iufm de bourgogne comment rendre la parole de mes eleves

Transcription

iufm de bourgogne comment rendre la parole de mes eleves
IUFM DE BOURGOGNE
PARIS Hélène
Professeur certifié, deuxième année d’IUFM
Collège le Petit Prétan
71640 GIVRY
COMMENT RENDRE LA PAROLE DE MES ELEVES
CONSTRUCTIVE ?
Directeur de mémoire :
Pierre-Alain CHIFFRE, formateur à
L’IUFM de Chalon sur Saône
PARIS Hélène
Stagiaire PLC2 Lettres Modernes
Année Scolaire 2003-2004
Numéro de dossier : 03STA16031
SOMMAIRE
INTRODUCTION……………………………………………………………………. p 3
I/ Une classe hétérogène, mais motivée et motivante……………………... p 5
1) Présentation de l’établissement et de ma classe……………………………. p 5
2) Comportement de cette classe durant les cours de français………………… p 6
3) Problèmes rencontrés ……………………………………………………… p 7
II/ Mise en place d’une pédagogie de l’oral…………………………………... p 10
1) Mise en place d’un nouveau schéma de communication ………………………… p 10
2) Le rôle de l’enseignant……………………………………………………………. p
a) nécessité de connaître ses élèves ……………………………………... p
b) maîtriser ses supports et sa parole ……………………………………. p
c) motiver et respecter la parole de ses élèves ………………………….. p
d) Savoir improviser et reformuler ……………………………………... p
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III/ l’apprentissage par l’autonomie…………………………………………. p 21
1) Un enseignement en plusieurs phases …………………………………………….. p 21
2) L’enseignant comme médiateur …………………………………………………... p 24
3) Les relations humaines dans « un apprentissage par l’autonomie » ………..……… p 29
IV/ Bilan de ces deux pédagogies ………………………………………………... p 31
1) Mise en application de ces pédagogies dans ma classe ………………………….. p 31
2) Ouvertures et prolongements de ces pédagogies ………………………………… p 33
CONCLUSION ………………………………………………………………………….. p 36
BIBLIOGRAPHIE …………………………………………………………………………p 38
ANNEXES
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INTRODUCTION
Si l’on considère qu’aujourd’hui l’élève doit se situer au centre de tous les
apprentissages, il ne peut alors plus être considéré comme un simple écolier, mais devient un
individu-apprenant. Il faut donc réussir à inculquer, certes un savoir, mais le faire de façon
pédagogique et individualisée. Bruno Ollivier constate que « informer » veut dire en premier
lieu « mettre dans une forme », soit « former »1. Ainsi la « formation » relève de
« l’information ». On éduque donc l’élève afin de le préparer à quelque chose de plus vaste
que l’acquisition de connaissances. Le caractère de l’apprentissage scolaire va ainsi au-delà
d’une simple transmission de savoirs : il faut que l’élève puisse se forger sa place dans la
société et comprendre tout l’avantage de sa formation scolaire. Pour cela, il faut inculquer,
enseigner, sans pour autant laisser l’élève dans un rôle de réception passive. La
communication, l’échange d’idées au sein de la classe est alors primordial pour éviter le rôle
passif de l’élève, le motiver et lui permettre d’apprendre de façon plus efficace. C’est ce que
constate Bruno Ollivier, dans le même ouvrage, en remarquant que les effets produits sur le
destinataire relèvent de la communication. Cependant, il évoque une nuance capitale :
« répétition ne signifie pas compréhension », et « réception d’une information ne signifie pas
décodage de cette information » .
Ainsi, communiquer, ne se limite donc pas à un simple échange de parole ou à une
lancinante répétition. La communication intervient dans le cadre plus large de la formation et
de la socialisation. La question qui se pose maintenant est de réussir à instaurer dans sa classe
un climat d’écoute et d’échange, tout en inculquant des notions scolaires. Comment mettre en
place, dans ma classe, une situation de travail qui respecte l’élève et sa parole, tout en me
conformant aux Instructions Officielles ? Le programme à suivre est en effet assez lourd pour
s’inquiéter du respect des textes lors de la mise en place d’un schéma de communication au
sein de ma classe.
Si l’on se réfère à l’accompagnement des programmes du cycle central, on constate
notamment qu’il « réaffirme l’importance de l’oral en lui accordant une place équivalente à
celle de l’écriture et de la lecture »2. Le travail de l’oral vise à faire acquérir une bonne
maîtrise des discours, une adaptation à son interlocuteur lors d’une situation de dialogue, ainsi
que la capacité à parler devant un auditoire ( récitation, exposé,…). Cependant cet
accompagnement reste lucide sur les difficultés liées à l’enseignement de l’oral : « difficulté à
faire reconnaître comme objet de travail ce qui participe aussi intimement à leur vie
quotidienne […] difficulté à gérer des activités nécessairement individuelles dans un
enseignement collectif ».
Robert Guicheny3 considère comme primordiale la place de l’oral dans
l’enseignement scolaire. Pour lui, l’heure de cours est « un vol qui dure cinquante à cinquante
cinq minutes », où l’élève s’exprime et est écouté, car « l’élève n’est pas qu’un auditeur ou un
copiste » et « l’enseignant n’est pas un conférencier ».
1
Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, Hachette Education, 1992.
page 118 des programmes et accompagnement du collège en français.
3
Robert GUICHENY, Elèves actifs, élèves acteurs, Série « dispositifs », dirigée par Jean-Michel
ZAKHARTCHOUK, Repères pour agir, CRAP Cahiers Pédagogiques, CNDP réseau, CRDP de l’académie
d’Amiens, 2001.
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La parole de l’élève doit donc être libérée et, avant tout, prise en compte. C’est dans
cette optique que j’ai choisi de travailler. Le véritable problème qui se pose maintenant est
celui de l’importance de cette parole. Qu’elle soit encouragée, oui, qu’elle soit libre, oui, mais
est-elle pour autant intéressante dans une approche pédagogique ? Les élèves, s’ils sont
sollicités, parlent mais cette parole est-elle toujours constructive au niveau scolaire ? Il paraît,
en effet, bien difficile de laisser libre cours à des remarques d’élèves sans dévier de l’objectif
fixé pour la séance de travail ou sans dépasser le temps imparti pour chaque séance.
L’objectif principal est donc, certes, de valoriser la parole mais également de la
canaliser, pour qu’elle participe d’un but pédagogique.
Comment donc, dans ces conditions, rendre la parole de mes élèves constructive ?
Après une brève présentation de la classe, de son hétérogénéité, mais également de sa
volonté de s’exprimer, je présenterai une pédagogie en deux phases pour tenter de répondre à
l’objectif que je me suis fixé. Tout d’abord, une pédagogie de l’oral, où l’enseignant guide,
facilite, motive la parole tout en la recadrant. Puis, le professeur tentera de s’effacer pour
n’être plus qu’un simple médiateur et laisser les élèves construire eux-mêmes leurs savoirs.
Nous verrons à partir de là quel bilan en tirer, à la fois du point de vue de l’élève, mais aussi
de celui de l’enseignant.
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I/ UNE CLASSE HETEROGENE, MAIS MOTIVEE ET
MOTIVANTE
Après une brève présentation de la classe et de l’établissement, nous verrons quelle est
l’attitude des élèves en cours de français, ce que cela a de motivant, mais également de
pénalisant et de déstabilisant pour un professeur. Nous tenterons alors de dégager les causes
principales de ce problème, pour tenter d’y trouver une solution.
1) Présentation de l’établissement et de ma classe
J’enseigne cette année au collège Le Petit Prétan à Givry, dans le département de la
Saône et Loire. Cette établissement comprend cinq cents soixante six élèves, tous issus des
communes alentours. Les parents sont très présents dans la vie scolaire, c’est peut-être
pourquoi, cette présence cumulée aux petits effectifs, il n’y a pas de problèmes majeurs au
sein de cet établissement.
Ma classe de 5ème 6 comprend vingt trois élèves, dont dix filles et treize garçons. Mis à
part trois cas de parents divorcés, il n’y a pas de graves problèmes familiaux. Les parents sont
le plus souvent attentifs au travail de leurs enfants et s’intéressent à la vie de la classe.
Certains sont cependant absents ou inexistants dans le suivi des cours et cela engendre parfois
quelques difficultés. Une mère d’élève ne parle pas français, sa fille a donc quelques
problèmes d’expression écrite ; d’autres parents démissionnent, laissant leur fille penser
qu’elle ne réussira jamais à produire quelque chose de bon au niveau scolaire. C’est donc un
problème d’hétérogénéité qu’il me faut en priorité gérer. Si l’on se réfère au diagramme des
notes du premier trimestre en français, on remarque qu’il y a une très bonne tête de classe
( huit élèves obtiennent seize de moyenne ou plus ), mais certains élèves n’obtiennent
pourtant pas la moyenne, ou sont en grande difficulté (trois élèves ont obtenu entre sept et
neuf de moyenne en français ). Notons que les devoirs du début d’année étaient relativement
simples, donc bien, voire très bien, réussis par les élèves. Il a donc fallu que je m’adapte au
niveau 5ème en premier lieu, puis au niveau de ma classe en second lieu.
Le niveau de cette classe est relativement bon, particulièrement en ce qui concerne la
lecture. Les élèves sont, pour la majorité, tous volontaires pour lire et, sauf deux ou trois cas
spécifiques, la lecture orale est fluide et agréable à entendre. La plupart comprennent
également ce qu’ils lisent et lisent chez eux des ouvrages divers ( la palme revenant à Harry
Potter ! )
Le niveau d’expression écrite est moins bon. Les règles d’orthographe ne sont pas
toujours comprises, apprises, ou appliquées. Il me faut donc essentiellement travailler
l’orthographe et le style, car certains considèrent encore la ponctuation comme facultative, et
parsèment leur copie de « alors », « et », « et puis ».
Cependant, s’il fallait résumer, je dirai que le niveau est dans l’ensemble relativement
bon mais que de gros problèmes d’hétérogénéité me forcent à diversifier mon cours et à
m’adapter à chaque élève, ce qui est, je l’avoue, un exercice assez périlleux pour un jeune
professeur.
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2) Attitude de ma classe durant les cours de français
Mes élèves débordent, pour beaucoup, d’énergie et sont souvent pleins de bonne
volonté lorsqu’il s’agit de répondre à mes questions. Ce ne sont pas des élèves dissipés. Ils
savent parler en levant le doigt. Certains oublient parfois cette règle de bonne conduite mais,
dans ces moments, les interventions ne sont pas perturbatrices ou malvenues. Cette classe est
donc relativement calme et, mis à part un élève qui oublie souvent que le tableau est face à lui
et non pas dans son dos, ou que l’on peut se faire remarquer par son professeur autrement
qu’en se mettant debout ou en renversant sa chaise, l’ambiance est studieuse et détendue.
Ces élèves participent énormément et une bonne dizaine d’entre eux est toujours
volontaire pour lire un texte à haute voix, réciter une poésie, ou simplement me donner une
réponse. Ceux qui ne lèvent pas spontanément le doigt comprennent néanmoins les questions
et savent y répondre lorsque je les interroge. Ces élèves font cependant partie des bons élèves.
Pour ceux en difficulté, il faut parfois que je motive leurs interventions en expliquant plus
précisément un texte ou en reformulant ma question. Ils arrivent alors parfois à répondre
correctement, ou simplement à s’exprimer, à donner leurs opinions, ce qu’ils n’auraient peutêtre pas fait spontanément. A l’heure actuelle, il n’y a plus que deux élèves sur les vingt trois
de la classe qui refusent de réellement participer, de lire ou de donner leur opinion. Je pense
que ce refus est dû à de la timidité et parfois à de l’incompréhension, ou du désintérêt.
Cet enthousiasme et cette envie constante de parler est un énorme atout, puisque la
classe est réceptive et très vivante, mais cela peut vite devenir un inconvénient. Il faut en effet
constamment canaliser cette parole, sans toutefois la démotiver. Je me souviens d’un cours de
début d’année où le brouhaha empêchait réellement le travail. Ma leçon de morale un peu
virulente avait choqué, et les élèves, plutôt habitués à mon caractère calme, s’étaient refermés,
repliés sur eux-mêmes et il m’avait fallu de bonnes minutes et des questions relativement
motivantes pour retrouver leur spontanéité. Je me suis donc aperçue, que cette participation
était fragile et qu’il fallait non seulement la motiver, mais aussi l’entretenir, en donnant aux
élèves l’envie de parler. Mais comment alors canaliser la parole, l’encourager et éviter les
débordements sans faire de discipline musclée ?
Cette participation, active, spontanée, naturelle pour les uns, parfois forcée pour les
autres, rend mes cours de français vivants et intéressants car le cours s’élabore parfois en
fonction de leurs réponses. Là où certains professeurs perdent du temps à attendre les
réponses, j’en perds à essayer de canaliser la parole ou de répondre à toutes les questions !
Cependant cette participation me pose parfois problème. Il faut, si je ne veux pas
anesthésier l’enthousiasme de mes élèves, me forcer à prendre du temps pour répondre aux
questions. Or cela a pour conséquence de me faire dévier de mon objectif de séance, ou
d’écourter le travail prévu, pour pourvoir respecter l’heure impartie à mon sujet.
Cette incapacité à concilier participation et suivi des objectifs de séances vient de trois
problèmes fondamentaux dans la gestion de mes cours et de ma classe.
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3) Les problèmes rencontrés
Le premier problème est celui de l’hétérogénéité. Toutes les questions, toutes les
remarques qui me sont faites ne sont pas toutes pertinentes, ni toutes utiles pour le suivi ou le
bon déroulement du cours. Mais puis-je décider, en tant que professeur, quelles remarques
sont valables ou non ? Mon statut me permet-il de répertorier ou classer les questions ou les
réponses de mes élèves comme « bonnes » ou « fausses » sans, logiquement, cataloguer ou
étiqueter les élèves eux-mêmes ? Ces interrogations m’ont poussée à ne pas faire, au début, de
distinction entre une bonne et une mauvaise question et je me suis efforcée, en m’armant
parfois de patience, je l’avoue, à répondre à toutes. Néanmoins, devant la brièveté des heures
de cours et voyant les visages découragés des élèves qui avaient compris la leçon depuis bien
longtemps, je n’ai pu que me rendre à l’évidence : je ne pouvais faire en sorte de répondre à
tous. Pourtant, il n’était pas question de laisser des élèves dans l’incertitude ou
l’incompréhension. Quel compromis trouver alors ? J’ai donc, dans un premier temps, établit
une hiérarchie dans les questions. Mais était-ce toujours la bonne ? Par exemple, je me suis
aperçue, un jour, lors d’une simple question de grammaire, qu’une élève ne savait pas ce
qu’était l’infinitif d’un verbe. J’ai donc pris cinq minutes pour lui réexpliquer rapidement une
chose qu’elle aurait dû savoir depuis déjà bien longtemps. Je n’avais pas beaucoup plus de
temps à lui accorder et cette durée ne lui a pas particulièrement servi puisque je voyais bien
que l’incompréhension demeurait. Je ne pouvais cependant pas régler cette question, faute de
temps dans mon cours et, problème inhérent à l’établissement, n’ayant pas mes élèves en aide
individualisée, mais ceux de collègues. La façon dont j’ai géré ce problème est en effet peu
concluante : cinq minutes en moins pour mon cours et des explications rapides et peu
convaincantes qui n’ont pas tellement servi à l’élève.
Par ailleurs, choisir de « bonnes » questions, celles qui, pour moi, me permettent
d’avancer dans l’objectif que je me suis fixé, sont souvent le fruit des bons élèves de la classe.
