La politique de promotion culturelle britannique en France
Transcription
La politique de promotion culturelle britannique en France
Institut d’Etudes Politiques de Paris Ecole doctorale d’Histoire du XXe siècle Doctorat Histoire Christine OKRET-MANVILLE La politique de promotion culturelle britannique en France (1920-1953) De la publicité aux relations culturelles Thèse dirigée par M. Pierre MILZA 1 The object of our overseas information work is thus not primarily to build up the prestige of our country but rather to create in overseas countries an intellectual or emotional atmosphere in which the policies advocated by Her Majesty’s Governement are more likely to be accepted than opposed. [This is] positive information work. (Committee of Enquiry into the Overseas Information Services 11 juillet 1952 - CAB 130/75, P.R.O.) Les Anglais n’estiment que la politique positive, celle des intérêts (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, tome 2, livre 19, chapitre 18) 2 REMERCIEMENTS Parmi tous ceux qui ont contribué à la réalisation de cette thèse par leurs suggestions, leurs encouragements, leur disponibilité et leur courtoisie, et pour lesquels j’éprouve une très vive gratitude, je remercie tout particulièrement : Monsieur Pierre MILZA, qui a accepté de diriger ce travail, et dont les conseils m’ont été précieux M. Robert FRANK, M. Pascal ORY, professeurs à l’université de Paris 1, pour leurs fructueuses suggestions M. Christophe CAMPOS, directeur de l’Institut britannique de Paris, Mrs Lucy MITCHELL, conservateur de la bibliothèque de l’Institut britannique de Paris Miss Victorine MARTINEAU, responsable du service d’archives du British Council, Londres Mr Trevor WHITE, Mrs Patricia KNOWLES, Mr Jeff WALDEN, documentalistes au Centre des Archives Ecrites (Written Archive Centre) de la B.B.C. Mes collègues chercheurs Alain Dubosclard, Pierre Journoud, Laurent Grison, Laurent Jeanpierre, Dominique Trimbur, qui ont beaucoup stimulé ma réflexion. Cette thèse n’aurait pu être conduite à son terme : . sans le soutien précieux de mes parents et grands-parents, Sylvain, ma (très large) famille, à qui je tiens à exprimer ici ma profonde affection, . sans les encouragements de mes collègues de la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation (ministère de l’Education nationale) et de mes nombreux amis, . ni enfin sans l’efficace assistance de mes collègues et amis Marina W. et Alain D. Tous trouveront ici l’expression de mes remerciements les plus chaleureux. 3 SOMMAIRE INTRODUCTION …………………………………………………………………… 10 PREMIERE PARTIE : DE LA PUBLICITE AUX RELATIONS CULTURELLES (1920-1943) ……………………………………………………… 27 CHAPITRE 1 : UNE ACTION CULTURELLE APPUYEE SUR LES RESEAUX ANGLOPHILES ……………………………………………………………………... 28 1. Les débuts de la diplomatie culturelle britannique en France …………………….. 29 2. La Travel Association : une promotion culturelle plus déterminée mais financièrement limitée ……………………………………………………………….. 35 CHAPITRE 2 : L’INSTITUT BRITANNIQUE DE PARIS : LE VOLET EDUCATIF DU DISPOSITIF ……………………………………………………….. 41 1. Un centre de promotion de la culture britannique historiquement lié aux élites universitaires parisiennes …………………………………………………………….. 42 2. Le développement du volet éducatif dans le dispositif de promotion culturelle ….. 47 CHAPITRE 3 : LE BRITISH COUNCIL : DES MOYENS LIMITES, UNE ACTION PRAGMATIQUE …………………………………………………………. 54 1. La naissance du British Council, l’effacement de la Travel Association …………. 55 2. Une action culturelle pragmatique ………………………………………………… 58 CHAPITRE 4 : LA SECONDE GUERRE MONDIALE : DEFINITION D’UNE POLITIQUE DE PROJECTION CULTURELLE EN FRANCE …………………… 70 1. Le British Council coordinateur des activités culturelles sur le sol britannique ….. 71 2. La définition d’une politique de projection culturelle en France : pour une “ reconstruction morale ” ……………………………………………………………. 91 4 DEUXIEME PARTIE : UNE DIFFICILE IMPLANTATION (1944-1946) ……. 106 CHAPITRE 5 : LE BRITISH COUNCIL CANAL OFFICIEL DE REGULATION DES ACTIVITES CULTURELLES ENTRE LA FRANCE ET LA GRANDEBRETAGNE …………………………………………………………………………. 107 1. Le British Council en Europe - une “ libération culturelle ” mal assurée ………… 108 2. Les ambiguïtés de l’indépendance ………………………………………………… 118 CHAPITRE 6 : LES RELAIS POTENTIELS DE LA PROJECTION CULTURELLE BRITANNIQUE EN FRANCE : UN FOISONNEMENT ASSOCIATIF ANGLOPHILE ………………………………………………………. 129 1. Des initiatives foisonnantes ……………………………………………………….. 130 2. Rationaliser et formaliser le champ des relations culturelles franco-britanniques : le projet de Fédération France-Royaume-Uni ……………………………………….. 139 CHAPITRE 7 : L’ORGANISATION D’UN RESEAU DE DIFFUSION D’INFORMATIONS CULTURELLES ……………………………………………... 150 1. La mise en place d’une structure opérationnelle ………………………………….. 150 2. Apaiser “ l’autre faim ” : les vecteurs prioritaires de diffusion d’informations sur la culture britannique ………………………………………………………………… 158 CHAPITRE 8 : L’AFFIRMATION DE LA PRESENCE BRITANNIQUE SUR LA SCENE CULTURELLE FRANCAISE ……………………………………………… 170 1. Les manifestations de prestige parisiennes : une entente relative avec la DGRC … 171 2. Atteindre un public élargi : une activité fonctionnelle modeste conduite sur l’ensemble du territoire ………………………………………………………………. 179 CHAPITRE 9 : L’INSERTION DE L’INSTITUT BRITANNIQUE DANS LA POLITIQUE CULTURELLE BRITANNIQUE : UNE LABORIEUSE INSOUMISSION AU BRITISH COUNCIL ………………………………………… 187 1. Une spirale de dépenses de l’Institut à la charge du Council ? ……………………. 188 2. L’échec des tentatives de contrôle financier et institutionnel de l’Institut ………... 197 5 CHAPITRE 10 : LA B.B.C. : AFFIRMER UNE AUTONOMIE D’ACTION POUR ASSEOIR L’INFLUENCE BRITANNIQUE EN FRANCE ………………………... 207 1. Contribuer à l’instauration d’une influence “ morale et politique ” de la GrandeBretagne sur l’Europe ………………………………………………………………... 208 2. Une action indépendante pour confirmer une réputation d’objectivité …………… 214 CHAPITRE 11 : RADIO ET TELEVISION : LES ANGLAIS PARLENT AUX FRANÇAIS …………………………………………………………………………... 222 1. Les prémices d’une collaboration entre la B.B.C. et la R.D.F. ……………………. 224 2. D’une radio de guerre à une radio de paix ………………………………………… 232 TROISIEME PARTIE : LA CONSOLIDATION DES POSITIONS (19471948) …………………………………………………………………………………. 249 CHAPITRE 12 : L’ENTREE EN GUERRE FROIDE ………………………………. 250 1. Une redistribution budgétaire dont bénéficie la France …………………………… 251 2. Garder l’image d’un organisme idéologiquement neutre …………………………. 257 CHAPITRE 13 : OFFICIALISATION DE LA COOPERATION CULTURELLE FRANCO-BRITANNIQUE …………………………………………………………. 261 1. L’affirmation de l’attachement culturel de la Grande-Bretagne au continent européen ……………………………………………………………………………… 262 2. La convention culturelle franco-britannique : officialisation du rôle du Council en France et réciprocité des échanges …………………………………………………… 270 CHAPITRE 14 : CONSOLIDATION ET EXPANSION DES ACTIVITES ……….. 277 1. Une expansion globale …………………………………………………………….. 278 2. Le développement du volet éducatif ………………………………………………. 291 CHAPITRE 15 : L’INSTITUT BRITANNIQUE THEATRE D’UNE LUTTE D’INFLUENCE ENTRE LE BRITISH COUNCIL ET L’UNIVERSITE PARISIENNE : PROPAGANDE CONTRE EDUCATION ? ………………………. 299 1. La tutelle de l’Institut britannique : un rééquilibrage des pouvoirs en faveur des 6 Français ………………………………………………………………………………. 300 2. La prédominance de l’Université : une victoire de courte durée 306 …………………... CHAPITRE 16 : UNE RADIO DE GUERRE FROIDE …………………………….. 317 1. Des échanges diversifiés mais inégaux avec la R.D.F. ……………………………. 317 2. Une radio d’appoint ……………………………………………………………….. 323 QUATRIEME PARTIE : VERS UN REPLI (1949-1953) ……………………….. 333 CHAPITRE 17 : UNE REDUCTION DRASTIQUE DES MOYENS D’ACTION EN EUROPE ………………………………………………………………………… 334 1. “ L’image du monde actuel peut être comprise comme une lutte pour l’âme des innombrables populations ‘retardées’ d’Asie du Sud et d’Afrique ” (Sir Charles Jeffries, 1950) ………………………………………………………………………... 335 2. La répercussion des coupes budgétaires sur l’activité du British Council en France 341 CHAPITRE 18 : DEUX PRIORITES : L’EDUCATION ET LES LIVRES ………... 349 1. Une politique éducative dans une large mesure liée aux travaux de la commission mixte franco-britannique …………………………………………………………….. 350 2. Favoriser la diffusion d’écrits britanniques dans un contexte d’échanges difficiles 359 CHAPITRE 19 : REPLI ET REORGANISATION DES ACTIVITES FONCTIONNELLES ………………………………………………………………... 366 1. Un développement maximal avec des dépenses minimales ………………………. 367 2. Repli et réorganisation des activités culturelles …………………………………… 373 CHAPITRE 20 : L’INSTITUT BRITANNIQUE : LES REAJUSTEMENTS D’UNE GESTION APAISEE ………………………………………………………………… 387 1. Trouver des points d’équilibre au sein du dispositif de promotion culturelle …….. 388 2. Rationaliser et consolider des moyens d’action fragiles …………………………... 393 CHAPITRE 21 : B.B.C. ET R.T.F. : LE TEMPS DES REALISATIONS ………….. 400 7 1. La radio : un objectif de projection culturelle plus affirmé ……………………….. 401 2. Les premières réalisations concrètes dans le champ audiovisuel …………………. 412 CHAPITRE 22 : LA “ QUERELLE DU MONDE BILINGUE ” : LES AMBIGUITES DE LA COOPERATION CULTURELLE FRANCO- BRITANNIQUE ……………………………………………………………………... 422 1. Un idéal de paix universelle catalyseur d’une rivalité culturelle franco-britannique persistante ……………………………………………………………………………. 423 2. Les activités du Monde Bilingue : un révélateur des divergences d’intérêts entre Français et Britanniques ……………………………………………………………... 435 CHAPITRE 23 : L’ACTION CULTURELLE BRITANNIQUE EN FRANCE EN 1953 : DEFI OU SUPERFLU ? ……………………………………………………… 448 1. La politique culturelle britannique à l’étranger : un indispensable outil d’influence mondiale ……………………………………………………………………………... 449 2. Pour un rééquilibrage des efforts de promotion de la Grande-Bretagne en France au profit du politique et du commercial ……………………………………………… 459 CONCLUSION ………………………………………………………………………. 468 SOURCES …………………………………………………………………………… 481 BIBLIOGRAPHIE …………………………………………………………………… 495 ANNEXES …………………………………………………………………………… 507 1. Principaux extraits de la charte royale octroyée au British Council (1940) 2. Organigramme simplifié du British Council 3. Fonds publics alloués au British Council 4. Budget du British Council pour la France 5. Activités du British Council en France : tableaux synthétiques 6. Acte de fondation de l’Institut britannique de Paris (version modifiée de 1932) 7. L’Institut britannique de Paris 1927-1953 8. Répartition des activités entre le British Council et l’Institut britannique de Paris 9. Les services de la B.B.C. 8 10. Financement des services extérieurs de la B.B.C. (Foreign Office) 11. Grilles de programmes du Service Français de la B.B.C. 1944-1953 12. Convention culturelle signée le 2 mars 1948 entre la Royaume-Uni et la France 13. Jumelages franco-britanniques 14. Association Le Monde Bilingue - Direction 9 AVERTISSEMENT Les noms des institutions, les titres, grades, fonctions, ont été dans l’ensemble traduits. Toutefois, pour tenir compte de leur spécificité, il a été décidé de laisser dans leur formulation anglaise : . le nom des départements fonctionnels et organes directeurs du British Council à Londres (ce qui les distingue par ailleurs des organes d’autres institutions) - leur traduction figure en annexe n° 2 -, . les titres du personnel du Council affecté en France, . certains noms de ministères et départements ministériels britanniques, . les titres d’œuvres musicales, . les titres de films documentaires (la teneur de ces films étant précisée dans le corps du texte). L’étude qui suit porte principalement sur des institutions dont les services et organes de fonctionnement peuvent parfois faire l’objet de confusions. Même si une attention particulière a été portée aux appellations utilisées dans le texte afin d’aider le lecteur à éviter ces confusions, celui-ci est invité à se reporter aux annexes présentant les organigrammes de ces institutions. 10 INTRODUCTION En faisant de la culture “ tout ce qui fait que la vie mérite d’être vécue ”,T.S. Eliot1 met en évidence la difficulté inhérente à toute tentative de définition unique et globale du terme. En effet, parfois comprise comme une expression générique désignant un ensemble de productions intellectuelles et artistiques, la culture peut aussi intégrer à ce premier sens, dans une acception plus large, le système de valeurs qui sous-tend ces réalisations. Mais d’un point de vue méthodologique, la multiplicité des significations du vocable “ culture ” est essentiellement liée à l’utilisation qui en est faite dans une perspective de conceptualisation propre à chaque type de recherche. Dans le cadre des relations internationales, les valeurs fondant l’identité collective d’une nation, le mode de vie caractéristique d’une société, trouvent une traduction dans le symbolisme des créations. D’autre part, chaque peuple possède une perception particulière de sa culture, héritée de son expérience historique, et qui conditionne son attitude face à l’idée d’une expansion culturelle au-delà des limites du territoire national. Une action culturelle en direction de pays étrangers peut revêtir des formes diverses. Plusieurs expressions parfois employées comme synonymes rendent compte de cette activité. On évoque ainsi indifféremment les “ relations culturelles ”, la “ diplomatie culturelle ”, les “ échanges culturels ”, la “ propagande culturelle ” .... Ces expressions contiennent cependant des nuances qu’il convient d’établir au préalable de toute étude portant sur ce domaine. Les travaux entrepris auparavant sur des sujets similaires divergent parfois lorsqu’il s’agit de produire une définition de ces termes, ce qui peut faire penser que cette exercice n’est pas totalement objectif2. 1 Dans Notes towards the definition of culture (Faber & Faber, 1948) cité dans André RESZLER et Alison BROWNING, “ Identité culturelle et relations internationales ”, Relations internationales, n° 24, hiver 1980, p. 390. 2 Je songe ici aux travaux d’Albert Salon ou de Carl Doka, évoqués infra. 11 Toutefois, afin de poser des bases qui, à défaut de prétendre à un usage universel, cherchent à cerner le sujet qui nous occupe, nous pouvons établir différentes typologies d’action culturelle (pris dans un sens neutre) en fonction du critère retenu. Pour cette étude, deux critères essentiels à prendre en considération sont l’acteur culturel (émetteur d’informations) et la nature de l’information transmise. Deux ensembles de notions liées à ces critères peuvent être distingués. La notion générique d’acteur culturel induit une définition spécifique plus ou moins large, selon que l’on se réfère à l’ensemble des actions produites par tout acteur potentiel, privé ou public, ou que l’on prenne en compte uniquement l’action publique. Dans le premier cas, on parlera de relations culturelles ou encore d’échanges culturels. Les relations culturelles visent à favoriser des liens de coopération entre institutions culturelles et éducatives, et des individus, afin que les nations puissent développer des rapports intellectuels, artistiques et sociaux. Ce concept est relativement neutre et traduit un certain dynamisme3. Il englobe les politiques publiques et les initiatives privées, et par voie de conséquence s’applique aux sociétés ouvertes dans lesquelles les initiatives privées bénéficient d’une liberté d’action. Il est synonyme d’“ échanges culturels ” pris au sens large. Cette dernière expression recouvre par ailleurs au sens strict les programmes d’échanges. Elle fait ainsi référence à la notion de réciprocité des actions culturelles menées entre deux pays, et est in fine liée à l’application de conventions culturelles4. Si l’action culturelle est restreinte à l’activité de la puissance publique, elle est synonyme de diplomatie culturelle, ce qui suppose une position unilatérale. Cette notion traduit l’insertion de la culture dans les accords internationaux. La dimension culturelle est employée en soutien de la politique diplomatique dont les objectifs sont traditionnellement de nature politique et économique. Cet usage du culturel trouve sa place en accompagnement du politique et de l’économie dans l’arsenal des moyens dont disposent les Etats pour assurer leur rayonnement et leur puissance vis-à-vis de l’extérieur. La diplomatie culturelle se pratique selon trois modèles d’organisation. En premier lieu, elle peut être mise en œuvre directement par un gouvernement, soit par l’intermédiaire d’un agent affecté à la représentation diplomatique d’un pays, ou par un 3 En expliquant pourquoi il a choisi l’expression “ action culturelle ” de préférence à “ relations culturelles ” pour sa thèse, Albert Salon estime que “ relations culturelles ” est statique et descriptif, alors qu’ “ action culturelle ” est dynamique. On peut ne pas souscrire à cette idée, une relation impliquant une interaction, un échange, même si le dynamisme est plus ou moins marqué. A. SALON, L’action culturelle de la France dans le monde, thèse, Paris I, p. 5. 4 J.M. MITCHELL, International cultural relations, London, Allen and Unwin, 1986, p. 81. 12 organisme officiel. Ont par exemple recours à ce mode de fonctionnement la France, l’Italie, ou les Etats-Unis. Cela ne signifie pas pour autant que l’action culturelle de ces pays se limite à cette activité officielle5. En second lieu, un gouvernement peut choisir de rester en retrait et de confier l’action culturelle à une institution qui lui est soumise financièrement, mais qui jouit statutairement de l’indépendance d’action. Ce principe a été adopté en Grande-Bretagne et dans quelques anciens dominions (Australie, Nouvelle-Zélande, Canada), ainsi qu’au Japon. Enfin, un modèle mixte est envisageable, fondé sur la contractualisation entre l’Etat et différentes agences non-gouvernementales (selon leur champ de compétence). L’Etat établit une politique culturelle, dont il délègue par contrat la mise en application et les subsides correspondantes à ces agences. Il conserve un contrôle global sur le déroulement des opérations qu’il délègue. Ce mode contractuel fut par exemple en usage en République fédérale d’Allemagne6. Ce premier groupe de concepts peut être croisé avec un second ensemble d’expressions se rapportant à la nature de l’information émise. En fonction des objectifs qui sous-tendent cette diffusion de données informatives, on opposera projection culturelle et propagande culturelle. L’expression “ projection culturelle ” est spécifiquement britannique ; elle fut créée par Stephen Tallents (chef de service [controller] à la B.B.C.) en 1935. Elle peut se définir comme un synonyme de “ publicité culturelle ” au sens neutre, recouvrant la fourniture ou la publication d’informations de nature factuelle afin de permettre à chacun de se faire une opinion et d’agir selon sa conscience. Par extension, elle fait référence au service ayant pour objectif de permettre au public de s’informer d’événements dont la connaissance pourrait leur être utile7. Cette notion implique la liberté d’accès à une information aussi objective que possible. Il est significatif qu’elle soit née en Grande-Bretagne, alors que les milieux officiels convaincus de la nécessité de mener une politique culturelle en direction de l’étranger souhaitaient opposer la simple exposition (“ projection ”) des diverses facettes de la richesse culturelle britannique, attractives en elle-mêmes sans besoin d’effort de promotion particulier, aux efforts de propagande et de distorsion des réalités pratiqués par les pays fascistes (voir infra). 5 Voir par exemple A. DUBOSCLARD, Histoire de la Fédération des Alliances Françaises aux EtatsUnis. L’Alliance au coeur, Paris, 1998. 6 J.M. MITCHELL, op. cit., p. 70. 7 P.M. TAYLOR, The Projection of Britain - British Overseas Publicity and Propaganda 1919 - 1939. Cambridge, 1981, “ Introduction ”. 13 En effet, la propagande, originellement conçue dans les milieux religieux comme la propagation de la foi, supposait la prétention d’exercer une influence morale et intellectuelle sur les populations visées. Cette conception a été “ modernisée ” et affublée d’une connotation particulièrement négative au XXe siècle, en raison de son usage intensif en temps de guerre. Son acception a été élargie mais reste finalement peu éloignée de cette définition première. Elle correspond à la diffusion d’informations et d’idées, vraies ou fausses, afin d’obtenir un avantage dans une compétition. Elle peut être considérée comme un élément de la diplomatie culturelle en ce sens qu’elle s’efforce d’emporter la conviction des individus auxquels elle s’adresse afin d’assurer le prestige du pays dont elle émane, soit en donnant une image flatteuse de ce pays, soit en dénigrant les autres pays dits “ rivaux ”. Pendant la Seconde Guerre, l’emploi de ce terme s’avère délicat en GrandeBretagne, aussi existe-t-il un double discours : à usage interne où l’on utilise éventuellement “ propagande ”, et à usage externe où l’on recherche un synonyme plus ou moins convaincant. Un exemple de synonyme est “ interprétation nationale ”, expression trouvée dans le rapport annuel 1940-41 du British Council : “ une expression plus heureuse que propagande culturelle, qui sous-tend l’utilisation au bénéfice de la cause nationale de l’ensemble des ressources culturelles de la nation par l’Etat ”, selon les auteurs McMurry et Lee8. Cette expression et sa définition correspondent à un bel exemple d’understatement pour désigner une action de propagande. Si les Britanniques ne sont pas très enclins à vouloir employer le terme “ propagande ” pour qualifier leur travail d’information officiel en raison de sa connotation avec les activités ennemies - encore que ce terme se trouve régulièrement sous la plume des officiels du Foreign Office ou du British Council dans des notes de service - il convient de remarquer que les termes d’“ interprétation nationale ” n’ont jamais été rencontrés dans les documents utilisés pour réaliser cette étude. Leur rareté d’usage est confirmée par le directeur du British Council lui-même, sir Malcolm Robertson, qui en 1941 s’explique sur sa définition de l’action du Council. Un correspondant du secrétaire général Richard Seymour relève l’ambiguïté de la définition des missions du British Council en mettant en rapport l’expression “ relations culturelles ” employée dans sa charte royale, l’usage du terme “ propagande ” à l’égard de l’Italie et de l’Allemagne trouvé dans le rapport annuel de 1940/1941 (p. 14), et deux pages plus loin la tournure “ interprétation nationale ”9. Sir Malcolm Robertson précise alors que 8 Cité dans R.E. McMURRY et M. LEE, The cultural approach Univ of North Carolina Press, 1947, 9 Rawdon-Smith à Seymour, 14 juillet 1941. - BW 2/85, P.R.O. p. 150. 14 dans son esprit “ interprétation nationale ” n’est qu’un équivalent de “ propagande culturelle ” assez peu satisfaisant par ailleurs. Il revendique l’usage (en interne pour éviter toute confusion du public) du terme “ propagande ”, “ qui est une chose propre si elle est utilisée par des gens propres ”10. L’opposition projection / propagande traduit-elle deux visions divergentes de l’action culturelle à l’étranger : chercher à faire connaître des faits laissés à l’analyse de celui qui les reçoit ou chercher délibérément à influencer ? Ne doit-on voir qu’un seul exercice décrit de façon naïve ou hypocrite dans un cas, et de façon réaliste ou cynique de l’autre ? Le terme “ propagande ” recèle des ambiguïtés qui ne sont pas levées dans l’historiographie des relations culturelles internationales. Ainsi Carl Doka, dans l’ouvrage qu’il leur consacre en 1959, tend à adopter la position de Sir Malcolm Robertson et considère que ce sont les objectifs et les méthodes qui donnent un sens positif ou négatif au vocable “ propagande ”11.. Dans ses écrits théoriques, Jean-Baptiste Duroselle constate l’existence de services de propagande qui agissent parallèlement aux diplomates, et les différencie par leur méthode (respectivement la communication ou le secret). La propagande est définie en termes généraux, comme un travail d’information réalisé afin de donner une image positive d’un pays12. Il précise ses conceptions en distinguant la propagande de la guerre psychologique, qui cherche systématiquement à détruire (physiquement ou seulement psychologiquement)13. En revanche, Albert Salon octroie à “ propagande ” une connotation négative univoque en lui attachant les notions d’action unilatérale, de passivité du sujet réceptif, et de centralisation du dispositif de diffusion d’informations14. Dans cette étude, il sera estimé qu’il n’existe pas de définition immuable des relations culturelles : selon les objectifs à atteindre, les méthodes, et le contexte international dans lequel cette politique sera appliquée, l’action culturelle sera plus ou moins perçue comme de la projection ou de la propagande. Dans le cas extrême que représente un état de guerre, il convient de poser la question de la pertinence du concept de relations culturelles : peut-il alors y avoir relations cuturelles ou simplement propagande ? 10 “ [...] national interpretation [...] merely as an equivalent of cultural propaganda, though I am not very pleased with it. ” “ I do also agree with what you say about propaganda being a clean thing if it is handled by clean people. ” Robertson à Rawdon-Smith, 21 juillet 1941. - Ibid. 11 C. DOKA, Les relations culturelles sur le plan international, Neufchâtel, 1959, p. 24. 12 J.B. DUROSELLE, Tout empire périra, Paris, 1992, p. 89. 13 J.B. DUROSELLE et P. RENOUVIN, Introduction à l’histoire des relations internationales, Paris, p. 400. 14 A. SALON, op. cit., p. 5-6. 15 L’ouvrage de Mitchell évoque en une page rapide la question des relations culturelles pendant la guerre, et ne mentionne que deux cas de figure : la propagande exercée par les puissances de l’Axe, et l’action menée envers les pays neutres. Ces situations ne s’appliquent pas au cas de la relation franco-britannique, qui de surcroît se double de la complexité liée à l’existence de deux pouvoirs prétendant chacun incarner la France. En fonction des définitions données supra, on peut déterminer les tendances suivantes : Relations / Echanges Diplomatie Projection Propagande Deux neutres + + + - Deux belligérants + + + - Belligérant -> neutre + + - + Deux - - - + amis belligérants ennemis Alors que deux pays belligérants amis ou deux pays neutres entretiennent le même type de relation marqué par la minoration tendancielle de la dimension propagandiste, un pays belligérant fera en revanche une place importante à la propagande dans sa stratégie envers un pays neutre afin de le lier à sa cause. Deux pays belligérants ennemis ne cultivent plus de relations diplomatiques officielles, et la propagande domine leurs initiatives. Il semble difficile dans ce cas de parler de relations culturelles. Dans le cas franco-britannique, il conviendra donc de distinguer les relations de la Grande-Bretagne avec Vichy d’une part et la France libre d’autre part. Alors que les Britanniques n’ont plus d’action culturelle en direction de Vichy, la présence de réfugiés français sur leur sol rend possible l’existence d’une politique culturelle et même d’échanges culturels. Dans leurs applications pratiques, ces définitions doivent également tenir compte de la propension d’un pays à en faire usage pour des raisons elles-mêmes culturelles. La comparaison des attitudes de la France et de la Grande-Bretagne face à l’action culturelle en direction de l’étranger est éclairante sur ce point. Très tôt (dès François Ier et surtout Louis XIII, selon Albert Salon) le dynamisme intellectuel et artistique français a été considéré comme un élément de prestige et 16 de rayonnement mondial. A ce titre, l’Etat a manifesté son encouragement aux initiatives privées visant à développer la connaissance de la culture française dans le monde, avant d’entreprendre lui-même une action dans ce sens (sous la IIIe République en particulier). Un messianisme né d’une profonde croyance en l’universalité intrinsèque des messages délivrés par la culture française a, à partir de 1870, justifié cette volonté d’action en direction de l’étranger. Ainsi, acteurs privés et publics ont cherché à propager dans le monde tous les mythes dont la civilisation française est censée être porteuse, tels les idéaux de la Révolution Française, et parallèlement se sont préoccupés de l’extension de l’apprentissage du véhicule permettant de mieux appréhender l’esprit français : la langue française. Albert Salon fait état de trois paramètres conditionnant à des degrés divers l’action culturelle de la France à l’étranger : le besoin d’assurer la pérennité de la nation et de sa culture, la compensation d’une perte de puissance politique nationale qui éventuellement pourrait conduire à un renforcement des positions diplomatiques, et la volonté de maintenir ou de remettre au premier rang mondial la langue et la civilisation françaises. Mais si les gains politiques ne sont pas à négliger, c’est principalement un souci de prestige qui anime l’idée d’une forte présence culturelle dans le monde, le motif d’expansion économique ne joue qu’un rôle secondaire et apparaît indépendant de l’action culturelle15. Le concept de culture ne bénéficie pas de la même faveur auprès des Britanniques qui ont tendance à se méfier des sophistications intellectuelles qu’il semble impliquer. Tout en étant pleinement conscients de l’originalité de leur mode de vie et du système de valeurs sur lequel il repose, les Anglais ne songent pas, à la différence des Français, à le transmettre à d’autres nations par le biais d’échanges culturels, par une politique active qui consisterait à faire connaître dans le monde leurs productions artistiques et à favoriser le développement de l’apprentissage de la langue anglaise. Cependant l’ “ ordre ” britannique est diffusé au XIXe siècle grâce à l’effort de colonisation. Il n’y a pas de messianisme culturel, mais un impérialisme qui ajoute à sa signification politique originelle une motivation économique16. Les tâches éducatives sont le plus souvent laissées aux missions et si des éléments du mode de vie britannique sont exportés dans les territoires assujettis (clubs, journaux, ...), ils restent essentiellement réservés en priorité aux colonisateurs, et constituent une sorte de soutien moral à ceux qui ont pris “ le fardeau de l’homme blanc ”. Deux explications peuvent rendre compte de cette attitude. En premier lieu, 15 A. SALON, L’Action culturelle de la France dans le monde, Paris, 1983, plus particulièrement p. 40- 16 MITCHELL, op. cit., chapitres 1 à 5. 43. 17 les Britanniques n’ont aucune prétention à l’universalisme d’une culture qui n’est pas dans leur esprit aussi étroitement associée à l’identité nationale que dans le cas français. D’autant plus que, selon Reginald Leeper, le futur fondateur du British Council, “ une action positive destinée à expliquer nos objectifs et nos réalisations était considérée comme peu digne et inutile ”17. Outre ce que le député Lees-Jones appelle “ l’orgueil de la race ” lors d’un débat à la Chambre des Communes en 1938, l’idée que les actions de la Grande-Bretagne expriment intrinsèquement sa puissance domine alors les esprits18. D’autre part, les autorités ne perçoivent pas les conséquences pratiques d’une expansion culturelle, ainsi que le note un mémorandum du Foreign Office écrit en 1938 : “ Notre influence culturelle était considérée soit comme quelque chose de vaguement estimable mais d’un usage pratique limité ou alors comme quelque chose de si éloigné des considérations matérielles qu’elle ne devait jamais être abaissée à servir à des fins politiques ”19. Le Trésor refuse alors de donner un soutien financier à une quelconque politique culturelle en direction de l’étranger. C’est pourquoi la Grande-Bretagne appuie sa politique étrangère sur des instruments diplomatiques conventionnels : les agents en poste à l’étranger, la Navy, l’Empire. En conséquence, lorsqu’ils commencent à admettre la nécessité de réfuter les contre-vérités qui sont proférées sur eux, les Britanniques répugnent à faire usage des termes définis ci-dessus, et préférent parler de “ projection culturelle ”, de “ publicité culturelle ”.. La projection culturelle renvoie à la présentation volontaire des réalisations d’un pays et de ses valeurs afin de susciter le respect et le prestige. Cette expression ne gomme pas toute coloration propagandiste sous-jacente mais met ostensiblement l’accent sur le reflet exact d’une réalité. Le terme de “ publicité ” est plus explicite encore, dans son sens premier (“ rendre public ”). En France, l’étude des relations culturelles internationales est apparue relativement tardivement, dans le sens où les aspects politiques et économiques des rapports entre Etats ont d’abord été privilégiés, faisant une place mineure aux échanges culturels. Dès 1954, Jean-Baptiste Duroselle évoque l’existence de “ services d’information et de 17 R.A. LEEPER, “ British culture abroad ” in Contemporary Review, vol. 148, 1935, p. 201-207. McMURRY et LEE, op. cit., p. 145. 19 Foreign Office, Memorandum on the British Council and the Maintenance of British Influence abroad (1938) - FO 431/4, P.R.O. 18 18 propagande ”, mais ne prolonge pas sa réflexion sur leur rôle, et n’aborde pas l’action culturelle20. La première synthèse établie par Louis Dollot autour de ce thème date de 196421. Les Américains se sont également peu préoccupés de réfléchir sur ce sujet, après avoir pourtant produit en 1947 un ouvrage pionnier comparatif entre les actions des différents pays. The Cultural Approach - Another Way in International Relations22 présente un état rigoureux des politiques culturelles à l’étranger fondé sur la seule analyse des rapports et textes officiels des pays étudiés. Cet ouvrage présente l’avantage et l’inconvénient de ne comporter que des faits et chiffres, dont l’exposé est certes un préalable indispensable à toute réflexion sur les politiques culturelles vis-à-vis de l’étranger, mais ne les met pas vraiment en perspective. Dans son étude sur les relations culturelles parue en 1959, le Suisse Carl Doka va plus loin. Il propose la première synthèse d’envergure présentant non seulement les actions culturelles de divers pays en direction de l’extérieur mais aussi les accords culturels, qui à cette date jouent un rôle important dans le développement des échanges culturels. Là encore, sa documentation est constituée de rapports officiels, mais l’introduction qui précède les analyses offre un point de vue théorique synthétique et intéressant23. La question des échanges culturels franco-britanniques est essentiellement abordée tant par les Français que par les Britanniques par le biais des perceptions. Pour une étude portant sur une période antérieure au XXe siècle et à la mise en œuvre d’une politique culturelle, cet angle d’approche s’impose de lui-même. Ce filon historiographique, dont la pertinence reste incontestable, se maintient pour saisir la réalité des liens culturels francobritanniques24. Mais à ce jour, peu de travaux ont entrepris d’élargir ce point de vue jusqu’à prendre en considération de façon non marginale les actions menées à titre public ou privé qui 20 J.B. DUROSELLE, “ L’évolution des formes de la diplomatie et son effet sur la politique étrangère des Etats ”, in La politique étrangère et ses fondements, Paris, 1954, p. 326-349. 21 L. DOLLOT, Les relations culturelles internationales, Paris, 1964. 22 McMURRY et LEE, op. cit. 23 C. DOKA, op. cit. 24 La littérature a offert un terrain particulièrement privilégié pour ce type d’études. On peut ainsi citer les travaux de Marius-François GUYARD (La Grande-Bretagne dans le roman français 1914-1940, Paris, 1954), Pierre REBOUL (Le mythe anglais dans la littérature française sous la Restauration, Lille, 1962), Andris BARBLAN (L’image de l’Anglais en France pendant les querelles coloniales 1882-1904, Berne, 1974). La perception d’un pays par l’autre est abordée plus globalement en particulier par François CROUZET (De la supériorité de l’Angleterre sur la France - l’économie et l’imaginaire, XVIIe - XXe siècle, Paris, 1985), Paul GERBOD (Voyage au pays des mangeurs de grenouilles. La France vue par les Britanniques du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, 1991), Philip M.H. BELL (France and Britain 1900-1940. Entente and Estrangement, Londres, 1996 et France and Britain 1940-1994. The Long Separation, Londres, 1997). 19 contribuent à façonner cette perception. En particulier, l’après Deuxième Guerre mondiale n’a pas fait l’objet d’une analyse développée25. Cet état de fait n’est pas tant le résultat d’un manque d’intérêt des historiens pour ce thème que d’une tendance à se représenter la France d’après guerre d’abord comme un champ d’affrontement entre les cultures américaine et soviétique, à côté desquelles la Grande-Bretagne est tenue pour quantité relativement négligeable. Pourtant, il convient de rappeler l’antériorité de la projection culturelle britannique en France, déjà active avant la Seconde Guerre malgré des moyens limités, et redéfinie au sein d’un dispositif de grande ampleur à partir de 1944. En contrepoint, l’action culturelle soviétique est essentiellement connue pour la période qui s’ouvre en 1953 ; un mémoire rédigé sur ce thème n’observe pas de traces d’échanges officiels franco-russes suivis avant l’ère Khrouchtchev (il étaient sporadiques auparavant)26. Les Américains privilégient quant à eux l’initiative privée, et se concentrent sur une extension de leur influence en Amérique latine jusqu’à la Deuxième Guerre. Ce n’est qu’à partir de 1945 que sont prises les premières mesures qui ressortissent de la politique culturelle vis-à-vis de l’étranger, avec le Fulbright Act qui encourage les échanges d’étudiants. The Cultural Approach, qui insiste longuement sur l’importance des relations culturelles pour favoriser la compréhension entre les peuples afin d’éviter une nouvelle guerre, plaide alors en filigrane pour un développement d’une politique culturelle américaine offensive et structurée27. En 1948, le programme Fulbright est complété et élargi par le Smith-Mundt Act qui autorise l’Etat fédéral à réaliser un programme d’information à l’étranger afin de donner une image juste des Etats-Unis et de ses réalisations28. Pour sa part, le British Council mène dès 1935 une politique culturelle en France, certes limitée par des moyens faibles, mais réelle (voir la première partie de cette étude). Or, s’il est exact que la Grande-Bretagne ne bénéficie pas après-guerre de moyens aussi larges que les Etats-Unis et est à ce titre un peu éclipsée par son puissant allié - qui se trouve en plus parler la même langue qu’elle -, elle mène néanmoins 25 . Pour le XVIIIe siècle, voir par exemple, l’étude de Joséphine GRIEDER, Anglomania in France 17401789 : Fact, Fiction and Political Discourse. Genève, Droz, 1985. 26 Christine MARAND, Echanges artistiques entre la France et l’URSS, mémoire de DEA, IEP Paris, 1985. Le VOKS, organisme soviétique chargé de l’action culturelle à l’étranger créé en 1925 reprend aprèsguerre une activité intensive auprès des républiques slaves et des pays satellites. Les échanges avec les pays occidentaux se font largement par le biais de sociétés russo-étrangères. 27 C’est avec cet objectif plus ou moins explicite qu’ont pu paraître ultérieurement les réflexions américaines, ainsi cet opuscule de 1964 rédigé par Philip Coombs, dont le premier chapitre est intitulé “ The Underdeveloped Area of U.S. Foreign Policy ” (in The Fourth Dimension of Foreign Policy : Educational and Cultural Affairs, New York, 1964). 28 P.H. COOMBS, The Fourth Dimension of Foreign Policy : Educational and Cultural Affairs, New York, 1964, p. 29-32. 20 une action distincte et autonome de celle des Américains, et cherche à profiter de sa propre popularité auprès des Français au sortir du conflit. Réussir à s’implanter dans le paysage culturel français tient de la gageure pour les Britanniques. Le pays étant réputé protectionniste à l’égard des cultures étrangères et ses habitants étant vus comme des amateurs d’art, l’action culturelle en France présente un fascinant défi à relever pour le Council. Un succès global signifierait la reconnaissance de l’existence d’une culture britannique de qualité et sa consécration apportée par le peuple considéré comme le plus éclairé en la matière. La politique culturelle, prise dans sa globalité, ne se limite pas aux actions de l’Etat, ainsi que l’a rappelé Pascal Ory, en la définissant comme “ la totalité des actions seulement projetées ou réalisées dans la pratique, de toutes les communautés associées au mouvement pris en considération : associations culturelles, sans doute, mais aussi politiques ou syndicales ”29. Toutefois, l’étude qui va suivre se limite à la définition et la mise en œuvre d’une politique culturelle institutionnelle en direction de la France afin d’en éclairer l’originalité. En effet, ainsi qu’il a été rappelé supra, par rapport à d’autres pays européens – la France mais aussi l’Allemagne, l’Italie – la Grande-Bretagne a pris conscience tardivement de l’utilité du recours à la dimension culturelle dans sa diplomatie pour affirmer sa place dans le monde. L’organisation mise en place doit dès lors se soumettre à un long processus de légitimation. Tant la structure créée que ce long chemin vers l’acceptation de la nécessité d’avoir à faire apprécier une culture britannique dont les qualités ne s’imposent pas d’ellesmêmes (à l’encontre de la pride of race) offrent un contrepoint intéressant au cas français. Par ailleurs, l’exemple des relations franco-britanniques offre un intérêt multiple, s’agissant de deux pays qui ont des consciences opposées de la place de la culture dans leur identité. D’autre part, les relations avec la Grande-Bretagne sont pluriséculaires et informelles ; ce qui revient à étudier la greffe d’un programme officiel sur un contexte d’échanges culturels traditionnellement informels. L’objet global de cette étude est d’examiner dans quelle mesure et comment s’opère une percée culturelle britannique en France, particulièrement après 1944, date à laquelle entre en application une politique structurée (qui ne l’était pas auparavant). Il s’agira pour cela notamment de porter attention à deux questions complémentaires. L’action britannique doit tout d’abord être replacée dans la problématique générale des rapports entre politique et échanges culturels, dont elle constitue un cas intéressant. En effet, l’organisation adoptée est révélatrice d’une culture politique. 29 Pascal ORY, La belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front Populaire, 1935-1938, Paris, Fayard, p. 19-20. 21 Schématiquement, alors que les Français ont choisi un modèle structurel dominé par le contrôle de l’Etat, les Britanniques optent pour l’institution d’une agence non gouvernementale qui, sans être totalement indépendante, jouit d’une large autonomie d’action (le British Council). Les autres organismes qui participent de cette politique culturelle britannique en France bénéficient d’une importante marge de manœuvre (voir infra). D’autre part, il convient de garder à l’esprit que le contexte de guerre froide se prête à une instrumentalisation de la culture à des fins idéologiques. Ainsi est-il important d’établir quelques éléments d’analyse en termes de contenu : quelle image de la Grande-Bretagne est présentée aux Français ?30 Aussi l’activité britannique, principalement en France métropolitaine31, sera-t-elle ici essentiellement envisagée dans le champ culturel et non dans le domaine technique. Il s’agit de considérer la culture britannique sous l’angle des réalisations traduisant sa spécificité, par opposition au caractère universel des techniques. Ceci signifie examiner la façon dont sont favorisés une meilleure connaissance du mode de vie, des arts, des lettres, de la langue britannique. En outre, les échanges à caractère technique sont assez largement pris en charge par des associations professionnelles ou éducatives, et les rapports officiels se bornent en général à constater leur développement. En revanche, les actions complémentaires officielles s’exercent dans le cadre éducatif (octroi de bourses). Cette étude se limite à la période fondatrice 1920-1953. D’une part, cette tranche chronologique correspond à la lente formation d’une politique culturelle globale à l’égard de l’étranger, depuis ses premiers tâtonnements après la Première Guerre mondiale jusqu’à sa reconnaissance officielle en 1953. D’autre part, cette vision globale offre un contexte nécessaire à la compréhension de la traduction de cette politique en France, où se retrouvent les mêmes hésitations et le même lent cheminement vers la légitimité. Par ailleurs, elle vise à articuler deux “ temps ” : celui des relations internationales et celui de l’action culturelle britannique en France. La Grande-Bretagne a mené une activité de propagande importante durant la Première Guerre mondiale, puis le terme de propagande a été rejeté après 1918. Toutefois, dans l’entre-deux-guerres, malgré des réticences administratives ou politiques persistantes, les acteurs de l’action culturelle naissent et s’affirment sans aucune forme de coordination, mais 30 Cependant, les sources étant parfois imprécises ou incomplètes, un travail exhaustif ne peut être envisagé. 31 Le British Council n’a pas d’activité en Indochine. Le bureau d’Alger ferme en 1949, mais nous ne disposons plus d’archives après 1947. 22 en accord avec les objectifs pragmatiques d’affirmation nationale définis par le rapport Tilley en 1920. Les services de l’ambassade sont actifs après 1919, l’Institut britannique est fondé en 1927, le British Council apparaît en 1934, les services extérieurs de la B.B.C. commencent à émettre vers la France en 1938. Leur création ou la nouvelle intensité de leur activité est largement liée des motifs politiques (l’offensive propagandiste fasciste), sauf celle de l’Institut britannique, qui obéit d’abord à des motifs académiques. Ce n’est que la définition d’une politique culturelle spécifiquement destinée à la France en 1943 qui permettra d’opérer une convergence de ces actions, et de les lier sous l’égide globale théorique du British Council. De façon générale, les années 1920-1943 voient la mise en place d’enjeux ou de contextes qui ne manqueront pas d’influer sur les conditions du redéveloppement stratégique d’après-guerre. Après 1944, les périodisations politique et culturelle ne se recouvrent cependant pas tout à fait. En effet, la Grande-Bretagne joue un rôle actif dans le monde, et oriente son action culturelle en fonction de ses intérêts stratégiques de puissance. Toutefois, elle est sortie exsangue de la guerre (et très lourdement endettée en particulier), et la politique de réformes économiques et sociales du gouvernement Attlee accentue les difficultés économiques du pays pendant la période étudiée. Ce contexte intérieur influe sur la taille des budgets consacrés aux activités culturelles, donc sur l’intensité de celles-ci. L’interaction entre les relations internationales, les considération politico-économiques intérieures et l’action culturelle sont constantes. En 1944, la France est libérée et constitue un terrain d’action favorable à l’application des principes et des schémas définis pendant la guerre. Cette année signifie également la reprise libre des relations culturelles entre les deux pays. Alors que la France se dote d’une nouvelle République rapidement instable et dans laquelle s’instaure un climat politique orageux, que l’Europe se divise en deux blocs idéologiques antagonistes, le Council doit profiter des préjugés favorables qu’il inspire et de la popularité dont jouit la GrandeBretagne pour occuper une partie du champ culturel français et tenter de s’y maintenir malgré les offensives américaine et soviétique. L’année 1953 correspond à la rédaction d’un rapport commandé par le gouvernement britannique à une commission indépendante, qui vise à réaliser une sorte d’audit des services d’information et d’action culturelles britanniques. Si ce rapport a pour objectif initial de signaler les services dans lesquels il est souhaitable de procéder à une réorganisation génératrice d’économies budgétaires, il a également pour résultat la légitimation des activités des services concernés et la préconisation de ce qui peut être considéré comme une doctrine d’action culturelle rationalisée vers l’étranger. 23 Suivre l’évolution de la construction d’un politique culturelle britannique entre 1920 et 1953 permet également d’observer les modalités du passage d’une politique de publicité culturelle (dans l’entre-deux-guerres) à une politique de relations culturelles (évoquée dès 1939, mais réellement mise en application après la Seconde Guerre). En effet, tout au long du XXe siècle se déroule le mouvement qui fait évoluer la place de la culture dans les relations internationales32. Considérée encore largement en termes d’action informelle à l’orée de ce siècle, elle s’affirme progressivement comme un champ d’échanges bilatéral (ou multilatéral) au même titre que des productions économiques, avec une importance croissante donnée à la notion de réciprocité, pouvant faire l’objet d’accords formels entre Etats. Si la France signait déjà des conventions culturelles dans les années 1920, la Grande-Bretagne rejoint ce mouvement tardivement. Dans l’entre-deux-guerres l’action culturelle britannique revêt un caractère largement informel et privé, une aide discrète des pouvoirs publics n’étant pas exclue. La guerre représente une période cruciale qui voit l’intervention de l’Etat dans le champ culturel affirmée. La différence avec la Première Guerre est que, cette fois, l’Etat maintient une action culturelle malgré un besoin de justification permanente qui montre qu’il n’est pas toujours entièrement convaincu d’être indispensable dans ce domaine. La guerre inaugure également pour la Grande-Bretagne une ère de coopération culturelle avec les peuples étrangers, qui trouve ses marques et se structure avant de déployer son potentiel au gré de ses ressources financières dès le retour à la paix. La Grande-Bretagne aussi formalise son réseau de relations culturelles par des conventions. Ses relations avec la France suivent ce schéma. Ainsi au cours de cette période la Grande-Bretagne fait évoluer sa politique culturelle extérieure de l’action unilatérale aux relations culturelles, qui supposent des échanges et une réciprocité coordonnée. La notion de réciprocité est adoptée par la Grande-Bretagne autour de la Seconde Guerre, et il sera intéressant d’observer les conséquences de son application sur la définition de la politique culturelle britannique33. Le dispositif d’action culturelle britannique, dans lequel ont la possibilité de jouer les influences mutuelles observées ci-dessus, résulte de la superposition de deux niveaux. A l’échelon décisionnel, les ministères concernés ont pour rôle d’établir les grandes orientations politiques qui serviront de cadre à l’action culturelle. Le Foreign Office occupe 32 P. MILZA, “ Culture et relations internationales ”, in Relations internationales, n° 24, hiver 1980, p. 361-379. 33 Quelques pistes ont été lancées pour l’étude de la réciprocité côté français : voir A. CARRE DE MALBERG ou R. SALMON. 24 une place prépondérante parmi ceux-ci, du fait de l’actualité internationale, et en raison de la tutelle qu’il exerce sur l’organisme responsable de la mise en application de la politique décidée, le British Council. Le Colonial Office et le Commonwealth Relations Office voient s’accroître l’amplitude de leur intervention après 1945, et le Board of Trade n’a qu’un rôle mineur. Dans le cas français, seul le Foreign Office intervient ; le dossier culturel étant suivi en Grande-Bretagne par le Cultural Relations Department, et en France par l’ambassade. La proximité idéologique et l’antériorité des liens entretenus avec la France font que les attachés de presse n’ont pas de rôle majeur dans ce pays. A ce niveau supérieur ressortit l’échelon exécutif, les ministères ayant une fonction d’impulsion et non d’action directe. Deux services s’efforcent de donner une traduction concrète aux stratégies politiques : le British Council et la B.B.C. Ces agences, dont la sphère d’intervention est double (intérieur et étranger), représentent les bras séculiers du gouvernement. Elles bénéficient d’un statut indépendant, garanti par charte royale, mais leur action s’inscrit de fait dans une politique nationale tournée vers l’affirmation du prestige britannique à l’étranger. En outre, un institut britannique est en activité en France. Bien que soutenu dès sa fondation par l’ambassade, il est originellement indépendant des organismes politiques britanniques et n’est intégré dans le schéma d’action en direction de la France que durant la Seconde Guerre. Les archives des quatre intervenants dans la politique culturelle britannique menée en France identifiés ci-dessus ont été utilisées. Les documents produits par le Foreign Office (CRD), le British Council, l’Institut britannique et la B.B.C. constituent donc les sources principales de cette étude. Les archives de l’ambassade ne sont malheureusement pas disponibles, mais son action peut être discernée en consultant les fonds précités. Les papiers du Foreign Office (Cultural Relations Department essentiellement), conservés au Public Record Office (Londres) sont précieux pour cerner la politique suivie par le Foreign Office et établir les rapports entre les domaines politique et culturel. Les dossiers du British Council, également consultables au Public Record Office, permettent une appréhension globale du sujet, en raison du rôle central qui lui a été dévolu de coordination pour la France des actions culturelles. Ce sont des documents “ officiels ” qui néanmoins sont abondants et se présentent sous une grande diversité de forme : éléments statistiques, correspondance intra-Council entre les bureaux de Paris et 25 Londres, correspondance avec divers organismes et ministères, documents gouvernementaux imprimés, procès-verbaux des réunions des différents comités de gestion, notes de service. Il faut aussi particulièrement mentionner les comptes rendus de visites et rapports d’activité régulièrement envoyés à Londres, rédigés par les membres du Council en poste en France, dont le contenu renferme d’utiles observations personnelles. Dans ce fonds très riche se trouvent également des dossiers sur l’Institut britannique. Ceux-ci doivent être complétés par les archives de l’Institut britannique, qui se trouvent à l’Institut même, et que le directeur Christophe Campos m’a aimablement autorisé à consulter. Malgré leur état lacunaire34, ces dossiers renferment en particulier les comptes rendus des comités de gestion (conseil d’administration, comité exécutif) qui font le point sur les activités et sur les enjeux de direction. Le quatrième fonds accessible se trouve à Reading, au B.B.C. Written Archive Centre. Il comprend de nombreux papiers, rapports, notes techniques, et surtout les très précieux rapports d’écoute et dossiers du service chargé de réaliser des sondages réguliers sur l’audience de la B.B.C. En revanche, les éléments financiers se prêtent difficilement à une analyse détaillée pour la période étudiée. Les montants des subventions globales sont connus par les Annual Reports and Accounts, mais leur utilisation ne fait pas l’objet de commentaires avant le rapport de 1950-51, et encore le commentaire est-il extrêmement bref. En outre nous ne disposons d’aucunes données fines sur la répartition du budget entre les différents services ou langues d’émission. Aucun récapitulatif de ce type n’a été trouvé, ni dans les dossiers financiers, fort minces, qui comprennent cependant quelques éléments sur le budget français, ni dans les comptes rendus des réunions des instances dirigeantes de la B.B.C.35 Par ailleurs, les archives du ministère des Affaires étrangères français fournissent d’utiles compléments. * L’exploitation de ces sources permet de mettre en évidence quatre temps dans l’action culturelle britannique en France entre 1920 et 1953. 