Reine El-KHOURY - Master Recherche 08-09

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Reine El-KHOURY - Master Recherche 08-09
UNIVERSITE SAINT JOSEPH
FACULTE DES SCIENCES DE LEDUCATION (FSedu)
Travail personnel contrôlé (T.P.C)
Note de lecture
Titre de l’ouvrage : Faire construire des savoirs
Chapitre 2 : « Construire, c’est changer », p.45 à 89
Auteurs : De Vecchi Gérard et Carmona-Magnaldi Nicole
Préparé par : Reine El Khoury
Etudiante en master de recherche en sciences de l’éducation et en licence
d’enseignement
Matière : Processus d’apprentissage 2
Professeur encadrant le TPC : Docteur Nada Moghazeil-Nasr
Semestre 2, 2009
1
I)
Synthèse des propos de l’auteur:
Le chapitre 2, intitulé « Construire, c’est changer » est découpé en plusieurs parties
ayant les sous-titres cités ci-dessous :
1)
2)
3)
4)
De l’erreur commise à l’obstacle repéré.
Changer, c’est vivre des ruptures.
Prendre en compte les obstacles.
Les savoirs : des vérités provisoires.
Chaque partie est synthétisée ci-dessous :
1) De l’erreur commise à l’obstacle repéré :
Dans cette partie, les deux auteurs ont insisté sur le fait que les élèves ne sont pas des
pages blanches, sur lesquelles l’enseignant inscrit « un savoir-vérité » qui sera intégré,
mais qu’ils perçoivent le monde et les savoirs à travers des conceptions subjectives, bien
ancrées dans leur cerveau et qui peuvent être à l’origine de leurs erreurs, voir même
constituer des obstacles à l’apprentissage ! Dans ce contexte, De Vecchi et CarmonaMagnaldi ont énoncé une définition de conception, comme étant « un modèle sous-jacent,
simple, organisé, logique, le plus souvent lié au réel, mais parfois erroné » (p47-48) ou
limité. De plus, ils ajoutent que les conceptions peuvent être « en rapport avec l’affectif,
l’imaginaire, le culturel, le social » (p.48) et du fait qu’elles aient une origine si profonde,
simple, logique et en relation avec le réel elles sont très stables et particulièrement
« résistantes » au changement. Pour mieux comprendre comment les fausses conceptions
peuvent constituer un obstacle à l’apprentissage, les auteurs les ont assimilées à un filtre
qui analyse le réel; si ce filtre n’est pas adapté, il empêchera alors la construction du
savoir. Donc, un obstacle serait, selon les deux auteurs de ce livre, « une conception
fausse ou incomplètement élaborée qui empêche l’apprenant d’avancer dans la
construction du savoir » (p 54).
Dans ce cadre, les auteurs conseillent de traduire les obstacles en objectifs
d’apprentissage, en les repérant d’abord pour les renverser ultérieurement : les
enseignants doivent récolter, au départ de la construction d’un savoir, les conceptions
des élèves sur ce savoir, afin de cerner celles qui sont erronées (constituant de potentiels
handicaps à l’apprentissage), de celles qui sont incomplètes et de les rectifier ou
compléter. Ainsi, les enseignants auraient renversé les obstacles, pour permettre à leurs
élèves de les franchir et les dépasser.
2) Changer, c’est vivre des ruptures :
Dans cette partie, les deux auteurs ont tenu à affirmer qu’il est indispensable de se
positionner du côté des élèves, pour comprendre leurs conceptions et faire avec leurs
représentations, afin d’aller contre celles qui sont erronées et d’ajuster celles qui sont
limitées. De Vecchi et Carmona-Magnaldi ont, aussi, dénoncé les inconvénients des
stratégies d’enseignement faisant sans ou contre les conceptions : la première tendrait à
renforcer les fausses conceptions et à construire un obstacle à l’apprentissage, la
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deuxième qui consiste à déterminer les erreurs et à les rectifier directement est inefficace
pour la plus part des cas, car l’élève reçoit la nouvelle information comme un produit
parachuté, non convainquant qui vient chambouler ses connaissances antérieures. De
plus, il ne découvre pas la nouvelle information lui-même, ne la construit pas lui-même,
ce qui n’est pas compatible avec la physiologie du cerveau qui a besoin de socioconstructivisme pour construire et intégrer un savoir.
