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synthèse
Carence nutritionnelle après bypass
gastrique : revue de la littérature,
recommandations et suivi
Le bypass gastrique Roux-en-Y (RYGB) est l’intervention de
chirurgie bariatrique la plus fréquemment réalisée en Suisse.
La sévérité des carences nutritionnelles parfois observées en
postopératoire a motivé la mise sur pied de recommandations
tant pour le suivi des patients que pour le traitement préventif de telles complications. Cet article a pour but de rappeler,
à travers une présentation de cas et une revue de la littérature,
l’importance et la nature de ces mesures.
Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 649-54
D. Lebowitz
C. Juillet
R. Kehtari
Drs Dan Lebowitz, Christian Juillet
et Réza Kehtari
Département de médecine
et des urgences
Hôpital neuchâtelois-Pourtalès
2000 Neuchâtel
[email protected]
[email protected]
[email protected]
Nutritional deficiency after gastric bypass
surgery : a review of the literature and
guidelines for follow-up
Roux­en­Y gastric bypass (RYGB) is the most
frequently performed bariatric surgical pro­
cedure in Switzerland. The incidence of post­
operative nutritional deficiencies is high.
Therefore, guidelines have been established
for patient follow­up and prophylactic treat­
ment of such complications. This article makes
use of a case report and a review of the lite­
rature to emphasize the importance of such
measures.
0
introduction
Déjà en 2007, 8,1% de la population suisse présentait une obé­
sité telle que définie par un indice de masse corporel (IMC)
supérieur à 30 kg/m2.1 Au­delà d’une prise en charge médicale
et multidisciplinaire, la chirurgie bariatrique est indiquée en
cas d’obésité morbide (IMC L 40 kg/m2) réfractaire à des me­
sures diététiques et d’hygiène de vie. Elle est également pra­
tiquée en cas d’IMC L 35 kg/m2 accompagné de complications
telles que le diabète de type 2, l’hypertension artérielle, les
syndromes d’apnée obstructive du sommeil et d’obésité­hypo­
ventilation ou des complications articulaires.2­5
Les dernières recommandations de la Swiss Society for the
Study of Morbid Obesity and Metabolic Disorders (SMOB) pro­
posent depuis 2011 le recours à cette chirurgie déjà à partir d’un IMC à 35 kg/m2
sans comorbidités associées, mais sous réserve d’un cadre de prise en charge
plus stricte.6
Les complications hypoglycémiques après chirurgie bariatrique et leur prise
en charge ont été récemment traitées dans cette revue.7
prise en charge chirurgicale de l’obésité
L’anneau gastrique ajustable (Laparoscopic Adjustable Gastric Banding, LAGB),
basé sur un principe purement restrictif et le bypass gastrique Roux­en­Y (RYGB),
alliant un mécanisme restrictif à une composante de malabsorption, sont les deux
interventions les plus fréquemment réalisées en chirurgie bariatrique.
Le RYGB est une variante du premier bypass gastrique réalisé en 1966.8 Il per­
met l’obtention d’une perte pondérale plus importante et un meilleur contrôle
des comorbidités comparé aux interventions purement restrictives.2 Selon la méta­
analyse de Bushwald, le RYGB permet non seulement une perte moyenne de
61,6% du poids excessif mais aurait également un impact favorable sur la morta­
lité liée à l’obésité ainsi que sur la qualité de vie.9 A noter que la vitesse maxi­
male de la perte pondérale est observée dans les trois mois postopératoires et
que le pic de cette perte est atteint après douze à dix­huit mois. A dix ans, on
peut s’attendre à une reprise d’environ 10% du poids perdu. Plus rarement, un
échec de l’intervention avec récidive de l’obésité initiale est rapporté dans les
trois à cinq ans après RYGB.2
Actuellement, le RYGB est l’opération la plus fréquemment pratiquée en Suisse
ou à l’étranger.2,10 De ce fait, le suivi de ses complications précoces et tardives
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Tableau 1. Complications du bypass gastrique
Roux-en-Y (RYGB)
(Adaptédesréf.2,6,9,10).
RemerciementsauPrY.Groebli,FMHenchirurgiegénérale,viscérale
etd’urgences.
