iufm de bourgogne comment rendre la parole de mes eleves
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iufm de bourgogne comment rendre la parole de mes eleves
IUFM DE BOURGOGNE PARIS Hélène Professeur certifié, deuxième année d’IUFM Collège le Petit Prétan 71640 GIVRY COMMENT RENDRE LA PAROLE DE MES ELEVES CONSTRUCTIVE ? Directeur de mémoire : Pierre-Alain CHIFFRE, formateur à L’IUFM de Chalon sur Saône PARIS Hélène Stagiaire PLC2 Lettres Modernes Année Scolaire 2003-2004 Numéro de dossier : 03STA16031 SOMMAIRE INTRODUCTION……………………………………………………………………. p 3 I/ Une classe hétérogène, mais motivée et motivante……………………... p 5 1) Présentation de l’établissement et de ma classe……………………………. p 5 2) Comportement de cette classe durant les cours de français………………… p 6 3) Problèmes rencontrés ……………………………………………………… p 7 II/ Mise en place d’une pédagogie de l’oral…………………………………... p 10 1) Mise en place d’un nouveau schéma de communication ………………………… p 10 2) Le rôle de l’enseignant……………………………………………………………. p a) nécessité de connaître ses élèves ……………………………………... p b) maîtriser ses supports et sa parole ……………………………………. p c) motiver et respecter la parole de ses élèves ………………………….. p d) Savoir improviser et reformuler ……………………………………... p 11 11 14 17 18 III/ l’apprentissage par l’autonomie…………………………………………. p 21 1) Un enseignement en plusieurs phases …………………………………………….. p 21 2) L’enseignant comme médiateur …………………………………………………... p 24 3) Les relations humaines dans « un apprentissage par l’autonomie » ………..……… p 29 IV/ Bilan de ces deux pédagogies ………………………………………………... p 31 1) Mise en application de ces pédagogies dans ma classe ………………………….. p 31 2) Ouvertures et prolongements de ces pédagogies ………………………………… p 33 CONCLUSION ………………………………………………………………………….. p 36 BIBLIOGRAPHIE …………………………………………………………………………p 38 ANNEXES 2 INTRODUCTION Si l’on considère qu’aujourd’hui l’élève doit se situer au centre de tous les apprentissages, il ne peut alors plus être considéré comme un simple écolier, mais devient un individu-apprenant. Il faut donc réussir à inculquer, certes un savoir, mais le faire de façon pédagogique et individualisée. Bruno Ollivier constate que « informer » veut dire en premier lieu « mettre dans une forme », soit « former »1. Ainsi la « formation » relève de « l’information ». On éduque donc l’élève afin de le préparer à quelque chose de plus vaste que l’acquisition de connaissances. Le caractère de l’apprentissage scolaire va ainsi au-delà d’une simple transmission de savoirs : il faut que l’élève puisse se forger sa place dans la société et comprendre tout l’avantage de sa formation scolaire. Pour cela, il faut inculquer, enseigner, sans pour autant laisser l’élève dans un rôle de réception passive. La communication, l’échange d’idées au sein de la classe est alors primordial pour éviter le rôle passif de l’élève, le motiver et lui permettre d’apprendre de façon plus efficace. C’est ce que constate Bruno Ollivier, dans le même ouvrage, en remarquant que les effets produits sur le destinataire relèvent de la communication. Cependant, il évoque une nuance capitale : « répétition ne signifie pas compréhension », et « réception d’une information ne signifie pas décodage de cette information » . Ainsi, communiquer, ne se limite donc pas à un simple échange de parole ou à une lancinante répétition. La communication intervient dans le cadre plus large de la formation et de la socialisation. La question qui se pose maintenant est de réussir à instaurer dans sa classe un climat d’écoute et d’échange, tout en inculquant des notions scolaires. Comment mettre en place, dans ma classe, une situation de travail qui respecte l’élève et sa parole, tout en me conformant aux Instructions Officielles ? Le programme à suivre est en effet assez lourd pour s’inquiéter du respect des textes lors de la mise en place d’un schéma de communication au sein de ma classe. Si l’on se réfère à l’accompagnement des programmes du cycle central, on constate notamment qu’il « réaffirme l’importance de l’oral en lui accordant une place équivalente à celle de l’écriture et de la lecture »2. Le travail de l’oral vise à faire acquérir une bonne maîtrise des discours, une adaptation à son interlocuteur lors d’une situation de dialogue, ainsi que la capacité à parler devant un auditoire ( récitation, exposé,…). Cependant cet accompagnement reste lucide sur les difficultés liées à l’enseignement de l’oral : « difficulté à faire reconnaître comme objet de travail ce qui participe aussi intimement à leur vie quotidienne […] difficulté à gérer des activités nécessairement individuelles dans un enseignement collectif ». Robert Guicheny3 considère comme primordiale la place de l’oral dans l’enseignement scolaire. Pour lui, l’heure de cours est « un vol qui dure cinquante à cinquante cinq minutes », où l’élève s’exprime et est écouté, car « l’élève n’est pas qu’un auditeur ou un copiste » et « l’enseignant n’est pas un conférencier ». 1 Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, Hachette Education, 1992. page 118 des programmes et accompagnement du collège en français. 3 Robert GUICHENY, Elèves actifs, élèves acteurs, Série « dispositifs », dirigée par Jean-Michel ZAKHARTCHOUK, Repères pour agir, CRAP Cahiers Pédagogiques, CNDP réseau, CRDP de l’académie d’Amiens, 2001. 2 3 La parole de l’élève doit donc être libérée et, avant tout, prise en compte. C’est dans cette optique que j’ai choisi de travailler. Le véritable problème qui se pose maintenant est celui de l’importance de cette parole. Qu’elle soit encouragée, oui, qu’elle soit libre, oui, mais est-elle pour autant intéressante dans une approche pédagogique ? Les élèves, s’ils sont sollicités, parlent mais cette parole est-elle toujours constructive au niveau scolaire ? Il paraît, en effet, bien difficile de laisser libre cours à des remarques d’élèves sans dévier de l’objectif fixé pour la séance de travail ou sans dépasser le temps imparti pour chaque séance. L’objectif principal est donc, certes, de valoriser la parole mais également de la canaliser, pour qu’elle participe d’un but pédagogique. Comment donc, dans ces conditions, rendre la parole de mes élèves constructive ? Après une brève présentation de la classe, de son hétérogénéité, mais également de sa volonté de s’exprimer, je présenterai une pédagogie en deux phases pour tenter de répondre à l’objectif que je me suis fixé. Tout d’abord, une pédagogie de l’oral, où l’enseignant guide, facilite, motive la parole tout en la recadrant. Puis, le professeur tentera de s’effacer pour n’être plus qu’un simple médiateur et laisser les élèves construire eux-mêmes leurs savoirs. Nous verrons à partir de là quel bilan en tirer, à la fois du point de vue de l’élève, mais aussi de celui de l’enseignant. 4 I/ UNE CLASSE HETEROGENE, MAIS MOTIVEE ET MOTIVANTE Après une brève présentation de la classe et de l’établissement, nous verrons quelle est l’attitude des élèves en cours de français, ce que cela a de motivant, mais également de pénalisant et de déstabilisant pour un professeur. Nous tenterons alors de dégager les causes principales de ce problème, pour tenter d’y trouver une solution. 1) Présentation de l’établissement et de ma classe J’enseigne cette année au collège Le Petit Prétan à Givry, dans le département de la Saône et Loire. Cette établissement comprend cinq cents soixante six élèves, tous issus des communes alentours. Les parents sont très présents dans la vie scolaire, c’est peut-être pourquoi, cette présence cumulée aux petits effectifs, il n’y a pas de problèmes majeurs au sein de cet établissement. Ma classe de 5ème 6 comprend vingt trois élèves, dont dix filles et treize garçons. Mis à part trois cas de parents divorcés, il n’y a pas de graves problèmes familiaux. Les parents sont le plus souvent attentifs au travail de leurs enfants et s’intéressent à la vie de la classe. Certains sont cependant absents ou inexistants dans le suivi des cours et cela engendre parfois quelques difficultés. Une mère d’élève ne parle pas français, sa fille a donc quelques problèmes d’expression écrite ; d’autres parents démissionnent, laissant leur fille penser qu’elle ne réussira jamais à produire quelque chose de bon au niveau scolaire. C’est donc un problème d’hétérogénéité qu’il me faut en priorité gérer. Si l’on se réfère au diagramme des notes du premier trimestre en français, on remarque qu’il y a une très bonne tête de classe ( huit élèves obtiennent seize de moyenne ou plus ), mais certains élèves n’obtiennent pourtant pas la moyenne, ou sont en grande difficulté (trois élèves ont obtenu entre sept et neuf de moyenne en français ). Notons que les devoirs du début d’année étaient relativement simples, donc bien, voire très bien, réussis par les élèves. Il a donc fallu que je m’adapte au niveau 5ème en premier lieu, puis au niveau de ma classe en second lieu. Le niveau de cette classe est relativement bon, particulièrement en ce qui concerne la lecture. Les élèves sont, pour la majorité, tous volontaires pour lire et, sauf deux ou trois cas spécifiques, la lecture orale est fluide et agréable à entendre. La plupart comprennent également ce qu’ils lisent et lisent chez eux des ouvrages divers ( la palme revenant à Harry Potter ! ) Le niveau d’expression écrite est moins bon. Les règles d’orthographe ne sont pas toujours comprises, apprises, ou appliquées. Il me faut donc essentiellement travailler l’orthographe et le style, car certains considèrent encore la ponctuation comme facultative, et parsèment leur copie de « alors », « et », « et puis ». Cependant, s’il fallait résumer, je dirai que le niveau est dans l’ensemble relativement bon mais que de gros problèmes d’hétérogénéité me forcent à diversifier mon cours et à m’adapter à chaque élève, ce qui est, je l’avoue, un exercice assez périlleux pour un jeune professeur. 5 2) Attitude de ma classe durant les cours de français Mes élèves débordent, pour beaucoup, d’énergie et sont souvent pleins de bonne volonté lorsqu’il s’agit de répondre à mes questions. Ce ne sont pas des élèves dissipés. Ils savent parler en levant le doigt. Certains oublient parfois cette règle de bonne conduite mais, dans ces moments, les interventions ne sont pas perturbatrices ou malvenues. Cette classe est donc relativement calme et, mis à part un élève qui oublie souvent que le tableau est face à lui et non pas dans son dos, ou que l’on peut se faire remarquer par son professeur autrement qu’en se mettant debout ou en renversant sa chaise, l’ambiance est studieuse et détendue. Ces élèves participent énormément et une bonne dizaine d’entre eux est toujours volontaire pour lire un texte à haute voix, réciter une poésie, ou simplement me donner une réponse. Ceux qui ne lèvent pas spontanément le doigt comprennent néanmoins les questions et savent y répondre lorsque je les interroge. Ces élèves font cependant partie des bons élèves. Pour ceux en difficulté, il faut parfois que je motive leurs interventions en expliquant plus précisément un texte ou en reformulant ma question. Ils arrivent alors parfois à répondre correctement, ou simplement à s’exprimer, à donner leurs opinions, ce qu’ils n’auraient peutêtre pas fait spontanément. A l’heure actuelle, il n’y a plus que deux élèves sur les vingt trois de la classe qui refusent de réellement participer, de lire ou de donner leur opinion. Je pense que ce refus est dû à de la timidité et parfois à de l’incompréhension, ou du désintérêt. Cet enthousiasme et cette envie constante de parler est un énorme atout, puisque la classe est réceptive et très vivante, mais cela peut vite devenir un inconvénient. Il faut en effet constamment canaliser cette parole, sans toutefois la démotiver. Je me souviens d’un cours de début d’année où le brouhaha empêchait réellement le travail. Ma leçon de morale un peu virulente avait choqué, et les élèves, plutôt habitués à mon caractère calme, s’étaient refermés, repliés sur eux-mêmes et il m’avait fallu de bonnes minutes et des questions relativement motivantes pour retrouver leur spontanéité. Je me suis donc aperçue, que cette participation était fragile et qu’il fallait non seulement la motiver, mais aussi l’entretenir, en donnant aux élèves l’envie de parler. Mais comment alors canaliser la parole, l’encourager et éviter les débordements sans faire de discipline musclée ? Cette participation, active, spontanée, naturelle pour les uns, parfois forcée pour les autres, rend mes cours de français vivants et intéressants car le cours s’élabore parfois en fonction de leurs réponses. Là où certains professeurs perdent du temps à attendre les réponses, j’en perds à essayer de canaliser la parole ou de répondre à toutes les questions ! Cependant cette participation me pose parfois problème. Il faut, si je ne veux pas anesthésier l’enthousiasme de mes élèves, me forcer à prendre du temps pour répondre aux questions. Or cela a pour conséquence de me faire dévier de mon objectif de séance, ou d’écourter le travail prévu, pour pourvoir respecter l’heure impartie à mon sujet. Cette incapacité à concilier participation et suivi des objectifs de séances vient de trois problèmes fondamentaux dans la gestion de mes cours et de ma classe. 6 3) Les problèmes rencontrés Le premier problème est celui de l’hétérogénéité. Toutes les questions, toutes les remarques qui me sont faites ne sont pas toutes pertinentes, ni toutes utiles pour le suivi ou le bon déroulement du cours. Mais puis-je décider, en tant que professeur, quelles remarques sont valables ou non ? Mon statut me permet-il de répertorier ou classer les questions ou les réponses de mes élèves comme « bonnes » ou « fausses » sans, logiquement, cataloguer ou étiqueter les élèves eux-mêmes ? Ces interrogations m’ont poussée à ne pas faire, au début, de distinction entre une bonne et une mauvaise question et je me suis efforcée, en m’armant parfois de patience, je l’avoue, à répondre à toutes. Néanmoins, devant la brièveté des heures de cours et voyant les visages découragés des élèves qui avaient compris la leçon depuis bien longtemps, je n’ai pu que me rendre à l’évidence : je ne pouvais faire en sorte de répondre à tous. Pourtant, il n’était pas question de laisser des élèves dans l’incertitude ou l’incompréhension. Quel compromis trouver alors ? J’ai donc, dans un premier temps, établit une hiérarchie dans les questions. Mais était-ce toujours la bonne ? Par exemple, je me suis aperçue, un jour, lors d’une simple question de grammaire, qu’une élève ne savait pas ce qu’était l’infinitif d’un verbe. J’ai donc pris cinq minutes pour lui réexpliquer rapidement une chose qu’elle aurait dû savoir depuis déjà bien longtemps. Je n’avais pas beaucoup plus de temps à lui accorder et cette durée ne lui a pas particulièrement servi puisque je voyais bien que l’incompréhension demeurait. Je ne pouvais cependant pas régler cette question, faute de temps dans mon cours et, problème inhérent à l’établissement, n’ayant pas mes élèves en aide individualisée, mais ceux de collègues. La façon dont j’ai géré ce problème est en effet peu concluante : cinq minutes en moins pour mon cours et des explications rapides et peu convaincantes qui n’ont pas tellement servi à l’élève. Par ailleurs, choisir de « bonnes » questions, celles qui, pour moi, me permettent d’avancer dans l’objectif que je me suis fixé, sont souvent le fruit des bons élèves de la classe. Or un élève qui a déjà du mal à lire ou à comprendre un texte, peut-il trouver un profit quelconque dans la réponse à une question spécifique et bien ciblée ? Par exemple, lors d’une leçon de grammaire sur la concordance temps simples et temps composé, nous étudiions la formation imparfait / plus-que-parfait, quand une élève m’a parlé de la concordance passé simple / passé antérieur et futur simple / futur antérieur. Certains élèves n’ayant déjà pas bien compris le mécanisme, ont été paniqués par cette remarque, pourtant très bonne. J’ai alors surpris la remarque désabusée d’un garçon « je suis vraiment nul, je ne comprends rien ». Ainsi, cibler les questions, répondre, rebondir sur toutes les remarques, peut être pervers, voire démotivant pour des élèves peu sûrs de leurs connaissances. Le second problème que j’ai rencontré venait d’une mauvaise gestion de mes supports de travail. J’ai bâti une séance, lors de ma deuxième séquence, sur le texte informatif ( Annexe 1). Le support m’avait semblé adapté et approprié à cette leçon. Ce support se composait d’un groupement de textes qui devait illustrer une séance sur le texte informatif. J' avais trouvé ce support intéressant car écrit au présent de vérité générale et, pour moi, il représentait bien ce qu' était un texte documentaire : un écrit qui donne des informations générales et valables pour tout objet présenté. Or, lors de cette présentation du support, après avoir fait lire les différents textes, j' ai interrogé les élèves sur ce qu' ils avaient retenu de ces lectures. Puis j' ai relié cette séance à mon objectif de deuxième séquence : "savoir différencier les différents discours". Je leur ai donc demandé s' ils savaient à quel type de texte correspondait ce document. Plusieurs mains se sont alors levées et certains m' ont répondu "une description". Je leur ai alors répliqué par la négative mais, au moment de justifier ma réponse, je me suis sentie embarrassée : ces textes correspondaient en effet à une description 7 informative. J’ai alors tenté de garder contenance en leur montrant que, le présent de vérité générale étant employé, cela ne pouvait pas correspondre à de la description pure ( vaste erreur !!