Chasseurs de fantômes

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Chasseurs de fantômes
Chasseurs de fantômes
Les chasseurs de fantômes
sont-ils vraiment des gens
sérieux?
Les ghost hunters équipés de caméras et d’enregistreurs
essayent de prouver que communiquer avec les fantômes est
possible. Croire ou ne pas croire? Telle n’est plus vraiment
la question. Pour les amateurs de frissons, cela procure des
expériences audiovisuelles aux allures de plaisirs (plus ou
moins) coupables.
Amityville
Avertissement: Il y a de grandes chances que vous passiez les
prochaines minutes avec, aux lèvres, un sourire amusé mais un
peu condescendant. Après quelques frissons éventuels, votre
existence reprendra son cours et votre cerveau rangera cet
article dans le tiroir fourre-tout des amusements estivaux à
péremption avancée. Et puis, d’ici deux semaines ou trois
mois, vous vous étonnerez de voir votre téléphone bouger tout
seul sur la table basse. Ou c’est votre cocktail qui tombera
dans la piscine, comme mu par une force invisible. A moins que
le portrait de l’aïeul au regard inquiétant (et pas seulement
à cause de son strabisme) ne se décroche inexplicablement. Et
alors, vous regretterez amèrement la légèreté qui fut la
vôtre. Il sera trop tard.
Autre solution (probabilité plus faible mais non négligeable):
vous êtes déjà vous-même un chercheur amateur en paranormal et
cette introduction sensationnaliste vous met en colère –vous
savez déjà qu’il ne faut pas déconner avec les esprits et
autres entités.
Ghost Adventures 1 | Crédit: Passion Distribution
Au 3e millénaire, croire en la possibilité de contacts avec des
fantômes fait partie, avec la religion, la politique, les
extraterrestres et les endroits des retraites d’Elvis Presley
et de Kurt Cobain des sujets qui divisent le plus violemment.
Et la faille entre les convaincus et ceux qui refusent toute
éventualité n’est pas près de se refermer.
La technologie actuelle, pour un investissement non
négligeable mais pas non plus pharaonique, permet pourtant à
des milliers de personnes de chercher durant leur temps libre
la preuve ultime que des esprits intelligents nous entourent.
En 2012, la journaliste Sharon Hill (qui a d’ailleurs proposé
une identité possible pour le pseudo-fantôme pris en photo à
Amityville) a réalisé une étude pour Skeptical Inquirer,
magazine destiné à éclairer le paranormal par des faisceaux de
vraie science.
Elle a trouvé sur le Net la trace d’au moins 1.600 groupes
amateurs américains et, depuis, ce nombre a forcément été
dépassé.
«La chasse aux fantômes, c’est un peu comme le foot, tout le
monde peut la pratiquer n’importe où, estime Benoît Illes,
responsable éditorial sur Planète + A&E (groupe Canal Plus)
et grand connaisseur de la chose paranormale télévisée. Il
suffit d’une maison abandonnée ou d’un endroit où l’on dit
qu’il se passe quelque chose…»
Un des plus anciens groupes américains, The Atlantic
Paranormal Society, fondé en 1990, a quelque peu formaté la
chasse en fantômes, surtout depuis qu’il a eu droit sur Syfy
(US) à un programme, Ghost Hunters, et plus tard à des spinoff comme Ghost Hunter International.
Oubliez l’équipement folklorique de Ghostbusters: chez Ghost
Hunters et leurs nombreux disciples plus ou moins assumés, on
utilise la caméra infrarouge ou thermique, le «mel meter» (un
détecteur de champ électromagnétique), un magnétophone
digital. Avec les années, l’arsenal du chasseur de fantôme
s’est agrandi avec l’Ovilus, un appareil électronique censé
traduire les forces environnantes en mots pris dans une base
de données (hum) ou la «Spirit Box» qui parcourt les ondes
radios et fait entendre des voix via le bruit blanc. Tout ceci
est désormais facilement trouvable (par exemple ici
surGhostStop) et permet à leurs utilisateurs de se draper dans
une méthodologie scientifique.
Une chasse aux fantômes à l’Eastern State Prison
Une version des choses battue en brèche par le journaliste Ben
Radford dans la revue précitée Skeptical Inquirer. Et ses
arguments tiennent autant la route que Ghost Rider, le héros
de Marvel Comics qui partage son corps et sa moto avec
l’esprit d’un démon.
