INSTITUTIONS ADMINISTRATIVES LA RÉFORME DE LA JUSTICE
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INSTITUTIONS ADMINISTRATIVES LA RÉFORME DE LA JUSTICE
INSTITUTIONS ADMINISTRATIVES LA RÉFORME DE LA JUSTICE Créée sous Napoléon 1er, la carte judiciaire n’avait pas connu de modification substantielle depuis 1958, et ne correspondait plus à la réalité démographique, sociale et économique du pays. En effet, certaines juridictions étaient beaucoup trop réduites. Un tribunal de taille suffisante permet de renforcer la collégialité, d’encadrer davantage les jeunes magistrats, de renforcer la sécurité juridique par la spécialisation de certains juges. Sur 1 200 juridictions, réparties sur 800 sites, une quarantaine de tribunaux de grande instance disposaient de moins de huit magistrats, certains en comptant moins de trois. Quelque 70 tribunaux de grande instance comptaient un seul juge d’instruction. Le nombre de magistrats par habitant variait donc considérablement d’un département à l’autre, créant une situation inégalitaire pour le justiciable. La réorganisation de la carte judiciaire était, par conséquent, devenue indispensable pour moderniser le fonctionnement de la justice et améliorer le service rendu aux citoyens, en leur garantissant une justice efficace et de qualité. La réforme, progressive, qui consiste à réorganiser la justice sur le territoire, a été engagée initialement en 2007, et s’est achevée le 31 décembre 2010. La carte judiciaire a été repensée, en cohérence avec la carte pénitentiaire et la carte de la protection judiciaire. Cette réforme s'est accompagnée d'un projet de numérisation et de dématérialisation des procédures. I. L'OBJECTIF ET LA CHRONOLOGIE DE LA RÉFORME A. L'objectif de la réforme L'objectif de la réforme de la carte judiciaire était de créer des juridictions disposant d'une activité et d'une taille suffisantes pour permettre de renforcer la qualité et l'efficacité de la justice sur l'ensemble du territoire : Institutions administratives - La réforme de la justice- © Tous droits réservés 1/8 • en permettant aux magistrats d'acquérir ou de conserver un niveau de technicité nécessaire ; • en garantissant la continuité du service public de la justice ; • en améliorant les délais de traitement des contentieux ; • en facilitant l'accès du justiciable à la justice par la concentration des effectifs de greffe ; • en mutualisant les ressources humaines et les moyens ; • en favorisant la mise en œuvre de nouvelles organisations de travail plus rationnelles et plus efficaces. B. La chronologie de la réforme Cette réforme a été très progressive afin de permettre une adaptation des différentes institutions et tribunaux. Cette mise en œuvre progressive de la réforme sur 3 ans a permis de prendre en compte les situations des personnels et des auxiliaires de justice concernés, et de prévoir les solutions immobilières nécessaires à l’accueil des juridictions regroupées. Les différentes étapes de la réforme ont été les suivantes : • 27 juin 2007 : installation du comité consultatif de la carte judiciaire et lancement de ses travaux. • 30 septembre 2007 : date limite de remise des propositions des chefs de cours. • Mars 2008 : mise en place de pôles d’instruction. • 31 décembre 2008 : mise en application de la nouvelle carte judiciaire pour les conseils des prud’hommes. • 1er janvier 2009 : mise en application pour les tribunaux de commerce. • 31 décembre 2009 : mise en application pour les tribunaux d’instance. • 31 décembre 2010 : mise en application pour les tribunaux de grande instance (TGI). Institutions administratives - La réforme de la justice- © Tous droits réservés 2/8 II. LE CONTENU DE LA RÉFORME A. La procédure La réforme consistait à redéployer certaines juridictions (tribunaux de grande instance, tribunaux de commerce, tribunaux pour enfants, cours