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POSITIF
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Haluk Bilginer, Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan
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Revue mensuelle de cinéma
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N°641-642 Juillet-Août 2014
Comme un air de populisme
Notre numéro double d’été résume mieux qu’aucun autre le projet éditorial de Positif.
Tout d’abord un dossier trois fois plus long qu’à l’ordinaire qui nous fait échapper à la
tyrannie de l’actualité. Nous avons, cette fois, choisi la couleur, qui nous permet d’aborder
de façon ludique le rouge, le bleu, le vert et le jaune, mais aussi de nous entretenir avec
l’Américano-Hongrois Vilmos Zsigmond, le Franco-Iranien Darius Khondji, l’Anglais
Peter Suschitzky et le Chinois Mark Lee Ping-Bing. Ces grands artistes que sont les
chefs opérateurs sont en effet trop souvent oubliés des médias. Si dans le passé nous avons
fait une place de choix à (entre autres) Sven Nykvist, Giuseppe Rotunno, Sacha Vierny,
Gabriel Figueroa, Philippe Rousselot, Jack Cardiff, Christopher Doyle, Pasqualino
De Santis, Ricardo Aronovich ou Ed Lachman, c’est que ces maitres de la lumière sont
des collaborateurs de création essentiels qui savent parler des secrets de leur art.
Ce numéro spécial est aussi l’occasion, grâce au festival de Cannes, de partir à la découverte de nouveaux talents, de saluer (avant d’en traiter plus longuement) la révélation de
débutants français tels Thomas Cailley avec Les Combattants, et Marie Amachoukeli,
Claire Burger et Samuel Theis avec Party Girl, qui feront la une de notre numéro de septembre. Plus que jamais, le travail d’un grand festival est en phase avec le nôtre, prouvant
que la vitalité du cinéma mondial est bien réelle, que des metteurs en scène encore peu
connus comme le Suédois Ruben Östlund (Turist), l’Argentin Damián Szifrón (Relatos
salvajes) ou l’Israélien Nadav Lapid (L’Institurice) méritent une vraie notoriété.
Ce numéro, comme chaque mois, met en honneur un grand film auquel le jury cannois a
eu la bonne idée de décerner sa Palme d’or. Winter Sleep était un des favoris de la presse
française et étrangère pour cette récompense suprême. Avec ce film, l’un de ses meilleurs,
c’est la carrière de Nuri Bilge Ceylan qui est saluée, après les Grands Prix pour Uzak et
Il était une fois en Anatolie, et celui de la mise en scène pour Les Trois Singes. Si la palme a
pu récompenser des débutants ou quasi-débutants (Soderbergh, les Dardenne, Mungiu
ou Tarantino), elle peut aussi être la célébration d’un grand nom du cinéma avec Le Ruban
blanc, Le Pianiste, The Tree of Life, Paris, Texas, L’Éternité et un jour, Secrets et Mensonges.
Pourtant ce ne fut pas l’avis de tout le monde. Première, dans son compte rendu de la
Croisette, ne publia ni photo du film ni portrait de Ceylan et conclut : « Certaines années,
on dirait que le jury cannois ne vit pas le même festival que nous. 2014 sera de celleslà. » Le Figaro s’étouffa d’indignation (« une œuvre interminable qui devrait plonger
plus d’un spectateur dans l’ennui »). Un auditeur du Masque et la plume, Jean-Simon
Khazarian, choqué par l’unanimité des critiques de l’émission, se révolta : « Continuez
à faire l’éloge du film turc et vous viderez les salles avec vos fantasmes de cuistres. Aller
nous ennuyer pendant plus de trois heures avec du blabla assommant totalement inutile
au cinéma, ce n’est pas cela que nous recherchons, surtout par rapport à l’émotion totale
du film de Dolan et surtout vu son âge. » Il y a là comme un concentré d’une certaine
tendance de l’opinion contemporaine : le critère de l’ennui, notion pourtant si subjective,
car il y a des films d’une heure quinze qui paraissent plus longs que des œuvres fleuves.
Comment préjuger par ailleurs du comportement du public, si l’on sait que dans le grand
amphithéâtre Lumière, pour l’unique projection de Winter Sleep, les deux mille fauteuils
restèrent, pour la très grande majorité, occupés jusqu’à la fin, signe révélateur quand on
connaît l’impatience des festivaliers. L’opposition entre « le peuple » et les critiques traités de « cuistres », l’adieu au langage (« blabla ») comme moyen de communication, et
bien sûr le jeunisme, le populisme a de beaux jours devant lui dans notre pays. Nuri
Bilge Ceylan, d’ordinaire plutôt taiseux, a choisi cette fois de faire parler ses personnages
comme Rohmer, Mankiewicz, Woody Allen, Oliveira ou Bergman. Il a opté pour la
forme longue (196 minutes), comme Bergman, encore (Scènes de la vie conjugale, 168),
Eustache (La Maman et la Putain, 220), Cimino (La Porte du paradis, 210), Coppola (Le
Parrain, 2e partie, 200) et même L’Arbre aux sabots d’Olmi (170 minutes), autre Palme
d’or peu discutée. Le triomphe de Ceylan justifie la fonction des palmarès, imposant
courageusement le cinéma comme un art, affirmant sa diversité, se comportant tel un
contrepoids à la promotion et au marché, sans tête de Turc. Et quel paradoxe de voir des
marchands (le distributeur Memento) prenant tous les risques avec Une séparation (un
million d’entrées), Ida (500 000), Black Coal et aujourd’hui Winter Sleep, face à certains de
nos confrères frileux devant les attentes supposées de leurs lecteurs !
Michel Ciment