Ghost Road ou l`âme des villes fantômes américaines
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Ghost Road ou l`âme des villes fantômes américaines
Ghost Road ou l’âme des villes fantômes américaines Dans le Colorado, l’Arizona, le Nevada, le Montana ou encore la Californie, pléthore de villes fantômes, des villes abandonnées, n’ont pas perdu leur âme. Et c’est justement cette âme que tente de mettre en relief Fabrice Murgia dans son spectacle Ghost Road, actuellement au Théâtre National jusqu’au 6 octobre. Rencontre avec le metteur en scène du spectacle, Fabrice Murgia, sur un spectacle pas classique. Votre travail fait intervenir aussi bien le documentaire que la musique et les sons. Le décririez-vous comme un spectacle multidisciplinaire ? En effet. Ce n’est pas qu’un spectacle narratif puisqu’il y a aussi le chat sonore, les images, les speakers qui donnent une ambiance particulière et la table avec les photos. J’avais envie de créer un film entre images d’archives, de cinéma, de documentaire, en dépassant les contraintes d’un genre unique, malgré tout le respect et l’admiration que je porte à chacun de ces genres. Je pouvais ainsi créer un film qui ne respecte pas forcément les normes. Mais je dirais que j’ai surtout été le chef d’orchestre de différents talents ; de techniciens, de comédiens, etc. J’ai écrit le texte mais j’ai surtout coordonné une équipe. Le théâtre est un lieu où l’on peut retrouver le pluridisciplinaire. Je parlerais aussi de compromis. Ce qui est beau, c’est quand tout le monde parvient à être dans le compromis pour être dans le même discours. Le principal a été fait par les acteurs. Côté musique, comment s’est passée la collaboration ? La musique a été concoctée par Dominique Pauwels et brillamment interprétée en soprano par Jacqueline Van Quaille, une grande chanteuse. On est parti du texte, on a enlevé l’orchestre et écrit les arias (« Accessible Rich Internet Applications », des programmes qui permettent de retranscrire la voix sous forme informatisée). Ce qui l’avait marqué c’était les phrases « mon amour, mon ombre, mon double, mon reflet ». On a changé les paroles en nous basant sur la musique de grands classiques comme Puccini ou Mozart. J’ai eu beaucoup de chances car je suis tombé sur un compositeur avec qui j’ai eu envie d’écrire, Dominique Pauwels. Côté images, pourquoi des panneaux rectangulaires à roulettes ? C’était une envie d’introduire des objets rouillés, pour faire référence aux villes fantômes abandonnées et tout ce que cela suppose. Le décor surgit au moment où un personnage, Larry, parle de Bombay Beach et des poissons morts échoués sur la plage. Ce qui est intéressant c’est ce thème de la maison détruite, vidée de sa mémoire, avec l’écho d’une autre époque qui nous traverse. C’est comme le subconscient. C’est ce qui reste dans la boîte quand il n’y a plus rien (les fameuses « mémoires flottantes »). Quelle a été votre motivation principale à parler du thème des villes fantômes ? J’ai eu envie de parler des « ghost towns » car je suis fasciné par les endroits qui ressemblent aux gens et aux gens qui ressemblent aux endroits. Il y a des similitudes avec mon précédent spectacle, Chronique d’une ville épuisée, où une jeune femme ressemble à son réseau. Par comparaison, Césaria se souvient de la partition, mais pas complètement. Il y a aussi cette idée de la mémoire et de la mort sans être figé, en restant dans le mouvement, qui me fascine. Sur le plan humain, un spectacle est-il moteur de changement au plan personnel ? La question c’était comment j’allais retrouver la niaque de mon premier spectacle, que j’avais monté dans un garage. Je veux que chaque spectacle soit un tournant dans ma vie. Bon là j’en ai fait deux par an donc c’est violent au plan existentiel (rires). Avez-vous effectué une phase de repérage ? Nous avions quelques contacts mais nous n’avons pas tous les faire intervenir dans la phase finale de notre travail. Par exemple, nous avions recueilli un témoignage formidable mais pour des raisons pratiques, nous n’avons pas filmé la rencontre, mais elle a été enrichissante et a fait partie du processus. Il y avait également un théâtre au milieu de la vallée M en Californie, situé à 200 km de nulle part. Je suis allé dans le désert et je suis allé sonner aux