34 De plus, ce fonds n’a jamais été classé pour la consultation. Un inventaire sommaire se trouve dans la partie “ Sources manuscrites et imprimées ”. 35 Chaque partie de cette étude s’ouvre par une présentation de la position de la France dans la stratégie du British Council. Il n’a pas été possible, au vu de ces lacunes, de faire de même pour la B.B.C. Les éléments relatifs à la France ont été insérés dans les chapitres concernés, et une présentation de l’évolution du budget global de la B.B.C. figure en annexe n°10. 26 Dans les années 1920 - 1943, la stratégie de la Grande-Bretagne évolue d’une approche en termes d’action unilatérale à une réflexion en termes de relations culturelles, tandis que progressivement se structurent ses moyens d’action et sont définies de grandes lignes d’action à l’égard de la France. Les années 1944 - 1946 sont celles de l’implantation en France, qui s’effectue dans des conditions globalement difficiles. En 1947 1948, les positions antérieurement acquises sont consolidées, mais dans les années 1949 1953, elles connaissent une fragilisation croissante qui débouche sur un repli fonctionnel. PREMIERE PARTIE De la publicité aux relations culturelles (1920-1943) 27 Entre les deux guerres, le gouvernement britannique s’interroge sur la nécessité de disposer d’une politique de diffusion de la culture britannique à l’étranger. Cette réflexion aboutit à des soutiens ponctuels accordés pour certaines actions culturelles. Il ne s’agit pas encore d’une politique structurée, mais les ambassades sont invitées à prendre en compte le champ culturel dans l’ensemble de leurs activités (chapitre 1). Parallèlement, se structurent les services et organismes progressivement appelés à prendre la responsabilité de la mise en œuvre de cette politique culturelle. En France, l’Institut britannique (chapitre 2) et le British Council (chapitre 3) mènent alors des activités de modeste envergure. Lors de la Seconde Guerre mondiale, le Council achève son organisation interne et acquiert par son action auprès des populations réfugiées une expérience précieuse qui doit lui permettre dès la Libération de mettre en application une politique de projection de la culture britannique en France (chapitre 4). 28 CHAPITRE 1 UNE ACTION CULTURELLE APPUYÉE SUR LES RÉSEAUX ANGLOPHILES Pour ne prendre que cet exemple, en France, l’État se montre soucieux de développer une politique culturelle ambitieuse, qui doit susciter un surcroît de prestige du pays à l’étranger. Ainsi à l’orée de la Grande Guerre existe depuis déjà trente et un ans l’Alliance française, dont le réseau de centres ouverts sur tous les continents affirme avec succès la vitalité de la culture française par le vecteur de sa langue. Résultat d’une initiative privée, son développement a rapidement été pris en charge par l’État. Les services du ministère des Affaires Étrangères spécialisés dans ce domaine n’en sont encore qu’à un stade organisationnel embryonnaire mais sont déjà très actifs36. Rien de tel outre-Manche. Si des velléités de politique culturelle dynamique se font jour après 1918, la création d’aucun organisme institutionnel n’est envisagée pour permettre leur épanouissement. L’ambassade hérite donc d’une nouvelle tâche de promotion culturelle qui est assurée dans sa partie artistique (hors éducation) par la Travel Association à partir de 1931. 36 Le Service des Œuvres du ministère des Affaires Étrangères est créé en 1920. Voir F. ROCHE et B. PIGNIAU, Histoires de diplomatie culturelle des origines à 1995, Paris, 1995, chap. I “ Des origines à 1939 : le temps des pionniers ”. 29 1.- LES DÉBUTS DE LA DIPLOMATIE CULTURELLE BRITANNIQUE EN FRANCE L’ambassade ne dispose pas réellement de moyens pour mener à bien cette tâche, ce qui explique la portée restreinte de ces actions, qui tient en un développement malgré tout limité - de liens avec les organismes anglophiles, les ressortissants britanniques installés en France n’étant pas perçus comme susceptibles de prendre en charge la projection culturelle. 1.1 La communauté britannique vivant en France : un point d’appui inefficace La Grande-Bretagne de l’après Première Guerre est davantage sensible au profit qu’elle pourrait retirer d’une publicité présentant de façon attractive ses réalisations. Le rapport Newbolt sur la circulation de livres et de périodiques britanniques à l’étranger, rédigé en 1917, constate que celle-ci est trop faible et conclut à la complémentarité du commerce et de la culture. Cependant, l’idée de faire connaître et apprécier la culture britannique à l’extérieur se heurte aux réticences des Finances qui estiment que cela ressemble beaucoup à une perte de temps et d’argent, parce que les résultats envisageables ne sont ni immédiats ni peut-être même visibles. L’administration financière du royaume trouvera dans les difficultés économiques qui mettent brutalement à nu les faiblesses de l’appareil de production britannique à partir de 1921 un argument supplémentaire pour rejeter les demandes de crédits destinés à une action culturelle à l’étranger. Elle estime en outre que le ministère du Commerce Extérieur (Department of Overseas Trade) est suffisamment doté pour mener une campagne publicitaire en faveur des produits nationaux. Au Foreign Office, l’action du service de presse (News Department) est limitée au sens le plus strict de son appellation. Dans ce contexte, le Ministre des Affaires Étrangères Lord Curzon assigne en mai 1919 aux ambassades une mission de propagande, tâche pour laquelle elles doivent être secondées par les consuls en poste et les “ comités de résidents britanniques ”37. Réalisant un inventaire global des organismes déjà existants dont pourrait disposer l’ambassade comme 37 J. M. MITCHELL, International Cultural Relations, Londres, 1986, p. 39. 30 instruments de cette propagande, le comité Tilley rend le 22 mars 192038 un rapport sur les communautés britanniques à l’étranger qui développe longuement l’idée d’une collaboration entre ces communautés et les missions diplomatiques du gouvernement de Sa Majesté. Le rapport Tilley en fait même la pièce maîtresse du dispositif à mettre en place dans l’immédiat. En apportant un soutien financier aux institutions britanniques existantes (écoles en particulier), en organisant des fêtes pour des occasions particulières (anniversaire du roi...), les ambassades doivent “ encourager [le développement d’]un plus grand esprit de solidarité parmi les résidents britanniques à l’étranger ”. Les ambassades doivent appuyer leur politique sur les chambres de commerce (si elles sont bien établies), sur les associations patriotiques (Overseas Club...) et toutes organisations à vocation éducative (écoles, bibliothèques). Mais à plus long terme, le comité recommande la création à Londres d’un organe spécifique en charge de la promotion de la Grande-Bretagne au sein duquel siégeraient les représentants du ministère des Affaires Étrangères, de l’Éducation, du Commerce. Accompagnant la mise en œuvre de la politique ainsi définie, un réseau similaire à celui de l’Alliance française est estimé souhaitable, ainsi qu’une Maison anglaise regroupant les principales organisations déjà mentionnées dont le rôle de vitrines de l’Angleterre serait renforcé. Ce rapport esquisse les grandes lignes d’une action culturelle minimale à mener. Il est à noter qu’il ne prend pas en compte l’utilité potentielle d’associations vouées au rapprochement anglo-étranger : la propagande britannique ne concerne que les Britanniques. Mais la France offre à l’application de ces mesures un cadre particulier. En effet, la communauté britannique n’est ni encadrée ni représentée par une structure globale. Les contacts ne s’avèrent donc pas faciles entre l’ambassade et ses ressortissants pour définir et appliquer une politique culturelle. Néanmoins des contacts réguliers existent : par exemple le bulletin France-Grande-Bretagne signale les bals de charité au profit de l’hôpital tenus dans les salons de l’ambassade39. L’ambassade se présente comme un foyer privilégié des rencontres et réceptions mondaines pour les résidents britanniques40. Mais il est certain que la politique de promotion culturelle qu’entend conduire l’ambassade ne peut s’appuyer sur la communauté britannique dans son ensemble si 38 J. TILLEY, Report of the Foreign Office Committee on British communities abroad, 22 mars 1920. BW 2/85, P.R.O. Les recommandations de ce rapport n’ont pas été approuvées par le Trésor. 39 Comité exécutif du 19 mars 1926, France-Grande-Bretagne, n° 55, avril 1926, p. 10. 40 P. GERBOD, Voyage au pays des mangeurs de grenouilles, Paris, 1991, p. 158. 31 celle-ci ne dispose pas d’organisme de représentation générale. Une dépêche de l’Ambassadeur Lord Tyrrell datée de 1931 exposant ses grandes lignes d’action dans le domaine culturel mentionne simplement des contacts suivis avec la British Legion (par l’entremise de l’attaché militaire) et la Chambre de commerce41. Or lorsque naît le Comité de la colonie britannique (1938), la propagande culturelle est déjà largement prise en charge par le British Council. Ainsi, la colonie n’occupera pas la place qui aurait pu lui revenir dans la mise en application d’une offensive culturelle britannique en France. Et ce, d’autant plus que les agents de la promotion culturelle en poste à Paris écartent implicitement cette possibilité. A la veille de la Seconde Guerre, le directeur de l’Institut britannique Granville Barker présente la colonie britannique comme essentiellement composée à cette date d’hommes d’affaires peu sensibles aux questions culturelles42. Il avoue n’avoir aucun contact avec la Chambre de commerce et confesse une profonde méconnaissance de l’importance quantitative et de la composition socioprofessionnelle de la communauté britannique43. Le représentant du British Council à Paris, Henry Noble Hall, fait un aveu similaire à la même date44. Apparemment, ni l’un ni l’autre ne s’est soucié d’établir de liens directs avec les sujets britanniques installés à Paris, même avec les plus actifs. Dans ce cas, il semble plus intéressant de travailler avec des associations qui considèrent que favoriser une meilleure compréhension des Britanniques, de leur mentalité, de leur mode de vie, est le plus sûr moyen de les rendre attachants et d’inscrire dans la durée l’amitié franco-britannique. 41 Lord Tyrrell au Foreign Office, 16 mars 1931. - FO 395/449, P.R.O. Cependant, certains membres de la communauté britannique contribuent à l’action culturelle britannique en France. Voir infra. 42 Granville Barker à Bridge, 3 juin 1938. - BW 31/2, P.R.O. 43 Granville Barker à Bridge, 28 juillet 1938. - BW 31/14, P.R.O. 44 Noble Hall avoue son impuissance à donner une estimation fiable de ce qu’est la “ colonie britannique ” dans son ensemble, arguant du fait que les catégories modestes en particulier sont difficiles à évaluer. Selon lui, “ Un certain nombre de soldats britanniques se sont installés en France après la guerre et ont épousé des Françaises. Ils occupent souvent des emplois modestes et leur épouse travaille comme modiste, couturière, etc. Ces familles [...] sont assimilées à la seconde génération. ”. Note on Paris British School, 14 décembre 1938. - Ibid. Il existait cependant des recensements. 32 1.2 Des liens avec les associations anglophiles : l’exemple de l’association France-Grande-Bretagne Née en 1916, France-Grande-Bretagne se présente comme un lieu de sociabilité pour élites françaises et britanniques, dont l’objectif est de maintenir et renforcer le lien franco-britannique forgé dans l’épreuve de la Première Guerre mondiale, en s’appuyant sur le mouvement millénaire de convergence entre deux peuples attachés aux mêmes valeurs sociales et à l’origine communes. Afin de contribuer à établir un esprit de compréhension mutuelle, France-Grande-Bretagne intervient dans le sens d’un renforcement des liens francobritanniques sur divers dossiers d’actualité : les échanges économiques, le développement des transports (le tunnel sous la Manche), les relations intellectuelles (bourses, échanges interfamiliaux), le culte du souvenir des souffrances communes (commémorations, adoptions par les communes britanniques de communes françaises sinistrées par la guerre), l’entente politique sur la scène internationale. Son influence se veut alors discrète, et ses initiatives complémentaires de celles des pouvoirs publics. Son rayon d’action s’élargit graduellement à la province, où elle dispose d’un réseau de sections locales qui s’élargit à la veille de la Seconde Guerre et traduit un dynamisme accru par les événements internationaux. Son action se développe grâce à des relations privilégiées avec l’élite britannique francophile en France et en Grande-Bretagne (existence d’une “ association-sœur ”, Great-Britain-France) et les institutions chargées de mieux faire connaître la culture britannique en France45. Ainsi, se rapprocher de France-Grande-Bretagne constitue également pour l’ambassade un autre moyen d’atteindre cet ensemble de ressortissants britanniques installés en France qui ont parmi leurs préoccupations la consolidation des liens entre les deux peuples. En effet, les Britanniques constituent environ 15 % des membres recensés de l’association. Ce sont en majorité des hommes d’affaires, et par leur intermédiaire, France-Grande-Bretagne entretient des relations suivies avec la chambre de commerce britannique, à l’époque organe de représentation officieux de la communauté britannique parisienne46. France-Grande-Bretagne établit des relations cordiales avec l’ambassade britannique. Lorsqu’en 1925 est lancée l’idée d’organiser périodiquement un banquet en l’honneur de personnalités britanniques, le choix de l’Ambassadeur en poste parmi les invités 45 C. OKRET, La “ culture de l’esprit d’Entente cordiale ” : l’association France-Grande-Bretagne (1919 - 1940), thèse de l’Ecole nationale des chartes, 1997. 46 Id., chapitre 2, p. 41 sq. Voir la position de thèse, p. 243. 33 possibles s’impose47 comme une nécessité à caractère officiel autant qu’officieux. Il s’agit de connaître les sentiments du gouvernement britannique sur l’actualité diplomatique et de cultiver les liens avec l’ambassade. Puis c’est chaque nouvel Ambassadeur dès sa prise de fonctions en France que l’association s’efforce d’inviter, en guise de bienvenue, pour affirmer sa volonté de travailler en collaboration avec l’ambassade48, et éventuellement pour avoir la primeur de déclarations “ fracassantes ”. Le secrétaire général de l’association Jacques Arnavon ne cache pas à son homologue de Great-Britain-France l’intérêt pratique de telles relations : “ [...] l’autorité d’une ambassade de l’importance de celle de l’Angleterre nous donne en plus, vis-à-vis des administrations françaises, un standing particulier et une influence qui peut parfois nous servir beaucoup. ”49 Ces réceptions contribuent à conférer à l’association une légitimité d’influence et d’action, et la stature d’un forum de discussion sur les relations franco-britanniques. Cependant, l’association ne prend pas beaucoup de risques. Outre les Ambassadeurs de Grande-Bretagne en France, qui prononcent des paroles généralement apaisantes et réaffirment régulièrement l’importance de la bonne tenue du lien franco-britannique, elle invite de préférence à son banquet annuel des hommes politiques francophiles - l’ancien chancelier de l’Échiquier sir Robert Horne (1932), Winston Churchill (1933), l’ancien chambellan du Roi Lord Cromer (1938)50 - ou des intellectuels n’abordant pas de sujet politique - Kipling (1931) et le chimiste William Pope (1935). La pression de l’actualité justifie les invitations des Ministres de la Guerre en exercice Alfred Duff Cooper (1936) et Hore Belisha (1939)51. Sur le plan culturel, s’instaure entre France-Grande-Bretagne et l’ambassade une coopération que les archives du Foreign Office ne font apparaître qu’au début des années 1930, ce qui est assez tardif52. En présentant l’organisation future de la propagande culturelle en France, Lord Tyrrell précise avoir consulté le secrétaire de l’association, qu’il cite au premier rang des organismes culturels français avec lequels il travaille53. En faveur de ce lien 47 Comité exécutif du 5 février 1925, France-Grande-Bretagne, n° 45, avril 1925, p. 6. Camerlynck confie à Townroe qu’il faut “ surtout être les premiers à le [Lord Tyrrell] recevoir à Paris, avant d’autres sociétés, dont l’une au moins nous a déjà devancés dans des conditions suspectes ”. Camerlynck à Townroe, 20 février 1928. - Service des Œuvres, carton 116, M.A.E. Lord Tyrrell est ainsi reçu dès sa nomination en France en 1928. France-Grande-Bretagne, n° 80, novembre 1928, p. 6-12. 49 Arnavon à Townroe, 11 mars 1931. Service des Œuvres, carton 117, dossier “ Correspondance avec G.B.F. 1931 ”, M.A.E. 50 Sir Robert Horne et Lord Cromer sont également administrateurs de la Compagnie de Suez. 51 Les comptes rendus de ces banquets sont donnés dans le numéro de juillet-août de l’année considérée. 52 Cela ne signifie pas que l’ambassade ne connaissait pas France-Grande-Bretagne auparavant. Cela n’était pas le cas. Cependant, d’après les archives du Foreign Office, aucun lien suivi n’apparaît avant 1930. 53 Lord Tyrrell au Foreign Office, 16 mars 1931. - FO 395/449, P.R.O. 48 34 jouent non seulement les objectifs de l’association mais aussi la protection active que lui accorde la Compagnie du canal de Suez, qui est un gage de sérieux et d’influence. Ainsi, l’activité de l’association est vue avec bienveillance par les diplomates britanniques en poste en France54.. Cependant, à la date où ce memorandum est écrit, les actions communes sont bien faibles : selon l’Ambassadeur, elles se limitent à la parution dans le bulletin de courtes notices consacrées à une douzaine de titres parmi les meilleurs livres anglais édités dans le mois. En fait, la rubrique “ Bibliographie ” du bulletin comporte parfois à partir d’avril 1931 une longue liste de titres, qui peut aller jusqu’à une cinquantaine. Les recommandations de l’ambassade peuvent rendre compte de ce soudain gonflement de la rubrique, qui s’avère d’ailleurs irrégulier par la suite. Les livres sont répartis en sections thématiques couvrant une variété de centres d’intérêt, des publications officielles aux fictions en passant par la science, la politique, la poésie... Sont indiqués pour chacun le titre, l’auteur, l’éditeur, le prix en livres sterling. Sont particulièrement signalés les ouvrages considérés comme les plus intéressants (*), les éditions de luxe (**), les réimpressions (r). Mais ces listes ne sont pas accompagnées de notices. En outre, cet opuscule ne fait pas l’objet d’une large diffusion. Il est distribué auprès des adhérents de France-Grande-Bretagne, estimés à environ 3 050 vers 1938 – 193955. En 1931, il était envisagé de le rendre disponible dans les bibliothèques de gare, les stations balnéaires et les régions touristiques56. Mais nous n’avons pas d’indication sur la réalisation effective de ce projet. Aussi la distribution restreinte de France-Grande-Bretagne n’en fait-elle pas un vecteur efficace de promotion culturelle britannique, même si ses auteurs ont l’ambition d’en faire les “ archives de l’amitié francobritannique ”57, dépassant ainsi le simple statut d’organe de liaison entre les membres de l’association. Cette collaboration est positive dans son principe, mais les liens sont très lâches, et l’ambassade ne peut faire reposer sa politique de propagande culturelle sur une association étrangère, sur laquelle elle n’exerce aucune influence. En revanche, pour être d’envergure limitée, la Travel Association se présente comme un outil de promotion culturelle aux potentialités réelles. 54 En témoigne l’adhésion de trente diplomates et agents consulaires britanniques à France-GrandeBretagne. 55 C. OKRET, op.cit., p. 28 – 33. 56 Ibid., p. 60. 57 Ibid., p. 59. 35 2.- LA TRAVEL ASSOCIATION : UNE PROMOTION CULTURELLE PLUS DÉTERMINÉE MAIS FINANCIÈREMENT LIMITÉE Il est significatif de voir les premiers efforts réels de la Grande-Bretagne pour créer une structure vouée à la promotion culturelle se placer sous le signe du voyage. En effet, à la différence d’un organisme tel que l’Institut britannique, qui ne fait que reprendre le système de centres d’enseignement de la langue développé par la France avec l’Alliance française en s’appuyant sur le principe de la connaissance de la langue d’un pays pour avoir accès à sa culture, la démarche de la Travel Association est plus originale, car elle traduit la propension britannique (plus que française) à faire des séjours à l’étranger pour le tourisme de loisir ou les voyages d’affaires. Mais pour déterminée qu’elle soit, elle se heurte aux difficultés financières nées d’un budget trop étroit pour ses ambitions. 2.1 Une action déterminée La Travel Association (T.A.) naît en décembre 1928 à l’initiative d’hommes d’affaires dynamiques désireux de développer leurs intérêts à l’étranger et de favoriser les séjours touristiques sur le sol britannique, selon un lien établi entre tourisme et commerce. Lord Derby, qui est l’un des fondateurs58, définit ainsi son objectif : “ favoriser la compréhension entre les peuples par les contacts personnels et [...] les affaires. ”59 D’abord créée sous des auspices privés, la T.A. suscite rapidement l’intérêt du ministère du Commerce Extérieur (Department of Overseas Trade) qui souhaite l’utiliser comme agence spécialement chargée de la promotion des produits britanniques à l’étranger. Alors qu’à l’origine il était envisagé une forme de coopération étroite entre la T.A. et les missions diplomatiques et commerciales en poste à l’extérieur, la solution retenue en dernier ressort est celle d’agents locaux nommés dans les régions les plus importantes pour disposer d’une plus grande autonomie. Cependant, une collaboration s’instaure avec le service de presse du Foreign Office pour coordonner les actions, éviter les doubles emplois. 58 Lord Derby est par ailleurs président des Associations of Great-Britain and France. “ The promotion of international understanding through personal contacts and [...] business. ” P.M. TAYLOR, The projection of Britain - British overseas publicity and propaganda, 1919-1939, Cambridge, 1981, chap. III : “ Commercial propaganda and the concept of national projection ”. 59 36 Ainsi, la T.A. possède dès ses débuts des liens avec les sphères privée et publique. Cette caractéristique se retrouve dans l’origine de ses recettes budgétaires : des adhésions privées en majorité, des subventions locales (un tiers du total en 1931), et une aide gouvernementale de 5 000 £. Cette dernière marque la première reconnaissance officielle en temps de paix de la nécessité de mieux faire connaître la Grande-Bretagne à l’étranger. Cette prise de conscience n’est pas sans rapport avec une sensation de déclin du pays liée à la persistance de la crise. Les premiers bureaux sont ouverts en 1929 à Buenos-Aires et New-York, puis à Paris en mars 1931. Le directeur en est Henry Noble Hall, correspondant du Times ayant couvert entre autres événements la conférence de la Paix en 191960. Les liens de la T.A. avec l’ambassade de Grande-Bretagne en France sont manifestes, comme en témoigne la composition du comité consultatif de Paris61. Cet organe est chargé de mettre au point les grandes lignes de la politique de propagande qui sera ensuite mise en œuvre par Noble Hall62. Sont présents à chaque réunion le conseiller commercial de l’ambassade (Cahill) ou / et son secrétaire (Yeames), et le consul général de France (Rowley). Y assistent également des membres de la colonie britannique : les correspondants du Times (Daniels) et du Daily Mail (Cardozo), des représentants de sociétés dont l’activité est liée au tourisme - Thomas Cook, White Star Line, Southern Railways, London Midlands Scottish Railways -, le secrétaire du comité britannique de la Chambre de commerce internationale. Cette partie de la communauté britannique est donc étroitement associée à la définition d’une politique de propagande qui se confond pour elle avec de la stratégie commerciale63. Il est d’ailleurs question d’y associer des Britanniques installés en province, auxquels seraient envoyés des textes de conférences accompagnés de diapositives, en attendant de disposer d’un budget suffisant pour effectuer des déplacements. En effet, la question financière limite considérablement l’activité de Noble Hall. 60 Curriculum vitae d’Henry Noble Hall. - Service des Œuvres, carton 106, M.A.E. Le témoignage de Lord Derby confirme aussi ce point. Évoquant le travail de Noble Hall, Lord Derby déclare qu’“ il a depuis un certain temps une activité importante de nature générale et culturelle à la demande expresse de l’ambassade ”. Lord Derby à Lord Tyrrell, 1er février 1935. British Council : Finance and Agenda Committee, 5 février 1936. - BW 69/1, P.R.O. 62 Les comptes rendus des réunions un, deux, quatre et cinq ont été conservés parmi les archives du consulat britannique à Paris. - FO 561/107, P.R.O. 63 Il faut signaler la présence au sein de ce Comité de quelques personnes représentant les intérêts américains dans les mêmes secteurs : journalisme (New York Herald, New York Times) et tourisme (le directeur d’American Express Europe). - Ibid. 61 37 2.2 Une collaboration qui reste indispensable avec le réseau anglophile Le bureau de Paris possède un champ d’action théorique très vaste : l’Europe francophone (France, Belgique, Luxembourg, Suisse romande). Son budget, 2 000 £, est assez mince pour pouvoir couvrir un tel territoire. Le comité consultatif réuni le 16 octobre 1931 examine ce problème et envisage de faire appel à la générosité de la communauté britannique pour le résoudre. Le Local Authorities Publicity Act, qui en 1931 permet aux villes britanniques de participer au financement de la T.A. en échange de publicité touristique, n’apporte qu’un court répit. L’essentiel de l’action de Noble Hall s’effectue donc depuis Paris ou à Paris même, d’où il établit des contacts. Une brochure intitulée Coming Events et faisant le point tous les mois (théoriquement) sur l’actualité culturelle en Grande-Bretagne est distribuée dans les agences de voyages, hôtels, clubs, compagnies de chemin de fer et de transport maritime de voyageurs64. Une note rédigée en 1936 par Noble Hall résume l’essentiel du travail accompli en cinq ans. La T.A. produit des films non commerciaux décrivant les paysages britanniques ainsi que des diapositives, qui sont envoyés par l’intermédiaire du Musée pédagogique aux professeurs qui en font la demande. Le milieu professoral est un des piliers de l’action de Noble Hall, qui fournit aussi des affiches pour orner les salles de classe, et offre toutes sortes de conseils sur le matériel pédagogique à utiliser pour les leçons d’anglais. Il s’agit d’éveiller l’intérêt des jeunes pour la Grande-Bretagne. La presse constitue une seconde cible. En qualité de journaliste Noble Hall connaît bien ce milieu avec lequel il entretient des contacts réguliers, et qu’il alimente en articles à caractère culturel sur la Grande-Bretagne. Par ailleurs, il cherche à développer la publicité faite aux films britanniques ou traitant de sujets britanniques (La vie privée d’Henry VIII, Les trois lanciers du Bengale...)65. Hormis ces deux populations spécifiques (professeurs et journalistes), Noble Hall collabore avec France-Grande-Bretagne. Un tel lien apporte des bénéfices mutuels : pour l’association il est toujours utile d’avoir de bons rapports avec ce type de bureau pour pouvoir obtenir des renseignements variés, d’autre part Noble Hall dispose ainsi du réseau des 64 Les difficultés financières contraignent aux économies assez rapidement après l’installation de Noble Hall en France. La régularité de l’édition de ces brochures en pâtit dans un premier temps. - Ibid. 65 Note de Noble Hall datée du 5 mars 1936. British Council : Finance and Agenda Committee, 8 avril 1936. - BW 69/2, P.R.O. 38 sections locales auprès desquelles il peut faire des conférences. La variété du public de France-Grande-Bretagne et son intérêt pour ce qui est britannique est également un argument de poids. Enfin si l’objectif recherché par les deux organismes est le même, les moyens utilisés sont différents et complémentaires, car ainsi que le note Arnavon, France-GrandeBretagne ne pourrait être “ un service de propagande actif et direct, celle que nous faisons [...] est aussi efficace que possible, mais elle est d’une forme plutôt tranquille et discrète. ”66 La première conférence de Noble Hall mentionnée dans le bulletin FranceGrande-Bretagne est datée du 3 mai 1933. Cela signifie-t-il qu’il n’en aurait prononcé aucune auparavant ? Les comptes rendus du comité consultatif de Paris ne font pas état de manifestations organisées ni même envisagées par Noble Hall, qui s’efforce d’abord de faire connaître la T.A. tandis qu’il négocie l’assistance de Britanniques installés en province pour les conférences. Et la dernière réunion dont il reste des traces s’est tenue le 11 janvier 193267. Il est possible qu’après avoir pris contact avec ceux qui pourraient en bénéficier, Noble Hall ait conçu l’organisation de conférences comme l’étape suivante de son action. Il reste que l’association entre très tôt en relations avec la T.A.. En effet, France-Grande-Bretagne fait état le 4 juin 1931 d’une intervention de Jacques Arnavon à Falaise sur le thème de l’importance des contacts directs entre Anglais et Français pour une meilleure connaissance mutuelle. Il évoque à cette occasion l’existence de la T.A. et commente pour illustrer ses propos un documentaire prêté par Noble Hall, Here and There in the British Isles68.. La première conférence prononcée par Noble Hall devant les membres de l’association traite des vieilles coutumes anglaises. Mais en réalité, le directeur de la T.A. tire très peu parti de l’existence des sections locales : deux conférences à Nice et Marseille en mars 1935, une à Lille en décembre 1936, sur les campagnes anglaises69. La faiblesse de son budget limite-t-elle ses déplacements ? Cela semble être le cas. Une tournée de conférences destinées au grand public est bien entreprise fin octobre - début novembre 1934 dans le SudOuest et l’Ouest de la France (Tours, Poitiers, Bayonne, Toulouse, Bordeaux), mais elle coïncide avec l’inauguration des nouveaux locaux de l’agence70. Elle ressemble fort de ce fait 66 Arnavon à Townroe, 29 janvier 1931. - Service des Œuvres, carton 117, dossier “ Correspondance avec G.B.F. 1931 ”, M.A.E. 67 FO 561/107, P.R.O. 68 “ Chronique de l’Association ”, France-Grande-Bretagne, n° 107, juin 1931, p. 211 sq. 69 “ Chronique de l’Association ”, France-Grande-Bretagne, respectivement n° 145, avril 1935, p. 124 ; n° 162, janvier 1937, p. 17. 70 La tournée se termine le 10 novembre, et les nouveaux locaux, situés 28 avenue des Champs-Élysées, sont inaugurés le 13 novembre. “ Chronique de l’Entente ”, France-Grande-Bretagne, n° 141, décembre 1934, p. 318 sq. Il est vraisemblable que pour cette tournée, Noble Hall ait pris contact avec les délégués locaux de France-Grande-Bretagne. 39 à un gros effort promotionnel, tout à fait exceptionnel, et qui ne se reproduit pas pendant cette période 1931-1936. Les autres activités de Noble Hall mentionnées dans le bulletin se déroulent à Paris. Et à l’exception de l’aide apportée lors de la préparation des Quinzaines de langue anglaise, aucune autre trace d’action commune avec France-Grande-Bretagne n’est évoquée71. Quelques conférences sont prononcées devant un auditoire de membres de la Société de propagation des langues étrangères, de l’Accueil franco-britannique, de l’association Paix par la jeunesse, l’Union interalliée72. Après un rapide examen des cinq années de Noble Hall passées à la tête du bureau parisien de la Travel Association, il apparaît d’une part que ses activités sont fortement limitées par le faible budget dont il dispose. Elles se déroulent essentiellement par correspondance, et Noble Hall lui-même ne se déplace qu’exceptionnellement hors de Paris. D’autre part, le personnel dont il a la charge semble être réduit à une secrétaire (aucun autre assistant - indépendant de l’ambassade - n’est mentionné), et le matériel dont il aurait besoin pour élargir son champ d’action lui fait cruellement défaut. En témoigne cette note-bilan rédigée à l’attention du British Council qui se conclut par la demande d’un assistant, d’un projecteur 16 mm sonore et d’une voiture pour pouvoir aller en province73. En outre, bien que des liens réguliers aient été noués avec France-GrandeBretagne, l’association n’est que l’un des partenaires utilisés par Noble Hall pour remplir sa tâche. Organisme relativement ancien et bien établi, elle lui donne accès à une élite et à un public anglophile qu’il est nécessaire de ne pas négliger, de cultiver, mais qui ne constitue pas par définition la cible privilégiée de son action. De même pour l’Accueil franco-britannique et l’Union interalliée, où Noble Hall est en terrain conquis. Par ailleurs, l’étroitesse de sa marge de manœuvre budgétaire l’empêche de mettre pleinement à profit l’existence des sections locales pour resserrer les liens avec France-Grande-Bretagne, avec un éventuel bénéfice réciproque si les conférences sont publiques (des adhérents pour les sections, et un auditoire plus divers pour Noble Hall). 71 Cependant, France-Grande-Bretagne écrit pour Noël 1935 un article dans la revue de la T.A., Coming Events, pour inciter ses membres à se rendre en Grande-Bretagne. “ Chronique de l’Entente ”, France-Grande-Bretagne, n° 151, décembre 1935, p. 340 sq. 72 “ Chronique de l’Entente ”, France-Grande-Bretagne, respectivement n° 142, janvier 1935, p. 18 sq. ; n° 144, mars 1935, p. 97 sq. ; n° 151, décembre 1935, 340 sq. ; n° 161, décembre 1936, p. 321. 73 Note de Noble Hall datée du 5 mars 1936. British Council : Finance and Agenda Committee, 8 avril 1936. - BW 69/2, P.R.O. 40 * Ainsi les premières actions culturelles britanniques en France sont menées sous l’égide de l’ambassade, par le biais d’institutions qui prennent en charge ces activités. Si la mission diplomatique se concentre sur le développement de liens de sociabilité en encourageant par exemple les initiatives de groupements anglophiles, la promotion culturelle réalisée par les Britanniques eux-mêmes ne prend forme qu’avec l’instauration de “ bras séculiers ”. Il faut distinguer deux volets dans cette campagne de promotion : l’éducation et les arts (pour simplifier). Jusqu’à l’arrivée du British Council, les efforts réalisés dans ces deux domaines d’activité complémentaires sont le fait d’organismes agissant tout à fait séparément. L’ambassade peut se poser en coordinatrice de ces actions. La diffusion de connaissances sur les arts et la civilisation britanniques font l’objet des premières initiatives prises par la Travel Association. Mais il faut attendre l’intervention du British Council, peu résolu à faire porter d’importants efforts de propagande culturelle en direction de la France, pour voir Noble Hall disposer de meilleures conditions financières dont il saura tirer parti au profit de cette nouvelle structure dédiée à l’action culturelle à l’étranger. Cependant, l’éducation n’est pas délaissée, et l’ambassade supervise la création d’un Institut britannique qui, de la même façon que la T.A., est d’origine privée, mais qui assume avec la bénédiction officielle les tâches de promotion de la langue anglaise. 41 CHAPITRE 2 L’INSTITUT BRITANNIQUE DE PARIS : LE VOLET ÉDUCATIF DU DISPOSITIF Lorsqu’est créé l’Institut britannique de Paris, ce type de structure n’est pas inédit parmi les instruments de promotion culturelle. La France se révèle pionnière lorsqu’elle en ouvre un en 1908 à Florence, sur l’initiative d’un professeur de l’université de Grenoble, et lui assure un soutien financier gouvernemental. Le concept d’institut culturel offre un modèle d’organisation et de fonctionnement qui devait inspirer la formation des bureaux du British Council à l’étranger : ses représentations sont alors fondées sur le principe d’un centre proposant des cours de langue et de civilisation, une bibliothèque, et des événements socio-culturels (expositions, conférences ...). C’est également à Florence qu’est fondé le premier institut britannique en 1917. Il reçoit l’appui financier du gouvernement jusqu’en 1921, puis survit grâce aux dons de Britanniques fortunés jusqu’en 1923, date à laquelle lui est finalement octroyé une Charte royale portant témoignage de l’importance de son activité74.. Toutefois, l’Institut britannique de Paris présente une originalité, en ce qu’il ne résulte pas d’une initiative officielle, mais trouve son origine dans la communauté universitaire française. Ses sources d’alimentation budgétaires sont largement privées (dons) et si l’ambassade du Royaume-Uni est étroitement liée à sa naissance et à son fonctionnement, sa tutelle est exercée par l’Université.. Il faudra attendre la guerre pour voir évoluer cette situation dans le sens d’un plus grand contrôle public - indirect - par l’intermédiaire d’une nécessaire participation du British Council à son fonctionnement et à son financement. 74 J.M. MITCHELL, op cit, p. 45-47. 42 Entre temps, la création de cet Institut aux structures de gestion originales permet de donner une consistance au volet éducatif de la politique de promotion culturelle britannique en France. 1.- UN CENTRE DE PROMOTION DE LA CULTURE BRITANNIQUE HISTORIQUEMENT LIÉ AUX ÉLITES UNIVERSITAIRES PARISIENNES Le poids de l’université de Paris dans l’administration de l’Institut Britannique tient à la genèse du projet. Bien que confirmé dans l’acte de fondation de l’Institut, il est cependant fragilisé à la base par les zones d’ombre contenues dans ce document. Toutefois, dans l’entre-deux-guerres, l’Institut s’affirme comme le principal centre de promotion de la culture britannique, avec la bienveillance de l’ambassade du Royaume-Uni en France. 1.1 L’Institut britannique : une initiative née dans la communauté universitaire parisienne L’idée de créer un Institut britannique repose sur un constat : l’inexistence à Paris d’un centre spécifiquement dédié à l’étude de la culture britannique. Certes, des cours de langue vivante et de civilisation étaient dispensés à la Sorbonne, mais ils étaient de caractère essentiellement théorique. Pour leur conférer un complément pratique, un professeur d’anglais, Miss Edith Williams, entreprend dès 1891 d’organiser chez elle des réunions hebdomadaires au cours desquelles la pratique de l’anglais est déclinée sous forme de discussions sur des sujets d’actualité ou littéraires. Ces réunions obtiennent un certain succès auprès d’étudiants étrangers, de professeurs de lycée et de résidents britanniques. La promotion de la langue anglaise s’articule ainsi autour d’un foyer librement fréquenté. L’appui des pouvoirs publics se révèle cependant indispensable pour consolider cette initiative et permettre un élargissement de son rayon d’activité. Il se justifie par la prise de conscience de l’importance de la langue comme vecteur de diffusion culturelle, et non plus seulement comme langue de commerce75. Miss Williams acquiert ainsi le soutien de l’Ambassadeur du Royaume-Uni en France, Lord Dufferin, puis du ministère de l’Instruction publique, qui lui octroie deux salles au Musée pédagogique. 75 C. DOKA, Les relations culturelles sur le plan international, Neufchâtel, 1959, p. 32 43 Ainsi se forme un embryon de centre culturel baptisé Guilde francoanglaise, avec une salle réservée aux conférences et la seconde occupée par une bibliothèque. Se mettent progressivement en place des cours de langue française pour les étudiants étrangers, et de langue anglaise pour les Français. Les cours de ces deux sections française et anglaise représentent un complément aux enseignements de la Sorbonne. L’université offre un soutien pédagogique à la Guilde, par la participation de certains de ses professeurs aux cours, et à l’organisation des épreuves d’un diplôme de civilisation française sanctionnant l’assiduité aux cours de français76. Toutefois, le maintien de la qualité de l’enseignement proposé à la Guilde exige l’instauration de liens avec les universités britanniques. Cette volonté de renforcer les rapports avec les institutions éducatives d’outre-Manche s’exprime vers le milieu des années 1920, en un temps où sont formulés (ou reformulés) différents projets connexes. En effet, Auguste Desclos, chargé des relations avec l’Angleterre à l’O.N.U.E.F. avait déjà songé à un tel rapprochement avec les universités britanniques et avait déjà engagé des discussions avec l’université de Londres. En Grande-Bretagne, un comité présidé par un professeur de l’université de Cambridge, Sir Charles Walston, entretenait l’idée de favoriser la création d’un Institut britannique similaire à celui ouvert à Florence. L’ambassade du Royaume-Uni était également prête à soutenir la création d’un centre doté de moyens importants pour favoriser la promotion culturelle britannique en France, puisque le Foreign Office semblait considérer avec une certaine bienveillance la notion de promotion culturelle (même si celle-ci était reliée à des profits commerciaux)77.. Deux organisations françaises sont également consultées sur ce projet : l’O.N.U.E.F. et l’association France-Grande-Bretagne, dont des représentants assistent en compagnie de Lord Derby, de l’Ambassadeur Lord Crewe et de son conseiller commercial Robert Cahill à la réunion du 1er novembre 1926 à Londres, qui marque une étape décisive dans la réalisation de l’Institut. Il est décidé de créer un centre à caractère socio-éducatif, composé d’un collège d’enseignement et d’un lieu de réunion pour Anglais et Français78. Dans un second temps, est constitué un comité dont la tâche est de rassembler les fonds nécessaires à la naissance de l’Institut. Un mois après, le Comité exécutif de France-Grande-Bretagne estime que les fonds déjà recueillis permettront son ouverture à la 76 Ce diplôme, “ Diplôme d’études françaises ”, fut reconnu par le ministère de l’Education britannique. Voir dans le chapitre 1 l’origine de la politique de promotion culturelle britannique en France après la Première Guerre mondiale. 78 “ Comité des relations intellectuelles ”, France-Grande-Bretagne, n° 60, novembre 1926, p. 17. 77 44 rentrée 192779. Fin janvier 1927, la somme des dons versés ou promis se monte à 40 000 £, soit le double du chiffre enregistré fin novembre. (L’objectif à atteindre est 120 000 £). Parmi les donateurs, on peut relever des noms de personnes privées et sociétés particulièrement sensibles aux œuvres de rapprochement franco-britannique : la Compagnie de Suez (4 000 £), Lord Derby (1 200 £), Lord Crewe (1 000 £), la Barclays Bank (branches britannique et française, 1 000 £), le baron d’Erlanger (1 000 £), la banque Lazard brothers and Co Ltd (1 000 £)...80 Un second comité est chargé de réfléchir à l’organisation future de l’Institut81. L’O.N.U.E.F. propose de faire de la Guilde (avec l’assentiment de celle-ci) le noyau du futur Institut, d’en faire don à l’université de Paris et de le rattacher aux universités de Paris et de Londres82. Lord Crewe est en mesure le 22 février de signer avec le recteur Charléty l’acte établissant la naissance de l’Institut britannique. Celui-ci est ainsi créé sous les doubles auspices de l’ambassade et de l’université de Paris, mais il est remis à l’université à laquelle la Guilde appartenait83. Il est inauguré le 17 janvier 1928. La mise de l’Institut sous la tutelle de l’Université signifie l’officialisation de relations déjà étroites dans les faits. La reconnaissance de l’autorité universitaire, qui n’est certes pas écrasante, s’inscrit dans l’acte de fondation. 1.2 Sous le contrôle statutaire de l’Université de Paris L’acte de fondation, rédigé à l’O.N.U.E.F., est accepté par l’université de Paris le 22 février 1927. Le 5 mai 1927, après avis conforme du Conseil d’Etat, il fait l’objet d’un décret publié au Journal Officiel. Cet acte enregistre la donation des 300 000 F rassemblés par le Fund for the British Institute in Paris à l’université de Paris pour créer 79 Un peu moins du cinquième de la somme prévue est recueillie (20 000 £ sur 120 000). Comité exécutif du 23 novembre 1926, France-Grande-Bretagne, n° 62, janvier 1927, p. 13. 80 “ Comité des relations intellectuelles ”, France-Grande-Bretagne, n° 63, février 1927, p. 16-17. Ces donateurs contribuent au financement des activités de France-Grande-Bretagne. Voir C. OKRET, op. cit. 81 Sur les quarante-deux membres de ce comité, quatre seulement sont français : l’Ambassadeur de France à Londres, le secrétaire général de l’association France-Grande-Bretagne Gustave Camerlynck, Charles PetitDutaillis en qualité de directeur de l’O.N.U.E.F., accompagné de Desclos dont l’activité en faveur du développement des échanges interscolaires est ici reconnue. “ Comité des relations intellectuelles ”, France-Grande-Bretagne, n° 62, janvier 1927, p. 10. 82 L’Institut britannique de l’université de Paris (The British Institute in Paris), publié par l’Institut britannique à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa fondation, 1952. 83 La Guilde avait été fondée par un maître auxiliaire chargé de cours à la Sorbonne, Miss Williams. Reprise par Miss Burt et Melle Clanet, elle a été mise à la disposition de l’Institut. 45 l’Institut dont le nom officiel est “ Université de Paris, British Institute in Paris, Institut britannique de Paris ”. Il affirme la prééminence originelle de l’université parisienne dans la gestion de la fondation. Le nom même de l’Institut désigne cet état de fait, par ailleurs consacré par l’acte. L’université est propriétaire des locaux occupés par l’Institut. Elle se doit d’acquérir les locaux de l’ex-Guilde - 6, rue de la Sorbonne - et les lui affecter “ exclusivement et perpétuellement ”, après les avoir mis en état. Si ces locaux s’avèrent inadéquats, elle peut procéder sur demande de l’Institut à leur vente afin de faire une nouvelle acquisition immobilière (art. 10). L’agent comptable de l’université reçoit la gestion des fonds placés en France (fonds initiaux, dons éventuels) (art. 16). L’administration générale de l’Institut est confiée à un Conseil d’administration “ sous le contrôle du conseil de l’université de Paris ” (art. 11). Ce Conseil comprend un minimum de quatorze membres de droit, sept britanniques, sept français. Parmi les Français se trouvent quatre représentants de l’université (le Recteur, le Doyen de la faculté de Lettres, un professeur de littérature anglaise, un professeur de littérature française). S’y ajoutent le président de la Cité universitaire84, un Directeur d’école d’enseignement supérieur publique, un membre de société anglophile. Côté britannique, les représentants des services éducatifs britanniques sont au nombre de trois (un représentant du Board of Education, deux représentants des universités britanniques). Siègent avec eux l’Ambassadeur de GrandeBretagne en France, le Consul général de Paris, le directeur de la Chambre de commerce britannique, et un membre d’association francophile. Un maximum de six autres personnalités peuvent être invitées à prendre place au Conseil. Ses fonctions précises ne sont pas décrites. Il apparaît pertinent de penser que les questions pédagogiques tiennent une grande place dans ses préoccupations, aussi le choix du directeur de l’Institut est-il subordonné à son accord. Ce Conseil est assisté par “ un organisme correspondant constitué selon la législation anglaise, ayant son siège à Londres ” (art. 12). Cette description pour le moins sibylline n’acquiert pas fondamentalement davantage de précision dans la version remaniée de l’acte de fondation85 : une “ société anglaise sans but lucratif dite ‘British Institute in Paris’ ”. 84 La construction d’une Cité universitaire est alors prévue. Voir note suivante. Cette version date de 1932. Le remaniement s’explique de la manière suivante : l’Institut britannique s’engageait dans la version de 1927 à construire un collège britannique à la Cité universitaire. Lorsque l’université - détentrice des fonds de l’Institut - s’aperçut qu’elle ne possédait pas suffisamment de fonds pour 85 46 Le principe de composition de cet organe n’est pas énoncé. La définition de son rôle est également des plus vagues : il a “ le soin d’assister [le Conseil d’administration] auprès des institutions scolaires et autorités britanniques ainsi que du public britannique pour les diverses fins auxquelles est destinée la Fondation ” (art. 12). Il est vraisemblable que cette branche anglaise (baptisée Comité exécutif par la suite, ou Comité de Londres) fait la liaison avec les universités et le ministère de l’Éducation britanniques. De par son statut de société, elle possède la capacité de gérer d’éventuels fonds placés en Grande-Bretagne, à la suite d’un don par exemple. Dans un rapport rédigé en 1939, le directeur en titre, Hugh Sellon, se dit responsable devant le comité exécutif86. Mais il n’est pas précisé de quelle sorte de responsabilité il s’agit. Sous réserve de trouver une confirmation écrite, il est possible que cette allégeance soit davantage le résultat d’un usage ou d’une décision unilatérale du directeur. En effet, le représentant du British Council, David Howell, évoque dans une lettre à son supérieur Johnstone la mauvaise entente régnant avant la guerre entre l’université et les directeurs successifs de l’Institut qui semblaient faire preuve de beaucoup d’indépendance vis-à-vis de leur tutelle parisienne87. Peut-être se considéraient-ils plutôt liés à la branche britannique. Toujours est-il que les pouvoirs du Comité exécutif semblent bien maigres en regard de ceux du Conseil d’administration. Mais d’un point de vue général, il faut remarquer le degré d’imprécision touchant à la répartition des pouvoirs entre les deux unités d’administration dans l’acte de fondation de l’Institut. Parallèlement, l’Institut britannique est statutairement tenu de favoriser le rapprochement culturel franco-britannique, domaine dans lequel il acquiert une légitimité incontestée en tissant des liens solides avec les milieux élitaires anglophiles. faire face à cet engagement, l’acte de fondation fut modifié pour substituer à la promesse de construction la promesse d’une participation financière à la construction de ce collège. Voir annexe n° 6. 86 British Institute in Paris, report by the Director [Hugh Sellon], 7 octobre 1939. - BW 31/4, P.R.O. 87 Howell à Johnstone, 20 octobre 1947. - BW 31/25, P.R.O. 47 2.- LE DÉVELOPPEMENT DU VOLET ÉDUCATIF DANS LE DISPOSITIF DE PROMOTION CULTURELLE A sa fondation, l’Institut constitue l’unique outil de promotion culturelle existant pour remplir cette mission, et en raison de la crédibilité scientifique dont le revêt la participation de l’Université à son fonctionnement, il est destiné à rester une pièce maîtresse du dispositif d’action culturelle en France. Il noue alors une coopération fructueuse avec l’association France-Grande-Bretagne afin d’élargir son public d’étudiants. 2.1 Le rôle central de l’Institut britannique dans la diffusion de la culture britannique L’acte de fondation de l’Institut précise les deux missions complémentaires qui lui sont assignées : en premier lieu “ continuer et développer l’enseignement actuellement donné par la Guilde internationale, de manière que cet enseignement reste le complément pratique des leçons données à la Faculté (enseignement double anglais aux Français et français aux Anglais) ”, et en second lieu “ répandre à Paris, dans le grand public, la connaissance et le goût des choses anglaises par des cours, des conférences et tous les autres moyens adéquats ”88. Les activités de l’Institut tendent rigoureusement vers ces deux objectifs, mêlés dans la rédaction de l’acte. L’approche éducative est de fait considérée comme une méthode efficace pour étendre la connaissance de la civilisation britannique en France. L’animation des sections de français (pour Anglais) et d’anglais (pour Français) y concourent, ainsi que la création de cours par correspondance qui connaissent un grand succès en particulier en province. En 1935-1936, on compte 289 inscrits au département de français, dont 18 par correspondance, et 837 étudiants au département d’anglais, dont 331 par correspondance89. Ainsi qu’il est prévisible en France, la section d’anglais, qui comprend quasiment trois fois plus d’inscrits que la section de français, a davantage de succès. Cependant, le nombre de Britanniques souhaitant approfondir leur connaissance du français n’est pas négligeable. Si l’on considère le nombre de Britanniques inscrits dans les 88 Acte de fondation, version modifiée de 1932, article 9. - Boîte 8, archives du B.I.P. Reproduit en annexe n° 6. 89 Chairman’s Report 1935-1936. - BW 31/6, P.R.O. 48 établissements d’enseignement supérieur en 1934-1935 – 52390 – on peut avancer l’hypothèse globale qu’au maximum environ la moitié d’entre eux sont potentiellement inscrits à l’Institut. Même si Paris possède des effectifs étudiants largement supérieurs aux villes universitaires de province, il faut nuancer cet ordre de grandeur en lui accordant une simple valeur maximale possible. Les chiffres de fréquentation des sections de l’Institut subissent des mouvements inverses vers la fin de la décennie 1930, puisqu’en 1938, hors inscrits par correspondance, le département d’anglais comprend 613 étudiants (+ 21 %) et celui de français 256 (- 5 %)91. Parmi les cours dispensés, une place plus grande qu’auparavant est accordée aux éléments de civilisation contemporaine. Dans cette même optique, des bourses sont accordées à des étudiants désireux de se rendre en Grande-Bretagne, en particulier grâce au legs Esmond réservé à cet usage. L’Institut instaure également des cours de préparation aux examens nationaux (licence, agrégation), et appuie son effort sur une bibliothèque fournie92. La cohabitation dans ses locaux d’étudiants français et anglais contribue à cette échelle modeste à réaliser des rapprochements, favorisés par l’aménagement d’une salle en club93. Des causeries complémentaires y donnent parfois lieu à des échanges de vues entre étudiants français et britanniques. Par ailleurs, l’Institut britannique se préoccupe de “ formation continue ” en proposant des cours de révision approfondie des connaissances destinées aux professeurs d’anglais. En 1934, 135 professeurs assistent à ces séminaires organisés en Grande-Bretagne, à Londres et Southampton94. Enfin, certains cours sont destinés aux étudiants britanniques en Grande-Bretagne, en particulier pendant les vacances de Pâques, sous les auspices de la section de français qui trouve là son activité principale, par exemple pour les étudiants de Cambridge, d’Oxford, de Bristol ou de Birmingham, ou encore pour les élèves des “ public schools ” d’un niveau inférieur95. Faisant ainsi montre d’un certain dynamisme, l’Institut est immédiatement considéré par l’ambassade comme un vecteur de propagande aux riches potentialités. Dans sa 90 Annuaire statistique de la France, vol. 61, tableau XIV, p. 48. L’Institut britannique de l’université de Paris (The British Institute in Paris), publié par l’Institut britannique à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa fondation, 1952, p. 32. 92 Plus de 4 000 ouvrages hérités de la Guilde, auxquels s’ajoutent les dons de Madame Meyer Sassoon (essentiellement en littérature), et ceux du British Council par la suite. 