Or un élève qui a déjà du mal à lire ou à comprendre un texte, peut-il trouver un profit
quelconque dans la réponse à une question spécifique et bien ciblée ? Par exemple, lors d’une
leçon de grammaire sur la concordance temps simples et temps composé, nous étudiions la
formation imparfait / plus-que-parfait, quand une élève m’a parlé de la concordance passé
simple / passé antérieur et futur simple / futur antérieur. Certains élèves n’ayant déjà pas bien
compris le mécanisme, ont été paniqués par cette remarque, pourtant très bonne. J’ai alors
surpris la remarque désabusée d’un garçon « je suis vraiment nul, je ne comprends rien ».
Ainsi, cibler les questions, répondre, rebondir sur toutes les remarques, peut être
pervers, voire démotivant pour des élèves peu sûrs de leurs connaissances.
Le second problème que j’ai rencontré venait d’une mauvaise gestion de mes supports
de travail. J’ai bâti une séance, lors de ma deuxième séquence, sur le texte informatif
( Annexe 1). Le support m’avait semblé adapté et approprié à cette leçon. Ce support se
composait d’un groupement de textes qui devait illustrer une séance sur le texte informatif.
J'
avais trouvé ce support intéressant car écrit au présent de vérité générale et, pour moi, il
représentait bien ce qu'
était un texte documentaire : un écrit qui donne des informations
générales et valables pour tout objet présenté. Or, lors de cette présentation du support, après
avoir fait lire les différents textes, j'
ai interrogé les élèves sur ce qu'
ils avaient retenu de ces
lectures. Puis j'
ai relié cette séance à mon objectif de deuxième séquence : "savoir différencier
les différents discours". Je leur ai donc demandé s'
ils savaient à quel type de texte
correspondait ce document. Plusieurs mains se sont alors levées et certains m'
ont répondu
"une description". Je leur ai alors répliqué par la négative mais, au moment de justifier ma
réponse, je me suis sentie embarrassée : ces textes correspondaient en effet à une description
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informative. J’ai alors tenté de garder contenance en leur montrant que, le présent de vérité
générale étant employé, cela ne pouvait pas correspondre à de la description pure ( vaste
erreur !!…. ).
Je leur ai donc relu le texte en insistant lourdement sur les verbes pour leur montrer
l’importance de ce temps et pour qu’ils arrivent à l’identifier. Or, la seule remarque qui a pu
m'
être faite, était que ce document était écrit à la première personne du singulier. Cette
remarque était pourtant intéressante mais, ne me sentant plus du tout sûre de moi par rapport à
ce support, j’ai complètement occulté la réponse, lui disant que cela n’avait pas d’intérêt pour
le cours. Grossière erreur, mais cela a été le seul échappatoire que j’ai trouvé !! Je me suis
donc sentie basculer de plus en plus dans une forme d'
incohérence par rapport à ce type de
discours et j'
ai dû finalement répondre moi-même aux questions que je posais, car mes élèves,
toujours indécis, ne participaient presque plus, ne comprenant vraiment plus où je voulais en
venir! Je crois que mon principal problème était le choix du support. Il m'
avait pourtant paru
adapté et clair, mais les questions déstabilisantes de mes élèves ainsi que mon incapacité à
défendre mon document ont rendu ce cours assez rébarbatif et ont démotivé les élèves, qui
n'
ont pas manifesté un enthousiasme démesuré pour participer lors de cette séance! Leurs
questions sont également restées sans réponse, puisqu'
à la fin je les occultais pour pouvoir
poursuivre une explication somme toute chaotique, selon une optique initialement choisie. Je
ne réutiliserai donc plus ce groupement de textes, si ce n'
est dans une séance sur la description
informative!
Une mauvaise connaissance des supports m’avait fait commettre la même erreur
quelques semaines auparavant, lors d’une séance sur le langage de la bande dessinée, durant
la première séquence. Les élèves devaient compléter une bande dessinée chez eux ( Annexe
2). Lors de la correction en classe le matin, je demande aux volontaires de me lire à haute
voix ce qu'
ils ont fait. Je vérifie le style, s'
il n'
y a pas d'
incorrection et si les personnages, ainsi
que le contexte ( l'
arrestation de la Castafiore lors d'
une représentation à laquelle assistait le
général Tapioca ) ont été respectés. Ce que j'
entends me paraît correct et je décide de
continuer ma séance suivant l’objectif que je m’étais fixé. Guillaume lève alors la main pour
me dire que, lui, a choisi de montrer la joie du Capitaine Haddock et non l'
inquiétude par
rapport à cette arrestation, comme tous les autres élèves l'
avaient fait. A ce moment, je n'
ai
pas accordé l'
attention nécessaire à cette remarque et j'
ai simplement dit : "Tu as aussi raison,
on pouvait interpréter la bande dessinée de plusieurs façons." Ce n'
est qu’au moment de la
correction que je me suis rendue compte que cette remarque était en réalité la seule solution
possible pour interpréter les paroles du capitaine. Je n'
ai donc pas su rebondir sur cette bonne
réplique pour améliorer la correction et faire prendre conscience aux autres que la bande
dessinée est autant une lecture du texte qu'
une interprétation des images. Ayant toujours moimême accordé beaucoup d’attention aux textes écrits, je n'
ai pas l'
habitude de m'
intéresser aux
images et je n'
avais pas assez étudié ce support pour pouvoir répondre correctement aux
questions et aux attentes de mes élèves.
Le troisième problème vient de la préparation de mes cours. Je consacrais en effet,
beaucoup de temps à rédiger un cours propre, qui me rassurait, m’offrant des réponses toutes
faites ( écrites en italique ) et des séries de questions très détaillées, auxquelles je me fiais
religieusement ( Annexe 3 ). J’attendais souvent une réponse et, si cette réponse n’était pas,
presque mot pour mot, identique à la phrase qui se trouvait dans mon cours, je faisais
reformuler les propos. Les élèves n’avaient donc pas la possibilité de s’exprimer, ou de
formuler des réponses qui, mêmes incorrectes, pouvaient offrir des pistes pour amener à la
réponse désirée. Je me suis donc forcée à concevoir des cours moins travaillés et moins
rédigés pour pouvoir, dans un exercice de style périlleux, rebondir sur des remarques qui, au
final, viendront nourrir mon cours. Je me suis efforcée de préparer mes cours de façon moins
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détaillée, de manière à pouvoir m'
éloigner de mon support, sans avoir l'
impression d'
aller
totalement à l'
encontre de mon objectif de séquence ou de séance. Une part d'
improvisation
est, je pense, nécessaire et cela permet de laisser les remarques de mes élèves alimenter mon
cours, sans pour autant le perturber. Ils doivent pouvoir être acteurs, non pas dans la
réalisation, mais dans le déroulement de ma séance. Cependant, des réponses abruptes et
limitées à leurs questions ne résoudront pas le problème.
Comment donc répondre à toutes les questions de mes élèves sans en pénaliser
certains, sans ennuyer les uns et démotiver les autres ? Quelle stratégie pédagogique adopter
pour pouvoir gérer la parole de mes élèves tout en menant mon objectif de séance à bien, pour
ne frustrer ni ne décourager les élèves dont les remarques sont incorrectes, ou tout simplement
inadaptées à la séance ?
Après réflexion, je pense que le problème ne vient pas, et ne peut pas venir des élèves.
C’est au professeur d’apprendre à gérer son cours. Si les élèves participent de façon
spontanée, c’est une chance. Il faut donc en profiter pour rebondir sur ces remarques et
motiver la parole, mais la motiver dans le sens de l’objectif de séance. Pour conclure, c’est
donc au professeur de cibler les bons objectifs à atteindre, mais aussi d’y adapter ses supports
et de poser les bonnes questions. L’enseignant devient la clé du bon fonctionnement de son
cours.
J’ai donc choisi de mettre en place dans ma classe une pédagogie en deux temps, pour
me permettre de m’adapter à mes élèves et de leur donner confiance en eux, afin qu’ils
expriment leurs opinions et leurs visions des choses.
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II/ MISE EN PLACE D’UNE PEDAGOGIE DE L’ORAL
L’enseignant va donc devoir gérer la parole de ses élèves, la guider et la faciliter. Il
sera intéressant de mettre en place une pédagogie fonctionnant sur le mode de la discussion,
où l’enseignant devient presque « metteur en scène », puisque de lui dépend le bon
fonctionnement de son cours. Son rôle est primordial : tout en maîtrisant ses supports et le
niveau de ses élèves, il devra motiver et respecter leur parole, savoir reformuler leurs
remarques et improviser.
Ainsi, dans un premier temps, cette pédagogie repose sur l’organisation de la séance
et la capacité à guider les remarques d’élèves.
1) Mise en place d’un nouveau schéma de communication
Daniel Martin4 s’est penché sur le problème de la communication au sein de la classe
et a comparé deux modes de fonctionnement d’un cours. L’un, plutôt traditionnel,
fonctionnant sur le mode de la récitation, l’autre, plus avant-gardiste, se fondant sur le
principe de la discussion. Daniel Martin se demande en effet, si apprendre ce n’est pas
« d’abord donner l’occasion aux élèves de se poser les bonnes questions avant d’élaborer des
stratégies qui leur permettront de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés ».
Il réfute le modèle de cours où l’adulte pose une question à la classe, un élève y
répond ensuite, puis le maître évalue la réponse et pose une autre question à toute la classe. Il
préfère donner à l’enseignement le but de « faire des élèves des experts non seulement dans
l’art de répondre aux questions, mais aussi et peut-être avant tout dans celui d’en poser ! ».
Cet auteur cite DILLON, pour qui ce type d’échange est proche de la « discussion ».
Le maître joue un rôle de « catalyseur en proposant aux élèves des situations et des activités
créant un contexte favorable à l’acquisition des savoirs et des savoirs-faire ».
Daniel Martin, pour appuyer l’idée qu’une classe doit reposer avant tout sur l’échange
enseignant-élève, a établi une comparaison entre une classe fonctionnant sur le mode de la
récitation et une autre fonctionnant sur le mode de la discussion ( Annexe 4 ). Il en résulte
que, dans une classe fonctionnant sur le mode de la discussion, le temps de parole du maître
est moins long, que les élèves prennent plus facilement la parole et la gardent en moyenne 25
secondes contre 4 secondes dans une classe fonctionnant sur le mode de la récitation. Les
élèves dialoguent également plus facilement entre eux ( 94% contre 6% au sein d’une classe
fonctionnant sur le mode de la récitation). L’enseignant est alors beaucoup plus discret.
Les types de questions varient également. Une classe fonctionnant sur le mode de la
récitation préfèrera des questions « de niveau cognitif bas », qui font appel aux connaissances
de base des élèves ainsi qu’à leur mémoire, du type « combien font 87+65 ». La classe
fonctionnant sur le mode de la discussion préfèrera, à 87%, des questions « de niveau cognitif
4
Daniel MARTIN, (Méta)communiquer pour apprendre, c’est faire de l’oral à plein temps, dans Parole étouffée,
parole libérée, fondements et limites d’une pédagogie de l’oral. Techniques et méthodes pédagogiques,
DELACHAUX et NIESTLE, sous la direction de Martine WIRTHNER, Daniel MARTIN, Philippe
PERRENOUD.
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élevé », qui mobilisent les capacités à inférer, spéculer ou encore faire des synthèses, du type
« comment faites-vous lorsque vous êtes confrontés à un nouveau problème ? Quelles sont les
solutions possibles ? ». Ces questions favorisent la prise de conscience des démarches
utilisées par les élèves et stimulent l’élaboration de procédures efficaces.
La relation fondée sur la récitation entraîne toujours un jugement qualitatif : c’est juste ou
c’est faux. Il y a constamment une évaluation de la part de l’enseignant. Le mode-discussion,
dans la mesure où elle crée des interventions des élèves plus nombreuses et plus complexes,
crée un contexte favorable à l’apprentissage.
Selon Philippe PERRENOUD5, le maître parle beaucoup plus que ces élèves, et même
lorsque ceux-ci ont la parole, il reste l’organisateur des conversations légitimes. Il pose des
questions, met l’élève en demeure d’y répondre, de suggérer des hypothèses, de faire des
propositions. L’enseignant décide de répondre ou non à leurs interventions spontanées.
Philippe PERRENOUD regrette cependant que le temps de parole ne soit pas égalitaire. Les
élèves, certes, s’expriment, mais cela ne participe pas d’une pédagogie de l’oral. Il constate
également avec regret que chaque intervention d’un élève est l’objet possible d’une évaluation
et d’une intervention normative « répète après moi.. », « essaie de nouveau… ». L’enseignant
doit donc savoir gérer la situation de communication et la relation. P. PERRENOUD parle
d’une « pédagogie de l’oral », ce qui correspond pour lui au fait d’ « entrer dans l’analyse de
la dimension communicative actuelle ou virtuelle de toutes les situations didactiques et de
tous les moments de fonctionnement d’une classe »
Cette pédagogie de l’oral doit déboucher sur une prise de conscience des faits et processus de
communication.
Cet auteur cite PASQUIER et STEFFEN qui distinguent des situations-jeux ( accèdent
à l’imaginaire, à la simulation, à l’exercice ludique (le langage est mis en jeu dans un
processus de communication qui lui donne du sens) ), des situations-projets ( qui relèvent de
la pédagogie de projet et de l’école active et interactive ( l’enseignant doit très bien gérer et
maîtriser l’ensemble de l’activité) ), des situations-fonctionnement ( qui participent de la
gestion globale du groupe-classe et du rapport pédagogique ( conseil de classe, animation
d’un coin lecture dans la classe,…) ). Il y a donc des moments où l’on fait explicitement de
l’oral et d’autres où les élèves n’ont pas le sentiment de réellement travailler l’expression
verbale. C’est cette diversité de l’oral qui va créer l’apprentissage, voire même l’envie
d’apprendre.
J’ai tenté de mettre en place ces trois « situations » au sein d’une séance consacrée à la
description d’un tableau de Renoir : Le Banquet des canotiers. Une première heure de cours a
été consacrée à l’organisation de la description. La deuxième heure a consisté à décrire le
tableau à l’oral. Ce travail a donné lieu à une retranscription écrite. Cette heure de cours
permet à la fois de mettre en application ce qui a été dit le matin et de me lancer un défi : être
capable de construire mon cours en fonction des remarques de mes élèves. Je leur ai d’abord
demandé de me dire tout ce qu’ils voyaient sur cette image. J’ai inscrit les éléments de
réponse au tableau, dans l’ordre où les élèves les énonçaient, sans logique apparente. Puis,
après leur avoir fait dresser le bilan de la séance précédente, nous l’avons mise en application
et organisé les remarques précédentes selon un ordre choisi : du plan général au point de
détail. Ainsi, tout en les guidant à travers un questionnement afin qu’ils ne dévient pas trop de
l’objectif initial, nous avons organisé les éléments inscrits au tableau afin de leur construire un
plan de rédaction.
« La situation-jeux » vient du support inattendu pour les élèves, peu habitués à la culture
picturale en cours de littérature. La description des éléments composant ce tableau s’est faite
avec la classe entière, chacun renchérissant sur les remarques des autres. « La situation5
Philippe PERRENOUD, Bouche cousue ou langue bien pendue ? L’oral entre deux pédagogies, dans Parole
gelée, parole libérée, ib idem.
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projet » vient de la finalité de cet exercice : une rédaction. Enfin, « La situationfonctionnement » vient de la participation active de la classe entière. Cette phase d’oral était
primordiale pour la construction de mon cours. Les élèves y ont adhéré avec assez
d’enthousiasme, sans avoir l’impression de « faire de l’oral » et, pourtant cet exercice a donné
lieu à des reformulations, des corrections grammaticales ou lexicales, parfois par le
professeur, parfois par les élèves eux-mêmes, et entre eux. D’où, un excellent moyen de
corriger le vocabulaire et la conjugaison, bien plus plaisant que la dictée !
Le rôle de l’enseignant est donc primordial. Il doit inciter ses élèves à parler, tenir
compte de leurs remarques pour construire son cours avec eux. C’est à lui que revient le
devoir de gérer la situation de communication : il doit guider ses élèves dans leurs
raisonnement, tout en prenant en compte leurs remarques dans la construction de sa séance.
