1 VENEZIA Shlomo (1923 - 2012) Sonderkommando, Dans l`enfer

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1 VENEZIA Shlomo (1923 - 2012) Sonderkommando, Dans l`enfer
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VENEZIA Shlomo (1923 - 2012)
Sonderkommando, Dans l'enfer des chambres à gaz,
1) Le témoin :
L'auteur Shlomo Venezia, est né à Salonique dans le nord de la Grèce, le 29 décembre
1923. (Il est décédé le 30 septembre 2012 à Rome, d'une insuffisance respiratoire liée aux
séquelles de la tuberculose qu'il a contractée en déportation.) Il est issu d'une famille juive,
d'origine Italienne, qui n'était pas vraiment pratiquante. (Il a fait sa bar-mitzva, mais il ne sait pas
lire l'hébreu.) Ses parents, Isacco Venezia et Doudoun Angel Venezia, possédaient peu de
revenus pour élever leurs cinq enfants. Lorsque son père est décédé en 1934, la famille s'est
retrouvée sans ressources. Ainsi, l'auteur a à peine douze ans lorsqu'il est obligé d'abandonner
l'école, pour travailler afin de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, qui peinait déjà jusqu'à
lors à s'en sortir. Durant son enfance il a donc connu le manque et la faim, ce qui lui appris à se
débrouiller dans la vie quotidienne. Cela l'aida d'ailleurs à endurcir son caractère, ce qui lui servit
dans les camps pour sa survie : « Les gens qui ont souffert dans leur enfance et ont dû apprendre
à se débrouiller seuls ont eu plus de chance que les gens privilégiés pour survivre et s'adapter
dans le camp. Pour survivre dans le camp, il fallait connaître des choses utiles, pas la
philosophie. » p.67
Shlomo était donc un Juif Grec, également citoyen Italien. Il parlait un dialecte, le judéo-espagnol
chez lui, c'est à dire le ladino, mais avec ses amis il parlait Grec. Ce dernier ne vivait pas dans un
quartier Juif. Ce qui nous montre bien que l'auteur durant son enfance a été en contact avec
différentes ethnies, et différentes confessions.
Dès 1938, et la promulgation des lois raciales en Allemagne, sa famille fut touchée par
l'antisémitisme naissant. En effet son frère à l'époque était en Italie pour faire ses études, mais il
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fut obligé d'arrêter sa formation et de rentrer en Grèce. Toutefois, l'auteur était trop éloigné des
affaires de l'Allemagne pour être réellement touché par cet antisémitisme : « Nous étions naïfs et
ignorants des événements politiques. » p.29. Malgré le fait que les responsables de la
communauté se réunissaient pour en parler, « tout ce qu'ils savaient c'était que le régime
Allemand en voulait aux Juifs. » p.29, « On avait tellement faim et tant de problèmes avec notre
propre vie qu'on n'avait pas le temps de se poser des questions sur l'avenir. » p.29
Pour lui, la guerre a réellement commencé avec le bombardement de la ville de Salonique,
lorsque les Italiens occupent l'Albanie, et que les Allemands entrent en Grèce. L'aide Italienne
envers les Juifs Italiens, lui a permet de bénéficier d'une protection pendant un certain temps face
aux déportations massives qui s'opéraient en Grèce. Cependant, leur aide pris fin le 8 septembre
1943, avec la rupture de l'alliance entre l'Allemagne et l'Italie. Ainsi il sera déporté le 1er avril
1944 en direction d'Auschwitz, à l'âge de 21 ans, et il sera affecté pendant huit mois au sein des
sonderkommandos, c'est à dire des «commando spéciaux », formés de détenus dans les camps
d'exterminations.
2) Le témoignage :
Le témoignage de Shlomo Venezia sur son expérience dans les camps Nazis, est publié en
2007 chez Albin Michel, et il est traduit de l'Italien la même année. Il est réédité en 2009 dans la
collection Livre de poche. Il s'intitule Sonderkommando, Dans l'enfer des chambres à gaz. La
préface du témoignage a été rédigé par Simone Veil, elle même a été déporté à Auschwitz quatre
jours après Shlomo Venezia. Cette dernière a elle aussi la citoyenneté Italienne, et a donc vécu
sous la protection Italienne au moins jusqu'en 1943.
