les conséquences de la loi hadopi pour les entreprises

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les conséquences de la loi hadopi pour les entreprises
LES CONSÉQUENCES DE LA LOI
HADOPI POUR LES ENTREPRISES
Par Sadry PORLON
Docteur en droit
Avocat au Barreau de Paris
Novembre 2010
L’ENTREPRISE : UN ABONNÉ COMME LES AUTRES
Parmi les abonnés à internet, dites personnes titulaires de l’accès à des services de communication au
public en ligne, il y a le particulier lambda, mais aussi l’entreprise.
La loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création (dite HADOPI 1), puis celle du
28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (dite
HADOPI 2) ont entendu faire peu de distinctions entre ces deux types d’abonnés, or, même si les
conséquences d’une suspension d’abonnement pendant un mois peuvent être très regrettables pour un
particulier, elles peuvent s’avérer hautement dommageables pour la survie d’une entreprise.
UN RISQUE DE SUSPENSION DE L’ACCÈS À INTERNET ET DE
CONDAMNATION AU PAIEMENT D’UNE AMENDE
Rappelons qu’en cas de téléchargement illégal, l’article L. 331-25 du Code de la propriété intellectuelle
prévoit que la réponse graduée débutera par l’envoi par la Commission de protection des droits de la
Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet, dite HADOPI, d’une
recommandation (avertissement), à l’abonné par le biais d’un courriel adressé par l’intermédiaire du
fournisseur d’accès auprès duquel il a souscrit un abonnement.
Cette recommandation prévoit notamment un rappel de l’obligation de sécurisation de l’accès à internet, la
mention de la date et l’heure auxquelles les faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation
de sécurisation ont été constatés ainsi que les coordonnées téléphoniques, postales et électroniques du
service auquel l’abonné peut s’adresser pour formuler ses observations et obtenir des précisions sur ce qui
lui est reproché.
Si dans les six mois qui suivent cette recommandation l’accès à internet devait à nouveau être utilisé à «
des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public
d'œuvres ou d'objets protégés par un droit d'auteur ou par un droit voisin sans l'autorisation des titulaires
des droits lorsqu'elle est requise », une seconde recommandation pourra lui être adressée par lettre
recommandée avec avis de réception ou encore par tout autre moyen permettant d’établir la preuve de la
date de présentation de cette recommandation.
Si malgré un second avertissement l’accès internet de l’abonné devait de nouveau servir à des fins de
contrefaçon de droit d’auteur dans l’année qui suit l’envoi de la première recommandation, la Commission
de protection des droits de la HADOPI pourra communiquer son dossier à un juge afin que l’abonné soit
sanctionné par une amende et/ou par une suspension de son accès à internet.
Il s’exposera alors à une contravention de 5ème classe (amende de 1500 euros maximum) ainsi qu’à une
peine complémentaire de suspension de l’accès à internet qui ne pourra excéder un mois.
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L’ENTREPRISE S’EXPOSE TOUJOURS À UNE ACTION EN
CONTREFAÇON EN CAS DE TÉLÉCHARGEMENT ILLÉGAL
Il est cependant utile de rappeler que le recours à la procédure judiciaire simplifiée de l’ordonnance pénale
en cas de poursuite pour contravention de négligence caractérisée (article R. 335-5 du Code de la
propriété intellectuelle) prévue par la loi HADOPI 2, n’est qu’une possibilité qui vient s’ajouter aux actions
civiles et pénales liées à la contrefaçon de droit d’auteur et en aucun cas un préalable nécessaire à
l’engagement de poursuites.
La Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet, saisie en cela par
les ayants droits des œuvres, peut donc constater et établir des procès verbaux de manquements à
l’obligation de sécurisation, adresser des avertissements aux abonnés, mais aussi transmettre directement
au procureur de la République tout fait susceptible de constituer une infraction.
Tout abonné, personne morale ou personne physique, dont l’accès à internet a été utilisé à des fins de
reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou
d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits
reste, en effet, sous la menace d’une action en contrefaçon de droit d’auteur et des sanctions encourues
en matière de contrefaçon soit une peine maximum d’emprisonnement de 3 ans et une amende de
300.000 euros (article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).
La loi HADOPI 2 a d’ailleurs apporté des changements en matière de sanctions pénales en précisant
qu’une nouvelle possibilité de sanction pénale est donnée au juge lorsque le délit de contrefaçon a été
commis par le biais d’un service de communication au public en ligne à savoir celle de prononcer une
peine complémentaire de suspension de l’accès à internet pendant une durée maximale d’un an.
L’INTÉRÊT D’UNE POLITIQUE INTERNE À L’ENTREPRISE
RELATIVE À L’UTILISATION D’INTERNET
Eu égard à ces différentes menaces, il est souhaitable que les entreprises revoient ou adaptent leur
politique interne d’utilisation de l’internet.
