Stradda 30 - Frédéric Michelet

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Stradda 30 - Frédéric Michelet
stradda / n° 30 / décembre 2013 engagement
La rue, le cirque, les artistes itinérants se sont donné
des objectifs. Leurs porte-parole s’expriment.
Administrateur Arts de la rue à la SACD, mais aussi comédien et metteur en scène de
la compagnie CIA, Frédéric Michelet a vécu tous les combats pour la
reconnaissance du secteur…
RUE “Y’a encore du boulot”
— Vous connaissez les arts de l’espace public?
— Ah, vous parlez des graffeurs ? Du plasticien qui emballe les ponts ?
— Je vous parle des artistes qui créent des spectacles dans la rue ?
— Ah oui, les types qui font du jonglage devant Beaubourg... ou la marionnette géante de quinze mètres à
côté de Notre-Dame...
J’ai entendu tellement de fois cette réponse, pas dix fois, pas cent, des milliers de fois... On ne nous
connaît pas, ou si peu ! Pensez le contraire serait une périlleuse illusion. Depuis le Temps des arts de la rue,
en 2005, nous avons baissé notre garde, nous nous sommes laissés aller à penser que notre reconnaissance
était effective. Et nous avons peu à peu démobilisé (de ce côté là, j’entends).
La presse nous ignore ! Cette année encore, au cours de nombreuses réunions et lors de la remise des prix
de la SACD, qui rassemble le who’s who de la culture, du show biz et de la presse, j’ai de nouveau
cruellement constaté que nous n’évoquions rien ou si peu pour tous ces “personnalités” qui détiennent
bon nombre de clés. Personne ne connaît l’importance de nos festivals, de nos saisons, la singularité de nos
œuvres...
Plus de mille. Et pourtant ! Qui imagine que nous sommes plus de mille troupes, que nous nous
produisons dans des centaines de festivals, que nous créons l’événement dans des centaines de villes,
brassant, mélangeant champs artistiques, populations et cultures. Qui sait que nous sommes un
mouvement en marche ??? Qui sait que nous sommes un mouvement en marche, qui, chaque jour malgré
la crise, argument maudit et fallacieux, continue à progresser, à envahir les pavés des cités. Qui connaît
notre profession de foi éthique et politique, notre volonté de sortir des salles pour aller à la rencontre des
publics, mettre en jeu et en scène les murs et places de la ville ? Qui sait que des dramaturges, des
chorégraphes, des metteurs en scène, des artistes écrivent et travaillent à de complexes spectacles pour
l’espace public demandant parfois une, deux, trois, quatre années de travail pour produire de véritables
chefs-d’œuvre. On ne nous connaît pas vraiment, si tant est que l’on nous connaisse... Je passe mon temps
à faire de la pédagogie, de l’histoire, de la “communication”... Pour ne pas dire du lobbying, ce gros mot !
Mais la tâche est rude, longue, et sans fin. Chaque année à la SACD, un tiers de nouveaux administrateurs
sont élus et tout est à recommencer, expliquer, présenter, inviter ! Pour ne pas parler du reste du monde…
Petits teigneux. Eh oui ! Nous avons un important déficit de communication. Ces derniers temps nous
avons défendu une politique culturelle plutôt que nos esthétiques et, bien que cela soit citoyen, cette
démarche ne nous appartient pas en propre ; le cirque, la danse, le théâtre peuvent également défendre une
politique culturelle citoyenne, et tant mieux... Ce noble combat ne nous identifie pas vraiment, ou pas
assez. Le fait que nous soyons plus de 1000 compagnies, que 34% des Français voient l’un de nos
spectacles chaque année, qui le sait ? Et qu’est-ce que ça change, pour eux ?
Il nous faut donc mettre en œuvre, ensemble, avec Hors Les Murs et tous nos partenaires, des outils de
communication nouveaux, modernes et efficaces... Et les diffuser à outrance, si nous ne voulons pas être
pour toujours le petit frère (teigneux), à peine sorti de l’ombre... Et qui y restera!
Eternels émergents. Nous avons contribué en partie à cet ostracisme ! Eh oui ! Nous sommes fiers de
nous, de notre mouvement, de nos singularités et, parfois, souvent même, nous nous sentons “à côté”,
divergents des autres disciplines du spectacle vivant. Nous sommes encore et toujours les “émergents”…
Bon, à notre décharge, il a bien fallu combattre et ferrailler de notre côté pour nous faire reconnaître,
aider, et adouber, et pour cela affirmer notre discipline comme indépendante et distincte… On y a gagné
des lignes de crédit autonomes dans les régions, d’autres à la DGCA (Direction générale de la création
artistique), des compagnies conventionnées, et j’en passe… Mais il est temps, sans renoncer à nos valeurs,
d’être assuré d’appartenir au champ du spectacle vivant. Car oui, il nous faudra travailler avec les scènes
généralistes, les Centres dramatiques nationaux, les Scènes nationales. C’est un de nos destins, un jour
nous devrons être dans leurs cahiers des charges officiels, comme les autres arts vivants... Tiens ! C’est
drôle… Je cite « le Festival d'Avignon est aujourd'hui l'une des plus importantes manifestations
internationales du spectacle vivant contemporain. » Et pourquoi on n’y est pas, alors ? On fait bien partie
du spectacle vivant contemporain, non ? Se faire re-connaître. Y a encore du boulot, nous y revoilà ! Pour
cela, il faut nous faire re-connaître encore et encore. De nouvelles villes et de nouveaux programmateurs
s’ouvrent chaque année aux arts dans l’espace public. Des scènes conventionnées, des Scènes nationales,
voire même quelques CDN, comme celui de Poitiers, se tournent vers notre discipline. Ce mouvement
doit être inéluctable. A terme, les arts de la rue, doivent devenir une discipline du spectacle vivant au
même titre que les autres. Pourquoi une scène ferait-elle appel au cirque, à la danse, à la musique, et
n’intégrerait pas à sa programmation des spectacles dans l’espace public ? D’autant plus que l’alliance entre
le dehors et le dedans sera un véritable facteur de création de nouveaux publics, d’agitations productives
entre les pratiques et les disciplines… et les citoyens ! C’est pourtant ce qui est clairement indiqué dans
l’avant-projet de loi d’orientation relatif à la création artistique dans le domaine du spectacle vivant
(Article 6 : Faciliter l’irrigation et l’équité territoriale en matière artistique et culturelle…/… – en incitant
au développement de la création et de la diffusion artistique dans l’espace public).
Eveillés. Cet été, j’étais à Sotteville, Chalon et Aurillac, à Cognac et à Villefranche… J’y ai vu des dizaines,
des centaines de milliers de personnes séduites, épanouies, ouvertes. Je sais que je verrai la même chose à
Cergy, Annonay et Angers, à Villeurbanne et à la ZAT Montpellier, en Bretagne et à Bar-le-Duc… J’arrête
la liste, nous sommes partout... Ces sourires, ces regards éveillés que j’ai croisés ne peuvent en aucun cas
participer au repli qui conduit à voter pour le dangereux extrême. Nos œuvres contribuent à l’ouverture
d’esprit, ne nous laissons pas bouder ou enfermer dans des queues de budgets. Faisons-nous connaître et
re-connaître encore et encore. l FRED MICHELET

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