En
effet,
peut-on
prétendre
respecter
une
démarche
scientifique sans avoir aucun background en la matière? Le
ressenti subjectif tient-il forcément de preuve? Que les
enquêteurs n’arrivent pas à expliquer un phénomène signifie-til forcément qu’il est inexplicable? Pourquoi utiliser un
matériel inadapté, pourquoi enquêter forcément dans le noir
alors qu’observer serait plus simple avec de la lumière?
«Enquêter la nuit permet d’éviter les bruits ambiants du jour,
explique Benoît Illes, mais le noir convient juste mieux à la
dramatisation.»
Car oui, rappelons-le, Ghost Hunters, dix ans d’âge, est un
show télé et si ses instigateurs démontent parfois certaines
illusions et jeux de tuyauterie –à l’origine, Jason Hawes et
Grant Wilson sont plombiers– ils cherchent à procurer du
frisson et donc à ramener de l’étrange. Quitte à mettre en
scène? C’est ce que leurs détracteurs avancent, en recréant de
façon plus ou moins convaincante certaines situations.
N’empêche que cette forme noire saisie dans le couloir de
l’Eastern State prison fait son petit effet, non ? Un effet
que la très obscure reconstitution de sceptiques ne parvient
pas à entamer.
Niveau sensationnalisme, Ghost Hunters, «bien fait et plutôt
crédible», selon Benoît Illes, a depuis été dépassé par Ghost
Adventures.
Ses deux créateurs Zak Bagans et Nick Groff ont d’abord
commencé par une sorte de pilote d’une heure et demie, un
documentaire en forme de road movie marqué par la scène de la
«brique volante» et la confusion qui s’ensuit –Zak Bagans et
Nick Groff, pris de panique, prennent la fuite mais dans des
directions contraires, ha ha ha. Grâce à ce coup d’essai, le
programme s’est installé aux Etats-Unis sur Travel Channel et
en France sur Planète + No Limit puis Planète + A&E. Ses
animateurs, Bagans, Groff + un troisième luron, Aaron Goodwin,
jouent aux drama queen et flirtent souvent avec l’hystérie.
Il y aurait d’ailleurs un beau bingo à préparer avec, dans les
cases, les expressions qu’ils lâchent pendant les épisodes
–les tonitruants «Oh my gooood», «dude», etc. D’ailleurs, ces
grilles, elles existent déjà!
Photo Ghost Adventures 2 © Passion Distribution
On peut cracher dans la soupe à frissons, mais le show s’avère
addictif et les ingrédients forment une recette très efficace.
L’émission démarre dans un endroit qui a la réputation d’être
hanté, de préférence un hôtel, ou une prison abandonnée, voire
un asile fermé pour insalubrité où des centaines de personnes
ont vécu des mauvais traitements. Même si le show va parfois
en Europe, Ghost Adventures propose un fascinant tour de la
vieille Amérique disparue, violente et pas très présentable.
Après des témoignages et des reconstitutions bien
sanguinolantes, démarre à mi-épisode le «lockdown», soit le
moment où l’équipe s’enferme dans le lieu hanté du coucher au
lever de soleil. C’est là que Zak et ses potes en font souvent
trop, voyant le démon partout, relevant des déplacements
d’orbes de lumières ou des voix électroniques suspectes.
Examinées d’un œil critique, beaucoup de scènes posent la
question de l’honnêteté, du contrat de confiance vis-à-vis du
spectateur. Alors que la bande était sur Poveglia, île
italienne mise en quarantaine, Zak Bagans a-t-il été vraiment
possédé par un esprit malfaisant ou est-il très bon comédien?
Est-ce l’ombre d’une main inconnue que Zak voit sur le mur de
cet asile psychiatrique?
A moins que ça ne soit simplement la sienne comme le montrent
certains esprits perspicaces (mais un peu chagrins)?
Officiellement, un seul événement suspect –un appareil
échappant des mains d’un participant anonyme– a donné lieu à
un correctif: le malotru l’avait lancé pour faire le malin à
la télé.
Oui, forcément, il faut être un minimum bon public ou confiant
en l’intégrité de tous les intervenants pour apprécier
l’émission. Restent cependant des événements troublants:
Une peluche qui bouge toute seule:
Une silhouette vue par une caméra thermique:
Ou les trois griffures qui apparaissent sur le dos de Bagans:
«Je pense que, dans un premier temps, ils procèdent de manière
honnête, estime Benoit Illes. Mais quand plein de gens leur
rapportent un phénomène auxquels eux ne sont pas confrontés
pendant le tournage, ils doivent se dire: « c’est pas grave,
on va l’organiser ». Ils ne sont pas dans la tricherie pure et
dure mais, comme ça reste de l’entertainment, ils n’ont pas de
scrupules. C’est bon pour le programme, c’est bon pour la
cause. Parce que, s’il s’agit de programmes de divertissement,
il y a des vraies questions existentielles derrière. Y a-t-il
une vie après la mort? Qui sommes-nous, que faisons-nous là,
etc.»