…. ). Je leur ai donc relu le texte en insistant lourdement sur les verbes pour leur montrer l’importance de ce temps et pour qu’ils arrivent à l’identifier. Or, la seule remarque qui a pu m' être faite, était que ce document était écrit à la première personne du singulier. Cette remarque était pourtant intéressante mais, ne me sentant plus du tout sûre de moi par rapport à ce support, j’ai complètement occulté la réponse, lui disant que cela n’avait pas d’intérêt pour le cours. Grossière erreur, mais cela a été le seul échappatoire que j’ai trouvé !! Je me suis donc sentie basculer de plus en plus dans une forme d' incohérence par rapport à ce type de discours et j' ai dû finalement répondre moi-même aux questions que je posais, car mes élèves, toujours indécis, ne participaient presque plus, ne comprenant vraiment plus où je voulais en venir! Je crois que mon principal problème était le choix du support. Il m' avait pourtant paru adapté et clair, mais les questions déstabilisantes de mes élèves ainsi que mon incapacité à défendre mon document ont rendu ce cours assez rébarbatif et ont démotivé les élèves, qui n' ont pas manifesté un enthousiasme démesuré pour participer lors de cette séance! Leurs questions sont également restées sans réponse, puisqu' à la fin je les occultais pour pouvoir poursuivre une explication somme toute chaotique, selon une optique initialement choisie. Je ne réutiliserai donc plus ce groupement de textes, si ce n' est dans une séance sur la description informative! Une mauvaise connaissance des supports m’avait fait commettre la même erreur quelques semaines auparavant, lors d’une séance sur le langage de la bande dessinée, durant la première séquence. Les élèves devaient compléter une bande dessinée chez eux ( Annexe 2). Lors de la correction en classe le matin, je demande aux volontaires de me lire à haute voix ce qu' ils ont fait. Je vérifie le style, s' il n' y a pas d' incorrection et si les personnages, ainsi que le contexte ( l' arrestation de la Castafiore lors d' une représentation à laquelle assistait le général Tapioca ) ont été respectés. Ce que j' entends me paraît correct et je décide de continuer ma séance suivant l’objectif que je m’étais fixé. Guillaume lève alors la main pour me dire que, lui, a choisi de montrer la joie du Capitaine Haddock et non l' inquiétude par rapport à cette arrestation, comme tous les autres élèves l' avaient fait. A ce moment, je n' ai pas accordé l' attention nécessaire à cette remarque et j' ai simplement dit : "Tu as aussi raison, on pouvait interpréter la bande dessinée de plusieurs façons." Ce n' est qu’au moment de la correction que je me suis rendue compte que cette remarque était en réalité la seule solution possible pour interpréter les paroles du capitaine. Je n' ai donc pas su rebondir sur cette bonne réplique pour améliorer la correction et faire prendre conscience aux autres que la bande dessinée est autant une lecture du texte qu' une interprétation des images. Ayant toujours moimême accordé beaucoup d’attention aux textes écrits, je n' ai pas l' habitude de m' intéresser aux images et je n' avais pas assez étudié ce support pour pouvoir répondre correctement aux questions et aux attentes de mes élèves. Le troisième problème vient de la préparation de mes cours. Je consacrais en effet, beaucoup de temps à rédiger un cours propre, qui me rassurait, m’offrant des réponses toutes faites ( écrites en italique ) et des séries de questions très détaillées, auxquelles je me fiais religieusement ( Annexe 3 ). J’attendais souvent une réponse et, si cette réponse n’était pas, presque mot pour mot, identique à la phrase qui se trouvait dans mon cours, je faisais reformuler les propos. Les élèves n’avaient donc pas la possibilité de s’exprimer, ou de formuler des réponses qui, mêmes incorrectes, pouvaient offrir des pistes pour amener à la réponse désirée. Je me suis donc forcée à concevoir des cours moins travaillés et moins rédigés pour pouvoir, dans un exercice de style périlleux, rebondir sur des remarques qui, au final, viendront nourrir mon cours. Je me suis efforcée de préparer mes cours de façon moins 8 détaillée, de manière à pouvoir m' éloigner de mon support, sans avoir l' impression d' aller totalement à l' encontre de mon objectif de séquence ou de séance. Une part d' improvisation est, je pense, nécessaire et cela permet de laisser les remarques de mes élèves alimenter mon cours, sans pour autant le perturber. Ils doivent pouvoir être acteurs, non pas dans la réalisation, mais dans le déroulement de ma séance. Cependant, des réponses abruptes et limitées à leurs questions ne résoudront pas le problème. Comment donc répondre à toutes les questions de mes élèves sans en pénaliser certains, sans ennuyer les uns et démotiver les autres ? Quelle stratégie pédagogique adopter pour pouvoir gérer la parole de mes élèves tout en menant mon objectif de séance à bien, pour ne frustrer ni ne décourager les élèves dont les remarques sont incorrectes, ou tout simplement inadaptées à la séance ? Après réflexion, je pense que le problème ne vient pas, et ne peut pas venir des élèves. C’est au professeur d’apprendre à gérer son cours. Si les élèves participent de façon spontanée, c’est une chance. Il faut donc en profiter pour rebondir sur ces remarques et motiver la parole, mais la motiver dans le sens de l’objectif de séance. Pour conclure, c’est donc au professeur de cibler les bons objectifs à atteindre, mais aussi d’y adapter ses supports et de poser les bonnes questions. L’enseignant devient la clé du bon fonctionnement de son cours. J’ai donc choisi de mettre en place dans ma classe une pédagogie en deux temps, pour me permettre de m’adapter à mes élèves et de leur donner confiance en eux, afin qu’ils expriment leurs opinions et leurs visions des choses. 9 II/ MISE EN PLACE D’UNE PEDAGOGIE DE L’ORAL L’enseignant va donc devoir gérer la parole de ses élèves, la guider et la faciliter. Il sera intéressant de mettre en place une pédagogie fonctionnant sur le mode de la discussion, où l’enseignant devient presque « metteur en scène », puisque de lui dépend le bon fonctionnement de son cours. Son rôle est primordial : tout en maîtrisant ses supports et le niveau de ses élèves, il devra motiver et respecter leur parole, savoir reformuler leurs remarques et improviser. Ainsi, dans un premier temps, cette pédagogie repose sur l’organisation de la séance et la capacité à guider les remarques d’élèves. 1) Mise en place d’un nouveau schéma de communication Daniel Martin4 s’est penché sur le problème de la communication au sein de la classe et a comparé deux modes de fonctionnement d’un cours. L’un, plutôt traditionnel, fonctionnant sur le mode de la récitation, l’autre, plus avant-gardiste, se fondant sur le principe de la discussion. Daniel Martin se demande en effet, si apprendre ce n’est pas « d’abord donner l’occasion aux élèves de se poser les bonnes questions avant d’élaborer des stratégies qui leur permettront de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés ». Il réfute le modèle de cours où l’adulte pose une question à la classe, un élève y répond ensuite, puis le maître évalue la réponse et pose une autre question à toute la classe. Il préfère donner à l’enseignement le but de « faire des élèves des experts non seulement dans l’art de répondre aux questions, mais aussi et peut-être avant tout dans celui d’en poser ! ». Cet auteur cite DILLON, pour qui ce type d’échange est proche de la « discussion ». Le maître joue un rôle de « catalyseur en proposant aux élèves des situations et des activités créant un contexte favorable à l’acquisition des savoirs et des savoirs-faire ». Daniel Martin, pour appuyer l’idée qu’une classe doit reposer avant tout sur l’échange enseignant-élève, a établi une comparaison entre une classe fonctionnant sur le mode de la récitation et une autre fonctionnant sur le mode de la discussion ( Annexe 4 ). Il en résulte que, dans une classe fonctionnant sur le mode de la discussion, le temps de parole du maître est moins long, que les élèves prennent plus facilement la parole et la gardent en moyenne 25 secondes contre 4 secondes dans une classe fonctionnant sur le mode de la récitation. Les élèves dialoguent également plus facilement entre eux ( 94% contre 6% au sein d’une classe fonctionnant sur le mode de la récitation). L’enseignant est alors beaucoup plus discret. Les types de questions varient également. Une classe fonctionnant sur le mode de la récitation préfèrera des questions « de niveau cognitif bas », qui font appel aux connaissances de base des élèves ainsi qu’à leur mémoire, du type « combien font 87+65 ». La classe fonctionnant sur le mode de la discussion préfèrera, à 87%, des questions « de niveau cognitif 4 Daniel MARTIN, (Méta)communiquer pour apprendre, c’est faire de l’oral à plein temps, dans Parole étouffée, parole libérée, fondements et limites d’une pédagogie de l’oral. Techniques et méthodes pédagogiques, DELACHAUX et NIESTLE, sous la direction de Martine WIRTHNER, Daniel MARTIN, Philippe PERRENOUD. 10 élevé », qui mobilisent les capacités à inférer, spéculer ou encore faire des synthèses, du type « comment faites-vous lorsque vous êtes confrontés à un nouveau problème ? Quelles sont les solutions possibles ? ». Ces questions favorisent la prise de conscience des démarches utilisées par les élèves et stimulent l’élaboration de procédures efficaces. La relation fondée sur la récitation entraîne toujours un jugement qualitatif : c’est juste ou c’est faux. Il y a constamment une évaluation de la part de l’enseignant. Le mode-discussion, dans la mesure où elle crée des interventions des élèves plus nombreuses et plus complexes, crée un contexte favorable à l’apprentissage. Selon Philippe PERRENOUD5, le maître parle beaucoup plus que ces élèves, et même lorsque ceux-ci ont la parole, il reste l’organisateur des conversations légitimes. Il pose des questions, met l’élève en demeure d’y répondre, de suggérer des hypothèses, de faire des propositions. L’enseignant décide de répondre ou non à leurs interventions spontanées. Philippe PERRENOUD regrette cependant que le temps de parole ne soit pas égalitaire. Les élèves, certes, s’expriment, mais cela ne participe pas d’une pédagogie de l’oral. Il constate également avec regret que chaque intervention d’un élève est l’objet possible d’une évaluation et d’une intervention normative « répète après moi.. », « essaie de nouveau… ». L’enseignant doit donc savoir gérer la situation de communication et la relation. P. PERRENOUD parle d’une « pédagogie de l’oral », ce qui correspond pour lui au fait d’ « entrer dans l’analyse de la dimension communicative actuelle ou virtuelle de toutes les situations didactiques et de tous les moments de fonctionnement d’une classe » Cette pédagogie de l’oral doit déboucher sur une prise de conscience des faits et processus de communication. Cet auteur cite PASQUIER et STEFFEN qui distinguent des situations-jeux ( accèdent à l’imaginaire, à la simulation, à l’exercice ludique (le langage est mis en jeu dans un processus de communication qui lui donne du sens) ), des situations-projets ( qui relèvent de la pédagogie de projet et de l’école active et interactive ( l’enseignant doit très bien gérer et maîtriser l’ensemble de l’activité) ), des situations-fonctionnement ( qui participent de la gestion globale du groupe-classe et du rapport pédagogique ( conseil de classe, animation d’un coin lecture dans la classe,…) ). Il y a donc des moments où l’on fait explicitement de l’oral et d’autres où les élèves n’ont pas le sentiment de réellement travailler l’expression verbale. C’est cette diversité de l’oral qui va créer l’apprentissage, voire même l’envie d’apprendre. J’ai tenté de mettre en place ces trois « situations » au sein d’une séance consacrée à la description d’un tableau de Renoir : Le Banquet des canotiers. Une première heure de cours a été consacrée à l’organisation de la description. La deuxième heure a consisté à décrire le tableau à l’oral. Ce travail a donné lieu à une retranscription écrite. Cette heure de cours permet à la fois de mettre en application ce qui a été dit le matin et de me lancer un défi : être capable de construire mon cours en fonction des remarques de mes élèves. Je leur ai d’abord demandé de me dire tout ce qu’ils voyaient sur cette image. J’ai inscrit les éléments de réponse au tableau, dans l’ordre où les élèves les énonçaient, sans logique apparente. Puis, après leur avoir fait dresser le bilan de la séance précédente, nous l’avons mise en application et organisé les remarques précédentes selon un ordre choisi : du plan général au point de détail. Ainsi, tout en les guidant à travers un questionnement afin qu’ils ne dévient pas trop de l’objectif initial, nous avons organisé les éléments inscrits au tableau afin de leur construire un plan de rédaction. « La situation-jeux » vient du support inattendu pour les élèves, peu habitués à la culture picturale en cours de littérature. La description des éléments composant ce tableau s’est faite avec la classe entière, chacun renchérissant sur les remarques des autres. « La situation5 Philippe PERRENOUD, Bouche cousue ou langue bien pendue ? L’oral entre deux pédagogies, dans Parole gelée, parole libérée, ib idem. 11 projet » vient de la finalité de cet exercice : une rédaction. Enfin, « La situationfonctionnement » vient de la participation active de la classe entière. Cette phase d’oral était primordiale pour la construction de mon cours. Les élèves y ont adhéré avec assez d’enthousiasme, sans avoir l’impression de « faire de l’oral » et, pourtant cet exercice a donné lieu à des reformulations, des corrections grammaticales ou lexicales, parfois par le professeur, parfois par les élèves eux-mêmes, et entre eux. D’où, un excellent moyen de corriger le vocabulaire et la conjugaison, bien plus plaisant que la dictée ! Le rôle de l’enseignant est donc primordial. Il doit inciter ses élèves à parler, tenir compte de leurs remarques pour construire son cours avec eux. C’est à lui que revient le devoir de gérer la situation de communication : il doit guider ses élèves dans leurs raisonnement, tout en prenant en compte leurs remarques dans la construction de sa séance. Pour cela , un cours ne doit pas être universel mais personnalisé : le professeur enseigne à une classe spécifique, il doit donc adapter son cours aux élèves qu’il a devant lui. L’évaluation n’est pas toujours nécessaire et le côté attractif d’un cours permet souvent d’obtenir de l’attention et du sérieux de la part des élèves. Cependant, la responsabilité ou le devoir d’un enseignant reste plus vaste. 