Cécile Cornet - les biocarburants en débat

Transcription

Cécile Cornet - les biocarburants en débat
Question de
Question de
Février 2005
Cécile Cornet
Quelques lignes d'intro
Je roule, tu roules, il roule, nous polluons.
Pourtant, depuis mai 2003, une directive
européenne favorise l’utilisation de
biocarburants à la pompe, permettant ainsi
de réduire les émissions de gaz à effet de
serre. En Belgique, « les convoyeurs
attendent »… Et même si les politiciens
belges ont annoncé la détaxation des
biocarburants à grand renfort de médias, il
n’en est rien ! Et les discours (même
écologistes) sont
sont loin d’être unanimes.
L'auteur
Cécile Cornet est animatrice
aux Equipes Populaires de
Liège – Huy - Waremme.
Edité par les Equipes Populaires
Rue de Gembloux, 48 à 5002 St Servais
081/73.40.86 -- [email protected]
Texte disponible sur le site www.e-p.be
Les biocarburants en débat
Pourquoi parler de biocarburants ? L’Union Européenne désire favoriser le développement de
biocarburants en Europe. Un objectif de 2 % de biocarburants à la pompe est fixé pour 2005,
pour atteindre 5,75 % en 2010 ce qui permettrait de réaliser environ 10% de l’effort de réduction
de gaz à effet de serre prévu dans le protocole de Kyoto. A long terme, il s’agirait de
promouvoir en priorité dans toute l’Europe les biocarburants ayant un taux d’efficacité élevé,
c’est-à-dire ceux dont la production génère le moins possible de gaz à effet de serre et réduit au
minimum d’autres dommages environnementaux. Nous y reviendrons, il faut bien sûr prendre
en considération tous les éléments polluants : l’utilisation des sols, le degré d’exploitation
intensive, le recours aux pesticides, la protection des cours d’eau, l’efficacité énergétique, les
émissions potentielles de gaz à effet de serre, les caractéristiques de combustion.
1. Définition
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un biocarburant ? Il s’agit d’un carburant produit à partir de
matière végétale, donc qui n’est pas pétrolier, et qui est renouvelable. Il en existe deux
sortes : ceux issus de la filière oléagineuse ( l’huile végétale et le biodiesel) et ceux issus de
la filière sucre ( l’éthanol et le ETBE).
L’huile végétale (extraite de graines oléagineuses, le colza, dans notre région) est purifiée et
peut être utilisée directement comme carburant soit en mélange avec le gazole, soit pure
dans des moteurs diesel légèrement transformés (des entreprises allemandes surtout
proposent des modifications de véhicules). L’huile végétale pure pressée à froid ne subit
aucune modification chimique et peut donc être produite de façon écologique et locale, les
sous produits contiennent par ailleurs des protéines et peuvent donc être utilisés dans
l’alimentation animale (ce dont l’UE manque cruellement). De plus l’huile végétale présente
le meilleur bilan environnemental.
Le biodiesel : Huile végétale ayant subit un processus chimique pour former du biodiesel,
celui-ci peut être utilisé en n’importe quelle proportion dans les moteurs diesel, moyennant
la compatibilité des joints et conduits.
L’éthanol : Des matières premières sucrées (provenant de la betterave, du froment…) sont
fermentées pour obtenir de l’éthanol. L’éthanol est utilisé soit en faible proportion dans
l’essence (5 à 20 %) soit en forte proportion (85%) ou pur (100%) dans des moteurs
adaptés.
ETBE : L’éthanol peut également subir une transformation en ETBE qui est ajouté à hauteur
de 15% à l’essence pour augmenter l’indice d’octane.
