Etude de témoignage - Université Paul Valéry

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Etude de témoignage - Université Paul Valéry
VENEZIA Shlomo (1923 - )
1) Le témoin :
Le témoin s’appelle Shlomo Venezia. Il est né le 29 décembre 1923 à Salonique en
Grèce et est, actuellement, toujours vivant. Le noyau familial se compose de sept personnes :
ses deux parents et cinq enfants, lui compris. Il a un frère aîné, Maurice, et trois sœurs,
Rachel, Marica et Marta. Son père, barbier et ancien combattant italien de la Première Guerre
Mondiale, est décédé vers 1934/35. Malgré l’aide des frères de sa mère, Shlomo Venezia a dû
arrêter l’école à douze ans pour travailler.
Shlomo et sa famille ont vécu à Salonique, où d’après lui la communauté juive représentait
environ soixante mille personnes et où les Juifs italiens, comme eux, étaient peu nombreux.
Shlomo et sa famille sont déportés à Auschwitz le 11 avril 1944. À leur arrivée, il est séparé
de sa mère et de ses sœurs mais parvient à rester avec son frère et quelques cousins. Ces
derniers furent envoyés, dans un premier temps, à Auschwitz I puis, finalement, à Birkenau.
Shlomo reçut le matricule 182 727. Après avoir passé trois semaines en quarantaine, il intégra
le Sonderkommando (unité spéciale), chargé des crémations. À Birkenau, Shlomo fut affecté
au Crématoire II jusqu’en janvier 1945, date à laquelle il quitta Auschwitz pour la « marche à
la mort ». Puis, il a été interné au camp de Mauthausen sous le matricule 118 554 avant de
rejoindre presque immédiatement le camp de Melk où il rejoignit le kommando des maçons.
Enfin, il rejoignit le camp d’Ebensee où il continue son travail (forcé) de maçon jusqu’à la
Libération, le 6 mai 1945. Suite à une tuberculose contractée dans les camps, il passa un an
dans un sanatorium en Italie.
Après-guerre, Shlomo fonda ce qu’il appelle « sa deuxième famille », la première ayant été
anéantie pendant la Shoah. Il se maria avec une italienne, Marika, avec qui il eut trois fils,
Mario, Alessandro et Alberto. Par la suite, Shlomo témoigna de son expérience
concentrationnaire au sein d’écoles, sur des plateaux de télévision et lors de manifestations
commémoratives.
2) Le témoignage :
Sonderkommando, dans l’enfer des chambres à gaz, a été édité chez Albin Michel en
2007. Cette étude de témoignage s’appuie cependant sur la réédition chez Livre de Poche
datant de 2010. Ce témoignage prend la forme d’une entrevue, menée par Béatrice Prasquier,
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sous la direction de l’historien italien Marcello Pezzetti. Rédigé à partir d’une série
d’entretiens avec Shlomo Venezia à Rome entre le 13 avril et 21 mai 2006, ce témoignage a
été revu par le témoin lui-même pour « ne pas altérer l’authenticité de son récit. »
Simon Veil, présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et elle-même survivante
d’Auschwitz, a rédigé la préface de l’œuvre. Selon elle, le fait que Shlomo Venezia ait
survécu et qu’il ait couché sur papier son témoignage « est une double victoire sur le
processus d’extermination des Juifs. »
Dans un style sobre, descriptif et réflexif à la fois, Shlomo Venezia nous raconte son
expérience au sein du plus grand camp d’extermination nazi, Auschwitz, pour que le monde
n’oublie pas ou accepte ce qui s’est passé. Il met l’accent sur la cible de ce témoignage, la
jeunesse. Une manière d’éduquer les consciences. Et si ce témoignage n’arrive que très tard,
en 2007, c’est parce que dit-il « les gens ne voulaient pas entendre, ils ne voulaient pas croire.
[…] Ce n’est qu’en 1992, quarante-sept ans après ma libération, que j’ai recommencé à parler.
[…]Témoigner représente un sacrifice énorme. » (p.197/198) Il avoue lui-même ne pas parler
de ce qu’il a vécu à ses proches, tellement ça lui est douloureux. Hanté par cette expérience
inhumaine, au crépuscule de sa vie, l’auteur ne veut pas que tout cela passe à la trappe, meurt
avec lui. C’est un témoignage-testament que nous offre Shlomo Venezia.
3) L’analyse :
Élaboré sous forme d’entretiens multiples, ce témoignage est un concentré de tous les
souvenirs de Shlomo Venezia. Soixante ans après, le témoin a eu le temps de tout ressasser
dans son esprit et lors des différents évènements auxquels il a participé. Ce travail de mémoire
de plusieurs décennies a peut être influencé sa vision des choses. Ainsi, Shlomo Venezia s’est
beaucoup renseigné sur le sujet. Cependant, il fait bien la part des choses, entre mémoire et
savoir. On note la différence entre le « je » des évènements et le « je » à la date de la rédaction
du témoignage.
Shlomo Venezia était jeune quand la Grèce a été attaquée puis occupée par les Italiens puis
par les Allemands. Il se souvient des bombardements de la ville de Salonique puis des
mesures répressives prises à l’encontre des juifs italiens et grecs, tout en soulignant que la
nationalité italienne lui a permis dans un premier temps d’avoir un meilleur traitement que les
juifs grecs. Mais, après la défaite Italienne, et sous l’occupation allemande seulement, plus
aucune différence n’existait.