Grâce à l'aide de l'historien Marcello Pezetti et de Béatrice Pasquier, (ancienne responsable du
collectif " Mémoire " de l'UEJF), le témoignage de Shlomo Venezia a été composé, notamment
lors d'une série d'entretiens entre le 13 avril 2006 et le 12 mai 2006. Il a donc été rédigé à
posteriori des faits. En effet, l'auteur jusqu'en 1992 n'a pas souhaité communiquer ce qu'il a vécu,
car pour lui « c'était une souffrance de parler » p.197. Dans son témoignage il ne raconte que ce
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qu'il a vu, dans un soucis de retranscrire le plus fidèlement possible son expérience, et les
conditions dans lesquelles il a subit son internement dans les camps d'exterminations. Simone
Veil le précise singulièrement dans la préface, elle note que « la force de ce témoignage tient à
l'honnêteté irréprochable de son auteur, qui ne raconte que ce que lui même a vu, sans rien
omettre : ni le pire, comme la barbarie du responsable du Crématoire, ni les exécutions
sommaires ou le fonctionnement ininterrompu des chambres à gaz et des fours crématoires. »
p.12
Étant l'un des seuls survivants des Sonderkommandos à avoir survécu, il nous livre à travers son
témoignage les détails sur le processus d'extermination dans les crématoires. Simone Veil le relate
notamment dans la préface du récit : « Je lis de très nombreux récits d'anciens déportés qui me
replongent chaque fois dans la vie du camp. Mais celui de Shlomo Venezia est particulièrement
bouleversant puisqu'il est le seul témoignage complet que nous ayons d'un des survivants des
Sonderkommandos. Nous savons désormais avec précision comment ils ont été condamnés à
accomplir leur abominable tâche, la pire de toutes : « Celle d'aider les déportés sélectionnés pour
la mort (…) à entrer dans les chambres à gaz, puis d'emporter tous ces cadavres entremêlés qui
s'étaient débattus, vers les fours crématoires. Complices malgré eux des bourreaux. » p.12
Ainsi ce témoignage nous permet de considérer sous un autre aspect les comportements des
individus détenus dans les camps Nazis, et notamment des membres des sonderkommandos.
Le témoignage retrace l'histoire de Shlomo Venezia, un Grec, (citoyen Italien également)
de confession juive, qui a été déporté dans un convoi en direction de Auschwitz-Birkenau le 1er
avril 1944. Il arrive dans le camp le 11 avril 1944, après un voyage en train qui a duré 11 jours.
Ce dernier a donc été affecté dans les Sonderkommandos, c'est à dire un corps spécial chargé
d'accompagner les déportés dans les chambres à gaz, d'extraire leurs corps et de les brûler dans
les fours. Il est désigné au Crématoire III de Birkenau. (Un des derniers à être démantelé dans le
camp.)
Son récit est divisé en 6 chapitres, le premier relate de sa vie avant la déportation, le deuxième de
son premier mois à Auschwitz-Birkenau, les troisième et quatrième chapitres de sa vie au sein
des Sonderkommandos pendant huit mois, le cinquième de la révolte du Sonderkommando et le
sixième porte sur son transfert dans d'autres camps (Mauthausen, Melk et Ebensee) et de sa
libération.
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3) L’analyse :
Dans un soucis de retranscrire la vérité, l'auteur a fait le choix de raconter les faits le plus
fidèlement possible, comme il le dit : « Je veux raconter, raconter tant que je le pourrai, mais en
me fiant uniquement à mes souvenirs, à ce que je suis certain d'avoir vu et rien de plus. » p.87 Ce
qui permet de nous dresser un portrait relativement objectif des codes qui régissent les individus
dans les camps, les comportements qu'ils adoptent face à une autorité extrêmement répressive.