2) Le rôle de l’enseignant L’enseignant doit gérer sa classe. La responsabilité d’un cours vivant et profitable aux élèves lui incombe. Parmi ses nombreuses responsabilités, on compte celle de bien connaître ses élèves afin d’adapter le niveau de sa séance, ou tout simplement la difficulté des questions à poser. Il doit, en outre, maîtriser ses supports, motiver la parole de ses élèves et surtout la respecter. Il doit être capable de s’adapter à sa classe, reformuler les assertions de ses élèves, savoir rebondir sur leurs remarques, d’où pouvoir improviser, faire preuve de souplesse et d’adaptation. a) Connaître ses élèves La difficulté de la préparation d’un cours vient souvent du fait qu’il faut pouvoir l’adapter à ses élèves. L’objectif d’une séance ne pourra être le même pour une classe vive et dynamique, que pour une classe plus lente à travailler et dont le niveau est plus faible. Pour Claude MAYOR6, l’enseignant est « un meneur de jeu ». Il garantit aux règles mises en place un minimum de stabilité, de souplesse et de cohérence. L’élève doit pouvoir écouter, argumenter, construire. Or, pour que cette attitude pédagogique soit bénéfique, l’enseignant doit savoir à qui il s’adresse, à qui il fixe les règles et les objectifs d’apprentissage. Pour Philippe MEIRIEU7, le rôle de l’enseignant est de faire émerger le désir d’apprendre : il doit « créer l’énigme », ou plus exactement « faire du savoir une énigme ». L’élève doit entrevoir l’intérêt et la richesse. Il réfute la « pédagogie bavarde » qui en dit souvent trop. Pour créer cette énigme, l’enseignant doit identifier ce que les élèves savent ou 6 Claude MAYOR, L’expression orale dans des situations simulées : les règles du jeu, dans Parole gelée, parole libérée, ib idem. 7 Philippe MEIRIEU, Apprendre,… oui, mais comment ?, Collection Pédagogiques, ESF éditeur, 1987. 12 savent faire. La proximité avec l’élève est primordiale. Il constate par ailleurs que « apprendre est une opération curieuse où la mobilisation des acquis permet leur enrichissement ». Pour lui, comme pour Daniel MARTIN, la « pédagogie de la réponse » est « une pédagogie de l’aléatoire ». ( apprendre des listes par cœur, mémoriser des textes littéraires,…. ) J’ai donc tenté d’évaluer le niveau de mes élèves avant de me lancer dans la préparation de mes séquences et, au fur et à mesure de l’année, dans l’enchaînement de mes séances. C’est pourquoi, le six Septembre, jour de rentrée, je leur ai proposé un long questionnaire afin de les connaître davantage et de leur prouver que je m’intéressais à eux en dehors de la salle de classe ( Annexe 5 ). Puis je leur ai demandé de me rédiger un court paragraphe sur un moment de leurs vacances qui les avaient particulièrement marqués ou sur leurs impressions lors de cette première journée en classe de 5ème. J’ai pu me rendre compte, en lisant leurs copies, que la présentation était soignée, l’écriture ( le tracé des lettres ) relativement correcte. Je n’ai donc pas eu à revenir sur des questions de méthode, notamment en ce qui concerne la présentation d’un devoir, lors des premiers cours Durant la deuxième heure de cours, j’ai choisi de mettre en place une longue évaluation de grammaire et de conjugaison. J’ai ainsi constaté qu’ils ne maîtrisaient pas la voix passive et qu’il fallait revenir sur la question de l’attribut. Ce dernier a été revu lors d’une correction de rédaction et à l’intérieur de la leçon sur l’organisation de la description, qui traitait notamment de l’adjectif. Cette évaluation initiale m’a également permis de me rendre compte de nombreuses lacunes en conjugaison. Des rappels, sur les temps de l’indicatif notamment, vont donc occuper une place primordiale dans l’organisation de mes cours. Cependant, il me faut encore faire face à des questions sur lesquelles je ne peux malheureusement pas toujours m’arrêter : par exemple : « qu’est-ce qu’un infinitif ? » ou encore « quelle est la différence entre un participe passé et un verbe conjugué ? » J’essaie donc d’adapter le niveau de mes cours à mes élèves afin d’anticiper au maximum leurs questions, leurs remarques. Cela évite alors de perturber la continuité de mon cours pour répondre à leurs interrogations, ou de donner des réponses trop succinctes, voire ne pas donner de réponse à leurs questions, afin de terminer mon objectif de séance dans les temps. Un bilan de mes cinq premières séquences, avant les vacances de Noël, m’a permis de constater que les notions d’expansions du nom ( adjectif : degré et fonction, complément du nom et proposition subordonnée relative ) étaient comprises par la grande majorité des élèves, mais que des difficultés subsistaient dans l’emploi du passé simple et de l’imparfait à la première personne du singulier. La terminaison -ais vient comme une évidence ! J’ai donc décidé de ne pas attaquer la rentrée scolaire au mois de Janvier par la conjugaison et l’emploi du subjonctif, mais de faire de nouveau un rappel sur les temps de l’indicatif lors de la sixième séquence. Le subjonctif sera étudié lors de ma septième séquence. Pour André GIORDAN, Françoise et Jack GUICHARD8, il est nécessaire de comprendre quelle est la façon de raisonner de nos élèves, leurs cadres de référence. Cela permet de mieux cibler les objectifs à atteindre. « Les conceptions des apprenants ne sont ni évidentes, ni transparentes », affirment-ils. Il faut donc observer ses élèves, leurs actions et surtout leur parole. On peut également interpréter leurs écrits. Ils établissent une aide pour les enseignants, et notamment des questions à se poser par rapport à deux niveaux : 8 André GIORDAN, Françoise GUICHARD, Jack GUICHARD, Des idées pour apprendre, chapitre 5 : « comment connaître et prendre en compte les apprenants », CRDP Alpes Maritimes, 1997. 13 - par rapport au niveau de formulation : le ou les niveaux de lecture sont-ils cohérents avec les apprenants ? quelles sont les références pré-requises pour comprendre les explications ? quel est le niveau d’interprétation proposé ? par rapport au niveau de transmissibilité : le message est-il lisible, compréhensible, réutilisable ? Ils concluent en ces termes : « essayer de préciser l’impact possible de votre cours ou de votre produit en tenant compte des questions, des idées et des façons de raisonner de votre public » Connaître le niveau de ses élèves permet donc d’adapter le niveau de ses cours, mais également le niveau de ses questions. Pour qu’un élève soit toujours encouragé dans son travail, il faut savoir lui montrer qu’il peut bien faire, qu’il sait des choses et qu’il peut les exploiter. Je traiterai cependant cet aspect dans la partie suivante car je considère qu’adapter ses questions à ses élèves relève autant de la connaissance du niveau et des capacités de ses élèves, que d’une bonne maîtrise des supports, ce qui permet de varier les questions et les approches. b) Maîtriser ses supports et sa parole L’enseignant doit pouvoir être clair dans ses explications afin que l’information circule correctement au sein de la classe. Il doit ainsi maîtriser totalement ses supports. Pour Gilles LECOCQ9, « que ce soit du côté des élèves ou du côté des enseignants, la construction et l’expression de la motivation nécessitent la mise en place de stratégies et de tactiques qui ne doivent pas influencer le comportement humain, mais plutôt la compréhension de ce dernier. » C’est donc à l’enseignant de bien choisir ses supports didactiques ; ils doivent favoriser les expériences d’autodétermination ou stimuler. « La motivation […]peut permettre […] de faire cohabiter l’individualité et la solidarité, l’envie d’apprendre et l’envie d’enseigner , continue Gilles LECOCQ. Ainsi il incombe à l’enseignant de ne pas anesthésier l’envie d’apprendre ou la motivation de ses élèves. Pour cela, un matériel à la fois pédagogique, ludique et attractif est nécessaire. Philippe MEIRIEU10 met en place une formule : Identification =Signification Utilisation L’interaction Identification / Utilisation, traitée sur le plan didactique, devient alors, pour le formateur qui conçoit la situation, l’interaction Matériaux / Consignes, et pour l’apprenant aux prises avec la tâche, l’interaction Informations / Projet. Celle-ci est à la base même de la dynamique de tout apprentissage. « Un progrès n’est effectué qu’à travers une expérience qui prolonge une expérience précédente », renchérit Philippe MEIRIEU. Ainsi la continuité dans l’apprentissage est essentielle. Un élève doit toujours savoir où il va, en quoi consiste la leçon ainsi que les 9 Gilles LECOCQ, Si un élève motivé suffisait à influencer la motivation d’un enseignant ?, dans Construire et entretenir la motivation, sous la direction de Georges CHAPPAZ, Equipe Hermès, Université de Provence et CRDP de Marseille, 1996. 10 Philippe MEIRIEU, Apprendre, … oui, mais comment ?, ib idem. 14 apports futurs. Ces conditions sont essentielles pour entretenir et garder la motivation de l’élève, son adhésion, d’où son intérêt et sa participation. Philippe MEIRIEU constate cependant que l’éducation doit lier deux exigences pourtant contradictoires : « Le principe de sollicitation », qui impose de mettre le sujet dans des situations diverses et complexes, susceptibles de solliciter son attention, et « le principe d’émergence » selon lequel l’éducateur doit faire apparaître d’une situation les savoirs et les savoir-faire qu’il veut faire acquérir. Les apprentissages « sont construits dans et par les activités […], que l’éducateur doit susciter, organiser, gérer, et dont il doit aider à repérer les acquis ». Cet auteur définit deux notions utiles dans son principe éducatif : la notion de « Médiation », qui correspond à ce qui, dans le rapport pédagogique, relie le sujet au savoir et sépare le sujet de la situation d’acquisition. Elle assure ainsi la transmission du savoir et l’émancipation du sujet. Des institutions, des méthodes, des objets, des règles peuvent constituer des médiations. La notion de « Projet », qui comprend l’attitude du sujet-apprenant, par laquelle il se trouve en situation active de recueil et d’intégration des informations. Ainsi intégrées et mentalisées, ces informations peuvent être considérées comme des connaissances. L’investissement du professeur est donc une nécessité primordiale. C’est avec un cours suffisamment préparé, suffisamment étudié et maîtrisé, qu’il pourra mettre en place un schéma de communication efficace et productif. C’est en pouvant répondre à tout type de questions, en réussissant à rester clair et précis dans ses réponses qu’il sera bon pédagogue. Bruno OLLIVIER11 cite MALINOVSKI qui considère que « les mots participent de l’action et sont autant d’actions ». La communication au sein de la classe, l’oral au sein de la pédagogie ne sont donc pas choses à négliger. L’information circule et prend le récepteur en considération. Pour Bruno OLLIVIER « la communication ne consistera pas seulement à envoyer un message, mais aussi à savoir comment il a été reçu et à le modifier en fonction des réactions du récepteur, pour obtenir l’effet recherché. ». On appelle cela une rétroaction. On parle alors de feedback : l’émetteur doit nourrir en retour. Il n’y a alors plus un émetteur actif et un récepteur passif, il n’y a plus une cause et un effet, mais « une circulation permanente d’informations ». Une classe agit autant sur l’enseignant que l’enseignant sur sa classe. Le message est cependant interprété parfois différemment par le récepteur car ils ont tous deux leur propre système de références, de préoccupations, leur désir, leur vocabulaire. « En face du message comme source d’information, il existe un autre message, tout aussi réel, qui est celui que va construire le récepteur : le message interprété. », continue Bruno OLLIVIER. Ainsi, pour lui, il ne s’agit pas de contrôler le niveau scolaire de l’élève, mais de contrôler la construction du message et des conditions. La formulation de l’enseignant doit donc être claire, son ton ne doit pas être méprisant, il ne doit pas commettre d’erreur, due à une déperdition d’informations, à une mauvaise connaissance du code lui-même (mots, tournures de phrases,…) Bruno OLLIVIER souhaiterait mettre en place une autre structure que celle fondée sur l’échange entre l’enseignant et ses élèves : une communication en réseaux. Cela permettrait à l’enseignant d’écouter quel type de reformulation les élèves font du contenu qu’il leur a enseigné. Les élèves pourront être amenés à poser des questions d’éclaircissement à l’enseignant. Cela permettrait de déceler méprises, équivoques et malentendus. L’erreur et la mauvaise question sont alors des atouts fondamentaux pour, en les corrigeant, permettre à l’élève de progresser. 11 Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, ib idem. 15 J’ai donc tenté de privilégier l’oral et la circulation de l’information au sein de ma classe, notamment lors d’une séance à objectif lecture, consacrée à l’étude de L’enfant des manèges d’Andrée CHEDID. Après une première séance consacrée à l’étude de l’incipit, nous étudions l’entrée en scène du premier personnage, le forain Maxime Balin. Le manège est décrit avant le personnage. L’objectif de cette séance est de montrer l’adéquation du personnage et de l’objet qui le représente : un manège démodé pour un personnage qui ne vit pas avec son temps, qui hait les enfants et la modernité. Pour cela, je demande de quoi parle l’extrait ( lecture en classe du passage ). La plupart des élèves comprennent ce qu’ils lisent. Je leur demande ensuite par quoi débute l’extrait. Nous avons étudié la description lors de la séquence précédente, donc tous ( ou presque tous…) sont capables de l’identifier. J’écris au tableau les différents éléments du manège présentés dans cette description ( à chaque fois je leur demande de me citer le texte ). Puis nous passons à la deuxième étape de cette séance : l’apparition du personnage. On rédige sa « fiche d’état civil » au tableau : nom, prénom, âge, situation familiale, lieu de résidence, caractéristiques physiques et morales. Les premières questions sont destinées à vérifier que les élèves ont bien compris le texte et sont capables d’isoler certains éléments de l’extrait. Les caractéristiques physiques et morales vont alors être mises en parallèle avec la description du manège. C’est donc à eux de réfléchir maintenant. Beaucoup ne voient pas le rapport. Le manège est décrit comme plein de couleurs et le personnage comme quelqu’un de froid, gris. J’ai donc posé la question suivante : « Lorsque vous allez à la fête foraine, êtes-vous intéressés par un manège de chevaux de bois ? »La réponse a été claire : « Ah non, alors !! » Je leur ai alors demandé pourquoi et le mot de « démodé » à été cité. Nous avons donc inscrit le mot sous les éléments relatifs au manège. Je leur ai ensuite demandé quel sens ils donnaient à ce mot et, prenant en compte tout les éléments de réponse ( de « nul » à « ancien » ) nous les avons mis en parallèle avec le portrait de Maxime Balin. Ils ont donc compris le rapport entre le manège et le forain : la description du manège entraîne celle du personnage : manège démodé personnage qui a du mal à vivre avec son temps. Cette séance a bien marché car j’ai réussi à faire circuler la parole. J’ai interrogé le maximum d’élèves, mais je les ai interrogés en fonction de la difficulté des questions : pour une question plutôt facile ( exemple : « quels sont les éléments du manège qui sont décrits ? » ) j’ai davantage interrogé les élèves en difficultés. Pour une question plus difficile, par exemple : « retrouver les caractéristiques morales du personnage et les expliquer », j’ai davantage donné la parole à des élèves plus doués. Cela a permis à plus d’élèves de participer et d’être chacun valorisé par rapport à la justesse de leurs réponses. J’ai également réussi à prendre en compte toutes les opinions de la classe, notamment lors de la définition de l’adjectif « démodé », afin de valoriser le maximum d’élèves. Je pense avoir été capable de bien mener cette séance car je maîtrisais le support, mais aussi car j’avais adapté le cours à mes élèves, en fonction de ce qu’ils étaient capables de faire ou d’assimiler. J’ai pu me resservir de cette amorce pour la suite des séances de cette troisième séquence, puisque ce fameux manège va conditionner la présentation de chaque personnage. Il donnera lieu à la présentation de l’histoire d’Omar-Paul, le héros de la nouvelle, car il lui servira de « logis » pour une nuit, et comme Omar-Paul a perdu le sien, cela réveillera des souvenirs douloureux que le personnage nous livrera. Ainsi, adapter ses supports et ses questions à ses élèves, prendre en compte toutes les remarques, rendre les matériaux utilisés attractifs et intéressants, faire circuler la parole et aider les élèves à construire leurs savoirs, mobiliser les acquis pour encourager les élèves à progresser, sont autant de démarches pédagogiques primordiales pour la bonne réception et la continuité d’un cours. L’essentiel étant d’encourager la communication, et pour cela, il faut savoir motiver la parole . 