d’appel...) en fonction de leur activité et de leur environnement. La redistribution se fonde sur des critères d’activité, et également sur des critères démographiques, économiques et géographiques. Ont été pris en compte le nombre de magistrats et de fonctionnaires ainsi que les effectifs des professions judiciaires (avocats). La carte judiciaire a également été repensée en cohérence avec la carte pénitentiaire et la carte de la protection judiciaire. B. Bilan chiffré de la réforme de la carte judiciaire Au 1er janvier 2011, le nombre de juridictions s’établit à 819, contre 1 206 avant la réforme (Cf. annexe : la nouvelle carte de la réforme judiciaire) : • 401 juridictions ont été supprimées (dont 21 tribunaux de grande instance (TGI1), 178 tribunaux d’instance et juridictions de proximité, 62 conseils de prud’hommes2, 55 tribunaux de commerce et 85 greffes détachés de tribunaux d’instance). Toutes les juridictions qui ont été fusionnées avec une juridiction voisine connaissaient un niveau d'activité inférieur à la moyenne. 1 Les 17 tribunaux de grande instance qui ont fermé le 31 décembre 2010 sont donc les suivants : Marmande, Abbeville, Saumur, Dole, Lure, Avranches, Hazebrouck, Tulle, Montbrison, Saint-Dié, Rochefort, Dinan, Guingamp, Morlaix, Riom, Bernay et Saint-Gaudens. 2 Les 62 conseils de prud'hommes supprimés sont ceux de : Figeac, Manosque, Menton, Salon-de-Provence, Chauny, Hirson, Château-Thierry, Friville-Escarbotin, Cholet, Saint-Claude, Cognac, Vierzon, Issoudun, Vire et Trouville, Flers, Thonon-les-Bains, Molsheim, Guebwiller, Sélestat, Altkirch, Beaune, Saint-Dizier, Autun, Montceau-les-Mines, Le Creusot, Armentières, Haubourdin, Halluin, Fourmies, Maubeuge, Montreuil-surMer, Romans-sur-Isère, Briançon, Voiron, La-Tour-du-Pin, Firminy, Saint-Chamond, Givors, Sarrebourg, Sarreguemines, Decazeville, Bédarieux, Clermont-l'Hérault, Lunéville, Briey, Remiremont, Annonay, Carpentras, Romorantin-Lanthenay, Etampes, Oloron-Sainte-Marie, Châtellerault, Sedan, Romilly-sur-Seine, Fougères, Redon, Thiers, Bolbec, Fécamp, Elbeuf, Mazamet, et Nogent-le-Rotrou. Institutions administratives - La réforme de la justice- © Tous droits réservés 3/8 Dès l'annonce du projet, élus locaux et avocats ont manifesté leur colère et mis en garde la ministre contre la fermeture des petits tribunaux, coupant les justiciables ruraux de leur justice et créant une justice à deux vitesses. L'Association des petites villes de France a mis en garde contre l'apparition de "déserts judiciaires". Les tribunaux administratifs ont ainsi été saisis massivement sur les fermetures injustifiées de tribunaux3. • 14 juridictions ont été créées, dont 7 tribunaux d’instance et juridictions de proximité (à Manosque, Flers, Annemasse, Montbard, Aubenas, Annonay, Pertuis), 1 conseil de prud’hommes (Avesnes-sur-Helpe), 5 tribunaux de commerce (Annecy, Thonon-lesBains, Guéret, Mende et Bernay) et 1 tribunal mixte de commerce (à Saint-Pierre de la Réunion). Les moyens alloués à la réforme sont les suivants : • Les 1 800 agents concernés par la réforme (400 magistrats et 1 400 fonctionnaires) ont bénéficié d'un plan d'accompagnement social : o accompagnement individualisé ; o reclassement en priorité au sein d'une juridiction, d'un autre service du ministère ou dans une autre administration ; o indemnisation pour les personnels affectés avec prime de restructuration et allocation d'aide à la mobilité du conjoint ; o droit à la formation ; o diverses mesures d'action sociale, dont des aides au logement. • Les avocats inscrits dans les barreaux, fusionnés par voie de conséquence, ont bénéficié d'un programme d'aide à la réinstallation d'un montant de 20 millions d'euros. Un programme immobilier et d'investissement d'un montant de 375 millions d'euros accompagne cette réforme sur 5 ans : 450 opérations immobilières permettant