Le témoin raconte les faits en utilisant le « je », mais également le « on », qui le
caractérise avec ses camarades « proches », c'est à dire son groupe primaire. On remarque qu'il se
compose essentiellement de Grecs : Son frère Maurice et de ses deux cousins (Dario et Yakob
Gabbai.), qui ont été tous trois à ses côtés durant leur déportation et leur internement à
Auschwitz-Birkenau, puis dans les différents camps où ils vont être détenus. Mais il est
également constitué d'amis de Salonique et de d'autres connaissances Grecques, qui forment un
réseau social autour de lui, et l'aide à tenir pendant ses huit mois au sein des Sonderkommandos.
On voit bien tout au long du récit, que les seuls noms qu'il cite, sont ceux des individus dont il
connaissait le nom à l'époque de sa détention. (Ces derniers sont principalement Grecs.) Cela
nous montre les rapports sociaux qui sont instaurés dans les camps, c'est à dire de former un
groupe primaire, selon les affinités de chacun. Les individus ont tendance à établir des liens avec
des gens dont ils partagent certaines caractéristiques communes, telles que leur confession ou
bien leur nationalité. Par exemple, lorsqu'il est interné à Melk, en Autriche, il forme un groupe de
travail avec son beau-frère, ses cousins et des amis : « On s'arrangeait pour rester ensemble et
faire toujours le même type de travail à chaque fois. » p.174. L'auteur s'entoure d'un groupe
primaire, qu'il va même considérer comme une deuxième famille. C'est un moyen de se sentir
plus ou moins en sécurité dans cette situation hostile.
A travers ce témoignage, on observe donc plusieurs thèmes récurrents. Dans un premier
temps, on va s'attarder sur les rapports que le témoin entretient avec l'autorité au sein du camp.
On peut distinguer les officiers Nazis, des kapos qui sont eux mêmes détenus dans les
camps, et à qui on a donné la responsabilité de surveiller, contrôler et réprimer les autres
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déportés. On peut voir que Shlomo emploi le terme « eux » pour nommer les officiers Allemands,
les dignitaires des différents camps où il a été transféré. Lorsque ces derniers ne lui font pas de
mal, ne sont pas violent avec lui, ou bien avec les prisonniers, il ne les dénigre pas. Or quand c'est
le cas il les caractérise de différents termes péjoratifs. Par exemple dans le baraquement de la
quarantaine à son arrivée dans le camp, le responsable de la baraque, un Polonais non juif est
violent avec lui et les autres prisonniers : « ce maudit homme. » p.69, « véritable ordure. » p.72,
« C'était un homme particulièrement brutal. » p.73 Cela traduit bien la haine qu'il peut éprouver à
certain moment envers les officiers, tout du moins des sentiments négatifs face à une autorité qui
le méprise, et le réprime violemment. Ce fait s'accentue lorsqu'il parle d'un des officiers, c'est à
dire Otto Moll, le responsable de tous les Crématoires de Birkenau. Les détenus l'ont surnommé
« L'Ange de la mort » ou « Malahamoves », car ce dernier les terrorise par la cruauté dont il fait
preuve à leur égard : « Il suffisait d'un regard de sa part pour qu'on se mette à trembler. On n'a pas
mis longtemps à découvrir sa cruauté et son plaisir sadique à nous maltraiter. » p.88, « Dès qu'il
arrivait dans un crématoire, c'était la fin du monde, même le garde allemand avait peur qu'on lui
reproche tout et n'importe quoi. Il utilisait tous les prétextes pour hurler, terroriser et punir. »
p.119. C'est une réaction que l'on remarque chez beaucoup d'individus, lorsqu'ils sont maltraités
par une certaine personne ou un groupe, ils ont tendance à mépriser, parfois même à ressentir une
certaine haine face à cette violence.