Complications précoces
• Maladiethromboembolique
• Hémorragieanastomotique
• Fuitesurlâchageanastomotique
• Infectiondeplaie
• Malfaçonchirurgicale,avecdistensionourupturegastrique
Mortalité à 30 jours :0,5%
Complications tardives
• Carencesnutritionnellesettroublesmétaboliques
• Cholécystolithiase
• Sténoseanastomotique
• Ulcèreanastomotique
• Hernieinterne,etherniedeparoiaveccomplicationsobstructives
• Dumping-syndromeprécoce
• Hypoglycémieréactivepostprandiale
Tableau 2. Formule sanguine à l’admission
*Nombreuxhypersegmentés.
Normes
Patient
59 g/l
Hémoglobine
140-180g/l
MCV
80-100fl
112 fl
MCHC
310-360g/l
347g/l
Réticulocytes
94G/l
Thrombocytes
150-400G/l
152G/l
Leucocytes
• Neutrophiles*
• Lymphocytes
• Monocytes
4-10G/l
1,8-7,7G/l
1-4,8G/l
0,2-1G/l
3,1 G/l
1,9G/l
0,9 G/l
0,12 G/l
(tableau 1), notamment les carences nutritionnelles, néces­
site une attention bien particulière.
cas clinique
M. X., âgé de 59 ans, bénéficie en 1996 de la mise en
place d’un anneau gastrique en raison d’une obésité
morbide (poids 150 kg, IMC : 43 kg/m2). L’intervention
permet une perte pondérale de 40 kg, mais le dispositif
doit être retiré trois ans plus tard en raison de compli­
cations infectieuses.
En 2003, suite à une nouvelle prise pondérale (poids
130 kg, IMC : 38 kg/m2), M. X. bénéficie d’un RYGB avec
évolution favorable et notamment un bilan hémato­bio­
logique qui est normal fin 2008 (hémoglobine à 139 g/l).
Début 2010, le patient est hospitalisé suite à la décou­
verte d’une anémie sévère se manifestant par une dysp­
née et une asthénie invalidantes. Le traitement habi­
tuel consiste alors en un sartan et un inhibiteur de la
pompe à protons. Il n’y a pas de traitement de substitu­
tion en micronutriments.
A l’admission, le status révèle une pâleur ainsi qu’une
langue dépapillée et le poids est de 85 kg (IMC : 26 kg/m2).
Un examen neurologique spécialisé ne montre pas de
signes de myélose funiculaire ou de neuropathie et l’exa­
men ostéoarticulaire est normal. La formule sanguine
montre une anémie macrocytaire sévère et une leuco­
pénie (tableau 2). Le bilan martial montre une élévation
du récepteur soluble de la transferrine suggérant une
carence en fer. Le frottis sanguin périphérique montre
des macro­ovalocytes et la présence de neutrophiles
hypersegmentés (figure 1) compatibles avec la présence
d’un déficit en vitamine B12 (tableau 3).
Une ponction­aspiration de moelle osseuse réalisée à
la recherche de l’étiologie de la bicytopénie montre une
hypercellularité et une atteinte des trois lignées avec
présence d’une mégaloblastose, de métamyélocytes
géants et de mégacaryocytes dysplasiques (figures 2a, b
et c). L’absence totale de réserves en fer et d’incorpora­
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Figure 1. Frottis sanguin périphérique
Laprésencedemacro-ovalocytes(flèche)etdeneutrophileshypersegmentés,c’est-à-direàplusdecinqsegments(étoile),estcaractéristique
d’unecarenceenvitamineB12.
Tableau 3. Bilan de l’anémie
TSH:hormonestimulantlathyroïde;sTFR:solubletransferrinreceptor.