portes. Il fallait donner du temps aux gens de parler de leur monde. Il y a aussi eu l’humilité de filmer cette vieille dame sans intervenir. pas des gens qui ont subi la réalité mais qui ont choisi d’être là ! Les gens sont plus heureux ainsi qu’avant. Et ils ont de l’humour. On fait toujours des découvertes et ça nous nourrit. Les ignorer aurait été faire preuve de rigidité. En tant que metteur en scène, votre jeune âge (on vous en félicite!) n’a pas posé question ? Pas du tout, au contraire ! C’est vrai que j’ai 28 ans mais j’ai été très content d’être entouré de personnes un peu plus âgées qui comprennent ce qu’est le travail d’un metteur en scène. Mais je considère que je fais simplement partie d’une oeuvre. Est-ce une oeuvre politique ? C’est un projet éminemment politique, mais pas frontal. C’est l’envers du rêve américain avec ce besoin de partir dans la nature, comme certains écrivains américains qui ont vécu des années au milieu de la forêt et y ont puisé leur inspiration. Le point de départ c’est la Beat Generation. Aux Etats-Unis, ils ont ces paysages énormes et ils peuvent se perdre. Nous à Bruxelles, c’est un peu plus difficile. Les personnes interviewées ont quand même un côté rock and roll. Leur passé nous a nourri. On regarde le monde qui nous entoure et on est surpris de notre réaction. Parfois quelque chose nous agace, parfois quelque chose nous laisse indifférent. Ce n’est pas seulement lié à la vieillesse mais à une façon de se confronter à ce qui nous entoure. Nous sommes également allés faire des animations dans les écoles au sujet de Bombay Beach, les « Ghost villages », « Ghost towns » aux Etats-Unis. Viviane De Muynck : Il y a aussi cette vision de la plage où ont échoué des poissons morts, car ces poissons faisaient partie d’une espèce qui avait besoin de partir et comme ils ne pouvaient pas partir et qu’ils ne voulaient pas mourir, ils ont suivi le vent et ont échoué sur la plage. Un beau lieu pour mourir. Un intervenant dans la salle a parlé de sagesse des personnages de votre documentaire ? Pouvez-vous en donner des exemples ? Viviane De Muynck : « Les souvenirs, c’est comme les vagues sur la plage, ça part puis ça vient C’est le thème de la vieillesse et de sa beauté. Fabrice Murgia : La question du rapport à l’argent, au temps, aussi. On change de perspective. La liberté. Je n’en dirai pas plus. Vous vous voyez plus comme un chef d’orchestre (vous avez utilisé ce terme vous-même), plus que dans le cinéma ? Je me vois comme quelqu’un qui relie les talents, qui rassemble des énergies et qui décide sur la base du compromis. Le monde est tellement complexe que j’adhère au principe du « story telling ». Les histoires sont parfois plus utiles pour faire passer des messages. Quelle est la nécessité profonde de faire des spectacles comme celui-ci ? Le spectateur est assez malin pour voir le fil rouge qui correspond à sa propre expérience. On a tous besoin d’histoires. Je raconte 600 histoires puisqu’il y a 600 sièges dans la salle. Chaque personne se confronte avec ce qu’il a vu pour en faire sa propre histoire. Parlez-nous un peu de ces personnages du documentaire ? Ces personnes ont-elles décidé de partir à cause d’un déficit de leur génération ou d’un déficit de la société ? Telle est la question qu’il convient réellement de se poser. Marta Beckett était danseuse, peintre, elle a acheté le village. Les autorités ont voulu la mettre dans une maison de repos. Il restait six personnes dans le village, ils ont essayé de les mettre dans un home. Y a-t-il des intérêts stratégiques dans la région ? Il y a encore beaucoup d’or dans les montagnes. Mais l’Etat ne veut pas qu’on s’en mêle. C’est la fameuse Salvation Mountain, une colline toute peinte avec des images et les mots « Jésus te sauve » (NDLR : une installation artistique en Californie avec des références bibliques). Elle doit faire 400 m². L’image vaut le détour. Avez-vous été surpris dans votre travail par son évolution ? Je suis parti avec des préjugés sur le déclin économique mais en fait j’ai fait la connaissance de personnes normales qui après des années de vie rangée, ont tout abandonné pour venir dans le désert car ils ont trouvé un endroit qu’ils ont envie d’appeler « maison » (« home »). En bref, Laura Hershkowitz Journaliste et professeur