Par ailleurs, de cette violence en découle une façon différente pour l'auteur de concevoir
les individus présents au sein du camp. Il les compare à des animaux, et ce fait est établit tout au
long du récit. En effet, pour lui ce que les Nazis font subir aux détenus, constitue une cassure
quant à la conception de l'Homme. Ils sont déshumanisés, cela du côté des Nazis, avec les crimes
qu'ils commettent et la violence qu'ils font subir aux détenus : « Comme une bête furieuse. » p.88,
« Il hurlait alors comme un animal, nous donnait des coups et nous forçait à retourner sous l'eau
bouillante. » p.65, « Les autres étaient tous des animaux mauvais, sans aucune humanité. » p.120
; Comme du côté des détenus : « On n'avait plus de cheveux et on avait des vêtements qui ne
nous allaient pas. Ça a été un moment triste, peut-être même l'un des plus tristes. Voir dans quel
état on était réduits... » p.68, « Comme des animaux » p.68, « Comme celle qu'on utilise pour
transporter le foin. Sauf que pour tirer sa charrette, nous étions à la place des chevaux. » p.76,
« Stuck, c'est à dire un morceau, puisque nous étions pas considérés comme autre chose que des
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pièces. » p.118, « Il leur a tiré dessus pour les abattre comme des chiens. » p.116, « Tout se
déroulait de manière très organisée, comme une chaîne de travail dont nous étions les produits. »
p.65. On remarque donc un changement dans les rapports sociaux, une fracture qui est très
marquante, car désormais les individus ne sont plus considérés comme des êtres humains. Une
profonde rupture qui s'est établit dans l'esprit de l'auteur, à tel point que la situation dans les
camps remet en cause sa vision de l'Humanité.
On peut également observer que la peur est présente tout au long du témoignage, et elle
est décrite selon l'auteur comme un instrument de la domination Nazi sur les prisonniers. Un
instrument qui leurs permet de contrôler la société et réprimer des individus en cas rébellion par
rapport au système établit : « Ils se reposaient sur des hommes violents pour maintenir la
discipline dans le camp. » p.72 « S'ils n'étaient pas assez violents, ils risquaient de perdre leurs
avantages, c'est pour cela que nous avions tous peur d'eux. » p. 73.
Ils adoptent des stratagèmes pour arriver à leurs fins : Par exemple, lorsque lui et sa famille sont
déportés dans le convois vers Auschwitz, les Allemands demandent aux familles de se réunir, car
une fois ensemble le désir de s'échapper est moins important car les individus ne veulent pas
abandonner leur famille, il y a beaucoup moins d'agitations. Par exemple, lorsqu'il arrive à
Auschwitz, déboussolé par le long trajet, engourdi par le voyage, et « soudain des hurlements
féroces, un boucan infernal pour nous déstabiliser, nous empêcher de comprendre ce qui se
passait. » p.57, « Ils frappaient les gens dès leur arrivée ; pour se défouler, par cruauté et aussi
pour qu'on perde nos repères et qu'on obéisse par peur, sans faire d'histoires. » p.58, « on avançait
comme des automates répondant aux cris et aux ordres. » p.58, « Ils n'avaient plus aucun respect
pour la personne humaine, mais ils savaient qu'en laissant les familles ensemble, ils évitaient les
actes désespérés. » p.86.
La violence est également utilisée contre les déportés, dès leur arrivée dans le camp. Les
Allemands utilisent des fouets pour forcer les hommes et les femmes à se séparer, et ils les
entourent avec des mitraillettes et des chiens. « Dans le système sadique des Allemands c'était un
déporté qui était obligé d'administrer les coups de fouet sur le dos de son camarade. » p.125, ce
qui nous montre bien que « les Allemands étaient capables de toutes les perversions » (p.139)
pour humilier les prisonniers. « Par exemple, pour s'amuser, l'Allemand ordonnait à un père de
fouetter son fils. Si le père refusait, c'était l'inverse. » p.139
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Shlomo témoigne également de son oppression au sein du camp, le fait qu'il soit guidé par des
actes établis par le pouvoir en place, qu'il n'ait pas le choix :« Il fallait avoir de la chance pour
éviter ce genre de situations. Et quand on ne pouvait pas l'éviter, alors la décision était terrible, on
n'était plus maître de quoi que ce soit. » p.139
L'auteur à travers son récit nous montre bien d'une part la déshumanisation des détenus,
qui sont obligés d'accomplir des actes, qu'ils n'auraient pas réalisés n'étant pas sous domination
Nazi, dans les camps. Il nous permet de comprendre comment la domination Nazi a-t-elle pu
s'exercer sur des individus opprimés, condamnés à mort dans les camps.