Dans les camps de concentration et/ou d’extermination, l’autorité était omniprésente, quelle
soit militaire ou concentrationnaire. En effet, les Allemands chargés du contrôle des camps
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n’étaient pas la seule autorité présente. Les « kapos », c'est-à-dire les responsables du
maintient de l’ordre au sein même des baraquements dans les camps, étaient bien plus
présents dans la vie des déportés que les nazis. Certains de ces « kapos » étaient, selon le
témoin, des « ordure(s) » et des « bourreau(x) ». Pour la plupart Polonais, ces petits chefs
étaient hais dans les camps, souvent bien plus que les nazis eux-mêmes. Shlomo ressent de la
colère, de la rage et de la peur face à ces geôliers qui « n’avaient plus aucun respect pour la
personne humaine. » (p. 86) Face au sadisme de certains, comme un certain Moll appelé
« l’ange de la mort » dans les camps, l’auteur regrette de ne pas avoir noté les noms des
personnes responsables de l’ordre. Alors que « les Allemands étaient capables de toutes les
perversions pour nous (les prisonniers) humilier » (p. 139), Shlomo note que tous n’étaient
pas à mettre dans le même panier. Ainsi raconte-t-il une anecdote avec un SS hollandais qu’il
jugeait « plus humain que les autres. » (p. 119)
Face à cette autorité tyrannique, minces étaient les possibilités de la contester. Cependant,
Shlomo note quelques exemples de rébellion (p. 109), des faits d’obstruction au travail
(p.116), ainsi que des évasions. Mais tous ces actes de contestation de l’autorité sont peu
nombreux et tous ou presque se soldent par des échecs, comme la « Révolte d’Octobre » à
Auschwitz, durant laquelle plusieurs membres des Sonderkommando tentèrent de reprendre le
contrôle du camp (chapitre V). Le plus grand révélateur de cette animosité envers
l’autorité concentrationnaire a été le massacre de nombreux kapos à la Libération. Ainsi, le
témoin y a-t-il pris part lui-même en battant l’un de ses anciens bourreaux qui avait failli le
tuer à coup de pelle.
Les tensions sont aussi palpables entre les détenus eux-mêmes. Si lors de la déportation, le
témoin notait une certaine solidarité entre les prisonniers, celle-ci laisse vite place à un
égoïsme de survie : « pour survivre, il fallait être égoïste. » (p. 110) Avec la barrière de la
langue et suivant les affinités, de petits groupes se forment et se soutiennent pendant les
épreuves. Le témoin souligne le fait que le silence était presque omniprésent dans les camps
car chacun vivait différemment sa captivité. Aussi assiste t il à des « bizutages » lors de
nouvelles arrivées de déportés, ou à des bagarres dans les camps. Pour Shlomo, il n’y a pas de
solidarité dans les camps, seulement des personnes qui veulent survivre par tous les moyens,
quitte à se voler ou à tuer.
Face à tout cela, il est difficile d’endurer, ne serait-ce que quelques mois, cette captivité. Le
travail des membres du Sonderkommando, additionné à l’éternelle sensation de faim qui
tiraille tout le monde dans les camps, démoralise notre témoin. Quelques-uns même, perdent
la raison : « À mon avis, il avait complètement perdu la raison, son esprit n’était déjà plus de
ce monde. Il ne semblait plus ressentir ni la douleur ni la peur » (p. 89) explique t il en parlant
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de l’un de ses compagnon de travail. Le plus dur pour Shlomo a été de se sentir « complice »
(p. 113) de l’extermination de par son travail. Sans oublier le fait que chaque détenu sait sa fin
proche : un membre des Sonderkommando ne vit pas plus de trois mois et est ensuite
remplacé par quelqu’un d’autre. La seule chose qui a sauvé Shlomo a été le flux continu
d’arrivées et d’extermination de juifs.
Il lui est souvent arrivé de penser que la mort était préférable à ça (p. 90). Vivre constamment
dans la peur, la douleur et la mort fait dire à Shlomo que « plus rien ne nous impressionnait »
(p.148). Il souligne le fait que les cas de suicide étaient peu nombreux. Il n’a eu vent que d’un
seul cas et la tentative a échoué. Dans les camps, la vie humaine ne vaut rien ni pour les nazis,
ni même pour les détenus. Shlomo se compare, lui et les autres, à un « animal » ou a un
« automate » qui ne pense plus, qui ne réfléchit plus, et qui ère sans âme.
Malgré cela, le témoin a réussi à vivre plus d’un an dans les camps et à s’en sortir.
L’incompréhension, la famille, l’instinct de survie et la routine sont de nombreux facteurs de
ténacité. Cependant, ces facteurs ne durent qu’un temps. L’incompréhension laisse place à la
désillusion, la famille se décime et se sépare, et l’instinct de survie se perd de plus en plus.
Même face aux atrocités dont il pensait être le complice, Shlomo Venezia finit par se dire
qu’il aide plutôt qu’autre chose (p. 106). Conduire les autres à la mort avec dignité, leur éviter
de prendre des coups, etc. Se mentir pour se préserver. Mais l’espoir n’est pas mort une fois
passé le portail d’Auschwitz où est écrit « le travail rend libre » (quelle ironie macabre !).
Ainsi, quand les captifs ont vent des multiples attentats contre Hitler, l’espoir renait. Ou
encore lors des quelques révoltes. « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir »?
Rémy PROVOST (Université Paul-Valéry Montpellier III)

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