2. Avantages d’un biocarburant1
Les avantages d’un tel carburant sont multiples. Tout d’abord, il y a un avantage
environnemental : les gaz émis sont moins toxiques pour l’homme, et provoquent
beaucoup moins d’effet de serre. Ainsi, si il est évident que la combustion de biocarburant
provoquera des émissions de CO², celui-ci sera en grande partie contrebalancée par la
consommation que la plante aura fait de CO² durant sa vie. De plus, même s’il y a
émission, celle-ci sera inférieure pour le biocarburant que pour l’équivalent fossile (le
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Principalement basé sur les informations diffusées par ValBiom, le facilitateur de la Région Wallonne
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diesel), puisque celui-ci produit des gaz à effet de serre non seulement au moment de sa
combustion, mais aussi au moment de sa transformation. Le bilan énergétique est meilleur,
c’est-à-dire que pour produire ces biocarburants, il faut utiliser de l’énergie, mais en quantité
nettement inférieure à celle nécessaire pour produire les carburants traditionnels.
Ensuite, il y a un avantage économique pour notre région : les agriculteurs locaux peuvent
produire du colza (les primes à la « culture énergétique » sont effectives) qui pourrait être
transformé par notre industrie. Cela devrait progressivement créer 3000 emplois jusqu’en
2010 si la Wallonie atteint les objectifs européens, ainsi qu’une diversification des
débouchés pour l’agriculture locale. Ainsi, la récolte 2005 a été massivement envoyée vers
l’Allemagne (près de 90%), qui est largement en avance sur notre pays au niveau de
l’utilisation des biocarburants. De plus pour le consommateur, le coût pourrait s’avérer
moins important, surtout si l’on devait intégrer dans le prix de l’énergie fossile les coûts
indirect qu’il génère (sur la santé, sur la dépollution, etc.)
Enfin, nous pourrions aussi réduire notre dépendance énergétique envers le pétrole qui
reste, rappelons-le, une énergie très polluante à tous les niveaux (de la production à
l’utilisation) et dont le prix fluctue en fonction des problèmes géopolitiques mondiaux. Il faut
pour cela être conscient que la production de biocarburant doit dès lors s’effectuer
massivement dans le pays consommateur, et même de promouvoir le circuit court, qui
minimise les coûts environnementaux.
3. Et au niveau politique ?
En Belgique, la situation a de quoi faire rire. En effet, des études montrent que le
biocarburant n’est compétitif que si il est détaxé, ou au contraire si les énergies fossiles
englobaient dans leur prix les dégâts qu’elles engendrent (pollution, marées noires,
problème de santé,…). Nous avons tous entendu certains politiciens belges annoncer la
détaxation des biocarburants. Fabuleux ! Et bien non. Cette détaxation n’est pas encore
effective, contrairement à ce qui a été annoncé, sauf pour les projets pilotes. Ce qui veut
dire qu’un agriculteur peut, à un moment donné, se voir refuser de vendre son huilecarburant sous prétexte que ses consommateurs ne font plus partie d’un projet pilote, c’està-dire que son affaire marche trop bien2 ! Toutefois, il semblerait que les douaniers ne
savent pas quelle attitude adopter devant ce type de situation, et les sanctions ne sont pas
non plus évidentes. Bref, le flou reste la norme. Enfin, dernier frein, et non des moindres, le
vendeur doit être titulaire d’une agrégation de vendeur de carburant, ce que seuls les
pétroliers possèdent en ce moment en Belgique. Donc, il n’y a pas encore de quoi se
réjouir…
4. Ce qui fait débat
Les analyses récentes et relayées dans les médias font état d’un bilan qui est loin d’être
aussi idyllique au niveau environnemental. Ainsi, Paul Lannoye affirme que « Il n'est pas
justifié de consacrer des moyens financiers publics à la promotion des filières bioéthanol et
biodiesel au départ des cultures de betteraves et de colza » car « Côté bilan énergétique,
les valeurs de ces biocarburants restent très faibles si on les compare aux possibilités
comme les filières du bois et des déchets agricoles »3. Les surfaces disponibles pourraient
ne pas être suffisantes pour approvisionner le secteur des transports à hauteur de 5,75% de
biocarburant d’ici 2010. Et Philippe Defeyt affirme, dans la même veine mais dans un
rapport de l’Institut pour un Développement Durable en 20054, que le biocarburant est une
réponse qui est proposée en lien avec les problèmes agricoles locaux. Ainsi, les études sur
2
Ceci est un cas réel !