Toutefois, on est amené à nuancer les faits. Car on constate qu'il n'y a qu'une unité
d'apparence de l'autorité Nazi, car certains officiers ou kapos sont évoqués par l'auteur de manière
favorable. En effet, dans les sonderkommandos il entretient une relation de confiance avec son
kapo, Lemke, « un homme pas mauvais, on le respectait. » p.117, comme il le cite p.117 « Les
kapos dans les Crématoires n'étaient pas comme les autres kapos du camp. Ils étaient tous juifs et
ne frappaient pas, ils n'utilisaient pas de violence sadique à notre égard et, en général ce sont eux
qui ont organisé la révolte d'octobre avec quelques autres. » Il a créée un lien avec ce kapo pour
ne pas être sélectionné et éliminé des Sonderkommandos, donc on voit bien que l'auteur met en
place des stratégies afin de survivre. De plus, il rencontre un SS, d'origine Hollandaise, qui ne
frappait pas les prisonniers, et ne leur voulait pas de mal. Ce dernier inventait donc des
stratagèmes dans le but de ne pas montrer aux officiers Allemands l'empathie qu'il éprouvait à
l'égard des prisonniers : Il prenait un bâton fendu au milieu pour frapper les détenus, cela
produisait un bruit sec, mais le coup n'était pas douloureux pour les prisonniers (119 et 120.),
« C'est le seul SS à se comporter comme cela que j'aie jamais connu. » mentionne l'auteur p.120
Malgré la peur que ressent Shlomo envers la plupart des officiers et soldats Allemands, on voit
bien que ce fait est à nuancer. En effet, il ne s'applique pas à la totalité des individus même en cas
de guerre. On peut voir que les individus adoptent des stratégies de contournement du pouvoir,
car ils ne sont pas forcément tous en adéquation avec.
Dans un autre temps, on va étudier, les rapports entre les prisonniers dans les camps.
L'auteur nous dévoile un aspect moins reluisant de ces relations, il les décrits dans son
témoignage comme étant peu fréquentes. En effet, les prisonniers n'ont pas forcément envie de
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communiquer, car ce qu'ils vivent est éprouvant. De plus, les membres des Sonderkommandos
ont l'interdiction formelle de communiquer avec les autres prisonniers, car ils ne doivent pas
divulguer ce qu'ils font à l'intérieur des Crématoires. L'auteur le décrit dans son œuvre : « En
théorie, on pouvait aller parler à qui on voulait. Sauf que la barrière des langues et le manque
d'envie d'aller raconter notre souffrance à des gens qui vivaient la même chose nous poussaient à
nous replier sur nous-mêmes et nous réfugier dans le silence. » p. 70. La barrière des langues
représente aussi un obstacle, mais les individus adoptent toujours des stratégies afin de
contourner cela : « En général, on se faisait des signes avec les mains, avec les pieds, comme on
pouvait. » p.130 (Car au sein des Sonderkommandos, il y a des Polonais, des Grecs et des
Russes.)
Puis il nous montre que dans ce genre de situation, la solidarité est très peu présente, car les
individus ne possèdent rien. Ce qui marque un contraste important avec les sociétés qui ne sont
pas en guerre, car les détenus changent d'attitude afin de survivre, au dépend des autres
prisonniers. D'ailleurs Shlomo Venezia le souligne à la page 137 : « La solidarité n'existait que
quand on avait assez pour soi ; autrement, pour survivre, il fallait être égoïste. », p.173 « La
solidarité n'existait pas. » Donc malgré l'appartenance à un groupe primaire, qui permet de faire
perdurer les liens sociaux dans le camp entre les détenus, on est amené à relativiser les faits. En
effet, les individus restent entre eux, et cherchent peu à entrer en contact avec d'autres prisonniers
qui ne sont pas présents dans le groupe primaire. Cela nous montre bien que selon la situation,
que ce soit en temps de paix ou en temps de guerre, ces derniers se comportent selon les codes
sociaux établis.