93 Pour un résumé des activités de l’Institut britannique dans l’entre-deux-guerres, voir : L’Institut britannique de l’université de Paris (The British Institute in Paris), publié par l’Institut britannique à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa fondation, 1952, p. 21-25. 94 Report by Lord Crewe, 6 mars 1935. - BW 31/6, P.R.O. 95 L’Institut britannique de l’université de Paris (The British Institute in Paris), publié par l’Institut britannique à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa fondation, 1952, p. 24. 91 49 dépêche, Lord Tyrrell décrit l’Institut comme le lieu de formation de l’élite de la jeunesse de France et d’Europe. L’influence virtuelle de l’ambassade sur les activités de l’Institut est statutairement reconnue ; l’Ambassadeur est également de droit le président du conseil d’administration de l’Institut. Par ailleurs, le trésorier est alors le conseiller commercial de l’ambassade Robert Cahill. L’Institut britannique prend alors sa place dans le dispositif de propagande prévu par l’ambassade, et son directeur est associé aux réflexions de Lord Tyrrell sur ce point. Il est envisagé une collaboration étroite entre cette institution et France-Grande-Bretagne pour organiser des conférences dans les universités françaises et atteindre les élites96. Cette coopération est facilitée par la présence statutaire d’un représentant d’association dont l’objectif est d’entretenir de bonnes relations franco-britanniques : le président de FranceGrande-Bretagne Louis de Vogüé est nommé membre du conseil d’administration de l’Institut97. Elle produit des réalisations pratiques très réussies avec la co-organisation de cycles de conférences dont la cible dépasse largement le public étudiant. 2.2. Dépasser le public étudiant : la coopération avec l’association France-Grande-Bretagne A l’origine, cette collaboration est ponctuelle, et se traduit par une coordination de séances publiques telles que des causeries suivies de débats, et des conférences de prestige. Puis dès 1933, elle se fait plus régulière avec l’institution de séries de conférences qui exigent une préparation conjointe. En 1928, les premiers projets de coopération entre les deux groupements98 sont de modeste envergure : ce sont des causeries abordant des sujets d’actualité et réunissant un nombre limité de participants. Ainsi en est-il d’une conférence du directeur de l’Institut Stephen Ward, prononcée le 12 décembre 1928 dans la salle du club de l’Institut sur les jeunes d’aujourd’hui. France-Grande-Bretagne prend également l’initiative d’organiser des séances de discussion entre Français et Britanniques (une trentaine de participants) autour 96 Lord Tyrrell au Foreign Office, 16 mars 1931. - FO 395/449, P.R.O. Son homologue britannique Lord Derby est également membre statutaire du Conseil d’administration de l’Institut britannique. Memorandum Townroe relatif à la composition du Conseil d’administration de l’Institut, 19 mai 1938. -, Dossier “ Conseil d’administration 1932-1939 ”, archives du B.I.P. 98 Ces projets sont contenus dans un dossier intitulé “ Institut britannique - causeries ”.. - Service des Œuvres, carton 109, M.A.E. 97 50 d’un thème introduit par un court exposé. En choisissant de tenir réunion dans l’enceinte de la Guilde franco-britannique, l’Association se doit d’y faire participer l’Institut britannique qui exerce une tutelle sur cet établissement. Est ainsi reçu en février 1929 le secrétaire de l’association Great-Britain-France, B.S. Townroe, qui traite de la question du logement en Grande-Bretagne. Lui succède une intervention relative aux procès criminels et à la peine de mort, en mai (soixante-six invités). Des conférences destinées à un public moins restreint sont préparées : le parlementaire H.A.F. Lindsay sur les Indes début 1929, le professeur d’architecture Sir Hubert Worthington sur l’architecte Sir Christopher Wren en décembre 1929, le président de Magdalen College (Oxford) George Gordon sur les vies des auteurs en avril 193099. Pour toutes ces manifestations, France-Grande-Bretagne s’occupe de la publicité : impression de cartons d’invitation, envoi d’annonces relatives aux conférences grand public à la presse non spécialisée100. Cependant, ce rôle de cellule de communication de l’Institut est estimé limité et peu valorisant, et l’association souhaiterait que lui soit dévolue une part plus importante de l’organisation de ces conférences101 qui se veulent prestigieuses, puisqu’elles se tiennent à la Sorbonne. France-Grande-Bretagne offre à l’Institut de prendre en charge la moitié des frais de location de l’amphithéâtre, à l’occasion des venues du professeur Lascelles Abercrombie (les Brontë aujourd’hui), du directeur du zoo de Londres E.G. Boulenger (l’aquarium du zoo de Londres), et du romancier R.H. Mottram (les auteurs d’Est-Anglie) en mars - avril 1931. La réponse n’est malheureusement pas dans les archives, mais il est vraisemblable qu’elle ait été positive, car s’y trouve une lettre de Maurice Guyot (Académie de Paris) informant le secrétaire général de France-Grande-Bretagne Jacques Arnavon des tarifs avantageux pratiqués en sa faveur102. Par la suite, d’autres conférences sont organisées conjointement : en 1937 les hommes de lettres Charles Morgan et John Masefield sont reçus à la Sorbonne103. Cependant, la collaboration entre France-Grande-Bretagne et l’Institut britannique a pris à cette date une forme plus ambitieuse. 99 Worthington ne peut pas venir. Stephen Ward et le président de séance George Risler prennent la parole à sa place. - Sous-dossier “ conférence Worthington ”, Ibid. 100 Lettres circulaires adressées au Temps, au Journal des débats, au Journal, au Petit journal, à l’Écho de Paris, à l’Excelsior, au Figaro, au Petit parisien, au Daily Mail, au Gaulois, à l’Intransigeant, au Matin, à la Liberté. Ces lettres ont été envoyées à l’occasion de la conférence de sir Hubert Worthington. - Ibid. 101 Ward à Arnavon, 27 janvier 1930, note de Fannière attachée. - Sous-dossier “ Conférence George Gordon ”, Ibid. 102 Arnavon à Ward, 20 janvier 1931. Maurice Guyot à Arnavon, 7 novembre 1931. - Service des Œuvres, carton 109, dossier “ Institut britannique - causeries ”, M.A.E. 103 “ Comité des relations intellectuelles ”, France-Grande-Bretagne, n° 161, décembre 1936, p. 300 sq. 51 Destinées à être entendues par un large public, mais aussi choisies pour les éléments complémentaires qu’elles pouvaient apporter aux cours dispensés aux étudiants de l’Institut, les séries de conférences co-organisées par les deux groupements répondent à cette double préoccupation éducative et informative qui résume bien l’essence du travail de chacun d’eux. Par leur thématique majoritairement contemporaine104, elles se situent dans le droit fil de la mission d’information sur la Grande-Bretagne qui leur est dévolue. L’intérêt du British Council pour ces conférences, traduit par l’octroi de subventions, témoigne également de l’existence de ces dimensions (voir infra). La comptabilité d’un de ces cycles reflète un partage des frais relativement équilibré. L’Institut rémunère les conférenciers, paie une partie des affiches et cartes imprimées. France-Grande-Bretagne prend à sa charge la location de l’amphithéâtre, l’impression et l’envoi des cartes restantes105. Les thèmes généraux annoncent l’étude de questions de civilisation britannique contemporaine, à l’exception de la série 1937-1938 : • 1933-1934 : l’Angleterre contemporaine (orientation intellectuelle dominante), • 1934-1935 : la vie politique intérieure, • 1935-1936 : quelques aspects de la vie en Angleterre, • 1936-1937 : la science, • 1937-1938 : la vie et la littérature aux XVIIe et XVIIIe siècles, • 1938-1939 : le visage de l’Angleterre (grande variété de thèmes abordés), • 1939-1940 : l’Angleterre dans l’entre-deux-guerres. Cependant jamais avant 1939 n’est mise en avant la dimension propagandiste de l’Institut. En octobre 1939, Hugh Sellon plaide en faveur de la poursuite des activités de l’Institut en temps de guerre en le proclamant “ centre de la propagande culturelle générale en France ” et en insistant sur les effets psychologiques désastreux que provoquerait sa fermeture. Il évoque même la possibilité d’en faire un foyer pour les soldats britanniques106. En effet, par prudence l’Institut a été fermé le 3 septembre, mais le 104 Sur la coopération de l’Institut britannique avec l’Association France-Grande-Bretagne, voir C. OKRET, op. cit., p. 475-478. 105 Conférences à la Sorbonne, dépenses de 1938, s.d. - Service des Œuvres, carton 111, dossier “ Institut britannique ”, M.A.E. 106 British Institute in Paris, report by the Director, 7 octobre 1939. - BW 31/4, P.R.O. 52 mouvement des troupes allemandes ne semble pas menacer Paris dans l’immédiat, et son comité exécutif réfléchit parallèlement à Sellon aux possibilités de reprise des activités107.. Aucune décision relative à une quelconque participation de l’Institut à un éventuel programme de propagande spécifique n’est prise dans l’immédiat. Sa réouverture et la poursuite de son action éducative demeurent un moyen de propagande qui prend tout son sens avec la présence de troupes britanniques en France. La situation d’attente militaire se prolongeant, l’Institut rouvre ses portes le 6 novembre 1939. Un mois plus tard, il a retrouvé 200 étudiants pour le département d’anglais, alors que le département de français est fermé, les étudiants britanniques ne pouvant plus se rendre en France. Cette chute de la fréquentation conduit la direction de l’Institut à se tourner vers le Council pour compenser la faiblesse correspondante de ses ressources108. Le Council prévoit alors une subvention de 1 000 £ pour l’année financière 1940 - 1941, dont 300 £ octroyées en urgence sur le budget 1939 - 1940109. Mais l’arrêt des combats sur le sol métropolitain sanctionné par l’Armistice du 22 juin 1940, suivi du vote de la mort du régime républicain le 10 juillet, brise l’élan pris par l’Institut après un instant d’hésitation. Lorsqu’il est fermé en juillet110, il avait retrouvé une certaine activité, ainsi qu’en témoignent les 481 inscriptions en section d’anglais (dont 223 par correspondance) au 18 janvier111, et les cours de français diffusés trois fois par semaine sur Radio Paris à l’attention des troupes britanniques stationnées dans la capitale112. Restait à se replier en Grande-Bretagne. * Ainsi la mise en œuvre d’une politique de promotion de la langue et de la culture anglaise est discrètement encouragée par l’ambassade qui trouve en l’Institut le moyen de remplir à peu de frais une tâche qui lui était assignée, puisque le financement de cet organisme est (largement) privé. En coopération avec France-Grande-Bretagne et l’université de Paris, l’Institut peut établir une position privilégiée à la lisière des deux cultures et La position de Sellon est également défendue par Arnavon. Arnavon à Sellon, 9 octobre 1939. - Ibid. British Institute in Paris, emergency meeting, 11 septembre 1939. - Ibid. 108 Report for the British Council - the British Institute in Paris, Townroe à Bridge, 8 décembre 1939. 107 Ibid. 109 Memorandum White, 21 décembre 1939. British Council : Executive Committee, 9 janvier 1940. - Ibid. 110 L’Institut ferme en juillet 1940, lorsque le gouvernement français donne l’ordre d’évacuer l’université. Note de Crewe, Pelham, Townroe du 11 juillet 1940. - Ibid 111 Ce chiffre avait peut-être augmenté entre janvier et le début de l’attaque allemande en mai. 112 Compte rendu du comité exécutif [de l’Institut britannique], rapport de Sellon, 18 janvier 1940. BW 31/4, P.R.O. 53 s’acquitter de sa mission avec fruit113. Cependant, cette propagande reste a priori limitée aux élites universitaires anglicistes et à un public anglophile restreint parisiens. Or le succès d’une promotion de la culture britannique repose sur un effort de conviction élargi aux provinces et sur une offre accrue d’activités susceptibles de toucher le grand public, ce qui nécessite la création d’un bureau spécialement chargé de cette mission. 113 L’Institut bénéficie à la veille de la guerre de la présence dans son conseil d’administration d’un angliciste réputé et membre de France-Grande-Bretagne tel que Louis Cazamian, qui a remplacé Émile Legouis décédé en 1937, ainsi que du président de la Chambre de commerce britannique Maurice Norman qui contribue vraisemblablement aux dépenses de fonctionnement de l’Institut. Memorandum Townroe relatif à la composition du Conseil d’administration de l’Institut, 19 mai 1938. Dossier “ Conseil d’administration 1932-1939 ”, archives du B.I.P. 54 CHAPITRE 3 LE BRITISH COUNCIL : DES MOYENS LIMITÉS, UNE ACTION PRAGMATIQUE La naissance en 1934 du Comité britannique pour les relations avec d’autres pays (British Committee for Relations with other Countries), rebaptisé ultérieurement British Council, traduit un changement d’orientation dans la politique culturelle britannique à l’égard de l’étranger. Sa ligne de force se déplace d’un usage marginal de la culture au sein d’un ensemble d’arguments destinés à susciter un intérêt pour la Grande-Bretagne vers une action culturelle qui décline une promotion de la culture britannique sous des formes variées. La culture devient ainsi de plein droit une dimension importante des réalisations britanniques, au même titre que celles qui dont les manifestations sont visibles (l’industrialisation ou la colonisation). En effet, la Travel Association était une agence initiée par la sphère privée, puis nantie du soutien public, qui utilisait en particulier des arguments culturels pour inciter les étrangers à se rendre en Grande-Bretagne114. En revanche, le British Council est un organisme entièrement et uniquement dédié à la promotion culturelle et au développement des échanges avec les pays étrangers. Alors que la Travel Association (T.A.) noue avec le Council des relations organiques qui doivent favoriser une coopération mutuelle, elle s’efface graduellement devant le Council qui monte (lentement) en puissance. Ainsi, et en dépit de cette primauté croissante qui aboutit en France à l’effacement de la T.A., le Council investit le champ des relations culturelles sans plan établi, d’une façon pragmatique un peu désordonnée qui traduit le manque d’appui logistique et la faiblesse des moyens qui lui sont alloués. 114 Henry Noble Hall : “ My work is national propaganda in all its forms : travel, industrial, cultural propaganda, but always in general terms. ” Cité par P.M. TAYLOR, op. cit., p. 115. 55 1.- LA NAISSANCE DU BRITISH COUNCIL, L’EFFACEMENT DE LA TRAVEL ASSOCIATION Le British Council naît à la suite d’interventions multiples dressant une image du rayonnement britannique hors de ses frontières et de ses territoires d’influence traditionnels battue en brèche par les autres puissances occidentales, et une image de la Grande-Bretagne brouillée par cette action concurrente (surtout italienne et allemande). Sa création traduit une prise de conscience de cette situation. Cependant, les missions du British Council venant s’ajouter à celles de la Travel Association, sont ainsi en présence deux organismes ayant des domaines d’action qui se recouvrent. Le Council noue alors des liens organiques avec la T.A. afin d’assurer une collaboration minimale, mais ce rapprochement prend la forme de l’effacement progressif de la T.A. en France. 1.1 Une interpénétration organique Si le rapport Tilley (voir chapitre 1) rédigé en 1920 attire l’attention sur l’importance de la diffusion des biens culturels, le rapport d’Albernon représente une étape supplémentaire vers la voie de l’engagement officiel de la Grande-Bretagne dans une action culturelle. Le rapport de la mission d’Albernon en Amérique du Sud, en 1929, contient un chapitre consacré à “ l’importance commerciale de l’influence culturelle ” qui fait état de l’insuffisance des moyens dont disposent les bonnes volontés locales pour faire connaître la culture britannique. Il plaide en faveur d’une aide culturelle globale (financement de cours d’anglais, envoi de livres, films, troupes de théâtre) pour insérer la Grande-Bretagne parmi les nations européennes influentes dans cette région du monde au potentiel commercial digne d’intérêt. En Europe même, la Grande-Bretagne n’est pas créditée d’un rayonnement intellectuel très intense, comme le fait remarquer le Comité pour l’éducation et l’apprentissage d’étudiants étrangers (Committee on the Education and Training of Students from Overseas) formé autour de Sir Eugene Ramsden en 1933, qui dénonce le manque d’informations disponibles à l’étranger (en l’occurence en Europe du nord) sur les universités et les études britanniques. 56 En juin 1934 le Foreign Office décide alors la création d’un comité des relations culturelles afin de recueillir et répartir des fonds privés et industriels en fonction de différentes actions à mener, et en liaison avec les ministères concernés (ministères de l’Education, des Affaires étrangères, du Commerce). Dans cette première version, il n’est pas prévu d’affecter d’aide publique à l’action culturelle, et il n’y a pas de ligne politique définie. Toutefois il s’avère rapidement illusoire de faire reposer le financement de ce type d’activité sur le privé. Des liens sont établis avec l’All Peoples’ Association (APA), réseau d’étendue internationale composé d’un conseil autonome dans chaque pays où cette association est représentée. Ces conseils sont chargés de la propagande culturelle à l’étranger et fonctionnent sur le principe d’échanges d’activités, en intégrant la notion de réciprocité. Parmi leurs actions on peut citer l’organisation de conférences, la constitution de bibliothèques. Cette structuration aura une grande influence sur celle du Council. Le président de l’APA, Sir Evelyn Wrench est nommé à la tête du nouveau Comité de compréhension et de coopération internationale (Committee of International Understanding and Cooperation) qui remplace le Comité des relations culturelles. Le secrétaire général de l’APA, Charles Bridge, qui deviendra le premier secrétaire général du Council, siège dans ce comité. Mais cet organisme est bientôt remplacé par un nouveau comité, définitif cette fois, le Comité britannique pour les relations avec d’autres pays (British Committee for Relations with other Countries)115. Né le 14 novembre 1934, ce British Council (appellation raccourcie et courante) se structure lentement. En mars 1935 il se dote d’un Comité exécutif, et en novembre 1936 d’un Comité financier. Des comités spécialisés se mettent progressivement en place, pour les relations avec l’Amérique (tout le continent), l’éducation, les étudiants, les beaux-arts, les conférences, les livres et périodiques. Mais le Council dispose de très faibles moyens, ce qui limite essentiellement son travail à la réception de professeurs et étudiants étrangers. Une coopération avec la Travel Association semble donc indispensable116. La T.A. avait l’ambition de glisser progressivement vers la formule d’un organisme à représentativité exclusivement culturelle, et la naissance du Council vient contrarier la réalisation de ce projet. Les soins dont sont entourés les débuts du Council, et en particulier l’octroi de subventions dont le montant va croître, nourrissent une certaine amertume chez la structure aînée qui avait l’impression de faire un travail correct et utile, et 115 116 F. DONALDSON, The British Council, the first fifty years, London, 1986, p. 11-28. F. DONALDSON, op. cit., p. 29-35. 57 sent son intégrité menacée par le nouveau venu. Les deux organismes devant coexister, il apparaît rapidement nécessaire de définir leurs relations pour instaurer une concertation systématique et éviter de regrettables doubles emplois dans leur action future. Cet impératif se traduit par l’établissement de liens organiques entre les deux institutions. Le président de la T.A., Lord Derby, est nommé vice-président du Council. Il est également invité à siéger à son Comité exécutif en compagnie du directeur en titre de la T.A. Meredith et du vice-président de la T.A. Douglas Hacking. En contrepartie, le secrétaire général du British Council prendra part aux réunions de la T.A.117. Des agents du Council sont chargés d’assurer une liaison permanente avec la T.A.. Du point de vue fonctionnel, deux comités mixtes sont créés pour la radio et les films. La production de films documentaires est laissée à la T.A., mais son utilisation par le Council est autorisée. De même le Council peut disposer de la photothèque de la T.A.118. Se pose également d’emblée la question du rôle désormais dévolu aux représentants de la T.A. en poste à l’étranger, et en particulier en France. 1.2. Un effacement progressif de la Travel Association en France A ses débuts, le Council ne dispose pas de l’argent nécessaire pour envoyer des représentants à l’étranger, mais songe à travailler avec le personnel des missions diplomatiques. En examinant la situation de chaque pays, il peut toutefois s’avérer nécessaire de nommer parmi les employés de l’ambassade un agent rémunéré par le Council119. La France n’est pas considérée comme un pays prioritaire en raison de sa proximité géographique. De plus si l’offensive propagandiste des régimes autoritaires contre les valeurs démocratiques peut trouver un écho dans une partie de la population, le danger n’est pas estimé assez sérieux pour justifier un effort particulier en France120. Par ailleurs, Henry Noble Hall est déjà sur place et opérationnel (voir chapitre 1). Il n’entretient pas encore de lien direct avec le Council, mais tire d’ores et déjà 117 British Council : Finance and Agenda Committee, 5 février 1936. - BW 69/1, P.R.O. British Council : Executive Committee, 19 février 1936. - Ibid. Cependant, sans préciser outre mesure sa pensée, l’historien Philip Taylor estime qu’en dépit de ces dispositions, les liens entre le British Council et la Travel Association sont loin d’être clairement définis. Voir P.M. TAYLOR, op. cit., p. 157-158. 119 British Council : Finance and Agenda Committee, 15 janvier 1936. - BW 69/1, P.R.O. 120 Un memorandum rédigé par Kenneth Johnstone le 13 octobre 1936 désigne les pays du pourtour méditerranéen et de la Petite Entente comme les pays les plus lourdement soumis à la propagande des Allemands et des Italiens, et suggère une vigoureuse action du Council en priorité dans ces pays. British cultural propaganda in the Mediterranean area, 13 octobre 1936. - BW 2/85, P.R.O. 118 58 parti de l’assistance que celui-ci peut procurer aux ambassades en lui demandant puis en offrant au nom du Council à des organismes à caractère éducatif des conférences enregistrées sur disque en anglais121.. Sur les instances de sir George Clerk, désireux de voir Noble Hall donner des conférences en province, le Council décide de lui allouer une subvention de 280 £ pour les années 1936-1937 et 1937-1938. Ce chiffre représente environ un tiers du budget conférences prévu par le Council pour 1936-1937, ce qui, pour un pays non prioritaire, traduit un niveau élevé d’intervention122. D’autre part, le Council contribue aux dépenses administratives du bureau parisien de la T.A. en 1937-1938 à hauteur de 420 £123. L’année suivante 1938-1939, les chiffres seront respectivement de 140 £ pour les conférences124 et 400 £ pour les dépenses de fonctionnement125. Par ces contributions, le Council s’assure les services de Noble Hall. Ainsi à partir de 1937, l’agent de la T.A. employé par l’ambassade est aussi le représentant en France du British Council, même si les versements ne sont pas effectués directement par le Council, mais transitent par la Travel Association. Cette confusion des emplois finit par se résoudre au profit du Council. 2.- UNE ACTION CULTURELLE PRAGMATIQUE “ Une colonie vivante, bien organisée est [...] l’un des centres les plus importants à partir desquels peuvent rayonner l’influence et la culture nationales. ”126 Cette réflexion du Président du British Council Lord Lloyd se situe dans la ligne traditionnelle de pensée des officiels du Foreign Office. Mais ainsi qu’il a été noté auparavant, la colonie britannique à Paris n’est pas considérée comme le vecteur approprié pour promouvoir la culture britannique, en raison de la proportion jugée importante d’hommes d’affaires qui en font partie et ne sont pas estimés très sensibles à l’action culturelle (voir supra). Aussi l’idée de créer une Maison anglaise qui rassemblerait les principales institutions britanniques de 121 British Council : Executive Committee, 19 février 1936. - BW 69/1, P.R.O. Note Croom-Johnson à Secr. Gén. [Charles Bridge], 1er mars 1937. - BW 31/6, P.R.O. 123 Les années comptables du British Council commencent le 1er avril. Réunion informelle Travel Association / British Council du 8 avril 1936, British Council : Executive Committee, 21 avril 1936. - BW 69/2, P.R.O. Présenté lors du Finance and Agenda Committee du 23 juin 1936. - Ibid. 124 British Council : Executive Committee, 6 avril 1937. - BW 69/3, P.R.O. 125 British Council : Executive Committee, 13 juillet 1937. - Ibid. 126 Bridge à Granville Barker, 31 mai 1938. - BW 31/2, P.R.O. 122 59 Paris, et serait un centre de vie sociale et culturelle à partir duquel se ferait l’extension de l’influence culturelle britannique, se heurte à bien des réticences. Et ce, d’autant plus qu’est prévu l’établissement d’une bibliothèque qui doublerait la bibliothèque américaine tenue pour suffisante pour répondre aux besoins des résidents britanniques. Lord Lloyd aussi bien que le directeur de l’Institut britannique Harley Granville Barker, en raison de leur opinion sur cette communauté qu’ils ne connaissent pas, doutent de l’utilité d’un tel établissement127, alors que sa réalisation est soutenue par Noble Hall et l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris128. Ce projet rencontre du reste des résistances rédhibitoires au sein du Comité de finances du British Council qui, peu convaincu de son intérêt, refuse d’en prendre comme il était prévu la charge financière129.. Ce n’est qu’en 1939, après un rapport de Lord Riverdale rendant compte de sa visite à Paris, et vraisemblablement sur l’insistance de l’ambassade, que sont débloqués des fonds pour louer un bâtiment et équiper ses locaux130.. La Maison anglaise est inaugurée le 20 juin au 28 avenue des Champs-Élysées en présence de Lord Lloyd, de Sir Eric Phipps et du Commissaire général au tourisme français131. Cet épisode illustre l’influence que conserve l’ambassade tout au long de cette période sur la définition des grandes lignes du programme d’action culturelle à exécuter en France. Si le Council décide d’emblée de travailler en collaboration avec l’ambassade, ne serait-ce que par manque de moyens financiers pour avoir dans les faits une politique réellement autonome, le choix de Noble Hall comme représentant renforce ces liens. Cette situation permet à celui-ci de concilier les charges de représentation de deux organismes légèrement différents dans leurs optiques, et de les fondre en une seule mission de promotion culturelle au sens large (mode de vie). Toutefois, sans se reposer uniquement sur l’action du journaliste, le British Council cherche à s’implanter en France en nouant des collaborations avec des structures à vocation culturelle active. 127 Ibid. Selon l’ambassade, la future Maison anglaise doit comprendre une bibliothèque (salle de catalogues gratuite et salle de lecture) dans laquelle seront disponibles les principaux périodiques anglais, et des locaux laissés à la libre disposition des clubs de sociabilité britanniques. Les anglophiles y auront également accès. British Council : Finance and Agenda Committee, Paper F. 11 daté du 26 mai 1938, 31 mai 1938. BW 69/4, P.R.O. 129 Russell à White, 3 octobre 1938. - BW 31/3; P.R.O. 130 British Council : Executive Committee, 14 mars 1939. - BW 69/4, P.R.O. 131 Sur environ 1 000 £ annuelles de dépenses prévues, la part du Council dans le paiement des charges est réduite à 400 £ au 1er décembre 1939, le reste de la somme étant pris en charge par le Comité de la Colonie britannique. Bridge à Noble Hall, 5 février 1940. - BW 31/4, P.R.O. 128 60 2.1. Un appui sur des structures perçues comme les plus dynamiques Tout d’abord, le Council reçoit des requêtes d’ordre financier émanant de l’Institut britannique. Dès 1935, le directeur de l’Institut Theodore Morison dépose auprès de Lord Tyrrell une demande de fonds destinés à permettre une diversification des acquisitions de la bibliothèque de l’Institut, principalement composée alors d’ouvrages de littérature132.. Le Council, qui à cette date possède peu de moyens, veut les utiliser avec discernement, ainsi que le démontre l’intervention du principal de l’université de Londres Edwin Deller133, sur les instances de Morison, afin d’appuyer une demande qui avait alors des risques de n’être pas satisfaite. 150 £ réservées pour financer un autre projet sont finalement allouées à l’Institut. Cette subvention est ponctuelle ; en revanche l’Institut exprime le souhait de voir le Council contribuer aux dépenses engagées pour organiser les conférences préparées en coopération avec l’association France-Grande-Bretagne, qui elles sont récurrentes. D’autre part, le Council finance déjà l’activité de Noble Hall, et son secrétaire général Charles Bridge hésite à enfreindre le principe du non-paiement des conférenciers, appliqué pour l’heure en raison des ressources limitées dont le Council dispose. Le Comité exécutif du Council donne son aval, et octroie 90 £ à l’Institut (six conférences à 15 £ chacune, au lieu des 150 £ demandées)134. Le financement de dépenses récurrentes débouche assez logiquement sur une demande d’aide financière annuelle, mais celle-ci concerne le maintien de la bibliothèque qui exige une continuité. Le Council songe alors à établir plus fermement ses relations avec l’Institut en le faisant bénéficier d’une subvention globale annuelle en échange de la construction d’un projet complet et cohérent, et d’un droit de regard sur l’usage fait de ce financement135. La réflexion en reste à ce stade, jusqu’à ce que la guerre offre l’opportunité de la reprendre et de lui donner une traduction concrète. Par ailleurs, outre l’Institut britannique, le British Council cherche à s’assurer le concours de groupements dynamiques qui seront d’efficaces auxiliaires. En 1937 et en province, les organismes concernés sont la Société géographique de Lille, les sections de 132 La bibliothèque comprend des ouvrages donnés soit par le Foreign Office soit par Mrs Meyer Sassoon. Theodore Morison souhaite réaliser des achats en science politique et en économie. Morison à Lord Tyrrell, 20 juin 1935. - BW 31/6, P.R.O. 133 Edwin Deller, lettre du 24 juin. - Ibid. 134 90 £ en 1937-1938. British Council : Executive Committee, 5 mai 1937. - BW 69/3, P.R.O. 200 £ pour 1939-1940. The Council’s main programme for France for the year ending 31st march 1940. BW 31/3, P.R.O. Rien n’a été trouvé pour l’année 1938-1939. 135 Bridge à Leeper, 4 novembre 1937. - BW 31/6, P.R.O. 61 Lyon et Tours de l’association France-Grande-Bretagne, les Amis de la langue anglaise de Marseille, les English Clubs de Pau et de Saint-Jean-de-Luz136.. Cette liste montre la diversité des associations ou sociétés avec lesquelles le Council est en contacts. Il s’agit néanmoins à cette date d’institutions davantage portées vers une action à caractère éducatif que strictement culturel. On peut par exemple noter l’absence dans cette énumération de la société Art et Tourisme. Née en 1936 sous les auspices conjointes des ambassades de France à Londres et de Grande-Bretagne à Paris, son objet est de mieux faire connaître la culture britannique en organisant expositions d’art, concerts, voyages, séances théâtrales. Le côté mondain n’est pas oublié137. Cette association se présente comme le complément de FranceGrande-Bretagne, dont les activités ne concernent pas de façon prioritaire la mise en valeur du patrimoine artistique britannique et sa promotion en France, mais plutôt l’éducation. Art et Tourisme apparaît ainsi a priori comme un interlocuteur de choix pour le British Council, qui dispose dès lors d’un groupe anglophile désireux de l’aider à mener à bien son action. Autour d’Art et Tourisme se créent quelques sections provinciales relativement dynamiques, mais il ne semble pas que des liens aient été noués. D’après les archives qui nous ont été conservées, le Council n’est pas lié par ces organismes seuls, et peut éventuellement offrir des aides ponctuelles lorsque le projet semble le justifier. Tel est le cas à Nantes d’un concert de musique franco-britannique organisé en collaboration avec la Schola cantorum de la ville sous le patronage de l’Ambassadeur Sir Eric Phipps. Le compte rendu retrouvé dans les archives du Foreign Office ne mentionne l’assistance d’aucune association pour organiser cet événement138. Il faut alors souligner le rôle actif (plus actif qu’après la guerre) que joue le réseau diplomatique britannique en France dans l’exercice de la promotion culturelle britannique, dans la ligne des recommandations de Lord Curzon de 1919, outre la supervision globale qu’exerce toujours l’ambassade. Par exemple, le Council est prêt à apporter un soutien aux sections de France-Grande-Bretagne que les consuls désignent comme dynamiques. Ainsi, l’agent en poste à Strasbourg estime pouvoir confier à la section qui vient de s’y créer l’organisation de 136 Institut britannique à Secr. Gén. du British Council, 1er mars 1937. - Ibid. “ Chronique de l’Entente ”, France-Grande-Bretagne, n° 163, février 1937, p. 50. 138 Raybould au Foreign Office, 8 février 1939. - BW 31/4, P.R.O. A l’issue du concert, le British Council remet à la directrice de la Schola cantorum deux pièces de musique anglaise. Consul de Nantes à Phipps, 14 février 1939. - Ibid. 137 62 nombreuses manifestations artistiques : exposition de peintures du XVIIIe et XIXe siècles, représentation de la Saint Joan de Shaw par la Dramatic Society of Charterhouse, exposition d’affiches (touristiques, publicitaires, militaires), concert de musique par le conservatoire. Les partitions - dont celle de Fairy Queen de Purcell - sont fournies par le British Council139. Les rapports rédigés par les consuls en poste en province ont été conservés en nombre trop faible pour permettre de solides conclusions. Toutefois il apparaît que pour mener à bien sa mission, le Council s’appuie sur le maillage des consulats, prolongements directs de l’ambassade avec laquelle il travaille. Sur la base des rapports de ces observateurs privilégiés, le Council distribue son aide en fonction du critère de dynamisme. Dans le cadre de groupements à sections, tel France-Grande-Bretagne, l’animation des sections dépend essentiellement de la personnalité de leur président, et il est certain qu’elles ne font pas toutes preuve d’une activité égale. L’opinion des consuls, “ sur le terrain ” prend alors tout son intérêt. En revanche, à Paris, le Council prend nettement en compte la complémentarité des activités d’Art et Tourisme et de France-Grande-Bretagne. La distribution des aides financières le confirme. Ainsi, Art et Tourisme participe à l’organisation de la contribution artistique britannique à l’exposition universelle de Paris de 1937. Le Council lui alloue pour cela un crédit de 100 £ maximum destiné à la location d’un bureau utilisé pour préparer une exposition consacrée à Blake et Turner140.. A France-GrandeBretagne, le Council accorde pour 1938 une subvention de 50 £ pour permettre à cinquante professeurs français d’anglais d’assister à des cours de vacances dispensés au City of London College141. La même somme est versée l’année suivante pour la Quinzaine de langue anglaise prévue à Southend-on-Sea142. A chaque fois, l’ambassade appuie chaleureusement les demandes du secrétaire général de France-Grande-Bretagne Jacques Arnavon. Cependant, les conférences restent pour le Council le principal moyen de promotion culturelle, et le plus apte à toucher des catégories variées de publics. 139 Pyke à Phipps, 27 février 1939. - Ibid. British Council : Executive Committee, 10 novembre 1936. - BW 69/2, P.R.O. 141 British Council : Finance and Agenda Committee, 8 février 1938. - BW 69/4, P.R.O. Approbation obtenue le 1er avril : Executive Committee, Ibid. 142 Wright à Bridge, 9 juin 1939. - FO 395/659, P.R.O. Confirmation : Rapport annuel de 1939, dans France-Grande-Bretagne, n° 189, septembre-octobre 1939, 140 p. 260. 63 2.2 Elargir le public cible : le développement des conférences En dépit du soutien apporté aux conférences co-organisées par l’Institut britannique et l’association France-Grande-Bretagne, c’est à Noble Hall que revient principalement la tâche de donner des conférences, ce qui est pris en compte dans le salaire que lui verse le Council. L’ambassade insiste tout particulièrement pour que Noble Hall obtienne les fonds nécessaires afin de faire des tournées de conférences en province, trop longtemps tenue à l’écart de l’action culturelle britannique. Il entreprend alors fin 1936 début 1937 un tour de France, visitant dix-neuf villes et entretenant son auditoire de Kipling, Londres, l’Angleterre pittoresque143. Grâce à l’aide financière qu’il reçoit désormais du Council, Noble Hall est en mesure de se déplacer plus fréquemment hors de Paris. Cependant, il ne parvient pas à obtenir du Council la nomination d’un assistant, et l’organisation de conférences représente un travail lourd en temps et en énergie dépensés. Les sections de France-Grande-Bretagne lui fournissent dès lors une structure d’accueil, et il est vraisemblable qu’elles organisent également le séjour de Noble Hall dans leur ville. De plus cette formule est économique, argument non négligeable parce que les efforts consentis par le gouvernement britannique en faveur de l’action culturelle à l’étranger restent largement inférieurs à ceux de l’Italie, de l’Allemagne ou de l’Espagne144, sans parler de la France. L’utilisation des sections permet un élargissement du public visé par Noble Hall. Certaines sections sont d’abord réputées pour leur prosélytisme dynamique, telles Abbeville ou Amiens. Par ailleurs le lien que quelques sections entretiennent avec les universités locales grâce à la présence de professeurs dans leur comité de direction - c’est le cas de Lille, Clermont-Ferrand ... - lui assure une forme de relation directe qui complète les correspondances qu’il échange avec le milieu scolaire et universitaire. En outre, il trouve l’occasion de rencontrer des élèves. Mais ce n’est pas le résultat le plus important de son action. En effet, Noble Hall aspire désormais à prendre contact avec un public plus diversifié, en accord avec un partage tacite des tâches réalisé avec l’Institut britannique et Art et Tourisme : “ Mon propre effort destiné à susciter une atmosphère favorable à l’Angleterre 143 Les dix-neuf villes sont les suivantes : Paris, Versailles, Saint-Germain, Reims, Nancy, Strasbourg, Mulhouse, Colmar, Lille, Rennes, Saint-Malo, Poitiers, Bordeaux, Pau, Toulouse, Montpellier, Cannes, SaintÉtienne, Clermont-Ferrand. “ Chronique de l’Entente ”, France-Grande-Bretagne, n° 165, avril 1937, p. 114. Cette tournée a lieu fin 1936 - début 1937. Les subventions du Council n’arrivent qu’après avril 1937 et sont vraisemblablement utilisées pour compenser les dépenses faites à l’occasion de cet effort sans précédent. 144 Voir P.M. TAYLOR, op. cit., p. 116. 64 s’arrête au seuil des conférences de pure propagande et aux contacts avec les universités provinciales et les professeurs d’anglais des écoles secondaires. [Je m’occupe de] l’écrasante majorité des Français [car] si je puis dire, l’élite intellectuelle est déjà convaincue et le caractère mondain de mes fonctions est pris en charge par Art et Tourisme. ”145 Cette déclaration est faite en janvier 1939. Les orientations de Noble Hall sont à cette date tributaires d’un contexte international qui s’alourdit et de menaces de guerre qui se font plus précises. Il est donc temps de préparer les Français à une remise en activité de l’alliance franco-britannique en les confortant dans le camp des démocraties. Cependant les membres des sections locales de France-Grande-Bretagne ne paraissent pas a priori l’auditoire idéal pour atteindre “ l’homme de la rue ” qu’il faut convaincre, si ce n’est lorsque les conférences sont publiques. Le bulletin de l’association ne donne aucune précision à ce sujet, mais il peut être supposé qu’il en est parfois ainsi. D’autre part, l’hypothèse selon laquelle toutes les conférences prononcées par Noble Hall ne sont pas annoncées dans le bulletin est vraisemblablement exacte, même s’il serait plus tactique de veiller à ce qu’elles soient toutes portées à la connaissance du public. En effet, sur un curriculum vitae rédigé à la fin des années 1930 (sans plus de précision de date), il est indiqué qu’en qualité de représentant du British Council, Noble Hall a prononcé “ plus de cent cinquante conférences dans une cinquantaine des principales villes de France ”146.. Pour ne considérer que les mentions du bulletin, les déplacements de Noble Hall concernent en 1937 les sections de Tours et Lyon147, en 1938 Toulouse et Vichy148, en 1939 Strasbourg, Abbeville et Paris149, en 1940 Chalon-sur-Saône, Mazamet et Toulouse150. Les thèmes des conférences sont peu variés. Avant 1937 la dominante était les villes et campagnes anglaises. A l’exception de Toulouse (l’éloquence parlementaire et en 145 “ My own effort at creating an atmosphere favourable to England stops short at giving lectures of a purely propaganda type, and keeping in touch with the provincial universities and with professors in English in secondary schools. [I take care of] the overwhelming majority of average men and women [because] if I may say so, the intellectual elite no longer needs convincing, and the social side of the work is taken care of by Art and Tourisme. ” Noble Hall à White, 8 janvier 1939. - BW 31/3, P.R.O. 146 Curriculum vitae Noble Hall (s.d.). - Service des Œuvres, carton 106, M.A.E. 147 “ Chronique de l’Association ”, France-Grande-Bretagne, respectivement n° 171, décembre 1937, p. 300-301 ; n° 173, février 1938, p. 46-47. 148 “ Chronique de l’Association ”, France-Grande-Bretagne, respectivement n° 174, mars 1938, p. 67 sq. ; n° 179, septembre-octobre 1938, p. 229 sq. 149 “ Chronique de l’Association ”, France-Grande-Bretagne, respectivement n° 186, mai 1939, p. 167168 ; n° 188, juillet-août 1939, p. 243. “ Comité des relations intellectuelles ”, France-Grande-Bretagne, n° 190, novembre-décembre 1939, p. 282. 150 “ Chronique de l’Association ”, France-Grande-Bretagne, n° 192, mars-avril 1940, p. 61-65. 65 1940 le gouvernement de la Grande-Bretagne) et de Lyon (à l’occasion d’une visite de Lord Cromer, le thème est le gouvernement de la Grande-Bretagne), les sujets traités se rapportent tous à Kipling. Ces choix ne sont pas innocents. Les conférences sur le fonctionnement de la démocratie britannique - ainsi peuvent-elles être regroupées - ont leur intérêt à la veille de la guerre. Sans faire de propagande pure, ainsi que Noble Hall s’en défend, il faut admettre que le flou qui entoure la définition du terme “ culture ” est pratique pour aborder une question relative au mode de gouvernement donc de vie britannique, sujet culturel que l’actualité rapproche du seuil de la propagande. Le thème Kipling présente plusieurs possibilités de variation du discours, mais France-Grande-Bretagne ne reproduit malheureusement pas le texte pour pouvoir juger de l’aspect plus particulièrement choisi par Noble Hall. Est-ce le chantre de la puissance impériale britannique qui serait largement mise à contribution en cas de guerre ? Est-ce le génial écrivain, l’auteur du poème France qui appelait de ses vœux l’union franco-britannique ? Est-ce le père brisé par la mort de son fils sur les champs de bataille du Nord, symbole douloureux de la si fructueuse alliance franco-britannique en 19141918 ? C’est en tous cas l’un des écrivains britanniques les plus sensibles aux liens entre la France et la Grande-Bretagne. A l’approche de la guerre, l’existence du réseau de sections de FranceGrande-Bretagne prend toute sa valeur. Son extension témoigne d’une image globale de l’Angleterre d’autant plus positive que l’Allemagne se fait menaçante. L’ambassade songe alors fin 1939 à l’utiliser (en partie) de manière plus “ offensive ” en lançant par l’intermédiaire de l’Institut britannique et avec le British Council un cycle de conférences “ liées à l’actualité ”151, à caractère davantage politique. Les Français sont engagés dans une “ drôle de guerre ” mais l’invasion allemande ne saurait se faire trop longtemps attendre. Ce sursis doit donc être mis à profit pour bien expliquer aux populations les enjeux de ce nouveau conflit. A Londres, les structures gouvernementales se trouvent en phase d’adaptation aux exigences du temps de guerre, et la création d’un ministère de l’Information (M.O.I.) provoque quelques incidents de compétences avec le Council. Ce ministère doit travailler directement avec le Foreign Office et les missions diplomatiques qui en sont les antennes exécutives à l’étranger. Les conférences à caractère politique sont théoriquement du ressort du M.O.I., mais l’ambiguïté du vocable “ culture ” rend difficile une définition précise 151 Memorandum White, 21 décembre 1939. - BW 31/4, P.R.O. 66 des sujets politiques. En France, la confusion est accentuée par la position de Noble Hall qui collabore avec tous les organismes et rassemble des fonctions que l’organigramme en cours d’élaboration verrait désormais séparées152, sous le titre de “ premier secrétaire d’ambassade chargé des services d’information à l’ambassade d’Angleterre ”153. En attendant qu’un accord soit réalisé à Londres entre les deux structures sur leur rôle respectif, le Council se dote d’“ officiers régionaux ” (Regional Officers), dont le rôle est de suivre l’évolution des opinions publiques à l’étranger, d’envoyer aux attachés de presse des ambassades de Grande-Bretagne en poste des revues de presse à diffuser, d’analyser les émissions radiophoniques ennemies destinées aux populations pour pouvoir y répondre. Un responsable est nommé pour une région du monde, assisté de responsables pour des pays considérés comme particulièrement sensibles. La France est dans ce dernier cas, et forme une région à elle seule. Y sont affectés R.A. Balfour et Enid MacLeod154. A cette date, la Travel Association n’a plus d’existence propre à Paris, ses locaux ayant été réquisitionnés par l’ambassade pour des activités secrètes (intelligence purposes). Toutefois, aucune position officielle n’est exprimée à l’égard d’un éventuel rôle que pourrait jouer la T.A. en GrandeBretagne155, et les dossiers du Council mentionnent simplement fin 1939 l’idée de transformer le Comité mixte cinématographique (voir supra) en Comité cinématographique du British Council, à laquelle Lord Derby pour la T.A. donne son assentiment156. Il n’est plus question de la T.A. par la suite. Des conférenciers sont envoyés début 1940 en France. Balfour en communique les noms au M.O.I. : Lord Samuel, Arthur Bryant, Robert Bernays, Lord Harlech, Harold Nicholson, John Murray, Henry Wickham Steed157. A Paris, les conférences sont co-organisées par France-Grande-Bretagne et l’Institut britannique. La Sorbonne accueille celles de Lord Samuel sur le gouvernement de 152 Balfour à Warner Allen, 15 janvier 1940. - INF 1/443, P.R.O. De plus, le British Council possède un caractère statutairement apolitique, qu’il tient à conserver, tout en sachant bien que les sujets d’actualité politique sont ceux qui ont le plus de chance d’intéresser le public. Memorandum Croom-Johnson, 13 septembre 1939. - BW 2/363, P.R.O. 153 Arnavon à Bretteville, 27 mars 1940. - Service des Œuvres, carton 115, dossier “ Section BayonneBiarritz ”, M.A.E. 154 Foreign Publicity Division, note du 4 octobre 1939. - BW 2/363, P.R.O. Les revues de presse envoyées en France sont distribuées par Noble Hall. Brouillon intitulé “ When Lord Lloyd sees Lord Macmillan [ministre de l’Information] at 2.50 at the House of Lords ”, s.d. [1939 vraisemblablement]. - Ibid. 155 Lord Lloyd à Perth (MOI), 11 septembre 1939. - BW 2/363, P.R.O. Ce courrier semble être resté sans réponse. 156 Compte rendu de conversation avec Sir John Power, 13 novembre 1939. - Ibid. 157 Balfour à Carr, 15 janvier 1940. - INF 1/443, P.R.O. La conférence d’Arthur Bryant n’est mentionnée nulle part semble-t-il. 67 l’Empire britannique (18 janvier), de Lord Harlech sur les conceptions britanniques en matière de gouvernement des colonies (7 mars), de Robert Bernays sur le nouvel ordre en Angleterre (22 février), d’Harold Nicholson sur l’historique des divergences francobritanniques (14 mars), de Henry Wickham Steed intitulée “ Ce dont il s’agit ” (4 avril), de John Murray sur éducation et politique en Angleterre (11 avril), d’Herbert Morrison sur l’évolution économique et sociale en Grande-Bretagne au XXe siècle (25 avril). S’y ajoute un exposé de Hugh Sellon qui fait reposer le caractère britannique sur l’attachement à l’ordre et à la liberté (8 février). Les discours ont en général une forte connotation politique. Ils visent à donner de la Grande-Bretagne l’image d’un pays solide, à la fois traditionnel et moderne, éclairé - avec par exemple une conception du gouvernement colonial orientée vers le selfgovernment - et courageux. Si les désaccords franco-britanniques sont évoqués, c’est pour mieux mettre en relief les idéaux communs qu’il appartient aux deux pays de défendre : “ le progrès humain et la douceur de vivre, que nous devons aux Grecs, aux Romains, aux chevaliers du Moyen Age, aux philosophes du XVIIIe siècle - autant de sources qu’Hitler ignore ”158. D’autant plus que la Grande-Bretagne affiche son intérêt pour les destinées de l’Europe : c’est la signification de cet “ ordre ” qu’évoque Bernays ; l’Anglais donne l’impression d’être devenu citoyen européen. La conférence de Wickham Steed est très directe dans son propos, selon l’habitude de cet ancien rédacteur en chef du Times. Sa ligne d’argumentation est qu’après les reculades successives des démocraties devant les dictatures159 il n’y a plus de dérobade possible devant l’engagement qui doit sauver la civilisation occidentale. La construction européenne nécessite la présence allemande. C’est pourquoi l’objectif de cette guerre est de parvenir à une purge totale des tendances autoritaires du peuple allemand et sa conversion complète à la démocratie. Le développement de Wickham Steed est tout à fait approprié aux circonstances. Certaines de ces conférences sont également prononcées en province160. Quelques sections ont ainsi l’occasion d’accueillir Harold Nicholson qui se rend à Besançon161, Lyon, où il reprend son historique des divergences franco-britanniques, et à 158 “ Chronique de l’Association ”, dans France-Grande-Bretagne, n° 192, mars-avril 1940, p. 63. Wickham Steed met également en cause la presse qui a “ trouvé commode de ne pas en [des diverses persécutions du régime allemand contre les Juifs, les libéraux, les socialistes] parler, mais il y en a eu beaucoup ; on trouvait commode d’oublier ces atrocités, et c’est la propagande allemande qui voulait cela. ”. H. WICKHAM STEED, “ Ce dont il s’agit ”, dans France-Grande-Bretagne, Ibid., p. 38. 160 BRITISH COUNCIL, Quarterly Report for Sept. 1939-March 1940, avril 1940, p. 15. - BW 82/9, P.R.O. 161 La section de Besançon est créée à l’occasion de la venue de Nicholson. Arnavon à Pyke, lettres du 1er mars et du 6 mars 1940. 159 68 Grenoble où il entretient son auditoire de l’effort de guerre anglais. Mais la plupart des conférences n’ont pas lieu dans le cadre des sections, parfois pour la simple raison qu’il n’y en a pas, comme à Dijon (pour Nicholson). Cependant, il est vraisemblable que parfois les organisateurs (c’est-à-dire le personnel de l’ambassade) estiment préférable de ne pas s’en tenir au cadre des sections, jugé a priori trop restreint, et pensent attirer un plus large public en proposant un endroit plus neutre. Peut-être ce cas de figure justifie-t-il alors cette réflexion d’Arnavon à propos des conférences de John Murray : “ Que France-Grande-Bretagne n’y soit pas seule, puisque le British Council et l’ambassade ont mis en mouvement ces conférences, tout à fait d’accord ; mais que, cependant, une bonne partie du lustre qui en résultera nous revienne ! Car les séries de la Sorbonne depuis plus de quinze ans, sont organisées par le British Council (sic) et nous, et c’est, en principe, là où nous avons des sections que ces grands orateurs anglais vont conférencer depuis la guerre. ”162 John Murray s’exprime ainsi à Poitiers, Bordeaux, Toulouse, et Wickham Steed à Marseille et Nice. A cette époque, Henry Noble Hall est toujours en activité. Il le reste jusqu’en août 1940, date à laquelle le Council met fin à une collaboration qui, en raison des événements politiques, perd son objet163.. * La précocité (par rapport à la tardive action britannique) des activités de l’association France-Grande-Bretagne, la solide implantation sociale qu’elle a pu acquérir est un gage de sérieux et d’un certain dynamisme - ces caractères concernent le centre parisien, car les sections sont plus ou moins brillantes et influentes sur le lieu de leur action - . Ces qualités la prédisposent à établir une collaboration utile avec les jeunes organismes britanniques. Cependant sur un plan général les Britanniques n’ont pas de partenaire privilégié. Ils apportent une assistance aux initiatives susceptibles de faire progresser leurs intérêts culturels. Mais il n’apparaît aucune stratégie d’action. A la veille de la guerre, leur implantation en France est fragile et leurs moyens manifestement insuffisants pour un développement réel de leurs activités. Mille cents personnes ont assisté à sa conférence, qui est ici intitulée “ l’Angleterre en guerre ”. Peut-être y a-t-il eu changement de dernière minute. H. Noble Hall, Note on Besançon lecture, 29 avril 1940. - Service des Œuvres, carton 115, dossier “ Section Besançon ”, M.A.E. 162 Arnavon à Bretteville, 19 mars 1940. - Dossier “ Bayonne-Biarritz ”, Ibid. 163 Une partie de son salaire est versée par le Council, et le reste par la Travel Association. White à Noble Hall, 23 août 1940. - BW 31/4, P.R.O. 69 Du point de vue de l’organisation du dispositif de promotion culturelle, l’arrivée du Council permet d’établir une jonction avec l’Institut britannique. Les deux principaux vecteurs de diffusion de la culture britannique sont ainsi à l’œuvre, et participent ensemble à la préparation de conférences. Tout ce travail est réalisé sous la supervision active de l’ambassade qui donne des impulsions parfois décisives (interventions à Londres), et émet des suggestions démontrant ses efforts énergiques pour développer une promotion culturelle dont l’exécution est confiée au British Council. Cette situation est engendrée par un impératif stratégique - accompagner la réactivation de l’alliance franco-britannique alors que la guerre se fait menaçante - mais préfigure une coopération qui constituera la voûte de l’action culturelle britannique après 1944. 