En France, Ghost Hunters ou Ghost Adventures sont loin d’être
jugés comme des programmes nobles. La presse télé
traditionnelle conseille fermement de les zapper et les
étiquette avec mépris «télé-réalité». Le public, lui, est de
plus en plus nombreux à suivre.
«A la sortie du film Paranormal Activity, considère Benoit
Illes, les spectateurs se sont rendus compte que –pour
simplifier– des gens faisaient ça en vrai. Dans les pays
anglo-saxons, parler de fantômes est moins tabou. Ici, peu de
gens osent en parler spontanément mais si quelqu’un commence,
les langues se délient. Car nous sommes beaucoup à avoir vécu
des expériences.»
Benoît raconte ainsi la sienne: alors qu’il était dans la
vingtaine, devant la porte des toilettes de la maison
familiale, il a eu l’impression que quelqu’un de plus grand
que lui barrait la route.
«Quand j’ai levé les yeux, j’ai vu une masse de petits points
blancs. Etait-ce un véritable fantôme ou une image créée par
mon cerveau endormi, je ne sais pas, mais je suis certain de
ce que j’ai vécu.»
Dans les années 1990, l’émission Mystères sur TF1,plus
récemment les soirées de l’étrange de Dechavanne ou les
Enquêtes extraordinaires de Stéphane Allix sur M6 ont abordé
le paranormal.
Mais on compte une seule équipe de ghost hunters à la
française qui a droit à son émission, Recherche Investigation
Paranormal (R.I.P. ça ne plaisante pas). Existant depuis 2002,
elle s’est déjà livrée à quatre saisons d’enquêtes télévisées
sur Planète + A&E. Au contraire de leurs homologues américains
moins modérés, le crew créé par Nicolas et Anthony Augusto
cherche d’abord une explication rationnelle plutôt que de
monter sur les grands chevaux du paranormal. Fréquemment, ils
font appel à la notion d’illusion (la paréidolie). Un de leur
fait d’arme est d’avoir dégonflé en cinq minutes une baudruche
vielle de deux décennies, la dame blanche de Mortemer.
Au cours de leurs investigations, ils respectent des
«protocoles» et, même si les tenants français de la zététique
(que l’on peut définir rapidement comme l’art du doute) ne
valident pas leurs méthodes, les RIP se montrent
précautionneux et ne semblent pas tricher.
Il leur arrive ainsi de repartir bredouilles, sans avoir
enregistré aucune manifestation étrange. Inversement, dans un
épisode de la saison 4, un ancien pensionnat au passé noir les
a mis en stress deux nuits durant: bruits incessants, voix
désincarnée, lumières qui s’allument toute seules, silhouette
capturée par un appareil photo, balle de tennis qui bouge
toute seule (quelqu’un hors champ l’a-t-il poussée?)…
Depuis quelques mois, ils sont consultants au cours de ghost
hunts ouverts au public et organisés par Paranormal Life
Events au château hanté de Fougeret. Depuis qu’ils sont à
l’antenne, eux ont fait école. En quelques années, en France,
les groupes amateurs se sont multipliés: Grenoble Paranormal,
Fecamps Recherche Paranormal, Sud-Ouest Paranormal et on en
oublie. Sur Vimeo, The Believers proposent eux des enquêtes
payantes. De l’autre côté de la Manche, les jeunots de Dorset
Ghost Investigatorsparcourent l’Angleterre.
Au final, il y aura toujours d’un côté les «croyants» et les
autres. Benoît Illes annonce pour novembre prochain la
diffusion sur Planet + A&E d’une série d’enquêtes qui
pourraient instiller le doute. Dossier Paranormal sera
consacré à des thèmes tels que les maisons hantées, les ovnis
et le pouvoir, la sorcellerie ou l’alchimie. «Les chasseurs de
fantôme représentent une goutte d’eau dans une grande
thématique. Parfois, c’est un peu bizarre –par exemple, les
alchimistes disent que le peuple de l’invisible existe– mais
il s’agit juste des gens qui voient le monde différemment et
trouvent des réponses à leurs besoins de spiritualité.»
Article de Vincent Brunner
Source : www.slate.fr

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