Dans une autre partie, on va étudier ce que l'auteur nous dévoile dans son témoignage
quant aux sentiments qu'il a ressenti durant sa période d'internement dans les camps. Plusieurs
sentiments s'entremêlent : « J'ai ressenti surtout de la colère, une rage d'être tombé si bas, d'être
traité et humilié d'une telle manière. Je n'aurais jamais cru cela possible. Je ressentais aussi de la
peur, bien entendu, on la ressentait continuellement, quoi qu'on fasse, car le pire pouvait arriver
chaque instant. » p.62 Comme on l'a noté plus tôt, nous sommes en temps de guerre, et plus
particulièrement dans des camps d'extermination. Ainsi, les comportements qu'adoptent les
individus varient, car le contexte n'est plus le même. La peur l'emporte face à cette situation, mais
on peut également voir que l'auteur laisse place à d'autres sentiments tels que l'horreur face au
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travail qu'il doit accomplir chaque jour. En effet, étant membre des Sonderkommandos, il est face
à la mort chaque jour pendant huit mois. Il doit accompagner les déportés à la chambre à gaz,
puis emmener leurs corps vers les fours crématoires : « L'image qu'on voyait en ouvrant la porte
était atroce, on ne peut même pas se faire une idée de ce que ça pouvait être. » p.94, « L'odeur
persistait sur les mains, je me sentais souillé par cette mort. » p.94 L'auteur est donc très touché
par ce qu'il vit, surtout lors de son arrivée : « je n'ai pas réussi à dormir. Les images n'ont cessé de
me hanter et l'idée de devoir retourner là-bas me rendait nerveux. » p. 90. Il éprouve donc
différents sentiments face à cette cruauté, à la tâche déshumanisante qu'il doit effectuer chaque
jour : « Ce jour-là, j'ai pleuré. Je n'avais jamais pleuré dans le Sonderkommando, mais toute ma
rage est ressortie à ce moment précis. Je ne pleurais pas de douleur ni de tristesse, mais de colère,
d'amertume, de frustration... » p. 178. Dès son arrivée au Crématoire III de Birkenau, le témoin
est frappé par cette tâche: « On ne pouvait pas échanger le moindre mot entre nous. Pas parce que
c'était interdit, mais parce qu'on était terrorisés. » p. 87 D'ailleurs la première fois qu'un
prisonnier lui montre l'existence des chambres à gaz et des fours crématoires, il reste incrédule.
Pour lui c'est inconcevable que les Allemands les conduisent jusqu'à ici pour les brûler. Il va
même jusqu'à croire que ce dernier a voulu l'effrayer.
Malgré cela on voit bien qu'il continue à effectuer son travail sous la pression de la
domination : « Le choix n'existait pas, ceux qui refusaient d'obéir étaient tués avant les autres
d'une balle dans la nuque, et c'était réglé. » p. 136. Même s'il n'a plus d'espoir et que la situation
est difficile, il continue à travailler, car inconsciemment il ne veut pas mourir : « On s'habituait à
tout. Comme je m'étais habitué à l'odeur nauséabonde. Au bout d'un moment, on ne sentait plus
rien. On était entré dans la roue qui tourne. Mais on ne s'en rendait même pas compte, car tout
simplement, on ne pensait plus à rien ! Les dix ou vingt premiers jours, j'étais constamment sous
le choc de l'énormité du crime, puis on s'arrête de penser. » p. 140
Face à cette situation il perd tout espoir, à tel point qu'il est «persuadé qu'après le troisième mois,
il y aura une sélection et que les hommes du Sonderkommando seront éliminés. » p. 117 « Mon
seul horizon était le moment où j'allais être tué. » p. 141, « Il n'y avait aucun moyen de s'en sortir.
Seul un miracle... Mais plus personne ne croyait aux miracles. On continuait, jour après jour,
sachant que la fin approchait. » p. 141.