16 c) Motiver et respecter la parole de ses élèves Un élève motivé est un élève qui se sent concerné par l’apprentissage. Alain LIEURY12 s’est intéressé au problème de la motivation de l’élève et en est arrivé à considérer comme « amotivé » un élève qui ne perçoit pas de relation entre ses actions et les résultats obtenus. Quelle que soit l’action qu’il produit, l’individu perçoit les résultats comme indépendants de sa volonté. Cela peut donner lieu à de la résignation stable ou temporaire où l’élève tend parfois à se dévaloriser car, démotivé, ses efforts ne sont plus payants. Cela amène souvent une dépréciation de soi. Alain LIEURY constate que la motivation peut revenir si « on leur présente des tâches d’habileté requerrant une compétition modérée qui ne doit pas invoquer un stress psychologique ou physiologique et si les récompenses pour les tâches intrinsèques ne sont pas saillantes. Cette condition est propice à une implication de la tâche ». Cet auteur établi une différence entre la motivation extrinsèque et la motivation intrinsèque. La motivation extrinsèque comporte toujours une part d’autodétermination : je fais une action dans un but précis ( par exemple : aller travailler pour gagner de l’argent). La motivation intrinsèque prend sa source dans l’activité elle-même. Au moment où l’activité a du sens en elle-même, l’individu trouve la satisfaction dans l’activité indépendamment de ce à quoi l’activité va le conduire. Cette motivation est centrée sur « un plaisir de satisfaction inhérent à l’activité ». Par exemple, si l’élève s’investit dans une activité scolaire et en ressent un grand intérêt. Le plaisir n’est pas forcément collé à l’activité, il peut être lié au plaisir de progresser, de viser un autre but après celui-là. Il ne faut pas hésiter à toujours expliciter la finalité d’une activité et à continuellement rendre l’élève acteur dans son apprentissage scolaire. Alain LIEURY cite notamment Gérard VERGNAUD, qui considère que « le grand besoin de l’être humain, c’est l’activité ». Mettre l’élève en activité consiste donc à le rendre acteur dans son apprentissage, soit à motiver sa parole, à lui faire formuler ses interrogations afin de rendre le cours et les interventions d’élèves constructifs. L’enseignant adopte donc un rôle ambivalent : il doit motiver, mais également respecter la parole de ses élèves en la prenant en compte dans la continuité de sa séance. Martine WIRTHNER considère que l’échange peut être inhérent à la vie de classe et l’élève peut aider le maître dans son rôle d’enseignant. Le maître peut alors devenir « observateur et [peut] jouer avec la dynamique de la classe ». Cependant, il doit toujours rester au cœur de cette dynamique pour que la relation opère. Martine WITHNER introduit alors la notion de respecter de la parole de l’élève de la façon suivante : « si la prise de parole peut exister sans être pénalisée par un jugement, du bruit, de l’indifférence ou le rejet, et rendre alors tout son sens, elle devient éducative aussi, car elle révèle l’importance des échanges dans un groupe d’individus, le maître étant à part entière membre du groupe ». Ces échanges, la prise en compte de l’oral permettent d’envisager la relation pédagogique sous une dimension scolaire mais aussi humaine. Un nouveau rapport est alors instauré entre le maître et ses élèves. Celui-ci abandonne une partie de son pouvoir, celui du « pourvoyeur exclusif du savoir » Elle s’appuie sur les opinions de VASQUEZ et OURY, datant de 1967, et qui considèrent qu’il faut « tendre à remplacer l’action permanente et l’intervention du maître par un système d’activités, de médiations diverses, d’institutions, qui assurent d’une façon continue l’obligation et la réciprocité des échanges, dans et hors du groupe ». Plus l’échange entre 12 Alain LIEURY, Motivation et mémoire, dans Construire et entretenir la motivation, ib, idem. 17 l’enseignant et sa classe sera de qualité, meilleur sera le savoir. Ainsi, « l’oral devient ainsi un élément important du langage ; il n’est pas objet d’étude, mais outil qui structure l’individu, le groupe, le savoir », conclut Martine WITHNER. Le professeur peut ainsi renoncer à vouloir ignorer la parole de ses élèves, ou renoncer à la scolariser ( évaluation notée, leçon dirigée,…), en adoptant « une solution divergente qu’il est seul à même d’esquisser ». J’ai donc tenté de motiver la parole de mes élèves et surtout de toujours lui trouver un intérêt par rapport au bon déroulement de mon cours. Je me suis efforcée de la rendre constructive en l’insérant dans la continuité de mon objectif de séance, voire même en nourrissant cet objectif de leurs remarques. Une séance du mois de décembre était consacrée à la correction d’exercices. Mes élèves devaient, à partir d’un tableau représentant un schéma de situation d’énonciation ( qui parle ? à qui ? où ? quand ? dans quel but ? ) imaginer l’énoncé correspondant. La faute majeure a été de me réécrire une phrase narrative, et non de rapporter les paroles de quelqu’un. Exemple : un médecin parle, à moi, un mercredi après-midi, pour me dire de faire attention à mon rythme de sommeil. Phrase d’un élève « Le médecin dit à Thomas, un mercredi après midi, que je dois faire attention à mon rythme de sommeil » Phrase d’un autre « « Il faut vraiment que tu fasses attention à avoir un rythme de sommeil correct ! » » Après avoir corrigé la première phrase en prenant exemple sur la deuxième, certains élèves « moteurs » avaient parfaitement compris la leçon. Lorsque nous avons corrigé les exemples suivants, j’ai laissé les élèves se reprendre entre eux. Cela a donné lieu à une séance très vivante, mais chaque élève a compris son erreur et les corrections se sont faites dans le respect de l’autre. Lors de cette séance, je suis devenue auditrice et je n’ai eu à intervenir que pour recadrer le cours quand il le fallait. Cette autonomie a d’abord surpris les élèves, puis les a incité à participer et à donner leur exemple sans crainte de la faute ou du jugement. Motiver et respecter la parole de ses élèves est donc essentiel, néanmoins il faut veiller à ce que cette participation soit constructive et non simplement due à l’agitation. L’enseignant doit donc pouvoir canaliser voire recadrer les interventions de ses élèves. Cela requiert une capacité à l’improvisation et à la reformulation. d) Savoir improviser et reformuler Pour Philippe PERRENOUD13, apprendre à communiquer c’est apprendre à « anticiper les réactions de l’autre […], tenir compte du contexte, des intentions et des intérêts des acteurs en présence ». Il continue dans ces termes : « c’est face à l’événement qu’il faut prendre le temps de s’arrêter, de s’étonner, d’analyser à chaud ». Cela impose une capacité à l’improvisation ainsi qu’une résistance active à la tentation « de substituer un savoir sur ( sur les actes de paroles, les niveaux de langage,..) au savoir-faire ». Improviser signifie donc être capable de s’adapter à son public, être capable d’innover. Bruno OLLIVIER14 considère qu’il faut « analyser pour comprendre. Innover, chercher pour être efficace. C’est deux mouvements sont liés ». Il continue en mettant les enseignants en garde : « sans communication, pas d’adaptation, pas de renouvellement, mais la sclérose, l’entropie, l’ennui ». Il faut donc sans cesse se renouveler, s’adapter à son auditoire. 13 14 Philippe PERRENOUD, Bouche cousue ou langue bien pendue ? L’oral entre deux pédagogies, ib idem. Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, ib idem. 18 C’est dans cette optique que j’ai choisi d’étudier un passage de la nouvelle d’Andrée CHEDID, L’enfant des manèges. Je m’étais donné comme objectif de séance d’étudier la progression d’une action à travers un retournement de situation. J’ai fait lire le texte à voix haute par plusieurs élèves ( un élève par personnage et un élève faisant la voix du narrateur ). Le personnage de Maxime Balin, forain grincheux et aigri, rencontre Omar-Paul, jeune enfant, recueilli en France par des cousins car la guerre qui ravage son pays l’a privé de ses parents et l’a mutilé : il n’a plus son bras gauche. La rencontre entre les deux hommes est inattendue : alors que Maxime arrive en hurlant après l’enfant qui s’est endormi dans son manège, la situation se renverse car Omar-Paul réussit à voir au fond du personnage. Il endosse alors le rôle d’adulte et mène le dialogue. Pour arriver à montrer à mes élèves ce renversement, je me suis d’abord adressée à ceux qui avaient lu, en leur demandant s’ils avaient constaté une variation de leur temps de parole au cours de leur lecture. Les autres élèves ont ensuite donné leur avis en temps qu’auditeurs. En effet, l’enfant, plutôt intimidé au début, devient plus prolixe à la fin. Cette habileté à parler le place sur le devant de la scène et relègue à l’arrière-plan le personnage le plus imposant au départ. En s’intéressant ensuite aux types de phrases, on s’est aperçu que les phrases interrogatives, d’abord dévolues à Maxime Balin, étaient ensuite du ressort d’Omar-Paul. En étudiant ensuite l’évolution de l’attitude de l’enfant, ( gestes, posture, regard ), je les ai amenés à comprendre que l’enfant campait désormais une position de dominant donc, que les phrases interrogatives étaient le fruit de celui qui menait la conversation et que le personnage qui répondait ne faisait que subir l’influence de l’autre. Nous avons ainsi montré que la fin de cet extrait contrastait avec le début et que la chute était donc brutale et inattendue. Cette séance a très bien marché car, tout en laissant presque totalement la parole à mes élèves, je les ai guidés dans la réflexion ci-dessus. J’ai réussi à m’adapter à leurs remarques ( je voulais d’abord parler de l’attitude d’Omar-Paul, mais une remarque sur le sens d’une exclamation de ce dernier m’a amenée à commencer par le repérage des différents types de phrases). J’ai réussi à m’adapter à mes élèves car je connaissais parfaitement cet extrait. J’ai ainsi pu habilement rester maîtresse du jeu, posant des questions qui découlaient logiquement l’une de l’autre. Savoir improviser et s’adapter à ses élèves, à leurs interrogations et leurs remarques est donc essentiel, mais il faut savoir aussi reformuler leurs assertions afin de leur montrer un nouvel axe de recherche, de les orienter vers la solution de leur problème, de leur montrer du doigt un aspect qui était peut-être resté obscur ou qu’ils n’avaient pas exploité. Pour Robert GUICHENY15, il est important, si l’on incite l’élève à parler, ou plus encore si l’élève prend la parole de lui-même, de respecter cette parole : l’attitude du professeur doit inciter à la communication. Il doit être attentif, ne rien faire pendant que l’élève parle. L’enseignant doit écouter son élève jusqu’au bout, sans couper la parole. Il doit ensuite reformuler la question pour être sûr d’avoir bien compris ce que disait l’élève et pour que l’élève soit sûr d’avoir bien formuler sa pensée. Les devoirs d’un professeur envers la parole de son élève consistent à « reformuler avec ses mots, savoir répondre aux questions d’un élève, savoir poser des questions à un autre élève, donner sa représentation …. Autant de techniques qui demandent à l’élève de faire, lui et lui seul, et simultanément de confronter ses représentations et ses questions à celles de ses camarades. La mémorisation reste personnelle. L’échange donne la possibilité à chacun d’affiner l’apprentissage, de resserrer son classement et d’éliminer des problèmes que l’enseignant ne pouvait pas imaginer avec sa vision d’ « expert » ». J’ai ainsi tenté d’élaborer mes barèmes de notation avec mes élèves, afin de 15 Robert GUICHENY, Elèves actifs, élèves acteurs, ib idem. 19 comprendre la représentation qu’ils avaient d’un passage à l’oral noté. Les élèves étaient répartis par groupe de quatre, pour présenter une nouvelle lue en lecture cursive parmi le recueil L’Artiste d’Andrée CHEDID. Avant le passage du premier groupe, nous établissons le barème à l’oral avec les élèves. Voici le barème que j’avais initialement prévu : Travail écrit : /12 Travail construit, approfondi : / 10 Cohésion par rapport au groupe, éventuellement panneau, affiche,… : /2 Prestation orale : /8 Clarté de la voix, diction : /6 Attitude (regard, aisance,…) : /2 Finalement, après discussion en classe, nous en sommes arrivés au barème suivant : Travail écrit : /10 Prestation orale : /10 Mes élèves ont préféré un barème clair et équilibré entre le travail écrit et la prestation orale. Etant donné que ce barème avait été élaboré en tenant compte des opinions de chacun et que tous les élèves l’approuvaient, j’ai nommé des co-examinateurs ( quatre ) au passage de chaque groupe, et j’ai tenu compte de leurs remarques pour établir la note finale. Cela a donné lieu à un travail cohérent, reconnu comme équitable, et a contribué à rendre actif chaque élève à chaque passage. Le travail s’est donc déroulé dans une bonne ambiance et un bon respect des personnes. Rendre la parole de mes élèves constructive est donc une démarche progressive et qui demande un grand investissement de l’enseignant. En effet, de lui dépend la réussite de ce projet ambitieux. C’est en tenant compte du public qu’il a face à lui, en se souciant de ses attentes et de ses possibilités, en respectant les opinions de ses élèves, en prenant en considération leurs remarques, qu’il va pouvoir faire avancer leur apprentissage. L’élève devient donc acteur et participe à la construction et à l’élaboration de son enseignement. Le rôle du professeur est donc multiple et il se doit de faire preuve d’une grande adaptation, d’une grande flexibilité. Si le professeur s’investit et sait faire preuve de respect et d’écoute vis à vis des remarques de ces élèves, ceux-ci seront davantage enclins à parler et cette parole pourra tout naturellement être sollicitée, intégrée à une séance donc intéressante et constructive au niveau pédagogique. Cependant, la présence de l’enseignant est-elle réellement nécessaire ? Non pas qu’un enseignant n’ait pas sa place au sein de sa classe, mais son rôle de détenteur exclusif du savoir est-il bien primordial ? Ne pourrait-on envisager une classe travaillant de manière autonome, où l’enseignant n’est plus qu’un simple « médiateur entre l’élève et le savoir 16» ? C’est ce problème que nous envisagerons maintenant, en tentant de mettre en place un apprentissage où l’élève essaiera de construire lui-même son savoir. 