Pour cela , un cours ne doit pas être universel mais personnalisé : le professeur enseigne à une
classe spécifique, il doit donc adapter son cours aux élèves qu’il a devant lui. L’évaluation
n’est pas toujours nécessaire et le côté attractif d’un cours permet souvent d’obtenir de
l’attention et du sérieux de la part des élèves.
Cependant, la responsabilité ou le devoir d’un enseignant reste plus vaste.
2) Le rôle de l’enseignant
L’enseignant doit gérer sa classe. La responsabilité d’un cours vivant et profitable aux
élèves lui incombe. Parmi ses nombreuses responsabilités, on compte celle de bien connaître
ses élèves afin d’adapter le niveau de sa séance, ou tout simplement la difficulté des questions
à poser. Il doit, en outre, maîtriser ses supports, motiver la parole de ses élèves et surtout la
respecter. Il doit être capable de s’adapter à sa classe, reformuler les assertions de ses élèves,
savoir rebondir sur leurs remarques, d’où pouvoir improviser, faire preuve de souplesse et
d’adaptation.
a) Connaître ses élèves
La difficulté de la préparation d’un cours vient souvent du fait qu’il faut pouvoir
l’adapter à ses élèves. L’objectif d’une séance ne pourra être le même pour une classe vive et
dynamique, que pour une classe plus lente à travailler et dont le niveau est plus faible.
Pour Claude MAYOR6, l’enseignant est « un meneur de jeu ». Il garantit aux règles
mises en place un minimum de stabilité, de souplesse et de cohérence. L’élève doit pouvoir
écouter, argumenter, construire. Or, pour que cette attitude pédagogique soit bénéfique,
l’enseignant doit savoir à qui il s’adresse, à qui il fixe les règles et les objectifs
d’apprentissage.
Pour Philippe MEIRIEU7, le rôle de l’enseignant est de faire émerger le désir
d’apprendre : il doit « créer l’énigme », ou plus exactement « faire du savoir une énigme ».
L’élève doit entrevoir l’intérêt et la richesse. Il réfute la « pédagogie bavarde » qui en dit
souvent trop. Pour créer cette énigme, l’enseignant doit identifier ce que les élèves savent ou
6
Claude MAYOR, L’expression orale dans des situations simulées : les règles du jeu, dans Parole gelée, parole
libérée, ib idem.
7
Philippe MEIRIEU, Apprendre,… oui, mais comment ?, Collection Pédagogiques, ESF éditeur, 1987.
12
savent faire. La proximité avec l’élève est primordiale. Il constate par ailleurs que
« apprendre est une opération curieuse où la mobilisation des acquis permet leur
enrichissement ».
Pour lui, comme pour Daniel MARTIN, la « pédagogie de la réponse » est « une pédagogie
de l’aléatoire ». ( apprendre des listes par cœur, mémoriser des textes littéraires,…. )
J’ai donc tenté d’évaluer le niveau de mes élèves avant de me lancer dans la
préparation de mes séquences et, au fur et à mesure de l’année, dans l’enchaînement de mes
séances.
C’est pourquoi, le six Septembre, jour de rentrée, je leur ai proposé un long questionnaire afin
de les connaître davantage et de leur prouver que je m’intéressais à eux en dehors de la salle
de classe ( Annexe 5 ). Puis je leur ai demandé de me rédiger un court paragraphe sur un
moment de leurs vacances qui les avaient particulièrement marqués ou sur leurs impressions
lors de cette première journée en classe de 5ème. J’ai pu me rendre compte, en lisant leurs
copies, que la présentation était soignée, l’écriture ( le tracé des lettres ) relativement correcte.
Je n’ai donc pas eu à revenir sur des questions de méthode, notamment en ce qui concerne la
présentation d’un devoir, lors des premiers cours
Durant la deuxième heure de cours, j’ai choisi de mettre en place une longue évaluation de
grammaire et de conjugaison. J’ai ainsi constaté qu’ils ne maîtrisaient pas la voix passive et
qu’il fallait revenir sur la question de l’attribut. Ce dernier a été revu lors d’une correction de
rédaction et à l’intérieur de la leçon sur l’organisation de la description, qui traitait notamment
de l’adjectif.
Cette évaluation initiale m’a également permis de me rendre compte de nombreuses
lacunes en conjugaison. Des rappels, sur les temps de l’indicatif notamment, vont donc
occuper une place primordiale dans l’organisation de mes cours. Cependant, il me faut encore
faire face à des questions sur lesquelles je ne peux malheureusement pas toujours m’arrêter :
par exemple : « qu’est-ce qu’un infinitif ? » ou encore « quelle est la différence entre un
participe passé et un verbe conjugué ? »
J’essaie donc d’adapter le niveau de mes cours à mes élèves afin d’anticiper au maximum
leurs questions, leurs remarques. Cela évite alors de perturber la continuité de mon cours pour
répondre à leurs interrogations, ou de donner des réponses trop succinctes, voire ne pas
donner de réponse à leurs questions, afin de terminer mon objectif de séance dans les temps.
Un bilan de mes cinq premières séquences, avant les vacances de Noël, m’a permis de
constater que les notions d’expansions du nom ( adjectif : degré et fonction, complément du
nom et proposition subordonnée relative ) étaient comprises par la grande majorité des élèves,
mais que des difficultés subsistaient dans l’emploi du passé simple et de l’imparfait à la
première personne du singulier. La terminaison -ais vient comme une évidence ! J’ai donc
décidé de ne pas attaquer la rentrée scolaire au mois de Janvier par la conjugaison et l’emploi
du subjonctif, mais de faire de nouveau un rappel sur les temps de l’indicatif lors de la
sixième séquence. Le subjonctif sera étudié lors de ma septième séquence.
Pour André GIORDAN, Françoise et Jack GUICHARD8, il est nécessaire de
comprendre quelle est la façon de raisonner de nos élèves, leurs cadres de référence. Cela
permet de mieux cibler les objectifs à atteindre. « Les conceptions des apprenants ne sont ni
évidentes, ni transparentes », affirment-ils.
Il faut donc observer ses élèves, leurs actions et surtout leur parole. On peut également
interpréter leurs écrits. Ils établissent une aide pour les enseignants, et notamment des
questions à se poser par rapport à deux niveaux :
8
André GIORDAN, Françoise GUICHARD, Jack GUICHARD, Des idées pour apprendre, chapitre 5 :
« comment connaître et prendre en compte les apprenants », CRDP Alpes Maritimes, 1997.
13
-
par rapport au niveau de formulation :
le ou les niveaux de lecture sont-ils cohérents avec les apprenants ?
quelles sont les références pré-requises pour comprendre les explications ?
quel est le niveau d’interprétation proposé ?
par rapport au niveau de transmissibilité :
le message est-il lisible, compréhensible, réutilisable ?
Ils concluent en ces termes : « essayer de préciser l’impact possible de votre cours ou de
votre produit en tenant compte des questions, des idées et des façons de raisonner de votre
public »
Connaître le niveau de ses élèves permet donc d’adapter le niveau de ses cours, mais
également le niveau de ses questions. Pour qu’un élève soit toujours encouragé dans son
travail, il faut savoir lui montrer qu’il peut bien faire, qu’il sait des choses et qu’il peut les
exploiter. Je traiterai cependant cet aspect dans la partie suivante car je considère qu’adapter
ses questions à ses élèves relève autant de la connaissance du niveau et des capacités de ses
élèves, que d’une bonne maîtrise des supports, ce qui permet de varier les questions et les
approches.
b) Maîtriser ses supports et sa parole
L’enseignant doit pouvoir être clair dans ses explications afin que l’information
circule correctement au sein de la classe. Il doit ainsi maîtriser totalement ses supports. Pour
Gilles LECOCQ9, « que ce soit du côté des élèves ou du côté des enseignants, la construction
et l’expression de la motivation nécessitent la mise en place de stratégies et de tactiques qui
ne doivent pas influencer le comportement humain, mais plutôt la compréhension de ce
dernier. » C’est donc à l’enseignant de bien choisir ses supports didactiques ; ils doivent
favoriser les expériences d’autodétermination ou stimuler.
« La motivation […]peut permettre […] de faire cohabiter l’individualité et la solidarité,
l’envie d’apprendre et l’envie d’enseigner , continue Gilles LECOCQ.
Ainsi il incombe à l’enseignant de ne pas anesthésier l’envie d’apprendre ou la
motivation de ses élèves. Pour cela, un matériel à la fois pédagogique, ludique et attractif est
nécessaire.
Philippe MEIRIEU10 met en place une formule : Identification =Signification
Utilisation
L’interaction Identification / Utilisation, traitée sur le plan didactique, devient alors, pour le
formateur qui conçoit la situation, l’interaction Matériaux / Consignes, et pour l’apprenant
aux prises avec la tâche, l’interaction Informations / Projet. Celle-ci est à la base même de la
dynamique de tout apprentissage.
« Un progrès n’est effectué qu’à travers une expérience qui prolonge une expérience
précédente », renchérit Philippe MEIRIEU. Ainsi la continuité dans l’apprentissage est
essentielle. Un élève doit toujours savoir où il va, en quoi consiste la leçon ainsi que les
9
Gilles LECOCQ, Si un élève motivé suffisait à influencer la motivation d’un enseignant ?, dans Construire et
entretenir la motivation, sous la direction de Georges CHAPPAZ, Equipe Hermès, Université de Provence et
CRDP de Marseille, 1996.
10
Philippe MEIRIEU, Apprendre, … oui, mais comment ?, ib idem.
14
apports futurs. Ces conditions sont essentielles pour entretenir et garder la motivation de
l’élève, son adhésion, d’où son intérêt et sa participation.
Philippe MEIRIEU constate cependant que l’éducation doit lier deux exigences
pourtant contradictoires : « Le principe de sollicitation », qui impose de mettre le sujet dans
des situations diverses et complexes, susceptibles de solliciter son attention, et « le principe
d’émergence » selon lequel l’éducateur doit faire apparaître d’une situation les savoirs et les
savoir-faire qu’il veut faire acquérir.
Les apprentissages « sont construits dans et par les activités […], que l’éducateur doit
susciter, organiser, gérer, et dont il doit aider à repérer les acquis ».
Cet auteur définit deux notions utiles dans son principe éducatif : la notion de
« Médiation », qui correspond à ce qui, dans le rapport pédagogique, relie le sujet au savoir et
sépare le sujet de la situation d’acquisition. Elle assure ainsi la transmission du savoir et
l’émancipation du sujet. Des institutions, des méthodes, des objets, des règles peuvent
constituer des médiations. La notion de « Projet », qui comprend l’attitude du sujet-apprenant,
par laquelle il se trouve en situation active de recueil et d’intégration des informations. Ainsi
intégrées et mentalisées, ces informations peuvent être considérées comme des connaissances.
L’investissement du professeur est donc une nécessité primordiale. C’est avec un
cours suffisamment préparé, suffisamment étudié et maîtrisé, qu’il pourra mettre en place un
schéma de communication efficace et productif. C’est en pouvant répondre à tout type de
questions, en réussissant à rester clair et précis dans ses réponses qu’il sera bon pédagogue.
Bruno OLLIVIER11 cite MALINOVSKI qui considère que « les mots participent de l’action
et sont autant d’actions ».
La communication au sein de la classe, l’oral au sein de la pédagogie ne sont donc pas choses
à négliger. L’information circule et prend le récepteur en considération. Pour Bruno
OLLIVIER « la communication ne consistera pas seulement à envoyer un message, mais
aussi à savoir comment il a été reçu et à le modifier en fonction des réactions du récepteur,
pour obtenir l’effet recherché. ». On appelle cela une rétroaction. On parle alors de feedback : l’émetteur doit nourrir en retour. Il n’y a alors plus un émetteur actif et un récepteur
passif, il n’y a plus une cause et un effet, mais « une circulation permanente d’informations ».
Une classe agit autant sur l’enseignant que l’enseignant sur sa classe.
Le message est cependant interprété parfois différemment par le récepteur car ils ont tous
deux leur propre système de références, de préoccupations, leur désir, leur vocabulaire.
« En face du message comme source d’information, il existe un autre message, tout aussi réel,
qui est celui que va construire le récepteur : le message interprété. », continue Bruno
OLLIVIER. Ainsi, pour lui, il ne s’agit pas de contrôler le niveau scolaire de l’élève, mais de
contrôler la construction du message et des conditions.
La formulation de l’enseignant doit donc être claire, son ton ne doit pas être méprisant, il ne
doit pas commettre d’erreur, due à une déperdition d’informations, à une mauvaise
connaissance du code lui-même (mots, tournures de phrases,…)
Bruno OLLIVIER souhaiterait mettre en place une autre structure que celle fondée sur
l’échange entre l’enseignant et ses élèves : une communication en réseaux. Cela permettrait à
l’enseignant d’écouter quel type de reformulation les élèves font du contenu qu’il leur a
enseigné. Les élèves pourront être amenés à poser des questions d’éclaircissement à
l’enseignant. Cela permettrait de déceler méprises, équivoques et malentendus. L’erreur et la
mauvaise question sont alors des atouts fondamentaux pour, en les corrigeant, permettre à
l’élève de progresser.
11
Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, ib idem.
15
J’ai donc tenté de privilégier l’oral et la circulation de l’information au sein de ma
classe, notamment lors d’une séance à objectif lecture, consacrée à l’étude de L’enfant des
manèges d’Andrée CHEDID. Après une première séance consacrée à l’étude de l’incipit, nous
étudions l’entrée en scène du premier personnage, le forain Maxime Balin. Le manège est
décrit avant le personnage. L’objectif de cette séance est de montrer l’adéquation du
personnage et de l’objet qui le représente : un manège démodé pour un personnage qui ne vit
pas avec son temps, qui hait les enfants et la modernité. Pour cela, je demande de quoi parle
l’extrait ( lecture en classe du passage ). La plupart des élèves comprennent ce qu’ils lisent. Je
leur demande ensuite par quoi débute l’extrait. Nous avons étudié la description lors de la
séquence précédente, donc tous ( ou presque tous…) sont capables de l’identifier. J’écris au
tableau les différents éléments du manège présentés dans cette description ( à chaque fois je
leur demande de me citer le texte ). Puis nous passons à la deuxième étape de cette séance :
l’apparition du personnage. On rédige sa « fiche d’état civil » au tableau : nom, prénom, âge,
situation familiale, lieu de résidence, caractéristiques physiques et morales. Les premières
questions sont destinées à vérifier que les élèves ont bien compris le texte et sont capables
d’isoler certains éléments de l’extrait. Les caractéristiques physiques et morales vont alors
être mises en parallèle avec la description du manège. C’est donc à eux de réfléchir
maintenant. Beaucoup ne voient pas le rapport. Le manège est décrit comme plein de couleurs
et le personnage comme quelqu’un de froid, gris. J’ai donc posé la question suivante :
« Lorsque vous allez à la fête foraine, êtes-vous intéressés par un manège de chevaux de
bois ? »La réponse a été claire : « Ah non, alors !! » Je leur ai alors demandé pourquoi et le
mot de « démodé » à été cité. Nous avons donc inscrit le mot sous les éléments relatifs au
manège. Je leur ai ensuite demandé quel sens ils donnaient à ce mot et, prenant en compte tout
les éléments de réponse ( de « nul » à « ancien » ) nous les avons mis en parallèle avec le
portrait de Maxime Balin. Ils ont donc compris le rapport entre le manège et le forain : la
description du manège entraîne celle du personnage : manège démodé personnage qui a du
mal à vivre avec son temps.
