Chablis premiers crus et grands crus
Transcription
Chablis premiers crus et grands crus
Appellation Chablis premiers crus et grands crus L’exception Sens Joigny Chablis Auxerre Tonnerre Dijon Nevers Dans un contexte économique difficile pour les vins français, la réussite de chablis est à citer en exemple. Le niveau général progresse, et les tarifs ont su rester sages. Des rapports qualité/prix percutants... Beaune Chalon sur Saône Mâcon Repères Chablis grand cru : 100 ha 710 000 bout. Chablis premier cru : 760 ha 6 000 000 bout. Chablis : 3 000 ha – 24 000 000 bout. Petit-chablis : 650 ha – 5 200 000 bout. Commercialisation : 70% à l’exportation Premier marché : le Royaume-Uni 2 syndicats : Président de la Fédération des vignerons du Chablisien : Jean Durup Président du Syndicat de défense de l’appellation chablis : Jean-Bernard Marchive 24 • Bourgogne Aujourd’hui 60 M ichel Laroche vient de briser un tabou. Ce domaine prestigieux de Chablis tourne en effet le dos au bouchon de liège. Pour les puristes, le geste semble trivial. Le goulot serré entre le pouce et l’index, on imprime une légère rotation. Les dents de métal se déchirent, puis la capsule à vis libère le contenu de la bouteille. Chablis grand cru Blanchot 2002 : une robe de son âge, un nez fermé où l’on perçoit un léger boisé, une structure ferme. Prometteur... “En 2001, j’ai perdu une partie de ma récolte à cause de bouchons défectueux. L’année suivante, j’ai donc laissé le choix à mes distributeurs, bouchons de liège ou capsules à vis. Beaucoup ont préféré la capsule.” L’évolution de vins identiques, mais bouchés de façon différente, sera bien sûr suivie avec attention au domaine. Mais le “boss” de Laroche se montre confiant : contrairement au bouchon, la capsule en aluminium est imperméable à l’air. Le vieillissement du vin devrait -logiquement- être plus lent. Quid de la complexité et du développement des arômes ? L’affaire est à suivre... Cette “première” pour des vins de cette catégorie et de ce prix -rappelons qu’elle concerne notamment des grands crus... - ne trouble pas le vignoble chablisien qui fait figure d’exception souriante dans un marché des bourgognes plutôt chahuté. À Chablis, les vins se vendent toujours bien, les stocks sont bas, et les exploitations en difficulté sont rares. Les trois quarts des volumes partent à l’étranger, où l’intérêt pour les grands chardonnays du nord de la Bourgogne ne montre aucun signe d’essoufflement.”Le Royaume-Uni est le premier importateur, mais certains pays s’éveillent à nos vins, comme la Russie, les pays de l’ancien bloc de l’Est, les pays baltes”, explique Philippe Birolleau, directeur technique de la Chablisienne. Chablis, 4 500 ha de chardonnay et des vins uniques par leur style équilibré entre richesse et minéralité. Bourgogne Aujourd’hui 60 • 25 Appellation Ce “miracle économique” n’est évidemment pas sans fondement. Malgré le succès, qui ne pousse pas toujours aux efforts, le niveau moyen des cuvées continue de progresser. 47% des premiers crus et des grands crus de 2001 et de 2002 ont franchi la barrière de notre sélection. Les 2001, année pourtant médiocre, marquée par la pourriture et par une maturité difficile, s’en sortent bien. Les producteurs les plus consciencieux et les mieux équipés ont su déjouer les pièges du millésime, utilisant son principal handicap -la forte présence de botrytis- pour le transformer en atout. Bien “géré” en cuverie, le redoutable champignon a en effet “graissé” les cuvées, leur conférant un charme immédiat. Les bons 2001 ne seront pas de longue garde, mais ils donneront beaucoup de plaisir dans les cinq ou six prochaines années. Ci-dessous, la vallée des Vaudésirs avec ses expositions très différentes. 26 • Bourgogne Aujourd’hui 60 Les 2002, année presque idéale, apparaissent plus classiques. Le millésime a engendré de très belles réussites, comme le montre notre dégustation (50% de vins sélectionnés). Les meilleurs se conserveront longtemps. “On assiste à une nette évolution de la qualité des vins”, estime David Delaye, l’œnologue de la Chablisienne. Selon lui, l’hétérogénéité des dernières vendanges n’est pas étrangère à la prise de conscience des producteurs.“ Avec des millésimes au profil aussi différent que 2001, 2002 et 2003, les gens ont été obligés de se poser des questions sur la maturité des grains, la charge en raisins, l’équipement des caves”. L’Union des grands crus, créée en 2001, apporte sa pierre à l’édifice. Sa charte impose aux treize adhérents, exploitant la moitié de la surface des grands crus, des contraintes supérieures à celles du décret d’appellation. La densité des nouvelles plantations doit être Chablis premiers crus et grands crus de 8 000 pieds/ha, la taille courte –10/11 bourgeons par pied– et l’ébourgeonnage sérieux. La vendange en vert est recommandée et le respect de l’environnement fait partie du cahier des charges, comme la récolte manuelle. Ce dernier point a provoqué un débat au sein de l’association qu’ont quittée plusieurs adhérents de la première heure, attachés à la vendange à la machine. Présent dans le vignoble depuis 1998, Didier Séguier, responsable du domaine William Fèvre, insiste sur la qualité des terroirs de premier et de grand cru et sur la typicité des chablis. “C’est le seul endroit au monde où l’on trouve du chardonnay sur du Kimméridgien, d’où cette fraîcheur, cette minéralité, cette tension, ce côté sodique sans équivalent (...) Les chardonnays gras, beurrés, boisés, le monde entier sait faire, mais il n’y a de chablis qu’à Chablis”. Cerise sur le gâteau : le potentiel de garde. Certains vins semblent presque indestructibles. “J’ai goûté à la fin des années 90 un chablis... 