de regrouper les juridictions pour améliorer l'accueil du justiciable, les conditions de travail des personnels, les dispositifs de sécurité et l'accessibilité aux handicapés. • 3 La réforme initiale prévoyait la suppression de 23 TGI. Une décision du Conseil d'Etat du 19 févier 2010 a annulé la fermeture du tribunal de Moulins. De plus, 2 TGI ont fermé par anticipation en 2009 (Millau et Belley) et 2 autres en 2010 (Péronne le 30 juin et Bressuire le 5 septembre), un regroupement (BourgoinJallieu et Vienne) a été reporté en 2014 dans l’attente de la construction d’un TGI à Villefontaine. Institutions administratives - La réforme de la justice- © Tous droits réservés 4/8 III. LE BILAN DE LA REFORME Au 1er janvier 2011 s'achevait la réforme de la carte judiciaire. Elle a abouti à la suppression de près du tiers des implantations judiciaires, touchant principalement les tribunaux d'instance. Réforme de grande ampleur, entraînant une réorganisation de la carte des juridictions, elle a fait l'objet de vifs débats et posé la question des conditions d'exercice du service public de la justice et de sa présence sur le territoire, auprès des justiciables. Malgré les très nombreuses résistances au sein des juridictions, et une annulation prononcée par le Conseil d’État (concernant la suppression du tribunal de grande instance de Moulins), la réforme de la carte judiciaire a été menée à son terme. Elle n’est cependant pas exempte de toutes critiques. Controversée, la réforme de la carte judiciaire a donné lieu à de nombreuses manifestations et protestations, qui ont associé magistrats, fonctionnaires, élus et avocats. Son ampleur, comme l’importance des enjeux qu’elle engage (qualité de la justice et des moyens de juridiction), justifiait d’en dresser un premier bilan. A. Une méthode contestée De façon générale, toutes les personnes interrogées admettent qu'une réforme était nécessaire, mais que la méthode suivie dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire est très contestable. À plusieurs reprises, a été exprimé le sentiment d’une réforme précipitée, mal expliquée, voire brutale. Le Parlement n’a pas eu à connaître de la réforme, qui a été intégralement mise en œuvre par décret. Le calendrier resserré fixé à la réforme (de fin juin au 1er octobre, soit pendant la période estivale) n’a pas facilité la concertation. De plus, cette concertation nationale a semblé inexistante puisque le comité consultatif de la carte judiciaire n’a été réuni qu’une fois, le 27 juin, par la garde des Sceaux, et plus jamais ensuite. Les concertations locales, conduites par les chefs de cour et par les préfets, ont été dans l’ensemble assez riches, mais leur résultat n’a pas toujours été pris en compte. Beaucoup ont eu le sentiment que les décisions étaient déjà prises. De plus, les annonces des suppressions ont, quant à elles, souvent été vécues douloureusement par les personnels judiciaires concernés, les élus ou les professions juridiques. B. Un bilan très contrasté La réforme de la carte judiciaire a, certes, rendu possible une rationalisation du fonctionnement de certaines juridictions et la disparition d'implantations judiciaires Institutions administratives - La réforme de la justice- © Tous droits réservés 5/8 qui n'avaient plus lieu d'être. Toutefois, le bilan de l'accompagnement de cette réforme par le ministère de la Justice est contrasté. Surtout, il apparaît que la réforme a eu des effets négatifs pour le justiciable, les juridictions ou les territoires, lorsqu'elle a abouti à la suppression nette de postes de magistrats ou de greffiers (alors que les besoins en personnel de la justice ont augmenté sous l’effet des nombreuses réformes pénales et civiles) ou qu'elle a éloigné excessivement la justice du justiciable. Dans un contexte budgétaire contraint, un objectif comptable semble s’être