70 CHAPITRE 4 LA SECONDE GUERRE MONDIALE : DÉFINITION D’UNE POLITIQUE DE PROJECTION CULTURELLE EN FRANCE En 1939, la réalité de la promotion culturelle britannique en France repose sur le dynamisme de deux organismes qui se complètent : l’Institut britannique principalement en charge du volet éducatif, avec quelques incursions dans la sphère culturelle, et le British Council qui apporte un soutien financier aux initiatives culturelles qui lui paraissent dignes d’intérêt, dans la mesure de ses moyens. La guerre introduit une césure capitale dans l’approche de la politique culturelle britannique en France, qui en sort remodelée et restructurée dans une optique d’efficacité accrue. Trois facteurs rendent compte de ce bouleversement. En premier lieu, pour faire face aux nouvelles responsabilités qui lui sont confiées - s’occuper du “ bien-être culturel ” des populations réfugiées - le British Council achève de se structurer en se dotant d’une organisation intérieure qui lui faisait jusqu’alors défaut. En second lieu, grâce à ses contacts multiples avec les communautées exilées en Grande-Bretagne, le Council acquiert un savoir-faire relationnel et fonctionnel qui fonde l’assise de son approche des relations culturelles, et se révèlera très précieux pour promouvoir la culture britannique à l’étranger après la guerre. Enfin est définie une politique culturelle spécifique à l’égard de la France, accompagnée d’une stratégie d’action pour préparer l’“ offensive culturelle ” qui sera lancée dès la libération du territoire. Le British Council fait preuve de responsabilité et d’efficacité pour accomplir les missions que le gouvernement lui confie. Ainsi promu coordinateur des activités conduites auprès des Français sur le sol britannique, ce rôle lui est de nouveau assigné pour 71 l’après-guerre, au centre d’un dispositif de projection culturelle devant associer en bon ordre tous les organismes concernés. 1.- LE BRITISH COUNCIL COORDINATEUR DES ACTIVITÉS CULTURELLES SUR LE SOL BRITANNIQUE La mission de coordination du British Council comporte deux volets. Il lui faut tout d’abord accueillir les réfugiés français, leur faire découvrir et apprécier la culture britannique tout en veillant à ce qu’ils puissent maintenir des liens avec leur culture nationale pour ne pas se sentir trop déracinés. D’autre part, le Council est responsable de la coordination de l’activité des institutions culturelles françaises repliées en Grande-Bretagne en alliant dynamisme des actions et maîtrise de budgets dont ils participent à la gestion. 1.1 Les foyers de réfugiés français : une première expérimentation de relations culturelles Le début de l’attaque allemande en Pologne en septembre 1939 jette sur les routes les premières populations cherchant à fuir l’envahisseur. Au fur et à mesure de l’avancée allemande, des Polonais, Hollandais, Tchécoslovaques, Norvégiens, Danois, Belges, Français cherchent refuge loin des combats, et la Grande-Bretagne voit arriver vers ses côtes les premiers réfugiés issus de nationalités diverses, en nombre suffisamment important pour justifier la création d’une structure particulière dédiée à leur accueil. Le travail accompli par le British Council dans ce contexte s’avère crucial, à la fois comme facteur d’achèvement de structuration interne, et comme mode d’acquisition d’une expérience et d’un savoir-faire diversifiés dans le domaine des relations culturelles grâce à leurs contacts multiples avec les communautés étrangères. Dès le 18 octobre 1939 se tient la première réunion d’un organisme nouvellement créé à titre expérimental pour six mois164 afin d’organiser l’accueil socioculturel des premiers flux de réfugiés : le Comité d’Accueil des Étrangers Exilés (Resident Foreigners Hospitality Committee). Constitué sous l’égide du British Council, et composé de trois de ses membres (S.H. Wood, Sir John Power, William Graham), ce comité s’efforce 164 British Council : Finance and Agenda Committee, 9 avril 1940. - BW 69/6, P.R.O. 72 d’agir selon les directives du Comité exécutif du Council quelques jours auparavant. Malgré son caractère provisoire, il s’efforce à la fois de mener des actions visant au réconfort immédiat des populations par le divertissement, et de prendre des initiatives témoignant d’une réflexion prospective sur la durée de la guerre et l’accroissement du nombre de réfugiés. Ainsi, parmi les premiers résultats de son activité, il obtient des tickets gratuits pour assister à des concerts, des pièces de théâtre et des conférences sur la vie britannique pour les ressortissants hongrois, autrichiens, français, allemands, italiens, portugais, estoniens, roumains et tchécoslovaques déjà présents sur le sol britannique165. Il envisage l’organisation de réceptions et thés dansants pour les membres des corps diplomatiques. Dans un registre moins ponctuel, le comité envisage de faire préparer des brochures destinées à familiariser les étrangers exilés avec les bibliothèques britanniques afin de favoriser un accès direct à la culture de leur pays d’accueil, de rassembler de l’information sur les structures éducatives, de diffuser des journaux nationaux pour éviter un déracinement culturel total, et de prendre contact avec des associations culturelles locales et étrangères susceptibles de contribuer activement à l’accueil des nouveaux venus166. Ces mesures pragmatiques répondent au besoin de prise en charge immédiate des réfugiés, mais parallèlement elles posent les bases d’une action culturelle envisagée dans un moyen, voire long terme. Entre-temps, les relations du British Council avec le ministère de l’Information (M.O.I.) font l’objet d’une définition. Le M.O.I. est en charge de toutes les actions de propagande politique, alors que le Council est responsable de la propagande culturelle. Cette simple distinction comporte des zones d’ombre, la différence entre le politique et le culturel pouvant parfois sembler ténue, mais son application effective repose sur la bonne intelligence des relations entre les deux structures. Pour toute dimension politique relevée dans les activités culturelles proposées par le Council, la concertation avec le M.O.I. est requise167. Le Council se voit ainsi confirmé et solidement ancré dans le domaine culturel, et le fait de confier la propagande politique à un organisme ad hoc clairement identifié permet de ne pas entacher sa réputation de neutralité à l’égard du politique, et ainsi de faciliter ses contacts avec des populations soucieuses d’avoir une pensée libre. 165 Resident Foreigners Committee, réunion du 25 octobre 1939. - BW 2/45, P.R.O. Resident Foreigners Committee, réunion du 8 novembre 1939. - Ibid. 167 British Council : Finance and Agenda Committee, 7 mai 1940. - BW 69/6, P.R.O. 166 73 A l’issue de la période expérimentale, il s’avère nécessaire de créer une organisation plus développée pour prendre en charge les besoins culturels des réfugiés. L’année 1940 voit ainsi se structurer ce qui deviendra fin 1941 la Home Division du British Council, qui recouvre un maillage de bureaux implantés sur le territoire britannique. Dans les memorandums proposant au Comité exécutif du Council et au Foreign Office les grandes lignes d’une organisation envisageable pour mener une activité auprès des populations étrangères, ces bureaux sont destinés à être équipés de livres, périodiques et imprimés divers relatifs à la Grande-Bretagne, à servir de lieux de manifestations culturelles telles que des conférences, des petits concerts, à être des centres d’apprentissage de l’anglais168.. Chaque bureau est dirigé par un responsable (officer) qui a pour terrain d’initiatives une portion du territoire britannique : Ecosse, Nord, Midlands, Londres et Est, Sud, Pays de Galles et Irlande du Nord. Il est même envisagé une action spécifique auprès des internés169. Les grands principes desquels doit s’inspirer l’action du Council, toujours établis sur une base pragmatique, forment l’essentiel des lignes directrices des programmes qui seront mis en œuvre après la guerre. La différence est que l’établissement de relations culturelles avec les populations réfugiées s’effectue à l’échelle comparativement réduite de la Grande-Bretagne. Car il s’agit d’ores et déjà de relations culturelles. Il est important de susciter non pas une réciprocité impossible pour l’heure, mais un véritable échange culturel (two-way traffic). Ainsi sont préconisées les créations de centres nationaux, non seulement comme lieux d’accueil permettant aux populations de se retrouver entre elles et de rester en contact avec leur propre culture pendant la durée de leur exil, mais également comme embryons de centres culturels destinés à poursuivre leurs activités après la guerre, et dans cette perspective soutenus moralement et financièrement par leurs autorités nationales respectives. Les échanges culturels proprement dits se placent sur le terrain artistique (expositions artistiques, concerts, films) ou éducatif (conférences de scientifiques réfugiés), afin de soutenir des sentiments de fierté nationale en un temps où une approche exclusivement humanitaire serait vécue comme dévalorisante pour des populations subissant le traumatisme de la défaite, mais également dans l’optique de sensibiliser les Britanniques à la diversité et à l’originalité des cultures de nations européennes. Le second volet de cette action est faire connaître la Grande-Bretagne et aider les communautés étrangères à l’apprécier. Ainsi sont éditées des brochures à caractère pratique sur la vie et la culture anglaises traduites en plusieurs langues, et sont prévus des dons de dictionnaires de poche. Des visites de différents 168 169 Memorandum Cowell, 13 et 18 mai 1940. - BW 2/228, P.R.O. Note attachée à Chairman à Sir John Anderson (FO), 11 juillet 1940. - Ibid. 74 lieux représentatifs de l’économie, de la culture, du pouvoir sont organisées. Enfin, il est fait appel aux Britanniques pour contribuer à cet accueil, par l’hébergement ou la simple réception de ces réfugiés (dîners, thés …)170. Le Foreign Office suit très attentivement les projets du Council, qui ne sont mis à exécution qu’après accord du ministère. Pour l’heure, il approuve cette organisation et ces lignes d’action171. Pour assurer un suivi régulier des activités du Council auprès des communautés étrangères, est constitué un comité de pilotage et de coordination composé de représentants des ministères concernés - éducation (S.H. Wood), intérieur (Cooper), affaires étrangères (Haigh), de membres du Council (Bernard Ifor Evans, William Graham, Sir John Power, Miss Parkinson), de représentants du London County Council (Ellis et Jones) et de l’Institute of Education (Clarke)172. Plus généralement, le lien entre Foreign Office et British Council se doit d’être constant, des considérations politiques étant toujours susceptibles de devoir être prises en compte avant la mise en œuvre d’une action culturelle, particulièrement en temps de guerre. Aussi la position du Council est-elle alors essentiellement celle d’une force de proposition et d’un organe exécutant les décisions prises en dernier ressort par le Foreign Office173. Cependant, et pour la première fois de son histoire, le Council se voit reconnaître une légitimité entière dans son champ d’action, officialisée par la décision du 28 août 1940 qui lui confie “ la responsabilité du bien-être des civils et marins marchands alliés sur les plans éducatif et culturel ”174. Ceci peut bien se révéler être une reconnaissance temporaire accordée seulement pendant la durée de la guerre, mais elle offre à l’organisme culturel l’occasion de démontrer son utilité et son efficacité, qui pourront alors être portées à son crédit à la fin du conflit et justifier une pérennisation de son existence avec des moyens solides d’action. Un programme d’initiatives applicables à toutes les communautés de ressortissants étrangers est établi en fonction de catégories auxquelles ceux-ci peuvent être attachés. Le Council distingue ainsi quatre groupes, avec des besoins de nature spécifique 170 Memorandum Cowell, 13 et 18 mai 1940. - Ibid. British Council : Finance and Agenda Committee, 9 juillet 1940. - BW 2/228. - P.R.O. 172 British Council : Finance and Agenda Committee, 3 décembre 1940, Report on Resident Foreigners Department. - BW 69/6, P.R.O. 173 Haigh à Cowell, 28 août 1940. - BW 2/228, P.R.O. 174 “ responsability for the educational and cultural welfare of civilians and Allied merchant seamen ”. British Council : Finance and Agenda Committee, 3 décembre 1940, Report on Resident Foreigners Department. - BW 69/6, P.R.O. 171 75 mais voisine, et propose un ensemble d’actions, sorte de “ tronc commun ”, avec quelques adaptations dans les différents cas. Le tronc commun prévoit en premier lieu des cours d’anglais, assurés avec l’aide des autorités locales si possible, des distributions de livres et de périodiques, l’organisation de séances de cinéma (documentaires, dessins animés, longs métrages anglais ou du pays concerné), conférences sur la Grande-Bretagne et concerts. Il s’applique tel quel aux civils. Les marins marchands sont mobiles, ce qui nécessite une approche un peu différente : d’abord un hébergement temporaire à leur procurer, des cours d’anglais pour ceux qui restent au même endroit un certain temps, des ouvrages dans leur langue, des séances de cinéma, des excursions. Les militaires doivent essentiellement pouvoir disposer de livres, mais peuvent également bénéficier de cours (termes techniques), de conférences et de séances de cinéma. Les étudiants et les enfants doivent être en mesure de suivre une scolarité aussi complète que possible175. Les représentants locaux du Council évaluent ensuite le contexte dans lequel ils se trouvent et, en fonction de leurs observations, exploitent cet ensemble de possibilités, ou l’enrichissent. Alors que ce dispositif se met en place, le nombre de Français présents en Grande-Bretagne est estimé fin juillet 1940 à environ 2 665 civils résidant principalement à Londres, 7 000 Bretons en Cornouailles, et 5 400 militaires (terre et mer)176 dispersés dans différentes bases, soit environ 15 000 personnes. Outre Londres et les Cornouailles, en se fondant sur les rapports régionaux des représentants du Council, on peut identifier d’autres pôles de concentration de ressortissants français. Ainsi, l’Ecosse abrite de nombreux Français, à Edimbourg où réside une colonie française, mais également à Glasgow, Aberdeen. Des forces navales françaises sont stationnées dans les bases de Greenock ou Dundee. Les Français sont aussi présents à Cardiff et à Liverpool en nombre suffisant pour justifier la création de structures particulières nécessaires à leur accueil. Des civils sont signalés, mais en très petites quantités, à Nottingham, Leicester, Manchester ou Newcastle (marins). Le British Council ne semble pas se charger de les accueillir, si ce n’est de façon très marginale, à Birmingham, Bristol, Cambridge et dans le sud-est de l’Angleterre. En effet, l’action du Council se veut complémentaire de celles qui peuvent être menées par des organisations culturelles nationales. Les Français disposent précisément de telles structures, avec l’Alliance française, mais également les Amis des volontaires français, groupement spécifiquement formé pour venir en aide aux réfugiés français. 175 176 Ibid. Miss Parkinson à Haigh, 30 juillet 1940. - BW 2/228, P.R.O. 76 L’implication de ces organismes dans l’accueil des Français repose sur l’existence de branches locales et le dynamisme de celles-ci, mais lorsque cela est possible le Council travaille généralement en coordination avec eux. Dans les villes universitaires, l’université joue également un rôle, pour organiser par exemple des conférences. Enfin, dans les ports, les missions religieuses sont de précieux auxiliaires. La multiplicité des organisations susceptibles de mener une action efficace auprès des Français permet de réduire l’étendue de l’aide qui leur est apportée par le Council. Celui-ci peut alors reporter ses efforts sur une prise en charge plus développée de communautés plus “ isolées ” en Grande-Bretagne (Tchèques, Polonais, Norvégiens ...). Ceci ne signifie pas que le Council intervient peu au bénéfice des Français ; il module simplement son intervention en fonction des situations locales177. Leicester, Winchester, Manchester, Newcastle et Nottingham présentent le cas de villes où l’accueil des Français repose essentiellement sur des structures locales, le British Council n’agissant que très peu ou tout à fait à la marge178. A Leicester, le travail du Council consiste essentiellement à trouver des hébergements pour les troupes françaises en permission ; les civils sont peu nombreux. Un cercle français agit sans souci de coordination avec le Council. Est créée à partir d’octobre 1942 une branche locale des Amis des volontaires français179. Dans les environs de Winchester, le représentant du Council a établi des contacts avec une maison de vacances pour troupes françaises à Petersfield, et avec les bases aériennes de Lasham, Hartford Bridge et Eastleigh où est recensée la présence d’escadrons français. Grâce à la mission pour les marins, des liens existent également avec le port de Cowes, et par l’intermédiaire de la section navale alliée, avec Portsmouth. L’intervention du Council se limite à fournir des ouvrages et des journaux180. Ces journaux ont été spécialement créés à l’attention des Français. Il en existe trois : La France Libre, France (quotidien) et La France (hebdomadaire) ; ils font l’objet de distributions dans tous les centres du Council181. 177 Les archives se présentent davantage comme des procès-verbaux d’activités détaillés que comme des comptes rendus ; elles n’offrent pas de synthèse ni d’analyse sur l’évolution de l’action des représentants du Council. Leur contenu, souvent imprécis, permet toutefois d’observer la diversité des activités menées. 178 Pour autant que l’on sache : les dossiers de rapports ne couvrent pas toujours la durée complète de la guerre. 179 Miss Galilee, rapports juin / juillet, septembre et octobre 1942. - BW 2//285, P.R.O. 180 Moray Williams, rapports 1943-1944. - BW 2/296, P.R.O. 181 Philips à Miss Parkinson, 19 décembre 1940. - BW 2/238, P.R.O. Ces journaux ne doivent pas être confondus avec 14 juillet et le Journal du camp, publiés sous l’égide du M.O.I. en 1940, et dont il n’est pas trouvé trace parmi les titres distribués par le Council. British Council : Finance and Agenda Committee, 13 août 1940 - BW 69/6, P.R.O. 77 A Manchester, on ne recense que 53 Français sur un total de 5 700 étrangers fin 1940182. Le British Council coopère avec plusieurs structures : l’Alliance française, un cercle français, une section des Amis des volontaires français (dès 1942), la mission pour les marins, l’International Club (non spécifiquement français). Une coordination existe sous la forme d’un Comité uni des réfugiés (United Refugees Committee) créé en 1941. Le Council s’efforce dans ce contexte de répondre aux requêtes de ces organismes, qui sont en relations directes avec les Français : fourniture de brochures sur la vie et les institutions britanniques, journaux, ouvrages, dictionnaires183. Une contribution financière de 100 £ est versée à l’International Club en 1941184. Le Council complète cette action par l’organisation de cours d’anglais, et en 1942 la négociation de tarifs préférentiels pour les séances des cinémas de la Manchester Film Institute Society185. Il n’y a pas de communauté française installée à Newcastle ; le Council prête assistance aux équipages des bateaux qui y jettent l’ancre. Les officiers sont reçus186, des divertissements sont proposés aux hommes (cinéma, matchs de football) en plus des distributions de journaux. Des cours d’anglais sont instaurés trois fois par semaine. Exceptionnellement, les ressources financières disponibles sont utilisées pour offrir des coupons de vêtements (fonds du Council) et des bottes (fonds de la mission pour les marins) aux équipages qui en ont besoin187. Dans les rapports du représentant du Council à Nottingham (1942-1943) les initiatives prises en faveur des Français apparaissent uniquement locales. Un cercle anglofrançais est en activité. Il se réunit tous les quinze jours, et organise des conférences (dans les locaux du Council). L’Institute of Linguists et l’université de Nottingham font de même188. Si le faible nombre de ressortissants français ou la présence très active de structures d’accueil locales justifie la position en relatif retrait du Council, dans les régions qui comptent d’importants contingents de résidents français, l’organisation britannique apporte une assistance vigoureuse, et trouve éventuellement des solutions inédites pour 182 Note on Foreign resident population in the Manchester District, 17 décembre 1940. - BW 2/238, P.R.O. 183 Miss Parkinson à Philips, 24 décembre 1940. - Ibid. Miss Parkinson à Jesty, 12 février 1941. - Ibid. 185 Wilmot à Miss Parkinson, 26 mars 1942. - BW 2/279, P.R.O. 186 Svendsen, semaine du 26 avril 1942. - BW 2/280, P.R.O. 187 Nous avons un seul exemple de ce type d’aide. Svendsen, semaines de février à juillet 1943. - BW 3/5, P.R.O. 188 R.B. Calder, Monthly Report août 1942. Série de conférences organisées par l’université de Londres, le Council et Nottingham University College, 26 mars 1943. - BW 2/284, P.R.O. 184 78 répondre aux besoins des réfugiés. Les cas de Cardiff, Liverpool, Londres, l’Ecosse et les Cornouailles en témoignent. Le nombre de Français réfugiés à Cardiff est suffisamment important pour justifier la création d’un centre spécifique. Ce foyer possède une capacité d’au moins 50 personnes (y sont logés début 1942 20 officiers et 30 hommes), et en octobre 1942 est ajouté un dortoir supplémentaire pour accueillir des Sénégalais189. Le programme d’activité est classique : cinéma tous les 15 jours, cours d’anglais deux après-midis par semaine, conférences, mise à disposition de revues et journaux190. Le représentant du Council est également en contact avec la mission pour marins de Newport, et fournit films, livres, dictionnaires pour les équipages français qui y font escale en 1943 et 1944191.. Des excursions dans les environs sont également proposées. Au cours du second semestre 1944, l’activité du Council ne faiblit pas, bien au contraire. En effet, les ports français ont subi des dommages importants, et pendant le temps que durent les réparations, des contingents de troupes navales françaises sont hébergées à Cardiff192. A Liverpool, le British Council ouvre dès 1940 un club allié pour les 2 à 3 000 étrangers qui résident dans la ville et ses environs. Destiné à accueillir et héberger marins et militaires, à sensibiliser les Alliés au British Way of Life, ce club est organisé grâce à l’entière coopération des autorités de la ville, dont le très francophile Lord Derby193. Les activités proposées présentent un caractère très diversifié (réceptions, cours d’anglais quotidiens, cinéma, conférences, expositions). Les Français bénéficient d’une grande pièce (ainsi que les Belges et les Hollandais)194. Malheureusement, le club est détruit lors d’un raid aérien en mai 1941. Sa réorganisation est entreprise immédiatement, et le Général De Gaulle inaugure la section française le 8 février 1942195. 189 Francis, rapport du 31 octobre 1942. - BW 2/292, P.R.O. Francis, Report on General Position in South Wales, 7 février 1942. - Ibid. 191 Francis, rapports des 25 septembre 1943 et 19 février 1944. - BW 2/293, P.R.O. 192 Le 27 août 1944, Francis dénombre environ 300 Français au lieu des 50 présents habituellement. Il rapporte que pour héberger toutes leurs troupes, les autorités françaises ont à leur disposition un cinéma qui a abrité des soldats américains avant le débarquement. Francis, rapport du 27 août 1944. - Ibid. 193 Lord Derby fut à l’origine du mouvement d’adoption des villages du nord et de l’est de la France par les villes britanniques à l’issue de la Première Guerre mondiale (voir chapitre 22). 194 Miss Parkinson, Allied centre Liverpool. Note for SG’s letter to Mr Randall, 29 avril 1941. – BW 2/240, P.R.O. 195 British Council : Finance and Agenda Committee, 10 mars 1942. - BW 69/7, P.R.O. 190 79 Londres constitue un cas particulier parce que l’essentiel des réfugiés français s’y sont installés (en juillet 1940, Londres compte plus de 2 000 réfugiés français). A ce titre, la qualité du dispositif culturel mis en place est attentivement suivi par les autorités françaises, et par le Foreign Office. Grâce aux subsides versées par le gouvernement britannique, l’Institut Français de Londres poursuit son œuvre d’enseignement (voir infra), mais cette opération est strictement de nature éducative, et peut ne pas convenir à toutes les catégories de réfugiés. Aussi sur proposition de la colonie française de Londres est-il décidé en 1942 la création d’une maison de France, qui se veut d’abord un lieu de rencontre entre Français. Ce projet est assuré du soutien du Foreign Office, du M.O.I. Le British Council contribue à hauteur de 500 £, et est représenté à son conseil d’administration196. Cette maison est hébergée dans les locaux de la Chambre de commerce de Paris à Londres. L’action menée par le Council en Ecosse recouvre plusieurs aspects en raison de la variété des catégories de Français concernés : on compte une centaine de membres dans la colonie française d’Edimbourg, on observe la présence de forces navales dans deux bases - Dundee et surtout Greenock -, et un petit nombre de réfugiés. En outre, l’Ecosse est une région historiquement liée à la France, où la francophilie est très répandue. Ceci explique la présence dynamique d’autres associations d’aide : à Edimbourg, la Franco-Scottish Society, les Amis des volontaires français, le Dundee Club de Lady Rosebery197. Les autorités politiques françaises sont sensibles à cette francophilie de longue date, et choisissent symboliquement d’y créer un centre français. René Cassin fait appel au British Council pour réaliser à Edimbourg ce projet de foyer conçu comme un lieu de rencontres et d’échanges intellectuels198. Il s’agit là du premier foyer national français, qui apparaît aussi indispensable sur un plan pratique (hébergement de réfugiés) que sur un plan politique (exaltation de l’ “ Auld Alliance ”). Dans quelle mesure doit-on également voir dans le rappel appuyé de cette longue amitié franco-écossaise un signe ironique d’indépendance gaullienne vis-à-vis des Anglais ? Les coûts de réalisation (location du bâtiment, aménagement, coûts de fonctionnement dont salaire du directeur) sont partagés entre le British Council et le Comité national français sur une base moitié / moitié. Ils s’élèvent à 575 £ pour l’année 1942-1943, ce qui n’est pas estimé excessif par rapport au coût d’autres projets de ce type199.. Le centre est inauguré par Charles de Gaulle le 23 juin 1942. Les dossiers 196 British Council : Finance and Agenda Committee, 12 mai 1942. - BW 69/8, P.R.O. Harvey Wood à Miss Parkinson, 29 novembre 1941 - BW 2/273, P.R.O. 198 Cassin à Miss Parkinson, 19 novembre 1941. - Ibid. 199 Miss Parkinson à Secrétaire général, 16 juin 1942. - Ibid. 197 80 contiennent peu d’éléments sur les activités du centre. A priori, celles-ci sont similaires à celles d’autres foyers : possibilités d’hébergement pour les militaires, fourniture de journaux, réceptions diverses200, projection de films, conférences sur la France ou les relations (cordiales) franco-britanniques201. Parmi ces dernières, on peut mentionner la série “ France Grande-Bretagne : parallèles et contrastes ” dont les séances se déroulent tout au long de l’année 1944202, et sont également présentées avec succès à Glasgow. Ce long cycle de conférences établit des rapports entre les composantes d’un couple franco-britannique de thèmes symboliques, artistiques ou littéraires, ainsi : France et Britannia, Paris et Londres, Voltaire et Johnson, Sherlock Holmes et Hercule Poirot (!!), Lincoln et Chartres, Balzac et Dickens, Emma Bovary et Becky Sharp, Molière et G.B. Shaw, les langues, Panurge et Falstaff203. Cependant, du point de vue du Council, les autorités françaises ne se préoccupent pas suffisamment de la vie du centre, qui ne joue pas le rôle de foyer de rayonnement de la culture française attendu. Cette observation viendrait renforcer la justification purement symbolique de sa création204. Le Council est principalement chargé d’assurer son fonctionnement, mais il n’est pas établi de façon précise si le programme d’activités est uniquement composé par le directeur du centre employé par le Council ou si les Français y participent au moins en émettant des suggestions. La remarque de la responsable de la Home Division, Miss Parkinson, semblerait signifier que si les Français contribuent à l’animation du centre, cette contribution est jugée faible (peut-être là encore en comparaison avec le rôle en général joué par les autorités nationales vis-à-vis de leurs foyers). Le Council est par ailleurs actif dans la région de Glasgow. Un comité de coordination des Français libres pour Glasgow et l’ouest de l’Ecosse se constitue le 11 juin 1942. Ses efforts sont encouragés par la visite du Général De Gaulle à Glasgow le 24 juin205. En complément, le Council ouvre un club allié en décembre 1943, qui accueille des ressortissants de douze nationalités différentes (Européens, Américains et Chinois), est utilisé pour des réceptions, des concerts, et propose des conférences (voir supra). En parallèle, le 200 A noter, la “ semaine française ” d’août 1943, avec la visite de Lord Bessborough, de la section French Welfare du Foreign Office. - Ibid. 201 Attestées dans le dossier BW 2/273. Typiquement, on peut citer “ Entente cordiale ” par Yves Salaun, professeur au Lycée français, en 1942, “ la France au combat en France et en dehors de France ” par le colonel Palewski, la même année. 202 Harvey Wood à Miss Parkinson, 10 mars 1944. - Ibid. 203 Voir les rapports de Ross, mai-novembre 1944. - BW 3/1, P.R.O. 204 Avec le départ des militaires, le centre perd sa raison d’être, et est fermé en août 1945. Ses locaux sont repris par le consulat de France. Harvey Wood à Miss Parkinson, 25 juillet 1945. - Ibid. 205 Ross à Miss Parkinson, 29 juin 1942. - BW 3/1, P.R.O. 81 Council noue des contacts étroits avec la base navale française implantée à l’embouchure de la Clyde, à Greenock. La dimension sociale, qui se traduit par des dîners et des réceptions mettant en relations invités français (ou alliés) et hôtes écossais, est importante. Du point de vue fonctionnel, le Council fournit des livres et journaux à l’équipage, prépare des séances mensuelles de cinéma, et dispense des cours d’anglais technique. Des excursions sont organisées dans la campagne environnante, pour les marins, ou pour des groupes d’orphelines françaises. La base de Greenock ferme début 1946206. Les Français installés à Aberdeen207 bénéficient également du soutien du Council sous la forme “ traditionnelle ” de fourniture de livres et de films. En outre, les marins d’une base navale française établie à Dundee en octobre 1943 reçoivent des cours d’anglais et peuvent assister à des séances de cinéma (brièvement, car cette base n’est plus mentionnée après octobre). Outre ces activités spécifiquement destinées à accueillir les communautés réfugiées alliées, d’autres manifestations culturelles sont organisées : des expositions d’art, conçues à la fois comme un moyen de sensibiliser les populations britanniques aux cultures étrangères et comme une impulsion donnée à l’établissement de courants d’échanges culturels en prélude au temps de paix, et avec des moyens limités. A Glasgow est ainsi ouverte le 1er juin 1943 l’exposition “ The Spirit of France ”, en présence de Jacques Soustelle pour le Comité national français, Lord Inverclyde, Lord Rosebery et Lord Stair. Présentée à la Glasgow Art Gallery jusqu’au 4 juillet, elle remporte un immense succès, avec 74 791 [sic] visiteurs enregistrés. Elle donne lieu à des événements parallèles : une série de conférences sur la peinture française (Cézanne, Matisse, les Impressionnistes ...) et des concerts (Ravel, Debussy, Franck, Couperin)208. Fin 1944, elle est proposée à Aberdeen pour deux semaines (avec 8 500 visiteurs) et à Dundee pour trois semaines209. C’est depuis Brixham que le représentant du British Council organise son action en Cornouailles. Dans cette partie de l’Angleterre vit une colonie française importante avec un fort contingent de familles réfugiées de pêcheurs bretons. Des clubs français ouvrent à Penzance (en 1942, puis après sa destruction par bombardement, en 1943210) et Torquay (en 1942). Leur activité ne diffère pas de celle des foyers de même type ouverts ailleurs en 206 Voir les rapports de Ross. - BW 3/1, P.R.O. Voir les rapports de Bruce. - BW 3/2, P.R.O. 208 Rapport Ross 30 juin 1943. - BW 3/1, P.R.O. 209 Rapports de Bruce pour octobre et novembre 1944. - BW 3/2, P.R.O. En l’état des archives, il ne semble pas que cette exposition ait été présentée ailleurs qu’en Ecosse. 210 Ce club de Penzance est pris en charge par la marine marchande française. Sibbons, rapport du 14 mai 1943. - BW 2/294, P.R.O. 207 82 Grande-Bretagne. Globalement, la colonie française semble fort bien s’intégrer, comme en témoignent les nombreux et très détaillés comptes rendus des visites que leur rendent le représentant du Council et son épouse et des réceptions qui y sont données211. Cet état de fait est favorisé par une expérience originale d’éducation bilingue. A partir de janvier 1942, les enfants français vont dans des écoles anglaises, leur nombre étant insuffisant pour permettre l’ouverture de classes en français212.. En juin, deux modèles coexistent : les élèves de Torquay, Penzance / Newlyn suivent des cours bilingues (moitié en anglais moitié en français), alors que ceux de South Blent et Brixham poursuivent leurs études en anglais213.. En octobre, les petits Français de Brixham bénéficient de cours en français214. Les autorités françaises, très attentives à ce qui touche à l’éducation et la langue française, suivent cette expérience avec intérêt. Deux délégués du Comité national français sont en Cornouailles début 1943 pour juger des résultats. Ceux-ci s’avèrent très positifs ; les enfants acquièrent un niveau d’éducation estimé très correct et ne font pas de confusion entre les deux langages215.. René Cassin se rend également en Cornouailles en mai, et il semble que les autorités françaises aient été suffisamment convaincues de l’intérêt de l’opération et des effets bénéfiques retirés par les enfants pour laisser sur les questions d’éducation dans cette région une large marge de manœuvre au Comité pour l’Éducation des Français (French Education Committee) formé début 1943 pour en assurer le suivi216. Sibbons, le représentant du Council, lui-même enseignant, dispense par ailleurs des cours d’anglais. Son activité semble, de façon originale par rapport à ses collègues des autre régions, concentrée en très large part sur l’éducation. En 1943, il fait état de démarches effectuées avec succès auprès du Technical College de Plymouth pour admettre gratuitement trois Françaises, qui après leurs études dans cet établissement ont trouvé un emploi dans des sociétés britanniques217. Par ailleurs, la dimension artistique n’est pas absente des actions menées en Cornouailles. Une exposition de peintures modernes françaises est ouverte le 28 juillet 1943 à Brixham par Sir Frederick Ogilvie et le général Monclar. Elle est présentée à Torquay et Paignton218. En outre, les liens celtes sont mis à l’honneur grâce à un festival de musique celte 211 Dossiers BW 2/294 et BW 2/295, P.R.O. Sibbons à Miss Parkinson, 22 janvier 1942. - BW 2/294, P.R.O. 213 Sibbons, rapport du 14 juin 1942. - Ibid. 214 Sibbons, rapport du 31 octobre 1942. - Ibid. 215 Sibbons, rapport du 14 février 1943. - Ibid. 216 On note la présence du directeur de l’Institut britannique Hugh Sellon dans ce comité. Sibbons, rapport du 14 mai 1943. - Ibid. 217 Sibbons, rapport du 1er septembre 1943. - BW 2/295, P.R.O. 218 Voir dossier BW 2/295, P.R.O. 212 83 tenu le 5 septembre 1942 à Penzance219. Le comité organisateur ne survit pas à la manifestation, mais se crée par la suite un club gastronomique breton-cornouaillais (CornishBreton Food Club) visant à perpétuer par ce biais les liens entre les deux Cornouailles220. L’action menée en Ecosse et en Cornouailles se distingue des autres par le développement de la dimension relationnelle, dernier avatar de la solidité de liens anciens, entre Français et Ecossais, entre Celtes (Bretons et Cornouaillais). Ainsi le British Council met en application le programme prévu pour accueillir les réfugiés français, mais au-delà de cette assistance, l’échange s’instaure, ou plus exactement se poursuit, sous une forme plus modeste entre les Britanniques et les Français, manifestation concrète et réconfortante du soutien de ces populations britanniques aux réfugiés d’outre-Manche. Les expositions d’art français suscitent un fort intérêt particulièrement dans ces régions221, et l’expérience de scolarité bilingue en Cornouailles induit un entremêlement culturel que les conventions culturelles mêmes n’envisagent pas à ce degré. Cette expérience immédiate d’assistance aux populations exilées en GrandeBretagne, dans toute sa diversité, représente une acquisition de compétences fondamentales dans le champ des relations culturelles, et fait passer le Council d’un organisme encore amateur à une organisation structurée et efficace. Le contact direct avec des peuples différents constitue une dimension importante du travail d’action culturelle, mais il est insuffisant en soi. Le British Council doit également trouver sa place aux côtés des institutions ayant une mission proche de la sienne. Par ces deux biais - aide aux populations et coopération avec les organismes culturels - il doit achever de faire reconnaître par les autorités politiques des pays étrangers sa légitimité en matière d’échanges culturels, dans la perspective d’une action future dans un monde en paix. 219 Sibbons, rapport du 24 août 1942, et sq. - BW 2/294, P.R.O. Sibbons, rapport du 28 août 1943. - BW 2/295, P.R.O. 221 Peu d’expositions sont mentionnées dans les dossiers du Council. On peut ajouter à celles qui sont présentées en Ecosse ou en Cornouailles et évoquées supra : • une exposition d’artistes alliés en 1941, qui attire moins de 100 visiteurs à Salford (environs de Manchester) pendant une durée non précisée, mais qui draîne 40 000 visiteurs à Edimbourg, 24 000 à Glasgow, et est également présentée à Liverpool. [Wilmot à Miss Parkinson, 21 décembre 1941. - BW 2/238, P.R.O. ; British Council : Finance and Agenda Committee, 7 octobre 1941, Paper B. - BW 69/7, P.R.O.] • une exposition d’art français à Manchester fin août 1942, qui a eu un certain succès mais n’est pas estimée de très bonne qualité. [Phillips, septembre 1942. - BW 2/279, P.R.O.] 220 84 1.2 Coordonner l’action des institutions culturelles françaises Le British Council s’efforce de coordonner les actions menées par les organismes français à vocation culturelle installés sur le sol britannique. Deux d’entre eux sont amenés à entretenir des rapports étroits avec le Council : l’Institut britannique à Paris, replié en Grande-Bretagne à la suite de l’invasion allemande de la France, et l’Institut français de Londres, dont le Council doit gérer la subvention de fonctionnement. Sur décision de l’ambassade du Royaume-Uni, l’Institut britannique est fermé le 10 juillet 1940 par la responsable de la section d’anglais Miss Burt. Pour éviter la saisie des locaux par les Allemands, l’immeuble est explicitement mis sous la protection de l’université de Paris, et le Recteur Roussy y délègue un inspecteur général de l’Université. Un service de prisonniers s’y installe jusqu’en septembre 1940, date à laquelle l’inspecteur général y crée un Centre d’enseignement secondaire par correspondance. Une section de ce centre, l’Enseignement supérieur par correspondance, poursuit les activités de l’Institut britannique. Celles-ci sont menées discrètement sous couvert d’un enseignement de langues variées (également espagnol, allemand). En 1943, alors que la politique de Vichy connaît un durcissement consécutif à la progression alliée, le ministre de l’Education nationale Bonnard s’efforce de s’assurer le contrôle du Centre d’enseignement secondaire. Le Recteur s’oppose à cette manœuvre et refuse de décharger l’inspecteur général de ses fonctions de direction du Centre. Mais ayant finalement dû céder aux pressions du ministre, il place l’Enseignement supérieur par correspondance sous sa protection directe222. L’attitude du rectorat et le courage des animateurs de l’organisme pro-britannique contribuent à conserver à l’Institut britannique à Paris une légitimité politique dans le champ des relations culturelles avec la Grande-Bretagne. Cependant, le Comité exécutif londonien décide en juillet 1940 de reprendre les travaux de l’Institut britannique en Grande-Bretagne. Ce choix aboutit à la scission de fait de l’Institut entre un organisme français considérablement entravé dans ses activités en France, malgré la protection qui lui est accordée, et son équivalent britannique dont l’action acquiert une reconnaissance qui se traduira par la prise en compte de la valeur de l’Institut 222 Rapport de Mademoiselle Berthelmé, économe de l’Institut britannique, à Hugh Sellon, 11 octobre 1944. - Boîte 2, Dossier 1, Archives du B.I.P. 85 dans les plans de propagande culturelle élaborés pour l’après-guerre au sein du gouvernement britannique. La conséquence immédiate d’une réouverture de l’Institut à Londres est l’affermissement de l’autorité du Comité exécutif sur son administration. La liaison avec le Conseil d’administration étant coupée, le Comité est tenu de prendre des décisions seul pour favoriser le développement des activités de l’Institut sur le sol anglais. Ainsi peut s’effectuer un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Comité, voire un glissement complet d’autorité au profit de Londres, mouvement qui confirmerait la prépondérance initiale de fait du Comité dans la gestion de l’Institut223.. Dans cette configuration, l’Institut se rapproche de l’association Great-Britain-France224, dont le secrétaire B.S. Townroe est également secrétaire du Comité exécutif, lequel comité est hébergé par Great-Britain-France. Sur le plan fonctionnel, l’Institut est rattaché à l’université de Reading, dont Sir Henry Pelham, du Comité exécutif, est le chancelier225.. Le directeur du Comité exécutif, Lord Crewe entre en rapport avec le British Council afin de l’informer des futures activités de l’Institut et de demander leur prise en charge financière (au moins partielle). Le simple fait d’être doté de moyens financiers offre au British Council une position centrale dans le domaine de l’action culturelle où de multiples initiatives sont susceptibles de naître au sein d’organismes exilés qui ne disposent plus des ressources suffisantes et sont amenés à s’adresser au Council pour un complément. Celui-ci en retire plusieurs avantages : la création ou le renforcement de liens avec d’autres institutions culturelles étrangères, un rôle de coordination afin de répartir les aides, et au total l’acquisition d’une expertise pour juger des projets à financer en fonction des besoins. Toutefois l’activité de l’Institut britannique ne s’insère pas aisément dans les plans d’action esquissés par le Council en fonction de ses missions. D’une part, favoriser la connaissance du français n’entre pas dans les objectifs du Council, d’autre part les premiers programmes de cours d’anglais proposés par l’Institut apparaissent à la fois inadaptés aux besoins des populations réfugiées et trop onéreux à financer226. Tel est le jugement qui sanctionne la proposition de cours de civilisation britannique pour des élèves de 16 à 19 ans français, belges, hollandais et tchèques, soumise par Hugh Sellon. En tablant sur environ 60 223 224 Lane à Miss Parkinson, Entwistle, Ifor Evans, 15 octobre 1943. - BW 31/7, P.R.O. Sur l’activité de l’“ association-sœur ” de France-Grande-Bretagne, voir C. OKRET, op. cit., p. 379 416. 225 226 Crewe à White, 17 juillet 1940. - BW 31/4, P.R.O. Memorandum White à secr. général, 7 novembre 1940. - Ibid. 86 étudiants, la dépense est estimée à 6 500 £227. Ce constat conduit le Council à s’interroger sur la place de l’Institut dans le dispositif d’action culturelle en temps de guerre, et en conséquence sur la pertinence de la poursuite d’une aide financière à l’Institut (1 000 £ sont prévues pour l’année 1940/1941)228. Cependant, il apparaît a priori peu judicieux de supprimer toute subvention à l’Institut comme le précise le conseiller en éducation Ifor Evans : “ Il est important de conserver une influence sur l’Institut, afin de s’en servir lorsqu’en d’heureuses circonstances nous aurons la possibilité de reprendre notre travail en France. ”229 En attendant, l’Institut ne reste pas inactif. En premier lieu, il continue à distribuer des bourses d’études prélevées sur les donations Esmond et Leverhulme. Quatre étudiants en bénéficient en 1940230. En second lieu, des cours de français sont organisés pour 1941 : à Reading pour treize étudiants chinois, à Cambridge pour cent vingt-sept étudiants en licence, également pour soixante-cinq élèves de public schools231. S’y ajoutent des cours de géographie britannique en français. La directrice de la section anglaise Miss Burt donne des cours d’anglais aux officiers Français libres stationnés à Reading232. On observe que l’apprentissage du français domine ces programmes, au détriment de l’anglais. Est-ce une marque d’influence de l’association Great-Britain-France, sous l’impulsion de Townroe ? Sous les auspices de celle-ci, l’Institut donne cent dix-huit conférences sur la France233. Les demandes de cours d’anglais émanant du British Council rééquilibrent quelque peu l’activité de l’Institut, même si la prépondérance des cours de français rend plus aiguë la question de la contribution financière du Council. Ainsi Miss Burt est sollicitée pour donner des cours d’anglais sous les auspices du Council234.. Ou encore le Council utilise Reading comme centre de formation de professeurs devant être envoyés à l’étranger235. Neuf professeurs et trois conférenciers séjournent à Reading dans ce cadre236. Si ces douze 227 Proposals from the British Institute in Paris (s.l.n.d.). - Ibid. Memorandum Ifor Evans, 15 novembre 1940. - Ibid. 229 “ It is important to have some hold on the Institute so that we can be ready if in fortunate circumstances we were able to re-develop our work in France. ” Ifor Evans à White, 13 mars 1941. - Ibid. 230 Minutes of the Joint Meeting of the Executive and Education Committee, 12 décembre 1940. - Ibid. 231 Ibid. Times Literary Supplement, 26 avril 1941. - BW 31/5, P.R.O. Des cours de vacances pour étudiantes des public schools sont également organisés pendant les mois d’été 1941 à Exeter. - Ibid. 232 Townroe à Ifor Evans, 24 février 1941. - BW 31/4, P.R.O. Townroe à Ifor Evans, 20 mars 1941. - Ibid. 233 B.S. Townroe, Future Policy of the British Institute, draft, 16 avril 1941. - BW 31/5, P.R.O. 234 Townroe à Ifor Evans, 20 mars 1941. - BW 31/4, P.R.O. 235 White à Sellon, 20 décembre 1940. - BW 31/4, P.R.O. 236 University of Reading Registrar à Lane, 3 janvier 1941. - Ibid. 228 87 personnes sont les seules à avoir suivi cette formation, comme les archives pourraient le laisser penser, on peut en déduire que le Council adopte une position prudente en attendant que les politiques aient statué sur la définition des rapports qu’il doit entretenir avec l’Institut. Si tel n’est pas le cas, il reste vraisemblable de penser que le Council préfère être circonspect dans ses relations avec l’Institut tant que les ministères n’ont pas tranché. Et cette attente traduit les incertitudes du Council sur la place exacte de l’Institut dans la stratégie politique et culturelle à moyen terme de la Grande-Bretagne à l’égard de la France. A quel point faut-il le ménager ? Sur le principe d’une aide du Council à l’Institut, les représentants des deux ministères concernés (M.O.I., Foreign Office) dévoilent des positions divergentes. Oliver Harvey pour le M.O.I. plaide en faveur du soutien, parce que l’Institut donne des conférences en coopération avec le M.O.I. Pour sa part, Anthony Haigh, du Foreign Office, estime qu’il faudrait supprimer cette aide afin d’assurer la soumission fonctionnelle de l’Institut au Council après la guerre, l’Institut étant alors entièrement dépendant du Council sur le plan financier pour reprendre ses activités en France237. Par ailleurs, début 1941, le gouvernement a confié au Council l’administration d’une subvention accordée à l’Institut français pour maintenir sa présence238 alors que Vichy lui a coupé les crédits, et soutenir deux organismes à vocation culturelle très proche pour ne pas dire quasi-similaire représente une charge trop lourde en temps de guerre. La solution se trouve dans une réorganisation de l’Institut sur une échelle plus modeste en attendant l’occasion de reprendre ses directions d’action traditionnelles. Aussi Sellon est-il remercié et remplacé par Miss Burt, les liens avec l’association Great-Britain-France distendus239 et un rapprochement avec l’Institut français engagé.. Le British Council interrompt son soutien financier à l’Institut240. 237 Randall à Ifor Evans, 12 mai 1941. - BW 31/5, P.R.O. Ifor Evans à Harvey, 24 janvier 1941. - BW 31/4, P.R.O. L’Institut français bénéficiait avant la guerre d’une subvention de 250 £ par an. Celle-ci passe alors à 14 000 £. (Memorandum Ifor Evans à Miss Parkinson et à Seymour, 15 mai 1941. - BW 31/5, P.R.O.) 239 Townroe est également remercié. La raison en est plus obscure. En effet, on sait que Sellon et Townroe ne s’entendaient pas, mais si le contrat de Sellon prend fin, pourquoi mettre un terme à celui de Townroe ? D’autant plus que nulle part les archives ne portent trace de plainte du Council à l’égard de l’action de Townroe. Il est possible que l’action de Great-Britain-France déportant l’action de l‘lnstitut vers l’étude du français, le Council ait estimé qu’il fallait recentrer l’Institut vers les cours d’anglais. 240 Ifor Evans à Miss Parkinson et secr.général [Seymour], 8 juillet 1941. - BW 31/5, P.R.O. En fait, sur les 1 000 £ prévus pour l’année 1940 / 1941, 750 ont alors déjà été versés. 238 88 Début 1942, l’Institut britannique quitte Reading et s’installe dans les locaux de l’Institut français. Les rapports avec le British Council restent distants, alors que l’Institut voit ses efforts appuyés par deux autres institutions. En premier lieu, sa vigoureuse activité lui permet de resserrer les liens avec les universités britanniques, dont certaines acceptent de servir de cadre à l’organisation des cours (Oxford, Cambridge, Durham, Bristol, Manchester, Exeter). Quelques-unes contribuent, plus ou moins modestement, aux dépenses de fonctionnement de l’Institut : en 1941, Londres (200 £), Oxford (50 £), Belfast (35 £), Reading (20 £), Durham (10 £), Corpus Christi (5 £)241. Lorsque Miss Burt doit démissionner de la direction de l’Institut, pour raisons de santé, des professeurs d’université interviennent pour obtenir le retour de Hugh Sellon et la poursuite des cours. Sellon est nommé provisoirement en attendant le retour en France avec le titre de directeur des cours en Grande-Bretagne242. En second lieu, l’Institut reçoit l’appui des Forces françaises libres réfugiées en Grande-Bretagne. Il bénéficie là de la bienveillance que le commissariat à l’Education des Forces françaises libres dirigé par le juriste René Cassin n’a pas accordée à un Institut français de Londres originellement hostile à l’initiative gaulliste (puis qui évolue dans un sens plus favorable aux Français libres). Le département de Cassin octroie ainsi à l’Institut britannique une subvention annuelle pour alimenter un fonds de bourses pour étudiants. Il suggère les noms de conférenciers français susceptibles de participer à son programme éducatif243. La coopération avec les Français libres permet ainsi l’organisation de cours pour professeurs à Oxford, pour élèves de différents niveaux à Bristol, Exeter et Durham en 1942. Les Français prennent en charge le coût des livres244. D’autres cours suivent pour professeurs à Exeter, pour étudiants à Oxford. Ils remportent un vif succès245. Ils sont reconduits en 1943 et 1944. Les dons des Français libres destinés à permettre aux étudiants d’assister à ces cours sont initiés en 1943 avec 200 £246. Cette somme passe à 500 £ en 1944 (dont 300 pour les universités qui servent de cadre à ces cours)247. 241 B.S. Townroe, Future Policy of the British Institute, draft, 16 avril 1941. – Ibid. Des versements ont peut-être aussi été effectués par Cambridge et Manchester. 242 Minutes of the Executive and Education Committee, 23 janvier 1942. - Ibid. 243 Le soutien apporté par René Cassin ne sera pas oublié, et après la guerre, Cassin sera nommé au Conseil d’administration de l’Institut britannique. 244 Lane à Ifor Evans et Miss Parkinson, 15 avril 1942. - BW 31/5, P.R.O. 245 Minutes of the Executive and Education Committees, 15 juillet 1942. - BW 31/7, P.R.O. 246 Minutes of the Executive and Education Committees, 10 février 1943. - Ibid. 247 Minutes of the Executive and Education Committees, 11 février 1944. - Ibid. 89 Dans ce contexte, le British Council conserve ces distances vis-à-vis de l’Institut britannique, et semble ne plus le solliciter. Les contacts demeurent par le biais des réunions de comités de gestion (Executive and Education Committees) au sein desquels le Council est représenté (par Lane), mais les activités de l’Institut n’ont désormais plus de rapport avec ses missions. Si en 1942 un comité de coordination a réuni Lane, Cassin, Sellon, Pelham, Desseignet (pour l’Institut britannique) et des représentants de l’Institut français, il semble que ce comité ou bien ait été ad hoc, ou bien ne se soit plus réuni. Le Council avait alors évoqué une éventuelle aide à la marge, pour l’organisation matérielle des cours, ou de possibles dons de livres248. A ce motif fonctionnel d’éloignement s’ajoute la méfiance éprouvée par Ifor Evans à l’endroit de Cassin. De ce fait, Ifor Evans n’incite pas le Council à s’impliquer dans les activités de l’Institut249. Le British Council entretient des relations de même nature distante avec l’Institut Français de Londres250. Né en 1910 sous le nom d’“ université des lettres françaises ”, l’Institut français dispose à l’instar de son homologue britannique d’une organisation fonctionnelle binationale, bien que différente. Il adopte en 1913 le statut de compagnie privée britannique251, mais dès 1922 est contractuellement lié avec les universités de Lille et Paris, mandatées par le ministère de l’Education nationale sous la forme d’une commission interuniversitaire qui en nomme le directeur validé par le Conseil général de l’Institut français. Avant la Seconde Guerre, cet organisme chargé de faire connaître la culture et la langue françaises à Londres reçoit les soutiens financiers de la ville de Londres (London County Council) et de l’université de Lille, qui viennent s’ajouter aux revenus qu’il retire des cours qui y sont dispensés252. L’entrée en guerre isole l’Institut français de la France et de ses représentants. Le directeur considère de prime abord l’entreprise du Général De Gaulle avec méfiance, ce qui a pour conséquence de tendre les relations et de priver l’Institut d’une source financière compensatrice. Devant une telle situation, l’Institut français se tourne vers le gouvernement britannique, et le British Council est désigné comme intermédiaire financier pour lui verser 248 Lane à Ifor Evans et Miss Parkinson, 15 avril 1942. - BW 31/5, P.R.O. Ibid., notes d’Ifor Evans. Nous ignorons l’origine de cette méfiance. 250 Parfois appelé “ Institut ” dans les paragraphes qui vont suivre, dans cette sous-partie uniquement, il s’agit bien toujours de l’Institut français et non de l’Institut britannique. 