16 Marie-Louise ZIMMERMANNN, Un bilan de treize ans d’apprentissage par l’autonomie, Cahiers Pédagogiques n°335, Juin 1995, p 52-53. 20 III/ « L’APPRENTISSAGE PAR L’AUTONOMIE »17 La deuxième phase de la pédagogie que j’ai tenté de mettre en place dans ma classe cette année consiste à minimiser l’importance de la présence de l’enseignant dans la transmission du savoir. Nous avons vu qu’il pouvait contrôler la parole de l’élève en la guidant et en la réorientant si nécessaire. Cependant, pour que l’enseignement soit moins normatif, moins vécu comme une contrainte par l’individu apprenant, le professeur doit pouvoir s’effacer et n’intervenir que pour canaliser ou recadrer la parole de ses élèves. L’élève construira alors lui-même son savoir, sans même parfois en avoir conscience. 1) Un enseignement en plusieurs phases Gérard VERGNAUD18 considère que le rôle de l’enseignant n’est pas seulement de transmettre un savoir, mais d’aider l’enfant à changer ses représentations. Il affirme qu’« il s’agit de faire adhérer les apprenants au projet de l’entreprise ». La comparaison d’une institution à une entreprise peut paraître audacieuse, mais elle trouve sa justification dans le fait que Gérard VERGNAUD considère qu’un cadre et une organisation sont nécessaires à toute entreprise, comme à toute pédagogie. Ils doivent cependant être compris et acceptés par les élèves comme par les enseignants. La démarche qu’il souhaite mettre en place se déroule en cinq phases : - phase 1 : elle part du principe que les personnes sont peu compétentes et peu motivées : l’attitude est alors directive . - phase 2 : l’attitude devient persuasive - phase 3 : évolution vers une attitude participative. Cette phase correspond aux besoins de reconnaissance et d’appartenance. - Phase 4 : La personne devient de plus en plus autonome. Le rôle de l’enseignant n’est plus qu’une simple supervision. Cette phase correspond aux besoins d’auto épanouissement et de réalisation de soi. - Phase 5 : le but est de rendre l’élève plus compétent. On vise à aboutir à un apprentissage autonome. Ainsi l’enseignant doit d’abord motiver ses élèves. Pour cela, il faut les recadrer et leur montrer les règles de vie de classe à suivre. Puis, l’attitude du professeur doit évoluer jusqu’à permettre aux enfants de participer. Il explique, clarifie son projet et permet à sa classe d’y adhérer en lui laissant la parole. Gérard VERGNAUD analyse alors cette phase comme un besoin de reconnaissance de l’élève. Il cherche à s’intégrer au groupe-classe. Enfin, poussé par un perpétuel encouragement à s’exprimer, l’élève devient de plus en plus autonome et l’enseignant de moins en moins directif et planificateur. Pour illustrer sa pensée, il regroupe ces différentes phases sous forme d’un tableau : 17 Marie-Louise ZIMMERMANN, Treize ans d’apprentissage par l’autonomie, Cahiers Pédagogiques n°335, Juin 1995, p52-53. 18 Gérard VERGNAUD, dans Parole libérée, parole étouffée, ib idem. 21 Résignation Phase 1 Le Directif procédure ordre objectif guidance Le contrat est le traitement d’une situation Extrinsèque Phase 2 L’Incertain s’explique adhère projette s’informe Mise en activité de recherche Intrinsèque Phase 3 Le Participatif dialogue propositions échanges identité groupale Le groupe-classe accède à un certain savoir Phase 4 L’Explicite autonomie responsabilité créativité Phase 5 Le Contrôle autonomie satisfaction créativité supervision L’apprenant ne sait plus… L’enseignant et l’apprenant sont ou ne sont pas satisfaits Conceptualisation / Autonomie Autonomie / Satisfaction Compétence Motivation Autonomie Situation / Objectif Incertitude / Connaissance Langage / Construction Gérard VERGNAUD conclut en ces termes : « la prise en compte de la dimension de l’Autre paraît indiscutablement comme une valeur fondamentale ». Cet auteur formule donc une théorie essentielle : l’élève est au centre de chaque apprentissage, c’est à l’enseignant de s’adapter à son public, de le prendre en considération afin que le savoir transmis lui soit profitable aujourd’hui et plus tard. Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE19, quant à elle, s’est penchée sur la nécessité du travail en projet. Nous développerons cet aspect dans le point suivant, cependant nous pouvons d’ores et déjà remarquer qu’elle rejoint Gérard VERGNAUD dans l’établissement d’une méthodologie du travail en projet. En effet, tout comme lui, elle prône une exigence de rigueur et spécifie ainsi par là que rendre les élèves acteurs de leur apprentissage n’est pas chose facile ni désorganisée. Au contraire, laisser libre cours à la parole de l’élève s’avère une mission très difficile pour l’enseignant, car, de la même manière qu’il doit faire évoluer sa façon d’enseigner, il doit, selon Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE : - Clarifier ses attentes, son intention, ses intérêts et sa disponibilité. - Préciser si le futur projet qu’il aura décidé de mettre en place sera un projet de classe ou d’équipes. - S’interroger sur les motivations de son projet : s’appuiera-t-il sur un thème, un problème rencontré, un intérêt de sa classe pour un sujet,….. - Déterminer les balises de son projet ( durée, éléments non négociables, calendrier,… ) - Prévoir la disponibilité de certaines ressources ( bibliothèque, ordinateur, matériel,… ) Ainsi, pour que l’enseignant puisse rendre ses élèves acteurs de leur apprentissage, il doit au préalable mettre en place un matériel pédagogique rigoureux et s’y tenir. Rendre la 19 Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE, Le travail en projet, INTEGRA, Centre de pédagogie transdisciplinaire, Québec. 22 parole des élèves constructive et intéressante au niveau pédagogique implique donc tout un travail de préparation et d’organisation de la part de l’enseignant. C’est, je pense, ce qui m’a manqué dans la préparation de mes cours au début de l’année. Non pas qu’ils étaient mal préparés, au contraire, ils l’étaient trop et la place laissée à mes élèves pour s’exprimer n’était pas assez grande, voire même inexistante notamment lors de mes premiers cours. Je me suis améliorée sur ce point au fur et à mesure de l’année, mais d’autres aspects sont aujourd’hui déstabilisants pour un enseignant. Les contraintes matérielles et temporelles impliquent parfois une moindre qualité d’écoute du professeur. Pressée par le temps, je laisse parfois peu la parole à mes élèves pour qu’ils puissent s’exprimer, ou bien je ne les laisse pas s' expliquer autant qu’ils le souhaiteraient. Lors d’une séquence sur le Moyen-Age, où l’on étudiait Yvain et le chevalier au lion de Chrétien de Troyes, j’ai choisi de leur faire découvrir la langue médiévale au travers de deux textes écrits en ancien français ( Lancelot du lac, et Le Roman de Thèbes ) qui avaient pour thème les armes des chevaliers. En fin de séquence, nous avons travaillé avec un rétroprojecteur afin que les noms d’armes en ancien-français et en français moderne soient marqués sur un schéma représentant deux chevaliers en train de combattre. Les élèves avaient un polycopié chacun et écrivaient le nom des armes en même temps que je le faisais au tableau, à l’aide du transparent placé sur le rétroprojecteur. J’avais, selon l’esprit de Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE, clarifié les attentes d’un tel projet ( se familiariser avec la langue du Moyen-Age ), ses perspectives ( intéresser les élèves et éveiller leur curiosité ), je l’avais balisé ( séance de deux heures, en fin de séquence ) et prévu le matériel nécessaire disponible ( un rétroprojecteur, un photocopie sur transparent et ce même dessin sur feuille en nombre suffisant pour la classe ). Cette séance était donc parfaitement organisée. Cependant, l’intérêt des élèves a été très vif. Le premier temps s’est très bien déroulé, mais le second a été plus agité. Un binôme devait présenter un exposé sur les chevaliers en fin de deuxième heure. La volonté de leur laisser suffisamment de temps m’a parfois poussée à ne pas laisser de laps de temps convenables pour que mes élèves puissent donner leur avis sur des textes qui leur plaisaient pourtant beaucoup. Le bilan de cette séance est donc mitigé, puisque certes le cours était bien construit et intéressant pour mes élèves, néanmoins je n’ai pas su suffisamment rendre leur parole constructive pour mon cours, ni convenablement rebondir sur leur remarques pour bâtir la progression de ma séance. Peut-être aurait-il fallu moins prévoir d’activités afin d’accorder plus de temps à l’expression, mais ce cours se déroulant en fin de journée, j’ai craint les débordements dus aux temps non occupés. Cette expérience me fait donc rejoindre Gérard VERGNAUD et Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE : il faut beaucoup de rigueur, mais aussi d’expérience et de savoir-faire pour réussir à rendre un élèves acteur, sans être trop actif ( la participation enthousiaste d’un élève peut parfois se transformer en agitation ) ! La pédagogie n’est pas une science figée, mais quelque chose qui se construit, se manie et se remanie en fonction de son public. Il faut savoir être inventif et organisé pour pouvoir mener un projet, un objectif de séance à bien. Intéresser l’élève, le mettre en action est déjà un grand pas de franchi dans l’intérêt qu’il va porter à la matière, donc dans la portée pédagogique de ce cours. Dans toutes ces activités, la place de l’enseignant est une fois encore primordiale : le but est de réussir à ne devenir qu’un médiateur dans la transmission du savoir. 23 2) L’enseignant comme médiateur Ce rôle sera dévolu au professeur, principalement lors de séances où les élèves sont mis en activité, comme le travail de groupe, le travail en projet, ou les débats. Robert GUICHENY20 définit les « missions et responsabilités du professeur », mais n’oublie pas celles de l’élève puisqu’il déclare que « l ‘élève n’est pas qu’un auditeur ou un copiste ». Il a donc le droit et le devoir de participer à son éducation. De la même manière, « l’enseignant n’est pas un conférencier », il doit être un pédagogue, transmettre des savoirs de manière active et toujours « valoriser la parole ». Robert GUICHENY insiste d’ailleurs lourdement sur ce dernier aspect. Il a établi un tableau, datant de Décembre 1999, où il explicite les missions et responsabilités du professeur : Au sein du système éducatif M I S S I O N S I N S T R U I R E E D U Q U E R I N S E R E R RESPONSABILITES Au sein de la classe Se former Evaluer ( délivrance des diplômes) Evaluer le.. Critiquer Innover Homogénéiser Créer la continuité Mesurer Transférer, transmettre Se former au contact des élèves Faire acquérir Evaluer Règle (réguler, respecter la,…) Exemple Donner du sens Comprendre (empathie ) Egalité Mission Laïcité Entendre / écouter Proposer S’adapter Respecter Evoluer Au sein de l’établissement Tutorat Projet d’école Travail en équipe La règle rend libre Partage par tous Prise en compte de tous les partenaires J’ai souligné en gras les points qui me semblent essentiels pour mettre en place dans sa classe une pédagogie fondée sur l’écoute, le respect mutuel et l’encouragement à l’autonomie. Robert GUICHENY considère également que l’attention portée à un élève ne se décrète pas, elle se mérite. Ainsi chaque élève, bon ou mauvais, doit recevoir la même attention de la part de l’enseignant. Pour lui, l’animation de groupe est très intéressante dans le cas d’un élève qui ne comprend pas la leçon malgré les réexplications ( il insiste sur le fait que cela ne correspond pas à de la répétition ). Cela permet en effet d’éviter l’abandon du reste de la classe et incite les discussions entre élèves. Il ne faut pas « suivre chaque élève, mais être avec les élèves » . 20 Robert GUICHENY, Elèves actifs, élèves acteurs, ib idem. 24 Le travail de groupe est donc bénéfique pour chaque élève, encore faut-il qu’il soit organisé . Pour Bruno OLLIVIER21, l’enseignant est unique : « il a cette possibilité d’apprendre à apprendre à l’élève ». Pour permettre que la communication soit la meilleure possible lors d’un travail en groupe, il faut organiser l’espace de sa salle ( par exemple disposer les tables en cercle, ou en forme de « U »). Dans un travail de groupe, il est nécessaire de créer de petits groupes ( environ cinq personnes ). Il considère que, dans une situation comme celle-ci, les échanges doivent toujours être libres et l’enseignant ne doit pas être trop directif. Il est « l’organisateur », il précise la consigne, les objectifs, la durée, « le régulateur », il intervient en cas de conflit, encourage, avertit, « la personne-ressource », celui à qui les élèves peuvent s’adresser quand ils ont des difficultés. Pour permettre ce travail de groupe, j’ai choisi d’organiser un débat au sein de ma classe. Car, comme le suggère Norbert STEFFEN22, il faut introduire « l’action et l’interaction dans l’apprentissage ». Il continue en ces termes : « le sens donné à l’expression des élèves n’est plus la réalisation d’un projet commun, mais l’activation de réseaux qui multiplient les rencontres entre les gens ou leur donnent des occasions de communiquer sur des registres moins banals ». Lors d’un débat, la confrontation avec les autres permet de prendre conscience qu’on ne discute pas n’importe comment, mais qu’il faut tenir compte de ce qui a été construit collectivement ( hypothèses rejetées, procédures les plus efficaces, pour décrire,…) les élèves font ainsi l’expérience de la « décentration ». Cela consiste à accepter de renoncer à son hypothèse si elle se révèle peu probable ou probante, accepter de quitter une pensée unilatérale et confortable pour coopérer avec les autres, …. Pour Norbert STEFFEN, l’importance d’accorder du crédit à la parole de l’enfant vient essentiellement du fait que l’adulte ignore les représentations que l’élève se fait de la réalité. L’interroger, prendre en considération sa parole, aide donc à cerner son élève, à se rendre compte de sa vision des choses et ainsi adapter son cours en fonction de ses représentations. C’est pour toutes ces raisons que j’ai choisi de mettre en place un débat au sein de ma classe. L’objectif de cette cinquième séquence était d’étudier l’insertion du dialogue dans un récit. Après avoir étudié un texte de Poil de Carotte sur la chasse : « la Carabine », j’ai demandé aux élèves s’ils étaient pour ou contre la chasse puis de préparer chacun cinq arguments pour le lendemain afin de justifier leur position. La séance suivante consiste donc en une initiation au débat, en prévision de l’année de troisième. Cela donnera lieu à plusieurs objectifs : - savoir écouter la parole de l’autre, la prendre en compte et la respecter. - savoir écouter et retenir ce qui a été dit. - savoir retranscrire un débat à l’écrit en mêlant discours direct et discours indirect ( ce sera l’objectif final de cette séance ). Cette séance débute par un travail en sous-groupe : les élèves se réunissent selon leur opinion : groupe « pour » ; groupe « contre » ; groupe « mitigé ». Durant dix minutes, chacun met en commun ses idées afin d’avoir une liste claire d’arguments. Chaque élève recopie cette liste afin de l’avoir avec soi et de pouvoir intervenir à tout moment pour défendre son point de vue. Je n’ai volontairement pas désigné de rapporteur pour permettre à un maximum d’élèves de s’exprimer. 