Prescription : sévérité persistante de la Cour de Cassation
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Prescription : sévérité persistante de la Cour de Cassation
DROIT & TECHNIQUE de page Un récent arrêt de la Cour de cassation vient confirmer la sévérité des juges quant au respect des mentions devant figurer dans les polices d’assurance et particulièrement sur la prescription biennale. Impact sur la mise en conformité des contrats. PRESCRIPTION Sévérité persistante de la Cour de cassation ANNE-MARIE LUCIANI professeur de droit à l’université Jules-Verne de Picardie, consultante au cabinet Trillat et associés L’ article R. 112-1 du code des assurances dispose que les polices d’assurance relevant des branches 1 à 17 de l’article R. 321-1 doivent rappeler les dispositions des titres Ier et II, du livre Ier de la partie législative du code des assurances concernant la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance. Cette exigence a été introduite dans notre droit par l’article 110 du décret du 30 décembre 1938. Durant des décennies, elle semble n’avoir suscité ni difficultés d’interprétation, ni contentieux. Cette situation est aujourd’hui bien révolue. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 novembre 2011 (Civ. 3e, 16 novembre 2011, n° 10-25.246) n’est que le dernier épisode d’un feuilleton jurisprudentiel qui a débuté il y a une dizaine d’années. En l’espèce, les conditions générales du contrat d’assurance énonçaient : « Toutes actions dérivant de ce contrat sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance (articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances). » La cour d’appel avait estimé que cette rédaction contractuelle, qui faisait mention du délai biennal et des articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances, donnait une information suffisante à l’assuré puisque le délai de deux ans y figurait et que les textes essentiels y étaient expressément visés. Relevant que le texte de l’article R. 112-1 du code des assurances n’exige pas de l’assureur la reproduction in extenso de ces articles, elle avait en conséquence considérée la fin de non-recevoir tirée de la prescription, opposable à l’assuré. Mais le pourvoi soutenait que le contrat aurait dû indiquer les causes d’interruption de la prescription biennale prévues à l’article L. 114-2 du code. La Cour de cassation accueille une telle interprétation de l’article R. 112-1 et estime que l’expiration du délai de prescription doit être déclarée inopposable à l’assuré. Cette solution s’inscrit dans la logique de la dernière tendance jurisprudentielle issue d’un revirement opéré en 2009. UNE JURISPRUDENCE EN DENTS DE SCIE Dans un premier temps, la Cour de cassation, tout en reconnaissant la nécessité de mentionner les modes d’interruption de la prescription biennale, en application de l’article R. 112-1, alinéa 2, du code des assurances (Civ. 1re, 2 juillet 2002, n° 00-14.115, Resp. civ. et assur. 2002, comm. 314, note H. Groutel ; Civ. 1re, 18 novembre 2003, RGDA 2004, p. 400, note J. Kullmann), s’est retranchée derrière le silence du texte à propos des sanctions en cas de manquements pour décider que l’absence d’une clause dans la police ne faisait pas obstacle à la prescription (Civ. 1re, 22 janvier 2002, n° 98-18.892, RGDA 2002, p. 381, note J. Kullmann). L’article R. 112-1 du code des assurances était ainsi condamné à l’inefficacité. Un revirement de jurisprudence a remédié en 2005 à cette lacune textuelle en considérant le délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 inopposable à l’assuré dans le cas d’absence de mention conforme aux exigences de l’article R. 112-1 (Civ. 2e, 2 juin 2005, n° 03-11.871 ; Resp. civ. et assur. 2005, ss. étude 11, H. Groutel ; RGDA 2005, p. 127, note J. Kullmann). D’autres arrêts ont précisé le contenu de l’obligation de l’assureur. Une première décision a décidé que « l’assureur n’avait aucune La Cour de cassation estime que l’expiration du délai de prescription doit être déclarée inopposable à l’assuré. Cette solution s’inscrit dans la logique de la dernière tendance jurisprudentielle issue d’un revirement opéré en 2009. 46 La Tribune de l’assurance // mars 2012 // n°167 Haut de obligation de rappeler à M. X. pendant le délai d’instruction de son dossier d’indemnisation les conséquences attachées à l’épuisement du délai de la prescription biennale dès lors qu’il avait suffisamment rempli son obligation d’information à cet égard en remettant les conditions générales du contrat d’assurance dans lesquelles le délai figure en caractères gras, parfaitement lisibles, sous la rubrique "délai impératif" » (Civ. 2e, 28 juin 2007, n° 06-16.545). La Cour de cassation a ensuite précisé que le simple renvoi aux articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances sans en détailler le contenu suffisait (Civ. 2e, 10 novembre 2005, n° 04-85.280, Resp. civ. et assur. 2006, comm. 42, note H. Groutel ; RGDA 2006, p. 81, note J. Kullmann). Puis, de nouveau, elle opère un revirement par un arrêt décidant que « l’assureur est tenu de rappeler dans le contrat d’assurance, sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 du code des assurances, les causes d’interruption de la prescription biennale prévues à l’article L. 114-2 du même code ». En l’espèce, figurait bien la lettre recommandée avec accusé de réception, mais pas l’action en justice (Civ. 2e, 3 septembre 2009, n° 08-13.094, Resp. civ. et assur. 