Cette séance a bien marché car j’ai réussi à faire circuler la parole. J’ai interrogé le maximum
d’élèves, mais je les ai interrogés en fonction de la difficulté des questions : pour une question
plutôt facile ( exemple : « quels sont les éléments du manège qui sont décrits ? » ) j’ai
davantage interrogé les élèves en difficultés. Pour une question plus difficile, par exemple :
« retrouver les caractéristiques morales du personnage et les expliquer », j’ai davantage donné
la parole à des élèves plus doués. Cela a permis à plus d’élèves de participer et d’être chacun
valorisé par rapport à la justesse de leurs réponses. J’ai également réussi à prendre en compte
toutes les opinions de la classe, notamment lors de la définition de l’adjectif « démodé », afin
de valoriser le maximum d’élèves. Je pense avoir été capable de bien mener cette séance car
je maîtrisais le support, mais aussi car j’avais adapté le cours à mes élèves, en fonction de ce
qu’ils étaient capables de faire ou d’assimiler.
J’ai pu me resservir de cette amorce pour la suite des séances de cette troisième
séquence, puisque ce fameux manège va conditionner la présentation de chaque personnage.
Il donnera lieu à la présentation de l’histoire d’Omar-Paul, le héros de la nouvelle, car il lui
servira de « logis » pour une nuit, et comme Omar-Paul a perdu le sien, cela réveillera des
souvenirs douloureux que le personnage nous livrera.
Ainsi, adapter ses supports et ses questions à ses élèves, prendre en compte toutes les
remarques, rendre les matériaux utilisés attractifs et intéressants, faire circuler la parole et
aider les élèves à construire leurs savoirs, mobiliser les acquis pour encourager les élèves à
progresser, sont autant de démarches pédagogiques primordiales pour la bonne réception et la
continuité d’un cours. L’essentiel étant d’encourager la communication, et pour cela, il faut
savoir motiver la parole .
16
c) Motiver et respecter la parole de ses élèves
Un élève motivé est un élève qui se sent concerné par l’apprentissage. Alain
LIEURY12 s’est intéressé au problème de la motivation de l’élève et en est arrivé à considérer
comme « amotivé » un élève qui ne perçoit pas de relation entre ses actions et les résultats
obtenus. Quelle que soit l’action qu’il produit, l’individu perçoit les résultats comme
indépendants de sa volonté. Cela peut donner lieu à de la résignation stable ou temporaire où
l’élève tend parfois à se dévaloriser car, démotivé, ses efforts ne sont plus payants. Cela
amène souvent une dépréciation de soi.
Alain LIEURY constate que la motivation peut revenir si « on leur présente des tâches
d’habileté requerrant une compétition modérée qui ne doit pas invoquer un stress
psychologique ou physiologique et si les récompenses pour les tâches intrinsèques ne sont pas
saillantes. Cette condition est propice à une implication de la tâche ».
Cet auteur établi une différence entre la motivation extrinsèque et la motivation
intrinsèque. La motivation extrinsèque comporte toujours une part d’autodétermination : je
fais une action dans un but précis ( par exemple : aller travailler pour gagner de l’argent). La
motivation intrinsèque prend sa source dans l’activité elle-même. Au moment où l’activité a
du sens en elle-même, l’individu trouve la satisfaction dans l’activité indépendamment de ce à
quoi l’activité va le conduire. Cette motivation est centrée sur « un plaisir de satisfaction
inhérent à l’activité ». Par exemple, si l’élève s’investit dans une activité scolaire et en
ressent un grand intérêt. Le plaisir n’est pas forcément collé à l’activité, il peut être lié au
plaisir de progresser, de viser un autre but après celui-là.
Il ne faut pas hésiter à toujours expliciter la finalité d’une activité et à continuellement
rendre l’élève acteur dans son apprentissage scolaire. Alain LIEURY cite notamment Gérard
VERGNAUD, qui considère que « le grand besoin de l’être humain, c’est l’activité ».
Mettre l’élève en activité consiste donc à le rendre acteur dans son apprentissage, soit
à motiver sa parole, à lui faire formuler ses interrogations afin de rendre le cours et les
interventions d’élèves constructifs. L’enseignant adopte donc un rôle ambivalent : il doit
motiver, mais également respecter la parole de ses élèves en la prenant en compte dans la
continuité de sa séance.
Martine WIRTHNER considère que l’échange peut être inhérent à la vie de classe et
l’élève peut aider le maître dans son rôle d’enseignant. Le maître peut alors devenir
« observateur et [peut] jouer avec la dynamique de la classe ». Cependant, il doit toujours
rester au cœur de cette dynamique pour que la relation opère.
Martine WITHNER introduit alors la notion de respecter de la parole de l’élève de la façon
suivante : « si la prise de parole peut exister sans être pénalisée par un jugement, du bruit, de
l’indifférence ou le rejet, et rendre alors tout son sens, elle devient éducative aussi, car elle
révèle l’importance des échanges dans un groupe d’individus, le maître étant à part entière
membre du groupe ».
Ces échanges, la prise en compte de l’oral permettent d’envisager la relation pédagogique
sous une dimension scolaire mais aussi humaine. Un nouveau rapport est alors instauré entre
le maître et ses élèves. Celui-ci abandonne une partie de son pouvoir, celui du « pourvoyeur
exclusif du savoir »
Elle s’appuie sur les opinions de VASQUEZ et OURY, datant de 1967, et qui considèrent
qu’il faut « tendre à remplacer l’action permanente et l’intervention du maître par un système
d’activités, de médiations diverses, d’institutions, qui assurent d’une façon continue
l’obligation et la réciprocité des échanges, dans et hors du groupe ». Plus l’échange entre
12
Alain LIEURY, Motivation et mémoire, dans Construire et entretenir la motivation, ib, idem.
17
l’enseignant et sa classe sera de qualité, meilleur sera le savoir.
Ainsi, « l’oral devient ainsi un élément important du langage ; il n’est pas objet d’étude,
mais outil qui structure l’individu, le groupe, le savoir », conclut Martine WITHNER. Le
professeur peut ainsi renoncer à vouloir ignorer la parole de ses élèves, ou renoncer à la
scolariser ( évaluation notée, leçon dirigée,…), en adoptant « une solution divergente qu’il est
seul à même d’esquisser ».
J’ai donc tenté de motiver la parole de mes élèves et surtout de toujours lui trouver un
intérêt par rapport au bon déroulement de mon cours. Je me suis efforcée de la rendre
constructive en l’insérant dans la continuité de mon objectif de séance, voire même en
nourrissant cet objectif de leurs remarques.
Une séance du mois de décembre était consacrée à la correction d’exercices. Mes élèves
devaient, à partir d’un tableau représentant un schéma de situation d’énonciation ( qui parle ?
à qui ? où ? quand ? dans quel but ? ) imaginer l’énoncé correspondant. La faute majeure a été
de me réécrire une phrase narrative, et non de rapporter les paroles de quelqu’un. Exemple :
un médecin parle, à moi, un mercredi après-midi, pour me dire de faire attention à mon
rythme de sommeil.
Phrase d’un élève « Le médecin dit à Thomas, un mercredi après midi, que je dois
faire attention à mon rythme de sommeil »
Phrase d’un autre « « Il faut vraiment que tu fasses attention à avoir un rythme de
sommeil correct ! » »
Après avoir corrigé la première phrase en prenant exemple sur la deuxième, certains élèves
« moteurs » avaient parfaitement compris la leçon. Lorsque nous avons corrigé les exemples
suivants, j’ai laissé les élèves se reprendre entre eux. Cela a donné lieu à une séance très
vivante, mais chaque élève a compris son erreur et les corrections se sont faites dans le respect
de l’autre. Lors de cette séance, je suis devenue auditrice et je n’ai eu à intervenir que pour
recadrer le cours quand il le fallait. Cette autonomie a d’abord surpris les élèves, puis les a
incité à participer et à donner leur exemple sans crainte de la faute ou du jugement.
Motiver et respecter la parole de ses élèves est donc essentiel, néanmoins il faut veiller
à ce que cette participation soit constructive et non simplement due à l’agitation. L’enseignant
doit donc pouvoir canaliser voire recadrer les interventions de ses élèves. Cela requiert une
capacité à l’improvisation et à la reformulation.
d) Savoir improviser et reformuler
Pour Philippe PERRENOUD13, apprendre à communiquer c’est apprendre à
« anticiper les réactions de l’autre […], tenir compte du contexte, des intentions et des
intérêts des acteurs en présence ». Il continue dans ces termes : « c’est face à l’événement
qu’il faut prendre le temps de s’arrêter, de s’étonner, d’analyser à chaud ». Cela impose une
capacité à l’improvisation ainsi qu’une résistance active à la tentation « de substituer un
savoir sur ( sur les actes de paroles, les niveaux de langage,..) au savoir-faire ».
Improviser signifie donc être capable de s’adapter à son public, être capable
d’innover. Bruno OLLIVIER14 considère qu’il faut « analyser pour comprendre. Innover,
chercher pour être efficace. C’est deux mouvements sont liés ». Il continue en mettant les
enseignants en garde : « sans communication, pas d’adaptation, pas de renouvellement, mais
la sclérose, l’entropie, l’ennui ».
Il faut donc sans cesse se renouveler, s’adapter à son auditoire.
13
14
Philippe PERRENOUD, Bouche cousue ou langue bien pendue ? L’oral entre deux pédagogies, ib idem.
Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, ib idem.
18
C’est dans cette optique que j’ai choisi d’étudier un passage de la nouvelle d’Andrée
CHEDID, L’enfant des manèges. Je m’étais donné comme objectif de séance d’étudier la
progression d’une action à travers un retournement de situation. J’ai fait lire le texte à voix
haute par plusieurs élèves ( un élève par personnage et un élève faisant la voix du narrateur ).
Le personnage de Maxime Balin, forain grincheux et aigri, rencontre Omar-Paul, jeune
enfant, recueilli en France par des cousins car la guerre qui ravage son pays l’a privé de ses
parents et l’a mutilé : il n’a plus son bras gauche. La rencontre entre les deux hommes est
inattendue : alors que Maxime arrive en hurlant après l’enfant qui s’est endormi dans son
manège, la situation se renverse car Omar-Paul réussit à voir au fond du personnage. Il
endosse alors le rôle d’adulte et mène le dialogue. Pour arriver à montrer à mes élèves ce
renversement, je me suis d’abord adressée à ceux qui avaient lu, en leur demandant s’ils
avaient constaté une variation de leur temps de parole au cours de leur lecture. Les autres
élèves ont ensuite donné leur avis en temps qu’auditeurs. En effet, l’enfant, plutôt intimidé au
début, devient plus prolixe à la fin. Cette habileté à parler le place sur le devant de la scène et
relègue à l’arrière-plan le personnage le plus imposant au départ. En s’intéressant ensuite aux
types de phrases, on s’est aperçu que les phrases interrogatives, d’abord dévolues à Maxime
Balin, étaient ensuite du ressort d’Omar-Paul. En étudiant ensuite l’évolution de l’attitude de
l’enfant, ( gestes, posture, regard ), je les ai amenés à comprendre que l’enfant campait
désormais une position de dominant donc, que les phrases interrogatives étaient le fruit de
celui qui menait la conversation et que le personnage qui répondait ne faisait que subir
l’influence de l’autre. Nous avons ainsi montré que la fin de cet extrait contrastait avec le
début et que la chute était donc brutale et inattendue.
Cette séance a très bien marché car, tout en laissant presque totalement la parole à mes élèves,
je les ai guidés dans la réflexion ci-dessus. J’ai réussi à m’adapter à leurs remarques ( je
voulais d’abord parler de l’attitude d’Omar-Paul, mais une remarque sur le sens d’une
exclamation de ce dernier m’a amenée à commencer par le repérage des différents types de
phrases). J’ai réussi à m’adapter à mes élèves car je connaissais parfaitement cet extrait. J’ai
ainsi pu habilement rester maîtresse du jeu, posant des questions qui découlaient logiquement
l’une de l’autre.
Savoir improviser et s’adapter à ses élèves, à leurs interrogations et leurs remarques
est donc essentiel, mais il faut savoir aussi reformuler leurs assertions afin de leur montrer un
nouvel axe de recherche, de les orienter vers la solution de leur problème, de leur montrer du
doigt un aspect qui était peut-être resté obscur ou qu’ils n’avaient pas exploité.
Pour Robert GUICHENY15, il est important, si l’on incite l’élève à parler, ou plus
encore si l’élève prend la parole de lui-même, de respecter cette parole : l’attitude du
professeur doit inciter à la communication. Il doit être attentif, ne rien faire pendant que
l’élève parle. L’enseignant doit écouter son élève jusqu’au bout, sans couper la parole. Il doit
ensuite reformuler la question pour être sûr d’avoir bien compris ce que disait l’élève et pour
que l’élève soit sûr d’avoir bien formuler sa pensée. Les devoirs d’un professeur envers la
parole de son élève consistent à « reformuler avec ses mots, savoir répondre aux questions
d’un élève, savoir poser des questions à un autre élève, donner sa représentation …. Autant
de techniques qui demandent à l’élève de faire, lui et lui seul, et simultanément de confronter
ses représentations et ses questions à celles de ses camarades. La mémorisation reste
personnelle. L’échange donne la possibilité à chacun d’affiner l’apprentissage, de resserrer
son classement et d’éliminer des problèmes que l’enseignant ne pouvait pas imaginer avec sa
vision d’ « expert » ».
J’ai ainsi tenté d’élaborer mes barèmes de notation avec mes élèves, afin de
15
Robert GUICHENY, Elèves actifs, élèves acteurs, ib idem.
19
comprendre la représentation qu’ils avaient d’un passage à l’oral noté. Les élèves étaient
répartis par groupe de quatre, pour présenter une nouvelle lue en lecture cursive parmi le
recueil L’Artiste d’Andrée CHEDID. Avant le passage du premier groupe, nous établissons le
barème à l’oral avec les élèves.
Voici le barème que j’avais initialement prévu : Travail écrit : /12
Travail construit, approfondi : / 10
Cohésion par rapport au groupe,
éventuellement panneau, affiche,… : /2
Prestation orale : /8
Clarté de la voix, diction : /6
Attitude (regard, aisance,…) : /2
Finalement, après discussion en classe, nous en sommes arrivés au barème suivant :
Travail écrit : /10
Prestation orale : /10
Mes élèves ont préféré un barème clair et équilibré entre le travail écrit et la prestation orale.
Etant donné que ce barème avait été élaboré en tenant compte des opinions de chacun et que
tous les élèves l’approuvaient, j’ai nommé des co-examinateurs ( quatre ) au passage de
chaque groupe, et j’ai tenu compte de leurs remarques pour établir la note finale. Cela a donné
lieu à un travail cohérent, reconnu comme équitable, et a contribué à rendre actif chaque élève
à chaque passage. Le travail s’est donc déroulé dans une bonne ambiance et un bon respect
des personnes.
Rendre la parole de mes élèves constructive est donc une démarche progressive et qui
demande un grand investissement de l’enseignant. En effet, de lui dépend la réussite de ce
projet ambitieux. C’est en tenant compte du public qu’il a face à lui, en se souciant de ses
attentes et de ses possibilités, en respectant les opinions de ses élèves, en prenant en
considération leurs remarques, qu’il va pouvoir faire avancer leur apprentissage. L’élève
devient donc acteur et participe à la construction et à l’élaboration de son enseignement. Le
rôle du professeur est donc multiple et il se doit de faire preuve d’une grande adaptation,
d’une grande flexibilité. Si le professeur s’investit et sait faire preuve de respect et d’écoute
vis à vis des remarques de ces élèves, ceux-ci seront davantage enclins à parler et cette parole
pourra tout naturellement être sollicitée, intégrée à une séance donc intéressante et
constructive au niveau pédagogique.