De grandes entreprises du CAC 40 n’ont d’ailleurs pas attendu la loi HADOPI pour mettre en place des
systèmes de filtrage efficaces visant à sécuriser l’accès à leur système d’information. Certaines ont ainsi
interdit l’utilisation du Wi-Fi pour des questions évidentes de traçabilité.
L’une des missions de la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur
Internet consiste en une labellisation des moyens de sécurisation de l’accès à internet. Même si nous
sommes encore dans l’attente d’un décret par lequel les spécifications que devront remplir les dispositifs
techniques propres à sécuriser l’accès à l’internet seront précisées, il va sans dire que ces dispositifs
auront un coût non négligeable pour l’entreprise.
Elle devra, par ailleurs, déclarer à la CNIL les différents outils de sécurisation qu’elle utilise pour contrôler
ses employés et procéder à l’information du personnel quant à l’existence de ces outils de sécurisation.
L’élaboration d’une charte informatique soumise, le cas échéant, aux représentants du personnel,
permettant à l’entreprise d’alerter le salarié sur les conséquences des actes de téléchargements illégaux
tout en l’informant des moyens mis en œuvre pour les détecter est plus que jamais d’actualité.
L’actualisation des chartes existantes de façon à y mentionner les dispositions les plus sensibles de la loi
HADOPI et les moyens mis en œuvre pour y faire face, l’est tout autant.
Pour rappel, l’entreprise, qui est l’abonné, est celle qui s’expose directement aux amendes et aux
suspensions de l’accès à internet prévues dans les lois HADOPI 1 et 2, mais également aux sanctions
spécifiques à la contrefaçon de droit d’auteur prévues tant en matière civile qu’en matière pénale (article
335-2 du Code de la propriété intellectuelle).
LA RESPONSABILITÉ DES COMMETTANTS DU FAIT DE LEURS
PRÉPOSÉS
La nécessité de mettre en place une politique interne de gestion de l’internet se pose donc avec d’autant
plus d’acuité que c’est l’employeur qui sera considéré responsable du fait de ses salariés en application de
l'article 1384, alinéa 5 du Code civil.
L’article précité qui dispose que : « Les maîtres et les commettants, (sont responsables) du dommage
causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés » doit inciter
l’entreprise à toujours plus de vigilance.
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Même si depuis un arrêt de principe du 19 mai 1988, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a
entendu limiter cette responsabilité dans les cas où la faute du salarié est détachable de ses fonctions
sous réserve de trois conditions cumulatives, à savoir que le préposé ait agi en dehors des fonctions
auxquelles il est employé, qu’il ait agi sans son autorisation et enfin qu’il ait agi à des fins étrangères à ses
attributions. Il n’en demeure pas moins que c’est bel et bien contre l’entreprise, en tant que titulaire de
l’abonnement qui a permis le téléchargement illégal, que sera engagée l’action en contrefaçon ou la
poursuite pour contravention de négligence caractérisée.
A noter que par souci d’obtenir l’indemnisation d’un débiteur solvable, les juges semblent peu enclins à
reconnaître l’existence des trois conditions d’exonération.
QUID DE L’ATTITUDE DE L’ENTREPRISE À L’ÉGARD DU SALARIÉ
FAUTIF ?
Pour ce qui est du salarié fautif, il s’exposera à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au
licenciement, s’il est démontré qu’il a bien téléchargé illégalement des œuvres depuis son poste de travail.
Par ailleurs, même s’il conviendra pour les Directeurs des Ressources Humaines d’analyser au cas par cas
chacune des situations avant d’en tirer des conclusions, il paraît difficile d’envisager qu’un salarié pris en
« flagrant délit » de téléchargement illégal puisse, sur cette base, être licencié pour faute lourde.
La faute lourde est, en effet, définie très strictement par la jurisprudence comme une faute d’une
exceptionnelle gravité, commise avec l’intention de nuire à l’employeur.
La faute grave, à savoir celle résultant de tout fait d’une gravité telle que l’employeur doit se séparer
immédiatement du salarié pour ne pas entraver la bonne marche des activités de son entreprise, prêtera
un peu plus à discussion selon le contexte, la présence ou non d’une charte électronique alertant l’employé
sur l’interdiction formelle de télécharger illégalement des œuvres ou encore selon le secteur d’activité de
l’entreprise.
Quoi qu’il en soit, il y a fort à parier que la réception par les entreprises des premières recommandations
de la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet génèrera
rapidement des contentieux devant les juridictions du travail.
En attendant et parce que mieux vaut prévenir que guérir ; Mesdames et Messieurs les chefs
d’entreprise…A vos chartes !
A PROPOS DE L’AUTEUR
Sadry PORLON est avocat au Barreau de Paris
Docteur en droit, il est également chargé d’enseignements, au sein d’une école de
commerce, notamment, en droit des médias et de la communication, en droit du
commerce électronique et du multimédia ainsi qu’en droit des marques.
avocat (at) porlon.net
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