Pour pouvoir aller contre les conceptions incomplètes ou erronées, les auteurs
avancent qu’il est nécessaire de placer les élèves dans des « situations-impasses » ou
« situations problèmes », où leurs savoirs antérieurs ne peuvent pas fonctionner, ce
qui les incitera à les remettre en cause, à vivre une rupture, à faire marche arrière,
c'est-à-dire à déconstruire leurs savoirs antérieurs pour aller à la recherche, à la
découverte et à la construction d’un nouveau savoir. Ce nouveau savoir construit ne
consiste pas à ajouter un « plus » à ce qui existait déjà, mais, d’abord, à modifier le
nouveau savoir pour qu’il puisse s’intégrer au préexistant et de réorganiser ce
dernier. Le contre-exemple est l’outil majeur de la déconstruction des conceptions qui
créaient des conflits socio-cognitifs et des situations de contradiction : « l’élève
apprendra à se décentrer, à analyser ses idées avec un certain recul, à en discuter
calmement et parfois à en changer » (P.67). Dans ce contexte de rupture, les auteurs ont
noté que la remise en question d’une conception est « coûteuse en sécurité affective »
(P.62) et est vécue comme étant un danger, accompagné d’une perte de sens : une
déstructuration sur le plan cognitif s’ajoute à une déstabilisation sur le plan
psychologique. Pour cela, les ruptures ne doivent pas durer trop longtemps dans le temps
et ne doivent pas, non plus, êtres brutales, sinon, elles risquent de bloquer certains élèves.
Il ne s’agit pas de provoquer la personne des apprenants, de la violer et de la remettre en
cause, mais de faire émerger des paradoxes qui seraient remis en question, ce qui
dérangerait, sans doute, les apprenants : « il est favorable de faire passer les élèves par
des ruptures plus douces et de laisser à chacun le temps de les vivre, le temps de
réorganiser sa représentation des choses et de s’approprier quelques outils qui lui
permettront de reconstruire une nouvelle cohérence en relation avec une nouvelle
pratique » (p.65)…De plus, il est important d’habituer les élèves à des remises en causes
pour qu’ils apprennent à accepter leurs erreurs et à aller à la recherche de la construction
d’un nouveau savoir scientifique pour évoluer .
« De ce fait, créer une rupture implique de l’accompagner » (p.65): la déconstruction
doit être suivie d’une reconstruction. Pour reconstruire, l’enseignant doit fournir des
matériaux adéquats : ce sont des renseignements permettant aux apprenants d’avancer
plus vite vers ce qu’ils cherchent, sans leur dévoiler directement la réponse. Ainsi, ils
auront eux-mêmes construit leur savoir. D’autre part, des recherches personnelles et
d’autres encadrées par l’enseignant doivent êtres faites, dans la mesure du possible, pour
aboutir à la construction du savoir. Finalement, une structuration doit s’établir pour
clarifier, réorganiser, corriger les conceptions et pour bien intégrer le nouveau savoir.
3) Prendre en compte les obstacles :
Cette partie rejoint la précédente, mais les deux auteurs ajoutent qu’il est important
de prendre en compte les conceptions et obstacles des élèves lors de la construction, par
les enseignants, des progressions cognitives et de la transposition du savoir savant au
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savoir à enseigner. Dans cette perspective, ils incitent les professeurs à impliquer, d’une
part, les élèves dans des situations problèmes et des problématiques qui feront émerger
leurs conceptions et d’autre part, ils incitent les enseignants à analyser avec les
apprenants ces conceptions et obstacles pour mettre les étudiants au cœur du processus
éducatif. L’enseignant jouerait alors le rôle d’organisateur, d’une personne ressource,
d’un pôle identificateur, d’une surface de projection et de transfert.
En outre, De Vecchi et Carmona-Magnaldi affirment que l’évaluation, dans toutes ses
formes (diagnostique, formative et sommative) doit être transversale, constamment
présente, faite par l’enseignant et l’apprenant lui-même (autoévaluation dans ce cas) en
s’appuyant sur un processus de métacognition. De plus, puisque les évaluations
permettent de dévoiler les erreurs et obstacles pour construire le savoir sur un socle
solide, il est urgent de revaloriser le statut de l’erreur : il faut transformer la faute, perçue
comme un péché fatal, en erreur qui est un facteur d’apprentissage, non associé à un
jugement de valeur de la personne.