Cependant, la présence de l’enseignant est-elle réellement nécessaire ? Non pas qu’un
enseignant n’ait pas sa place au sein de sa classe, mais son rôle de détenteur exclusif du savoir
est-il bien primordial ? Ne pourrait-on envisager une classe travaillant de manière autonome,
où l’enseignant n’est plus qu’un simple « médiateur entre l’élève et le savoir 16» ? C’est ce
problème que nous envisagerons maintenant, en tentant de mettre en place un apprentissage
où l’élève essaiera de construire lui-même son savoir.
16
Marie-Louise ZIMMERMANNN, Un bilan de treize ans d’apprentissage par l’autonomie, Cahiers
Pédagogiques n°335, Juin 1995, p 52-53.
20
III/ « L’APPRENTISSAGE PAR L’AUTONOMIE »17
La deuxième phase de la pédagogie que j’ai tenté de mettre en place dans ma classe
cette année consiste à minimiser l’importance de la présence de l’enseignant dans la
transmission du savoir. Nous avons vu qu’il pouvait contrôler la parole de l’élève en la
guidant et en la réorientant si nécessaire. Cependant, pour que l’enseignement soit moins
normatif, moins vécu comme une contrainte par l’individu apprenant, le professeur doit
pouvoir s’effacer et n’intervenir que pour canaliser ou recadrer la parole de ses élèves.
L’élève construira alors lui-même son savoir, sans même parfois en avoir conscience.
1) Un enseignement en plusieurs phases
Gérard VERGNAUD18 considère que le rôle de l’enseignant n’est pas seulement de
transmettre un savoir, mais d’aider l’enfant à changer ses représentations. Il affirme qu’« il
s’agit de faire adhérer les apprenants au projet de l’entreprise ». La comparaison d’une
institution à une entreprise peut paraître audacieuse, mais elle trouve sa justification dans le
fait que Gérard VERGNAUD considère qu’un cadre et une organisation sont nécessaires à
toute entreprise, comme à toute pédagogie. Ils doivent cependant être compris et acceptés par
les élèves comme par les enseignants.
La démarche qu’il souhaite mettre en place se déroule en cinq phases :
- phase 1 : elle part du principe que les personnes sont peu compétentes et peu
motivées : l’attitude est alors directive .
- phase 2 : l’attitude devient persuasive
- phase 3 : évolution vers une attitude participative. Cette phase correspond aux
besoins de reconnaissance et d’appartenance.
- Phase 4 : La personne devient de plus en plus autonome. Le rôle de l’enseignant
n’est plus qu’une simple supervision. Cette phase correspond aux besoins d’auto
épanouissement et de réalisation de soi.
- Phase 5 : le but est de rendre l’élève plus compétent. On vise à aboutir à un
apprentissage autonome.
Ainsi l’enseignant doit d’abord motiver ses élèves. Pour cela, il faut les recadrer et leur
montrer les règles de vie de classe à suivre. Puis, l’attitude du professeur doit évoluer jusqu’à
permettre aux enfants de participer. Il explique, clarifie son projet et permet à sa classe d’y
adhérer en lui laissant la parole. Gérard VERGNAUD analyse alors cette phase comme un
besoin de reconnaissance de l’élève. Il cherche à s’intégrer au groupe-classe. Enfin, poussé
par un perpétuel encouragement à s’exprimer, l’élève devient de plus en plus autonome et
l’enseignant de moins en moins directif et planificateur.
Pour illustrer sa pensée, il regroupe ces différentes phases sous forme d’un tableau :
17
Marie-Louise ZIMMERMANN, Treize ans d’apprentissage par l’autonomie, Cahiers Pédagogiques n°335,
Juin 1995, p52-53.
18
Gérard VERGNAUD, dans Parole libérée, parole étouffée, ib idem.
21
Résignation
Phase 1
Le Directif
procédure
ordre
objectif
guidance
Le contrat est le
traitement d’une
situation
Extrinsèque
Phase 2
L’Incertain
s’explique
adhère
projette
s’informe
Mise en activité de
recherche
Intrinsèque
Phase 3
Le Participatif
dialogue
propositions
échanges
identité groupale
Le groupe-classe
accède à un certain
savoir
Phase 4
L’Explicite
autonomie
responsabilité
créativité
Phase 5
Le Contrôle
autonomie
satisfaction
créativité
supervision
L’apprenant ne sait
plus…
L’enseignant et
l’apprenant
sont ou ne sont pas
satisfaits
Conceptualisation /
Autonomie
Autonomie /
Satisfaction
Compétence
Motivation
Autonomie
Situation / Objectif
Incertitude /
Connaissance
Langage /
Construction
Gérard VERGNAUD conclut en ces termes : « la prise en compte de la dimension de
l’Autre paraît indiscutablement comme une valeur fondamentale ».
Cet auteur formule donc une théorie essentielle : l’élève est au centre de chaque
apprentissage, c’est à l’enseignant de s’adapter à son public, de le prendre en considération
afin que le savoir transmis lui soit profitable aujourd’hui et plus tard.
Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE19, quant à elle, s’est penchée sur la nécessité
du travail en projet. Nous développerons cet aspect dans le point suivant, cependant nous
pouvons d’ores et déjà remarquer qu’elle rejoint Gérard VERGNAUD dans l’établissement
d’une méthodologie du travail en projet. En effet, tout comme lui, elle prône une exigence de
rigueur et spécifie ainsi par là que rendre les élèves acteurs de leur apprentissage n’est pas
chose facile ni désorganisée. Au contraire, laisser libre cours à la parole de l’élève s’avère une
mission très difficile pour l’enseignant, car, de la même manière qu’il doit faire évoluer sa
façon d’enseigner, il doit, selon Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE :
- Clarifier ses attentes, son intention, ses intérêts et sa disponibilité.
- Préciser si le futur projet qu’il aura décidé de mettre en place sera un projet de
classe ou d’équipes.
- S’interroger sur les motivations de son projet : s’appuiera-t-il sur un thème, un
problème rencontré, un intérêt de sa classe pour un sujet,…..
- Déterminer les balises de son projet ( durée, éléments non négociables,
calendrier,… )
- Prévoir la disponibilité de certaines ressources ( bibliothèque, ordinateur,
matériel,… )
Ainsi, pour que l’enseignant puisse rendre ses élèves acteurs de leur apprentissage, il
doit au préalable mettre en place un matériel pédagogique rigoureux et s’y tenir. Rendre la
19
Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE, Le travail en projet, INTEGRA, Centre de pédagogie
transdisciplinaire, Québec.
22
parole des élèves constructive et intéressante au niveau pédagogique implique donc tout un
travail de préparation et d’organisation de la part de l’enseignant.
C’est, je pense, ce qui m’a manqué dans la préparation de mes cours au début de
l’année. Non pas qu’ils étaient mal préparés, au contraire, ils l’étaient trop et la place laissée à
mes élèves pour s’exprimer n’était pas assez grande, voire même inexistante notamment lors
de mes premiers cours. Je me suis améliorée sur ce point au fur et à mesure de l’année, mais
d’autres aspects sont aujourd’hui déstabilisants pour un enseignant. Les contraintes
matérielles et temporelles impliquent parfois une moindre qualité d’écoute du professeur.
Pressée par le temps, je laisse parfois peu la parole à mes élèves pour qu’ils puissent
s’exprimer, ou bien je ne les laisse pas s'
expliquer autant qu’ils le souhaiteraient.
Lors d’une séquence sur le Moyen-Age, où l’on étudiait Yvain et le chevalier au lion
de Chrétien de Troyes, j’ai choisi de leur faire découvrir la langue médiévale au travers de
deux textes écrits en ancien français ( Lancelot du lac, et Le Roman de Thèbes ) qui avaient
pour thème les armes des chevaliers. En fin de séquence, nous avons travaillé avec un
rétroprojecteur afin que les noms d’armes en ancien-français et en français moderne soient
marqués sur un schéma représentant deux chevaliers en train de combattre. Les élèves avaient
un polycopié chacun et écrivaient le nom des armes en même temps que je le faisais au
tableau, à l’aide du transparent placé sur le rétroprojecteur. J’avais, selon l’esprit de Suzanne
FRANCOEUR BELLAVANCE, clarifié les attentes d’un tel projet ( se familiariser avec la
langue du Moyen-Age ), ses perspectives ( intéresser les élèves et éveiller leur curiosité ), je
l’avais balisé ( séance de deux heures, en fin de séquence ) et prévu le matériel nécessaire
disponible ( un rétroprojecteur, un photocopie sur transparent et ce même dessin sur feuille en
nombre suffisant pour la classe ). Cette séance était donc parfaitement organisée.
Cependant, l’intérêt des élèves a été très vif. Le premier temps s’est très bien déroulé, mais le
second a été plus agité. Un binôme devait présenter un exposé sur les chevaliers en fin de
deuxième heure. La volonté de leur laisser suffisamment de temps m’a parfois poussée à ne
pas laisser de laps de temps convenables pour que mes élèves puissent donner leur avis sur
des textes qui leur plaisaient pourtant beaucoup. Le bilan de cette séance est donc mitigé,
puisque certes le cours était bien construit et intéressant pour mes élèves, néanmoins je n’ai
pas su suffisamment rendre leur parole constructive pour mon cours, ni convenablement
rebondir sur leur remarques pour bâtir la progression de ma séance. Peut-être aurait-il fallu
moins prévoir d’activités afin d’accorder plus de temps à l’expression, mais ce cours se
déroulant en fin de journée, j’ai craint les débordements dus aux temps non occupés.
Cette expérience me fait donc rejoindre Gérard VERGNAUD et Suzanne
FRANCOEUR BELLAVANCE : il faut beaucoup de rigueur, mais aussi d’expérience et de
savoir-faire pour réussir à rendre un élèves acteur, sans être trop actif ( la participation
enthousiaste d’un élève peut parfois se transformer en agitation ) ! La pédagogie n’est pas une
science figée, mais quelque chose qui se construit, se manie et se remanie en fonction de son
public. Il faut savoir être inventif et organisé pour pouvoir mener un projet, un objectif de
séance à bien. Intéresser l’élève, le mettre en action est déjà un grand pas de franchi dans
l’intérêt qu’il va porter à la matière, donc dans la portée pédagogique de ce cours. Dans toutes
ces activités, la place de l’enseignant est une fois encore primordiale : le but est de réussir à ne
devenir qu’un médiateur dans la transmission du savoir.
23
2) L’enseignant comme médiateur
Ce rôle sera dévolu au professeur, principalement lors de séances où les élèves sont
mis en activité, comme le travail de groupe, le travail en projet, ou les débats.
Robert GUICHENY20 définit les « missions et responsabilités du professeur », mais n’oublie
pas celles de l’élève puisqu’il déclare que « l ‘élève n’est pas qu’un auditeur ou un copiste ».
Il a donc le droit et le devoir de participer à son éducation. De la même manière,
« l’enseignant n’est pas un conférencier », il doit être un pédagogue, transmettre des savoirs
de manière active et toujours « valoriser la parole ». Robert GUICHENY insiste d’ailleurs
lourdement sur ce dernier aspect.
Il a établi un tableau, datant de Décembre 1999, où il explicite les missions et
responsabilités du professeur :
Au sein du système éducatif
M
I
S
S
I
O
N
S
I
N
S
T
R
U
I
R
E
E
D
U
Q
U
E
R
I
N
S
E
R
E
R
RESPONSABILITES
Au sein de la classe
Se former
Evaluer
( délivrance des diplômes)
Evaluer le..
Critiquer
Innover
Homogénéiser
Créer la continuité
Mesurer
Transférer, transmettre
Se former
au contact des élèves
Faire acquérir
Evaluer
Règle
(réguler, respecter la,…)
Exemple
Donner du sens
Comprendre (empathie )
Egalité
Mission
Laïcité
Entendre / écouter
Proposer
S’adapter
Respecter
Evoluer
Au sein de l’établissement
Tutorat
Projet d’école
Travail en équipe
La règle rend libre
Partage par tous
Prise en compte de tous les
partenaires
J’ai souligné en gras les points qui me semblent essentiels pour mettre en place dans sa classe
une pédagogie fondée sur l’écoute, le respect mutuel et l’encouragement à l’autonomie.
Robert GUICHENY considère également que l’attention portée à un élève ne se
décrète pas, elle se mérite. Ainsi chaque élève, bon ou mauvais, doit recevoir la même
attention de la part de l’enseignant. Pour lui, l’animation de groupe est très intéressante dans
le cas d’un élève qui ne comprend pas la leçon malgré les réexplications ( il insiste sur le fait
que cela ne correspond pas à de la répétition ). Cela permet en effet d’éviter l’abandon du
reste de la classe et incite les discussions entre élèves. Il ne faut pas « suivre chaque élève,
mais être avec les élèves » .
20
Robert GUICHENY, Elèves actifs, élèves acteurs, ib idem.
24
Le travail de groupe est donc bénéfique pour chaque élève, encore faut-il qu’il soit
organisé .
Pour Bruno OLLIVIER21, l’enseignant est unique : « il a cette possibilité d’apprendre
à apprendre à l’élève ». Pour permettre que la communication soit la meilleure possible lors
d’un travail en groupe, il faut organiser l’espace de sa salle ( par exemple disposer les tables
en cercle, ou en forme de « U »). Dans un travail de groupe, il est nécessaire de créer de petits
groupes ( environ cinq personnes ). Il considère que, dans une situation comme celle-ci, les
échanges doivent toujours être libres et l’enseignant ne doit pas être trop directif. Il est
« l’organisateur », il précise la consigne, les objectifs, la durée, « le régulateur », il intervient
en cas de conflit, encourage, avertit, « la personne-ressource », celui à qui les élèves peuvent
s’adresser quand ils ont des difficultés.
Pour permettre ce travail de groupe, j’ai choisi d’organiser un débat au sein de ma
classe. Car, comme le suggère Norbert STEFFEN22, il faut introduire « l’action et
l’interaction dans l’apprentissage ». Il continue en ces termes : « le sens donné à l’expression
des élèves n’est plus la réalisation d’un projet commun, mais l’activation de réseaux qui
multiplient les rencontres entre les gens ou leur donnent des occasions de communiquer sur
des registres moins banals ».
Lors d’un débat, la confrontation avec les autres permet de prendre conscience qu’on ne
discute pas n’importe comment, mais qu’il faut tenir compte de ce qui a été construit
collectivement ( hypothèses rejetées, procédures les plus efficaces, pour décrire,…) les élèves
font ainsi l’expérience de la « décentration ». Cela consiste à accepter de renoncer à son
hypothèse si elle se révèle peu probable ou probante, accepter de quitter une pensée
unilatérale et confortable pour coopérer avec les autres, …. Pour Norbert STEFFEN,
l’importance d’accorder du crédit à la parole de l’enfant vient essentiellement du fait que
l’adulte ignore les représentations que l’élève se fait de la réalité. L’interroger, prendre en
considération sa parole, aide donc à cerner son élève, à se rendre compte de sa vision des
choses et ainsi adapter son cours en fonction de ses représentations.
C’est pour toutes ces raisons que j’ai choisi de mettre en place un débat au sein de ma
classe. L’objectif de cette cinquième séquence était d’étudier l’insertion du dialogue dans un
récit. Après avoir étudié un texte de Poil de Carotte sur la chasse : « la Carabine », j’ai
demandé aux élèves s’ils étaient pour ou contre la chasse puis de préparer chacun cinq
arguments pour le lendemain afin de justifier leur position.
La séance suivante consiste donc en une initiation au débat, en prévision de l’année de
troisième. Cela donnera lieu à plusieurs objectifs :
- savoir écouter la parole de l’autre, la prendre en compte et la respecter.
- savoir écouter et retenir ce qui a été dit.
- savoir retranscrire un débat à l’écrit en mêlant discours direct et discours
indirect ( ce sera l’objectif final de cette séance ).