Normes
Patient
VitaminesB12
166-533pmol/l
22 pmol/l
Homocystéine
3,2-12mmol/l
94,4 mmol/l
Anticorpsanticellulespariétales
etfacteurintrinsèque
Négatifs
Folatesérythrocytaires
597-2300nmol/l
1710nmol/l
Fersérique
12-30mmol/l
26,3mmol/l
Transferrine
• Tauxdesaturation
2-4g/l
0,20-0,40
1,5g/l
0,70
Récepteursolubledelatransferrine 0,76-1,76mg/l
3,01 mg/l
Ferritine
128mg/l
10-144mg/l
IndexsTFR/logferritine
1,43
TSH
0,25-4,2mU/l
1,34mU/l
tion dans les érythroblastes à la coloration au bleu de
Prusse confirme la carence martiale (figure 2d). Bien que
la dysplasie majeure des mégacaryocytes et des érythro­
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bypass gastrique roux-en-y et complications nutritionnelles
B
A
Le syndrome de malabsorption induit par le RYGB en­
traîne de nombreuses carences nutritionnelles. Leurs con­
séquences physiopathologiques et leur incidence sont re­
vues ci­après.
carence en micronutriments
Vitamine B12
D
C
Figure 2. Ponction-aspiration de moelle
RemerciementsauDrJérômeVoegeli,FMH/FAMHenhématologie.
A.mégaloblastose;B.métamyélocytesgéants;C.mégacaryocytesdysplasiquesetD.absencederéservesenferetd’incorporationdansles
érythroblastes après coloration au bleu de Prusse confirme la carence
martiale.
blastes aurait pu faire croire à un syndrome myélodys­
plasique, ce dernier est écarté par la découverte de la
carence en B12 et dans un deuxième temps par l’évolu­
tion clinique.
Devant la suspicion d’un syndrome de malabsorption,
un complément de bilan confirme également une ca­
rence en calcium, vitamine D, sélénium, zinc et cuivre
(tableau 4). D’autres causes de malabsorption comme
une anémie de Biermer sont infirmées par une gastro­
scopie et une coloscopie normales ainsi que des sérolo­
gies négatives pour les anticorps anticellules pariétales
et facteur intrinsèque.
Au vu de ces éléments, le diagnostic de carence nutri­
tionnelle post­bypass gastrique est retenu.
Sur le plan thérapeutique, le patient bénéficie d’une
transfusion sanguine, d’une substitution parentérale en
B12 et en fer et, per oral, en acide folique et zinc. Deux
mois après l’admission à l’hôpital, la formule sanguine
montre une normalisation de l’hémoglobine à 147 g/l,
s’accompagnant d’une récupération complète des capa­
cités fonctionnelles.
Tableau 4. Dosage complémentaire des micronutriments et protéines
La vitamine B12 joue un rôle essentiel dans la synthèse
de l’ADN nécessaire à l’érythropoïèse et dans le fonction­
nement du système nerveux central et périphérique. Elle
est contenue dans les produits laitiers, les œufs et la viande.
Lors d’un bypass gastrique, la carence en B12 est expliquée
par un trouble de la dissociation des protéines de trans­
port contenues dans les aliments due à un manque d’HCl,
ainsi que par un déficit de production de facteur intrin­
sèque.
L’incidence à long terme d’une hypovitaminose B12 après
RYBG varie de 37 à 80% et peut déjà survenir lors des deux
premières années postopératoires.11­13
Les manifestations cliniques consistent en une anémie
macrocytaire mégaloblastique, une glossite atrophique, une
neuropathie périphérique et une myélose funiculaire avec
déficit de proprioception.
Une anémie est observée dans 36,8 à 54% des cas11,12 et
accompagne souvent une carence mixte en B12, en folates
et en fer. La macrocytose reste une complication rare, dé­
crite isolément,14 voire estimée à environ 7%.12
Acide folique
L’acide folique est absorbé tout le long du tractus diges­
tif, raison pour laquelle une telle carence est plus rare. Sa
survenue, dans 0 à 38% des cas,11,12,15 résulte surtout de la
diminution des apports et peut facilement être évitée par
la prise d’une préparation multivitaminée. Les folates sont
nécessaires à la synthèse de l’ADN et un déficit se mani­
feste tardivement par une anémie mégaloblastique.
Fer
Le déficit en fer est observé chez environ 50% des pa­
tients après RYGB, les femmes préménopausées étant
plus à risque.11,12,16­19 Son étiologie repose sur trois méca­
nismes : a) l’évitement spontané de la consommation d’ali­
ments riches en fer comme la viande rouge, qui peut s’as­
socier à des nausées ; b) la diminution de la sécrétion
d’HCl nécessaire au métabolisme de l’ion ferrique et c)
l’exclusion du duodénum, diminuant la surface d’absorp­
tion du fer et le délai d’exposition des aliments aux en­
zymes pancréatiques.19
Une carence martiale se manifeste par une anémie mi­
crocytaire à laquelle peuvent s’associer une glossite atro­
phique, une koïlonychie et un syndrome de Pica.