4) Les savoirs : des vérités provisoires
Finalement, les deux auteurs de ce livre ont tenu à dire que les savoirs acquis en fin
d’une année scolaire, sont valables, selon leur niveau de formulation, dans des champs
de validité précis (correspondant dans ce cas au niveau de la classe). Pour prendre des
exemples en dehors de ce champ de validité, une rupture sera nécessaire : à un niveau
d’apprentissage précis, on passe sous silence ce qui est complexe, ce qui implique
l’existence, pour beaucoup de sujets non abordés, d’une série de « boites noires »,
auxquelles on ne touche pas et qui seront ouvertes ultérieurement dans les classes
supérieures. Dans ce cas, en fonction des niveaux des classes, l’exactitude du savoir
paraît être de moindre importance que son utilité et le niveau de formulation, ainsi que le
champ de validité « permettent d’aboutir, à chaque étape de l’apprentissage, à une
cohérence dans un système limité, ce qui donne du sens au savoir et le rend
opérationnel » (p 89).
II)
Réflexions personnelles relatives au chapitre
1) Réflexions inspirées
La lecture de ce chapitre me fait penser à plusieurs citations, dont la fameuse citation
de Boris Cyrulnik « nous sommes des êtres de représentations et non pas des êtres de
perceptions ». Cyrulnik rejoint, dans sa citation, ce que De Vecchi et Carmona-Magnaldi
ont dit : nos représentations influencent et modifient ce que nous percevons. D’ailleurs,
les recherches en neuroscience et en sciences de l’éducation ont confirmé que l’impulsion
naturelle du cerveau est la recherche de crochets dans l’hippocampe, cette impulsion
naturelle étant surnommée impulsion de reconnaissance. En effet, l’émergence de
crochets ou d’acquis antérieurs, va respecter le principe pédagogique fondamental
d’Itard, intitulé principe de continuité qui a pour but de faire sentir à l’apprenant qu’il
connaît déjà quelque chose, ce qui le sécurise, lui donne confiance en soi pour bien faire
fonctionner son cerveau. De plus, ceci va lui faire sentir qu’il y a une certaine familiarité
entre la nouvelle information à aborder et ce qu’il connaît déjà, une sorte de continuité
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logique dans les idées, ce qui rejoint ce que beaucoup de pédagogues ont dit : un progrès
n’est effectué qu’à travers une expérience qui prolonge une expérience précédente et qui
s’enracine dans ce qu’était précédemment la personne. Dans ce contexte, Giordan a dit
que l’apprentissage n’est pas un processus de transmission du savoir mais un processus
de transformation, de modification des représentations et que les enseignants doivent
faire avec les conceptions des élèves pour aller contre celles qui sont erronées et
compléter celles qui sont limitées, afin de construire le savoir sur un socle correcte et
solide. Donc, d’après Giordan « savoir, c’est d’abord être capable d’utiliser ce qu’on a
appris, de le mobiliser » et « tout apprentissage réussi provient d’une transformation des
conceptions initiales de l’élève ». Il ajoute aussi que « c’est en confrontant ses propres
conceptions avec des informations nouvelles qu’un apprenant s’approprie véritablement
des connaissances ». Ainsi, on peut conclure qu’apprendre, c’est modifier les
représentations et non pas passer de l’ignorance au savoir : les élèves ne sont pas des
tables rases, ils ont leurs propres représentations du monde et apprendre c’est bâtir sur ce
qu’ils ont déjà comme acquis antérieurs, d’où la nécessité de sonder leurs conceptions.
Dans cette même perspective, l’émergence des conceptions va permettre de faire
sortir les crochets de l’hippocampe sur lesquels s’ancreront les nouvelles informations,
ainsi que de faire des liens, des connections et des associations entre l’ancien et le
nouveau savoir (d’ailleurs, Francesco Varda a dit que le travail de notre cerveau est à
80% par association). Il est à noter que la faculté de développer des liens n’est pas
spontanée et s’acquiert en entraînant l’apprenant à la développer et à multiplier son
emploi. Dans ce contexte, Develay vient mettre en valeur l’importance de faire des liens
en disant qu’« apprendre, ce n’est pas amasser, mais c’est relier des notions pour en
construire d’autres ».