21 Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, ib idem. Norbert STEFFEN, La communication à l’école : quelques pratiques, quelques enseignants, dans Parole étouffée, parole libérée, ib idem. 22 25 La deuxième phase de cette séance se compose du débat lui-même qui dure vingt minutes : un groupe commence à exposer ses idées et les autres groupes s’efforcent de lui opposer ses arguments. Chaque groupe doit donc bien écouter afin de répondre de façon sensée à ses adversaires et de défendre correctement son point de vue. Je tenterai de ne pas intervenir dans cette partie. La fin de cours est consacrée à la récapitulation écrite de ce débat (vingt minutes ) qui donnera lieu à une préparation de rédaction. L’élève doit se souvenir de qui a parlé et des arguments qui ont été défendus. Au début de la séance, les groupes se sont rapidement formés en fonction des opinions. Quatre élèves étaient pour la chasse, six élèves étaient de position mitigée et treize élèves étaient contre la chasse. Je suis passée dans les différents groupes pendant cette mise en commun afin d’aider les élèves (notamment le groupe de treize ) à s’organiser. Ce groupe d’élèves, contre toute attente, est celui qui s’est le plus rapidement mis au travail et qui a su s’organiser de façon positive. Au bout de dix minutes, les arguments étaient répertoriés. Seul le groupe des « mitigés » n’a pas su mettre le travail en commun. La cause principale étant les bavardages et le fait que quatre élèves de niveau assez faible n’avaient pas préparé leurs arguments chez eux. J’ai essayé, tout au long de cette mise en commun, d’instaurer un dialogue au sein des groupes : à chacun d’écouter les arguments de l’autre et de les inscrire sur sa propre liste, à chacun de considérer, voire de clarifier un argument qui avait été mal compris ou mal formulé. La dynamique de groupe a très bien fonctionné et j’ai pu jouer un rôle de médiateur, sachant m’éclipser quand je sentais que le groupe travaillait de manière autonome. Le débat a ensuite commencé. Je ne suis restée que simple médiateur et ne suis intervenue que pour recadrer certains élèves échaudés par le thème du débat, qui défendaient avec véhémence leurs arguments en s’écartant de l’objectif premier : écouter les autres et répondre de façon sensée aux arguments avancés. Le but de cette séance n’était en effet pas de justifier sa position sans organisation, mais de répondre intelligemment aux arguments du groupe opposé. Par exemple, le premier élève du groupe « contre la chasse » ne comprenait pas que la chasse puisse être un plaisir. Le groupe « pour » a commencé par lui répondre que « sans la chasse, les animaux allaient proliférer et cela deviendrait dangereux ». J’ai donc dû intervenir, afin que les élèves répondent habilement à cet argument. J’avais lu avec eux leur liste durant la mise en commun, et je savais que certains arguments correspondaient mieux que celui avancé en premier lieu. Le groupe a donc réfléchi, et a fini par formuler le fait que, pour certains, non seulement la chasse était un plaisir, mais qu’ils la considéraient même comme un sport. Elle demande aptitude au tir, endurance à la marche, concentration,… Mon rôle n’a consisté qu’à donner la parole aux différents groupes, recentrer le débat quand les propos déviaient de l’objectif de la discussion ( par exemple, avec des remarques du type : « tu es bien contente d’avoir un steak dans ton assiette » alors que l’élève ne comprenait pas que l’on puisse faire souffrir des animaux et de surcroît, était végétarienne !!…..). Au final, le débat s’est bien déroulé et les débordements n’étaient dus qu’à un réel investissement de leur part par rapport à ce sujet. ( Cette question est en effet sensible à Givry, ville de campagne où les habitations côtoient les forêts, terrains de chasse ). Les élèves, voyant que ce débat donnait lieu à une rédaction, n’ont pas protesté, mais ont au contraire étaient contents de prolonger ce débat à l’écrit, preuve de l’intérêt qu’ils ont porté à cet exercice ! Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE23 croit en la nécessité du travail en projet, car « un projet vise à donner une forme d’avenir proche ou éloigné, à envisager la 23 Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE, Le travail en projet, ib idem. 26 transformation d’une réalité et à imaginer une situation dont on est acteur. Un projet, c’est ce que l’on a l’intention de faire, c’est une production en devenir, ou une action en puissance ». Le travail en projet inscrit donc l’élève dans la production et non dans la reproduction. Cela le force à prendre conscience du travail qu’il est en train de faire, le motive et rend ses interventions constructives et pédagogiquement intéressantes. Suzanne FRANCOEUR BELLAVANCE continue en disant que « travailler en projet, c’est se projeter dans le temps, avancer vers un but que l’on s’est fixé, prévoir un certain nombre de moyens et d’opérations pour l’atteindre, anticiper la démarche à utiliser et, finalement, aboutir à une production à présenter ou une action à mener ». Ainsi la démarche compte autant que la finalité. L’élève doit être conscient de la finalité d’un exercice, de l’évolution de ses possibilités dans son apprentissage. Marie-Louise ZIMMERMANN24 va encore plus loin dans sa conception de l’apprentissage. Elle considère que non seulement l’enseignant doit s’effacer afin de faciliter l’échange et la parole de l’élève, mais qu’il doit également contribuer à déstabiliser les modèles de l’élève afin de créer un nouvel environnement culturel, facilitateur de l’apprentissage scolaire. Cette femme pratique l’apprentissage des sciences expérimentales par l’autonomie, noté APA. Cette démarche présente différentes caractéristiques qui permettent une construction du savoir. Elle se construit autour des mots-clés suivants : autonomie, réussite, apprentissage, responsabilité pédagogique, projet, perturbation conceptuelle, environnement didactique, communication, auto évaluation, esprit critique, …. « La perturbation conceptuelle » est définie comme un concept flou. L’enseignant doit déstabiliser les modèles explicatifs de l’élève. Ce « déséquilibre culturel permet une évolution ». Elle fait alors appel à une intuition pédagogique structurée. « L’environnement didactique », quant à lui, est un ensemble d’éléments que l’enseignant fabrique ou arrange de façon à créer un environnement facilitateur pour l’apprentissage. C’est à l’enseignant de décider de son propre matériel pédagogique, en prenant en compte le public qu’il aura face à lui, son niveau, ses centres d’intérêt, … Cette pédagogie se caractérise par trois phases différentes : une première phase qui est une phase de recherche. Vient ensuite une phase de mise en commun et pour finir, une phase de réinvestissement des connaissances. Elle explicite sa pédagogie de la façon suivante : d’abord, l’enseignant fixe les thèmes et pose les questions. La liberté est alors laissée à l’élève de faire des recherches pour trouver les réponses aux questions posées. Puis, les réponses sont mises en commun. Une confrontation entre les élèves permet une réponse commune. Elle ajoute cependant que cette réponse est valable pour une classe donnée, à un moment donné, ce n’est pas une solution scientifique. Il faut ensuite réinvestir ces connaissances : tests de connaissances, de réflexion ou tests pratiques. Marie-Louise ZIMMERMANN parle également d’ « architecture didactique ». Cela comprend tout ce qui doit permettre une communication aisée intergroupes et inter individus. Par exemple, l’accès à la bibliothèque doit être aisé. De cette manière, l’espace devient un lieu de communication et d’expérimentation. Dans cet optique, les panneaux d’affichage sont conseillés et les documents évoluent en fonction des thèmes étudiés. Cet environnement a pour but de provoquer la réflexion et d’éveiller la curiosité de l’élève. J’ai beaucoup misé sur le rôle du CDI dans le déroulement de mes séquences, notamment en ce qui concerne la lecture cursive, pour tenter de créer un « environnement didactique » inhabituel aux élèves et ainsi motiver leur envie de lire. Paradoxalement, j’ai 24 Marie-Louise ZIMMERMANN, Treize ans d’apprentissage par l’autonomie, ib idem. 27 tenté de les inciter à lire en passant par l’exercice de la parole, notamment au travers de la présentation orale d’une œuvre ou d’un auteur. Lors de la deuxième séquence, les élèves devaient lire un livre de leur choix ou le choisir parmi une liste proposée ( une séance au CDI avait été mise en place afin de leur présenter un maximum d’ouvrages présents sur cette liste ). Leur travail était ensuite de réaliser une quatrième de couverture sous forme de panneau. Ils devaient non pas résumer le livre, mais donner envie aux autres élèves de le lire, donc ne pas dévoiler la fin et arrêter leur récit à un moment stratégique de l’œuvre. Chaque panneau a été présenté à la classe par son auteur qui nous a livré ses impressions sur le livre lu, et les panneaux, tous très réussis, ont ensuite été affichés au CDI pendant plus d’un mois. J’ai choisi de bannir la traditionnelle fiche de lecture avec résumé de l’œuvre et présentation de l’auteur, pour rendre la lecture cursive la plus attractive possible. Lors de la quatrième séquence, j’ai formé des groupes de quatre ou cinq élèves, en prenant garde de diversifier les niveaux : un très bon élève et un plus faible au moins dans chaque groupe, tout en tenant compte des affinités, afin que le travail se déroule dans de bonnes conditions. Chaque groupe devait choisir une nouvelle d’Andrée CHEDID, puisque nous étudiions cet auteur. La lecture cursive a consisté en une présentation orale de la nouvelle choisie ( portraits des personnages, liens entre eux, contexte, intrigue, impressions du groupe par rapport à cette nouvelle, qu’elles soient bonnes ou mauvaises,…. ). La cinquième séquence a été l’occasion, puisque nous apprenions l’insertion du dialogue dans le récit, d’une lecture oralisée d’un passage d’une œuvre au choix, et de préférence de l’œuvre qu’ils étaient actuellement en train de lire chez eux. Cela m’a permis de prendre conscience du genre de littérature qu’appréciaient mes élèves. Sans surprise, Harry Potter et Le seigneur des anneaux ont été les plus représentés, mais je me suis rendue compte que beaucoup lisaient chez eux, et surtout des romans policiers. Lors de la septième séquence, je leur ai demandé de me bâtir un exposé à partir de recherches effectuées au CDI ou chez eux. Je reviendrai plus tard sur cet exercice. Ainsi la lecture cursive est devenue prétexte à parler, à parler de littérature mais également à confronter les avis et les envies. Force est de constater que certains élèves, n’aimant pas lire au début de l’année, devant l’enthousiasme manifesté par leurs camarades à lire et devant la motivation de certains à présenter une œuvre ou des personnages, se sont pris au jeu et me demandent même maintenant, en début de séquence, s’ils auront une œuvre à lire ou à présenter. Cette expérience me pousse à rejoindre Marie-Louise ZIMMERMANN, lorsqu’elle affirme que le rôle de l’enseignant est fondamental dans une pédagogie d’apprentissage par l’autonomie. C’est en effet à lui de créer les événements qui permettront aux élèves d’apprendre. Il va permettre l’évolution de leurs conceptions grâce à leur confrontation avec la réalité ( notamment lors de la phase d’échange et de la mise en commun ). Au cours de ces échanges, l’enseignant facilitera la progression des élèves par le questionnement. « Il est un médiateur entre l’élève et le savoir, et n’est plus que très épisodiquement un dispensateur de connaissances ». Il incite l’élève à chercher, expérimenter, réfléchir, lors des débats, à s’exprimer, argumenter,…. Il est présent et cherche à faire exprimer toutes les idées, celles qui le satisfont comme celles qui sont révélatrices d‘idées fausses. Son rôle est de mettre en situation, provoquer, écouter canaliser. Ainsi les élèves peuvent confronter leur opinions, échanger des idées, évoluer dans leurs apprentissages et modifier leurs représentations. Il sera donc intéressant d’étudier maintenant les relations que l’enseignant développe avec ses élèves en mettant en place une telle pédagogie, mais aussi les relations développées entre élèves, tout en analysant la place de la parole au sein de ces rapports. 28 3) Les relations humaines dans « un apprentissage par l’autonomie ». Les liens qui se nouent entre les élèves et leur professeur sont beaucoup plus forts que dans l’enseignement traditionnel, puisqu’un véritable échange se crée, anesthésiant la frontière jusque là infranchissable entre l’enseignant et ses élèves. Jean ARTAUD25 s’est penché sur ce sujet et a abouti aux conclusions suivantes : « de la qualité de l’écoute du maître […] dépendra la réussite de l’apprentissage ». En effet, une bonne écoute permet de développer une « relation gratifiante » qui engendre l’évolution des capacités intellectuelles. Se sentant aidé et non jugé, l’élève pourra davantage progresser. Les difficultés peuvent cependant persister et il faut parfois aider l’élève à aller jusqu’au bout de sa pensée. Pour cela, il convient de reformuler ses propos et de laisser le fond de sa pensée s’exprimer. Cela permet de clarifier la difficulté du moment. Jean ARTAUD conclut donc en affirmant que la relation affective est en réalité une « relation d’aide méthodologique à l’élève ». J’ai crée cette relation affective au sein de ma classe, avec tous les avantages, mais aussi les inconvénients que cela entraîne. La relation de confiance entre un professeur et ses élèves permet à l’adulte de ne plus tenir son rôle autoritaire, mais de devenir celui qui va aider à progresser. Les élèves n’ont pas peur de lever la main, de participer, de passer à l’oral devant la classe. Cette relation crée donc un climat favorable, voire même nécessaire à la mise en place de la pédagogie de l’oral. Les inconvénients d’une telle relation se situent essentiellement du point de vue de l’enseignant, car le respect s’acquiert parfois mieux par la crainte que l’on suscite. J’y reviendrai dans la quatrième partie. Les relations des élèves entre eux sont bien meilleures dans une telle pédagogie. La confrontation des idées, le fait de prendre l’opinion de l’autre en considération, de travailler en groupe, d’être obligé de s’organiser seul, donc de demander et de respecter les désirs de l’autres, crée un climat d’écoute favorable à tout apprentissage. L’élève devient davantage autonome dans son apprentissage car il n’est plus jugé uniquement par un adulte, à qui il n’a rien à apprendre puisque qu’il pense que cette personne est la détentrice unique de tout savoir, mais par ses pairs. L’élève est confronté au regard de l’autre, mais pas à son jugement, à son appréciation. Chaque élève comprend qu’il peut lui aussi devenir un maillon dans le processus de son apprentissage. Dans ma classe, chaque passage oral est laissé à l’appréciation de correcteurs nommés, ou de la classe entière. Les barèmes de notation sont élaborés ensemble, comme il en a été question lors de la deuxième partie. Le public est donc davantage à l’écoute, puisque de lui dépendra la note finale de leur(s) camarade(s). Lors de la septième séquence sur la lecture d’Yvain et le chevalier au lion, de Chrétien de Troyes, je leur ai demandé de construire des exposés par groupe de deux ou trois élèves. Comme le constate Bruno OLLIVIER26, l’exposé se frotte à la chaîne de communication : de la recherche d’informations à la mise en forme de ces informations puis à l’exposition orale, l’élève devra successivement « trouver, présenter, disposer et dire ». Je leur ai imposé les sujets ( Annexe n°6 ). Ceux ci étaient formés de mots-clés. Les élèves avaient donc, au préalable, tout un travail de recherche à faire et de concertation avant de commencer à rédiger leur exposé. Je ne me suis pas investie dans ce travail de préparation, mais je suis restée ouverte à toutes questions, même en dehors des cours, n’hésitant pas à aller les voir lorsqu’ils étaient au CDI pendant une heure d’étude afin 25 Jean ARTAUD, Les relations affectives dans une pédagogie différenciée, dans Différencier la pédagogie ?Pourquoi ?Comment ?, Recherches et documents élaborés dans le cadre des journées d’études interacadémiques du 1er au 6 Juillet 1985. Rédaction coordonnée par Philippe MEIRIEU. 