Normes
Patient
Calciumcorrigé
2,3-2,6mmol/l
2,04 mmol/l
VitamineD
25-120mmol/l
l 10 mmol/l
Zinc
9-22 mmol/l
7,1 mmol/l
Cuivre
12-24mmol/l
9,7 mmol/l
Vitamine D et calcium
Sélénium
500-1500nmol/l
399 nmol/l
Protéinestotales
63-82g/l
49 g/l
Albumine
35-55g/l
32 g/l
Les mécanismes de l’hypovitaminose D et de l’hypocal­
cémie sont expliqués par la malabsorption des vitamines
liposolubles et du calcium suite à l’exclusion duodéno­
jéjunale et par la diminution de la sécrétion d’HCl. Le suivi
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de la vitamine D après RYGB montre la survenue d’un dé­
ficit chez 7 à 51% des patients.20,21 Il survient déjà dans les
cinq années postopératoires et peut s’accompagner d’une
hyperparathyroïdie secondaire chez environ 49% des pa­
tients.22 L’hypocalcémie est retrouvée dans 10% des cas,
essentiellement après RYGB distal.20
Les conséquences cliniques d’une hypovitaminose D
sont caractérisées par une ostéomalacie, avec diminution
de la densité minérale osseuse et augmentation des mar­
queurs de turnover osseux (phosphatase alcaline, ostécal­
cine, télopeptide N­terminal du collagène type 1). Celles­ci
sont en effet plus fréquemment observées chez les patients
obèses après RYGB que chez ceux traités conservative­
ment,23,24 et le risque fracturaire après RYGB est estimé à
2,3 fois celui d’une population contrôle.25 A noter enfin
qu’une hypovitaminose D (en raison d’une diminution de
l’exposition aux UV et de la biodisponibilité du calcidiol
due à une séquestration au niveau du tissu adipeux) ainsi
qu’un déficit en d’autres micronutriments comme la B12 et
le fer, sont souvent présents chez les patients obèses, dé­
montrant l’importance d’un bilan nutritionnel avec correc­
tion des déficits déjà dans la phase préopératoire.18,26
Vitamines A, E et K
L’incidence de l’hypovitaminose A après RYGB est d’en­
viron 11% et peut s’associer à une xérophtalmie, une hé­
méralopie et des troubles de l’acuité visuelle 20,21,27 alors
que celle de la vitamine E est rare et asymptomatique.28,29
Aucun cas de déficit en vitamine K après RYGB n’est rap­
porté. Après dérivation bilio­pancréatique, la survenue à
quatre ans d’une telle carence serait de 68% sans toutefois
de complications hémorragiques associées.30
Thiamine
Le déficit en vitamine B1, outre le manque d’apport, ré­
sulte principalement de la diminution de la sécrétion d’acide
gastrique nécessaire à son absorption duodénale. Considé­
rée comme généralement peu fréquente, une étude rappor­
te néanmoins la survenue d’une telle carence chez 11,2% des
patients deux ans après RYGB.21 Elle survient le plus sou­
vent chez des patients ayant des complications postopéra­
toires précoces, notamment des vomissements. Les manifes­
tations, telles qu’une encéphalopathie de Gayet­Wernicke
et une polyneuropathie sont plutôt rares 21,31 mais bien dé­
crites et pourraient être associées à une étiologie multi­
carentielle dans le contexte de malabsorption induite.32
Zinc, sélénium et cuivre
Le déficit en zinc est lié à la malabsorption des lipides
au niveau duodéno­jéjunal, ainsi qu’à la diminution spon­
tanée de la consommation de viande. Une étude rétro­
spective décrit une augmentation de la carence en zinc de
8,1 (en préopératoire) à 34,8% deux ans après l’interven­
tion.33 Les signes cliniques sont : alopécie, diarrhées, hypo­
gueusie, hyposmie et acrodermatite entéropathique.