A la suite du principe de continuité, vient le principe de rupture d’Itard qui rejoint ce
que les deux auteurs du livre ont dit. Cette rupture se manifeste par une
« déstructuration sur le plan cognitif qui s’ajoute à une déstabilisation sur le plan
psychologique », incitant l’apprenant à mettre en question ses conceptions face à une
situation où ses acquis antérieurs ne fonctionnent pas et à aller à la recherche de la
« bonne réponse ». Cependant, Itard ajoute que les séries de déstabilisations doivent être
progressives, douces, sans dépasser les limites de la zone proximale de développement.
Dans ce même contexte, De Vecchi et Carmona-Magnaldi ont insisté à ne pas « violer »
et « provoquer » la personne de l’apprenant mais, simplement, à faire surgir ses acquis
antérieurs et de les mettre en œuvre face à une « situation problème » ou « situation
impasse », sans faire traîner pour longtemps la période de déséquilibre. Bien sûr, que ce
soit pour Itard, De Vecchi ou Magnaldi, la déconstruction du savoir ancien erroné et la
déstabilisation cognitive doivent être suivies d’une reconstruction d’un nouveau savoir et
d’un équilibrage affectif et cognitif. Ceci rejoint ce que Piaget a dit concernant la
construction du savoir : l’apprentissage se fait par « déséquilibre adaptatif », durant
lequel l’élève est déstabilisé face à une situation impasse, puis il s’adapte et se
rééquilibre. Il ajoute aussi, qu’un climat de sécurité affective est nécessaire pour que
l’apprenant accepte d’être déstabilisé.
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D’autre part, les auteurs ont insisté sur le fait de « redorer » le statut de l’erreur et
de la présenter comme « un facteur d’apprentissage, non associé à un jugement de valeur
de la personne ». Les enseignants ont pour devoir d’encourager les élèves à s’exprimer et
de tolérer les réponses multiples et les pensées divergentes, mêmes si elles sont erronées,
pour faire sortir leurs conceptions et de les accepter pour faire contre plus tard. Les
erreurs commises ne doivent pas être utilisées pour ridiculiser les élèves, ni les
traumatiser, mais bien au contraire, elles doivent être exploitées, analysées pour démolir
les obstacles qu’elles pourraient cacher. D’ailleurs, apprendre c’est prendre des risques,
c’est se tromper de chemin pour trouver le bon, ceci me fait rappeler plusieurs citations,
dont celle de Dan Millman, extraite de son ouvrage intitulé Le Guerrier pacifique , qui dit :
« mieux vaut commettre une erreur avec toute la force de son être que d'éviter
soigneusement les erreurs avec un esprit tremblant ».De plus, Philippe Geluck a dit dans
son livre Ma langue au chat que « si je me trompe au moins j'aurais appris quelque
chose ! », pour affirmer que se sont ceux qui n’essayent rien dans la vie, qui ne tentent
rien, de peur de se tromper qui n’apprennent pas. Dans ce contexte, Romain Rolland a
dit, dans son livre intitulé D’au dessus de la mêlée, que « le métier des intellectuels est de
chercher la vérité au milieu de l'erreur ».
Finalement, la dernière partie du chapitre, intitulée « Les savoirs : des vérités
provisoires », me fait souvenir de la fameuse citation de Georges Duhamel qui dit, dans
son livre La Chronique des Pasquier , que « la vérité est l'accident de l'erreur »…Ceci me
pousse à me demander ce qui suit : « si l'erreur est une vérité provisoire, pourquoi la
vérité ne serait-elle pas une erreur qui dure ? », comme l’a dit Maurice Chapelan, dans
son livre intitulé Main courante .
2) Modifications de ma représentation du processus d’apprentissage et de ma
pratique professionnelle
La lecture de ce chapitre a enrichi mes connaissances sur l’analyse et la
compréhension des erreurs des élèves. Elle m’a aussi permis de ne pas attaquer le
problème de front (ce que les élèves écrivent, disent ou font, leurs erreurs) mais de
rechercher les conceptions cachées qui sont à l’origine de ces manifestations erronées et
de prévenir d’éventuels obstacles d’apprentissage pour les cerner, les déverser et les
franchir. Les propos des auteurs m’ont profondément touchées et m’ont incitées à
regarder les erreurs des apprenants d’un œil différent, plutôt attendri, réflexif et amusé.