251 Bessborough à Lane, 14 novembre 1944. – BW 31/23, P.R.O. 252 Memorandum attaché à : Lane à Bessborough, 11 octobre 1943. – Ibid. 249 90 une subvention émanant du Foreign Office. Le gouvernement britannique estime en effet primordial de permettre à cette institution de poursuivre ses activités au profit des communautés réfugiées253, et de jouer le rôle de foyer de culture nationale pour les réfugiés français. Ainsi est allouée une aide de 3 000 £ pour le lycée français de l’Institut en décembre 1940. Le Council est chargé en outre de l’administration de cette somme254.. La subvention déléguée à l’Institut se monte à 16 000 £ pour 1942/43 et 21 600 £ pour 1943/44255. En conséquence, deux représentants du Council siègent à la fois au comité exécutif et au comité des finances et affaires générales (Finance and General Purposes Committee). Leur contrôle s’exerce de façon discrète lors des réunions de ces comités qui valident les dépenses proposées256. Leur rôle réside essentiellement dans le maintien d’une coordination entre les différents projets culturels pouvant intéresser la communauté française, afin de ne pas créer de doubles emplois dans l’utilisation des deniers publics. C’est ainsi que le Council s’émeut de deux projets qui lui semblent précisément induire un gaspillage financier : la création d’un théâtre Molière dirigé par un acteur de la Comédie Française, Paul Bonifas, et le lancement d’une Société des Amis de la Culture Française sous l’égide de René Cassin257. L’indépendance d’action pratiquée par les Français en exil représentant “ la vraie France ” se retrouve dans le domaine éducatif. En 1942, ils revendiquent le droit de valider les diplômes français, dans l’optique de se faire reconnaître une légitimité pleine et entière dans l’exercice d’une mission nationale sur le plan éducatif. Ils s’opposent ainsi au directeur de l’Institut Denis Saurat, dépositaire des pouvoirs qui lui ont statutairement été délégués par la commission interuniversitaire Paris – Lille avant la guerre258.. Mais la situation d’exception créée par la guerre incite les Britanniques à une certaine prudence. La commission interuniversitaire n’existe plus pour l’heure, et le Foreign Office estime que de fait Saurat ne saurait exercer ses pouvoirs dans le sens d’une action qui revient de droit à un ministère ou à ses représentants dûment désignés. Cet épisode met en lumière le flou entourant le statut de l’Institut dans ce contexte particulier de guerre ; flou dont nous reparlerons. 253 L’activité de l’Institut français est la suivante : cours de français tous niveaux, préparation du Proficiency, préparation à la licence de lettres, cours de français commercial en liaison avec la chambre de commerce française à Londres, conférences publiques. Programme des cours de l’Institut français, année scolaire 1942/43. – Ibid. 254 The British Council : Finance and Agenda Committee, 3 décembre 1940. – BW 69/6, P.R.O. 255 The British Council : Finance and Agenda Committee, 9 février 1943. – Ibid. 256 Sir Malcolm Robertson au Conseil général de l’Institut français, 16 juillet 1942. – BW 31/24, P.R.O. 257 Bessborough à Peake (FO, chargé de mission auprès du Comité national français), 25 mars 1943. – BW 31/23, P.R.O. 258 Memorandum attaché à : Lane à Bessborough, 11 octobre 1943. – Ibid. 91 Cependant, le Foreign Office adopte une ligne de conduite conciliatrice : il s’agit de favoriser un minimum de concertation entre les autorités françaises présentes à Londres et l’Institut, sans pour autant permettre une main-mise des Français sur ce dernier. Un accord passé entre Lord Bessborough pour le Foreign Office et René Cassin259 prononce un statu quo ante bellum concernant l’enseignement et le personnel de l’Institut. Il est clairement indiqué que la validation des diplômes ne pourrait avoir lieu qu’après rétablissement en France de structures de gouvernement “ normales ”. Et pour faciliter les relations entre l’Institut et les autorités françaises de Londres, est créé un comité éducatif composé de trois représentants de la France Combattante et de trois représentants de l’Institut260. A caractère consultatif, cet organe d’échanges est également appelé à émettre des suggestions pour la préparation des programmes de l’Institut (sujets à traiter lors des conférences publiques, par exemple)261. Les autorités françaises gagnent ainsi un droit de regard sur l’image de la France présentée par l’Institut, sans pour autant déplacer le centre de gravité du pouvoir, qui reste entre les mains d’un futur ministère de l’Education agissant en temps de paix. Ainsi, le Council suit avec vigilance les initiatives prises par ces deux Instituts - le britannique et le français -, alors qu’apparaissent les premiers signes d’élaboration de la future politique de projection culturelle de la Grande-Bretagne en France après la guerre. 2.- LA DÉFINITION D’UNE POLITIQUE DE PROJECTION CULTURELLE EN FRANCE : POUR UNE “ RECONSTRUCTION MORALE ” Le British Council se trouve placé au centre d’un dispositif futur de projection culturelle élaboré pour être appliqué en France à la Libération. Alors que ce schéma stratégique se met en place, le Council tente une première expérimentation grandeur nature avec l’ouverture d’un centre en Algérie. 259 Echange de lettres : Cassin à Bessborough, Bessborough à Cassin, 2 octobre 1942. – Ibid. Lane à Miss Parkinson, 28 octobre 1942. – Ibid. 261 Réunion de l’Education Committee, 11 décembre 1942. – Ibid. 260 92 2.1 Le futur dispositif d’action culturelle : sous le contrôle du British Council Une réflexion concernant les futures relations culturelles avec la France est engagée dès la fin de l’année 1942. Le débarquement du 8 novembre en Afrique du Nord représente une date clé dans l’enchaînement des événements qui devaient conduire à la chute des dictatures fascistes, et la reconquête de la France est amorcée par ses territoires africains. Aussi les Britanniques étudient-ils un resserrement des liens culturels entre les futurs pays libérés et la Grande-Bretagne, principe d’action politique déjà acquis avant la guerre alors que la première convention culturelle avec la Grèce avait été mise au point. Dans le cas de la France, il ne s’agit pas toutefois de la simple mise en application d’une politique adoptée avant la guerre. En effet, aux yeux des Britanniques, la France porte le lourd fardeau de la politique de collaboration pratiquée par ses dirigeants vichystes, que l’action du général De Gaulle ne peut faire oublier. Aussi le professeur Entwistle peut-il évoquer dans un de ses courriers la “ reconstruction morale ” de la France devenue “ affaire de politique nationale ”262. La culture britannique est ainsi vue comme curative contre la maladie antilibérale et anti-démocratique qui a saisi la France en 1940. Elever au niveau d’une “ affaire de politique nationale ” les liens franco-britanniques souligne leur importance dans l’avenir, et en particulier dans les réflexions très certainement menées à cette époque sur l’équilibre des puissances dans l’Europe d’après-guerre : recréer une France stable et idéologiquement bien ancrée dans le camp de la démocratie libérale est considéré comme un impératif. Dès fin 1942, sont esquissées les premières réflexions sur les structures à mettre en place pour assurer ce lien culturel de façon active. Faut-il créer de nouvelles organisations dédiées à cet objectif ? Faut-il s’appuyer sur les institutions existantes ? L’un des premiers documents de réflexion sur l’action culturelle future de la Grande-Bretagne à l’étranger après la guerre est un mémoire rédigé par Ivone Kirkpatrick, représentant des services de propagande du Foreign Office (Propaganda War Executive PWE263) auprès de la B.B.C. pendant la guerre. Ce texte ne concerne que la B.B.C. et propose 262 “ the moral reconstruction of France [...] a matter of national policy ”. Entwistle à Bessborough, 21 janvier 1943. – BW 31/7, P.R.O. 263 Le Propaganda War Executive dispose d’un comité consultatif, le Propaganda Policy Committee, composé de R.B. Lockhart (directeur du PWE), Reginald Leeper (fondateur du British Council), R.A.D. Brooks et Ivone Kirkpatrick. 93 quelques axes de propagande rassemblés sous l’intitulé The Projection of Britain264.. Il contient toutefois des éléments applicables dans un contexte différent du monde radiophonique, et représente à ce titre l’état de la pensée du PWE sur ce que devraient être les soubassements théoriques des futures activités culturelles de la Grande-Bretagne en Europe. Le mémoire retient trois objectifs visés par cette action : contribuer à la compréhension entre les peuples en éliminant les incompréhensions dont la Grande-Bretagne peut faire l’objet en Europe, s’affirmer comme un leader moral proposant une organisation politique alternative à l’ordre dictatorial, et stimuler le développement d’un intérêt permanent pour la Grande-Bretagne. La dimension politique de l’action culturelle est ici clairement reconnue. Kirkpatrick précise : “ Avec la disparition de la vieille Europe, et l’effondrement du Nouvel ordre nazi, il restera un vide moral qui sera inévitablement comblé d’une façon ou d’une autre. L’apport de la Grande-Bretagne à la civilisation et sa capacité de résistance militaire lui ont donné le droit incontestable de participer au comblement de ce vide moral [the undoubted right to play her part in filling this moral vacuum], et le devoir [duty] de proposer une alternative au Nouvel ordre nazi. ” Il s’agit dans cette perspective de présenter the essential Britain, la GrandeBretagne à la fois attachée à un ensemble de caractères qui lui donnent sa stabilité (dont sa structure politique et sociale) et capable à s’adapter aux évolutions en douceur. Ce contexte apparaît comme l’arrière-plan qui favorise les réussites culturelles et scientifiques. Sur ce thème, Kirkpatrick mentionne parmi les préjugés à combattre “ une admiration qui tient de la superstition pour la France et les réussites françaises, et qui a produit chez les intellectuels européens une profonde méconnaissance des réussites intellectuelles britanniques ”265. Les conséquences de la guerre en Grande-Bretagne sur les populations et la vie socio-économique doivent être particulièrement portées à la connaissance des Européens. Ce document est repris et étudié au sein du PWE. Il est finalement amendé dans le sens d’une plus grande finesse de méthode pour atteindre les objectifs fixés. Ainsi il est recommandé de ne pas mettre en avant l’ambition politique britannique en Europe, ou encore de trouver un juste équilibre entre la spécificité du caractère britannique et son insertion naturelle dans l’espace européen266.. Ces remarques sont finalement transmises au directeur des programmes européens de la B.B.C. fin 1942267 ; elles doivent constituer une 264 [I. Kirkpatrick], The Projection of Britain, s.d. [fin 1942]. - FO 898/413, P.R.O. “ A superstitious reverence for France and the French achievements has left European intellectuals very ignorant about British intellectual achievements. ” 266 Memo David Garnett, 22 décembre 1942. - Ibid. 267 Calder à D.Eur.B. (B.B.C.), 29 décembre 1942. - Ibid. 265 94 base de réflexion pour les stratèges de la B.B.C. ainsi incités à préparer dès à présent l’aprèsguerre. Parallèlement, pour favoriser la connaissance de la Grande-Bretagne en France, les potentialités de l’Institut britannique s’imposent en premier lieu au gouvernement britannique. En effet, dans le cadre du processus de réexamen des relations culturelles francobritanniques, afin de proposer des directions de coopération pertinentes pour l’avenir, l’Institut peut se prévaloir d’atouts non négligeables : la solidité de son expérience dans le champ culturel, le réseau de liens qu’il entretient avec les universitaires parisiens, et sa légitimité auprès des autorités françaises gaullistes. Aussi est-il associé aux réflexions en cours dans la perspective d’une coopération future avec le British Council. Entre-temps, le 10 juillet 1943, le Ministre des Affaires Etrangères Anthony Eden fait part au British Council de son souhait de le voir d’une part lier étroitement (integrate ... with) ses activités éducatives à celles de l’Institut britannique, et d’autre part superviser et coordonner la mise en œuvre de la politique culturelle britannique en France268. Ainsi l’Institut britannique figure en bonne place dans le schéma du dispositif imaginé par le Council en septembre 1943, reproduit ci-dessous269 : Représentant du British Council Instituts régionaux Education Scientifique Etudes (Institut brit.) Officer Officer (Min. Educ.) Classes Science Institut brit Echanges scol. Fonctionnel et relations publiques Films, confs, bib, musique Nouveaux locaux centre de Paris (Quartier latin) Ce schéma fait nettement apparaître la nécessité de coordonner les activités du Council et de l’Institut pour deux raisons. D’une part, les deux organismes doivent avoir 268 Robertson à Palairet, 5 février 1944. - BW 31/12, P.R.O. Cette lettre résume le contenu de celle d’Eden, dont un extrait est conservé dans le même dossier BW 31/12 (Eden à Robertson, 10 juillet 1943). 269 British cultural relations with France, ordre du jour de réunion [23 septembre 1943]. - Ibid. 95 compétence dans le champ éducatif, et ce, même si le noyau de l’activité éducative est laissé à l’Institut, le Council se réservant les échanges. D’autre part, ce modèle retire à l’Institut toute intervention dans le domaine culturel, alors que celui-ci, dans le respect des missions énoncées dans ses statuts, s’y était illustré avant-guerre. Des négociations sont engagées avec le Comité exécutif de l’Institut pour établir les modalités d’un accord de coopération. Les termes en sont mis au point au cours du second semestre 1943270. L’accord rappelle en partie liminaire la place éminente du British Council, chargé de la coordination des initiatives culturelles britanniques en France, selon les vœux d’Anthony Eden. La coopération entre les deux organismes doit donc s’organiser sous les auspices du Council. Cette sujétion se traduit par la présence de représentants du Council au Comité exécutif de l’Institut271. Elle se justifie par les soutiens fonctionnel et surtout financier que le Council prévoit d'allouer à l’Institut. La subvention doit toutefois n’être qu’un complément de ressources, l’essentiel du financement étant constitué des fonds propres de l’Institut, des dons, des frais d’inscription aux cours, et de la participation des universités britanniques. La prépondérance du Comité exécutif dans la gestion de l’Institut est explicitement établie. Aux termes de l’accord, il s’occupe des nominations, de l’administration des fonds, de la conception des orientations d’action. Le directeur de l’Institut est responsable de sa gestion devant lui272. Le partage des tâches entre les deux organismes est très vaguement abordé. Il est simplement prévu que certaines activités à caractère culturel seront plus tard transférées au British Council. Le détail des attributions respectives des deux institutions doit être mis au point au cours d’une consultation ultérieure entre leurs représentants en France. Des contacts réguliers entre British Council et Institut britannique doivent assurer une coopération harmonieuse et efficace. Enfin est évoquée une réorganisation du personnel de l’Institut, et la nécessité de nommer un directeur sur place273. 270 Memo on the relations between the British Insitute in Paris and the British Council (Paper A) [1943]. – BW 31/8, P.R.O. 271 Lane à cette date, rejoint par la suite par le professeur Ifor Evans. 272 Heads of Divisions Meeting, Agenda, 30th May 1945. Foreign Division C – France. – BW 31/8, P.R.O. 273 Memorandum on the relations between the British Institute in Paris and the British Council (Paper A) [1943. Effectif à partir de décembre]. – Ibid. Un document daté de mars 1944 relatif au développement du British Council fait référence à cet accord, mais comprend en outre quelques pistes d’action qui ne se retrouvent pas dans le texte de l’accord. Ces pistes sont les suivantes : l’élaboration d’un système d’échanges scolaires et universitaires (non mentionné aussi clairement dans l’accord) et l’idée de créer des instituts britanniques en province (à Bordeaux, Lyon, Marseille, Lille, Rennes - non évoqué dans l’accord). Il est vraisemblable qu’il y ait eu confusion des activités respectives 96 Cet accord, dont le mérite essentiel est d’insérer l’Institut britannique dans une politique d’ensemble pour assurer la cohérence des efforts britanniques de promotion culturelle à l’égard de la France, étonne cependant par le caractère quelque peu abrupt, voire maladroit, de sa formulation. En premier lieu, les décisions concernant le futur de l’Institut sont prises unilatéralement, au mépris des règles originelles régissant son fonctionnement. En effet, l’accord est passé entre le Council et le Comité exécutif de l’Institut. Or statutairement, le Conseil d’administration est en charge des destinées de l’Institut, et est seul habilité à établir les stratégies d’alliance fonctionnelle avec d’autres organismes. Le rôle de ce Conseil est connu du Council, qui le découvre au cours de l’élaboration de ce nouvel accord, en se référant aux statuts274. Au British Council, Lane écarte délibérément sa prise en compte dans le contenu de l’accord, en arguant du retrait initial du Conseil d’administration dans la gestion de l’Institut qui a en quelque sorte fait passer de facto celle-ci au Comité exécutif londonien. En tant qu’officier juridique (legal officer), Lane admet qu’il convient de se prémunir contre une réaction du Conseil275 devant ce qui ressemble à un acte de dépossession du pouvoir, mais la raison pour laquelle ce point n’est finalement pas évoqué dans l’accord reste inexpliquée. D’autre part, l’université de Paris, en tant qu’institution de tutelle, n’est pas davantage consultée. Certes, le contexte international ne favorise pas le respect des procédures, les relations avec la France étant des plus réduites. Cependant, cet argument n’est pas entièrement satisfaisant pour justifier la mise à l’écart du Conseil d’administration. En effet, dès octobre 1944, le British Council a connaissance de l’attitude courageuse de l’Institut pendant l’Occupation et la protection toujours vigilante que lui a accordée l’université. La légitimité de l’Institut à Paris reste donc entière et incontestable. En outre, cet accord est marqué par son caractère définitif. Aucune soumission ultérieure au Conseil d’administration pour validation n’est prévue, alors que l’accord doit par la suite être principalement appliqué dans un contexte normal et non en temps de guerre. Cette lacune apparaît lourde de malentendus futurs, car ce qui équivaut à une des deux organismes, qui sont par ailleurs encore insuffisamment clairement définies à l’époque. Il se peut qu’ait été simplement établi dans ce texte le principe de création d’un réseau de centres provinciaux autour du Council, aux attributions encore peu précises mais comprenant une dimension éducative. British Council, Memorandum on future development (march 1944), France p. 26-27 (# 204-209). BW 69/9, P.R.O. 274 Lane à Miss Parkinson, 15 septembre 1943. - BW 31/7, P.R.O. 275 Lane à Miss Parkinson, prof. Entwistle, Ifor Evans, 15 octobre 1943. - Ibid. 97 mainmise du Council sur l’Institut et ses activités ne traduit pas un simple recadrage lors d’une réorientation politique, mais une prise de contrôle sur une institution française. L’accord ainsi accepté par le Comité exécutif le 12 novembre 1943276 exprime d’ailleurs dans ses tendances léonines cet objectif de soumission. Les éléments d’une mise sous dépendance financière, voire organisationnelle, sont réunis, en particulier dans la délicate période d’après-guerre lors de laquelle les ressources financières les plus assurées sont les ressources publiques en attendant que se réorganise la vie en temps de paix. Ainsi, sans préjuger des relations générales entre l’Institut et le Council par la suite, il est clair que l’accord porte en germe des risques de friction, car un organisme indépendant ne voit jamais avec plaisir son assujettissement à un corps chargé d’une mission officielle qui peut être perçue comme de la propagande (surtout après la guerre) même s’il s’en défend. Il faut souligner à la décharge du Comité exécutif que celui-ci ne s’est pas résigné avec enthousiasme à un tel accord. Selon Lane, du British Council, la “ docilité ” du Comité est dûe à la crainte de n’avoir ni locaux ni ressources après la guerre ...277 Mais cette crainte a alors été unanime ...278 A la suite de cet accord, Sellon est nommé directeur pour trois ans279. L’Institut se voit octroyer 680 £ par le Council pour la période 1er janvier 1944 - 31 mars 1945280, 450 £ étant payables immédiatement281. Ces chiffres sont susceptibles d’être ajustés ultérieurement en fonction de la réalité parisienne (état des locaux ...). Au lendemain de la guerre, une double tâche attend le British Council. D’une part, il lui appartient de faire accepter sa tutelle du British sur l’Institut britannique et la redéfinition de ses activités. D’autre part, il doit établir dans la pratique un point d’équilibre entre la supervision générale qu’il exerce sur l’Institut et l’autonomie de fonctionnement nécessaire à cet organisme pour poursuivre ses actions sans perdre une crédibilité jusque là fondée sur le sérieux scientifique. Second axe de la politique définie par Anthony Eden, une coordination entre tous les organismes ayant vocation à intervenir dans le champ de l’action culturelle à l’étranger doit être assurée sous l’égide du British Council. Afin de favoriser la mise en place 276 Miss Harris à Lane, 16 novembre 1943. - BW 31/7, P.R.O. Lane à Seymour, 7 décembre 1944. – BW 31/7, P.R.O. 278 Les termes de cet accord sont acceptés à l’unanimité ... Miss Harris à Lane, 16 novembre 1943. - BW 31/7, P.R.O. 279 Ibid. 280 Lane à Miss Parkinson, 15 novembre 1943. - Ibid. 281 Lane à Sellon, 14 juin 1944. - Ibid. 277 98 de ces échanges est institué un Comité des Relations Culturelles Franco-Britanniques, présidé par Lord Bessborough qui auparavant s’occupait de la section French Welfare au Foreign Office. La première réunion se tient au British Council le 30 mars 1944. Y assistent des représentants des ministères des Affaires Etrangères, de l’Education et du Commerce, de différentes instances universitaires, de la B.B.C., du M.O.I. On remarque la présence de Frank McEwen, à l’époque parlementaire, et futur Fine Arts Officer à Paris ; ainsi que celle d’Enid McLeod alors attachée au M.O.I. avant d’être ultérieurement nommée au Council où elle s’occupera à Londres du suivi des activités menées en France. Le British Council se présente comme un organisme soucieux de ne pas interférer avec le travail des autres institutions dans son action de coordination. Il est simplement décidé d’échanger des informations sur ce que chaque organisation membre de ce comité a réalisé et se propose de réaliser282. Le caractère plutôt vague de cette décision reflète la prudence des attitudes face à la perspective de devoir se référer au Council, et indique que le Council devra s’efforcer d’établir une position assurant l’efficacité du dispositif sans donner prise à une quelconque accusation d’ingérence dans les activités de ses autres partenaires. On note l’absence de l’Institut français parmi les organismes concernés par cette structuration de la concertation. En effet, les incertitudes entourant le statut de cet Institut et les divergences d’identification de la représentation officielle détentrice des pouvoirs de l’Institut (autorités françaises gaullistes ? Directeur de l’Institut effectuant l’interim en attendant la reconstitution des organes de gestion d’avant-guerre ? – voir supra) incitent les Britanniques à attendre l’existence d’un gouvernement français disposant pleinement des moyens (financiers) de son action pour aborder la question de la coordination Institut français / British Council283. Entre-temps, le Council trouve l’occasion de mettre en pratique l’expérience acquise pendant ces années de guerre avec l’ouverture de bureaux en Algérie. 282 283 Franco-British Cultural Relations Committee, réunion du 30 mars 1944 – BW 31/12, P.R.O. Bessborough à Entwistle, 8 septembre 1943. – BW 31/23, P.R.O. 99 2.2 Les débuts : l’expérience algérienne Dès le 7 juillet 1943, soit trois jours avant d’être officiellement désigné comme coordinateur de la politique culturelle britannique en France, le Council est représenté en Algérie par Austin Gill. Son action préfigure sur le plan méthodologique ce qui sera réalisé en France métropolitaine par la suite, et présente un schéma général d’implantation du Council en pays étranger qui se décompose en trois temps. Prendre contact avec les autorités locales (au sens large) et l’élite culturelle est un préalable essentiel au lancement d’activités culturelles. Par la suite, si les conditions s’avèrent favorables, peut éventuellement être envisagée une extension de l’aire d’influence du Council en Afrique du Nord. En premier lieu, il convient d’établir avec les diplomates britanniques des relations de travail qui excluent une quelconque subordination fonctionnelle. Gill est attaché au personnel du Résident britannique pour des raisons de commodité, mais s’il entretient des liens réguliers avec son assistant, il agit en toute indépendance. La proximité des rapports avec les autorités britanniques peut être d’une grande utilité. En effet, l’Algérie fait toujours partie du théâtre d’opérations militaires, et les éventuelles demandes de Gill auprès des autorités militaires peuvent ainsi recevoir l’appui du représentant britannique. Par ailleurs, celui-ci peut informer Gill d’évolutions politiques ou économiques pouvant influer sur son action, en fonction desquelles le représentant du Council doit se placer. Mais Gill doit opérer avec prudence. En effet, les services de propagande britanniques et américains sont étroitement liés dans le Service de publicité et de propagande anglo-américain (AngloAmerican Propaganda and Publicity Service), et Gill doit d’une part veiller à restreindre son action aux milieux culturels, dans lesquels les objectifs du Council peuvent être compris et appréciés ; et d’autre part à faire en sorte que le Council ne soit pas confondu avec ces services de propagande alliée284.. Les actions en direction du grand public ne sont pas recommandées dans l’immédiat. Aussi Gill entreprend-t-il de nouer les premiers contacts avec les institutions et personnalités françaises prééminentes dans les milieux académique ou culturel, afin tout d’abord de présenter le Council, puis d’être en mesure de définir les axes prioritaires de son action en fonction des besoins culturels les plus urgents à satisfaire. Il rend ainsi visite au commissariat à l’Information (son interlocuteur côté français), au chargé de relations culturelles Lassaigne, au recteur d’académie Laugier, à quelques professeurs d’université, à la 284 Gill à Blake, 10 septembre 1943. - BW 10/1, P.R.O. 100 bibliothèque nationale d’Alger, à la société anglophile locale. Il rencontre le peintre Albert Marquet, André Gide par l’intermédiaire de l’historien Jacques Heurgon, et Max-Pol Fouchet qui souhaite consacrer un numéro spécial de la revue qu’il édite (Fontaine) à la littérature britannique285. Puis tout en recherchant des locaux appropriés pour ouvrir un centre / bibliothèque, Gill se livre à l’accomplissement de tâches fonctionnelles. Ainsi il s’efforce d’obtenir du directeur musical de Radio France la diffusion de musique britannique. D’autre part, il établit un lien entre les agences de presse et de distribution de presse algériennes France-Afrique et TéléAfrique et la Division Presse du Council. Mais jusqu’en novembre 1944, date à laquelle il quitte Alger pour Paris, son activité est essentiellement consacrée à l’organisation de la distribution d’imprimés sur la GrandeBretagne, très réclamés. Trois publics sont particulièrement demandeurs : le milieu académique, les autorités françaises (publicité) et la presse (recensions). Dans ce domaine, le consul général laisse toute latitude d’action à Gill, qui coopère avec le représentant du M.O.I. Pour l’importation de livres britanniques est mis en place le Book Export Scheme. Le BES se présente comme un organisme à but non lucratif, géré selon les directives émanant du British Council et de la Publishers’Association, soutenu par le gouvernement britannique, dont l’objectif global est de “ faciliter l’exportation de livres anglais vers différents pays alliés et neutres avec lesquels le commerce privé est actuellement difficile ou tout à fait impossible ”. Conçu pour s’adapter à chaque pays, le BES est d’abord compris comme un système permettant de satisfaire les besoins immédiats en livres anglais des populations de l’Europe libérée, en attendant que les contacts directs entre éditeurs britanniques et libraires étrangers soient rétablis. C’est donc une solution transitoire dont l’adoption a été déterminée par les difficultés économiques et financières qui touchent l’Europe. D’un point de vue concret, son rôle est triple : “ recevoir les commandes de France sous forme de commandes communes, réunir les livres commandés, servir d’intermédiaire pour le règlement des comptes ”286. Ce schéma s’avère relativement lourd et lent à mettre en place. Le premier chargement de livres n’arrive en Algérie qu’en novembre 1943. Ce premier lot de commandes représente une valeur de 2,5 millions de francs287. Un second lot suit, pour 285 Gill à Blake, Report for July, 31 juillet 1943. - BW 10/1, P.R.O. Gill à Joubert, 18 janvier 1945. - Relations culturelles, années 1945-47, carton 193, M.A.E. 287 Gill à Knowles, 9 décembre 1943. - BW 10/1, P.R.O. 286 101 environ 5 millions de francs, les ouvrages obtenus lors de la commande précédente s’étant très bien et rapidement vendus288. Parallèlement au circuit du BES, le Council fait directement parvenir des ouvrages en Algérie. Il s’agit en premier lieu de se substituer provisoirement et partiellement au circuit commercial défaillant et à la lenteur de la mise en application du BES. C’est pourquoi des livres sont offerts à la bibliothèque nationale d’Alger. Mais, plus important, la bibliothèque universitaire est invitée à établir une liste d’ouvrages qui lui seront procurés par ce circuit direct. Ceux-ci arrivent en septembre289. Un second chargement est remis à la bibliothèque en novembre290. Les périodiques scientifiques sont reçus à l’université ; les revues non spécialisées sont distribuées au commissariat à l’Information, à l’assemblée consultative, et à la bibliothèque universitaire. Les efforts du Council dans ces domaines sont fort appréciés, étant donné les difficultés d’approvisionnement. Ils revêtent une importance particulière pour positionner favorablement l’action culturelle des Britanniques, alors que Gill pressent que les Américains vont prochainement lancer leur propre offensive sur ce terrain. L’université d’Alger est alors un foyer culturel très actif, ce qui en fait un partenaire privilégié, et ce qui dispense le Council de placer les actions éducatives parmi ses priorités (cela aurait autrement été le cas). Les contacts noués entre Gill et l’université lui permettent de rencontrer le futur directeur général des relations culturelles du ministère des Affaires étrangères, Louis Joxe, alors professeur d’économie à l’université, également assistant du commissaire à l’Information, et qui manifeste un intérêt certain pour le travail du British Council et les relations culturelles franco-britanniques. D’une part, le Council souhaite permettre (et encourager) la recension d’ouvrages britanniques dans les revues locales, considérant qu’une bonne critique réalisée par des spécialistes locaux qui ne peuvent être accusés de complaisance est le meilleur moyen de faire vendre les œuvres britanniques. Par exemple, trente livres sont ainsi destinés à la recension fin 1943291. En règle générale, le dispositif d’accès aux ouvrages britanniques du Council comprend une bibliothèque, qui en est la pièce maîtresse. A Alger, Gill se heurte à des difficultés pour trouver un bâtiment suffisamment spacieux et situé en centre ville pour pouvoir ouvrir un centre d’accueil. Aussi existe-t-il un noyau de bibliothèque dès l’été 1943, 288 Gill à Blake, Report oct-dec 1943, 19 janvier 1944. - BW 10/1, P.R.O. Gill à Blake, 10 septembre 1943. - Ibid. 290 Gill à Knowles, 9 décembre 1943. - Ibid. 291 Gill à Blake, Report oct-dec 1943, 19 janvier 1944. - BW 10/1, P.R.O. 289 102 mais conservé faute de mieux dans le bureau de Gill, et encore inaccessible au public292. La location de locaux appartenant à la communauté britannique à Alger est envisagée pour devenir un futur centre du Council, avec l’accord du consul général. Toutefois, des contretemps pratiques remettent l’ouverture du centre, qui était prévue pour le 1er janvier 1944293 (et qui aura finalement lieu en 1945). Autre moyen de faire connaître la Grande-Bretagne, les périodiques édités par le Council sont offerts à des fins de publicité, puis confiés dans un second temps au circuit commercial. Le principal obstacle à surmonter est, comme pour les ouvrages, la lenteur et l’irrégularité des approvisionnements en imprimés. Gill organise la distribution de Britain Today, Monthly Science News et British Medical Bulletin, avec l’aide précieuse de l’université. Il suggère la préparation d’une brochure en français consacrée à l’évolution de la Grande-Bretagne depuis 1939. Il semble que cette idée n’a finalement pas été retenue, en revanche est prévue une version française de Britain Today294, dont le rôle est très voisin, et dont la réalisation occasionne un coût et un délai de réalisation inférieurs à ceux de création d’une nouvelle brochure. Les seuls chiffres dont nous disposons concernent le dernier trimestre 1943. Britain Today est distribué à raison de 200 exemplaires par numéro et est essentiellement destiné à l’enseignement (professeurs d’anglais et une quinzaine d’écoles). Sa version française est vendue en librairie (environ 5 000 exemplaires par mois). Environ 100 exemplaires de Monthly Science News sont offerts, mais la demande de l’envoi de 200 exemplaires accompagnant ce résultat laisse penser que la distribution a été restreinte en raison de l’insuffisance du nombre d’exemplaires disponibles à Alger. Une quarantaine d’exemplaires de British Medical Bulletin trouvent également preneur295. En définitive, l’organisation de l’accès aux imprimés britanniques par le British Council s’achève fin 1943. Début 1944, la majeure partie des problèmes de distribution sont considérés comme réglés. S’il est manifeste que ce dossier, estimé prioritaire dans un contexte de pénurie de biens culturels, prend l’essentiel du temps de Gill, l’absence de rapports pour les mois de février à novembre 1944 ne permet pas d’évaluer l’importance quantitative des autres activités. On sait simplement que Gill et son équipe se sont attachés à 292 Gill à Blake, 10 septembre 1943. - Ibid. Ibid. 294 Ibid. 295 Gill à Blake, Report oct-dec 1943, 19 janvier 1944. - BW 10/1, P.R.O. 293 103 l’organisation de concerts de musique, et à la distribution de films et d’articles sur la GrandeBretagne. Le Music Officer Frank Turner, lui-même musicien et compositeur, opère dans un milieu jugé favorable à la diffusion de musique britannique. Il établit des contacts réguliers avec le directeur musical de Radio France à Alger, Tavernier, ce qui assure une large audience potentielle aux œuvres des compositeurs britanniques, en particulier contemporains. Par ailleurs, il organise des concerts dès juillet 1943, bientôt avec la collaboration de l’ensemble musical des forces armées qui met en outre à sa disposition un local pour les concerts. Ce travail commun donne des résultats suffisamment positifs pour qu’il soit envisagé de créer un Franco-British Music Club autour des musiciens militaires et d’utiliser le futur centre du Council comme salle de concert296. Des représentations ont lieu en octobre et novembre 1943, puis janvier et février 1944. La distribution de films documentaires sur la Grande-Bretagne s’établit en s’appuyant sur deux modes de distribution : l’un civil et l’autre militaire. En premier lieu, un accord est passé avec la Société de distribution cinématographique d’Afrique du Nord (SODICAN), qui reçoit (au moins) six films du Film Department du British Council. Ces films sont appréciés297. En second lieu, l’Allied Psychological Warfare Branch se charge d’assurer la diffusion d’un certain nombre d’entre eux (sans qu’il soit possible d’être plus précis sur ce point). L’APWB est brièvement mentionné dans le rapport de Gill298, aussi peuton seulement en déduire que la séparation entre les services de propagande officiels et le Council n’est pas aussi stricte que Gill le souhaitait, soit par “ alliance tactique ” pour obtenir davantage d’efficacité, soit par obligation politique. Le dossier ne contient pas de remarques de Gill sur ce point, ce qui peut faire penser que ce lien n’est pas (ou pas trop) perceptible par les populations, ce qui préserve les apparences et ne gêne pas le travail du Council. Gill entreprend enfin d’assurer la diffusion de sujets d’actualité sur la Grande-Bretagne dans la presse locale. Cette activité peut amener à se situer à la limite de l’exercice de propagande, voire verser dans la propagande pure et simple. Ainsi Gill précise qu’il agit avec l’accord de l’adjoint du ministre résident (Makin), ce qui signifie que son action recèle des implications politiques potentielles. Cet arrangement peut être lié à l’insuffisance du personnel dans la mission diplomatique britannique, ce qui ne permet pas 296 Ibid. Gill à Blake, 10 septembre 1943. - Ibid. 298 Gill à Blake, 19 janvier 1944. - Ibid. 297 104 d’affecter un agent au contact avec la presse. Peut-être s’agit-il d’un échange de bons procédés (soutien du Council / office ponctuel de chargé de relations avec la presse). Les articles émanent de la Division Presse du Council. Un arrangement est conclu pour le second semestre 1943 avec TéléAfrique299. Paraissent ainsi des articles dans Alger Républicain ou Algérie-Soir (projets de reconstruction à Londres)300. Par ailleurs, Gill étudie les possibilités d’expansion des activités du Council, avec l’ouverture de bureaux au Maroc et en Tunisie. Fin 1943, il estime les conditions favorables à la nomination d’un représentant du Council au Maroc, et envisage une visite en Tunisie qui reçoit d’ores et déjà quelques publications par l’intermédiaire du consulat britannique301. Lorsque Gill quitte l’Afrique du Nord, il a fermement établi l’activité du Council, mais il reviendra à son successeur la tâche d’ouvrir un centre d’information / bibliothèque capable d’accueillir du public, et de diversifier les animations proposées (conférences, expositions ...). * A l’issue de la guerre, le British Council dispose de tous les atouts pour conduire une action culturelle en Europe libérée. Il est légitimé par une désignation officielle, et se présente comme le bras séculier du gouvernement britannique pour mettre en application la politique définie en 1943. Il possède une expérience de terrain multiforme et une capacité d’adaptation aux besoins et aux situations locales grâce à l’assistance qu’il a apportée aux communautés réfugiées. Il a posé les premiers jalons de son installation en France en ouvrant un bureau en Algérie et en y nouant des contacts officiels avec le gouvernement français. Restent quelques incertitudes vis-à-vis de sa future activité. En premier lieu, l’avenir du Council n’est pas assuré. La légitimité accordée sous la pression de la nécessité (s’occuper en urgence des réfugiés) peut n’être que temporaire. Avant la guerre, les réticences du gouvernement (des Finances tout particulièrement) à lui accorder des ressources financières conséquentes étaient réelles. Certes, le Council n’est pas considéré comme un 299 Gill à Blake, 10 septembre 1943. - Ibid. Gill à Blake, Report oct-dec 1943, 19 janvier 1944. - BW 10/1, P.R.O. 301 Gill à Blake, Report oct-dec 1943, 19 janvier 1944. - BW 10/1, P.R.O. 300 105 organe de propagande, à la différence du M.O.I. qui risque à ce titre - si l’on se réfère au précédent de 1918 - de disparaître avec le retour à la paix. En second lieu, le Council doit parvenir à s’imposer au centre du dispositif de promotion culturelle, ce qui suppose la docilité de l’Institut britannique, un esprit de concertation du côté de la B.B.C., et une liberté de mouvement accordée par l’ambassade. DEUXIEME PARTIE Une difficile implantation (1944-1946) 106 Dès 1944, le British Council s’implante en France (chapitre 5) dans un contexte psychologique favorable, caractérisé par une grande curiosité de la population vis-àvis de la Grande-Bretagne. Aussi, dans un période de pénurie, est-il en mesure d’identifier un foisonnement d’associations anglophiles qui représentent autant de relais potentiels pour son action (chapitre 6). Dès qu’il dispose d’un embryon d’organisation (chapitre 7), le Council initie des activités fonctionnelles, principalement à Paris, mais sans négliger les provinces (chapitre 8). Egalement chargé de coordonner la politique de diffusion culturelle britannique en France, il cherche à imposer sa tutelle à un Institut britannique très réticent (chapitre 9), alors que la B.B.C. affirme son autonomie par rapport au Council (chapitre 10). Cependant, la radio britannique mène une action complémentaire qui se révèle être un atout essentiel pour tirer rapidement avantage de la sympathie suscitée par la Grande-Bretagne auprès des Français (chapitre 11). 107 CHAPITRE 5 LE BRITISH COUNCIL CANAL OFFICIEL DE RÉGULATION DES ACTIVITÉS CULTURELLES ENTRE LA FRANCE ET LA GRANDE-BRETAGNE La Charte Royale octroyée par George VI au British Council en 1940 en fait un organisme indépendant302. Il est doté d’une personnalité civile et sa gestion est confiée à un Executive Committee composé en majorité de personnalités désignées par des milieux non gouvernementaux. Ces éléments statutaires témoignent de la volonté du gouvernement britannique de ne pas exercer directement d’action autre que strictement diplomatique dans le domaine culturel. Cette attitude s’accorde avec les souhaits des fondateurs du Council. Bien que né au sein du Foreign Office, il doit garder autant qu’il est possible sa liberté d’action et mener une activité séparée de toute considération politique pour œuvrer au rapprochement des peuples. Ainsi Lord Lloyd, qui en est le premier président, a fait en sorte qu’en 1940 le Council ne soit pas absorbé par le ministère de l’Information (M.O.I.) chargé de la propagande britannique pendant la guerre303. Cependant cette indépendance n’est pas totale, et il serait plus exact de parler de large autonomie en raison de liens existant entre le Council et le Foreign Office. Certains sont organiques, mais ce sont aussi des liens circonstanciels qui pèsent sur l’action du Council au sortir de la guerre. En effet le contexte politique de reconquête alliée de l’Europe justifie un contrôle exceptionnellement étroit des projets de développement du Council en Europe, qui est au demeurant considéré au Foreign Office comme un des différents organismes de propagande en activité (avec le M.O.I. et les services étrangers de la B.B.C.). Les années 1944-1946 sont, de fait, celles de la progressive normalisation d’une vie civile et politique profondément troublée par la présence allemande. Ainsi la France réinstaure 302 303 Voir Annexe n° 1 MITCHELL, op. cit., p. 44. 108 un régime républicain démocratique. Cependant la puissance du parti communiste ne constitue pas pour les Anglais l’élément le plus rassurant du paysage politique français. Les relations du Council avec la mission diplomatique britannique à Paris et les autres services d’information restent toutefois à préciser. En effet, le Council possède un statut qui le place hors du dispositif traditionnel de représentation de la Grande-Bretagne à l’étranger, et il s’en exclut lui-même pour des raisons d’efficacité fonctionnelle. Il lui faut donc élaborer le cadre dans lequel il pourra asseoir fermement son action en coordination avec des services aux missions de nature voisine. Ainsi, le Council s’établit en France dans des conditions difficiles. Il lui faut s’implanter rapidement pour occuper le “ terrain culturel ” et faire la preuve de son dynamisme, alors que son existence même n’est pas assurée, et que son statut ambigu ne facilite pas son développement. 1.- LE BRITISH COUNCIL EN EUROPE - UNE “ LIBÉRATION CULTURELLE ” MAL ASSURÉE En vertu de liens organiques soumettant de fait le Council aux directives du gouvernement, le Foreign Office supervise l’implantation en Europe d’un organisme culturel encouragé en tant qu’agent de propagande d’autant plus efficace qu’elle est insidieuse, mais dont le développement est menacé par les incertitudes qui pèsent sur son avenir. 1.1 La tutelle du gouvernement L’étendue de la liberté d’action du British Council est limitée par les liens officiels qu’il entretient avec le gouvernement sur deux plans : la composition et le fonctionnement de son Executive Committee, et son financement. Après définition de la ligne générale de conduite du Council, l’Executive Committee veille à sa mise en œuvre. Sur les trente membres qui le composent, neuf sont nommés par le Gouvernement et quatre (les trois vice-présidents et le président) sont choisis par le Comité après approbation du Foreign Office. Il apparaît ainsi que treize membres doivent directement ou indirectement au gouvernement leur présence au Comité. Les dix-sept 109 autres représentent les milieux de l’université, des arts et sciences, de l’industrie, de l’édition (...) et sept sont des membres du Parlement304. Le British Council bénéficie donc d’une certaine indépendance vis-à-vis du gouvernement, la majorité des personnalités siégeant au sein de son organe directeur n’ayant pas été nommées par ce dernier. Toutefois le nécessaire accord du Foreign Office sur le nom du directeur suggère une coopération qui implique une relative subordination eu égard au contexte d’après-guerre. Le directeur de l’Executive Committee est un lien entre le ministère et le Council pour ce qui touche aux questions d’orientation générale du Council. Il est de plus rappelé dans un rapport produit en 1950 que lorsque le Cabinet a le 21 février 1946 pris la décision de prolonger pendant cinq ans encore les activités du Council, celles-ci devaient être étroitement surveillées. Cette mise en observation est allée de pair avec l’autorisation donnée au Foreign Office de formuler la politique britannique en matière d’information à l’extérieur et de relations culturelles, et d’“ exercer un contrôle sur la ligne de conduite générale du British Council ”305. Cette intervention gouvernementale ne s’étend théoriquement pas au delà de l’échelon décisionnel supérieur. Mais bien plus décisif pour influencer les orientations du Council est le mode de financement auquel il est soumis. Deux sources alimentent son budget306. Les dons privés, qui devaient constituer la principale origine de ces fonds, sont en réalité faibles. Ils proviennent de firmes ou d’Instituts coopérant avec le Council pour certains projets spécifiques sous forme monétaire ou par des dons de matériel. S’y ajoutent les sommes payées à l’extérieur pour les cours de langue organisés par le Council. Mais l’essentiel de son financement est public. Depuis 1935, annuellement, le Parlement lui vote une subvention prélevée sur le budget alloué au Foreign Office. La procédure d’établissement du montant de cette somme témoigne de la minutie du contrôle budgétaire exercé sur le Council par le Trésor, et le Foreign Office à un moindre degré. Les estimations du Council sont préparées en tenant largement compte des recommandations des ambassades. Les principales rubriques de dépenses sont déterminées en étroite collaboration avec le ministère des Affaires Etrangères, 304 Memorandum on future development mars 1944, document du Foreign Office - BW 31/38, P.R.O. Il est à noter qu’en été 1947 est approuvée une légère modification de l’organisation du British Council. En particulier désormais huit membres sont désignés par le gouvernement et les noms de cinq autres sont soumis à l’approbation du Foreign Office : outre les trois vice-présidents et le président, le secrétaire général (poste nouvellement créé). Ainsi de ce ministère dépendent maintenant six nominations. Mais il semble que ces changements n’ont pas de motivation politique. Voir note sur le British Council postérieure à l’été 1947 mais non datée - BW 1/132, P.R.O. 305 British Council : Executive Committee, 12 décembre 1950, The British Council review final report – BW 68/8, P.R.O. “ to exercise policy control over the British Council ”. 306 Ibid. 110 les détails étant laissés aux soins du Budget Committee307 du Council. Soumis dans un premier temps à l’Executive Committee, le projet de budget est ensuite transmis au Trésor qui doit en faire un examen détaillé avant de donner son accord. Enfin le budget approuvé repasse devant l’Executive Committee du Council pour une sanction formelle. Ainsi l’expansion du British Council se trouve dépendre des priorités budgétaires, car c’est en vertu des principes financiers décidés par le gouvernement que le Trésor doit donner son assentiment aux nouvelles dépenses entreprises, tels les projets dont le coût dépasse 5 000 £ ou les nominations pour lesquelles la rétribution est supérieure à 1 000 £ ; ou encore la création éventuelle de nouveaux services internes. Là se révèlent très nettement les limites de la liberté d’action du Council qui doit se soumettre aux vœux du Foreign Office ne serait-ce que pour obtenir une subvention lui permettant d’étendre son champ d’activité ou tout simplement la reconduction du budget de l’année précédente. En effet le ministère doit intercéder auprès du Trésor pour cela, voire parfois tenter de surmonter les réticences de celui-ci à l’endroit d’une politique culturelle tournée vers l’étranger (comme ce fut le cas avant-guerre). La surveillance du Council en matière budgétaire apparaît également en fin d’exercice financier. Les comptes de l’année sont confiés au Contrôleur Général des Comptes (General Comptroller and Auditor) qui doit les apurer et transmettre une copie de son rapport au Trésor. 1.2 La “ libération culturelle ” En considération de ces liens organiques, le Foreign Office est habilité à superviser l’implantation du British Council en Europe. Celle-ci s’intègre parfaitement au sein des moyens dont la mise en œuvre est envisagée par les autorités britanniques pour reprendre pied en Europe. La lecture de différents memorandums rédigés après consultation entre le Foreign Office et le Council permet de distinguer des objectifs de deux ordres. La politique culturelle anglaise dont le Council est l’exécuteur vise à promouvoir une plus grande connaissance du Royaume-Uni et de l’anglais pour le développement de relations culturelles étroites avec les autres pays. Il s’agit d’œuvrer pour le rapprochement des nations, de contribuer à l’établissement d’une paix durable en favorisant une meilleure compréhension et une meilleure entente entre les peuples. Dans un document de 307 Le Budget Committee comprend des membres du Council et de trois départements ministériels soutenant les projets de dépenses présentés, dont les personnalités nommées par le gouvernement et siégeant à l’Executive Committee. 111 mars 1944, le Foreign Office insiste sur l’autonomie de l’action culturelle par rapport au politique ou au commercial sur le terrain308. Alors que les progrès de la reconquête alliée laissent présager à terme la fin de la guerre, les Britanniques sont conscients des dangers d’une politique cherchant de façon trop apparente à restaurer une influence dans des pays soumis à l’occupation et à une propagande omniprésente. Pour éviter un rejet des populations prises pour cible - quel que soit par ailleurs leur degré de proximité intellectuelle avec la Grande-Bretagne -, il faut procéder avec plus de finesse. Ce souci exprimé par le ministère des Affaires Etrangères est lié à une volonté de réussir une expansion culturelle pour atteindre des objectifs de plus long terme. Les considérations commerciales n’ont pas disparu des motivations du gouvernement britannique. Elles ne seront renforcées qu’après la guerre lorsque la situation de pénurie touchant l’Europe nécessitera une réactivation rapide des circuits commerciaux internationaux. Mais dès lors, la prévision de profits économiques certains pour la GrandeBretagne découlant des échanges culturels est clairement réaffirmée par le gouvernement. Le Council doit donc “ mener son activité dans des limites appropriées par les canaux les plus avantageux du point de vue des bénéfices industriels. Non seulement sa propre position mais aussi ces bénéfices seraient mis en péril si étaient sacrifiées de plus grandes considérations aux espérances de résultat immédiat ”309. Vues sous cet angle, les dépenses consacrées à l’action culturelle en direction de l’extérieur constituent d’“ une part une prime d’assurance contre les futures guerres et d’autre part un excellent investissement ”310. Ce n’est qu’en mars 1945 que les visées politiques de l’action du Council apparaissent explicitement dans un document expliquant son rôle aux ambassadeurs en poste en Europe. Après avoir constaté l’impossibilité d’exercer désormais une influence politique directe dans ce continent, le document met l’accent sur l’importance du travail à long terme du Council pour assurer une influence britannique indirecte. Il conclut que le travail d’information sur la Grande-Bretagne effectué par le Council répond à un besoin réel dont la satisfaction doit être aussi complète que possible. En retour, la reconnaissance des populations en bénéficiant pourrait s’avérer un facteur essentiel dans la détermination de la position future 308 Memorandum on future development mars 1944, document du Foreign Office - BW 31/38, P.R.O. “ It is essential that in the conduct of this work, the British Council should show that they are willing to insulate it from any political consideration or consideration of material advantage ”. 309 Ibid. 310 Ibid. 112 de la Grande-Bretagne en Europe311. Et en septembre, le Foreign Office fait savoir au Council que ses activités doivent se développer rapidement en Europe centrale et que la vente de livres britanniques dans les pays libérés doit être accélérée312. A partir de 1945 la dimension politique des relations culturelles fait donc l’objet d’un intérêt plus clairement formulé par le Foreign Office. Faut-il y voir un lien avec les tensions inter-alliées qui se multiplient dès 1944 ? Les Anglais souhaitent limiter l’influence de l’URSS en Europe, et depuis décembre ils interviennent dans la guerre civile grecque aux côtés des nationalistes. L’encouragement donné à une présence culturelle dans les pays européens au fur et à mesure qu’ils sont libérés procèderait alors sur le plan politique d’une triple volonté : y restaurer l’influence politique britannique (indirecte), réimplanter les valeurs libérales et démocratiques dont elle est porteuse par l’action culturelle, et faire pièce aux idées communistes surtout en Europe centrale. Un document confidentiel concernant les activités à mettre en œuvre en Europe libérée présenté à l’Executive Committee du Council fait état d’une coopération entre le Council, le M.O.I. et le Political Intelligence Department du Foreign Office pour la traduction et la diffusion de brochures et de films dans la période suivant immédiatemment la libération des territoires (post-invasion phase)313. Mais ces liens témoignent uniquement d’une volonté d’efficacité en mettant les ressources fonctionnelles en commun, car il est bien spécifié que le Council doit faire connaître tous les aspects de la vie et de la pensée nationales sans empiéter sur la propagande politique314. Son travail est essentiellement éducatif au sens large. Le memorandum de mars 1944 rédigé au Foreign Office mentionne huit champs d’action pour le Council : l’éducation (enseignement de l’anglais au niveau supérieur), les publications (périodiques, livres sur des thèmes culturels), les films (documentaires), la musique, les beaux-arts, le théâtre, les conférences, la publicité visuelle (expositions de photos, matériel destiné à l’éducation). Ces principes posés, leur mise en pratique doit tenir compte des spécificités de chaque pays. Le rapport annuel du Council pour 1948-49315 note que le contenu fonctionnel de l’action du Council dans chaque pays dépend de considérations géographiques 311 British Council : Executive Committee, Paper E attaché à l’ordre du jour de la réunion du 13 mars 1945 - BW 69/10, P.R.O. 312 British Council : Executive Committee, Paper B attaché à l’ordre du jour de la réunion du 11 décembre 1945 – BW 69/11, P.R.O. 313 British Council : Executive Committee, Paper C attaché à l’ordre du jour de la réunion du 12 septembre 1944 – BW 69/10, P.R.O. 314 Memorandum on future development, loc. cit. 315 Cité dans A.J.S. WHITE, The British Council The First 25 Years 1934-1959, London, The British Council, 1965, p. 77. 