26 Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, ib idem. 29 de les aider dans leurs recherches. J’ai senti que les élèves ne ressentaient pas le besoin de mon aide et avaient envie de travailler seuls, de réussir par eux-mêmes leurs exposés. Je me suis donc effacée, attendant avec impatience le moment du passage de chaque groupe, au fur et à mesure de la séquence. Le barème d’évaluation a été une nouvelle fois décidé ensemble, et chaque groupe est passé après une étude de texte ou une séance en rapport avec le thème de l’exposé choisi. Par exemple, après une séance sur des textes en ancien-français où étaient présents le nom des armes des chevaliers, les élèves qui avaient choisi l’exposé sur les chevaliers sont passés à l’oral. De la même manière, après l’étude d’une scène de combat entre les deux héros, l’exposé sur les tournois a été présenté à la classe. Lors du passage oral de ces exposés, je me suis rendue compte de deux choses : les élèves avaient non seulement fourni un gros travail de recherche, mais avaient également créer des panneaux colorés et attrayants afin d’être les plus clairs possible. Tout au long de ces exposés, les élèves auditeurs ont respecté la parole de leurs camarades et ne sont intervenus que pour donner leurs impressions, l’exposé terminé. A la fin de chaque passage, la principale remarque était « on a appris beaucoup de choses ». Je n’ai en effet pas repris le contenu de ces exposés, d’une part car ils étaient dans l’ensemble très bons, et d’autre part car je voulais leur laisser la fierté d’avoir su transmettre seuls un savoir à leurs camarades. Le travail de groupe et l’incitation à parler devant la classe a donc rendu les élèves davantage motivés à travailler, et aptes à faire passer des notions, un savoir aux autres élèves. Ce côté valorisant et gratifiant a considérablement amélioré les relations qui existaient au sein de la classe. Là où, au début de l’année, il y avait compétition et dévalorisation de l’élève en difficulté, je constate aujourd’hui que les tensions se sont apaisées et que les élèves ne rechignent plus à travailler avec d’autres, même s’ils ont un niveau très inférieur au leur. La remarque d’une élève après le passage d’un de ses camarades le prouve : alors que la classe jugeait que l’élève avait trop lu ses fiches durant son exposé, elle a fait remarquer qu’il présentait seul son travail, donc que c’était beaucoup plus difficile. Ainsi, le travail de groupe est vécu par les élèves comme une facilité, une action qui dédramatise le travail à fournir ainsi que le passage à l’oral. L’autre devient une force. Cet « apprentissage par l’autonomie » est donc une façon pour l’élève de mieux acquérir les savoirs que l’enseignant s’efforce de transmettre. Le professeur s’efface, mais ne devient pas pour autant inexistant. Sa présence se raréfie, mais le travail pédagogique et didactique qu’il doit fournir n’en est que plus important. Grâce à ces pédagogies, les élèves participent, deviennent acteurs, et ont même des responsabilités au sein de la classe, puisqu’il arrive que ce soit eux qui dispensent les notions nécessaires. La prise de parole est donc facile car facilitée, et un respect mutuel s’instaure entre élèves et enseignant, mais aussi et surtout entre apprenants. Cette façon d’enseigner semble idyllique et irréfutable. Cependant, est-il possible de mener entièrement et aussi rapidement cette ambition à bien ? Il est maintenant temps de faire le bilan de ces deux pédagogies et d’en tirer les conclusions nécessaires. 30 IV/ LE BILAN DE CES DEUX PEDAGOGIES 1) Mise en application de ces deux pédagogies au sein de ma classe En règle générale, je dirai que le bilan est positif, autant dans la mise en place d’une pédagogie de l’oral, consistant à motiver la parole des élèves afin de rebondir sur leurs remarques, que dans celle d’une pédagogie tendant à les rendre acteurs dans leurs apprentissages. La mise en place d’une pédagogie de l’oral a porté ses fruits au niveau didactique. Elle nécessite tout d’abord une très bonne connaissance de ses élèves par le professeur. Il doit toujours évaluer le niveau de sa classe avant de commencer un cours. Anticiper les questions et pouvoir, de cette façon, canaliser la parole de ses élèves est essentiel. Au sein de ma classe, il me semble avoir réussi à me conformer à mon objectif de séance tout en rebondissant par ailleurs sur les remarques de mes élèves. Pourtant, à ce jour, ce résultat n’est pas encore régulier. Si ces séances lors de l’étude de la nouvelle d’Andrée CHEDID se sont bien déroulées, des séances plus récentes me montrent que j’ai encore du mal à laisser un temps de parole suffisant à mes élèves, tout en évitant les débordements. Ou les temps d’expression de chaque élève sont trop courts, ou un élève parle trop longtemps et les autres se lassent et s’agitent. Dans les moments où j’arrive à être plus flexible et à faire preuve de plus d’adaptabilité face aux remarques de mes élèves, l’heure de cours se termine parfois in extremis et l’objectif de séance est rempli de justesse. En effet, les contraintes matérielles sont essentielles dans la gestions d’une telle pédagogie. Il faut savoir adapter son cours aux exigences temporelles notamment : la durée d’un cours est de cinquante cinq minutes et ce laps de temps est parfois bien trop court pour un professeur, qui plus est débutant, pour mettre en place de telles pédagogies au sein de sa classe. Cette contrainte se fait d’autant plus douloureuse lorsque le public est une classe vivante qui ne demande qu’à participer. C’est pourquoi l’évolution se fait lentement et de manière graduelle, avec parfois quelques rechutes, mais qui n’assombrissent cependant pas ce bilan. La mise en place d’une pédagogie de l’oral dans ma classe est somme toute positive. J’apprends à poser les bonnes questions, des questions adaptées au niveau de chaque élève, afin qu’ils se sentent valorisés le plus possible et qu’ils aient envie de participer. Les réactions de mes élèves, leur motivation et l’intérêt qu’ils portent au cours me poussent à penser que ma façon d’enseigner évolue dans un sens favorable. Il reste néanmoins difficile de mettre en place des séances où le temps de parole de l’élève est supérieur à celui de l’enseignant. Il faut en effet pouvoir maîtriser parfaitement le contenu pédagogique de son cours, mais aussi avoir clairement défini sa pédagogie et ses objectifs didactiques au début de l’année. N’ayant pas travailler dans cette perspective dès la rentrée, j’ai dû mettre des stratégies en place dans ma classe, peut être plus tardivement que je ne l’aurais dû, en me concentrant davantage sur la parole de mes élèves et son importance au niveau pédagogique. Je prends aujourd’hui conscience de l’intérêt d’une classe vivante. La participation des bons élèves est en effet primordiale pour le bon déroulement d’un cours. J’ai pu moi-même le constater lors de séances par exemple sur Yvain et le chevalier au lion, de Chrétien de Troyes. Les extraits de cette œuvre étaient assez durs à lire pour des élèves de cinquième, mais le fait que les bons élèves, et notamment les garçons, prennent à cœur les récits de chevalerie et se passionnent pour la lecture a motivé le reste de la classe. Les remarques pertinentes et enthousiastes des élèves ont fait progresser les explications de texte de façon prodigieuse et ont ainsi motivé les élèves les plus faibles ou les moins intéressés par le roman de chevalerie. C’est en faisant le constat de tels cours que j’ai décidé de m’adapter à mes élèves et d’éviter les séances ennuyeuses, où la parole se faisait rare et où le cours 31 s’essoufflait. Il faut donc toujours essayer de trouver une amorce et tenter de les mettre en situation. Ainsi motivés, leurs remarques fusent et le cours décolle. Cela fait toute la différence entre une explication où le professeur donne le sens du texte, et une explication où le sens est découvert par les élèves, où l’enseignant rebondit sur les remarques et s’en inspire pour continuer sa séance. C’est la différence entre une séance sur le Roman de Renart, où les élèves se sont passionnés pour les ruses du goupil et une autre sur l’explication du texte informatif. Lors de la séance sur le texte informatif, je maîtrisais mal mon support et je n’ai pas laissé la parole à mes élèves. J’ai moi-même construit la séance et les élèves n’y ont porté que très peu d’intérêt. Lors de ma sixième séquence sur le Roman de Renart, j’ai parfois dû reformuler des expressions clés de certains extraits de l’œuvre qui, trop compliquées, nuisaient à sa bonne compréhension et les élèves, comprenant alors le sens du texte et se représentant avec délice le tableau qui se déroulait sous leurs yeux, explicitaient à tour de rôle le sens caché du texte, sans oublier de livrer leurs impressions amusées, ou outrées parfois, sur l’insolence du renard. Je n’ai eu qu’à les guider vers le sens du texte. Ils y avaient pris goût, la réflexion a suivi sans problème. La mise en action, qu’elle soit physique ou intellectuelle, suppose presque toujours la motivation. Cependant toute mise en action doit être le corollaire d’une finalité, d’un but à atteindre. Cette finalité ne rime par forcément avec évaluation. Les élèves, en participant à l’oral, peuvent parfois prendre plus de plaisir à transmettre un savoir aux autres, à se sentir valorisé qu’à espérer une bonne note. L’oral peut également être un excellent moyen pour corriger l’expression, la grammaire, la conjugaison. Les élèves n’ont pas l’impression de réviser leurs temps verbaux, or les remarques faites lors de ces temps de parole seront sûrement mieux assimilées que lors d’un cours de conjugaison, qui reste plus fastidieux pour les élèves. Le bilan de la mise en place d’une pédagogie de l’oral au sein de ma classe est donc dans l’ensemble positif .J’ai su, comme Daniel MARTIN27 le disait, non pas fonder ma pédagogie sur la « répétition », mais sur la « discussion ». Cependant, quelques débordements de conduite sont encore à déplorer. Il faut cependant dédramatiser cet aspect car les élèves de cette classe ne sont en aucun cas perturbateurs, mais ils sont parfois plus actifs qu’acteurs et le fait de n’avoir qu’une seule classe m’a permis d’être plus tolérante. Il me reste encore à acquérir le réflexe de toujours leur donner la parole pour canaliser ce besoin de s’exprimer. Mettre en place « un apprentissage par l’autonomie », aura été pour moi chose plus aisée. Le fait de pousser les élèves à parler tout en respectant cette parole, a créé une sorte de contrat tacite de respect et de travail entre les élèves et l’enseignant. Rendre l’élève acteur dans son cours peut prendre différentes formes. L’élève peut devenir acteur lors d’une évaluation, en devenant rapporteur et en corrigeant ses camarades qui passent à l’oral. Le contrat de respect s’instaure alors entre élèves puisque le rapporteur est sûr d’être jugé à son tour et, l’œil du professeur étant toujours présent, le regard critique de l’élève est pondéré. L’élève peut également devenir acteur dans le déroulement d’une heure de cours, puisque ses remarques font progresser la séance sans déroger à l’objectif fixé. L’élève peut aussi participer à la constitution de la séance elle-même, par exemple lors d’un débat. De telles séances sont très motivantes pour l’individu apprenant, mais elles sont très difficiles à mettre en place pour un enseignant. Ce que j’ai retenu au niveau de la construction des séances est la nécessité permanente d’avoir un cours construit et un objectif clair de séance. La rigueur est indispensable pour la bonne conduite d’un cours et le bon déroulement d’une telle séance. C’est cette rigueur qui me manque parfois dans la gestion de l’oral. Je ne suis pas encore totalement à l’aise avec cette pratique et cela se ressent parfois dans la gestion de la parole de 27 Daniel MARTIN, (Méta)communiquer pour apprendre, ib idem. 32 mes élèves. J’arrive cependant à m’adapter à mon public et mes élèves apprécient les séances, ce qui me pousse à continuer dans cette voie. Par ailleurs, le bilan là encore positif de ces séances est perceptible dans le comportement de mes élèves. Certains d’entre eux ont une meilleure opinion d’eux-mêmes et n’hésitent plus à participer ou à me rendre des devoirs. Il n’y a plus cette crainte de la note ou du rejet qu’il pouvait y avoir au début. C’est pourquoi j’essaie au maximum de les mettre en situation d’autonomie, afin qu’ils soient toujours valorisés par leur création. Ils ont constamment des recherches à faire pour un exposé, une lecture, un travail de groupe. Ces recherches ne constituent pas un travail colossal, c’est simplement un prétexte pour les mettre en situation de travail de groupe et pour qu’ils réalisent par eux-mêmes quelque chose de construit. Le bilan d’une séance comme celle du débat me prouve que les élèves se sont réellement investis, même si le fait qu’un débat soit un échange d’idées, et non un besoin absolu de convaincre l’autre n’a pas toujours été bien compris par le groupe des « mitigés » et des « pour ». Seul le groupe « contre » la chasse, pourtant le plus nombreux, a su mener ce débat avec sérieux et respect. Ce sont pour la plupart de bons élèves, mais certains sont normalement très dissipés en cours. Paradoxalement, le fait de pouvoir s’exprimer dans le cadre du débat a un peu canalisé leur agitation. Cette séance me rappelle donc le point évoqué précédemment : il faut que je garde toujours à l’esprit la nécessité d’encourager la participation de mes élève avant tout. La frustration induit l’agitation. Nécessité de faire participer, mais également nécessité d’être claire dans mes consignes et cohérente dans mon évaluation doivent désormais être les maîtres mots dans ma façon d’enseigner. La reformulation est une condition nécessaire à la compréhension, donc à une participation active et constructive. Je me suis ainsi inculqué à moi-même les objectifs que je destinais à mes élèves : respecter, écouter, prendre en compte l’autre et sa parole. De bonnes conditions de participations orales influent sur le cours : il devient plus vivant et plus attractif pour l’élève qui retient mieux et arrive à apprécier l’enseignement. Cette pédagogie a donc porté ses fruits : plus d’autonomie, plus d’esprit critique,… Elle confère ainsi une forme de responsabilité mais aussi de liberté à l’élève. L’évolution dans mes pratiques d’enseignement me montre que rien n’est figé. Il s’agit simplement de donner aux élèves les moyens de construire leurs savoirs et cela se fait au travers d’un cours ouvert à leur remarques et à leurs observations. 