Auparavant, les « fausses » réponses des élèves m’énervaient et me poussaient à mal
juger leurs niveaux et compétences. De plus, le manque de temps et le stress de terminer
le programme avant la fin de l’année scolaire m’incitaient plutôt à poser des questions et
à ne retenir que les bonnes réponses, celles qui font avancer le cours rapidement sans
analyser les erreurs et rechercher leurs causes…Maintenant, j’ai appris à mieux écouter
chaque réponse et remarque pour faire émerger les conceptions des élèves qui se cachent
derrière, les dépoussiérer et les exploiter. J’ai même commencé à éprouver du plaisir à
analyser chaque conception et à les trouver sympathiques et amusantes, révélant le
monde magique, féerique et innocent des jeunes. J’ai aussi appris qu’il s’agit de
« découvrir le programme et non pas de le couvrir », et qu’il est nécessaire, pour atteindre
ce but, de s’attarder sur le sondage des représentations…J’ai donc appris à aller plus
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aisément vers les élèves, à percevoir le monde à travers leur vision pour comprendre leur
façon de faire et de réfléchir, afin d’avoir une intervention plus efficace. D’ailleurs
Françoise Dolto a dit dans son ouvrage intitulé L’échec scolaire : « quiconque s’attache à
écouter la réponse des élèves est un esprit révolutionnaire ! ».
D’autre part, ce chapitre m’a permis de comprendre la cause de la résistance des
élèves au changement de leurs acquis antérieurs : une conception erronée peut être
assimilée à une habitude, ou à une partie de nous-mêmes, profondément ancrée dans
notre hippocampe ; la changer c’est d’abord nier sa validité et abandonner une partie de
soi et qui est prêt à perdre une partie de ce qu’il est ?! Ceci m’a poussé à remettre en
question la méthode explicative que j’adoptais pour corriger les conceptions des
apprenants : « faire contre » les représentations en soulignant l’erreur et la corrigeant ne
sert strictement à rien, comme l’ont montré les deux auteurs, il s’agit d’adopter une
« ruse » pédagogique, qui consiste à écouter jusqu’au bout les apprenants, à partir de ce
qu’ils disent pour les mettre dans une situation problème, où leurs acquis antérieurs ne
leur serviront pas à résoudre le problème, voir même à soulever des paradoxes, sans
provoquer leur personne. La lecture de ce chapitre m’a permis aussi de me dévoiler
quelques démarches à adopter pour amener les élèves à remettre en question leurs
conceptions, à se déstabiliser, à s’adapter pour découvrir et construire le nouveau savoir,
afin de modifier leurs anciennes connaissances. Dans ce contexte, je peux donner deux
exemples en sciences de la vie et de la terre (S.V.T) qui illustrent ces principes de
continuité et de rupture :
Exemple 1 :
Avant d’aborder le chapitre de la respiration en classe de cinquième, j’ai demandé
aux élèves de me donner une définition de la respiration à partir de ce qu’ils ont étudié
dans les classes primaires…Tous les apprenants se sont mis d’accord à dire que
« respirer, c’est faire des mouvements d’inspiration et d’expiration »…J’ai souri, car je
m’attendais à ce résultat et j’ai dit qu’on va voir dans quels cas cette définition serait
valable : j’ai projeté l’image de différents végétaux et j’ai demandé ci ces derniers
pouvaient respirer pour rester en vie. Tous les élèves ont affirmé que les végétaux sont
des êtres vivants et vu ce classement ils sont sensés respirer ! Là, j’ai repéré une
deuxième fausse conception, celle de la définition des êtres vivants qui sont sensés,
tous sans exception, respirer. Je me suis alors décidée à retarder le traitement de la
première fausse conception pour exploiter la deuxième, qui m’a paru plus urgente. Après
l’exploitation de photos et de documents du manuel de S.V.T concernant différents êtres
vivants, les élèves ont pu dégager, par brain storming, la définition suivante de l’être
vivant : « un être vivant née, grandit, se reproduit, mange, se déplace, respire, rejette des
déchets et finit par mourir ».Cette définition aurait été correcte si chaque mot, écrit cité
ci-dessus, n’était pas placé de façon à généraliser la définition sur tout individu vivant.