113 (éloignement/proximité vis-à-vis de la Grande-Bretagne), de la connaissance existante de la civilisation britannique et de l’importance quantitative de l’étude de l’anglais dans les écoles nationales. Alors que le sud de l’Europe requiert une plus grande attention portée à l’enseignement de l’anglais comme prélude à l’étude de la culture britannique, le nord-ouest peut se prévaloir de liens plus solides. Dans ce cas, le rôle du Council consiste surtout à répondre aux demandes d’information sur des sujets culturels, à fournir documents et matériel facilitant leur étude, et à aider à créer ou maintenir des contacts avec la Grande-Bretagne. Mais, dans l’immédiat, deux priorités générales sont retenues316. Il s’agit en premier lieu d’affirmer une présence culturelle anglaise dans le sillage des armées de libération. La fourniture de livres, films ou musique dans ce cadre leur est d’abord destinée, mais la population locale n’est pas exclue. Des activités proposées sur une plus grande échelle ne peuvent être envisagées qu’avec l’accord du gouvernement du pays. En second lieu, la distribution et la mise à disposition d’écrits britanniques (livres ou périodiques) ou aides visuelles ont été décidées lors de la Conférence des Ministres Alliés sur l’Education. L’objectif est de réapprovisionner les bibliothèques européennes, dont celles des universités. A cet effet, par exemple, une liste de mille six cents titres publiés depuis la guerre est tenue prête, ainsi que jusqu’à quarante exemplaires de chaque livre. Parallèlement, avec l’accord du M.O.I., la mise en place du Book Export Scheme (BES)317 visant à faciliter les échanges bilatéraux de livres à partir de la Grande-Bretagne doit être rapidement étudiée. Enfin une des premières tâches du Council à l’ouverture de ses bureaux hors du Royaume-Uni est de créer une bibliothèque dans ses locaux. C’est peu de temps après l’ouverture d’un bureau algérois (7 juillet 1944, voir chapitre 4) et dans la perspective d’une prochaine implantation du British Council en France métropolitaine, que le Ministre des Affaires Etrangères Anthony Eden confie au président du Council Malcolm Robertson son souhait de voir le Council être le canal officiel à travers lequel s’exerce la régulation des activités culturelles franco-britanniques après la guerre318. De fait, le memorandum du Foreign Office de mars 1944 envisage la mise en œuvre d’activités culturelles variées319 dans toute la France - et non plus seulement à Paris -, avec 316 British Council : Executive Committee, Paper C attaché à l’ordre du jour de la réunion du 12 septembre 1944 - BW 69/10, P.R.O. 317 Voir le chapitre 4 pour une description de son fonctionnement. 318 Robertson à Palairet (Foreign Office), 5 février 1944 - BW 31/12, P.R.O. Cette lettre résume le contenu de celle d’Eden, dont un extrait est conservé dans le même dossier BW 31/12 - Eden à Robertson 10 juillet 1943. 319 Memorandum on future development mars 1944 - BW 31/38, P.R.O. 114 des centres régionaux. Dans un deuxième temps, il est prévu de négocier avec le nouveau gouvernement une convention culturelle qui officialisera les liens culturels existant entre les deux pays. Le 12 septembre, alors que les armées alliées venant de Normandie et celles qui remontent la vallée du Rhône depuis la Provence réalisent leur jonction à Dijon, un nouveau document320 apporte des précisions sur les projets immédiats du Council concernant la France. Est résolue l’organisation d’un centre distinct de l’Institut britannique, pourvu d’une équipe dirigée par un représentant à nommer. Le Council bénéficiera donc de l’autonomie structurelle qu’il ne possédait pas en 1939. Il est également décidé d’envoyer en mission exploratoire à Paris le responsable du bureau algérien Austin Gill. L’objectif de cette enquête préliminaire, réalisée fin novembre 1944, est d’évaluer les possibilités de développement des activités du Council, et de prendre d’ores et déjà contact avec les sociétés savantes et organismes avec lesquels celui-ci sera amené à collaborer. Parallèlement, début octobre le Finance and Agenda Committee du Council prévoit la création prochaine de postes administratifs et la nomination d’un Books Officer pour Paris321. En effet, en accord avec les principes généraux énoncés pour l’Europe, l’activité fonctionnelle la plus essentielle à assurer est la diffusion d’écrits. A la même date, un représentant du M.O.I. est à Paris pour étudier la mise en application du Book Export Scheme pour la France. Et en décembre 1944, les premières activités sont organisées au fur et à mesure de l’arrivée à Paris des différents officers chargés de leur préparation. A Londres, Miss Lyons est nommée responsable du suivi des activités du Council en France (Regional Officer for France)322. Ainsi le British Council s’établit très rapidement en France, et avant même la libération totale du territoire (dans le nord et l’est subsistent quelques poches de résistance allemande) entreprend d’y affirmer la présence de la culture britannique - à une échelle encore réduite, il est vrai -. Directeur général adjoint du Council, Richard Seymour se rend à Paris en mars 1945 et rapporte au Finance and Agenda Committee que le travail du Council en France est estimé très nécessaire par l’ambassade323. Ce texte les qualifie de “ cultural activities of a wider kind (i.e. less purely instructional) ”. British Council : Executive Committee, Paper C attaché à l’ordre du jour de la réunion du 12 septembre 1944 – BW 69/10, P.R.O. 321 British Council : Finance and Agenda Committee, ordre du jour de la réunion du 10 octobre 1944 ; et comptes rendus de la réunion (même date) – Ibid. 322 British Council : Executive Committee, Paper B attaché à l’ordre du jour de la réunion du 12 décembre 1944 – Ibid. 323 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 10 avril 1945 - BW 69/11 - P.R.O. 320 115 En effet, British Council et Foreign Office (surtout par l’intermédiaire des diplomates en poste) perçoivent l’importance d’une action culturelle en France. Outre son intérêt intrinsèque dans un pays considéré comme peu ouvert aux cultures étrangères, s’ajoute une dimension supplémentaire : la France fait dès à présent aux yeux des observateurs du Council l’objet d’une rivalité culturelle entre les Alliés. Il s’agit donc d’“ occuper le terrain ” le plus rapidement et le plus efficacement possible. Rappelant l’enthousiasme qui a accueilli la venue du Sadlers Wells Ballet et la perspective d’un échange entre la Comédie Française et l’Old Vic Company, un des participants à la réunion du Finance and Agenda Committee du 10 juillet 1945 commente : “ [C’est là] une occasion qui pourrait ne jamais se représenter pour le théâtre et le ballet britanniques d’occuper une place prééminente sur la scène continentale, et qui délaissée par la Grande-Bretagne, serait saisie par les Etats-Unis et l’Union Soviétique ”324. Les préoccupations du Foreign Office ont un caractère plus politique. L’éducation et l’apprentissage de l’anglais, que le Council a mission de développer, constituent les éléments primordiaux d’une action de propagande plus globale. Ainsi le ministère intervient dans le choix du nombre et de la destination de bourses d’études accordées aux territoires libérés fin 1945. La Grèce en obtient vingt-six, la France, juste derrière, bénéficie de quinze et précède la Tchécoslovaquie (neuf)325. La Grèce est en proie aux tentatives de subversion communiste. La Tchécoslovaquie est le pays d’Europe orientale où le parti communiste compte le plus de membres (cinq cent mille en 1945) même si l’influence des partis modérés reste forte. De façon similaire, on peut penser qu’en France où le parti communiste a rassemblé plus d’un quart des voix lors des élections d’octobre 1945, les Britanniques espèrent par l’action culturelle ancrer fortement aux côtés des Anglo-Saxons un pays qui de surcroît est géographiquement trop proche d’eux pour qu’il lui soit permis de sombrer dans les excès idéologiques. Cependant, à l’heure où le Council étend ses activités en Europe, celles-ci sont en fait hypothéquées par les incertitudes qui pèsent sur son développement ultérieur. 1.3 Une position transitoire Dès 1943 se pose la question de l’étendue du financement du British Council, question qui conditionne son expansion à l’extérieur. Entre 1942/43 et 1943/44, le Trésor lui a consenti un supplément de 966 705 £ et la subvention qui lui est attribuée sur le 324 325 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 10 juillet 1945 – Ibid. British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 13 novembre 1945 -Ibid. 116 budget du Foreign Office atteint 1 573 958 £. Son champ d’action englobe trente-six pays situés pour un tiers en Amérique du Sud, pour un quart au Moyen-Orient. En Europe, seuls le Portugal, la Suède, Malte et l’Espagne enregistrent la présence du Council sur leur territoire. Le travail effectué est inégal selon les pays, et en Europe il n’est considéré comme bien développé qu’au Portugal et à Malte. Mais en général, il reste encore relativement modeste326. Néanmoins en prévision d’une implantation prochaine en Europe, un financement accru s’avère nécessaire pour l’établissement de services quantativement et qualitativement satisfaisants. Ceci est perçu par Anthony Eden qui, suivant les recommandations des ambassades en juillet 1943, demande au Trésor une nouvelle augmentation des fonds accordés au Council. Le refus du Trésor opposé à la requête du Ministre des Affaires Etrangères témoigne de la méfiance toujours suscitée par le Council. Le gouvernement britannique ne s’est pas entièrement converti à l’existence d’un tel organisme qui a de plus crû dans des proportions inattendues et inquiétantes en regard du budget qu’il réclame. C’est pourquoi les années 1944-46 voient le Council soumis à des critiques et remarques qui toutes sont soustendues par une interrogation centrale : A quoi sert le British Council ?327 L’efficacité de son mode de direction et de fonctionnement est mise en doute, ainsi que la pertinence de son développement en Grande-Bretagne. La thèse du gaspillage financier est également évoquée, tant au gouvernement que dans la presse (Lord Beaverbrook dans une campagne acharnée contre le Council en fait un de ses arguments principaux). Enfin la nature de son action, exprimée en termes flous, n’est pas nettement dissociée de la simple propagande. Or si le M.O.I. doit être supprimé après la guerre, pourquoi conserver le Council ? Les ambiguïtés d’Eden, qui assigne à ce dernier une mission de long terme sans, dans le cas présent, en exclure formellement une activité visant à des gains politiques plus immédiats, ne clarifient pas la position du Council328. Et, lorsque le directeur du Council Malcolm Robertson démissionne le 28 mai 1945 pour se consacrer à sa carrière parlementaire et permettre la nomination d’un successeur à temps complet aux commandes du Council, un directeur par intérim est choisi, Lord Riverdale. Pour alimenter sa réflexion, le gouvernement commande à Sir Findlater Stewart un rapport sur l’avenir du British Council. Les conclusions sont remises le 8 février 1945329. Le rapport justifie l’existence du British Council par l’originalité de son action, 326 DONALDSON, The British Council - The First Fifty Years, London, Jonathan Cape, 1984, p. 124. Ibid. p. 128-136. 328 Ibid.. p. 129. 329 Report on the British Council by Sir Findlater Stewart, 8 février 1945. - T 222/6, P.R.O. 327 117 inscrite dans un long terme complémentaire des résultats de court terme recherchés par le Foreign Office ou le Board of Trade. Il se prononce en faveur d’une forte indépendance du Council, sur les plans fonctionnel mais également politique, les interventions du Foreign Office devant se limiter en règle générale à l’énoncé de grandes orientations stratégiques (the provision of broad “ strategic ” policy), et le Council devant pouvoir rejeter les demandes du Foreign Office s’il considère qu’elles n’entrent pas dans le cadre de ses missions. En contrepartie, l’organisation et les activités du Council seraient soumises à un contrôle régulier et vigilant. Enfin la nécessité d’une coordination entre les différents services d’information, telle la B.B.C., est réaffirmée. Ces préconisations soulèvent au sein du gouvernement un large débat qui reporte la prise de décision à l’année 1946. Les notes produites dans ce laps de temps montrent les hésitations du gouvernement face à l’alternative suivante : faut-il conserver un Council indépendant ou l’intégrer aux services du ministère des Affaires Etrangères ? Le Ministre Bevin semble favorable à la seconde solution. Les autres départements ministériels penchent vers la première possibilité, également défendue par Sir Findlater Stewart330. La solution adoptée offre un peu de répit au Council. Le 21 février 1946, le gouvernement choisit d’accorder pendant cinq ans encore son soutien au Council avant de reconsidérer son avenir331, avec un contrôle serré de son action. Il nomme le 5 juin Sir Ronald Adam pour diriger l’Executive Committee. Assuré d’un financement pendant encore cinq ans, le Council doit donc dans ce délai faire la preuve de son utilité, mais à long terme l’incertitude subsiste, ce qui risque de rendre difficile le recrutement d’un personnel compétent (beaucoup retournant à la vie civile après la guerre). Cette décision entrave également les plans de développement du Council, d’autant plus que le Trésor se montre parcimonieux dans l’attribution de subventions. Pour 1946/47 son montant est encore inférieur à celui de 1944/45 et 1945/46 (3 500 000 £) : 2 945 000 £. Il n’a été d’autant moins tenu compte du surcroît de travail confié au Council en Europe, qu’en raison des pertes de guerre la Grande-Bretagne se trouve dans une situation financière globale délicate. D’autre part, le futur du Council est tranché alors que les arbitrages budgétaires sont pratiquement - si ce n’est complètement réalisés. L’Executive Committee doit donc s’en tenir à la recommandation déjà formulée en 330 Note Kirkpatrick, 14 janvier 1946. - Ibid. British Council : Executive Committee, 12 décembre 1950, The British Council Final Report – BW 68/8, P.R.O. 331 118 septembre 1944 d’économiser les ressources du Council332 et en conséquence de limiter son essor à l’étranger. Il apparaît ainsi que des considérations tant financières que politiques influent sur le développement du Council. En raison des restrictions budgétaires des priorités doivent être établies. Là intervient le Foreign Office, qui dans sa formulation des grandes lignes d’action du Council, accorde une importance particulière à l’Europe et au sein de celleci, à la France, ainsi qu’en témoigne la lettre envoyée par Eden à Robertson en 1943. A l’échelon décisionnel supérieur, la dépendance vis-à-vis du gouvernement est donc forte entre 1944 et 1946, ce qui est en partie dû au contexte exceptionnel de l’après-guerre. Le rapport Findlater Stewart ne peut que le déplorer333. Cette subordination se prolonge-t-elle sur le terrain ? 2.- LES AMBIGUÏTÉS DE L’INDÉPENDANCE Dès son arrivée en France, le Council procède à sa réinstallation dans les bureaux du 28 avenue des Champs-Elysées occupés avant la guerre par la Travel Association. Mais il apparaît rapidement qu’il bénéficie alors d’une marge de développement limitée par les imprécisions qui caractérisent son statut et la définition de son rôle. Celles-ci deviennent patentes au fur et à mesure que son activité le met en rapport avec les représentants du gouvernement britannique sur le sol français. Ainsi, le Council n’est pas intégré à la mission diplomatique, mais l’ambassade lui apporte un soutien qui le distingue d’une institution privée. Par ailleurs, la démarcation entre propagande et relations culturelles est brouillée par les hésitations du gouvernement sur l’objet de sa mission. Alors que le Council tente d’affirmer l’autonomie manifeste du culturel à l’égard du politique, le Foreign Office n’exclut pas une coopération (non définie) avec les autres services de propagande britannique (M.O.I. puis C.O.I.). Au caractère mi-officieux mi-officiel de son statut est imputable la désavantageuse position du Council vis-à-vis de l’appareil de représentation diplomatique 332 British Council : Executive Committee, Paper C attaché à l’ordre du jour de la réunion du 12 septembre 1944 – BW 69/10, P.R.O. 333 DONALDSON, op. cit. p. 132. 119 britannique en France. D’autre part, de son refus de tout lien extérieur avec le politique naît une coopération limitée du Council avec les représentants des organes qui en sont issus. 2.1 Les inconvénients d’un statut mi-officieux mi-officiel Le contrôle du Foreign Office sur le British Council s’étend hors du Royaume-Uni par l’intermédiaire des missions diplomatiques. Aux termes d’une rédaction très générale contenue dans un memorandum consacré à son développement334, le Council poursuit une activité indépendante, mais sur des questions touchant à l’intérêt national il doit s’en remettre aux orientations fixées par l’ambassade. En l’absence de précisions, le degré de subordination de l’organisme culturel aux exigences politiques apparaît régi par des facteurs circonstanciels : les décisions du Foreign Office (l’ambassade étant la courroie de transmission) ou les vues de l’ambassadeur. Mais le brouillon d’une note destinée à expliquer aux diplomates en poste à l’étranger les objectifs et les méthodes du Council335, rédigée un an plus tard, offre une lecture politique des conséquences du travail de celui-ci qui implique et justifie la fréquence régulière des interventions de l’ambassade dans la gestion des bureaux du Council. L’activité de ce dernier revêt un intérêt particulier parce que toute propagande directe étant exclue par le Foreign Office, un travail de longue haleine est susceptible de se révéler plus efficace pour ce qui est de la durée et de la solidité de ses résultats. La ligne de conduite du Council dans un pays doit être soigneusement établie. C’est pourquoi l’ambassade doit participer à son élaboration lors de “ consultations directes ” entre ambassadeur et représentant336. Après quoi, la mise en œuvre en est laissée à la responsabilité de ce dernier, en contact étroit avec le service diplomatique. La lecture de divers rapports suggère ainsi un contrôle relativement serré effectué par l’ambassade du Royaume-Uni en France. Du point de vue fonctionnel, l’Ambassadeur peut conseiller d’établir tel contact qu’il estime utile pour le Council. Il émet ponctuellement des recommandations concernant les activités prévues dont il juge de la pertinence. Par exemple une communication du Drama Department du Council à Londres annonce fin 1944 l’éventualité de la venue du Sadlers Wells Ballet à Paris avec l’aval de Duff 334 Memorandum on future development, mars 1944 - BW 31/38, P.R.O. British Council : Executive Committee, Paper E attaché à l’ordre du jour de la réunion du 13 mars 1945 - BW 69/10, P.R.O. 336 Représentant nommé avec son approbation préalable. Ainsi il est signalé au représentant par intérim Anthony Bertram que David Howell sera officiellement nommé si Duff Cooper n’émet aucune objection (17 novembre 1945 - BW 31/22, P.R.O.) 335 120 Cooper337. Ou encore le choix de l’Old Vic pour représenter le théâtre britannique lors des manifestations culturelles du mois de l’UNESCO (novembre 1946) est en grande partie dû à l’Ambassadeur338. Mais l’ambassade exerce surtout une surveillance financière sur le Council, pour être à même de signaler les cas de mauvaise gestion et de gaspillage des deniers publics. Cette tâche participe autant de la procédure ordinaire du contrôle de type administratif que de la méfiance du gouvernement à l’égard d’un organisme constamment soupçonné d’engager des dépenses inutiles (voir supra). L’Ambassadeur soutient éventuellement les demandes de crédit et participe obligatoirement à la formation des estimations budgétaires pour l’année suivante. Il met en parallèle les activités menées (et à ce titre il peut consulter les rapports des représentants, à l’exception de ceux qui sont de nature confidentielle) et les justificatifs financiers qui lui sont présentés. Ses observations, appréciations et recommandations diverses sont consignées dans un rapport qu’il envoie au Foreign Office339. Cependant, malgré des liens qui peuvent être perçus comme restrictifs, le Council jouit en réalité d’une grande liberté d’action. Dans l’ensemble, l’ambassade exerce une surveillance de caractère plutôt général et dans leurs rapports les représentants ne se plaignent pas de ses interventions excessives dans leur travail fonctionnel. Mais les relations ambassade / Council n’en sont pas satisfaisantes pour autant. En effet, la France d’après guerre subit les séquelles économiques de l’Occupation. La production est encore insuffisante (les destructions ont été considérables tant dans l’agriculture que dans l’industrie), ce qui prolonge la pénurie. Le décalage entre cette faible offre et une demande alimentée par un important pouvoir d’achat disponible favorise l’inflation, dont le développement est aussi dû à la politique d’emprunt préconisée par René Pleven et adoptée par le Général de Gaulle. Cette situation engendre pour le Council des difficultés matérielles dont l’aplanissement s’avère malaisé. N’étant pas un organisme officiel et à ce titre n’étant pas inclus dans le personnel diplomatique, le Council ne peut bénéficier de droit des facilités accordées à celui-ci, en particulier pour le logement et la nourriture. C’est pourquoi, pour y avoir accès, Austin Gill suggère à Londres début 1945 un rattachement provisoire à l’ambassade340. 337 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 10 octobre 1944 - BW 69/10, P.R.O. Kennedy-Cooke à Richardson (Board of Education) 27 juillet 1946 - BW 2/185, P.R.O. 339 Voir par exemple concernant les activités du Council Duff Cooper à Bevin 6 juin 1946 - BW 31/38, 338 P.R.O. 340 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 9 janvier 1945 - BW 69/10, P.R.O. Sans que ce rattachement n’établisse une dépendance du Council vis-à-vis de l’ambassade. 121 Le statut indéfini du personnel du Council rend sa position précaire, son confort matériel étant en grande partie dépendant des arrangements ad hoc conclus entre ambassade et Council, quelquefois par l’intermédiaire du Council à Londres et du Foreign Office, ce qui exige un certain temps de négociations et prolonge sur le terrain l’existence d’une situation parfois difficile. Ainsi en juin 1945, le Secrétaire Général du Council, A.J.S. White, déplore les priorités de logement accordées aux membres du M.O.I. qui investissent des lieux déjà occupés par le Council qui doit alors les quitter341. Anthony Bertram, dans son rapport trimestriel pour juillet-septembre, signale l’acuité croissante de la question, à laquelle est venue s’ajouter celle des repas. Les membres du Council ne sont plus admis au mess de l’Hôtel Castiglione, réservé dès lors uniquement à l’ambassade342. Et il semble qu’il n’y ait aucune solution de rechange suffisamment économique pour être adoptée343. Selon H.F. Otway344, représentant adjoint en charge de l’administration, le nouvel attaché administratif de l’ambassade refuse de considérer le personnel du Council comme membres du M.O.I. ou de la section presse de l’ambassade. Ces points sont finalement réglés et courant octobre, le Council est relogé au Chatham (rue Daunou)345. Les repas sont dorénavant pris au YWCA (Young Women’s Christian Association). En revanche, en ce qui concerne le statut, aucun progrès n’est enregistré. En août 1945, William Montagu-Pollock, du Foreign Office, propose un rattachement formel du Council à l’ambassade qui aurait un droit de regard sur les activités du Council mais en userait avec souplesse en lui laissant une très large autonomie346. Richard Seymour décline cette offre de statut diplomatique347 qui semblerait associer trop étroitement et nettement culture et politique. Aussi de nouveau en 1946 cette question lancinante appelle-t-elle un règlement. Le 5 août 1946, le War Office institue des mesures de rationnement pour le personnel diplomatique en créant un système de coupons pour les repas pris au British Officers Club et au YWCA, et pour les fournitures britanniques issues du NAAFI348.. Sur les 341 White à Wickham, 1er juin 1945 - BW 31/10, P.R.O. Le personnel du Council logeait alors à l’hôtel du Rond-Point. 342 Progress Report juillet-septembre 1945 - BW 31/13, P.R.O. 343 Note destinée à Montagu-Pollock (Foreign Office), 8 octobre 1945 - BW 31/10, P.R.O. Les repas servis au British Empire Club sont coûteux, et les femmes n’y sont pas admises. 344 Otway à Bertram, 8 octobre 1945 – Ibid. 345 Cunningham (ambassade) à Otway, 13 octobre 1945 - BW 31/22, P.R.O. 346 Montagu-Pollock à Seymour, 1er août 1945 - BW 31/10, P.R.O. 347 Seymour à Montagu-Pollock, 22 août 1945 – Ibid. 348 Miss Wood au Finance Department du Council, 8 août 1946 - BW 31/31, P.R.O. 122 instances du responsable du bureau parisien du Council David Howell, des démarches sont entreprises auprès du Foreign Office pour obtenir son accord à un nouvel arrangement permettant à l’ambassade de se procurer des coupons supplémentaires destinés au Council349. Malgré ces obstacles administratifs, le Council commence à déployer ses activités. Mais il se trouve en concurrence plus ou moins directe avec les services gouvernementaux déjà présents qui étendent leur mission d’information au domaine culturel. 2.2 Se démarquer du politique Dans sa lettre du 10 juillet 1943, Anthony Eden350 assigne au Council un rôle de coordinateur des initiatives des différents organismes et institutions concernés par le développement futur des relations culturelles entre la France et la Grande-Bretagne. A la première réunion du Comité des Relations Culturelles Franco-Britanniques (voir chapitre 4), il ressort que chaque service possède des méthodes qui lui sont particulières et qu’il en résulte une action très dispersée351. Aussi lors de la seconde réunion (le 8 février 1945) le Comité charge le Council de favoriser l’établissement de liens, privés et publics, entre les deux pays dans les sphères éducative et professionnelle. D’autre part il recommande la création d’un bureau, organisé sous les auspices du Council, pour centraliser les informations sur les activités culturelles franco-britanniques. En fait ce projet n’aboutira pas et lui seront substitués des efforts de coordination avec l’ambassade (réunions régulières, Bulletin d’Information Culturelle du Council dont le premier numéro paraît le 29 octobre 1945). Mais la correspondance échangée entre le Service culturel du Foreign Office et le Council concernant sa fonction précise fait apparaître deux vues divergentes. Montagu-Pollock pour le Foreign Office souhaite que le bureau se limite à encourager les contacts dans le domaine éducatif. En revanche Seymour pour le Council défend la proposition originelle du comité qui lui attribuait une activité fonctionnelle plus large352. Il s’agissait de mettre fin au trafic de marchandises britanniques distribuées par les magasins d’approvisionnement militaires (Navy, Army and Air Forces Institutes). 349 Howell à la Division Europe, 19 août 1946 – Ibid. L’accord du Foreign Office est signifié dans une lettre du 3 septembre 1946 (même dossier). 350 Eden à Robertson, 10 juillet 1943 Le contenu est résumé dans : Robertson à Palairet (Foreign Office) 5 février 1944 - BW 31/12, P.R.O. 351 Franco-British Cultural Relations Committee, 30 mars 1944. - Ibid. 352 Voir Montagu-Pollock à Miss Lyons, 20 juin 1945 Seymour à Montagu-Pollock, 6 juillet 1945 – Ibid. 123 L’attitude de Montagu-Pollock traduit-elle la crainte de voir le Council demander l’allocation de crédits supplémentaires pour mener à bien cette nouvelle tâche qui doit donc être aussi restreinte que possible ? Ou bien faut-il voir là une volonté du Foreign Office de conserver pour les services du gouvernement (le M.O.I.) une autonomie d’action qui pourrait les amener, sans nécessairement en faire part au Council, à empiéter sur le champ culturel ? Autrement dit, ces objections sont-elles destinées à souligner que le Council ne doit posséder ni le monopole des relations culturelles avec l’extérieur ni même leur contrôle ? De fait la culture se présente comme un terrain d’initiatives commun au Council et au M.O.I., dont l’harmonisation requiert une définition claire des attributions de chacun. Or fin 1945 le gouvernement annonce la dissolution prochaine du M.O.I. ; il devient donc inutile de codifier les relations entre deux organismes dont l’un doit disparaître à brève échéance. D’ici là, le Council tente de prendre ses distances vis-à-vis du M.O.I.. Une rivalité sourde caractérise parfois des rapports au sein desquels la coopération occupe une place minimale. Adopter une stricte neutralité politique est pour le Council une règle de base pour assurer le succès de son entreprise. Or ce qui est issu du M.O.I. est entâché de présomptions de manipulation à des fins de propagande. Désirant offrir de la Grande-Bretagne une image perçue comme aussi peu biaisée que possible, le Council se montre très prudent dans ses relations avec le M.O.I.. Par exemple, la diffusion de l’écrit dont il fait sa priorité absolue fait l’objet d’une attention particulière. “ De tous les moyens de propagande, le mot imprimé est le plus influent et le plus facile à déformer ”353.. C’est pourquoi les livres offerts par le M.O.I. doivent être “ automatiquement exclus ”354 du fonds de la bibliothèque du Council. Mais affirmer nettement son indépendance fonctionnelle vis-à-vis des organismes gouvernementaux implique également s’en dissocier physiquement. Ainsi à Toulouse, où le Council rencontre des difficultés pour trouver des locaux dans lequels installer dans de bonnes conditions un centre régional, la Préfecture propose d’affecter un bâtiment au logement du Council, du Vice-Consulat et du M.O.I.355. La réponse de Londres est sans équivoque : nonobstant la crise du logement, l’indépendance du Council est un principe qui interdit de partager un immeuble avec le M.O.I., surtout si celui-ci doit être 353 Note de Mrs Ormrod, 11 avril 1945 - BW 2/254, P.R.O. Propositions pour une uniformisation des bibliothèques du Council à l’étranger non datée Ibid. 355 Coventry à Bertram, 7 octobre 1945 - BW 31/10, P.R.O. 354 124 dissous l’année suivante356. Cela risquerait de créer une confusion qui porterait préjudice au travail du Council. Et ce, d’autant plus que les activités des deux organismes sont parfois analogues, ce qui engendre une rivalité. Début 1945, une lettre du Fine Arts Committee signale à Austin Gill que le M.O.I. a commissionné des artistes pour produire des œuvres sur la guerre, dans le but de les exposer notamment à l’étranger, ce qui recoupe les attributions du Council357. Si l’on en juge d’après les rapports, c’est dans le sud-ouest de la France que se déroule essentiellement cet antagonisme358. Les comptes rendus de 1945 et 1946 relèvent la présence plus ou moins active du M.O.I. à Bordeaux et à Toulouse. Ville traditionnellement proche de la Grande-Bretagne en raison de solides liens historiques, Bordeaux apparaît comme un cadre privilégié pour l’action culturelle anglaise. Ses habitants devraient y être spécialement réceptifs dans la mesure où, selon les observations de Coventry (qui dirige le centre de Toulouse), une partie de sa bourgeoisie a mis en sommeil ses sentiments pro-britanniques au profit d’une collaboration qualifiée de “ matérialiste et sans fondement idéologique ” (materialistic and unintellectual) avec l’Allemagne359, donc ne peut qu’être désireuse de la faire oublier. Mrs Nairn, l’épouse du Consul, représente le M.O.I. avec beaucoup de zèle. A l’occasion d’une semaine culturelle britannique se tenant en novembre 1945 elle prend l’initiative d’organiser une exposition au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Sont rassemblées une soixantaine de peintures et dix sculptures, les œuvres de Robin Guthrie et d’autres Britanniques. L’aide apportée par le Council concerne la préparation (transport des tableaux, obtention de permis de sortie, transmission d’éléments biographiques sur les artistes) mais exclut la sélection des pièces. Miss McLeod, qui a remplacé Miss Lyons au suivi des activités conduites par le Council en France, juge le résultat final très décevant et considère qu’en ajoutant des toiles modernes aux œuvres déjà choisies de style plutôt édouardien, Mrs Nairn a détruit l’homogénéité de la sélection originelle. Et Miss McLeod déplore que le Council ait officiellement pris part à cette manifestation360. En effet chaque échec met potentiellement en péril le prestige du Council et il est à craindre que soient associés le M.O.I. et le Council dans une responsabilité commune des fautes commises (ce ne sera pas le cas ici). 356 Johnstone à Bertram, 6 novembre 1945 – Ibid. Longden à Gill, 16 janvier 1945 - BW 31/20, P.R.O. 358 Ce qui ne signifie pas qu’il soit circonscrit à cette région. On peut aussi, et en l’absence d’éléments infirmatifs, supposer que les relations ailleurs sont plus harmonieuses (Ian Black, directeur du centre du Sud-Est ne fait pas mention du M.O.I.) ou que le M.O.I. y est moins actif. 359 Coventry, Progress Report novembre-décembre 1945, 8 janvier 1946 - BW 31/13, P.R.O. 360 Note de Miss McLeod, 16 novembre 1945 - BW 31/20, P.R.O. 357 125 A Toulouse, Coventry offre une autre image du M.O.I.361. Mal équipé et disposant de locaux ni spacieux ni chauffés, il ne nuira pas au Council. Coventry fait état dans son rapport de l’aide matérielle qu’il donne au M.O.I. (documents, livres). A la différence de Bordeaux, il semble que la branche toulousaine du M.O.I. dispose de peu de moyens et se trouve plus dépendante de sa collaboration avec le Council (les relations sont dites amicales). En fait, une coopération du Council avec le M.O.I. offre des avantages non négligeables. Car si elle est à l’origine imposée par les directives gouvernementales, elle donne l’occasion au Council de s’intéresser de près aux initiatives du M.O.I. dans le domaine culturel - sans nécessairement les contrôler (à Bordeaux) -. Il s’agit essentiellement de réaliser une harmonisation des activités menées par les deux organismes. Mais il ressort aussi des réflexions enregistrées au Council que les membres du M.O.I., pris dans leur ensemble, ne sont guère considérés comme des professionnels des relations culturelles (à l’instar du Council), et des décisions malheureuses risquent de discréditer l’action culturelle britannique entière. De plus, la règle de l’indépendance fonctionnelle exige la modulation de cette coopération qui, selon les domaines, varie en intensité. Dans des cas particuliers il se peut qu’elle soit très étroite. Ainsi dans la période immédiatement postérieure au débarquement allié il est prévu que le Council soit en contact avec le M.O.I. et le Political Intelligence Department du Foreign Office pour la distribution de films et des brochures qu’il édite362. Mais par la suite, les liens se distendent. Dès lors les films, de même que les livres, sont les biens culturels au contenu desquels le Council est très attentif en raison du potentiel d’influence qui les caractérise. C’est pourquoi les livres du M.O.I. sont refusés. Certains films produits et distribués par le Council sont confiés au M.O.I. pour être introduits dans le circuit commercial usuel363. Pour les expositions d’art, le Council tient surtout à faire valoir sa compétence, son expérience en matière d’organisation et de sélection des pièces. Pour ce qui concerne la presse s’instaure un échange plus fructueux. Le M.O.I. transmet au Council les articles traitant de thèmes culturels et peut utiliser les dossiers ainsi constitués364. Si l’on peut conclure à une harmonisation relative des rapports M.O.I. / Council, la non-délimitation des attributions de chacun en regard d’une différenciation établie 361 Coventry, Progress Report, 8 janvier 1946 - BW 31/10, P.R.O. Seymour à Gill, 29 septembre 1944 - BW 31/38, P.R.O. 363 Voir la correpondance à ce sujet dossier BW 31/1, P.R.O. 364 Mrs. Hackett, Progress Report octobre-décembre 1945 - BW 31/13, P.R.O. 362 126 entre politique et culturel reste néanmoins un sujet d’embarras qui concourt à ralentir le développement des activités du Council en France. En avril 1946 a lieu une restructuration des services d’information du gouvernement britannique. Le M.O.I. est dissous le 1er avril et est remplacé par le Central Office of Information (C.O.I.), intégré au Foreign Office. Dans les ambassades et les consulats des bureaux de presse se chargent des informations à caractère politique. La liquidation du M.O.I. marque la fin d’une période où la propagande tendait sans relâche vers un but immédiat et de court terme : gagner la guerre. Désormais elle peut se permettre d’être plus discrète. A la différence du M.O.I., l’existence du C.O.I. s’inscrit dans une durée indéterminée. C’est pourquoi il est souhaitable d’éviter les doubles emplois auparavant constatés entre le M.O.I. et le Council ; et à cette fin de décider au plus tôt d’une répartition des compétences entre C.O.I. et Council365, et d’une concertation régulière à titre informatif. Ashley-Clarke, Premier Conseiller de l’ambassade du Royaume-Uni à Paris, fait parvenir à David Howell le 12 avril 1946 un memorandum général sur les futurs liens entre l’ambassade et le Council. Ce document témoigne du souci du Foreign Office de mettre en place une complémentarité fructueuse entre ses services d’information et le Council. Ainsi le bureau de presse sera chargé de donner les renseignements jugés nécessaires par le gouvernement sur des thèmes politiques d’actualité, et ce par les canaux usuels de communication. Le Council continuera à s’occuper d’éducation et de culture au moyen d’activités fonctionnelles, en contact avec des groupes spécialisés (universitaires, associations...). Sont dessinés ici les contours d’un cadre à l’intérieur duquel évolueront les rapports bureau de presse/Council. Les modalités pratiques de la coopération à instaurer ne sont pas évoquées dans l’immédiat. Un mois plus tard, David Howell366 résume les deux réponses possibles à la question qui préoccupe le Council : dans quelle mesure celui-ci doit-il être lié aux services de presse des missions consulaires et diplomatiques ? Une collaboration permettrait de planifier plus harmonieusement les actions entreprises. Mais Howell s’exprime en faveur d’une indépendance maximale qu’il juge plus profitable pour l’efficacité du Council. A l’inverse, dans une note envoyée à Bevin367, Duff Cooper se prononce pour une coordination souple au lieu d’une séparation rigide entre les deux bureaux, et suggère la mise 365 A la suite de ses réflexions sur l’avenir du Council, le gouvernement avait retiré à celui-ci la charge des acquisitions et des productions fonctionnelles. 366 Howell à Miss McLeod, 13 mai 1946 - BW 31/10, P.R.O. 367 Duff Cooper à Bevin, 6 juin 1946 - BW 31/38, P.R.O. 127 en commun de certaines ressources tels les films, voire les conférences et les temps de programmes radiodiffusés consacrés à la Grande-Bretagne. Les premières traces d’une mise à profit conjointe de matériel concernent les films. Certains sont empruntés au fonds de l’ambassade et montrés avec ceux du Council lors de tournées en province, ou prêtés aux centres régionaux. Ainsi Desert Victory, un documentaire long métrage sur les victoires anglaises remportées en Afrique du Nord, est projeté à Toulouse et Grenoble au cours du deuxième trimestre 1946368. A Londres même, le Films Department du Council subit une réorganisation complète et fusionne avec celui du C.O.I. dans le deuxième semestre 1946. Le C.O.I. réalise les productions, la copie des films et leur envoi à l’étranger, le Council s’occupe de la distribution sur place. Vers la fin de l’année, si l’on s’en rapporte à une mise au point de David Howell sur la nature des activités du Council369, certains transferts de compétences ont été ou sont sur le point d’être effectués : les films à la réalisation desquels le C.O.I. prend une part essentielle, le Book Export Scheme qui doit être confié à l’ambassade. En ce qui concerne les autres domaines Howell s’en tient aux directives émanant du Policy Committee du Council, auquel le Foreign Office a fait part de ses décisions relatives aux rapports C.O.I./Council370. Restant sur le terrain strictement culturel et éducatif (par opposition au politique qui recouvre l’activité du gouvernement au pouvoir) pour présenter une image exacte de la civilisation britannique, le Council peut faire usage des services d’information de l’ambassade pour faire connaître son action dans le public, ou placer films et articles. D’autre part, une coordination efficace des initiatives des deux bureaux exige aussi un échange continu de renseignements sur les opérations qui sont envisagées. En définitive, cette coopération est très souple, ponctuelle, et n’entraîne aucune diminution de la liberté d’action du Council. Tout aussi important, elle n’est pas ostensible. * Dès son arrivée en France, le Council doit consacrer une grande partie de son temps à son organisation, dans un pays dévasté par l’Occupation et les combats de 368 Le Harivel, Quarterly Report (mars-juin), 29 juin 1946 - BW 31/3, P.R.O. Howell à Tennant (Press Office de l’ambassade), 21 novembre 1946 - BW 31/11, P.R.O. 370 British Council : Policy Committee, réunion du 8 octobre 1946 - BW 69/12, P.R.O Paper A date d’août 1946. Ce document contient des éléments constitutifs du Definition Document produit en décembre 1946 dans la même but. 369 128 Libération, et en proie à la pénurie. Résoudre ces difficultés matérielles s’avère plus ardu pour un organisme dépourvu de représentativité officielle sur place et devant dès lors à chaque nouvel obstacle en référer à Londres pour qu’une solution soit apportée. Outre cette question de statut, toujours pendante fin 1946, le Council est également desservi par la structure de la représentation britannique en France, partiellement héritée de la guerre. Il se trouve ainsi en concurrence avec le M.O.I. qui dispose d’une large compétence fonctionnelle. Il s’agit alors pour le Council de réduire tout contact manifeste avec le M.O.I. qui risquerait d’être perçu par la population comme une collusion à des fins de propagande et porterait préjudice à son action future. Les arrangements réalisés avec le C.O.I. marquent la sortie du provisoire. Le Definition Document énonce les modalités d’une coopération là aussi limitée, mais vise surtout à éviter les doubles emplois en instaurant entre les aires d’activité des deux services une séparation nette - sans être rigide. Cependant, outre l’établissement de rapports satisfaisants avec l’ambassade ou les services d’information, le Council doit également se préoccuper de l’organisation de son action. La France de 1944 offre un foisonnement de groupements anglophiles qui pourraient se révéler d’utiles relais. 129 CHAPITRE 6 LES RELAIS POTENTIELS DE LA PROJECTION CULTURELLE BRITANNIQUE EN FRANCE : UN FOISONNEMENT ASSOCIATIF ANGLOPHILE En matière d’élaboration de politique culturelle, la démarche britannique se caractérise par un souci de rationalisation des initiatives. Il s’agit de limiter le nombre d’acteurs en jeu pour substituer à l’éparpillement des actions un partage des tâches dicté par la réalisation d’objectifs précis et coordonnés. Ainsi dès 1943, Lord Bessborough est chargé de mener à bien le regroupement des associations francophiles en une fédération. Aussi, lorsque le British Council s’apprête à ouvrir un bureau en France, possède-t-il une vision d’ensemble des organismes partenaires britanniques actifs dans le champ des relations franco-britanniques et peut-il éventuellement les mettre à contribution pour obtenir des résultats spécifiques (en fonction des spécialisations, des publics visés ...). Le contexte français présente en revanche une certaine complexité en raison de la multiplicité des interlocuteurs possibles. Aux organismes officiels (ministères, ONUEF...) se juxtaposent de nombreux groupements associatifs ayant tous en commun de l’admiration pour la Grande-Bretagne et la conviction que les liens franco-britanniques doivent être solides. Coexistent ainsi des associations plus ou moins récentes, plus ou moins sérieuses, dont l’activité (ou le regain d’activité) est issue du sentiment anglophile qui anime les Français au lendemain de la Libération. Prendre la mesure de ces initiatives dispersées s’avère cependant ardu, principalement en raison de la faiblesse numérique des archives tant privées que conservées dans les fonds publics. Leur consultation permet de constater un foisonnement de groupes plus ou moins éphémères, dont le développement est observé par les autorités françaises et 130 britanniques dans une perspective instrumentalisatrice, et dont la DGRC ne parvient pas à fédérer les principaux selon le modèle anglais. 1.- DES INITIATIVES FOISONNANTES Parmi les associations à caractère anglophile, il convient d’opérer une distinction en fonction de l’antériorité ou la postériorité à la guerre de leur formation. Ce critère de différenciation fait en effet apparaître deux catégories d’organismes. Avant la guerre se sont développés des organismes agissant en fonction des intérêts politiques, économiques, culturels de l’élite sociale dont ses dirigeants sont issus, dans des domaines variés. Ils incarnent une anglophilie de profonde conviction. En revanche, après la Libération naissent des organismes marqués par l’opportunisme de l’heure, de recrutement social (quand il nous est connu) plus varié. 1.1 Dans le sillage de la Libération : une anglophilie de tendance populaire soutenue par la DGRC L’étude des dossiers du ministère des Affaires étrangères, aussi lacunaires ou légers soient-ils, permet de dégager les contours d’un sentiment favorable aux Britanniques découlant directement de l’expérience de la Seconde Guerre. Ce sentiment trouve des traductions multiples qui rendent compte de son intensité. Ainsi, dans certains cas, il revêt une apparence largement circonstancielle371, liée au caractère temporaire de l’alliance militaire forgée pour venir à bout des dictatures fascistes. Les différents groupements d’accueil des forces alliées illustrent cette tendance. Ils n’individualisent pas de sentiment particulier à l’égard des Britanniques, mais l’englobent au contraire dans l’expression générale d’une reconnaissance à l’égard des Alliés. Face à la fondation de ces groupements, le ministère adopte une attitude qui correspond à des niveaux d’aide spécifiques, mettant ainsi en valeur l’enjeu représenté par leur existence. Cette vision est nécessairement influencée par le prisme utilitaire des agents de la DGRC, qui ne consentent à cautionner cet enthousiasme à l’égard des alliés qu’en fonction 371 Ce qualificatif ne préjuge toutefois pas de la profondeur des convictions qui animent ses dirigeants et ses membres. 131 des gains recevables pour l’image de la France et sa culture. Cependant, elle permet de faire la part de la spontanéité des manifestations de reconnaissance des populations et de la vigilance calculatrice de l’administration. La création de ces organismes d’accueil des militaires alliés embarrasse parfois les autorités locales qui constatent la multiplication d’initiatives non coordonnées372. Cependant, elles observent une bienveillante neutralité après s’être assurées de l’“ honorabilité ” des membres du groupe. En effet, la faveur dont ce type de groupement jouit auprès de l’administration centrale ne repose qu’en partie sur celle qui est la leur auprès des représentants locaux de la République. Les subventions ne sont accordées qu’après enquête scrupuleuse sur le sérieux des animateurs, leur activité pendant la guerre et leurs relations, à côté des objectifs qu’ils poursuivent373. Il importe de ne pas soutenir un groupe utilisé - ou soupçonné de l’être - par d’anciens “ collaborateurs ” pour obtenir un brevet de bonne conduite politique et faire oublier leurs exactions ou opinions notoirement anti-alliés pendant l’Occupation. Ce type de préoccupation est constant à cette date. Le soutien psychologique apporté par ces organisations n’est pas contesté, mais l’absence d’arrière-pensées douteuses ayant présidé à leur formation demande à être confirmée. Lorsque leur envergure semble faible et que leur existence ne paraît pas traduire d’autre volonté que celle d’accueillir les troupes alliées (sous réserve de plus amples renseignements), le ministère ne porte pas à ces petits organismes d’intérêt particulier ; ils semblent être voués à une vie éphémère. En revanche, d’autres groupes suscitent davantage d’attention. Ils peuvent recueillir une caution officielle sous forme d’octroi d’une aide financière, tant sur le plan local que national. De fait, l’utilité morale de ces associations est à ce point complémentaire de l’action froide de l’administration que leur existence peut dans certains endroits être ressentie comme indispensable. Ainsi à Toulouse, le commissaire de la République estime que leur présence est nécessaire, et il favorise la création d’un comité France-Alliés. La reconnaissance officielle accordée à ce comité lui permet d’obtenir des subventions. La direction générale de 372 C’est le cas du préfet de Seine-et-Oise qui fait état de la formation de Comités d’accueil et de bienvenue aux armées alliées, distincts du FWC, dans son département. Préfet de Seine-et-Oise au ministère des Finances (Service d’aide aux forces alliées), 23 décembre 1944. – Relations culturelles, années 1945-1947, carton 173, M.A.E. 373 Ainsi le Welcome Committee du Calvados est-il subventionné, alors que celui de Toulouse n’est pas aidé par le ministère. S. Borel à Bertaux, 6 avril 1945. - Ibid. 132 l’Information lui alloue quelques crédits à sa fondation (à la Libération) jusqu’en avril 1945. La DGRC prend le relais pour l’exercice 1945-1946. Ce comité joue le rôle d’organe de coordination des activités et est en relations régulières avec les comités franco-étrangers officiant à Toulouse374. Le bureau parisien du French Welcome Committee (FWC) est également considéré avec intérêt. Fondé en 1944 par des Français ayant pris une part active à la libération de leur pays, il compte parmi ses parrains le général Koenig, le général Juin, les principales autorités politiques et morales parisiennes (préfet, président du Conseil municipal, président de la Chambre des Députés, recteur de l’université de Paris ...). Des centres provinciaux le relaient, mais leur affiliation au FWC parisien n’est guère pesante. Elle s’exprime essentiellement par une adhésion aux objectifs définis. Ces centres sont en réalité indépendants, ce qui explique le soutien à géométrie variable que peut leur apporter le ministère. Ils agissent essentiellement en fonction de la situation de leur région d’activité.. Paris se contente de faire la liaison et de leur apporter parfois une aide. Ces liens entre Paris et la province semblent toutefois insuffisamment serrés du point de vue du ministère des Affaires étrangères, qui projette de s’employer à assurer une bonne coordination des actions des différents centres375. Cet intérêt du ministère traduit les possibilités d’utilisation de ce groupement au service de la projection culturelle de la France à l’étranger. En effet, les FWC n’ambitionnent pas uniquement de réserver un accueil enthousiaste aux forces armées alliées. Ils cherchent également à sensibiliser ces soldats à la culture française, en leur permettant de tisser des liens personnels avec les Français, en leur faisant connaître et apprécier “ la vraie France ”.. Ainsi, le programme du FWC comporte un volet inscrit dans le long terme visant à un renforcement de la coopération franco-alliée376, qui attire l’attention du ministère. Certaines formations visent en revanche un objectif plus restreint. Elles concentrent leur intérêt sur les Alliés anglo-saxons, et cherchent à faire connaître leur culture, sans s’octroyer de rôle social spécifique à l’égard des troupes stationnant en France. L’une d’elles est l’association France-Grande-Bretagne-États-Unis, qui n’est pas affiliée à France- 374 375 Faucher à DGRC, 13 juillet 1945. – Ibid. Ministère des Finances (Service d’aide aux forces alliées) au Préfet de Seine-et-Oise, 8 janvier 1945. - Ibid. 376 Buts et composition du Comité français de bienvenue (French Welcome Committee, Frantsuski Comitet Privetsvovanie), note s.d. – Europe 1944-1960, Europe 1944-1949 GB, dossier 43, M.A.E. 133 Grande-Bretagne. Les éléments que nous possédons la localisent outre-Méditerranée, à Alger et à Oran377. Relancée avec le soutien des autorités françaises en 1943, la section d’Alger noue des contacts étroits avec le représentant du British Council Austin Gill, qui la considère comme un pôle de diffusion de la culture britannique aux potentialités intéressantes et intègre cette coopération dans son plan de développement d’activités. En conséquence, Gill suit de près son évolution en assumant un rôle de conseiller de la section, et donne des cours dans le cadre du programme d’apprentissage de l’anglais proposé par l’association378. Gill ne mentionne aucune intervention américaine dans la vie de France-Grande-Bretagne-Etats-Unis, comme le nom même de l’association aurait pu le faire envisager. Outre la nécessité de s’appuyer sur des moyens de publicité multiples pour pallier la faiblesse de ses propres ressources, peut-être la crainte d’une concurrence américaine a-t-elle favorisé ce positionnement précoce de Gill vis-à-vis de cette association. Cette politique est-elle suivie par ses successeurs ? Après le départ de Gill, les rapports ne font plus mention de coopération autre que très ponctuelle avec la section algéroise de France-Grande-Bretagne-Etats-Unis. La section d’Oran, constituée en août 1944, déclare huit cents cotisants en avril 1945. Les rapports du Council citent le chiffre de cinq cents membres en mars de la même année379.. Le Council collabore, semble-t-il, de façon discontinue avec cette section. L’activité de cette association se limite à l’organisation de cours et de conférences380, voire de petits concerts avec l’assistance du British Council381. Alors qu’en 1943 le commissariat aux Affaires Etrangères et le recteur Laugier avaient encouragé l’association à se développer et avaient souhaité une collaboration avec le Council dans ce sens382, en 1944, par principe, la DGRC ne parie pas sur la viabilité de ce type d’association tripartite, qui lui semble fort douteuse, et surtout qui n’est pas susceptible de rapporter de dividende spécifique en matière de projection culturelle française 377 Toutefois, il n’est pas impossible que cette association dérive indirectement de France-GrandeBretagne, en soit en quelque sorte une résurgence partielle sous un nom différent avec des buts élargis (prise en compte des Etats-Unis). En 1939, s’était créée une section de France-Grande-Bretagne à Alger, et un correspondant officiait à Oran. Mais nos informations sont insuffisantes pour procéder à des recoupements significatifs. 