imposé, au détriment, souvent, du bon fonctionnement des juridictions et de l’intérêt du justiciable. Enfin, d'un point de vue financier, la réforme a imposé un objectif de maîtrise financière : les juridictions ont été réinstallées en apparence à un coût maîtrisé de 340 millions d’euros. Cependant les palais de justice, propriétés des collectivités territoriales, étaient généralement mis gracieusement à disposition des juridictions. Les regroupements ont obligé le ministère à prendre de nouveaux bâtiments en location, ce qui a eu un coût considérable. Ainsi, par exemple, le tribunal d’instance de Vierzon était la propriété de l’État et celui de Sancerre était mis à disposition gratuitement par la mairie. Leur rattachement à Bourges a nécessité la location d’un nouveau bâtiment pour le tribunal de rattachement, soit un loyer de 41 657 euros par trimestre et 111 000 euros de travaux d’aménagement. C. Une occasion manquée La réforme n'avait, jusqu'à ce jour, fait l'objet d'aucune évaluation, et aujourd'hui des questions importantes demeurent : l'accès à la justice a-t-il été préservé ? Le fonctionnement des juridictions a-t-il été renforcé et la qualité de leur décision améliorée ? Quel a été le prix de la réforme ? Pour apporter une réponse à ces questions, la commission des lois du Sénat a constitué un groupe de travail chargé de dresser le bilan de cette réforme de la carte judiciaire. Au cours de ses visites, il a entendu plus d’une centaine de personnes, magistrats, fonctionnaires, responsables administratifs, représentants des professions judiciaires et élus locaux… Au terme de ses travaux, le groupe de travail fait le constat suivant : "La réforme de la carte judiciaire laisse le sentiment d’une occasion manquée". Pour le groupe de travail, quatre pistes pour l’avenir ont été esquissées, afin d’essayer de remédier aux principaux dysfonctionnements observés, et de concevoir une réforme plus globale de l’organisation judiciaire, qui garantisse l’accès de tous à la justice. Institutions administratives - La réforme de la justice- © Tous droits réservés 6/8 D. Des pistes d'amélioration Le groupe de travail dessine plusieurs pistes et appelle à une réflexion sur la réforme de l'organisation judiciaire, pour garantir l'accès à la justice : 1. Le Parlement doit pouvoir débattre de toute réforme future de la carte judiciaire, pour décider des principes essentiels et des objectifs qui seront fixés en la matière. 2. Des amendements doivent pouvoir être apportés à la nouvelle carte judiciaire, pour remédier à des dysfonctionnements avérés. 3. Il convient de procéder enfin à la réforme des cours d’appel que la précédente réforme n’a pas engagée. 4. Ce qui a manqué à la réforme, c’est une réflexion d’ensemble sur la proximité judiciaire dont le justiciable a besoin, et sur l’organisation judiciaire qui en découle. Au cours des auditions, une piste de réflexion a paru recueillir un accord quasiunanime : celle d’une simplification et d’une clarification de l’organisation des juridictions de première instance. Il s’agirait de fusionner en une même juridiction - le "tribunal de première instance" (TPI) les actuels tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance. Ces derniers ne seraient plus qu’un service délocalisé du TPI. Ce dispositif pourrait permettre d’adapter la structure judiciaire aux besoins des territoires, de faciliter l’accès à la justice. Cette solution pose toutefois de réelles difficultés dans sa concrétisation : disparition en tant que tels des tribunaux d’instance, auxquels les justiciables restent attachés. Institutions administratives - La réforme de la justice- © Tous droits réservés 7/8 Annexe : La nouvelle carte de la réforme judiciaire depuis 2012 (source : ministère de la Justice) Institutions administratives - La réforme de la justice- © Tous droits réservés 8/8