Les fantômes de La route 66

Transcription

Les fantômes de La route 66
© Saskia Vanderstichele
Les fantômes
de la route 66
FR ❙ Le
dernier Murgia est arrivé. Ce jeune artiste « radical » propose un art total où
se côtoient musique, cinéma, arts plastiques et théâtre. Son dernier trip : Ghost Road,
une trilogie sur les villes fantômes. Tome I : l’Amérique. Nurten Aka
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Fabrice Murgia & Dominique Pauwels/ rédemptions dans le désert
Artiste en résidence au Théâtre National,
Fabrice Murgia (Cie Artara) - jeune auteur
(29 ans) de spectacles ultra-contemporains - s’est lancé dans une aventure
au long cours : interroger la société à
travers le thème des villes fantômes,
désertées par le monde. Avant le tome
II qui le mènera au Chili et le tome III
à Fukushima, il présente son premier
opus, créé avec les Gantois de LOD, spécialisés dans le théâtre musical. Ghost
Road est ainsi signé avec le compositeur
Dominique Pauwels. Plus belge que ça tu
meurs : les images du spectacle, tournées
en Amérique, sont concoctées par Benoît
Dervaux, cadreur des frères Dardenne
et auteur de documentaires. Enfin, last
but not least : l’immense comédienne flamande Viviane De Muynck incarne, en
français, le récit central d’une femme qui
perd la mémoire. Une mémoire chantée
par la soprano Jacqueline Van Quaille,
plus de 70 ans et 45 ans de métier ! Après
leur été américain, sillonnant la Route 66
(Arizona, Californie, Texas...), les voilà
enfermés en salle de répétition. Rencontre
avec Fabrice Murgia (à gauche sur la
photo) et Dominique Pauwels (à droite).
Vous avez débarqué à l’improviste chez des
Américains retirés du monde ?
Fabrice Murgia : On est partis avec une
équipe de tournage, Viviane De Muynck
et Dominique Pauwels. Deux voitures et
huit personnes. Je savais que des communautés d’individus s’étaient repliées dans
le désert. Cela m’intéressait de trouver
des individus en rupture avec le système,
vivant en communion avec la nature dans
des endroits arides, quasi invivables. On
est partis dans ces villes fantômes où il
n’y a rien à la ronde sur 250 kilomètres,
avec de 10 à 80 habitants, un bar, un
drugstore et une station-service rouillée… L’option du voyage était que Viviane
De Muynck rencontre ces personnes qui
vivent dans ces déserts. Le réalisateur
de documentaires Benoît Dervaux avait
l’expérience d’aborder les gens et de s’effacer derrière la caméra. Au final, cela
ressemble au voyage d’une personne qui
marche dans le désert et qui tombe sur
ces individus. Ensemble, ils échangent un
constat de vie.
Que vous disent ces gens ?
Murgia : Ils n’aiment pas parler de leur
vie d’avant. Nous avons rencontré des
hippies mais aussi d’anciens prisonniers
qui n’arrivent plus à s’intégrer dans la
société, ou encore une dame qui avait
eu honte d’avoir divorcé dans l’Amérique
profonde. Nous avons aussi rencontré
Marta Becket, une danseuse new-yorkaise qui s’est retirée dans la Vallée de la
Mort, en Californie, où elle a construit un
« opera house » avec des spectacles sans
public ! Dans Ghost Road, quatre ou cinq
personnes tracent les lignes dramaturgiques du spectacle.
Vous parlez de « désolation, d’aliénation et
de vestiges rouillés » et en même temps de
spectacle « serein »…
Murgia : On lutte contre une espèce de
désarroi de quelque chose qui n’est plus,
mais en même temps, on parle de cette
volonté de chercher la lumière, de continuer à exister. La sérénité vient de là.
Ghost Road raconte des personnes qui
vieillissent et se disent : «Je n’ai aucune
possibilité de changer le monde tel qu’il
est parce que ce n’est plus le mien. Le
mien est mort. Je suis étranger et je n’ai
pas d’autre choix que de participer. Mais
comment ? »
« on parle de
cette volonté de
chercher la lumière,
de continuer à
exister. La sérénité
vient de là »
Quel écart avec vos précédents spectacles,
branchés Internet et jeune génération !
Murgia: La pièce s’est construite avec
Viviane. J‘ai mélangé mes préoccupations
à ses envies de parole. Et je me dis : « Un
jour, moi aussi, je ne reconnaîtrai plus
ce monde ». La ville fantôme est un pont
sur ces enjeux. Sur scène, la musique est
essentielle et amène une autre théâtralité. Bien de l’époque, l’actrice se filme en
direct, avec une caméra qui fait « voyeur ».
Quel sera l’univers scénographique ?
Murgia : On a travaillé dans la couleur
de l’ombre et des traces, avec des jeux
de lumière sur des tiges métalliques
ou encore des vidéos projetées sur des
fumées. C’est un espace mental, avec des
fantômes sur scène. La fin sera très lumineuse… Je n’en dis pas plus.
Dominique Pauwels, vous avez imaginé
Ghost Road avec des arias contemporaines.
Pourquoi ?
Dominique Pauwels : J’ai travaillé sur
l’idée de l’empreinte et l’ombre qui sont
les restes du passé. J‘ai métaphorisé ce
thème dans un personnage qui est en
train de perdre la mémoire. Une mémoire
incarnée par la soprano Jacqueline Van
Quaille, qui porte les traces de sa longue
carrière. J’ai composé, avec les arias de
l’Histoire, les étapes d’une personne
qui prend conscience de la perte de sa
mémoire : le pourquoi, la détresse, le
déni, l’acceptation, la solitude, l’adieu…
Autant de nœuds comme points de
départ à la composition musicale. Je suis
donc parti des célèbres arias de Puccini,
Verdi, Donizetti qui imprègnent notre
conscience collective, je les ai retravaillées
et j’ai composé une nouvelle musique
contemporaine, sans fioriture. Mais on
reconnaîtra les arias, comme par exemple
Lucia di Lammermoor de Donizetti ou Vissi
d’arte de Puccini.
Une musique déconstruite sur des arias ?
Pauwels : Elles sont musicalement mises
dans un autre contexte. C‘était le grand
défi. On est dans l’impression d’une
musique contemporaine plus atonale avec
des arias classiques, de grandes émotions.
Vous avez aussi créé une composition à partir
de… vent !
Pauwels : Dans le silence de ces villes
fantômes, le vent est constant. Il sera
omniprésent, s’accumulant dans une tension ascendante. J’ai imaginé une installation sonore qui projette le son dans une
défragmentation, comme une implosion
de la mémoire.
NL ❙ Met Ghost road tekenen Dominique Pauwels en Fabrice Murgia voor het eerste deel van een trilogie
over spooksteden. Het stuk combineert theater, muziek en video, speelt met een schaduwrijk decor en plaatst
Viviane De Muynck in de Amerikaanse woestijn.
EN ❙ Dominique Pauwels and Fabrice Murgia’s Ghost Road, is the first part of a trilogy on ghost towns. Theatre is
combined with music and video onstage, as the work plays with shadow; at its heart is Viviane De Muynck, seen
against the background of the American desert.
Ghost road • 25/9 > 6/10, 20.15 (wo/me/We: 19.30), €11/16/20, Théâtre National,
boulevard E. Jacqmainlaan 111, Brussel/Bruxelles, 02-203.53.03, www.theatrenational.be
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