Pour remettre en cause leur conception, j’ai demandé aux élèves de retourner à l’image
du végétal projeté pour m’expliquer comment ce taxon est un être vivant s’il ne se
déplace pas, ne fait pas des mouvements d’inspiration et d’expiration, et s’il n’a pas une
bouche pour manger, etc.…Les élèves étaient déroutés, abasourdis et commençaient à
s’impatienter pour connaître la réponse. Je leur ai proposé une série de documents avec
des questions guidées, à faire individuellement, pour survoler la définition d’être
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vivant…Quelques minutes plus tard, une mise en commun à quatre a été faite pour
confronter leurs résultats et déclencher un conflit socio-cognitif, qui selon Vygotski est
une étape incontournable dans le développement intellectuel de la personne. Cette mise
en commun développe aussi la faculté d’argumentation pour défendre ses idées et
convaincre, ainsi que la faculté de développer des liens logiques, de faire une synthèse
guidée, à partir de l’exploitation des documents. Ensuite, une mise en commun au niveau
de la classe entière a été faite suivie d’un débat pour se mettre d’accord sur une définition
exacte qui peut être généralisée sur tous les taxons. (Ceci redéveloppe la verbalisation des
conceptions, les conflits socio-cognitifs, les facultés d’argumentation, de synthèse,
etc…). Finalement, les élèves ont sorti eux-mêmes la définition suivante : « un être
vivant est un être qui a une ou plusieurs de ces caractéristiques suivantes : naître,
grandir, se reproduire, se nourrir (et non pas manger), se déplace, respirer, rejeter des
déchets et mourir, par opposition aux composantes minérales (comme l’eau, le sol, l’air)
qui n’ont aucune de ces caractéristiques». Je leur ai demandé aussi de me donner des
exemples d’êtres vivants qui ne respirent pas et qui ne se déplacent pas et qui sont
pourtant classés parmi les êtres vivants pour m’assurer qu’ils ont saisi la nuance dans la
définition et j’étais satisfaite de leurs résultats : « la levure est un être vivant qui ne
respire pas et qui fait la fermentation à la place de la respiration », « les végétaux sont
aussi des êtres vivants, mais qui ne se déplacent pas ».Ensuite, les élèves m’ont dit tous
seuls que leur définition de départ de respiration est incomplète et qu’elle ne peut
s’appliquer qu’à certains taxons, car les végétaux n’inspirent et n’expirent pas, pourtant
ils respirent, ce qui forme un contre-exemple remettant en question leur acquis
antérieurs…Certains ont même pu cerner le manque d’exactitude dans leur représentation
de la respiration : ils ont pensé uniquement aux mammifères qui expirent et inspirent,
puisqu’ils n’ont pas vu dans les classes précédentes la respiration des végétaux. Ensuite,
par différents travaux de groupe et individuels, d’expérimentation, d’analyse et
d’exploitation de documents et de débats, les élèves ont pu dégager une bonne définition
de la respiration qui n’est autre que l’absorption du dioxygène et le rejet du dioxyde de
carbone…
Exemple 2 :
Avant de commencer le chapitre de la circulation sanguine, j’ai demandé aux élèves
ce que signifie le mot « sang » pour eux. Certains m’ont dit qu’il existe deux types de
sang dans notre corps, un « rouge, propre » et un « bleu, sale »…J’ai directement
compris qu’il s’agit d’une fausse assimilation entre la réalité et les représentations
schématiques du sang riche en dioxygène, représenté par la couleur rouge et du sang
riche en dioxyde de carbone, représenté par la couleur bleu. Pour amener les élèves à
remettre en question leur conception erronée, je leur ai demandé s’ils avaient vu, de leur
vie, du sang « bleu » qui s’écoule d’une plaie. La question leur a paru choquante et
ridicule en même temps, ils avaient directement compris qu’il y avait une erreur dans
leurs représentations et par la même démarche, citée ci-dessus (expérimentation,
documentation, recherche individuelle, débat, brain storming, travail de groupe, etc…),
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les élèves ont pu cerner la cause de leur fausse conception et la corriger : le sang a une
couleur rouge, conférée par l’hémoglobine qui est une protéine au niveau des globules
rouges ( l’hémoglobine colore ces globules en rouge).