In Le Soir, archives, 28/10/2005
4
disponible sur le http://www.users.skynet.be/idd
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les biocarburants (analysées par l’auteur) sont multiples et donnent des résultats parfois
très différents selon les hypothèses de départ. Par exemple, les résultats seront différents
selon la matière végétale d’origine du biocarburant, et le lieu où elle est produite. Les
impacts environnementaux ne sont pas toujours les mêmes à être analysés, ce qui
empêche de facto une conclusion et rend difficile une comparaison. Et comme le type de
culture de la plante fournissant le biocarburant est l’impact principal sur l’environnement,
celui-ci est primordial (par exemple la quantité d’intrants). Un autre grand facteur dans
l’analyse du cycle de vie (qui permet la comparaison entre deux carburants), à côté du type
de culture est l’impact du produit qui est remplacé par un co-produit du biocarburant. On
voit que même sans entrer dans les détails, la complexité devient telle qu’il est difficile de
faire la synthèse des connaissances, et donc de proposer un point de vue qui soit unanime.
Sentiment d’impuissance ?
Quoique… Des petites initiatives voient le jour, comme par exemple ce « bio-bus », à
Huy. Un groupe poursuit le projet de faire rouler une camionnette à l’huile de colza, et
ça marche ! Une aide financière a été allouée par la région wallonne (division Energie),
et quoi qu’il en soit, ce type d’initiative plaît. La sensibilisation aux énergies plus
propres dont fait partie le biocarburant est reconnue comme importante, et cela
constitue une bonne part du travail du groupe. Car le but, c’est de se doter d’un outil
d’animation qui permettrait d’être présents sur les lieux publics, mais d’abord de
prouver qu’il est possible de rouler à l’huile de colza et de promouvoir le circuit court
par des accords directs avec le producteur. Mais plus profondément, il faut agir à la
conscientisation pour que les consommateurs ne soient pas mis devant le fait accompli
de voir dans leur pompe favorite le mot « biodiesel » au lieu de « diesel », sans que
quiconque sache ce que cela implique, et sans que la conscience ait réellement
évolué.
5.
Pour aller plus loin
Nous n’entrerons pas dans les détails techniques dans cette analyse, mais nous voyons qu’il ne
suffit pas de promouvoir les biocarburants pour atteindre les objectifs de Kyoto. En effet, cette
démarche doit s’inscrire dans une dynamique globale de travail sur les énergies renouvelables.
Et si certains aimeraient discréditer les biocarburants sous le prétexte que tout le monde ne
pourrait pas rouler avec, cela paraît un peu étriqué. Bien sûr, on ne sera pas sauvés avec
5,75% d’huile dans le mazout (à condition qu’on arrive déjà à ce taux !), mais un effort sera déjà
fait.
Ne tombons donc pas dans le manichéisme : les biocarburants ne sont ni tout roses ni tout
noirs. Ils ne sont pas inutiles, pas plus qu’il ne sont la panacée.
Ce que nous devons garder en tête en regard de ces éléments est que le débat sur les
biocarburants est loin d’être clôt, et que la technologie évolue. De plus, ce débat doit être
replacé dans son contexte qui est la recherche d’un moyen de produire moins de gaz à effet de
serre sans changer le mode de consommation actuel, notamment dans les transports.
Nous devons donc, en parallèle à ces aspects curatifs (une technologie qui pollue moins)
travailler sur l’aspect préventif : que mettre en place pour que la quantité totale de pollution
diminue ? Ne faudrait-il pas changer quelque peu (voire même beaucoup) nos modes de
consommation ? Le transport représente une grande source de pollution : que mettre en place
pour ‘transporter’ autrement ? Car la pollution existe, qu’elle soit par les CO² (mazout) ou par
les dérivés nitriques (biodiesel).
Ainsi, parfois contrainte, parfois plaisir, parfois liberté, parfois perte de temps, la voiture est tout
cela à la fois. Mais surtout : ELLE POLLUE. Alors que ces bonnes nouvelles ne nous
dispensent pas de réfléchir à l’usage que nous faisons de notre sainte machine !
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