Dans le récit on voit bien que Shlomo n'est pas très croyant. En effet, il ne fait que respecter les
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dix commandements, et laisse « Dieu hors de tout ça. » p. 137, « Mais eux, je ne comprends pas
pourquoi ils continuaient à l'invoquer (…) Ça n'existait pas ! On était des vivants en train de
passer la frontière avec la mort. » p. 137 Ce qui nous montre qu'il a perdu toute volonté face à la
vie. L'auteur à force de vivre « avec la mort », ne croit plus qu'il va survivre, et souhaite mourir
face à l'atrocité des actes commis par les Allemands, mais également par les prisonniers :
« Jusque-là, je m'étais en quelque sorte interdit de penser à tout ce qui se passait, il fallait faire ce
qu'on nous ordonnait comme des automates, sans réfléchir. Mais en voyant le corps brûler, j'ai
pensé que les morts avaient peut-être plus de chance que les vivants ; ils n'étaient plus obligés de
subir cet enfer sur terre, de voir la cruauté des hommes. » p. 90.
Shlomo effectue donc une tâche difficile, car il est en constante relation avec la mort, une mort
qu'il considère avec mépris, et dégoût : « Leur mort était tout sauf une mort douce. C'était une
mort immonde, sale. Une mort forcée, difficile et différente pour tous. » p. 92 « Tous avaient
souffert dans la mort » p.94. De plus, on observe qu'il compare les camps, ce qu'il vit, à l'enfer. Il
a donc une vision bien arrêtée de la situation dans laquelle il se trouve, on peut voir le désespoir
dans ce qu'il ra conte : « Personne ne pouvait survivre. Tout le monde devait mourir, nous y
compris : ce n'était qu'une question de temps. » p. 146, « On ne savait plus quoi penser, on était
hors du monde, déjà en enfer. » p. 90 Pourtant, chaque jour il se bat pour survivre : « On est
devenu des automates, obéissant aux ordres en essayant de ne pas penser, pour pouvoir survivre
encore quelques heures. » p. 87. Notamment grâce à des facteurs de ténacité qui lui permettent de
tenir le coup dans les camps.
Ces facteurs peuvent être multiples, par exemple lorsqu'il retrouve des membres de sa
famille dans le camp (p.142 et 144.) ou bien le fait d'avoir trouvé à manger : « La seule chose qui
comptait était de pouvoir se nourrir un minimum pour survivre jusqu'au lendemain. » p.70, pour
lui une tartine de confiture à « manger du caviar ; un luxe inimaginable dans cet enfer. » p.80
Ce qui nous montre bien dans quelle logique se trouvent les déportés, ils n'ont rien et cherchent à
survivre. Le groupe primaire est donc primordiale dans ce genre de situation, l'individu peut
retrouver du réconfort, ou tout du moins la volonté de survivre. Et notamment par la présence de
membres de sa famille, tels que son frère ou ses cousins, qui lui permettent de ne pas être
totalement déstabilisé et sans attaches dans un endroit qui lui est hostile. Pour cela, Shlomo fait
venir son frère dans son crématoire afin de travailler à ses côtés : « Alors j'ai tout fait pour qu'il
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me rejoigne. Par ailleurs, je voulais qu'on puisse passer nos derniers moments ensemble. » p.117
On peut également remarquer que la tentative d'assassinat contre Hitler, marque un regain
d'espoir (p.141), ou bien quand un de ses cousins chante des chants Grecs patriotiques, mais que
les Allemands ne comprennent pas les paroles. (p. 114) C'est une petite victoire pour lui, car cela
symbolise la survivance de contestations face au pouvoir Nazi. Cela lui procure de la force afin
de survivre : « Moi je pense que j'aurais préféré mourir. Mais à chaque fois, une phrase de ma
mère me revenait en tête : « Tant qu'on respire; il y a de la vie. » Je pense qu'il fallait une force
particulière pour supporter tout cela, une force morale et physique. » p.123 Le souvenir de ses
proches peut aussi être un facteur de ténacité (Sa mère et ses deux petites sœurs sont mortes dans
les chambres à gaz.). La révolte des Sonderkommandos, qui a été initié par des kapos, l'auteur
cite deux noms : « Lemke et Kaminski » p. 151, représente au départ une source d'espoir, de
ténacité au quotidien : « Notre espoir n'était pas tant de survivre que de faire quelque chose, de se
soulever, pour ne pas continuer ainsi. » p.153. Mais très vite elle échoue et laisse place à une
répression sans merci de la part des Nazis. Ce qui réduit tout espoir à néant, et l'auteur retourne
dans sa tristesse habituelle.