La carence en sélénium, également due à l’exclusion
duodéno­jéjunale, est rapportée chez environ 23% des pa­
tients à six mois postopératoires et chez 12% d’entre eux,
deux ans après l’introduction d’une supplémentation.34
Cette dernière est assurée par la prescription systématique
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après l’intervention d’une préparation multivitaminée. Aucun
cas de cardiomyopathie due à un déficit en sélénium post­
RYGB n’est rapporté.
Le cuivre est absorbé essentiellement au niveau de l’es­
tomac et du duodénum proximal. Une hypocuprémie si­
gnificative peut survenir jusqu’à cinq ans après RYGB.35 Par
ailleurs, des cas isolés de neuropathie, de troubles de la
marche ou de myélopathie postérieure associés à ce défi­
cit sont décrits jusqu’à dix ans après RYGB.36,37
dénutrition protéino-calorique
La fréquence de la carence protéique après RYGB est
rare et semble dépendre de la longueur de l’anse com­
mune. Une hypo­albuminémie, absente chez des patients
avec une anse de Roux inférieure à 150 cm, est rapportée
chez 13% des patients avec un bypass distal.20 Une dénu­
trition sévère, favorisée par des facteurs externes tels qu’une
sténose anastomotique ou des vomissements, est décrite
chez 4,7% des patients à dix­huit mois après RYGB.38 L’évi­
tement spontané d’aliments riches en protéines et la dimi­
nution de l’efficacité des enzymes gastriques et pancréa­
tiques conduisent également à une malnutrition protéino­
énergétique nécessitant un dépistage précoce et une prise
en charge nutritionnelle spécifique.
discussion
Comme évoqué en introduction, le bypass gastrique
permet de réduire la morbidité et la mortalité des patients
obèses, ainsi que d’améliorer leur qualité de vie.2,9 Une
perte pondérale supérieure à 50% de l’excès de poids main­
tenue après trois à cinq ans est considérée comme un suc­
cès de l’intervention.2 Dans le cas de notre patient, cette
dernière a permis une perte pondérale de 45 kg corres­
pondant à une quasi­normalisation de l’IMC, maintenue
depuis sept ans. L’intervention s’est néanmoins compli­
quée d’une carence nutritionnelle étendue, avec de graves
conséquences.
Afin de maintenir son bénéfice au long cours, la réalisa­
tion d’un RYGB nécessite une prise en charge multidisci­
plinaire tant en pré qu’en postopératoire. La capacité d’as­
surer un suivi continu doit donc faire partie des prérequis
à une telle intervention comme préconisé par la SMOB dans
le cadre des critères de qualité exigés pour les centres de
chirurgie bariatrique.6
Le rôle du médecin traitant à long terme est central. En
effet, après l’intervention, ce dernier doit prêter une atten­
tion particulière aux points suivants :
• suividelapertepondéraleafind’assurersonmaintien
durable ;
• dépistage régulier des carences nutritionnelles et de
leurs conséquences morbides ;
• prescriptiond’unesubstitutiondebaseadéquate,ouplus
spécifique en cas de manifestations d’une carence avérée.
Concernant la fréquence du suivi hémato­biologique
postopératoire, les recommandations suggèrent un bilan à
un et trois mois pour certains dosages, tous les six mois
pendant les deux premières années, puis annuellement à
vie (tableau 5).2,4­6,39
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Tableau 5. Suivi biologique recommandé après
bypass gastrique
(Adaptédesréf.2,4-6,39).
R:recommandédanstouteslessources;O:optionnel.
Mois postopératoires
1
3
6
12
18
1 x/an dès
24 mois
Formulesanguinecomplète
O
R
R
R
O
R
Electrolytes
O
R
R
R
O
R
Glycémie
O
R
R
R
O
R
O
Bilanmartial
R
R
R
VitamineB12
O
R
R
R
Folatesérythrocytaires
O
O
O
O
Calcium,25(OH)vitamineD
R
R
R
O
R
PTH
O
O
O
Thiamine
O
O
O
Bilanlipidique
O
O
O
O
Testshépatiques
R
R
R
O
R
R
O
Tableau 6. Substitution prophylactique recommandée au long cours après bypass gastrique Rouxen-Y (RYGB)
(Adaptédesréf.2,4,6,39).