Cette séance débute par un travail en sous-groupe : les élèves se réunissent selon leur
opinion : groupe « pour » ; groupe « contre » ; groupe « mitigé ». Durant dix minutes, chacun
met en commun ses idées afin d’avoir une liste claire d’arguments. Chaque élève recopie cette
liste afin de l’avoir avec soi et de pouvoir intervenir à tout moment pour défendre son point de
vue. Je n’ai volontairement pas désigné de rapporteur pour permettre à un maximum d’élèves
de s’exprimer.
21
Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, ib idem.
Norbert STEFFEN, La communication à l’école : quelques pratiques, quelques enseignants, dans Parole
étouffée, parole libérée, ib idem.
22
25
La deuxième phase de cette séance se compose du débat lui-même qui dure vingt minutes : un
groupe commence à exposer ses idées et les autres groupes s’efforcent de lui opposer ses
arguments. Chaque groupe doit donc bien écouter afin de répondre de façon sensée à ses
adversaires et de défendre correctement son point de vue. Je tenterai de ne pas intervenir dans
cette partie.
La fin de cours est consacrée à la récapitulation écrite de ce débat (vingt minutes ) qui
donnera lieu à une préparation de rédaction. L’élève doit se souvenir de qui a parlé et des
arguments qui ont été défendus.
Au début de la séance, les groupes se sont rapidement formés en fonction des opinions.
Quatre élèves étaient pour la chasse, six élèves étaient de position mitigée et treize élèves
étaient contre la chasse. Je suis passée dans les différents groupes pendant cette mise en
commun afin d’aider les élèves (notamment le groupe de treize ) à s’organiser. Ce groupe
d’élèves, contre toute attente, est celui qui s’est le plus rapidement mis au travail et qui a su
s’organiser de façon positive. Au bout de dix minutes, les arguments étaient répertoriés. Seul
le groupe des « mitigés » n’a pas su mettre le travail en commun. La cause principale étant les
bavardages et le fait que quatre élèves de niveau assez faible n’avaient pas préparé leurs
arguments chez eux. J’ai essayé, tout au long de cette mise en commun, d’instaurer un
dialogue au sein des groupes : à chacun d’écouter les arguments de l’autre et de les inscrire
sur sa propre liste, à chacun de considérer, voire de clarifier un argument qui avait été mal
compris ou mal formulé. La dynamique de groupe a très bien fonctionné et j’ai pu jouer un
rôle de médiateur, sachant m’éclipser quand je sentais que le groupe travaillait de manière
autonome.
Le débat a ensuite commencé. Je ne suis restée que simple médiateur et ne suis
intervenue que pour recadrer certains élèves échaudés par le thème du débat, qui défendaient
avec véhémence leurs arguments en s’écartant de l’objectif premier : écouter les autres et
répondre de façon sensée aux arguments avancés. Le but de cette séance n’était en effet pas de
justifier sa position sans organisation, mais de répondre intelligemment aux arguments du
groupe opposé. Par exemple, le premier élève du groupe « contre la chasse » ne comprenait
pas que la chasse puisse être un plaisir. Le groupe « pour » a commencé par lui répondre que
« sans la chasse, les animaux allaient proliférer et cela deviendrait dangereux ». J’ai donc dû
intervenir, afin que les élèves répondent habilement à cet argument. J’avais lu avec eux leur
liste durant la mise en commun, et je savais que certains arguments correspondaient mieux
que celui avancé en premier lieu. Le groupe a donc réfléchi, et a fini par formuler le fait que,
pour certains, non seulement la chasse était un plaisir, mais qu’ils la considéraient même
comme un sport. Elle demande aptitude au tir, endurance à la marche, concentration,… Mon
rôle n’a consisté qu’à donner la parole aux différents groupes, recentrer le débat quand les
propos déviaient de l’objectif de la discussion ( par exemple, avec des remarques du type :
« tu es bien contente d’avoir un steak dans ton assiette » alors que l’élève ne comprenait pas
que l’on puisse faire souffrir des animaux et de surcroît, était végétarienne !!…..).
Au final, le débat s’est bien déroulé et les débordements n’étaient dus qu’à un réel
investissement de leur part par rapport à ce sujet. ( Cette question est en effet sensible à Givry,
ville de campagne où les habitations côtoient les forêts, terrains de chasse ).
Les élèves, voyant que ce débat donnait lieu à une rédaction, n’ont pas protesté, mais ont au
contraire étaient contents de prolonger ce débat à l’écrit, preuve de l’intérêt qu’ils ont porté à
cet exercice !
Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE23 croit en la nécessité du travail en projet,
car « un projet vise à donner une forme d’avenir proche ou éloigné, à envisager la
23
Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE, Le travail en projet, ib idem.
26
transformation d’une réalité et à imaginer une situation dont on est acteur. Un projet, c’est
ce que l’on a l’intention de faire, c’est une production en devenir, ou une action en
puissance ». Le travail en projet inscrit donc l’élève dans la production et non dans la
reproduction. Cela le force à prendre conscience du travail qu’il est en train de faire, le motive
et rend ses interventions constructives et pédagogiquement intéressantes. Suzanne
FRANCOEUR BELLAVANCE continue en disant que « travailler en projet, c’est se projeter
dans le temps, avancer vers un but que l’on s’est fixé, prévoir un certain nombre de moyens et
d’opérations pour l’atteindre, anticiper la démarche à utiliser et, finalement, aboutir à une
production à présenter ou une action à mener ». Ainsi la démarche compte autant que la
finalité. L’élève doit être conscient de la finalité d’un exercice, de l’évolution de ses
possibilités dans son apprentissage.
Marie-Louise ZIMMERMANN24 va encore plus loin dans sa conception de
l’apprentissage. Elle considère que non seulement l’enseignant doit s’effacer afin de faciliter
l’échange et la parole de l’élève, mais qu’il doit également contribuer à déstabiliser les
modèles de l’élève afin de créer un nouvel environnement culturel, facilitateur de
l’apprentissage scolaire. Cette femme pratique l’apprentissage des sciences expérimentales
par l’autonomie, noté APA. Cette démarche présente différentes caractéristiques qui
permettent une construction du savoir. Elle se construit autour des mots-clés suivants :
autonomie, réussite, apprentissage, responsabilité pédagogique, projet, perturbation
conceptuelle, environnement didactique, communication, auto évaluation, esprit critique, ….
« La perturbation conceptuelle » est définie comme un concept flou. L’enseignant doit
déstabiliser les modèles explicatifs de l’élève. Ce « déséquilibre culturel permet une
évolution ». Elle fait alors appel à une intuition pédagogique structurée.
« L’environnement didactique », quant à lui, est un ensemble d’éléments que l’enseignant
fabrique ou arrange de façon à créer un environnement facilitateur pour l’apprentissage. C’est
à l’enseignant de décider de son propre matériel pédagogique, en prenant en compte le public
qu’il aura face à lui, son niveau, ses centres d’intérêt, …
Cette pédagogie se caractérise par trois phases différentes : une première phase qui est
une phase de recherche. Vient ensuite une phase de mise en commun et pour finir, une phase
de réinvestissement des connaissances. Elle explicite sa pédagogie de la façon suivante :
d’abord, l’enseignant fixe les thèmes et pose les questions. La liberté est alors laissée à l’élève
de faire des recherches pour trouver les réponses aux questions posées. Puis, les réponses sont
mises en commun. Une confrontation entre les élèves permet une réponse commune. Elle
ajoute cependant que cette réponse est valable pour une classe donnée, à un moment donné, ce
n’est pas une solution scientifique. Il faut ensuite réinvestir ces connaissances : tests de
connaissances, de réflexion ou tests pratiques.
Marie-Louise ZIMMERMANN parle également d’ « architecture didactique ». Cela
comprend tout ce qui doit permettre une communication aisée intergroupes et inter individus.
Par exemple, l’accès à la bibliothèque doit être aisé. De cette manière, l’espace devient un lieu
de communication et d’expérimentation.
Dans cet optique, les panneaux d’affichage sont conseillés et les documents évoluent en
fonction des thèmes étudiés. Cet environnement a pour but de provoquer la réflexion et
d’éveiller la curiosité de l’élève.
J’ai beaucoup misé sur le rôle du CDI dans le déroulement de mes séquences,
notamment en ce qui concerne la lecture cursive, pour tenter de créer un « environnement
didactique » inhabituel aux élèves et ainsi motiver leur envie de lire. Paradoxalement, j’ai
24
Marie-Louise ZIMMERMANN, Treize ans d’apprentissage par l’autonomie, ib idem.
27
tenté de les inciter à lire en passant par l’exercice de la parole, notamment au travers de la
présentation orale d’une œuvre ou d’un auteur.
Lors de la deuxième séquence, les élèves devaient lire un livre de leur choix ou le
choisir parmi une liste proposée ( une séance au CDI avait été mise en place afin de leur
présenter un maximum d’ouvrages présents sur cette liste ). Leur travail était ensuite de
réaliser une quatrième de couverture sous forme de panneau. Ils devaient non pas résumer le
livre, mais donner envie aux autres élèves de le lire, donc ne pas dévoiler la fin et arrêter leur
récit à un moment stratégique de l’œuvre. Chaque panneau a été présenté à la classe par son
auteur qui nous a livré ses impressions sur le livre lu, et les panneaux, tous très réussis, ont
ensuite été affichés au CDI pendant plus d’un mois. J’ai choisi de bannir la traditionnelle
fiche de lecture avec résumé de l’œuvre et présentation de l’auteur, pour rendre la lecture
cursive la plus attractive possible.
Lors de la quatrième séquence, j’ai formé des groupes de quatre ou cinq élèves, en
prenant garde de diversifier les niveaux : un très bon élève et un plus faible au moins dans
chaque groupe, tout en tenant compte des affinités, afin que le travail se déroule dans de
bonnes conditions. Chaque groupe devait choisir une nouvelle d’Andrée CHEDID, puisque
nous étudiions cet auteur. La lecture cursive a consisté en une présentation orale de la
nouvelle choisie ( portraits des personnages, liens entre eux, contexte, intrigue, impressions
du groupe par rapport à cette nouvelle, qu’elles soient bonnes ou mauvaises,…. ).
La cinquième séquence a été l’occasion, puisque nous apprenions l’insertion du
dialogue dans le récit, d’une lecture oralisée d’un passage d’une œuvre au choix, et de
préférence de l’œuvre qu’ils étaient actuellement en train de lire chez eux. Cela m’a permis de
prendre conscience du genre de littérature qu’appréciaient mes élèves. Sans surprise, Harry
Potter et Le seigneur des anneaux ont été les plus représentés, mais je me suis rendue compte
que beaucoup lisaient chez eux, et surtout des romans policiers. Lors de la septième séquence,
je leur ai demandé de me bâtir un exposé à partir de recherches effectuées au CDI ou chez
eux. Je reviendrai plus tard sur cet exercice.
Ainsi la lecture cursive est devenue prétexte à parler, à parler de littérature mais
également à confronter les avis et les envies. Force est de constater que certains élèves,
n’aimant pas lire au début de l’année, devant l’enthousiasme manifesté par leurs camarades à
lire et devant la motivation de certains à présenter une œuvre ou des personnages, se sont pris
au jeu et me demandent même maintenant, en début de séquence, s’ils auront une œuvre à lire
ou à présenter.
Cette expérience me pousse à rejoindre Marie-Louise ZIMMERMANN, lorsqu’elle
affirme que le rôle de l’enseignant est fondamental dans une pédagogie d’apprentissage par
l’autonomie. C’est en effet à lui de créer les événements qui permettront aux élèves
d’apprendre. Il va permettre l’évolution de leurs conceptions grâce à leur confrontation avec
la réalité ( notamment lors de la phase d’échange et de la mise en commun ).
Au cours de ces échanges, l’enseignant facilitera la progression des élèves par le
questionnement. « Il est un médiateur entre l’élève et le savoir, et n’est plus que très
épisodiquement un dispensateur de connaissances ». Il incite l’élève à chercher,
expérimenter, réfléchir, lors des débats, à s’exprimer, argumenter,…. Il est présent et cherche
à faire exprimer toutes les idées, celles qui le satisfont comme celles qui sont révélatrices
d‘idées fausses. Son rôle est de mettre en situation, provoquer, écouter canaliser.
Ainsi les élèves peuvent confronter leur opinions, échanger des idées, évoluer dans
leurs apprentissages et modifier leurs représentations. Il sera donc intéressant d’étudier
maintenant les relations que l’enseignant développe avec ses élèves en mettant en place une
telle pédagogie, mais aussi les relations développées entre élèves, tout en analysant la place de
la parole au sein de ces rapports.
28
3) Les relations humaines dans « un apprentissage par l’autonomie ».
Les liens qui se nouent entre les élèves et leur professeur sont beaucoup plus forts que
dans l’enseignement traditionnel, puisqu’un véritable échange se crée, anesthésiant la
frontière jusque là infranchissable entre l’enseignant et ses élèves.
Jean ARTAUD25 s’est penché sur ce sujet et a abouti aux conclusions suivantes : « de
la qualité de l’écoute du maître […] dépendra la réussite de l’apprentissage ». En effet, une
bonne écoute permet de développer une « relation gratifiante » qui engendre l’évolution des
capacités intellectuelles. Se sentant aidé et non jugé, l’élève pourra davantage progresser. Les
difficultés peuvent cependant persister et il faut parfois aider l’élève à aller jusqu’au bout de
sa pensée. Pour cela, il convient de reformuler ses propos et de laisser le fond de sa pensée
s’exprimer. Cela permet de clarifier la difficulté du moment. Jean ARTAUD conclut donc en
affirmant que la relation affective est en réalité une « relation d’aide méthodologique à
l’élève ».
J’ai crée cette relation affective au sein de ma classe, avec tous les avantages, mais
aussi les inconvénients que cela entraîne. La relation de confiance entre un professeur et ses
élèves permet à l’adulte de ne plus tenir son rôle autoritaire, mais de devenir celui qui va aider
à progresser. Les élèves n’ont pas peur de lever la main, de participer, de passer à l’oral
devant la classe. Cette relation crée donc un climat favorable, voire même nécessaire à la mise
en place de la pédagogie de l’oral. Les inconvénients d’une telle relation se situent
essentiellement du point de vue de l’enseignant, car le respect s’acquiert parfois mieux par la
crainte que l’on suscite. J’y reviendrai dans la quatrième partie.
Les relations des élèves entre eux sont bien meilleures dans une telle pédagogie. La
confrontation des idées, le fait de prendre l’opinion de l’autre en considération, de travailler
en groupe, d’être obligé de s’organiser seul, donc de demander et de respecter les désirs de
l’autres, crée un climat d’écoute favorable à tout apprentissage. L’élève devient davantage
autonome dans son apprentissage car il n’est plus jugé uniquement par un adulte, à qui il n’a
rien à apprendre puisque qu’il pense que cette personne est la détentrice unique de tout savoir,
mais par ses pairs. L’élève est confronté au regard de l’autre, mais pas à son jugement, à son
appréciation. Chaque élève comprend qu’il peut lui aussi devenir un maillon dans le processus
de son apprentissage.
Dans ma classe, chaque passage oral est laissé à l’appréciation de correcteurs
nommés, ou de la classe entière. Les barèmes de notation sont élaborés ensemble, comme il
en a été question lors de la deuxième partie. Le public est donc davantage à l’écoute, puisque
de lui dépendra la note finale de leur(s) camarade(s). Lors de la septième séquence sur la
lecture d’Yvain et le chevalier au lion, de Chrétien de Troyes, je leur ai demandé de construire
des exposés par groupe de deux ou trois élèves. Comme le constate Bruno OLLIVIER26,
l’exposé se frotte à la chaîne de communication : de la recherche d’informations à la mise en
forme de ces informations puis à l’exposition orale, l’élève devra successivement « trouver,
présenter, disposer et dire ». Je leur ai imposé les sujets ( Annexe n°6 ). Ceux ci étaient
formés de mots-clés. Les élèves avaient donc, au préalable, tout un travail de recherche à faire
et de concertation avant de commencer à rédiger leur exposé. Je ne me suis pas investie dans
ce travail de préparation, mais je suis restée ouverte à toutes questions, même en dehors des
cours, n’hésitant pas à aller les voir lorsqu’ils étaient au CDI pendant une heure d’étude afin
25
Jean ARTAUD, Les relations affectives dans une pédagogie différenciée, dans Différencier la
pédagogie ?Pourquoi ?Comment ?, Recherches et documents élaborés dans le cadre des journées d’études interacadémiques du 1er au 6 Juillet 1985. Rédaction coordonnée par Philippe MEIRIEU.