378 Gill à Knowles, 10 février 1944. - BW 10/1, P.R.O. 379 John Harrison, Report on Oran, 12 mars 1945. - Ibid. 380 Buret au Ministère des Affaires étrangères, 20 avril 1945. – Relations culturelles, années 1945-1947, carton 173, M.A.E. 381 Burrow, Report for May 1945. - BW 10/1, P.R.O. 382 Gill à Knowles, 9 décembre 1943. - Ibid. 134 à l’étranger383. Toutefois, les liens entre Alliés apparaissent encore solides, aussi ne refuse-telle pas un encouragement sous forme de subvention pour l’édition de conférences ou l’élaboration de cours. Les raisons qui sous-tendent ce soutien financier “ à fonds perdus ” n’apparaissent cependant pas clairement : traduisent-elles simplement la correspondance aux critères déterminants énoncés supra ? Le peu d’informations dont nous disposons sur cet organisme ne permet finalement pas de se livrer à des conjectures pertinentes. Les quelques éléments recueillis dans les rapports du Council nous apprennent que l’animation de la section oranaise est essentiellement assurée par des enseignants384, mais ne renseigne pas sur l’origine sociale des membres. Or l’un des caractères constitutifs d’organisations de ce type émergeant à cette époque, et auquel la DGRC est très attentive et très favorable, est une composition sociale diversifiée. En effet, la seconde catégorie de groupements à tendance anglophile apparaissant au lendemain de la guerre fonde son existence sur le sentiment de reconnaissance à l’égard des alliés commun à tous, et s’appuie de façon tout à fait originale sur l’esprit de fraternité ayant soudé un peuple qui tendait vers sa libération, oblitérant ainsi les distinctions de statut social. Dans une perspective à coloration universaliste, ce mouvement vise à lier les peuples dans leur diversité. Ces associations à vocation bipartite offrent a priori davantage de chances de se pérenniser. L’association amicale franco-britannique et l’association Tourisme et Travail en sont deux exemples. L’association amicale franco-britannique (AAFB) connaît des difficultés à s’établir, depuis ses premières tentatives dans les années 1930 jusqu’à sa réorganisation en janvier 1946. A cette date, elle présente les caractères d’une anglophilie de tendance populaire puisant ses orientations du côté du souvenir de la résistance à l’ennemi. Son comité de direction385 regroupe des personnalités d’activité modeste, commerçants, comptables, petits industriels et employés. Globalement, elle s’enracine dans des couches de population assez diverses, même si nous n’avons aucune indication précise sur ses adhérents. Ceux-ci sont nombreux cependant (environ sept mille en novembre 1946, et douze mille en août 1947). 383 “ L’association France-Grande-Bretagne-Etats-Unis a peu de chance de survivre après guerre et en tout état de cause l’intérêt français ne consiste pas à réduire notre participation au tiers de l’ensemble. Des associations bipartites [...] paraissent préférables. ” DGRC à Spilmann, 17 octobre 1944. – Relations culturelles, années 1945-1947, carton 173, M.A.E. 384 John Harrison, Report on Oran, 12 mars 1945. - BW 10/1, P.R.O. 385 Rapport de l’association amicale franco-britannique, 25 novembre 1946. – Relations culturelles, années 1945-1947, carton 174, M.A.E. 135 Leur rapide augmentation traduit un intérêt pour les choses anglaises observable de façon générale dans la population française à cette époque. L’hébergement de clubs d’anglais, le programme de conférences et l’organisation de voyages en Grande-Bretagne offrent une gamme classique d’activités propres à satisfaire ce type de curiosité. En 1946, l’AAFB dispose de soixante-six sections situées en grande majorité au nord de la Loire. L’association étroite réalisée entre le rapprochement franco-britannique après la guerre, objectif principal de l’AAFB, et le souvenir du combat commun s’exprime de façon inédite par la remise de “ diplômes d’honneur ”, décernés à des individus “ pour dévouement et services éminents rendus à la cause des Alliés pendant la période de résistance à l’ennemi 1940 – 1944/45 ”386. Une commission des récompenses composée de huit anciens résistants se réunit pour examiner les dossiers des postulants. Un diplôme et une croix387 sont remis aux personnalités choisies. Il est à noter qu’en novembre 1946, ces diplômés constituent environ 16 % du total des membres. Pour être significatif, ce pourcentage ne permet pas de discerner à quel point l’institution de cette décoration privée influe sur le recrutement ou les motifs d’adhésion à l’AAFB. Dans la droite ligne de cet attachement aux souffrances communes, cette association, qui ne professe par ailleurs aucune adhésion à une quelconque idéologie, soutient un programme à tendance pacifiste, dont la pierre d’angle est une alliance franco-britannique suffisamment solide pour assurer la paix du monde et l’indépendance des petites puissances388. Ces quelques éléments sont insuffisants pour se prononcer avec certitude sur le positionnement de l’AAFB sur l’échiquier des sensibilités politiques. Un rapport transmis par le ministère de l’Intérieur à la DGRC note l’appartenance au Parti communiste du vice-président de l’association, et à la SFIO du directeur administratif. Il est vraisemblable que l’AAFB se situe plutôt à gauche, mais un rapport de la Direction générale de la sûreté nationale daté de 1947 conclut à l’apolitisme de l’association389. L’AAFB établit des liens avec le service de presse de l’ambassade du Royaume-Uni qui lui fournit brochures et films de propagande390, mais au fil du temps les relations avec la représentation officielle britannique ne semblent pas être des plus aisées. La personnalité du président de l’association, André Vérot, ne fait pas l’unanimité auprès des Britanniques, sans que nous sachions exactement pour quels motifs il est considéré avec défiance. Toutefois l’ambassade hésite à rompre avec un partenaire qui comprend dans ses 386 Ibid. La croix est en émail rouge. En son centre sont croisés les drapeaux français et britannique. Sur le ruban bleu, blanc, rouge, est épinglée une croix de Lorraine dorée. - Ibid. 388 Préfet du Pas-de-Calais à DGRC, 7 juin 1947. – Ibid. 389 Seydoux à l’ambassade du Royaume-Uni, 14 octobre 1947. – Ibid. 390 Rapport de l’association amicale franco-britannique, 25 novembre 1946. - Ibid. 387 136 rangs toute une frange sociale de la population française que les efforts de projection culturelle britannique n’atteignaient pas jusqu’alors391.. La nature strictement privée des diplômes d’honneur n’était pas suffisamment claire aux yeux des Britanniques et cette ambiguïté incitait à la méfiance. Ces deux considérations disparaissent au cours de l’année 1947, avec la démission de Vérot et la re-dénomination des diplômes. Les dossiers, tant du ministère des Affaires étrangères que du Foreign Office, sont muets par la suite sur l’évolution de cette association. Nous ignorons donc si les relations entre l’ambassade et l’AAFB se sont poursuivies. Si les Britanniques ont pu trouver intérêt à nouer des liens avec l’AAFB afin d’élargir le spectre social touché en France par la diffusion d’informations sur la GrandeBretagne, les Français de la DGRC n’ont pas jugé utile pour leurs propres objectifs d’apporter une aide financière ou autre à l’AAFB. Aucun document ne vient éclairer l’apparente indifférence de la DGRC à l’égard de l’AAFB. L’association Tourisme et Travail partage avec l’AAFB un souci de recrutement dans les couches modestes de la population. Nous ne possédons que quelques notes rédigées au sein de la DGRC concernant Tourisme et Travail, qui présentent un groupement très lié aux syndicats français, aux organisations culturelles populaires (Travail et Culture) et aux mouvements de jeunesse (auberges de jeunesse, scoutisme, Fédération mondiale de la jeunesse). Sa ligne directrice reflète une adhésion aux idéaux de paix universelle par les échanges culturels, voyages à l’étranger ou échanges au pair. Dans cette perspective, des conventions d’échanges ont été signées avec la Grande-Bretagne, la Suisse, la Tchécoslovaquie et les pays scandinaves. Malgré des principes qui pourraient lui faire attribuer une sensibilité de gauche, cette association ne souhaite pas marquer de préférence idéologique et ainsi a refusé de s’affilier à l’association France-URSS. Pour démontrer le caractère non subversif de ce groupement, le rédacteur de la Direction Europe du ministère des Affaires étrangères établit une correspondance de ses objectifs avec ceux d’un organisme anglais de même type, la Workers’ Travel Association392. Le créneau de population vers lequel Tourisme et Travail oriente ses activités explique l’intérêt que son existence suscite à la DGRC, qui voit là une possibilité 391 392 M.A.E. Aide-mémoire envoyé par l’ambassade du Royaume-Uni, 5 août 1947. – Ibid. Note de la Direction Europe, 10 juillet 1946. – Europe 1944-1960, Europe 1944-1949 GB, dossier 44, 137 d’encourager l’extension à des catégories de population modestes d’un sentiment anglophile jusqu’alors traditionnellement présent dans des milieux aisés. A côté de cette anglophilie socialement diversifiée révélée par les circonstances, réapparaissent des groupements dont le sentiment pro-britannique s’exprime dans des structures plus anciennes. 1.2 La réactivation des associations d’avant-guerre : une anglophilie de profonde conviction Ces associations plongent leurs racines dans le mouvement pluriséculaire des relations élitaires franco-britanniques. Elles en sont la plus récente expression. Par comparaison avec des groupements de constitution postérieure, elles possèdent une expérience, une organisation éprouvée, et participent de réseaux de sociabilités influents. Ces caractères sont des atouts diversement appréciés : si les Britanniques retrouvent à partir de 1944 des partenaires avec lesquels ils ont eu l’occasion d’avoir des échanges efficaces, les Français de la DGRC doivent concilier leur peu de considération pour ces organismes qui semblent dans leurs objectifs faire peu de cas des populations modestes393 avec la prise en compte de leur dévouement méthodique à la cause du rapprochement franco-britannique394. Deux groupements correspondent à ce cas de figure : l’association FranceGrande-Bretagne et l’organisme Art et Tourisme. France-Grande-Bretagne est le plus ancien groupement dédié à la cause du rapprochement franco-britannique (depuis 1916), ayant de surcroît entretenu entre les deux guerres des contacts réguliers avec les organismes britanniques chargés de faire connaître la culture britannique en France (voir première partie). Lorsque l’association se reconstitue, en 1944, elle s’efforce de renouer avec son activité antérieure avec d’autant plus de célérité que l’avide curiosité des Français à l’égard de la Grande-Bretagne offre un terrain favorable à son expansion. De fait, fin 1946 les membres de France-Grande-Bretagne sont estimés par son secrétaire général à environ dix 393 Ce jugement est en réalité un peu lapidaire. Voir C. OKRET, La “ culture de l’esprit d’Entente cordiale ” : l’association France-Grande-Bretagne (1919-1940), thèse de l’Ecole nationale des Chartes, 1997. 394 L’association France-Ecosse ne sera pas évoquée ici, en raison de l’inexistence d’archives publiques ou privées permettant d’en faire une présentation générale. La DGRC considérait en 1947 le souvenir du lien franco-écossais comme un particularisme qu’il n’était pas nécessaire d’encourager (voir le point 2). 138 mille personnes395. Le nombre de sections créées ou recréées en province atteint à la même date cinquante et une (trente-deux en 1939, en comparaison). Ce solide maillage du territoire français est largement exploité, tant par les services de presse de l’ambassade ou des consulats (ministère de l’Information - MOI) qui y diffusent des court métrages informatifs sur la vie anglaise, que par le British Council dont les agents y prononcent des conférences396. Par exemple, la section lyonnaise et toutes les sections proches de la région Rhône-Alpes (Vienne, Chalon-sur-Saône) sont en relations très régulières avec le consul Parr et le représentant du Council Black. A Bordeaux, selon le même schéma, MOI (représenté par l’épouse du consul) et British Council mènent une action concomitante. La fédération normande groupée autour de Caen (une vingtaine de petites sections) bénéficie couramment des visites du Council. Toulouse ou les sections de la Côte d’Azur sont également activement soutenues par ces institutions britanniques. Parallèlement, France-Grande-Bretagne entend poursuivre une réflexion politique sur la pérennisation des liens franco-britanniques qui se traduit par la reconstitution d’un comité économique et d’un comité de politique étrangère. Ce sont là les préoccupations prioritaires de l’association dans ces premières années d’après-guerre, alors que s’engage la reconstruction des deux pays, et que sur le plan diplomatique se font jour les premières divergences de vues qui font craindre une désagrégation de l’alliance (escarmouches au Levant). Aucun organe spécifique n’est consacré au développement des relations intellectuelles, par ailleurs entravé par les difficultés économiques et de communication. A la différence de la situation d’avant-guerre, lorsque le Council disposait de faibles moyens pour mener à bien sa mission et s’appuyait largement sur les structures de France-GrandeBretagne, l’association peut désormais se placer en retrait et jouer la carte de la complémentarité avec un Council dynamique. Par ailleurs, France-Grande-Bretagne entretient des liens étroits avec l’association Art et Tourisme, formée en 1936, dont les objectifs “ patrimonialo-mondains ” rencontrent la faveur d’un public limité mais qui mène une action artistique complémentaire. De fait, au cours du premier semestre 1945, Art et Tourisme participe à l’organisation de conférences (Violet Markham, Raymond Mortimer), de concerts (Sir Adrian Boult, Benjamin Britten), d’expositions (peintures d’enfants anglais, effort de guerre allié)397. 395 Rapport du secrétaire général à la XXIVe assemblée du 21 décembre 1946, France-Grande-Bretagne, n°211, janvier-février 1947, p.5. 396 Les différents numéros du bulletin France-Grande-Bretagne mentionnent ces collaborations. 397 Dossier Art et Tourisme, 31 juillet 1945 – Relations culturelles, années 1945-1947, carton 173, M.A.E. 139 Toutefois, si les Britanniques rétablissent un contact facile avec des organismes qu’ils connaissent déjà, avant de prendre appui sur eux pour donner toute la mesure de leurs moyens, ils observent l’estime en laquelle ils sont tenus par le Quai d’Orsay. En effet, leur caractère ou leur tendance intrinsèquement élitaire coïncide mal avec les principes de démocratisation mis en exergue en ces années. Art et Tourisme est particulièrement concerné par cette méfiance qui confine au franc dédain. Ainsi J.C. Paris fait parvenir fin 1944 à la DGRC un long télégramme depuis Londres dans lequel il “ attire l’attention du Département sur le danger qu’il y aurait à laisser ‘Art et Tourisme’ reprendre son activité sans autre forme de procès ”. Cette association considérée comme trop frivole dans des circonstances marquées par la gravité est qualifiée par Paris de “ côterie qui, avant la guerre, était au moins aussi connue sous le surnom d’’Art et Snobisme’ que sous son véritable nom ”398. Conscients de la défaveur dont fait l’objet Art et Tourisme auprès des autorités françaises, les Britanniques hésitent à reprendre des relations suivies avec un groupement “ qui n’est pas suffisamment représentatif de la nouvelle France - et c’est un euphémisme ! ”399. Mais indépendamment de considérations idéologiques, la DGRC adopte une attitude temporisatrice vis-à-vis de ces associations, en ne leur octroyant que peu ou pas de subvention. En effet, le ministère des Affaires étrangères ambitionne de fondre toutes les associations d’envergure ayant pour objectif le rapprochement franco-britannique en une seule organisation à caractère démocratique et œcuménique, unissant ainsi des initiatives dispersées pour parvenir à une meilleure efficacité contrôlée. 2.- RATIONALISER ET FORMALISER LE CHAMP DES RELATIONS CULTURELLES FRANCO-BRITANNIQUES : LE PROJET DE FÉDÉRATION FRANCE-ROYAUME-UNI Ce projet de rationalisation, qui préfigure une formalisation des relations culturelles franco-britanniques, se présente comme le pendant français de la réorganisation 398 Paris à DGRC, 18 décembre 1944. – Europe 1944-1960, Europe 1944-1949 GB, dossier 54, M.A.E. “ Not sufficiently representative of the new France, to put it at its mildest ! ”. McLeod à Massigli, 15 janvier 1946. – Relations culturelles, années 1945-1947, carton 191, M.A.E. 399 140 effectuée en Grande-Bretagne et impulsée par les autorités britanniques. Mais son échec met en lumière la prégnance des individualismes, qui conservent de fait une libre expression de leur complémentarité vis-à-vis des politiques officielles et l’usage de méthodes qui leur sont propres. 2.1 Une rationalisation inspirée par l’exemple britannique et adaptée aux préoccupations françaises A l’origine de cette volonté de restructuration du tissu associatif anglophile français se trouvent les autorités britanniques, qui souhaitent donner une efficacité accrue à leurs actions par l’établissement de contacts réguliers avec un unique interlocuteur. Les autorités françaises y trouvent également une occasion pour tenter de redéfinir les contours d’une anglophilie jugée jusqu’alors trop élitiste. Sollicité par Anthony Eden en 1943, Lord Bessborough est chargé de mener une réflexion sur les relations culturelles franco-britanniques après-guerre, et dans ce cadre est incluse la réorganisation de Great-Britain-France, équivalent de France-Grande-Bretagne. Avec le soutien du Foreign Office et l’accord du président de Great-Britain-France, Lord Derby, il convient de donner une assise sociale plus large à l’association anglaise. Les propositions de Bessborough visent à introduire une représentation institutionnelle et politique équilibrée dans le comité de direction de Great-Britain-France. Hormis Eden, Attlee et le libéral Archibald Sinclair acceptent de partager la vice-présidence de ce qui est désormais appelé la Franco-British Society. Les syndicats britanniques, par le biais du Trade Unions Congress, participent également à la gestion de l’association. L’existence d’un groupement francophile unique, ouvertement soutenu par le gouvernement britannique400, sert les intérêts culturels français outre-Manche. L’Ambassadeur français n’omet pas cet aspect lorsqu’il informe sa hiérarchie de la naissance de la Franco-British Society, en précisant que l’objet de ce groupement est “ la rééducation de l’opinion publique britannique au sujet des questions françaises ”401. Ajoutée à la désignation officielle par Eden du British Council comme coordinateur de l’action culturelle britannique en France, cette initiative complète l’esquisse de formalisation de la politique britannique vis400 Une subvention de 10 000 £ pour la Franco-British Society est votée par le Parlement en juillet 1944. Gurney à Secretary of the Board of Trade, 2 octobre 1944. – FO 924/71, P.R.O. 401 Massigli à ministère des Affaires étrangères (Direction politique), 29 novembre 1944. – Europe 19441960, Europe 1944-1949 GB, dossier 43, M.A.E. 141 à-vis de la France dans le domaine culturel. Cette volonté de renforcement des liens ne peut que trouver un écho favorable en France. Bessborough envisage d’ailleurs la création d’une structure similaire en France pour faciliter les rapports de coopération, et s’en ouvre à René Massigli qui accueille favorablement cette suggestion en novembre 1944402. Le schéma britannique prend en considération les groupements perçus comme les plus actifs dans ce champ : France-Grande-Bretagne au premier chef, “ qui est supposée s’être purgée jusqu’à un certain point ” des éléments compromis avec l’occupant, la fédération des French Welcome Committees vue avec bienveillance par le Foreign Office, et “ une nouvelle organisation du même type bénéficiant du soutien de gauche du Quai d’Orsay ”403. Massigli exclut les French Welcome Committees de sa note pour le Quai d’Orsay, et envisage pour cette nouvelle organisation un partenariat entre France-GrandeBretagne et une “ société de caractère essentiellement populaire dont le noyau serait formé par des représentants des syndicats ” qui reste à créer404. Outre la reprise d’un courant d’échanges culturel fortifié et accru par l’élargissement de son assise sociale, et officialisé de fait par le soutien (financier) que les autorités accorderaient à ces groupements, le Quai d’Orsay voit dans ce projet d’association unique un moyen opportun pour apporter aux organisations participantes une caution d’honorabilité politique. Cet aspect est essentiel au lendemain de la guerre, et les Britanniques attendent, pour établir plus précisément les grandes lignes de leur activité en France, de savoir de quels relais locaux “ respectables ” ils pourront disposer. Il est diplomatiquement souhaitable de ne pas “ se commettre hâtivement avec des groupes qui pourraient se révéler entretenir des liens politiques indésirables ”405, c’est-à-dire comprendre dans leurs rangs des personnalités dont l’attitude pendant la guerre n’aurait pas été irréprochable. Lord Bessborough prévoit ainsi de se rendre en France pour faire un état des lieux des sociétés anglophiles en activité, mais en conservant une stricte neutralité406. Et de fait, la DGRC 402 Note R. Speaight (FO), 23 novembre 1944. – FO 924/71, P.R.O. Speaight à Harvey, 16 novembre 1944. – FO 924/71, P.R.O. 404 Massigli à ministère des Affaires étrangères, Direction politique, 29 novembre 1944. – Europe 19441960, Europe 1944-1949 GB, dossier 43, M.A.E. 405 “ Avoiding premature commiments to groups which may turn out to have indesirable political connexions ”. Speaight à Harvey, 8 décembre 1944. - FO 924/71, P.R.O. 406 Ibid. 403 142 affiche une certaine prudence à l’égard de quelques associations. En effet, certains membres de France-Grande-Bretagne ou d’Art et Tourisme ont notoirement collaboré avec l’ennemi407. Ainsi la concrétisation du projet d’association anglophile unique similaire à la Franco-British Society offre des perspectives d’expansion culturelle mutuelle contrôlée et renforcée. Mais elle s’avère difficile à réaliser. 2.2 Réorganiser le tissu associatif anglophile français : un impératif diplomatique S’inspirant de l’exemple anglais, le Quai d’Orsay se fixe deux objectifs complémentaires pour restructurer le tissu associatif anglophile français. En premier lieu, la composition de France-Grande-Bretagne est jugée trop élitiste et trop liée aux intérêts économiques de la Compagnie du Canal de Suez408. Le Service des Oeuvres souhaite donc, selon le mot du secrétaire de France-Grande-Bretagne Jacques Arnavon, “ élargir et officialiser ”409 l’association. En second lieu, “ la diversité [des] orientations [prises par les associations ayant pour principale activité le maintien et le renforcement des liens culturels franco-britanniques], leur manque de cohésion inévitable dans l’état actuel des choses, ne pouvait que nuire à chacune d’elles et les paralyser dans leurs efforts même, en face de la cohésion de la Franco-British Society, nouvellement refondue ”410. Cette spécificité française nécessite donc la mise en place d’une forme de coordination entre les associations anglophiles. Le Service des Oeuvres (puis la DGRC) élabore une proposition radicale pour parvenir à une recomposition du conseil de direction de France-Grande-Bretagne : la démission collective du conseil en place, et son remplacement par un comité de gestion avalisé par le ministère. Ce projet fournit une base aux discussions menées avec l’association à partir du premier trimestre 1945 (la première trace retrouvée dans les archives date du 28 mars). Le comité de gestion envisagé par le chef du Service des Oeuvres Henri Laugier obéit 407 Pour ne citer qu’un exemple, Joseph Barthélémy, ministre de la Justice sous Vichy, fut un membre actif de France-Grande-Bretagne. 408 Massigli au ministère des Affaires étrangères (Direction Europe), 27 mars 1946. – Europe 1944-1960, Europe 1944-1949 GB, dossier 44, M.A.E. 409 Arnavon au ministère des Affaires étrangères, 7 septembre 1945. – Europe 1944-1960, Europe 19441949 GB, dossier 43, M.A.E. 410 Note du ministère des Affaires étrangères (Direction Europe) pour le Sous-secrétaire d’Etat [aux Affaires étrangères], s.d. [second semestre 1944]. – Ibid. 143 au dosage suivant : le général Koenig (présidence), une représentation du spectre politique légitimé par le combat résistant depuis le MRP (Georges Bidault) jusqu’au PCF (François Billoux) pour les vice-présidences, Henry Hauck alors secrétaire d’Art et Tourisme au poste de secrétaire général, et seize membres choisis dans les milieux artistiques et universitaires (René Lalou, André Siegfried, François Mauriac, René Cassin, Gustave Roussy ...), syndicaux (Marcel Poimboeuf, Albert Gazier, Albert Bayet), politico-résistants (Daniel Mayer, Vincent Auriol). Le Quai d’Orsay est représenté par Laugier. De France-Grande-Bretagne ne subsistent que Jacques Arnavon et Wladimir d’Ormesson411. Cette liste est communiquée à France-Grande-Bretagne alors que le principe d’une démission collective a déjà été refusé par l’association. Elle suscite des réactions tout aussi négatives. France-Grande-Bretagne a toujours, depuis sa création, placé son action en complément des initiatives gouvernementales sans y être mêlée, et privilégié la mise à contribution discrète d’un réseau d’influences privées pour réaliser ses objectifs. L’assujettissement à l’administration marqué par la présence de ministres en exercice et du directeur du Service des Oeuvres va à l’encontre de cette liberté de mouvement considérée comme essentielle par l’association pour mener à bien sa tâche412. Cependant, l’association consent à accueillir de nouveaux membres au sein de son conseil de direction. Son bulletin mentionne ainsi en mai 1946 l’entrée de Léon Blum au conseil413. Si France-GrandeBretagne, dans le droit fil de ses principes, accepte volontiers une coopération librement consentie avec l’Etat, il reste que le Quai d’Orsay ne peut obtenir davantage par la discussion, et ne dispose d’aucun moyen de pression autre que financier pour s’efforcer de faire revenir l’association sur sa position. En effet, France-Grande-Bretagne est une association privée soumise à la loi de 1901. Toute modification de son mode de gestion ou de ses instances dirigeantes doit donc obtenir l’accord des adhérents réunis en assemblée générale. L’argument financier pèse toutefois d’un certain poids. Le Service des Oeuvres subventionnait l’association avant-guerre414, et depuis que le projet de fédération France-Royaume-Uni a été lancé, le Quai d’Orsay a suspendu ses subventions à FranceGrande-Bretagne afin de les reprendre lorsque celle-ci sera insérée dans la nouvelle structure. Ainsi, l’association se trouve dans une situation financière difficile415 en un temps où 411 Liste d’un comité provisoire de gestion de l’association France-Grande-Bretagne, 15 septembre 1945. 412 Marquis de Vogüé au ministère des Affaires étrangères, 17 septembre 1945. – Ibid. 35e réunion du Conseil de direction (8 mai 1946), Bulletin France-Grande-Bretagne, n°207, juin 1946, – Ibid. 413 p.8. 414 415 Voir C. OKRET, op. cit., p.71-73. Ibid. 144 l’engouement pour les choses britanniques entraîne de nombreuses demandes d’information sur la culture britannique qu’elle est suffisamment réorganisée pour pouvoir satisfaire en grande partie ; mais ses activités sont restreintes par les atermoiements de l’administration. Fin 1946, le conseil de direction doit adopter des mesures spéciales pour pallier cette situation : un relèvement des cotisations (passage de 100 à 200 F, accepté en assemblée générale), une réduction du nombre de numéros annuels du bulletin (5 au lieu de 10), et surtout une contribution des sections locales au budget du siège central (à hauteur d’environ 10 % de leur budget)416. Le blocage des discussions entre France-Grande-Bretagne et le Quai d’Orsay ne dure pas. Peu après la réception du refus circonstancié de l’association de se plier aux demandes de Laugier, la Direction Europe admet l’impossibilité de poursuivre dans cette voie417. Ainsi le Service des Oeuvres doit renoncer à une refonte totale du conseil de direction de l’association. L’attention de l’administration peut désormais se tourner entièrement vers la constitution d’une fédération France-Royaume-Uni. La Direction Europe du Quai d’Orsay envisage deux modalités de coordination pour un organisme de type fédératif. La première accorde des fonctions prééminentes à France-Grande-Bretagne qui assurerait le lien entre les associations faisant partie de la fédération anglophile. Il s’agirait dès lors de modifier sa structure de fonctionnement : recomposer son comité d’honneur en y plaçant les présidents des différentes associations et son propre conseil de direction, et créer un comité de coordination comprenant les secrétaires actifs des associations. Cette solution offre l’avantage de placer la réussite de cette fédération entre des mains expérimentées et “ honorablement connu[es] ”. Toutefois, le caractère privé de France-Grande-Bretagne limite considérablement son autorité pour assurer une coordination efficace, et le Quai d’Orsay n’est pas désireux de revêtir l’action d’une association privée d’un sceau officiel qui accroîtrait sa légitimité sur ce plan. Aussi la seconde possibilité d’organisation paraît-elle davantage digne d’intérêt aux yeux de l’administration. Elle préconise la formation ex nihilo d’une fédération France-Royaume-Uni, dans les rouages de laquelle les ministères concernés seraient 416 36e réunion du Conseil de direction (19 novembre 1946), Bulletin France-Grande-Bretagne, n°210, novembre 1946, p.5. Cette dernière mesure nécessite l’inscription formelle dans les statuts de l’association de l’existence de sections locales, qui avant cette date entretenaient des liens très informels avec le siège parisien. 417 Note du ministère des Affaires étrangères (Direction Europe) sur l’association France-GrandeBretagne, septembre 1945. – Europe 1944-1960, Europe 1944-1949 GB, dossier 43, M.A.E. 145 représentés de façon significative. Un comité de patronage réunirait les présidents des associations fédérées et “ de hautes personnalités ”. Le comité directeur comprendrait les secrétaires actifs et les représentants du ministère des Affaires étrangères et du commissariat général au Tourisme418. De cet organe procèderait un secrétariat permanent “ qui distribuerait les tâches et serait en contact avec la DGRC et le commissariat général au Tourisme ”. Ce schéma permet à l’Etat d’assurer l’animation de la fédération et de veiller ainsi à ce que la cohérence des activités soit respectée, sans pour autant s’ingérer dans les activités des associations. Par ailleurs, par rapport à la première idée, elle ne nécessite pas l’absorption par une association principale d’organismes ayant chacun leur spécificité et leur histoire, opération généralement délicate à réaliser419. L’Etat s’attribue donc deux moyens d’influence sur la fédération en gestation : la participation à la composition de sa direction, et l’octroi d’une aide financière qui autorise le contrôle de ses activités. Les personnalités sollicitées pour siéger au comité directeur de la fédération présentent une certaine hétérogénéité d’origines : à côté des milieux universitaires, culturels et artistiques doivent être présentes “ des personnalités choisies tant en raison de services qu’elles ont rendus à l’entente franco-britannique [pendant la guerre] que de la place éminente qu’elles tiennent dans la vie publique et le mouvement syndical de notre pays. ”420 Sont ainsi réunis dans un même projet les acteurs de la vie culturelle et de la société civile résistante, avec un apolitisme garanti par une représentation politique équilibrée au sein du comité. Aussi trouve-t-on parmi les personnalités pressenties ayant donné leur accord Paul Valéry, François Mauriac, Georges Duhamel, le professeur Floris Delattre, René Cassin, les inspecteurs généraux de l’Education nationale, le président de la Fédération nationale de la Presse (Albert Bayet), les secrétaires généraux de la CGT (Albert Gazier) et de la CFTC (Marcel Poimboeuf), René Lalou, Jean Guéhenno421. Cette fédération doit susciter des adhésions dans tous les milieux sociaux. Les associations requises pour faire partie de cette fédération sont les suivantes : France-Ecosse, France-Grande-Bretagne, Art et Tourisme, Tourisme et Travail, 418 Le ministère de l’Education nationale serait également représenté. Statuts de la Fédération France-Royaume-Uni, article 6. – Europe 1944-1960, Europe 1944-1949 GB, dossier 44, M.A.E 419 Note du ministère des Affaires étrangères (Direction Europe) pour le Sous-secrétaire d’Etat [aux Affaires étrangères], s.d. [second semestre 1944]. – Europe 1944-1960, Europe 1944-1949 GB, dossier 43, M.A.E. 420 Ministère des Affaires étrangères (Direction Europe) à Massigli, 28 décembre 1944. – Ibid. 421 Note sur la création d’une association franco-britannique, s.d. – Ibid. 146 l’association des professeurs de langues vivantes (APLV - section anglaise), l’Alliance française. On note la diversité des associations concernées, et surtout l’hétérogénéité de leurs objectifs, qui induit des champs d’interventions divers et donne ainsi toute sa valeur à l’organisation d’une coordination vraiment efficace. On s’étonnera toutefois de l’absence de l’association amicale franco-britannique (AAFB), qui pourtant est tout au long des discussions autour de ce projet un groupement florissant (douze mille adhérents environ en 1947, contre dix mille pour France-Grande-Bretagne à peu près à la même date) et à caractère populaire hautement revendiqué (voir supra). La France a fait des choix de structure autres que ceux de la GrandeBretagne. A la différence du cas britannique, où il était suffisant d’appuyer l’organisation de la Franco-British Society sur celle de l’association Great-Britain-France, la DGRC n’a pu se contenter de simplement désirer modifier les instances dirigeantes de France-Grande-Bretagne dans le sens d’une plus grande représentativité de la “ nouvelle France ”422, mais a cherché à augmenter son rayon d’action en l’insérant dans un ensemble fédératif censé promouvoir l’anglophilie auprès de toutes les catégories sociales. Ainsi, les missions assignées à cette fédération (célébration des valeurs communes et organisation d’activités proprement culturelles) ainsi que ses modalités d’ancrage dans la population selon des bases territoriale, professionnelle et technique, reprennent directement le schéma de fonctionnement mis en œuvre avec succès par France-Grande-Bretagne423. Cependant, si ces choix étaient dictés par un contexte précis, les tentatives du Quai d’Orsay pour établir un contrôle officiel sur les activités de France-Grande-Bretagne procèdent d’une philosophie dirigiste qui ne se retrouve pas en Grande-Bretagne et qui répond à des nécessités politiques clairement définies par la Direction Europe : “ entreprendre dès maintenant dans les milieux populaires français une propagande systématique en faveur de l’amitié franco-britannique ” car “ l’alliance franco-britannique est pour la France une impérieuse nécessité – la plus impérieuse des nécessités de sa politique étrangère. ”424 Dans cette perspective le ministère des Affaires étrangères estime préférable de créer de toutes pièces un organe pour coordonner les associations membres de la future fédération afin de mieux contrôler leurs actions. 422 Une “ nouvelle France ” dont les tenants dérivent leur autorité morale de leur résistance à l’occupant. Ibid. 424 Note sur la création d’une association franco-britannique, s.d. – Europe 1944-1960, Europe 1944-1949 GB, dossier 43, M.A.E. 423 147 De cette option résulte dès lors une seconde divergence fondamentale connexe avec les principes de fonctionnement britanniques : le projet de fédération FranceRoyaume-Uni est un produit imaginé par l’administration centrale, alors que la Franco-British Society est placée sous le contrôle de la démocratie parlementaire (voir supra). Les statuts de la fédération stipulent que son budget est alimenté par trois sources : les contributions des associations affiliées, les revenus et produits des biens de la fédération et les subventions des pouvoirs publics425. Ils contiennent également une clause soumettant expressément l’octroi des subsides gouvernementales à l’accord des représentants des ministères concernés (article 6). Aucune trace de versement de subvention ne se trouve dans les archives ; il ne nous est donc pas possible d’évaluer la part de l’Etat dans le financement (éventuellement prévu) du fonctionnement de la fédération. Il est vraisemblable qu’elle est envisagée importante pour que le ministère la considère comme un moyen de pression efficace426. La fédération France-Royaume-Uni, constituée des six associations pressenties (voir supra), voit nominalement le jour le 19 février 1947, mais son fonctionnement pratique reste à organiser. Il fait l’objet de l’ordre du jour d’une première (unique ?) réunion le 3 mars 1947. Il est à noter d’emblée que Tourisme et Travail ne participe pas à cette réunion, ce qui, sur un plan symbolique, laisse interrogateur sur l’implication réelle de cette jeune association populaire dans le dispositif anglophile. Les discussions font apparaître les préoccupations financières dominantes de France-GrandeBretagne, Art et Tourisme, et l’APLV ; ce qui laisse supposer une participation financière des associations au budget de la fédération, assez faible au début, et laisse imaginer toute l’importance du soutien administratif. Sur le plan organisationnel, il est décidé de créer un comité fondateur provisoire, et le secrétariat général est confié au secrétaire général de l’Alliance Française Marc Blancpain. 425 Statuts de la Fédération France-Royaume-Uni, article 17. – Europe 1944-1960, Europe 1944-1949 GB, dossier 44, M.A.E. 426 Une note de la Direction Europe parle de la fédération comme “ un instrument du ministère des Affaires étrangères ”, qui implique une sujétion financière très marquée. Note de la Direction Europe sur l’association France-Grande-Bretagne, septembre 1945. – Ibid. 148 Ensuite les archives sont muettes sur l’évolution de cette fédération. Tout au plus pouvons-nous dater très approximativement son échec de courant 1948427. Les causes de cet échec ne peuvent donner lieu qu’à des conjectures. Le volontarisme affiché par l’Etat en matière de relations culturelles franco-britanniques s’est-il heurté à des difficultés de coordination entre les associations ? Doit-on plutôt établir un lien entre cet échec et les négociations qui aboutissent à la signature d’une convention culturelle avec la GrandeBretagne le 2 mars 1948 (voir chapitre 13) ? La DGRC aurait alors préféré ce type de formalisation qui fait d’elle l’interlocutrice unique du British Council, et qui permet d’assurer une pénétration culturelle réciproque officielle, avec toutes les implications de contrôle financier contenues dans cette officialisation des relations. Les associations privées sont alors libres de leur action, et la DGRC leur accorde un soutien budgétaire, selon les procédures éprouvées par le passé.. Chacune des parties trouve des avantages à cette dissociation nette entre public et privé, qui de plus est satisfaisante pour traiter avec les Britanniques. Ainsi d’une part France-Grande-Bretagne maintient des liens étroits avec la Franco-British Society qui reste l’héritière fidèle de Great-Britain-France (le secrétaire général reste d’ailleurs le même). D’autre part les autres associations conservent des objectifs plus spécifiques. Enfin, sur un plan diplomatique, capital pour les Etats, France et Grande-Bretagne s’engagent vers un renforcement de leur alliance par le biais d’une promotion culturelle réciproque destinée à enraciner dans les peuples français et britannique un attachement à des valeurs communes de liberté et de démocratie. * Cette tentative d’organisation des relations entre associations privées francophiles et anglophiles représente un épisode capital à deux titres. Tout d’abord, il permet de voir s’exprimer un volontarisme britannique en matière de diplomatie culturelle qui jusqu’avant la guerre n’existait pas. La guerre a été propice à une réflexion côté britannique qui a conduit à une prise de conscience de l’enjeu que la promotion culturelle pouvait représenter en temps de paix, tout particulièrement avec la France, pays de l’expansion culturelle par excellence. Que l’initiative britannique ait inspiré la conduite française est remarquable. 427 Lors de l’Assemblée générale de France-Grande-Bretagne du 11 décembre 1948, est annoncé un retour à de meilleures relations avec les autorités dès lors que le projet de fédération a échoué. Assemblée générale du 11 décembre 1948, Bulletin France-Grande-Bretagne, n°217, 4e trimestre 1948 / er 1 trimestre 1949, p.5. 149 Par ailleurs, les projets élaborés par le ministère des Affaires étrangères à la suite de l’exemple britannique peuvent être interprétés comme une étape essentielle vers la conclusion d’une convention culturelle, geste symbolique et politique d’une importance croissante alors que le monde se déchire en deux camps se réclamant de valeurs différentes. Toutefois, dans ces années d’immédiat après-guerre, le British Council se préoccupe de son installation fonctionnelle, et entreprend de se faire connaître sur le territoire français en organisant tout d’abord des activités culturelles dans la limite de ses moyens, quitte à rechercher ultérieurement des appuis locaux. 150 CHAPITRE 7 L’ORGANISATION D’UN RÉSEAU DE DIFFUSION D’INFORMATIONS CULTURELLES Les circonstances n’ont semble-t-il jamais été plus favorables à une offensive culturelle anglaise. Auréolés du prestige politique du pays dont ils sont les émissaires culturels, les représentants du Council en France réintègrent à Paris les locaux exigus qui étaient les leurs en 1939 pour en faire leur base de départ. Mais davantage qu’en 1939, la fraternité née des épreuves communes (combats et pénurie) et l’estime dans laquelle les Français tiennent un pays si opiniâtre face à l’adversité les prédisposent à s’intéresser à la Grande-Bretagne, qu’ils connaissent finalement assez peu428 et dont ils ignorent certainement les tout récents développements culturels. C’est en vue de satisfaire cette “ autre faim ”429 que le Council organise ses bureaux, à Paris mais aussi en province. En regard des moyens dont il dispose, il ne peut avoir d’autre choix que de chercher à étendre ses activités de façon à couvrir graduellement tout le territoire national depuis quelques centres faisant office de relais. 1.- LA MISE EN PLACE D’UNE STRUCTURE OPÉRATIONNELLE En 1944, le bureau du Council en France ne dispose pas encore d’un budget global. La nomination des officers, les autorisations accordées pour effectuer de lourdes dépenses (de l’achat d’une chaudière à la réfection de la salle d’exposition du Council) sont décidées au coup par coup. Ceci est dû au fait que le bureau de Paris ouvre fin 1944 alors que 428 En 1940, 80 % des Français n’ont jamais été à l’étranger. Voir J.B. DUROSELLE, La Décadence, Paris, 1985, chapitre VI “ L’Ambiance ” p. 185-203. 429 Le 25 mars 1945 est paru dans The Observer un article écrit par le député Kenneth Lindsay intitulé “ Europe’s other hunger ” et consacré à la défense du rôle du Council en regard de la curiosité suscitée par la Grande-Bretagne auprès des peuples européens. 151 l’année financière du Council débute le 1er avril de l’année civile. De plus, il est impossible de faire des estimations budgétaires valables sans expérience préalable de la situation sur le terrain. Plus tard les restrictions imposées par Londres nécessitent une gestion optimale des crédits alloués et c’est dans la limite des ressources matérielles et humaines disponibles que le Council assure son développement. Les rapports font état d’une inadéquation de celles-ci par rapport à l’ampleur du travail à accomplir. Aussi l’équipe du Council constitue-t-elle un noyau qui doit s’adjoindre un ensemble d’organismes “ périphériques ” sur lesquels elle peut faire reposer une partie de ses activités en province. 1.1 Une équipe réduite ... Le 13 février 1945 est approuvée la création du poste de Fine Arts Officer pour Paris dont la titularisation est immédiate : Frank McEwen quitte Alger pour rejoindre Paris. Mais celui de Books Officer créé à la même date n’est pourvu que le 26 mars. Il faut attendre le 12 juin 1945 et le 1er avril 1946 pour que soient nommés respectivement un Music Officer et un Film and Drama Officer. Le représentant par intérim, Anthony Bertram, ayant succédé à Austin Gill représentant provisoire démissionnaire le 31 août 1945, n’est remplacé par un représentant en titre que début mars 1946 (David Howell)430. Ces quelques exemples mettent en évidence les difficultés du Council à recruter un personnel qu’il estime correspondre parfaitement au poste qui lui serait confié. La titularisation est lente et, en attendant, sont choisis les assistants qui ont en charge le lancement d’un service fonctionnel dont ils rétrocèderont la direction à l’officer désigné par Londres. Cette situation s’explique en premier lieu par la démobilisation militaire graduellement opérée en Grande-Bretagne durant ces années. En effet, pendant la guerre, une partie des employés du Council n’y étaient qu’à titre temporaire en participation à l’effort de guerre. Par la suite, les meilleurs éléments ne sont pas encouragés à faire carrière au sein du Council, en raison de ses perspectives de développement très incertaines et de la faiblesse des salaires proposés. Aussi le recrutement d’un personnel compétent après la guerre s’avère-t-il ardu. Selon Enid McLeod “ seuls les instituteurs se présentaient, mais leur culture générale 430 Voir BW 69/10, BW 69/11, BW 69/12, P.R.O. et également : Rapport Le Harivel, 21 juin 1946 - BW 31/1, P.R.O. Note du 26 mars 1945 - BW 2/254, P.R.O. 152 était parfois insuffisante et ils n’étaient absolument pas à l’aise dans leurs contacts avec les étrangers de quelque profession que ce soit ”431. En second lieu, le défi que constitue aux yeux des Britanniques la réussite d’une percée culturelle durable en France justifie une sélection particulièrement soignée des hommes et femmes envoyés pour le relever. Un rapport confidentiel d’Enid McLeod destiné à l’usage personnel de David Howell note avec satisfaction leurs capacités et leur bonne connaissance des Français et de leur langue432.. Ce dernier point est particulièrement important pour exercer une action susceptible d’atteindre le plus grande nombre d’individus possible, de toutes les catégories sociales, et non se limiter au seul contact de personnes déjà pénétrées de préjugés favorables à la culture britannique. Par exemple Rollo Myers, le Music Officer, allie à une pratique courante du français une expérience de critique musical auteur de plusieurs ouvrages sur la musique moderne. Frank McEwen dans le domaine des beaux-arts présente un profil analogue : familier des milieux artistiques (il a été peintre) il a de plus vécu à Paris avant la guerre. Les difficultés de recrutement ne se limitent pas aux officers mais concernent aussi le personnel subalterne - adjoints autant que secrétaires -. Richard Seymour en tournée d’inspection à Paris début 1945433 porte un jugement positif sur le travail déjà accompli par Gill et promet le renforcement prochain de l’équipe parisienne. Mais celui-ci tarde à se concrétiser eu égard aux possibilités de développement à exploiter. Dans son rapport de mai 1945, Hackett, qui s’occupe alors de l’organisation de la bibliothèque, de l’éducation et de la presse, se plaint de l’insuffisance numérique du personnel qui empêche les officers de se consacrer pleinement à l’imposante somme de travail qui les attend434. L’embauche des secrétaires, qui apparaît comme le besoin le plus pressant, se heurte - également sur le plan local - à une conjonction de deux facteurs : les salaires offerts - fixés à Londres - sont faibles, et l’inflation qui sévit en France contribue à leur faire perdre un peu plus de leur valeur. Gill en fait la remarque dès juin 1945435. Et le 26 décembre 1945, le franc est dévalué. Une livre sterling qui s’échangeait à 200 F. équivaut maintenant à 431 DONALDSON, op. cit. p. 133, 141-142. Miss McLeod à Howell, 11 juin 1946 - BW 31/10, P.R.O. 433 British Council : Finance and Agenda Committee, extraits du procès-verbal de la réunion du 10 avril 1945 – Ibid. 434 Hackett, Progress Report, mars-mai 1945 – Ibid. Les officers doivent également assurer le secrétariat, décharger et classer les stocks, les tenir à jour. 435 Gill, Progress Report, mai-juin 1945 – Ibid. 432 153 480 F. Les rapports envoyés à Londres à cette époque réitèrent inlassablement des demandes de personnel et de réévaluation des salaires. Elles émanent aussi du centre du sud-ouest436. Si les salaires restent peu attractifs, les efforts réalisés pour donner satisfaction aux requêtes de Paris se répercutent cependant sur le coût global du système d’allocations locales, créé par le Trésor pour les agents en poste à l’étranger et dont bénéficie le Council. Les estimations initiales des dépenses pour nourriture et logement (fixées à 50 % du salaire de base) doivent être révisées à la hausse en raison de l’inflation, et des suppléments sont accordés fin 1946437. Ce n’est pas avant le 1er trimestre 1946 que la plupart des difficultés semblent résolues et d’ici là le personnel du Council se consacre essentiellement à créer un réseau de relations devant servir de base aux développements ultérieurs. 1.2 ... mais un réseau de relations étendu sur tout le territoire En effet du point de vue général, le Council se présente d’abord comme un instrument de liaison entre la Grande-Bretagne et un pays tiers. Il doit donc dès son arrivée se livrer à un exercice de relations publiques pour se faire connaître auprès des organisations et personnes de la bienveillance desquelles dépend en grande partie la réalisation de ses projets, et qui pourraient également faire appel à ses services. Particulièrement en France la qualité des liens établis conditionne les réussites dans le domaine culturel, si l’on en croit cette remarque de Kenneth Johnstone : “ En France sont requis un degré de tact et d’attentive persévérance plus élevés que dans des pays plus éloignés. Les Français sont très exigeants et ne répondent de façon satisfaisante qu’aux attentions personnelles ”438. Les contacts noués par les officers du Council répondent ainsi à deux objectifs. Tout d’abord, à défaut de disposer d’un statut officiel, ils cherchent, en entretenant des liens multiples et étendus avec les professionnels de la culture du pays d’accueil, à y obtenir une reconnaissance formelle de l’intérêt et de l’utilité de leur action. W.R.L. Wickham résume cette démarche : “ [l’officer] doit rapidement établir des relations sociales privées dans le pays dans lequel il vient d’être affecté, parce qu’il ne bénéficie pas d’un soutien officiel pour lui venir en aide et souvent on jugera de la valeur de son intervention par la 436 Voir le dossier BW 31/13, P.R.O. British Council : Finance Committee, réunion du 12 novembre 1946 - BW 69/12, P.R.O. 438 Johnstone, Rapport sur le travail du British Council en France, 14 novembre 1946 - BW 31/38, P.R.O. 437 154 sincérité supposée de son propre intérêt pour le pays dans lequel il est en fonction ; il ne doit pas oublier qu’il sera froidement comparé à ses collègues des autres pays - et plus particulièrement les Français et les Américains - [...] ”439. Le représentant se doit de posséder un ensemble de relations de natures diverses en raison du caractère général de sa fonction. Ainsi René Massigli, Ambassadeur de France à Londres, attribue à David Howell des liens plus solides avec les milieux d’affaires qu’avec les milieux artistiques440. La stratégie de quasi-intégration de l’officer dans le milieu spécifique avec lequel il va travailler décrite par Wickham est par exemple celle du Fine Arts Officer. Dans le monde de l’art où les contacts jouent un rôle primordial, et où les expositions quelque peu ambitieuses ne peuvent être organisées sans de nombreux secours (conservateurs de musées, critiques d’art ...), McEwen constitue son propre réseau, en particulier lors de dîners auxquels assistent des personnalités du monde artistique et des représentants du Service des Oeuvres du Quai d’Orsay (plus tard Direction Générale des Relations Culturelles DGRC) tel le professeur Laugier441.. Pour faciliter l’introduction de l’art contemporain britannique en France, il emploie une grande partie de son temps à favoriser le succès de réalisations françaises en Grande-Bretagne, avec un enthousiasme qui laisse David Howell un peu sceptique442, mais que McEwen justifie par l’importance de l’enjeu443. D’autre part, les officers établissent, dans une optique cette fois uniquement fonctionnelle, des relations avec divers groupes et milieux. A partir des comptes rendus d’activités, on constate que mis à part les liens de courtoisie avec les autorités françaises (Commissaires de la République, Quai d’Orsay) et britanniques, le Council prend contact avec quatre type d’institutions, à la fois cibles et relais de son action : la presse nationale (agences de presse, journalistes) et locale (Le Progrès de Lyon), les professionnels de la culture (le conservateur de Versailles, l’Union des Intellectuels), les universités et organismes éducatifs (recteurs et professeurs enseignant à Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Grenoble ; Union Française Universitaire), et des groupements associatifs à vocation culturelle (Art et Tourisme, Tourisme et Travail, Association France-Grande-Bretagne ...)444. 439 WICKHAM “ Overseas service : the personal approach ”, in WHITE, op.cit. p. 133. Massigli à DGRC 21 février 1946 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 58, M.A.E. 441 McEwen à Wickham, 29 mai 1945 - BW 31/20, P.R.O. 442 Howell, Quarterly Report, janvier-mars 1946 - BW 31/13, P.R.O. “ Il est incontestable que nous devons encourager [le développement] des échanges entre les deux pays, mais je suis convaincu que nous devons surtout le faire dans le sens Angleterre-France ”. 443 McEwen à Wickham, 14 mai 1945 - BW 31/20, P.R.O. “ Paris est la capitale incontestée du monde de l’art plastique international. Si l’on ne s’efforce pas d’y être brillant mieux vaut ne rien faire du tout ”. 