprudence soit connue de nos partenaires institutionnels.
C’est dans cette perspective que l’ensemble des décisions rendues par la cour chaque année
est communiqué à des universitaires qui en font une analyse précise qui est ensuite publiée.
Ce travail important et de qualité devra être sans doute approfondi pour en améliorer encore
l’efficacité.
J’ai la conviction que c’est dans un renforcement du travail partenarial mené avec les avocats,
les experts judiciaires, les huissiers de justice, les conciliateurs de justice, les universitaires,
les représentants du monde associatif, et les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ou
ceux de la protection judiciaire de la jeunesse, et cette liste n’est pas limitative, que
l’institution judiciaire pourra surmonter les défis qui sont les siens et mieux répondre à ses
missions.
Un bouleversement de l’ordre juridique issu des décisions de la CEDH et des QPC
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Enfin je ne voudrais pas terminer mon propos sans évoquer les incertitudes juridiques,
judiciaires et institutionnelles dans lesquelles nous plongent les très récentes décisions de la
Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour de cassation et du Conseil
Constitutionnel.
Je ne souhaite pas reprendre les explications très complètes et très claires que vous venez de
nous présenter, Monsieur le procureur général.
Je limiterai mon propos à un double constat et à une interrogation.
L’ensemble de ces décisions, avec leur complexité et leur apparent désordre, constitue une
avancée considérable, inattendue et dérangeante de la norme européenne dans notre ordre
juridique interne, et il aboutit pour les justiciables à un renforcement évident d’un certain
nombre de leurs droits essentiels.
Quel statut pour le parquet dans l’ordre procédural français ?
Je m’interroge ensuite sur le futur ordonnancement de notre procédure pénale et sur la place
que le parquet doit y tenir. La procédure pénale d’un état démocratique est un savant équilibre
qui intègre des éléments juridiques, des éléments historiques, des éléments sociologiques, des
éléments politiques et des éléments culturels. L’état du droit pénal positif français n’échappe
pas à cette règle, et il serait sans doute dommageable pour notre équilibre pénal interne de
faire table rase d’une partie importante de ce corpus juridique au nom d’une norme
européenne dont le fondement est assez différent du nôtre. On ne bascule pas impunément
dans une procédure accusatoire assez étrangère à notre culture juridique. Une meilleure
garantie statutaire du parquet ne remettant pas en cause son principe hiérarchique, permettrait
sans doute de trouver une solution positive offrant pour les justiciables de réelles garanties.
Les partenaires judiciaires et d’une manière plus générale nos concitoyens, ont donc beaucoup
à attendre de cette nouvelle année.
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