26
Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, ib idem.
29
de les aider dans leurs recherches. J’ai senti que les élèves ne ressentaient pas le besoin de
mon aide et avaient envie de travailler seuls, de réussir par eux-mêmes leurs exposés. Je me
suis donc effacée, attendant avec impatience le moment du passage de chaque groupe, au fur
et à mesure de la séquence. Le barème d’évaluation a été une nouvelle fois décidé ensemble,
et chaque groupe est passé après une étude de texte ou une séance en rapport avec le thème de
l’exposé choisi. Par exemple, après une séance sur des textes en ancien-français où étaient
présents le nom des armes des chevaliers, les élèves qui avaient choisi l’exposé sur les
chevaliers sont passés à l’oral. De la même manière, après l’étude d’une scène de combat
entre les deux héros, l’exposé sur les tournois a été présenté à la classe.
Lors du passage oral de ces exposés, je me suis rendue compte de deux choses : les
élèves avaient non seulement fourni un gros travail de recherche, mais avaient également
créer des panneaux colorés et attrayants afin d’être les plus clairs possible. Tout au long de
ces exposés, les élèves auditeurs ont respecté la parole de leurs camarades et ne sont
intervenus que pour donner leurs impressions, l’exposé terminé. A la fin de chaque passage, la
principale remarque était « on a appris beaucoup de choses ». Je n’ai en effet pas repris le
contenu de ces exposés, d’une part car ils étaient dans l’ensemble très bons, et d’autre part car
je voulais leur laisser la fierté d’avoir su transmettre seuls un savoir à leurs camarades.
Le travail de groupe et l’incitation à parler devant la classe a donc rendu les élèves
davantage motivés à travailler, et aptes à faire passer des notions, un savoir aux autres élèves.
Ce côté valorisant et gratifiant a considérablement amélioré les relations qui existaient au sein
de la classe. Là où, au début de l’année, il y avait compétition et dévalorisation de l’élève en
difficulté, je constate aujourd’hui que les tensions se sont apaisées et que les élèves ne
rechignent plus à travailler avec d’autres, même s’ils ont un niveau très inférieur au leur. La
remarque d’une élève après le passage d’un de ses camarades le prouve : alors que la classe
jugeait que l’élève avait trop lu ses fiches durant son exposé, elle a fait remarquer qu’il
présentait seul son travail, donc que c’était beaucoup plus difficile. Ainsi, le travail de groupe
est vécu par les élèves comme une facilité, une action qui dédramatise le travail à fournir ainsi
que le passage à l’oral. L’autre devient une force.
Cet « apprentissage par l’autonomie » est donc une façon pour l’élève de mieux
acquérir les savoirs que l’enseignant s’efforce de transmettre. Le professeur s’efface, mais ne
devient pas pour autant inexistant. Sa présence se raréfie, mais le travail pédagogique et
didactique qu’il doit fournir n’en est que plus important. Grâce à ces pédagogies, les élèves
participent, deviennent acteurs, et ont même des responsabilités au sein de la classe, puisqu’il
arrive que ce soit eux qui dispensent les notions nécessaires. La prise de parole est donc facile
car facilitée, et un respect mutuel s’instaure entre élèves et enseignant, mais aussi et surtout
entre apprenants.
Cette façon d’enseigner semble idyllique et irréfutable. Cependant, est-il possible de
mener entièrement et aussi rapidement cette ambition à bien ? Il est maintenant temps de faire
le bilan de ces deux pédagogies et d’en tirer les conclusions nécessaires.
30
IV/ LE BILAN DE CES DEUX PEDAGOGIES
1) Mise en application de ces deux pédagogies au sein de ma classe
En règle générale, je dirai que le bilan est positif, autant dans la mise en place d’une
pédagogie de l’oral, consistant à motiver la parole des élèves afin de rebondir sur leurs
remarques, que dans celle d’une pédagogie tendant à les rendre acteurs dans leurs
apprentissages.
La mise en place d’une pédagogie de l’oral a porté ses fruits au niveau didactique. Elle
nécessite tout d’abord une très bonne connaissance de ses élèves par le professeur. Il doit
toujours évaluer le niveau de sa classe avant de commencer un cours. Anticiper les questions
et pouvoir, de cette façon, canaliser la parole de ses élèves est essentiel. Au sein de ma classe,
il me semble avoir réussi à me conformer à mon objectif de séance tout en rebondissant par
ailleurs sur les remarques de mes élèves. Pourtant, à ce jour, ce résultat n’est pas encore
régulier. Si ces séances lors de l’étude de la nouvelle d’Andrée CHEDID se sont bien
déroulées, des séances plus récentes me montrent que j’ai encore du mal à laisser un temps de
parole suffisant à mes élèves, tout en évitant les débordements. Ou les temps d’expression de
chaque élève sont trop courts, ou un élève parle trop longtemps et les autres se lassent et
s’agitent. Dans les moments où j’arrive à être plus flexible et à faire preuve de plus
d’adaptabilité face aux remarques de mes élèves, l’heure de cours se termine parfois in
extremis et l’objectif de séance est rempli de justesse. En effet, les contraintes matérielles sont
essentielles dans la gestions d’une telle pédagogie. Il faut savoir adapter son cours aux
exigences temporelles notamment : la durée d’un cours est de cinquante cinq minutes et ce
laps de temps est parfois bien trop court pour un professeur, qui plus est débutant, pour mettre
en place de telles pédagogies au sein de sa classe. Cette contrainte se fait d’autant plus
douloureuse lorsque le public est une classe vivante qui ne demande qu’à participer. C’est
pourquoi l’évolution se fait lentement et de manière graduelle, avec parfois quelques rechutes,
mais qui n’assombrissent cependant pas ce bilan. La mise en place d’une pédagogie de l’oral
dans ma classe est somme toute positive. J’apprends à poser les bonnes questions, des
questions adaptées au niveau de chaque élève, afin qu’ils se sentent valorisés le plus possible
et qu’ils aient envie de participer. Les réactions de mes élèves, leur motivation et l’intérêt
qu’ils portent au cours me poussent à penser que ma façon d’enseigner évolue dans un sens
favorable. Il reste néanmoins difficile de mettre en place des séances où le temps de parole de
l’élève est supérieur à celui de l’enseignant. Il faut en effet pouvoir maîtriser parfaitement le
contenu pédagogique de son cours, mais aussi avoir clairement défini sa pédagogie et ses
objectifs didactiques au début de l’année. N’ayant pas travailler dans cette perspective dès la
rentrée, j’ai dû mettre des stratégies en place dans ma classe, peut être plus tardivement que je
ne l’aurais dû, en me concentrant davantage sur la parole de mes élèves et son importance au
niveau pédagogique. Je prends aujourd’hui conscience de l’intérêt d’une classe vivante. La
participation des bons élèves est en effet primordiale pour le bon déroulement d’un cours. J’ai
pu moi-même le constater lors de séances par exemple sur Yvain et le chevalier au lion, de
Chrétien de Troyes. Les extraits de cette œuvre étaient assez durs à lire pour des élèves de
cinquième, mais le fait que les bons élèves, et notamment les garçons, prennent à cœur les
récits de chevalerie et se passionnent pour la lecture a motivé le reste de la classe. Les
remarques pertinentes et enthousiastes des élèves ont fait progresser les explications de texte
de façon prodigieuse et ont ainsi motivé les élèves les plus faibles ou les moins intéressés par
le roman de chevalerie. C’est en faisant le constat de tels cours que j’ai décidé de m’adapter à
mes élèves et d’éviter les séances ennuyeuses, où la parole se faisait rare et où le cours
31
s’essoufflait. Il faut donc toujours essayer de trouver une amorce et tenter de les mettre en
situation. Ainsi motivés, leurs remarques fusent et le cours décolle. Cela fait toute la
différence entre une explication où le professeur donne le sens du texte, et une explication où
le sens est découvert par les élèves, où l’enseignant rebondit sur les remarques et s’en inspire
pour continuer sa séance. C’est la différence entre une séance sur le Roman de Renart, où les
élèves se sont passionnés pour les ruses du goupil et une autre sur l’explication du texte
informatif. Lors de la séance sur le texte informatif, je maîtrisais mal mon support et je n’ai
pas laissé la parole à mes élèves. J’ai moi-même construit la séance et les élèves n’y ont porté
que très peu d’intérêt. Lors de ma sixième séquence sur le Roman de Renart, j’ai parfois dû
reformuler des expressions clés de certains extraits de l’œuvre qui, trop compliquées,
nuisaient à sa bonne compréhension et les élèves, comprenant alors le sens du texte et se
représentant avec délice le tableau qui se déroulait sous leurs yeux, explicitaient à tour de rôle
le sens caché du texte, sans oublier de livrer leurs impressions amusées, ou outrées parfois,
sur l’insolence du renard. Je n’ai eu qu’à les guider vers le sens du texte. Ils y avaient pris
goût, la réflexion a suivi sans problème. La mise en action, qu’elle soit physique ou
intellectuelle, suppose presque toujours la motivation. Cependant toute mise en action doit
être le corollaire d’une finalité, d’un but à atteindre. Cette finalité ne rime par forcément avec
évaluation. Les élèves, en participant à l’oral, peuvent parfois prendre plus de plaisir à
transmettre un savoir aux autres, à se sentir valorisé qu’à espérer une bonne note.
L’oral peut également être un excellent moyen pour corriger l’expression, la grammaire, la
conjugaison. Les élèves n’ont pas l’impression de réviser leurs temps verbaux, or les
remarques faites lors de ces temps de parole seront sûrement mieux assimilées que lors d’un
cours de conjugaison, qui reste plus fastidieux pour les élèves.
Le bilan de la mise en place d’une pédagogie de l’oral au sein de ma classe est donc dans
l’ensemble positif .J’ai su, comme Daniel MARTIN27 le disait, non pas fonder ma pédagogie
sur la « répétition », mais sur la « discussion ». Cependant, quelques débordements de
conduite sont encore à déplorer. Il faut cependant dédramatiser cet aspect car les élèves de
cette classe ne sont en aucun cas perturbateurs, mais ils sont parfois plus actifs qu’acteurs et le
fait de n’avoir qu’une seule classe m’a permis d’être plus tolérante. Il me reste encore à
acquérir le réflexe de toujours leur donner la parole pour canaliser ce besoin de s’exprimer.
Mettre en place « un apprentissage par l’autonomie », aura été pour moi chose plus aisée.
Le fait de pousser les élèves à parler tout en respectant cette parole, a créé une sorte de contrat
tacite de respect et de travail entre les élèves et l’enseignant. Rendre l’élève acteur dans son
cours peut prendre différentes formes. L’élève peut devenir acteur lors d’une évaluation, en
devenant rapporteur et en corrigeant ses camarades qui passent à l’oral. Le contrat de respect
s’instaure alors entre élèves puisque le rapporteur est sûr d’être jugé à son tour et, l’œil du
professeur étant toujours présent, le regard critique de l’élève est pondéré. L’élève peut
également devenir acteur dans le déroulement d’une heure de cours, puisque ses remarques
font progresser la séance sans déroger à l’objectif fixé. L’élève peut aussi participer à la
constitution de la séance elle-même, par exemple lors d’un débat. De telles séances sont très
motivantes pour l’individu apprenant, mais elles sont très difficiles à mettre en place pour un
enseignant. Ce que j’ai retenu au niveau de la construction des séances est la nécessité
permanente d’avoir un cours construit et un objectif clair de séance. La rigueur est
indispensable pour la bonne conduite d’un cours et le bon déroulement d’une telle séance.
C’est cette rigueur qui me manque parfois dans la gestion de l’oral. Je ne suis pas encore
totalement à l’aise avec cette pratique et cela se ressent parfois dans la gestion de la parole de
27
Daniel MARTIN, (Méta)communiquer pour apprendre, ib idem.
32
mes élèves. J’arrive cependant à m’adapter à mon public et mes élèves apprécient les séances,
ce qui me pousse à continuer dans cette voie.
Par ailleurs, le bilan là encore positif de ces séances est perceptible dans le comportement
de mes élèves. Certains d’entre eux ont une meilleure opinion d’eux-mêmes et n’hésitent plus
à participer ou à me rendre des devoirs. Il n’y a plus cette crainte de la note ou du rejet qu’il
pouvait y avoir au début. C’est pourquoi j’essaie au maximum de les mettre en situation
d’autonomie, afin qu’ils soient toujours valorisés par leur création. Ils ont constamment des
recherches à faire pour un exposé, une lecture, un travail de groupe. Ces recherches ne
constituent pas un travail colossal, c’est simplement un prétexte pour les mettre en situation
de travail de groupe et pour qu’ils réalisent par eux-mêmes quelque chose de construit. Le
bilan d’une séance comme celle du débat me prouve que les élèves se sont réellement investis,
même si le fait qu’un débat soit un échange d’idées, et non un besoin absolu de convaincre
l’autre n’a pas toujours été bien compris par le groupe des « mitigés » et des « pour ». Seul le
groupe « contre » la chasse, pourtant le plus nombreux, a su mener ce débat avec sérieux et
respect. Ce sont pour la plupart de bons élèves, mais certains sont normalement très dissipés
en cours. Paradoxalement, le fait de pouvoir s’exprimer dans le cadre du débat a un peu
canalisé leur agitation. Cette séance me rappelle donc le point évoqué précédemment : il faut
que je garde toujours à l’esprit la nécessité d’encourager la participation de mes élève avant
tout. La frustration induit l’agitation.
Nécessité de faire participer, mais également nécessité d’être claire dans mes consignes et
cohérente dans mon évaluation doivent désormais être les maîtres mots dans ma façon
d’enseigner. La reformulation est une condition nécessaire à la compréhension, donc à une
participation active et constructive. Je me suis ainsi inculqué à moi-même les objectifs que je
destinais à mes élèves : respecter, écouter, prendre en compte l’autre et sa parole. De bonnes
conditions de participations orales influent sur le cours : il devient plus vivant et plus attractif
pour l’élève qui retient mieux et arrive à apprécier l’enseignement. Cette pédagogie a donc
porté ses fruits : plus d’autonomie, plus d’esprit critique,… Elle confère ainsi une forme de
responsabilité mais aussi de liberté à l’élève.
L’évolution dans mes pratiques d’enseignement me montre que rien n’est figé. Il s’agit
simplement de donner aux élèves les moyens de construire leurs savoirs et cela se fait au
travers d’un cours ouvert à leur remarques et à leurs observations.