En outre, lecture de ce chapitre m’a permis de mieux comprendre les obstacles et
frustrations des élèves, des voisins, des amis ou de n’importe quel membre de la société
et comment les persuader de démolir eux-mêmes ces obstacles enracinés dans leur
cerveau. Deux exemples intéressants sont traités ci-dessous :
Exemple 1 :
A une époque donnée de mon parcours universitaire, je donnais des leçons
particulières à des élèves en difficulté scolaire…Je me rappelle d’un jeune garçon de 8
ans qui avait des difficultés en français, plus précisément dans la distinction féminin
masculin, pourtant, il ne manifestait aucune autre difficulté en français ! J’avais beau lui
expliqué la différence de mille et une façon, mais le petit se plantait toujours au même
endroit…Au bout de la troisième séance, j’ai compris que le problème était ailleurs,
plutôt dans son entourage : j’étais accueillie par la mère, elle vit seule avec une femme
de ménage, le père était absent, c’était un enfant unique et à l’école ses enseignants
n’étaient que des femmes. Je commençais à suspecter que l’absence masculine, ou sa
présence très réduite, faisait que le petit percevait le monde à travers une existence
uniquement féminine, que le masculin n’existait presque pas pour lui, ce qui
expliquait pourquoi tous ces accords sont faits comme s’il ne s’agissait que du
féminin…Lorsque j’en ai parlé à la mère, elle a bien assimilé mon interprétation et m’a
confirmé que son fils a très peu de contact avec les hommes, vu que son mari est mort,
que sa famille est à l’étranger et qu’elle laisse son fils avec la femme de ménage toute la
journée jusqu’à son retour du travail. Le seul contact avec les hommes est avec le
chauffeur de l’autocar de l’établissement scolaire, lors du transport de la maison à l’école
et de l’école à la maison…Le jeune garçon a été orienté vers une spécialiste qui l’a bien
pris en charge pour lui faire changer ses conceptions et le petit a réussi à se débarrasser
de cet obstacle au bout de 2 ans ...Il est à noter que si je n’avais pas considéré son
entourage social et si je ne m’était pas positionné de son coté, j’aurait continué à mal
juger les compétences linguistiques du garçon, donc à attaquer le problème de front,
sans chercher la cause sous-jacente. A l’époque, je n’avais aucune formation en
éducation et je ne savais pas que je me suis mise à analyser ses représentations et ses
interactions avec son environnement et ce n’est que maintenant que j’ai compris
l’importance du sondage des conceptions et leur stabilité ( il a fallu deux ans pour amener
le jeune garçon à remettre en question sa vision du monde à travers une omniprésence
féminine, car cette représentation l’a hantée pendant huit ans et est profondément ancrée
dans son hippocampe) . Ce cas est un exemple de conceptions qui sont en rapport avec
l’affectif, le culturel et le social.
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Exemple 2 :
La partie préférée en S.V.T des élèves du secondaire est celle de la « reproduction
humaine et contraception »…Bien que le programme scolaire aborde ce sujet de façon
scientifique, les enseignants sont amenés à satisfaire la curiosité sexuelle des jeunes
adolescents. Je me rappelle d’une fausse conception qu’a manifestée une camarade de
classe (quand j’étais élève au lycée) et qui concerne l’acte d’amour : pour elle, l’amour
est un acte violent, douloureux, traumatisant, à l’issu duquel une « hémorragie » a
lieu et qui fait preuve de la virginité de la fille…Heureusement pour elle, l’enseignant
de S.V.T était français et avait plus d’aisance, d’ouverture d’esprit de tolérance que les
enseignants libanais pour discuter de ces sujets afin de lui rectifier ses idées erronées…A
l’issue d’une série d’articles scientifiques concernant l’acte d’amour et les différents
types d’hymen, la fille a été amené à changer de représentations et à confirmer que l’acte
d’amour n’est pas si violent, comme sa mère le lui a décrit et que les douleurs varient en
fonction de la « performance » du partenaire et du tissu de l’hymen (élastique, rigide,
etc…). De plus, la classe a découvert que dans 30 à 40% des cas, la fille ne saigne pas
lors de sa première fois, une vérité qui est fréquente quand il s’agit d’un hymen compliant
(l’acte sera indolore aussi dans ce cas), ce qui a remis en question la conception de
virginité, associée depuis la nuit des temps au saignement…
Cette culture sexuelle a, non seulement sauvé une fille d’une potentielle peur
redoutable de sa future « première fois », mais a aussi sauvé un grand nombre de femmes
qui sont vierges et qui ne saigneront pas durant leur premier acte d’amour…Ces fausses
conceptions, en relation avec le social, couramment transmises d’une génération à une
autre, peuvent avoir de lourdes conséquences sur la survie d’un couple oriental
traditionnel, attaché à ces valeurs, d’où la nécessité d’une culture sexuelle saine et
correcte au lycée qui modifient ces représentations.