1846, provenant sans doute d’un vignoble de grand cru. Derrière sa robe ambrée, il avait gardé une forme de fraîcheur, avec des arômes de mousseron, sans la moindre trace d’oxydation”, ajoute Didier Séguier. Sans prétendre entrer dans le livre des records, les chablis premiers et grands crus réussis révèlent tout leur potentiel après quelques années de cave. Autre clef du succès de ce vignoble en forme : les prix. Malgré l’explosion récente des cours du vrac, 20 à 30% de hausse, consécutive à une récolte 2003 déficitaire, “Cette fraîcheur, cette minéralité, cette tension, ce côté sodique des chablis est sans équivalent” les tarifs départ cave restent sages. De 10 à 15 € en moyenne, les bons premiers crus constituent de formidables rapports qualitéprix-plaisir. C’est encore plus vrai des grands crus, accessibles dès 18 à 20 €, et rarement vendus au-delà de 40. Précipitezvous donc sur les excellents 2002, et profitezen pour enrichir votre connaissance de la mosaïque des terroirs de grands crus (100 hectares) : Blanchot charmeur, Clos puissant et complexe, Preuses sur la finesse et l’élégance, Valmur austère, minéral, presque “cistercien”, Vaudésir solaire et généreux, Grenouilles riche et fin à la fois, Bougros expressif et soyeux... En premier cru, quelques noms résonnent à l’oreille des amateurs -Montée-deTonnerre, Fourchaume, Mont-de-Milieu, Montmains, Vaillons…- mais avec près de 800 hectares en production, il est surtout recommandé de faire confiance aux meilleurs producteurs ! ■ Jean-Philippe Chapelon Photographies : Lionel Georgeot L’avis de Alain Senderens, restaurant Lucas Carton, Paris 8e La petite cabane dans le lieu-dit la Moutonne. “Quand j’entends chablis, je pense tout de suite minéralité. Je me rappelle un superbe 95 du domaine Raveneau, partagé récemment avec Jean-Pierre Perrin, du Château de Beaucastel à Châteauneuf-du-Pape, dans un restaurant du sud de la France. C’était une grande bouteille ! À table, j’aime associer les chablis avec les coquillages, le poireau pour son côté “vert”, le zeste de citron, le gingembre... Je vais d’ailleurs bientôt concevoir un nouvel amuse-bouche pour accompagner la minéralité d’un chablis à l’apéritif”. Alain Senderens est le Chef du Lucas-Carton (3 macarons) - 9, place de la Madeleine 75008 Paris (Tél. 01 42 65 22 90). Il est un spécialiste reconnu des accords mets-vins. Bourgogne Aujourd’hui 60 • 27 Appellation Les terroirs de Chablis Le fief du chardonnay Aux portes d’Auxerre, le chardonnay se déploie sur un terrain propice aux vins racés, frais et minéraux. 28 • Bourgogne Aujourd’hui 60 L e vignoble du Chablisien occupe plus de 4 000 hectares, au nord de la Bourgogne. L’équilibre fragile du temps est contrebalancé par l’exposition, l’inclinaison mais surtout par la nature des sols. Cet ensemble unique s’est formé il y a plus de cent quatre-vingt millions d’années, pendant l’ère jurassique. La hiérarchie des appellations est constituée par quatre échelons : petit-chablis, chablis, chablis premier cru et chablis grand cru. Premiers et grands crus reposent sur une couche épaisse (40 à 100 mètres) de sédiments calcaires et de coquillages fossilisés, appelée “Kimméridgien”. Exposés du sud à l’ouest, les sept climats classés en grand cru se déploient sur des coteaux pentus et couvrent une centaine d’hectares. Chaque parcelle donne naissance à des vins différents en fonction de l’altitude bien sûr mais aussi de la profondeur et de la nature des sols. Les Clos et les Grenouilles offrent des vins complets possédant structure et race. Réservés dans les premières années, ils affirment complexité et finesse à travers le temps ; ce sont certainement les meilleurs vins de garde du coteau. Blanchots, Bougros délivrent des vins délicats et assez légers. Les vins issus des Preuses s’épanouissent assez vite sur des tonalités florales ; ils sont généralement ronds et charmeurs. Valmur et Vaudésirs reposent sur un terroir à l’exposition tournante ; les meilleures parcelles, exposées au sud, donnent des vins généreux. Les premiers crus couvrent près de 750 hectares. Ils reposent sur le Kimméridgien et sur le Portlandien. Sur la rive droite du Serein, dans l’alignement des grands crus, Fourchaumes, Mont-de-Milieu et Montée-de-Tonnerre offrent des vins subtils, proches de la race des grands crus. Sur la rive gauche, les terroirs sont plus disséminés, ce qui donne lieu à de multiples expressions. Les vins issus de Montmains sont équilibrés, les parcelles de Beauroy ou Vaillons donnent des vins ronds et faciles d’accès, alors que des climats comme Vau-de-Vey ou Côte-deLéchet donnent des vins plus secs. Les chablis et petit-chablis couvrent plus de 3 000 hectares et prennent appui sur des sols moins nobles, allant jusqu’à des mélanges de sables, d’argiles et de marnes du Barrémien. On trouve tous les styles et tous les niveaux dans ces deux AOC, avec une dominante fraîcheur, agrumes. ■ François Laborier