PO:peros;IM:intramusculaire.
Fer avec vitamine C
40-65mg/jour,chezlesfemmespréménopausées
Vitamine B12
250-350mg/jour(PO);1000mg/mois
(IM)ou3000mg/6mois(IM)si
letraitementPOestinsuffisant
Acide folique (vitamine B9)
400 mg/jour,avecpréparationmultivitaminée
Thiamine (vitamine B1)
Avecpréparationmultivitaminée
pendantlaphasedepertepondérale;
100mg/jour(IV)encasde
vomissements
Citrate de calcium
1200-2000mg/jour
Vitamine D3
400-800U/jour
Zinc, sélénium, magnésium,
cuivre, vitamine A, E, K
Avecpréparationmultivitaminée
contenantdesoligoéléments
La substitution prophylactique reste un sujet de contro­
verse en raison de l’absence de preuve concernant un
schéma de traitement optimal. En effet, les études sur l’in­
cidence des carences sont souvent limitées quant aux don­
nées concernant la prescription de suppléments nutritifs
ou la compliance au traitement. A la fin des années 90, un
questionnaire auprès de chirurgiens bariatriques sur le suivi
post­RYGB d’environ 40 000 patients a démontré une im­
portante hétérogénéité des shémas de substitution utili­
sés.40 Plus récemment, Gasteyer a démontré l’inefficacité
d’une préparation multivitaminée seule sur la prévention
de carences durant les deux premières années après RYGB.
En effet, 34% des patients à trois mois et la quasi­totalité
(98%) à 24 mois ont dû recevoir une substitution supplé­
mentaire spécifique, le plus fréquemment pour une hypo­
vitaminose B12.13
Ces éléments soulignent l’importance du suivi à long
terme par le médecin traitant et ont conduit les sociétés
expertes à recommander une substitution prophylactique
au long cours (tableau 6).2,4,6,39
Par ailleurs, il est primordial d’effectuer un suivi diété­
tique, afin d’assurer un apport protéique suffisant (cible de
90 g/jour, avec supplémentation protéique préconisée en
dessous de 60 g/jour).2,5 La perte pondérale principale s’ef­
fectuant dans les dix­huit premiers mois, une attention
diététique particulière est requise durant cette période.
D’autres mesures d’hygiène de vie comme l’arrêt de la con­
sommation de tabac et d’alcool ainsi qu’une activité physi­
que quotidienne sont recommandées. Enfin, il est important
d’être attentif aux modifications psychologiques qu’im­
plique la perte pondérale, liées à l’image de soi et à des
troubles de l’humeur ou du comportement alimentaire, qui
peuvent également influencer le succès de l’intervention.2
conclusion
Cet article illustre l’importance d’un suivi et d’une subs­
titution préventive adéquate et à vie des patients ayant
bénéficié d’un RYGB afin de prévenir la survenue tardive
et imprévisible de carences nutritionnelles ayant parfois
des implications cliniques graves. Actuellement, la recher­
che s’oriente vers des critères moins sélectifs pour le re­
cours à la chirurgie bariatrique. A titre d’exemple, la Food
and Drug Administration aux Etats­Unis propose en consé­
quence depuis 2011 l’implantation d’un anneau gastrique
pour des patients avec un IMC entre 30 et 34 kg/m2.41,42 A
l’avenir, nous serons donc potentiellement confrontés à un
nombre croissant de sujets à risque de complications après
de telles interventions.
Stratégie de recherche et critères de sélection
Lesdonnéesutiliséespourcetarticleontétéidentifiéespar
une recherche PubMeddesarticlespubliésenanglaisouen
français depuis 1983 dans le domaine de la chirugie bariatrique et des complications nutritionnelles associées. Les
trois mots-clés principaux utilisés sont «bariatric surgery»,
«gastricbypass»et«nutrientdeficiency».Unsous-ensemble
de critères a été simultanément utilisé, il comprenait les
mots-cléssuivants:«guidelines»,«follow-up»,«supplementation»,«anemia»,«iron»,«B12»,«folicacid»,«vitamineD»,
«calcium»,«vitamineA»,«vitamineE»,«vitamineK»,«thiamine»,«zinc»,«selenium»,«copper»et«protein».
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