D’autre part, la lecture de ce chapitre me poussera à multiplier les évaluations
diagnostiques et formatives pour rassembler le maximum d’erreurs et de fausses
conceptions avant l’évaluation sommative en fin d’apprentissage, pour rectifier, modifier
et compléter les acquis des élèves et éviter qu’ils ne se plantent à l’examen final…De
plus, je tiendrais à donner un statut positif à l’erreur, vu qu’elle permet d’accéder à la
vérité : en fait, j’ai déjà commencé à dire en classe, « c’est une très belle erreur » et les
élèves me regardent d’un air bizarre et soulèvent, souvent, le paradoxe de ce que je leur
dis…Au bout de deux semaines, j’ai remarqué que les étudiants se lancent plus
spontanément dans l’expression de ce qu’ils pensent, sans avoir à redouter l’humiliation
des erreurs qui n’existent plus ( et qui n’a jamais existé dans mon cours)…Ceci m’a
permis de repérer plus fréquemment les fausses conceptions ou les mauvaises
compréhensions du nouveau savoir construit et j’espère que cette méthode aboutira à de
meilleurs résultats aux prochaines évaluations sommatives.
Finalement, la dernière partie de ce chapitre intitulée « les savoirs : des vérités
provisoires », m’a ouvert les yeux sur une erreur que j’ai commise lors de cette première
année d’enseignement. Les auteurs ont parlé de validité des savoirs, selon leur niveau de
formulation, en fonction de champs de validité précis, c’est à dire en d’autres termes, que
certains apprentissages scolaires ne sont pas complets et exacts, mais restent généraux en
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fonction du niveau scolaire et que l’approfondissement des notions se fait d’une année à
une autre par rupture. N’étant pas consciente de la limite du savoir, j’ai introduit en classe
de cinquième, le mot dioxygène (au lieu d’oxygène) avec sa formule chimique (O2) et
dioxyde de carbone (au lieu d’oxyde de carbone),avec sa formule chimique (CO2), alors
que les élèves n’avaient pas encore pris les formules chimiques et la notion d’atome en
chimie…La lecture de ce chapitre me permettra de corriger cette erreur l’année prochaine
avec la nouvelle promotion : puisque les élèves n’ont pas encore abordé la notion
d’atome en chimie, le terme scientifique exacte ne doit pas apparaître que quand il peut
prendre du sens, c’est à dire, quand les élèves entreront dans un champ de validité
permettant d’intégrer ce terme scientifique pour ce qu’il représente réellement. Cela se
fera par rupture dans les années qui suivront : l’oxygène que vous avez étudié l’année
passée est nommé, en réalité, dioxygène, car les scientifiques s’appuient sur une certaine
logique liée à la formule chimique de sa molécule, etc…
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Bibliographie :
•
De Vecchi et Carmona-Magnaldi, 2003, faire construire des savoirs
scolaires, Paris, Hachette.
•
1999, L’échec scolaire, Essais sur l’éducation, Ergo presse.
•
André Giordan, Février-mars 1996, Les conceptions de l’apprenant, Sciences
Humaines, hors série numéro 12.
•
Le Guerrier pacifique, Dan Milan.
•
Ma langue au chat, Philippe Geluck.
•
D’au dessus de la mêlée, Romain Rolland.
•
La Chronique des Pasquier, Georges Duhamel.
•
Main courante, Maurice Chapelan.
•
L’échec scolaire, Françoise Dolto.
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