2) Ouvertures et prolongements de ces pédagogies
Il sera intéressant de commencer par se demander si effectivement, après avoir mis en
place de telles pédagogies, dont nous avons vu que les résultats étaient dans l’ensemble plutôt
positifs, mes élèves participent toujours autant et si cette participation n’est plus perturbatrice
pour mon cours. Mes élèves ont gardé un intérêt certain pour la matière. Ils se mettent
facilement au travail et les débordements dus à des problèmes de comportement sont devenus
très rares. Ils apprécient généralement les activités que je leur propose et manifestent même
un certain enthousiasme face aux tâches à réaliser. Cela a considérablement amélioré
l’ambiance générale de la classe et apaisé certaines tensions entre élèves, notamment entre les
très bons et les plus faibles. J’ajouterai même que la plupart des élèves travaillent aujourd’hui
de manière autonome sans en avoir forcément conscience. J’entends par là que mes élèves
s’attendent à être mis au travail lors de l’explication d’un texte et se préparent déjà à en
chercher le sens, guidés par mon questionnement. Je ne peux alors que constater le fait que
cette participation influe nettement sur la qualité de mon cours. Lors de la dernière séance de
la sixième séquence sur le Roman de Renart, j’avais décidé, en prévision de la séquence
33
suivante qui comprenait des exposés, de ménager une plage horaire au CDI, afin que la
documentaliste leur explique comment mener leurs recherches. Je suis donc restée avec la
moitié de la classe durant une première heure, puis avec la seconde moitié durant l’heure
suivante. Ces heures ont été consacrées à l’explication du procès de Renart et de l’épilogue du
Roman de Renart. La première moitié de la classe se composait en majorité d’élèves moyens,
de quelques bons éléments et d’élèves plus faibles ( le découpage de la classe s’est fait au
hasard ). Je me suis aperçue que durant cette première heure, le cours a été plutôt difficile à
démarrer ( est-il important de dire que ce cours se déroulait à huit heures du matin ?!), le sens
du texte n’a pas toujours été bien compris par les élèves et des remarques, sans vraiment de
cohérence, m’ont parfois fait oublier de leur expliquer un sens caché, ou de totalement balayer
les significations possibles d’un tel extrait, notamment en le mettant en perspective avec notre
époque. La deuxième séance s’est beaucoup mieux déroulée. Les éléments moteur de la classe
se trouvaient alors présents, ainsi que des élèves moyens, mais intéressés par ce texte et ayant
envie de le découvrir. J’étais moi-même plus vive, les questions des élèves étaient pertinentes
et les significations de l’œuvre ont été tout de suite mises en valeur, le parallèle avec l’époque
actuelle a donc découlé de lui-même. J’ai même découvert avec eux des sens auxquels je
n’avais pas pensé. Ainsi, non seulement mes élèves participent toujours autant, mais ils
contribuent maintenant au bon déroulement d’une séance et l’enrichissent parfois
considérablement. Je pense que mon attitude contribue pour beaucoup dans la réalisation de
ce projet. J’imagine que lors de la première séance, avec le premier groupe d’élèves, je n’étais
peut-être pas assez motivante ou entraînante pour les forcer à creuser le texte, et mon manque
d’entrain a parfois pu appauvrir mon questionnement. L’enseignant garde donc un rôle majeur
dans le bon déroulement de son cours. Certes, il devient médiateur, mais il doit rester chef
d’orchestre.
C’est cependant dans la position du médiateur que je me sens le plus à l’aise. Mon peu
d’expérience et, je pense, le fait que je n’ai pas travaillé dès le début de l’année, mais
seulement aux alentours du moins d’Octobre à rendre mes élèves actifs dans leur
apprentissage, à régler mon cours sur leurs remarques, m’a parfois fait oublier le côté
essentiel de l’autorité. La première phase indispensable mise en place dans l’enseignement
décrit par Gérard VERGNAUD28 était la phase directive. Je n’ai peut-être pas assez insisté sur
les règles de vie à établir au sein d’une classe. Je n’ai pas fait preuve d’autorité assez
longtemps. En effet, j’ai sévi les quinze premiers jours et, voyant que j’avais à faire à une
classe relativement calme, j’ai tout de suite « lâché du lest ». Un climat de confiance et de
respect s’est alors établi et je ne regrette aucunement cette façon d’enseigner. Néanmoins les
débordements ne sont pas inévitables, puisqu’il n’existe pas, dans cette classe, la crainte de
l’enseignant, ou tout simplement de règles établies, de limites à ne pas franchir. Je n’ai, en
effet, pas constitué de « contrat de vie de classe » au début de l’année. Des règles existent
cependant, et les élèves en ont conscience, mais elles ne sont pas stipulées et dépendent
essentiellement du seuil de tolérance du professeur ce jour là ! Il est, dans ces conditions,
beaucoup plus facile pour moi de les mettre au travail ou de fonder le déroulement de la
séance sur leur remarques. Organiser un débat, demander l’avis de mes élèves, leur faire
évaluer leur camarades est pour moi chose beaucoup plus simple que, pour le moment,
rebondir essentiellement sur leurs remarques, leur laisser un temps de parole suffisant sans
avoir de débordement ( ou peut-être y a-t-il débordement car je ne laisse pas de temps de
parole suffisant ?), ou sans spolier mon objectif de séance. Il devient alors difficile de rendre
la parole de mes élèves constructive, si moi-même je ne laisse pas vie, ou simplement place à
cette parole. La relation d’affectivité existant entre mes élèves et moi peut donc avoir un côté
28
Gérard VERGNAUD, Parole étouffée, parole libérée, ib idem.
34
pervers ( essentiellement dû, je pense, à ma position de novice dans l’enseignement, car un
professeur plus chevronné sait, je pense, instaurer un climat de confiance et de respect, sans
pour autant laisser trop de liberté à ses élèves, j’en ai eu la preuve en assistant à certains cours
au sein de mon établissement ), mais elle a aussi de grands avantages, puisque mes élèves ont
réussi à atteindre la quatrième phase énoncée par Gérard VERGNAUD : la phase d’autonomie
et de créativité. Ainsi une classe plus vive, motivée à travailler, intéressée par un cours, même
s’il existe encore quelques conduites agitées, mais sans être agressives, ni belliqueuses, est
pour moi une grande satisfaction, et me poussera à travailler dans cette optique l’année
prochaine, sans omettre, cette fois-ci, la phase directrice.
Il serait intéressant de se demander maintenant si mes élèves ont appris plus de choses
et si leurs connaissances sont plus solides. Il est difficile de répondre à cette question puisque
je n’ai pas encore de point de comparaison avec une autre classe. Néanmoins je peux affirmer
que certains élèves étaient plutôt défaitistes au début de l’année et ne croyaient pas en leurs
capacités. Au fur et à mesure des séances, certains ont réussi à reprendre confiance en eux et
à ne pas avoir peur de rendre un devoir - même médiocre - de poser des questions, de donner
des réponses - mêmes fausses - ou de s’exprimer à l’oral ( au début de l’année, une élève ne
m’a pas rendu trois devoirs successifs et refusait de parler à l’oral car elle se disait qu’elle ne
valait rien ). Je peux également remarquer que l’expression écrite s’améliore et que les
rédactions deviennent de plus en plus cohérentes et conséquentes.
Finalement, cette façon d’enseigner a été pour moi une très bonne chose, puisque j’ai
pris conscience que la parole de l’enseignant était pauvre d’un point de vue pédagogique si
elle ne prenait pas en considération la parole de l’élève. L’élève apprend mieux et retient
mieux quand il découvre lui-même le sens d’un texte ou la logique d’une leçon. Mais il faut
pour cela parfois renoncer à ses ambitions didactiques pour apprendre à écouter, à modifier
ses attentes, pas seulement à entendre les remarques, mais en tenir compte. Le public n’est pas
figé, la façon d’enseigner d’un professeur ne doit pas l’être non plus. Les mots-clés de telles
pédagogies sont donc adaptabilité, écoute et capacité à évoluer. L’élève doit être placé au
centre de ce processus, car c’est à lui que revient la capacité à mobiliser des connaissances
déjà acquises, c’est à lui que reviendra la tâche d’expérimenter de nouvelles combinaisons
langagières, de nouvelles méthodes pédagogiques. Changer sa façon d’enseigner, la faire
évoluer, prendre en compte ses élèves, est un véritable défi pédagogique qui, s’il est relevé,
rend l’enseignement vivant et passionnant.
35
CONCLUSION
Martine WIRTHNER29 cite BRUNNER qui, en 1997, s’est exprimé en ces termes :
« si réellement la parole, son émergence, son fonctionnement, ses caractéristiques
linguistiques, sa profondeur personnelle, sa qualité communicative, est conditionnée, ne
serait-ce que partiellement, par les données matérielles mises en place ainsi que par les
« connexions » psychologiques entre les personnes en présence, le maître possède un pouvoir
extraordinaire, qu’il le sache ou non, qu’il le veuille ou non. C’est pourquoi, il importe que
soit montré comment la parole peut « vivre » dans le « milieu » qui lui est fait ».
Cette citation contient toutes les données des deux formes de pédagogies que j’ai tenté
de mettre en place au sein de ma classe. La parole possède une « profondeur personnelle »,
cela implique que chacun est capable de parler de façon sensée et d’apporter quelque chose au
niveau du contenu de la leçon, mais aussi au niveau de l’enrichissement personnel, puisque la
« qualité communicative » de la parole est mise en avant par BRUNNER. Il y a cependant
deux points à ne pas négliger : « l’émergence » de la parole, mais aussi son
« conditionnement ». Ainsi, il faut porter de l’intérêt au moment même de son apparition.
Toute parole est digne de considération et, lorsqu’un élève commence à parler, il faut toujours
être capable de porter de l’intérêt à ses remarques. Cependant, pour cela, la parole doit être
« conditionnée », soit organisée, réglée, mesurée, voire évaluée, par le professeur, ou par les
autres élèves. Le rôle du professeur est en effet primordial, c’est lui qui va diriger, planifier,
contrôler, mais aussi s’adapter, reformuler, évoluer au contact de ses élèves. Son « pouvoir
extraordinaire », vient du fait qu’il possède les atouts pédagogiques pour faire vivre la parole,
la libérer, mais aussi la canaliser. Il est le détenteur du savoir, mais peut le transmettre de
différentes façons : en l’explicitant ou en le dévoilant. Il a cependant un rôle beaucoup plus
difficile à cerner, voire à assumer : c’est lui qui « montre » comment la parole doit vivre. Il a
donc valeur d’exemple. C’est à lui de modérer, clarifier, corriger son propre discours pour
encourager les élèves à le faire. C’est à lui de prendre la parole de ses élèves en considération,
afin qu’en retour, ils apprécient et accordent de l’importance aux dires de leur enseignant.
Ainsi, la prise en compte de ses élèves est le mot clé d’un bon apprentissage. Gérard
VERGNAUD30 l’a d’ailleurs compris puisque pour lui « la prise en compte de la dimension
de l’Autre paraît indiscutablement comme une valeur fondamentale ». Ainsi un professeur
bâtit une leçon, une séquence, une progression annuelle pour et avec ses élèves. Il doit donc
s’adapter à leurs remarques, faire preuve de flexibilité par rapport à ses objectifs, à ses
attentes. Motiver ses élèves à travailler, leur donner envie de s’exprimer ( car prendre leurs
remarques en considération, les orienter afin qu’elles deviennent constructives pour le cours
implique que l’élève parle, qu’il ressente le besoin de le faire, d’où la nécessité de
l’intéresser), demande un investissement permanent de la part du professeur. Ainsi, comme le
remarque Bruno OLLIVIER31, « pour enseigner efficacement, dans le plaisir, et sans ennui, il
faut, puisque les situations de travail ne sont jamais exactement semblables à celles qu’on a
déjà connues, être toujours prêt à innover, à chercher d’autres moyens, d’autres voies,… ».
29
Martine WIRTHNER, L’oral comme expression de soi et rapport à l’autre, ib idem.
Gérard VERGNAUD, parole étouffée, parole libérée, ib idem.
31
Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, ib idem.
30
36
La motivation entraîne la participation, et les règles mises en place ainsi que l’investissement
du professeur dans la préparation de ses cours et de ses objectifs entraînent le bien-fondé des
remarques des élèves, la pertinence de leurs propos, et rend ainsi leur parole constructive,
voire indispensable au bon déroulement de la séance et au suivi de l’objectif fixé.
Je laisserai le mot de la fin à Marie-Joseph CHALVIN32, qui résume à la fois la
nécessité de prendre en compte la parole des élèves, sans toutefois négliger le contenu
pédagogique. Il y a en effet interaction entre le fait d’enseigner, et le fait de communiquer :
« il n’y a pas d’enseignement sans communication, mais il n’y a pas non plus de
communication pédagogique sans contenu enseignant »
32
Marie-Joseph CHALVIN, La pédagogie différenciée II, De la théorie à la Pratique, Revue Les Amis de
Sèvres, n°2, Juin 1985.
37
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES :
- OLLIVIER Bruno, Communiquer pour enseigner, Hachette Education, 1992.
- FRANCOEUR BELLAVANCE Suzanne, Le travail en projet, INTEGRA, Centre de
Pédagogie transdisciplinaire, Québec.
- GIORDAN André, GUICHARD Françoise, GUICHARD Jack, Des idées pour apprendre,
CRDP Alpes Maritimes, 1997.
- GUICHENY Robert, Elèves actifs, élèves acteurs, Boîte à outils, série Dispositifs, dirigée
par Jean-Michel ZAKHARTCHOUK, Repères pour agir, CRAP Cahiers Pédagogiques,
CNDP de l’académie, d’Amiens, 2001.
- MEIRIEU Philippe, Apprendre, ….. oui, mais comment ?, Collection Pédagogiques, ESF
éditeur, 1987.
- ZIMMERMANN Marie-Louise, Un bilan de 13 ans d’apprentissage par l’autonomie,
Cahiers Pédagogiques n°335, Juin 1995, p 52-53.
OUVRAGES COLLECTIFS :
- Construire et entretenir la motivation, sous la direction de Georges CHAPPAZ, Equipe
HERMES, Université de Provence et CRDP de Marseille, 1996.
- LECOCQ Gilles, Et si un élève motivé suffisait à influencer la motivation
d’un enseignant ?
- LIEURY Alain, Motivation et Mémoire.
- Différencier la pédagogie ? Pourquoi ? Comment ?, Recherches et documents élaborés dans
le cadre des journées d’études inter-académiques du 1er au 6 Juillet 1985, Rédaction
coordonnée par Philippe MEIRIEU.
- ARTAUD Jean, Les relations affectives dans une pédagogie différenciée.
- Parole étouffée, parole libérée, fondements et limites d’une pédagogie de l’oral, Techniques
et méthodes pédagogiques, DELACHAUX et NIESTLE, sous la direction de Martine
WIRTHNER, Daniel MARTIN, Philippe PERRENOUD.
- MARTIN Daniel, (Méta)communiquer pour apprendre, c’est faire de l’oral
à plein temps.
- MAYOR Claude, L’expression orale dans des situations simulées : les
règles du jeu.
- PERRENOUD Philippe, Bouche cousue ou langue pendue ? L’école entre
deux pédagogies de l’oral.
38
-
ROULET Eddy, La pédagogie de l’oral en question(s).
SIEGRIST Claudio, La parole gelée.
STEFFEN Norbert, La communication à l’école : quelques pratiques,
quelques enseignants.
VERGNAUD Gérard, Théorie retranscrite dans l’article de Daniel
MARTIN.
WIRTHNER Martine, L’oral comme expression de soi et rapport à l’autre.
REVUE :
- La Pédagogie différenciée, II, « De la théorie à la pratique », n°2, Juin 1985, revue Les Amis
de Sèvres.
- CHALVIN Marie-Joseph, « Enseigner ou communiquer ».
39
ANNEXES
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COMMENT RENDRE LA PAROLE DE MES ELEVES
CONSTUCTIVE ?
Il est parfois difficile de concilier discipline et communication au sein de sa classe.
Pourtant, quand on a la chance d’enseigner dans une classe qui participe spontanément, il
serait dommage d’anesthésier cette parole, ou de ne pas en tenir compte au niveau
pédagogique. C’est pourquoi j’ai tenté de prendre en compte la parole de mes élèves, de la
motiver, de la canaliser afin qu’ils parviennent eux-mêmes à construire leurs savoirs.
Mots-clés :
-
pédagogie de l’oral
adaptabilité du professeur
participation et motivation de l’élève
autonomie de l’élève dans son apprentissage
Etablissement en responsabilité :
Collège Le Petit Prétan
Rue Léocadie Czyz
71640 GIVRY
Classe prise en charge : 5ème 6