2009, comm. 311, note H. Groutel). Depuis, elle ne s’est plus départie de cette sévérité réaffirmée, une nouvelle fois, dans l’arrêt rendu le 16 novembre 2011 (voir aussi, dans le même sens, Civ. 3e, 28 avril 2011, n° 10-16.269 ; Civ. 2e, 28 avril 2011, n° 10-16.403). Ces contraintes peuvent se révéler très déstabilisatrices dans la mesure où elles s’appliquent à des contrats conclus antérieurement au revirement de 2009. MISE EN CONFORMITÉ DES CONTRATS D’ASSURANCE Le contrat doit rappeler le point de départ de la prescription (Civ. 2e, 28 avril 2011, préc.) ainsi que les causes d’interruption de la prescription (outre le présent arrêt, Civ. 2e, 3 septembre 2009, préc. ; Civ. 3e, 28 avril 2011, préc.). Pour les contrats à venir, la nouvelle position jurisprudentielle peut être respectée en reproduisant in extenso dans les polices d’assurance le texte des articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances. Mais il serait aussi judicieux pour l’assureur de se livrer à un bref commentaire didactique de ces textes afin d’être certain de pouvoir opposer le délai de prescription biennale aux assurés. La Cour de cassation semble en effet de plus en plus exigeante. Il serait préférable de reproduire aussi le texte de l’article L. 114-3, créé par loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 selon lequel, « par dérogation à l’article 2254 du code civil, les parties au contrat d’assurance ne peuvent, même d’un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de celle-ci ». Il conviendrait, en outre, d’attirer l’attention de l’assuré sur le fait que : - la prescription permet à l’assureur de se libérer de son obligation de garantie ; - qu’elle est une fin de non-recevoir (art. 122 du C. pr. civ.) à une action judiciaire et qu’elle peut être soulevée à tous les stades de la procédure (art. 123 du C. pr. civ.), et même pour la première fois en appel. Il serait aussi opportun d’insister sur le caractère très large du domaine de la prescription biennale, les actions dérivant du contrat d’assurance pouvant être notamment (l’emploi de l’adverbe "notamment" pouvant être bien appuyé) : - les actions en nullité ou en résiliation de contrat ; - les actions en paiement de sinistre intentées par l’assuré contre l’assureur ; La Tribune de l’assurance // mars 2012 // n°167 La plus grande difficulté concerne les contrats déjà conclus. Si le point de départ du délai et les causes d’interruption de la prescription ne sont pas mentionnés, il conviendra de signer un avenant au contrat ou, plus simplement, d’envoyer aux assurés une fiche explicative des articles L. 114-1 et L. 114-2. - les actions nées de la violation de l’obligation de renseignement de l’assureur (Civ. 2e, 7 octobre 2004, n° 03-15.713 ; Dalloz 2004, IR, p. 2832) ; - les actions du souscripteur d’une assurance vie à l’encontre de l’assureur, notamment en dommages-intérêts (Civ. 2e, 5 juillet 2006, n° 05-15.754) ; - les actions en responsabilité intentées par l’assuré contre l’assureur. Enfin, des précisions devraient être apportées sur le mode de calcul du délai. L’expression « événement qui donne naissance » visée par l’article L. 114-1 du code des assurances s’entend, pour le règlement du sinistre, de la survenance de celui-ci. Les causes ordinaires d’interruption de la prescription auxquelles se réfère l’article L. 114-2 sont la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait (art. 2240 C. civ.), un acte d’exécution forcée (art. 2244 C. civ.), et la citation en justice, même en référé (art. 2241 C. civ.). Quant aux causes spéciales, il conviendrait d’indiquer que seule la désignation (et non le déroulement des opérations ou le dépôt du rapport) interrompt la prescription, laquelle recommence à courir pour une durée de deux années et que si toute désignation d’expert a un effet interruptif de prescription, cette interruption ne peut avoir d’effet contre l’assureur que si celuici a été convoqué ou a participé aux opérations d’expertise (Civ. 1re, 21 octobre 2003 ; RGDA 2003, p. 703, note J. Kullmann.). En outre, la désignation d’un expert par une partie à l’effet de la représenter à l’occasion d’une expertise judiciaire en cours, n’interrompt pas la prescription biennale (Civ. 2e, 5 juin 2008, n° 07-18.287 ; RGDA 2008, 644, note M. Bruschi). En ce qui concerne l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR), il pourrait être explicitement mentionné que l’envoi d’une lettre simple même s’il en est accusé réception par l’assureur, ne peut avoir l’effet interruptif prévu par l’article L. 114-2 du code des assurances (Civ. 1re, 28 octobre 1993, Resp. civ. et assur. 1993, n° 244, obs. S. Bertolaso) et qu’un envoi par Chronopost n’équivaut pas à une LRAR (Civ. 2e, 14 octobre 2004, n° 03-04.153 ; Dalloz 2004, Cahier de Droit des affaires, p. 2855). Mais la plus grande difficulté concerne les contrats déjà conclus. Si le point de départ du délai et les causes d’interruption de la prescription ne sont pas mentionnés, il conviendra de signer un avenant au contrat ou, plus simplement, d’envoyer contre accusé de réception aux assurés une fiche explicative des articles L. 114-1 et L. 114-2. Cette démarche, pour être utile, devra être effectuée avant la réalisation de tout sinistre puisque l’envoi postérieur d’un courrier rappelant le régime de la prescription biennale est inefficient (Civ. 2e, 30 juin 2011, Resp. civ. et assur. 2011, n° 309, note H. Groutel). La meilleure solution serait sans doute une intervention du pouvoir réglementaire dans le but d’expliciter les exigences de l’article R. 112-1 du code des assurances. Un terme pourrait ainsi être mis à l’insécurité juridique qui règne actuellement en la matière. n 47