2) Ouvertures et prolongements de ces pédagogies Il sera intéressant de commencer par se demander si effectivement, après avoir mis en place de telles pédagogies, dont nous avons vu que les résultats étaient dans l’ensemble plutôt positifs, mes élèves participent toujours autant et si cette participation n’est plus perturbatrice pour mon cours. Mes élèves ont gardé un intérêt certain pour la matière. Ils se mettent facilement au travail et les débordements dus à des problèmes de comportement sont devenus très rares. Ils apprécient généralement les activités que je leur propose et manifestent même un certain enthousiasme face aux tâches à réaliser. Cela a considérablement amélioré l’ambiance générale de la classe et apaisé certaines tensions entre élèves, notamment entre les très bons et les plus faibles. J’ajouterai même que la plupart des élèves travaillent aujourd’hui de manière autonome sans en avoir forcément conscience. J’entends par là que mes élèves s’attendent à être mis au travail lors de l’explication d’un texte et se préparent déjà à en chercher le sens, guidés par mon questionnement. Je ne peux alors que constater le fait que cette participation influe nettement sur la qualité de mon cours. Lors de la dernière séance de la sixième séquence sur le Roman de Renart, j’avais décidé, en prévision de la séquence 33 suivante qui comprenait des exposés, de ménager une plage horaire au CDI, afin que la documentaliste leur explique comment mener leurs recherches. Je suis donc restée avec la moitié de la classe durant une première heure, puis avec la seconde moitié durant l’heure suivante. Ces heures ont été consacrées à l’explication du procès de Renart et de l’épilogue du Roman de Renart. La première moitié de la classe se composait en majorité d’élèves moyens, de quelques bons éléments et d’élèves plus faibles ( le découpage de la classe s’est fait au hasard ). Je me suis aperçue que durant cette première heure, le cours a été plutôt difficile à démarrer ( est-il important de dire que ce cours se déroulait à huit heures du matin ?!), le sens du texte n’a pas toujours été bien compris par les élèves et des remarques, sans vraiment de cohérence, m’ont parfois fait oublier de leur expliquer un sens caché, ou de totalement balayer les significations possibles d’un tel extrait, notamment en le mettant en perspective avec notre époque. La deuxième séance s’est beaucoup mieux déroulée. Les éléments moteur de la classe se trouvaient alors présents, ainsi que des élèves moyens, mais intéressés par ce texte et ayant envie de le découvrir. J’étais moi-même plus vive, les questions des élèves étaient pertinentes et les significations de l’œuvre ont été tout de suite mises en valeur, le parallèle avec l’époque actuelle a donc découlé de lui-même. J’ai même découvert avec eux des sens auxquels je n’avais pas pensé. Ainsi, non seulement mes élèves participent toujours autant, mais ils contribuent maintenant au bon déroulement d’une séance et l’enrichissent parfois considérablement. Je pense que mon attitude contribue pour beaucoup dans la réalisation de ce projet. J’imagine que lors de la première séance, avec le premier groupe d’élèves, je n’étais peut-être pas assez motivante ou entraînante pour les forcer à creuser le texte, et mon manque d’entrain a parfois pu appauvrir mon questionnement. L’enseignant garde donc un rôle majeur dans le bon déroulement de son cours. Certes, il devient médiateur, mais il doit rester chef d’orchestre. C’est cependant dans la position du médiateur que je me sens le plus à l’aise. Mon peu d’expérience et, je pense, le fait que je n’ai pas travaillé dès le début de l’année, mais seulement aux alentours du moins d’Octobre à rendre mes élèves actifs dans leur apprentissage, à régler mon cours sur leurs remarques, m’a parfois fait oublier le côté essentiel de l’autorité. La première phase indispensable mise en place dans l’enseignement décrit par Gérard VERGNAUD28 était la phase directive. Je n’ai peut-être pas assez insisté sur les règles de vie à établir au sein d’une classe. Je n’ai pas fait preuve d’autorité assez longtemps. En effet, j’ai sévi les quinze premiers jours et, voyant que j’avais à faire à une classe relativement calme, j’ai tout de suite « lâché du lest ». Un climat de confiance et de respect s’est alors établi et je ne regrette aucunement cette façon d’enseigner. Néanmoins les débordements ne sont pas inévitables, puisqu’il n’existe pas, dans cette classe, la crainte de l’enseignant, ou tout simplement de règles établies, de limites à ne pas franchir. Je n’ai, en effet, pas constitué de « contrat de vie de classe » au début de l’année. Des règles existent cependant, et les élèves en ont conscience, mais elles ne sont pas stipulées et dépendent essentiellement du seuil de tolérance du professeur ce jour là ! Il est, dans ces conditions, beaucoup plus facile pour moi de les mettre au travail ou de fonder le déroulement de la séance sur leur remarques. Organiser un débat, demander l’avis de mes élèves, leur faire évaluer leur camarades est pour moi chose beaucoup plus simple que, pour le moment, rebondir essentiellement sur leurs remarques, leur laisser un temps de parole suffisant sans avoir de débordement ( ou peut-être y a-t-il débordement car je ne laisse pas de temps de parole suffisant ?), ou sans spolier mon objectif de séance. Il devient alors difficile de rendre la parole de mes élèves constructive, si moi-même je ne laisse pas vie, ou simplement place à cette parole. La relation d’affectivité existant entre mes élèves et moi peut donc avoir un côté 28 Gérard VERGNAUD, Parole étouffée, parole libérée, ib idem. 34 pervers ( essentiellement dû, je pense, à ma position de novice dans l’enseignement, car un professeur plus chevronné sait, je pense, instaurer un climat de confiance et de respect, sans pour autant laisser trop de liberté à ses élèves, j’en ai eu la preuve en assistant à certains cours au sein de mon établissement ), mais elle a aussi de grands avantages, puisque mes élèves ont réussi à atteindre la quatrième phase énoncée par Gérard VERGNAUD : la phase d’autonomie et de créativité. Ainsi une classe plus vive, motivée à travailler, intéressée par un cours, même s’il existe encore quelques conduites agitées, mais sans être agressives, ni belliqueuses, est pour moi une grande satisfaction, et me poussera à travailler dans cette optique l’année prochaine, sans omettre, cette fois-ci, la phase directrice. Il serait intéressant de se demander maintenant si mes élèves ont appris plus de choses et si leurs connaissances sont plus solides. Il est difficile de répondre à cette question puisque je n’ai pas encore de point de comparaison avec une autre classe. Néanmoins je peux affirmer que certains élèves étaient plutôt défaitistes au début de l’année et ne croyaient pas en leurs capacités. Au fur et à mesure des séances, certains ont réussi à reprendre confiance en eux et à ne pas avoir peur de rendre un devoir - même médiocre - de poser des questions, de donner des réponses - mêmes fausses - ou de s’exprimer à l’oral ( au début de l’année, une élève ne m’a pas rendu trois devoirs successifs et refusait de parler à l’oral car elle se disait qu’elle ne valait rien ). Je peux également remarquer que l’expression écrite s’améliore et que les rédactions deviennent de plus en plus cohérentes et conséquentes. Finalement, cette façon d’enseigner a été pour moi une très bonne chose, puisque j’ai pris conscience que la parole de l’enseignant était pauvre d’un point de vue pédagogique si elle ne prenait pas en considération la parole de l’élève. L’élève apprend mieux et retient mieux quand il découvre lui-même le sens d’un texte ou la logique d’une leçon. Mais il faut pour cela parfois renoncer à ses ambitions didactiques pour apprendre à écouter, à modifier ses attentes, pas seulement à entendre les remarques, mais en tenir compte. Le public n’est pas figé, la façon d’enseigner d’un professeur ne doit pas l’être non plus. Les mots-clés de telles pédagogies sont donc adaptabilité, écoute et capacité à évoluer. L’élève doit être placé au centre de ce processus, car c’est à lui que revient la capacité à mobiliser des connaissances déjà acquises, c’est à lui que reviendra la tâche d’expérimenter de nouvelles combinaisons langagières, de nouvelles méthodes pédagogiques. Changer sa façon d’enseigner, la faire évoluer, prendre en compte ses élèves, est un véritable défi pédagogique qui, s’il est relevé, rend l’enseignement vivant et passionnant. 35 CONCLUSION Martine WIRTHNER29 cite BRUNNER qui, en 1997, s’est exprimé en ces termes : « si réellement la parole, son émergence, son fonctionnement, ses caractéristiques linguistiques, sa profondeur personnelle, sa qualité communicative, est conditionnée, ne serait-ce que partiellement, par les données matérielles mises en place ainsi que par les « connexions » psychologiques entre les personnes en présence, le maître possède un pouvoir extraordinaire, qu’il le sache ou non, qu’il le veuille ou non. C’est pourquoi, il importe que soit montré comment la parole peut « vivre » dans le « milieu » qui lui est fait ». Cette citation contient toutes les données des deux formes de pédagogies que j’ai tenté de mettre en place au sein de ma classe. La parole possède une « profondeur personnelle », cela implique que chacun est capable de parler de façon sensée et d’apporter quelque chose au niveau du contenu de la leçon, mais aussi au niveau de l’enrichissement personnel, puisque la « qualité communicative » de la parole est mise en avant par BRUNNER. Il y a cependant deux points à ne pas négliger : « l’émergence » de la parole, mais aussi son « conditionnement ». Ainsi, il faut porter de l’intérêt au moment même de son apparition. Toute parole est digne de considération et, lorsqu’un élève commence à parler, il faut toujours être capable de porter de l’intérêt à ses remarques. Cependant, pour cela, la parole doit être « conditionnée », soit organisée, réglée, mesurée, voire évaluée, par le professeur, ou par les autres élèves. Le rôle du professeur est en effet primordial, c’est lui qui va diriger, planifier, contrôler, mais aussi s’adapter, reformuler, évoluer au contact de ses élèves. Son « pouvoir extraordinaire », vient du fait qu’il possède les atouts pédagogiques pour faire vivre la parole, la libérer, mais aussi la canaliser. Il est le détenteur du savoir, mais peut le transmettre de différentes façons : en l’explicitant ou en le dévoilant. Il a cependant un rôle beaucoup plus difficile à cerner, voire à assumer : c’est lui qui « montre » comment la parole doit vivre. Il a donc valeur d’exemple. C’est à lui de modérer, clarifier, corriger son propre discours pour encourager les élèves à le faire. C’est à lui de prendre la parole de ses élèves en considération, afin qu’en retour, ils apprécient et accordent de l’importance aux dires de leur enseignant. Ainsi, la prise en compte de ses élèves est le mot clé d’un bon apprentissage. Gérard VERGNAUD30 l’a d’ailleurs compris puisque pour lui « la prise en compte de la dimension de l’Autre paraît indiscutablement comme une valeur fondamentale ». Ainsi un professeur bâtit une leçon, une séquence, une progression annuelle pour et avec ses élèves. Il doit donc s’adapter à leurs remarques, faire preuve de flexibilité par rapport à ses objectifs, à ses attentes. Motiver ses élèves à travailler, leur donner envie de s’exprimer ( car prendre leurs remarques en considération, les orienter afin qu’elles deviennent constructives pour le cours implique que l’élève parle, qu’il ressente le besoin de le faire, d’où la nécessité de l’intéresser), demande un investissement permanent de la part du professeur. Ainsi, comme le remarque Bruno OLLIVIER31, « pour enseigner efficacement, dans le plaisir, et sans ennui, il faut, puisque les situations de travail ne sont jamais exactement semblables à celles qu’on a déjà connues, être toujours prêt à innover, à chercher d’autres moyens, d’autres voies,… ». 29 Martine WIRTHNER, L’oral comme expression de soi et rapport à l’autre, ib idem. Gérard VERGNAUD, parole étouffée, parole libérée, ib idem. 31 Bruno OLLIVIER, Communiquer pour enseigner, ib idem. 30 36 La motivation entraîne la participation, et les règles mises en place ainsi que l’investissement du professeur dans la préparation de ses cours et de ses objectifs entraînent le bien-fondé des remarques des élèves, la pertinence de leurs propos, et rend ainsi leur parole constructive, voire indispensable au bon déroulement de la séance et au suivi de l’objectif fixé. Je laisserai le mot de la fin à Marie-Joseph CHALVIN32, qui résume à la fois la nécessité de prendre en compte la parole des élèves, sans toutefois négliger le contenu pédagogique. Il y a en effet interaction entre le fait d’enseigner, et le fait de communiquer : « il n’y a pas d’enseignement sans communication, mais il n’y a pas non plus de communication pédagogique sans contenu enseignant » 32 Marie-Joseph CHALVIN, La pédagogie différenciée II, De la théorie à la Pratique, Revue Les Amis de Sèvres, n°2, Juin 1985. 37 BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES : - OLLIVIER Bruno, Communiquer pour enseigner, Hachette Education, 1992. - FRANCOEUR BELLAVANCE Suzanne, Le travail en projet, INTEGRA, Centre de Pédagogie transdisciplinaire, Québec. - GIORDAN André, GUICHARD Françoise, GUICHARD Jack, Des idées pour apprendre, CRDP Alpes Maritimes, 1997. - GUICHENY Robert, Elèves actifs, élèves acteurs, Boîte à outils, série Dispositifs, dirigée par Jean-Michel ZAKHARTCHOUK, Repères pour agir, CRAP Cahiers Pédagogiques, CNDP de l’académie, d’Amiens, 2001. - MEIRIEU Philippe, Apprendre, ….. oui, mais comment ?, Collection Pédagogiques, ESF éditeur, 1987. - ZIMMERMANN Marie-Louise, Un bilan de 13 ans d’apprentissage par l’autonomie, Cahiers Pédagogiques n°335, Juin 1995, p 52-53. OUVRAGES COLLECTIFS : - Construire et entretenir la motivation, sous la direction de Georges CHAPPAZ, Equipe HERMES, Université de Provence et CRDP de Marseille, 1996. - LECOCQ Gilles, Et si un élève motivé suffisait à influencer la motivation d’un enseignant ? - LIEURY Alain, Motivation et Mémoire. - Différencier la pédagogie ? Pourquoi ? Comment ?, Recherches et documents élaborés dans le cadre des journées d’études inter-académiques du 1er au 6 Juillet 1985, Rédaction coordonnée par Philippe MEIRIEU. - ARTAUD Jean, Les relations affectives dans une pédagogie différenciée. - Parole étouffée, parole libérée, fondements et limites d’une pédagogie de l’oral, Techniques et méthodes pédagogiques, DELACHAUX et NIESTLE, sous la direction de Martine WIRTHNER, Daniel MARTIN, Philippe PERRENOUD. - MARTIN Daniel, (Méta)communiquer pour apprendre, c’est faire de l’oral à plein temps. - MAYOR Claude, L’expression orale dans des situations simulées : les règles du jeu. - PERRENOUD Philippe, Bouche cousue ou langue pendue ? L’école entre deux pédagogies de l’oral. 38 - ROULET Eddy, La pédagogie de l’oral en question(s). SIEGRIST Claudio, La parole gelée. STEFFEN Norbert, La communication à l’école : quelques pratiques, quelques enseignants. VERGNAUD Gérard, Théorie retranscrite dans l’article de Daniel MARTIN. WIRTHNER Martine, L’oral comme expression de soi et rapport à l’autre. REVUE : - La Pédagogie différenciée, II, « De la théorie à la pratique », n°2, Juin 1985, revue Les Amis de Sèvres. - CHALVIN Marie-Joseph, « Enseigner ou communiquer ». 39 ANNEXES 41 42 43 44 45 46 COMMENT RENDRE LA PAROLE DE MES ELEVES CONSTUCTIVE ? Il est parfois difficile de concilier discipline et communication au sein de sa classe. Pourtant, quand on a la chance d’enseigner dans une classe qui participe spontanément, il serait dommage d’anesthésier cette parole, ou de ne pas en tenir compte au niveau pédagogique. C’est pourquoi j’ai tenté de prendre en compte la parole de mes élèves, de la motiver, de la canaliser afin qu’ils parviennent eux-mêmes à construire leurs savoirs. Mots-clés : - pédagogie de l’oral adaptabilité du professeur participation et motivation de l’élève autonomie de l’élève dans son apprentissage Etablissement en responsabilité : Collège Le Petit Prétan Rue Léocadie Czyz 71640 GIVRY Classe prise en charge : 5ème 6