On peut voir qu'une fois l'auteur libéré, les sentiments de revanche apparaissent. En effet,
lorsque les officiers quittent le camp d'Ebensee l'auteur signifie que les prisonniers, quasiment
libérés du joug Nazi « auraient pu faire un massacre » p. 184, « Je pense sincèrement que nous
étions capables du pire, à ce moment là. » p. 184 « Je raconte tout, et je ne veux rien cacher, ni
mentir. » p. 184. Ces sentiments se traduisent également lorsqu'il démantèle avec les membres
des sonderkommandos les Crématoires de Birkeanu : « Avec une pioche, je me suis acharné
dessus. J'avais envie de tuer tout le monde, de tout casser, tout ce que je pouvais détruire de ce
lieu me rendait heureux, je voulais en finir avec tout ça. » p. 163. D'ailleurs il est soulagé de
quitter le Crématoire une fois parti du camp. (p. 141) et de ne plus être en contact avec les corps
entremêlés dans les chambres à gaz.
La vision que nous avons évoqué tout à l'heure, c'est à dire du fait que l'auteur caractérise les
déportés comme des animaux, est également présente lors de la libération. En effet, lorsque les
Américains une fois avoir libérés les détenus, leurs apportent des vivres, ces derniers les volent :
« ça m'importait peu de bousculer, car nous étions tous devenus des sauvages. » p. 189 Cela
traduit bien dans quel état d'esprit se situent les prisonniers ayant vécu l'expérience des camps, et
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qui sont toujours dans cette logique de survie, alors qu'ils on été libéré. Ils sont donc extrêmement
marqués par ce qu'ils ont vécu, et réagissent encore comme s'ils étaient encore sous domination
Nazi. Ils ne perdent pas totalement leurs réflexes de survie, qu'ils ont dû mettre élaborer dans les
camps.
Ce témoignage nous permet également de connaître les détails du processus
d'extermination d'un point de vue purement historique. Le travail dans les chambres à gaz ne
s'arrêtait jamais, il y avait des roulements : un de jour et un de nuit. « C'était une chaine continue,
ininterrompue. » p. 106
En moyenne, le processus d'élimination d'un convoi durait soixante-douze heures. Le plus long
était de brûler les cadavres. Ce qui était le problème principal des Allemands. p. 115
L'auteur est affecté à différentes tâches au sein du crématoire, telles que couper les cheveux des
morts, extraire les cadavres de la chambre à gaz, la nettoyer car elle est souillée par l'urine, les
excréments, le vomi, le sang. Broyer les os qui restent après la crémation, etc. Cela appui sur le
fait que Shlomo était en permanence avec la mort, qu'il pouvait la toucher, la sentir.
Shlomo Venezia a été libéré du camp d'Ebensee le 6 mai 1945, mais il tombe malade lors
de la libération, et est amené à passer 7 ans à l'hôpital. On peut voir que même après qu'il ait été
libéré, et aidé par l'American Joint Comitte à se réinsérer dans la vie professionnelle, il ne raconte
pas ce qu'il a vécu, il change de nom par peur que tout recommence. Son expérience dans les
camps, et surtout au sein des Sonderkommandos, l'a marqué à vie. Ce dernier a toujours gardé les
séquelles de sa déportation Une phrase qu'il a cité dans son témoignage nous le démontre très
bien : « Nous dans le Sonderkommando avions peut-être des conditions de survie quotidienne
meilleures ; nous avions moins froid, plus à manger, moins de violence, mais nous avons vu le
pire, nous étions dedans toute la journée, au cœur de l'enfer. » p. 140
Lila LAMOUREUX (Université Paul-Valéry Montpellier III)

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