444 Egalement des groupes professionnels comme le Barreau de Paris Voir les dossiers BW 31/10 et BW 31/13, P.R.O. 440 155 En effet, afin de constituer un dispositif général de diffusion d’informations culturelles sur l’ensemble du territoire, l’identification ou la création de structures relayant son activité dans les régions les plus éloignées de Paris permet de disposer des points d’appui nécessaires à la réalisation d’un travail efficace. En collaboration plus ou moins directe avec le bureau central de Paris, ces structures en reçoivent une assistance matérielle et sont chargées d’organiser des manifestations dans leur périmètre d’influence, d’initier un intérêt pour la culture britannique et de répondre aux demandes des populations avec lesquelles elles sont en contact. Deux types de relais sont utilisés : les centres régionaux créés par le Council fonctionnant comme autant d’annexes de Paris ; et des associations à caractère culturel, dont principalement certaines branches locales de l’association France-Grande-Bretagne, indépendantes du Council mais travaillant en coopération avec lui. Originellement l’ouverture de cinq centres régionaux était prévue, mais les restrictions budgétaires ont réduit ce chiffre à trois. Les parties du territoire français ainsi couvertes sont : le sud-est depuis Grenoble dès octobre 1945, le sud-ouest depuis Toulouse à dater de novembre 1945, et le nord-est à partir de Nancy dès mai 1946. S’y ajoute l’Afrique du nord, avec outre Alger depuis 1943, le Maroc (Rabat en mai avec une antenne à Casablanca en juillet 1945) et la Tunisie dans une moindre mesure (un correspondant y est nommé en avril 1946). Paris étend théoriquement son aire d’influence réelle à l’ouest et au nord, mais dans ces deux premières années, son activité se développe surtout en Normandie, et dans une moindre mesure dans les Pays de la Loire et le nord. En revanche la Bretagne est quasiment délaissée. En bons termes avec les autorités locales, ayant établi des liens avec groupements et institutions avec lesquels ils sont susceptibles de travailler, ces centres régionaux mènent une action de nature similaire à celle de Paris445. Ils mettent en place expositions, conférences, concerts à l’échelle de leur région, s’occupent d’une bibliothèque itinérante, leurs directeurs se déplacent pour donner des conférences et reçoivent les visiteurs. La règle principale reste dans l’exercice de leur travail de se tenir à l’écart des rivalités 445 Voir le dossier BW 31/13, P.R.O, où se trouvent les rapports d’activité de Coventry (sud-ouest) et Black (sud-est) pour 1945-46. Les rapports de la période avril 1946-mars 1947 manquent. 156 locales, politiques ou autres, pour conserver cette image d’organisme non partisan et ouvert à tous qui leur paraît essentielle pour obtenir de bons résultats446. Les centres comprennent environ une demi-douzaine de personnes, ce qui, eu égard à l’ampleur de la tâche à accomplir, est insuffisant. Les difficultés rencontrées à Londres pour envoyer un personnel adéquat les obligent à rechercher une aide locale. En 1934 le fondateur du British Council, Reginald Leeper, préconisait dans un memorandum447 le soutien des sociétés anglophiles créées à l’étranger, quelle que soit leur valeur a priori considérée comme faible. Que l’aide apportée soit fonctionnelle ou financière, elle représente un encouragement à l’indépendance vis-à-vis des organismes officiels auxquels elle est souvent liée. Le Council engage ces sociétés à prendre elles-mêmes des initiatives auxquelles il est décidé à prêter son concours, et sans exercer aucun autre type de contrôle les utilise de la sorte comme relais de ses activités. Eventuellement, il peut les subventionner si l’ambassade l’estime nécessaire. Mais leur dynamisme est inégal selon les pays. Lors de son installation à Alger, le Council est amené à prendre contact avec une association France-Grande-Bretagne-Etats-Unis qui comprend deux sections à Alger et à Oran. Relancée avec le soutien des autorités françaises en 1943, la section d’Alger noue des contacts étroits avec le représentant du British Council Austin Gill, qui la considère comme un pôle de diffusion de la culture britannique aux potentialités intéressantes et intègre cette coopération dans son plan de développement d’activités. En conséquence, Gill suit de près son évolution en assumant un rôle de conseiller de la section et donne des cours dans le cadre du programme d’apprentissage de l’anglais proposé par l’association448. Gill ne mentionne aucune intervention américaine dans la vie de France-Grande-Bretagne-Etats-Unis, comme le nom même de l’association aurait pu le faire envisager. Outre la nécessité de s’appuyer sur des moyens de publicité multiples pour pallier la faiblesse de ses propres ressources, peut-être la crainte d’une concurrence américaine a-t-elle favorisé ce positionnement précoce de Gill vis-à-vis de cette association. Cette politique est-elle suivie par ses successeurs ? Après le départ de Gill, les rapports ne font plus mention de coopération autre que très ponctuelle avec 446 British Council : Executive Committee, Paper E attaché à l’ordre du jour de la réunion du 13 mars 1945 - BW 69/10, P.R.O. “ The Council must be outside party, beyond local rivalries [...] [must] aim at comprehension and never exclusion ”. 447 Memorandum du 18 juin 1934, cité dans DONALDSON, op.cit., p. 33-34. 448 Gill à Knowles, 10 février 1944. - BW 10/1, P.R.O. 157 la section algéroise de France-Grande-Bretagne-Etats-Unis. Par ailleurs, le Council collabore, semble-t-il, de façon discontinue avec la section oranaise. En France métropolitaine, les premières impressions concernant les associations anglophiles sont en général peu enthousiastes. Lors d’une conférence réunissant les représentants à l’étranger449, David Howell explique qu’elles ne sont pas très influentes, et les qualifie de “ snobs ” et très éloignées de la réalité de la Grande-Bretagne moderne. C’est le cas de Bordeaux où la section locale de l’association France-Grande-Bretagne (principale société franco-anglaise de ce type) apparaît peu florissante. Elle est aux mains de vieilles familles enrichies par le commerce du vin et n’entretient aucun contact avec l’université. Isolement intellectuel mais aussi social ; cette section ne comprend pas ou peu de membres de la classe ouvrière450.. Les sections créées dans le sud de la France ne paraissent pas très actives en général451. L’association France-Grande-Bretagne est un partenaire priviligié du Council mais d’autres associations sont également en rapport avec lui, parmi lesquelles les Amitiés Franco-Alliées, Art et Tourisme, Tourisme et Travail. Coventry dans le sud-ouest reconnaît leur variation en efficacité et sûreté (reliability) mais se décharge en partie de son travail sur elles en raison de la pénurie de personnel. Black dans le sud-est ne mentionne pas leur existence dans ses premiers rapports. Mais c’est au nord de la Loire que de solides appuis locaux sont les plus souhaitables. Le bureau de Paris, qui doit faire face à de multiples obstacles pratiques, a de plus sous sa responsabilité fonctionnelle directe un large quart nord-ouest de la France (tout le nord jusqu’en janvier 1946). Il semble que la branche lilloise de l’association France-GrandeBretagne fasse preuve d’une certaine vitalité. Présidée par l’industriel Albert Prouvost, elle jouit de ce fait d’un grand prestige. Elle participe à la diffusion de la presse britannique à Lille452.. Par ailleurs, l’action du centre parisien est secondée en Normandie par la section du Calvados, qui a également fort à faire pour répartir les biens (nourriture, vêtements, savon) envoyés de Grande-Bretagne par ses homologues de la Franco-British Society (entre autres). Elle organise tournées de conférences, projections de films, petites expositions avec l’aide du Council453. 449 Conférence des représentants 1-4 septembre 1947, Document Rep Con 1/1 - BW 82/21, P.R.O. Bertram, Rapport sur une visite à Bordeaux 22-28 août 1945 - BW 31/10, P.R.O. 451 Howell, Rapport sur une tournée en province, mars 1946 – Ibid. 452 Cobb à Wickham, 4 juin 1945 – Ibid. 453 On note par exemple une tournée de Bertram (conférences et films en octobre 1945), une de Le Harivel (films en juin 1946), respectivement dossiers BW 31/10 et BW 31/1. Mr Macary de l’Association France-Grande-Bretagne témoigne de sa satisfaction dans une lettre datée du 2 novembre 1945 adressée au commandant (captain) Townroe de la Franco-British Society pour transmission à Miss McLeod - Ibid. 450 158 Pour ainsi poser les fondations de son action future, le Council dispose d’un temps limité. Il doit simultanément organiser ses bureaux, recevoir les conférenciers-visiteurs envoyés de Londres ou y retournant et s’arrêtant à Paris, et se lancer dans un programme chargé de conférences et autres activités fonctionnelles. Mais là encore, en regard des besoins, le matériel disponible est insuffisant. Il faut, en dépit de ces conditions peu favorables, s’attacher à la mise en œuvre de la stratégie pré-définie (voir chapitre 5) comportant en premier lieu la diffusion d’informations selon des modes immédiatement accessibles pour des populations diverses : les imprimés, les conférences et les documentaires audio-visuels. 2.- APAISER “ L’AUTRE FAIM ” : LES VECTEURS PRIORITAIRES DE DIFFUSION D’INFORMATIONS SUR LA CULTURE BRITANNIQUE A priori, la France est relativement moins concernée que les autres pays européens par les difficultés de communication entre les îles britanniques et le continent dont se plaint A.J.S. White, du fait de sa proximité géographique avec la Grande-Bretagne. Les envois de colis, les échanges de dépêches s’effectuent toutefois par valise diplomatique jusqu’au 1er janvier 1946, date à laquelle les services postaux et aériens français sont considérés comme suffisamment rétablis pour être à nouveau utilisés (à moins d’envois exceptionnels). Petit à petit les déplacements entre France et Grande-Bretagne finissent par ne plus présenter d’obstacle insurmontable si l’on en juge par le rapport de Bertram de janvier 1946454 ou de Johnstone qui qualifie le bureau de Paris de véritable “ agence de voyage ”455. Des fournitures fonctionnelles parviennent régulièrement en France, mais en quantités estimées trop faibles. En effet est perçu dans la population française un désir de recevoir une information immédiatement consommable et assimilable lui offrant un accès direct et rapide à la culture britannique dont elle est curieuse. Les domaines dans lequels les besoins sont les plus criants sont les écrits et les films documentaires, qu’il faudra diffuser dans un contexte de difficultés administratives (pour les livres) et logistiques (pour les films en particulier). 454 Bertram, Quarterly Report, octobre-décembre 1945 - BW 31/13, P.R.O. Le Council doit apporter une aide aux visiteurs britanniques invités par des organismes français mais auxquels ceux-ci ne fournissent ni “ nourriture, logement ou transport ”. 455 Johnstone, Rapport sur le travail du British Council en France, 14 novembre 1946 -BW 31/38, P.R.O. 159 2.1 Organiser la diffusion d’imprimés malgré les lourdeurs administratives Les différentes sources disponibles convergent pour souligner la très grande soif d’informations sur la Grande-Bretagne ressentie par la population française. Un agent des services de propagande politique du Foreign Office, en voyage à Paris entre les 12 septembre et 12 octobre 1944, dresse un rapide tableau de cette situation456. Malgré une écoute estimée importante de la B.B.C., les Français disposent d’une image inexacte de la Grande-Bretagne en 1944. Le rédacteur du rapport, Paniguian, constate que “ [notre propagande] ne leur a pas donné d’image de la guerre, des formidables mutations qui ont eu lieu dans le monde, et n’a pas réalisé de ‘projection de la Grande-Bretagne’, pour utiliser l’expression consacrée. ” Ce constat semble inévitable, mais appelle la prise de mesures destinées à y remédier. Doit s’y ajouter une action corrective pour rétablir une image de la Grande-Bretagne inexacte par manque d’informations ou faussée par des préjugés. Ainsi il semble que les Français rencontrés par Paniguian craignent une attitude arrogante chez les vainqueurs. Par ailleurs, les Français ignorent à quel point la population britannique a été affectée par la guerre. Ces seuls exemples donnent une idée de l’étendue des efforts à accomplir en termes de projection nationale. Le service de propagande politique s’attache alors à combler ces vides informationnels, et là encore, il rencontre des difficultés pour y parvenir, disposant de publications457 en nombre largement insuffisant. Les films de long métrage représentent le second vecteur de propagande utilisé avec un succès relatif en raison du sérieux des sujets distribués : films de guerre (In which we serve, Desert victory) au lieu de comédies - à l’instar des Américains - qui auraient eu davantage d’attraits pour une population lassée par la guerre458. Parallèlement, sur le plan culturel, les imprimés et les films documentaires apparaissent également comme les moyens les plus efficaces de répondre à la curiosité des Français pour la culture britannique. En octobre 1944, un rapport établi sous les auspices du British Council note que la demande de livres en France est très grande459. Elle émane d’abord des professeurs et 456 H. Paniguian, Notes on a visit to Paris sept 12 - oct 12 1944. - FO 898/199, P.R.O. Il s’agit des Pan series, petits magazines illustrés thématiques relatifs aux activités britanniques pendant la guerre. 458 Rapport du lieut-col Fairlie, avril 1945. - FO 898/199, P.R.O. 459 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 10 octobre 1944 - BW 69/10, P.R.O. 457 160 étudiants souhaitant prendre connaissance des productions littéraires et universitaires parues pendant la guerre. Ainsi lors de la Quinzaine culturelle anglo-américaine de Paris début mai 1945 où étaient surtout présents professeurs et étudiants, le Council avait préparé une petite exposition de livres récemment sortis en Angleterre. Hackett remarque : “ Il était vraiment étonnant de voir la façon dont le public avait pris d’assaut [mobbed] cet étalage de livres ”460. Même réflexion concernant la Quinzaine de Boulogne-sur-Seine de juillet 1945. Mais le grand public fait lui aussi preuve d’un vif intérêt pour les livres anglais. Victor Michon, propriétaire d’une galerie (lieu non spécifié) rend compte à Bertram de l’exposition de livres britanniques qu’il y a organisée du 16 au 26 juillet 1945. Plus de mille personnes s’y sont rendues et les commandes subséquentes portent autant sur les dictionnaires et les grammaires que sur les livres de civilisation et les collections classiques (telle Everyman’s)461. Autre exemple, une exposition similaire tenue à la mairie de Lyon permet à plus de trois mille personnes de découvrir un large assortiment d’ouvrages sur des thèmes variés462. La bibliothèque du Council se constitue assez rapidement. Les chiffres disponibles indiquent deux cents livres en mai 1945, mille deux cents en juin, quatre mille en décembre. Au 1er juin 1946 le stock est évalué dans la Monthly Review (journal édité par le personnel du Council) à quatre mille livres, quatre-vingts périodiques. En l’absence de rapports pour l’année 1946-47, le chiffre suivant ne date que de mars 1948 (dix mille livres)463. Paris envoie également des ouvrages en province pour approvisionner les bibliothèques des centres régionaux. Toutefois, la première bibliothèque du Council en France est créée à Alger. Ouverte le 11 janvier 1945, elle compte 245 inscrits en avril 1945 et 419 en janvier 1946. Le stock disponible comporte plus de 4 000 livres début 1946. Alger étant un centre universitaire actif, la bibliothèque entretient de solides liens avec la bibliothèque universitaire. Dès mars 1945, le Council lui prête des ouvrages réclamés par les étudiants mais encore indisponibles sur le marché en raison de la pénurie persistante464. Les étudiants et les professeurs forment la majorité du contingent de lecteurs des ouvrages proposés par le Council (60 %). Le cas algérois est particulier : pour l’essentiel, la bibliothèque ne remplit pas sa fonction originelle d’initiation à la culture britannique sous tous ses aspects, dans une perspective humaniste, 460 Hackett, rapport daté du 9 mai 1945, envoyé à Wickham le 15 mai - BW 31/10, P.R.O. Michon à Bertram, 2 août 1945 – Ibid. 462 Monthly Review of the British Council n° 8, 1er décembre 1946 - BW 119/1, P.R.O. 463 Voir les dossiers où sont rassemblés les Progress Reports : BW 31/10 jusqu’en avril 1945, BW 31/13 pour avril 1945 - mars 1946 et BW 119/1 pour le Monthly Review, P.R.O. Les rapports ne fournissent aucune indication chiffrée concernant les stocks en province. 464 Burrow, Quarterly Repor,t janvier-mars 1945. - BW 10/1, P.R.O. 461 161 mais se trouve être fréquentée comme une annexe de la bibliothèque universitaire dont les lecteurs font un usage principalement utilitaire (consultation d’ouvrages d’étude au détriment de la fiction)465. Cette donnée oriente dans une certaine mesure le développement des collections, ce qu’illustre par exemple la création d’un fonds en sociologie, philologie et littérature pour les examens de licence466. Par ailleurs, les ouvrages de fiction appréciés sont ceux d’auteurs contemporains : Huxley, Morgan, Koestler, Lawrence, Cronin ...467 ; ils constituent 68 % des prêts en 1945/46468. Dès l’été 1945, une petite bibliothèque entre également en service à Rabat. La Monthly Review considère dans son numéro du 1er août 1946 le réseau de bibliothèques mis sur pied en France comme le plus développé en comparaison avec ceux des autres pays européens libérés. Et de fait, les efforts financiers consentis par Londres reflètent la prise en compte des requêtes françaises en la matière. Le Books Department du Council avait initialement alloué pour 1945/46, 2 000 £ aux achats de livres destinés à la France. Cette provision est épuisée fin janvier et 300 £ supplémentaires sont accordées en attendant l’entrée en application du budget 1946/47469. Néanmoins les demandes de publications et de livres continuent à parvenir à Londres. Après une tournée effectuée dans le sud de la France en mars 1946, David Howell constate l’insuffisance de livres disponibles470, surtout pour les universités dont les besoins sont les plus urgents à satisfaire. La bibliothèque de Paris a ainsi dû prendre des mesures temporaires d’accès restrictif au prêt, également en raison de l’étroitesse des locaux dont elle dispose. Alors que la salle de lecture et des catalogues est accessible à tous, le prêt est limité aux membres de l’Institut britannique (de droit) et du British Council, qui ont dû justifier auprès du Books Officer et du représentant de sérieux motifs d’accès471. D’une façon générale, le contexte de l’immédiat après-guerre n’est pas favorable à une reprise des échanges culturels. France et Grande-Bretagne font face à des difficultés financières qui rendent incertaine et lente la remise en marche des circuits économiques interrompus. Les importations de biens culturels sont alors sévèrement réglementées par les gouvernements. 465 Turner, rapport sur la première année d’activités de la bibliothèque, 2 janvier 1946. - Ibid. Rapport de la bibliothèque, avril 1946. - Ibid. 467 Turner à Miss Wood, 30 novembre 1946. - Ibid. 468 Rapport de la bibliothèque 1945/46. - Ibid. 469 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 12 février 1946 -BW 69/11, P.R.O. 470 Howell, Rapport d’une tournée en province, mars 1946 - BW 31/10, P.R.O. 471 Note du 7 mars 1945 - BW 2/254, P.R.O. La salle de lecture ouvre en janvier 1946. 466 162 En Algérie, le Council opte pour une distribution large et essentiellement gratuite de ses revues tant que les circuits commerciaux ne sont pas rétablis. Début 1945, plus de 1 000 exemplaires par mois du généraliste Britain Today sont distribués gratuitement. C’est également le cas du Monthly Science News (800 exemplaires par mois) et du British Medical Bulletin (250 exemplaires par mois). S’ajoutent plus de 8 000 numéros de British Life and Thought, British Contributions, Britain Advances, Science Series472. Ces chiffres témoignent de l’intérêt suscité par ces brochures, et confirment le jugement porté par Paniguian sur l’insuffisance des efforts de projection culturelle réalisés jusqu’alors. Il existe par ailleurs une édition française de Britain Today mise en vente dans les librairies dès les premiers mois de 1945. Progressivement, les distributions gratuites sont réduites à quelques revues, tandis que les achats et abonnements sont vivement encouragés. Ainsi début 1946, Monthly Science News reste distribué. En revanche, Britain Today est vendue sous ses deux versions française et anglaise, ainsi que British Medical Bulletin dont les chiffres de vente de la version française rejoignent rapidement les chiffres de la distribution de l’édition britannique473. En métropole, une collaboration entre le British Council et le Quai d’Orsay vise d’abord dans ce contexte peu favorable à participer au rétablissement d’un courant d’échanges. Leurs efforts se portent en priorité sur la circulation des livres entre les deux pays. Manque de devises, pénuries de papier et de main-d’œuvre la rendent aléatoire474. Quelques initiatives séparées aboutissent à des résultats ponctuels. Ainsi Austin Gill informe début 1945 la DGRC de la distribution prochaine aux bibliothèques françaises, par l’intermédiaire de la Direction Générale des Bibliothèques du ministère de l’Education, de mille six cents ouvrages parus pendant la guerre et choisis par la Conférence des Ministres de l’Education des Gouvernements Alliés, en consultation avec le Council. Le 29 mai 1945 McEwen signale à Londres un échange de livres d’art d’une valeur de 200 £ 472 Burrow à Knowles, 8 février 1945. - BW 10/1, P.R.O. Algérie, rapport annuel 1945/1946. - Ibid. 474 Paris à DGRC, 12 mars 1946 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 193, M.A.E. A cette date, par rapport aux chiffres de 1939, la production des genres littéraires suivants en 1945 en Grande-Bretagne en représente : - livres de poésie ou théâtre : 53,6 % - livres de voyage : 26,4 % - livres d’enseignement : 8,3 % 473 163 conclu entre le Council et la DGRC475. Enfin parmi les contributions privées, on peut citer l’envoi par l’université d’Edimbourg d’ouvrages destinés à celle de Caen. Gill propose par la suite l’extension à la France entière du Book Export Scheme (BES) déjà mis en place en Afrique du Nord en 1943476 (voir chapitre 4). Afin de favoriser l’importation de livres britanniques en France, le BES se met en place au milieu de l’année 1945, alors qu’en Algérie ce système continue à fonctionner avec succès, avec l’équivalent de 12 000 £ de commandes effectuées sur l’année avril 1944 mars 1945 épuisées en une semaine477. Pour une application en métropole, l’Office des Changes affecte 100 000 £ à l’importation de livres britanniques en avril. Celle-ci est désormais contrôlée par le BES côté anglais, et l’Office Professionnel du Livre côté français. Ces deux organismes se mettent d’accord en juillet sur la procédure d’importation478.. Elle comporte cinq étapes. Les commandes françaises parviennent aux éditeurs anglais par l’intermédiaire de l’Office du Livre, du Council à Paris et du BES à Londres (dans cet ordre). Les éditeurs établissent des factures pro forma transmises aux libraires français par le BES. Munis de ces factures, les libraires rédigent une Déclaration d’Autorisation d’Importation (DAI) qui, après visa de l’Office du Livre, va à l’Office des Changes pour l’obtention des devises nécessaires. Après l’accord de l’Office des Changes, les libraires font envoyer leurs chèques au BES qui les remettra aux éditeurs. Et enfin, les éditeurs sont autorisés à expédier leurs publications en France. D’emblée apparaît l’inconvénient majeur d’un tel système. Il est très lourd, ce qui implique un certain délai entre la commande et la réception des livres demandés, et tend à le rendre a priori peu efficace. Bientôt la mise en œuvre confirme ce point. En octobre 1945, une note portant sur l’importation des livres anglais479 constate : “ Une proportion infime des publications commandées en Angleterre il y a un an, et payées il y a deux mois, est parvenue aux lecteurs français et notamment aux bibliothèques qui sont les plus gros acheteurs ”. Au même moment, les services postaux sont quasiment rétablis, ce qui permet de ramener à un délai raisonnable le temps de transport inutilement allongé par les formalités du BES. Outre sa lenteur, ce système s’avère également onéreux en raison de la commission prélevée par le BES (12,5 % du prix du livre). D’autre part, il ne bénéficie pas d’une 475 McEwen à Wickham, 29 mai 1945 - BW 31/20, P.R.O. Gill à Joubert, 18 janvier 1945 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 193, M.A.E. 477 Burrow, Annual Report of the British Council in North Africa 1944/45, 1er mars 1945. - BW 10/1, 476 P.R.O. 478 Note du 15 octobre concernant l’importation des livres anglais en France – Relations culturelles, années 1945-1947, carton 193, M.A.E. 479 Ibid. 164 particulière bienveillance des administrations financières dans les deux pays. Selon la DGRC, le livre n’occupe que le septième rang dans l’ordre des priorités de transport en GrandeBretagne, ce qui ralentit les exportations vers la France480. Celles-ci ne sont pas encouragées non plus par la taxe imposée par le Board of Trade, qui frappe les droits d’auteur à l’exportation (perte estimée entre 40 et 80 % sur les droits encaissés)481. Du côté français, “ les tracasseries de l’Office des Changes et les délais pour l’établissement de chaque chèque ne simplifient pas les choses ”482. Pour essayer d’améliorer l’efficacité du BES, une réunion entre les différentes parties intéressées se tient le 15 juin 1946483. Il est proposé de lancer une campagne d’information en province sur les méthodes de commande car une seule librairie et aucune université ne fait usage du BES.. Les crédits sont d’abord réservés au règlement des arrérages. Enfin le développement des commandes directes est préconisé, mais l’avis favorable de l’Office du Livre et l’accord de l’Office des Changes pour obtenir les devises restent nécessaires. Ces décisions ne provoquent ainsi aucun changement positif notable dans le fonctionnement du BES. Par ailleurs Howell fait remarquer que l’Office des Changes qui a promis 100 000 £ pour 1946 n’en a débloqué que la moitié, épuisée en juin. Le restant n’est toujours pas disponible en août ce qui gèle les autorisations d’importation484.. Et René Massigli dans plusieurs lettres envoyées à la DGRC constate l’ampleur des obstacles administratifs des deux côtés de la Manche et recommande l’abandon du BES. De fait, celui-ci, dont la direction a entre-temps été transférée au COI, est supprimé en juin 1947 en France, sans qu’il soit pour autant devenu facile d’obtenir des livres britanniques, les difficultés financières étant toujours réelles. Dans cet exemple de coopération, British Council et DGRC voient leur action d’intermédiaire limitée par les restrictions économiques générales. Mais indépendamment du BES, ils contribuent à favoriser le redéveloppement d’un courant d’échanges intellectuels entre les deux pays par un système d’échange de publications. Ainsi malgré la pénurie de livres, peu efficacement palliée par le BES, cet arrangement permet d’actualiser les connaissances dans des domaines variés (littéraire, scientifique, artistique), et 480 Mme Durry à Gill, 9 novembre 1945 – Ibid. Paris à DGRC, 12 mars 1946 - Ibid. 482 DGRC à Varin, 8 mars 1946 - Ibid. 483 Note sur la vente du livre anglais en France, 24 juin 1946 - Ibid. Y sont présents : David Howell, René Varin (Conseiller culturel à l’ambassade de France au RoyaumeUni), Joubert (Chef de la section livres à la DGRC), Rageot (Office Professionnel du Livre), Godfrey (Attaché commercial à l’ambassade du Royaume-Uni en France). 484 Howell à Mme Durry, 10 août 1946 - Ibid. 481 165 ne s’adresse pas exclusivement à un public spécialisé. Anthony Bertram en signale les modalités dans son rapport de septembre 1945. La DGRC fait don au Council des périodiques littéraires et scientifiques français importants pour diffusion en Grande-Bretagne, et le Council fait parvenir des livres anglais en France485. La DGRC institue par ailleurs un service de livres pour comptes rendus dans les périodiques, notamment britanniques, largement utilisé par le Council pour procurer des ouvrages particuliers à des savants ou des universités anglaises486. Mais il est à noter que le mouvement inverse, qui existe sous le titre de Book Review Scheme, n’implique pas l’intervention de la DGRC. Les rapports de Hackett font mention de contacts pris avec différentes revues, mais semble-t-il dans un cadre non officiel et sans intermédiaires. 2.2 Pour une consommation culturelle immédiate : les films documentaires et les conférences Les documentaires produits par le British Council sont aussi très utilisés, surtout en province où ils sont projetés lors de tournées pour illustrer des conférences, ou sous forme de prêts à diverses institutions. Les archives conservées ne concernent que l’année 1946 et les rapports rédigés par les officers ne contiennent aucun élement précis sur la période antérieure. En mars 1946, la filmothèque du Council à Paris comprend cinquante-sept films dont vingt-deux en version originale, avec deux à trois copies de chacun. La correspondance échangée entre Londres et Paris en ce domaine fait état du succès de ces séances de projection. Le Harivel, qui en a la charge, signale par exemple l’accueil favorable des Normands en juin 1946, leur “ très réel désir de faire connaissance avec notre pays et de savoir ce qui s’y passe ”487. Des centres régionaux du sud-ouest et du sud-est sont régulièrement adressées à Paris des demandes pour obtenir des copies. En effet celles-ci parviennent en France à un rythme jugé trop lent, et vers le milieu de 1946 Le Harivel se plaint des délais de réception, liés à la réorganisation du Film Department du Council. D’autre part du matériel de projection est également réclamé avec 485 Bertram, Progress Report juillet-septembre 1945 - BW 31/13, P.R.O. Voir par exemple : Hackett à Joubert 5 avril 1945, 3 octobre 1945 ou 8 octobre 1945 - Relations culturelles, années 19451947, carton 193, M.A.E. Sont signalés et parfois transmis les articles résultant de ces échanges pour l’information des éditeurs français. 487 Le Harivel, Rapport sur la tournée en Normandie du 11-18 juin 1946 -BW 31/1, P.R.O. 486 166 constance : projecteurs supplémentaires en état de fonctionnement, écrans, et éventuellement techniciens ou camionnettes pour transporter le matériel. L’écart observé dans ces deux domaines entre l’offre et la demande d’information sur la Grande-Bretagne et sa civilisation n’est en fait guère surprenant. Avant toute étude approfondie de la situation sur le terrain les évaluations ne peuvent être qu’approximatives. Et par la suite un réajustement des estimations initiales, à la lumière des rapports trimestriels envoyés par Paris, s’est avéré nécessaire. Ainsi pour les envois de livres (voir supra), mais aussi pour l’éducation où Hackett se trouve en présence d’une forte demande de renseignements sur les échanges scolaires, les modalités d’études en GrandeBretagne et autres possibilités de contacts entre les deux pays, sans pouvoir dans un premier temps y répondre488. Mais quelle que soit l’éminence de la place accordée à la France dans la stratégie de développement du Council, le budget qui lui est attribué reste cependant limité en raison des économies globales à réaliser tout en multipliant les activités dans tous les pays d’Europe libérée (sauf l’Allemagne jusqu’en 1950). Le Finance Department de Londres ne peut procéder à des allocations supplémentaires de crédit pour d’autres activités que celles considérées comme essentielles et prioritaires. Or le Council privilégie les livres et les conférences comme moyens de dispenser rapidement des informations sur la culture britannique. C’est pourquoi la bibliothèque du Council bénéficie d’un essor rapide. Sans qu’aucune demande n’émane de Paris, Londres prend également soin d’envoyer régulièrement des conférenciers en France, et veille à ce que Paris puisse en engager de sa propre autorité. A ces fins, elle prévoit des crédits spéciaux. En octobre 1946, le Finance Committee constate qu’à la suite d’un effort particulier fait dans les premiers mois de l’année financière 1946/47 (c’est-à-dire en avril, mai, juin 1946) destiné à compenser l’insuffisance quantitative des conférences de l’année 1945/46, les 1 050 £ du budget du Lectures Department prévues sont épuisées. Insistant sur l’importance de cette activité, 1 000 £ promises au Visitors Department sont transférées au Lectures Department pour assurer la réalisation du programme de conférences de l’automne/hiver 1946/47489. Six mois plus tôt, il est intéressant de noter que le budget des conférences locales, effacé auparavant des estimations pour la France par le Budget Committee, est rétabli. Les 200 £ qui y sont 488 Hackett, Progress Report mars-mai 1945 - BW 31/10, P.R.O. juin-août 1945, septembre-décembre 1945 - BW 31/13, P.R.O. 489 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 8 octobre 1946 - BW 69/12, P.R.O. 167 désormais consacrées sont prises sur la somme réservée à l’organisation locale de concerts de musique (1 500 £)490. Enfin Kenneth Johnstone, à l’issue d’une tournée d’inspection en France, qualifie de “ vital pour notre activité en province un envoi généreux de conférenciers ”491. Ces exemples font clairement apparaître les priorités, qui ne sont toutefois pas exclusives. Le Council concentre surtout son action sur des instruments d’approche universelle et d’accès intellectuel facile, par opposition à des domaines permettant d’appréhender plus indirectement la réalité quotidienne du pays en raison de leur spécialisation, voire parfois leur hermétisme d’accès - la musique et les beaux-arts -. Mais les officers chargés d’organiser des manifestations dans ces deux secteurs ont aussi fort à faire. Dans le cas particulier des films, les réductions budgétaires décidées vont de pair avec une restructuration du Films Department du Council, qui fusionne en partie avec celui du COI. Cette réorganisation prend place au sein d’un mouvement global de réajustement touchant le Council dans la période d’après-guerre, également responsable de nombre de délais dans les fournitures de matériel fonctionnel. A la difficulté de trouver des officers suffisamment qualifiés pour occuper un poste en France (et ailleurs) s’ajoute ainsi celle de s’assurer les services de conférenciers compétents parlant français, ce qui est impératif pour attirer un large public. De même l’insuffisance du personnel ralentit considérablement la production de photographies extraites de films du Council ; or celles-ci sont très appréciées, donc très demandées492. Dans les rapports qu’ils envoient à Londres, les officers du Council font état de l’inadéquation de leurs ressources aux besoins qu’ils ont décelés - ce qui est l’objet d’un tel exercice - et espèrent obtenir plus de moyens. C’est ainsi que s’ils signalent les points les plus significatifs de l’action qu’ils ont menée, ils insistent sur les réactions chaleureuses et encourageantes des populations, et leur exigence de qualité (rapports de McEwen) ; ce qui dans ce contexte n’est pas dépourvu d’arrière-pensées. En effet la première impression qu’ils feront sur les habitants risque de peser sur le succès de leurs réalisations ultérieures. Or déjà 490 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 14 mai 1946 - Ibid. Johnstone, Rapport sur l’activité du British Council en France, 14 novembre 1946 - BW 31/38, P.R.O. 492 Le Harivel à Miss Middleton, 11 janvier 1946. Miss Middleton à Le Harivel, 16 janvier 1946 - BW 31/1, P.R.O. 491 168 une rivalité culturelle s’instaure entre les vainqueurs de la guerre, et la Grande-Bretagne doit pouvoir être favorablement comparée avec les Etats-Unis ou l’Union Soviétique. Ainsi Le Harivel note que le matériel de projection de films n’est pas toujours de bonne qualité et que les Américains disposent de beaucoup mieux. David Howell met en parallèle un gala de l’Association Tourisme et Travail lors duquel “ nous avons seulement pu obtenir la présence d’un organiste, d’un joueur de cornemuse écossais et la projection de films ”, avec une manifestation équivalente organisée par les Soviétiques. Là, “ on nous a d’abord montré de superbes films du Ballet National et de l’Opéra. Puis il y a eu un chœur ukrainien qui fut très bien reçu, ainsi qu’il le méritait. Tout cela doit avoir fait forte impression sur le public présent ”493. Il faut cependant noter qu’en 1946, la sensibilité aiguë du Council aux éventuelles initiatives de ses concurrents dans le champ culturel ne repose qu’en partie sur des faits significatifs. En effet, si à cette date les Soviétiques mènent une action indirecte, par le biais des intellectuels et d’associations privées, les Américains n’ont pas encore donné la pleine mesure de leur intérêt pour la diffusion de leur culture en France. Si ceux-ci sont conscients de la valeur stratégique et politique de la France en Europe, et s’inquiètent du niveau de popularité atteint par le Parti communiste494, les moyens et les crédits affectés à une action culturelle en France sont des plus réduits, en raison des réticences du Congrès qui envisage même au printemps 1946 de supprimer radicalement les activités culturelles américaines à l’étranger495. * Le rapport administratif de mars 1946 enregistre une amélioration des conditions de travail depuis la nomination de Miss McLeod - qui s’était rendue en France fin 1945 - au poste de Regional Officer pour la France496.. Si celle-ci se montre peut-être plus énergique que Miss Lyons pour tenter de satisfaire les demandes émanant de Paris, elle bénéficie également de conditions plus favorables pour cela. Si les restrictions financières sont intangibles, la réorganisation du Council a progressé depuis 1945, ce qui permet un 493 Howell, Quaterly Report janvier-mars 1946 - BW 31/13, P.R.O. Y. H. NOUAILHAT, “ Aspects de la politique culturelle des Etats-Unis à l’égard de la France de 1945 à 1950 ”, Relations internationales, n° 25, printemps 1981, p. 93-94. 495 Ibid., p. 98. Par ailleurs, les accords Blum-Byrnes portant sur la diffusion de films américains en France ne sont signés qu’en juin 1946. 496 Rapport administratif janvier-mars 1946 - Ibid. 494 169 traitement plus méthodique des requêtes, et plus rapide dans la mesure où le personnel employé à Londres se renforce graduellement. De même, en France, l’équipe du Council devient plus solide. Le bureau de Paris compte environ cinquante personnes en juin 1946, et chacun des centres régionaux ouverts à cette date sept à huit personnes. La moitié de l’effectif total vient de Londres. Les difficultés matérielles (voir chapitre 5) et le travail d’organisation des bureaux ont incontestablement ralenti l’expansion du Council qui pourtant, avant même que le territoire français soit entièrement libéré, reprenait possession de ses locaux de l’avenue des Champs-Elysées. C’est pourquoi Miss McLeod considère que les activités fonctionnelles n’ont réellement commencé qu’au printemps 1946497. Toutefois le personnel du Council a mené de front son organisation et une action culturelle, qui, même de façon extensive, a pour objectif premier de donner une certaine visibilité au Council tout en s’efforçant de répondre aux attentes d’un large public. 497 Miss McLeod à Howell, 11 juin 1946 - BW 31/10, P.R.O. 170 CHAPITRE 8 L’AFFIRMATION DE LA PRÉSENCE BRITANNIQUE SUR LA SCÈNE CULTURELLE FRANCAISE “ Organisation mystérieuse et inconnue au sujet de laquelle nous devons donner des explications partout où nous allons ”498, le British Council cherche à se faire connaître auprès du public le plus large possible. Les grandes manifestations présentées pendant ces années 1944-46 tendent donc particulièrement à la réalisation d’un double objectif. Elles visent à témoigner de la richesse et de la diversité du patrimoine culturel britannique qui doit occuper une place prééminente parmi les cultures étrangères offertes à la connaissance des Français - notamment américaine et soviétique -. Mais elles font aussi partie d’une stratégie de communication du Council qui veut bénéficier des succès auxquels il contribue pour imposer l’image d’un organisme sérieux et professionnel, tant en France, où il n’est pas reconnu officiellement, qu’en Grande-Bretagne où sa compétence est parfois mise en doute (voir les campagnes de presse de Lord Beaverbrook). C’est pourquoi le Council s’attache à préparer des “ coups d’éclat ”, et tout en mentionnant sa participation sur la publicité qui les accompagne, à exposer au regard des Français ce qu’il estime être les joyaux de la culture britannique. En l’occurence, les Français sont essentiellement les Parisiens en raison de la réputation de capitale culturelle attachée à Paris. Là résident également nombre d’éminents critiques susceptibles de faire part de leurs appréciations dans une presse spécialisée influente et des journaux à diffusion nationale. Les années 1944-1946 sont d’abord consacrées à l’organisation pratique des structures du Council en France, ce qui compromet dans l’immédiat une offensive culturelle menée à l’échelle nationale. Mais si pour des questions de publicité et de prestige, le Council décide alors de privilégier le développement de ses activités à Paris, les provinces n’en sont 498 Le Harivel, Rapport sur une tournée effectuée en Normandie 11-18 juin 1946 - BW 31/1, P.R.O. 171 pas pour autant négligées. Hors de la capitale existe également un sentiment pro-britannique qui crée des conditions exceptionnellement favorables permettant l’exercice d’une action culturelle étendue, et pas seulement limitée à des régions traditionnellement anglophiles comme la Normandie ou l’Aquitaine. Son objectif est ainsi d’entretenir et de renforcer la présence culturelle britannique dans ces deux provinces mais aussi de l’introduire et l’ancrer dans des régions soumises à d’autres influences telles que le nord ou l’est tournés vers l’aire germanique. Dès lors, les manifestations artistiques présentées à Paris sous les auspices du Council ne représentent que la partie la plus immédiatement visible et quantitativement faible de son travail. Cependant, de cette action culturelle, les rapports rédigés par les officers ne retiennent que les éléments principaux. L’étude réalisée ne peut donc se prétendre exhaustive, et ce d’autant plus que les archives conservées comportent quelques lacunes. Mais les documents disponibles permettent de discerner pour l’essentiel les orientations choisies et leur mise en œuvre. Ainsi se conjuguent manifestations de prestige parisiennes et activités diversifiées en province axées sur une présentation de la Grande-Bretagne dans toute sa complexité culturelle. 1.- LES MANIFESTATIONS DE PRESTIGE PARISIENNES : UNE ENTENTE RELATIVE AVEC LA DGRC Si l’Institut Français de Londres a bénéficié pendant les années de guerre des subventions du Foreign Office, la faiblesse des moyens dont il disposait en comparaison de ceux de la puissante Home Division du British Council ne permet pas de parler d’échanges culturels pendant cette période, mais simplement de liens perpétués, voire affermis. Si dès 1944 les Français veulent relancer une activité culturelle en GrandeBretagne, les Anglais doivent pouvoir initier à leur culture les Français. C’est pourquoi, et en attendant l’instauration de rapports plus réguliers, les relations entre DGRC et British Council se traduisent à cette époque par des collaborations ponctuelles. Pour la réalisation de projets prestigieux, les contacts établis au préalable entre les deux organismes se révèlent d’une grande utilité. Mais en l’absence d’un accord de collaboration officiel, l’autonomie foncière du Council en pose rapidement les limites. 172 1.1 Une coopération fructueuse ... Outre la coopération destinée à favoriser les échanges de biens culturels, la préparation de grandes manifestations culturelles est parfois l’occasion d’une entente fructueuse entre British Council et DGRC, qui n’est ni invariable dans ses modalités, ni systématique, et de ce fait ne constitue pas un critère pour définir ce qui sera rangé sous le vocable “ manifestation de prestige ”. Deux paramètres sont pour cela pris en considération. Tout d’abord, la notoriété de l’artiste en Grande-Bretagne, et de préférence hors GrandeBretagne, est nécessaire pour attirer le public, surtout au début. Son succès précèdera éventuellement par la suite l’arrivée de ses confrères moins connus mais tout aussi brillants, qui bénéficieront d’un préjugé favorable attaché à la qualité des activités patronnées par le Council. Deuxième critère de sélection : la dimension du lieu où la manifestation se déroule qui laisse présager de l’importance numérique du public visé499. A l’aide de ces deux clés, on peut distinguer trois domaines dans lesquels le Council présente avec un succès inégal de prestigieuses facettes de la culture britannique : la musique, le théâtre, les beaux-arts. Dans une France décrite comme “ insulaire ” en la matière, un article de la Monthly Review du British Council500 relève la faible connaissance générale de la musique anglaise. Alors qu’à Paris s’éveille un intérêt croissant pour les compositeurs contemporains tels que William Walton mais aussi Benjamin Britten ou Alan Rawsthorne, en province ces noms restent à peu près inconnus ; même si les programmes de radio jouent un rôle actif d’initiation. Seul Purcell jouit d’une “ étonnante popularité. C’est le seul nom dont la presque totalité des Français a entendu parler ”. Un festival Purcell est justement organisé le 5 décembre 1945 Salle Gaveau501. La DGRC n’y apporte aucune participation financière. Les comptes rendus sont peu précis et lapidaires, cependant le Music Officer signale la présence d’un public nombreux, ce qui permet de conclure pour le moins à un succès honorable. Le concert, composé de trois œuvres de Purcell, a été retransmis à la radio. Quoi qu’il en soit, cette opération se solde par un échec financier502 en raison de la dévaluation du franc survenue avant l’encaissement des 499 Le Théâtre des Champs-Elysées contient environ mille huit cents places, la Comédie des ChampsElysées six cents et le Studio des Champs-Elysées deux cents. La Salle Gaveau a mille places. Howell au Drama Department, 5 août 1946 - BW 2/185, P.R.O. 500 The Monthly Review of the British Council n° 3, 1er juillet 1946 - BW 119/1, P.R.O. 501 Myers, Quarterly Report septembre-décembre 1945 - BW 31/13, P.R.O. 502 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 9 juillet 1946 - BW 69/12, P.R.O. 173 recettes, de la retransmission qui n’avait pas été prévue initialement (les cachets des musiciens ont dû être augmentés), et de la perte occasionnée par des distributions de places gratuites. Début février 1945 des conversations entre la DGRC et le Council aboutissent à la mise au point d’un programme d’échanges musicaux co-financé par les deux organismes. Ainsi du 25 février au ler mars se rend à Paris le chef d’orchestre Sir Adrian Boult invité par la Société des Concerts du Conservatoire qui prend en charge son logement. Le Council s’occupe des frais de déplacement et de séjour.. Sir Adrian dirige deux concerts au Théâtre des Champs-Elysées et à la Radiodiffusion de France qui comprennent à chaque fois les morceaux de quatre compositeurs dont deux britanniques (Walton, Rawsthorne, Elgar, Bliss). Le voyage de Benjamin Britten à Paris du 8 au 16 mars 1945 s’inscrit dans ce même cadre d’échanges. Britten se produit deux fois au Théâtre des Champs-Elysées pour les Semaines Musicales et la Société des Concerts du Conservatoire, et à la Radiodiffusion nationale. Il donne aussi deux récitals privés dont un à la Comédie des Champs-Elysées, sous forme de concert-réception d’une heure en l’honneur d’un parterre de personnalités françaises et britanniques503. Nous ne disposons pas pour ces deux dernières manifestations de données chiffrées sur l’importance de leur auditoire. De fait, le Music Officer n’avait pas été nommé à cette date. Gill s’est chargé des négociations et aucun rapport séparé n’a été rédigé à ce sujet. Mais aussi, le Council n’a pas pris l’initiative des invitations de ces artistes, et n’est intervenu que dans l’organisation de leur séjour ; ce qui est également une manière d’encourager leur venue. En revanche dans le domaine du théâtre, les efforts du Council, tant financiers qu’organisationnels, sont plus consistants. Dès septembre 1944 il est envisagé à Londres de financer une tournée du Sadlers Wells Ballet dans les pays européens lorsque ceux-ci seront libérés, pour répondre à une demande de compagnies théâtrales et lyriques jugée très forte, en particulier en France, où 503 Concernant Sir Adrian Boult : - Massigli au Service des Oeuvres du ministère des Affaires étrangères, 15 janvier 1945. - Souchon à Massigli, 7 février 1945. Concernant Benjamin Britten : - Télégramme Massigli, 19 janvier 1945. - Erlanger à DGRC, 27 février 1945. Relations culturelles, années 1945-1947, carton 194, M.A.E. 174 elle se place juste derrière la demande de livres504, ce qui promet un grand succès pour la scène britannique. Muni d’une invitation officielle du gouvernement français, ce qui assure l’assistance de la DGRC pour la location de la salle et l’hébergement de la troupe, le Ballet s’installe du 5 au 20 mars 1945 au Théâtre des Champs-Elysées. Richard Seymour alors en visite à Paris mentionne dans son rapport la très favorable impression produite par le spectacle auquel assistait un public nombreux505. Parallèlement se déroulent entre la DGRC et le Council depuis février des négociations destinées à mettre sur pied un échange suggéré par les Britanniques entre la Comédie Française et l’Old Vic Company. Ce n’est qu’en avril506 qu’elles aboutissent après l’abandon de plusieurs projets étudiés. Aux termes de l’accord définitif la Comédie Française obtient de jouer en Grande-Bretagne, deux semaines à Londres, puis deux semaines en province pendant le mois de juillet 1945. L’Old Vic s’installe au Théâtre Français du 3 au 15 juillet, et présente Richard III (Shakespeare), Peer Gynt (Ibsen) et Arms and Man (Le Héros et le Soldat, Shaw). L’enthousiasme suscité par ces productions inspire à Duff Cooper une demande de réengagement de l’Old Vic pour représenter le théâtre britannique lors du mois de l’UNESCO organisé à Paris en novembre 1946507. L’occasion est en effet particulière. La tenue de la conférence générale de l’UNESCO donne lieu à des démonstrations de l’éclat du patrimoine culturel des nations participantes. Une forte émulation anime donc celles-ci, et dans cette atmosphère de rivalité culturelle508 chaque pays cherche une consécration. Or considérée comme une des plus éminentes compagnies théâtrales britanniques de cette époque, l’Old Vic, co-dirigée par John Burrell, Ralph Richardson et Laurence Olivier, bénéficie également de la notoriété internationale de ce dernier, qui pour le film Henry V a remporté un Oscar spécial en avril 1946 (film qui toutefois ne sort en France qu’en 1947). Du 26 novembre au ler décembre, l’Old Vic clôture le mois de l’UNESCO en donnant six représentations de King Lear (Le Roi Lear, Shakespeare) au Théâtre des Champs-Elysées. La Monthly Review fait état d’une ovation de dix minutes à la fin de la pièce. Dans un rapport empreint d’admiration pour Olivier, Le Harivel rend compte du triomphe remporté par la troupe : “ Sans aucun doute la presse et le public français ont été 504 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 10 octobre 1944 et son ordre du jour BW 69/10, P.R.O. 505 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 10 avril 1945, extrait du compte rendu BW 31/10, P.R.O. 506 Erlanger à DGRC, 13 avril 1945 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 195, M.A.E. 507 Kennedy-Cooke à Richardson (Board of Education), 27 juillet 1946 - BW 2/185, P.R.O. 508 Howell au Drama Department, 5 août 1946 - Ibid. 175 extrêmement impressionnés par Le Roi Lear. De nombreux acteurs français ont pris place avec gravité dans le Théâtre des Champs-Elysées pour assister à une leçon dans l’art de jouer Shakespeare ”509. Dans le même ordre d’idées, David Howell note avec une évidente satisfaction mêlée de fierté : “ Il est généralement reconnu dans toute la France que Laurence Olivier est sans conteste le premier acteur mondial et qu’ils ne peuvent jamais espérer approcher le haut degré d’excellence fixé par l’Old Vic pour ce qui est de la production comme du jeu d’acteur ”510. En 1945, comme en 1946, le British Council a pris une part importante à l’organisation de ces manifestations. Dans le cadre d’un échange bilatéral d’artistes le principe de base est le partage équitable des frais entre le Council et l’Association française d’action artistique (AFAA). Le Council apporte un soutien financier aux spectacles britanniques montés en France sous ses auspices et aux artistes qu’il invite, ce qui signifie en général pour lui une prise en charge des dépenses de transport, logement, séjour. C’est ce qui a eu lieu en 1945, avec une assistance annexe offerte par le Council à la Comédie Française (préparation de la tournée en Grande-Bretagne, location du New Theatre de Londres) aux termes de négociations entre le Council et la compagnie française. En 1946 ce schéma de subvention a été quelque peu aménagé eu égard à la spécificité de l’événement. Ainsi le Council n’a pas eu à régler les frais de logement. Outre sa contribution financière, le Council mène une opération de relations publiques. Avant le spectacle, il supervise la publicité, et après se tient une réception chez le représentant où les artistes peuvent rencontrer leurs confrères étrangers ainsi que des critiques, journalistes. En 1946 la solennité de l’occasion a requis l’organisation de plusieurs de ces réunions mondaines où le “ Tout-Paris ” a rendu hommage à la troupe britannique511. Triomphe artistique, mais également réussite financière - sur les 6 000 £ prévues, 1 555 ont été économisées -, la venue de l’Old Vic en France en 1946 offre au Council la possibilité de rétablir une réputation un peu ternie par quelques échecs récents, dont celui de l’exposition de peintures de la Tate Gallery. 509 Le Harivel, Rapport sur la visite de l’Old Vic à Paris, non daté - Ibid. Deux réactions défavorables toutefois dans la presse, mentionnées mais écartées avec ironie : celle des Lettres Françaises “ qui sont de gauche et anti-britanniques, donc anti-Lear ” ; et celle de Paul Claudel “ un académicien âgé et respecté mais un peu dur d’oreille, qui n’a donc pas pu bien suivre le dialogue ou apprécier les subtils points de diction ”, et qui a été profondément désolé [distressed] de ne pas trouver à la pièce de rapport avec Dieu. 510 Howell au Drama Department, 6 janvier 1948 - BW 1/40, P.R.O. 511 Le Harivel, Rapport sur la visite de l’Old Vic à Paris, loc. cit. On note la présence de Sir Ronald Adam et de Kennedy-Cooke (Production Division du Council) à ces festivités. 176 Au lendemain de la guerre, la Tate Gallery, qui a subi de sérieux dommages, doit procéder à des réparations qui rendent impossible l’exposition de son fonds de peintures. Elle décide alors de confier au British Council une centaine d’œuvres qui pendant une année environ seront présentées dans les principales villes européennes. David Howell obtient avec difficulté le Musée du Jeu de Paume pour un mois (du 18 juin au 20 juillet). D’un point de vue logistique, les musées nationaux supportent les frais de base : salles et gardiennage. Le Council prend en charge le transport et l’assurance des tableaux, et bénéficie d’une aide de l’AFAA pour les dépenses occasionnées par la publicité et l’envoi des invitations. D’autre part, cette manifestation, ainsi co-organisée par la France et la Grande-Bretagne, est placée sous la triple égide du Council, de la DGRC et du ministère de l’Education Nationale. Cette caractéristique justifie la formation d’un comité d’honneur, symbole de cette coopération ponctuelle entre les deux pays et de son patronage officiel. Ce comité franco-britannique comprend en conséquence les deux Ambassadeurs, des représentants du Council, de la DGRC et du ministère de l’Education nationale, et des professionnels de la culture (conservateurs, curateurs ...). Cette exposition s’avère être un échec retentissant et un gâchis financier d’autant plus grave qu’il s’agissait là de la première exposition de cette envergure organisée à l’initiative du Council et annoncée à grands renforts de publicité (la plus grande campagne de publicité pour une exposition d’art à Paris depuis la Libération selon McEwen). Les chiffres d’entrées sont éloquents. En vingt-six jours d’ouverture, trois cent douze personnes par jour, huit cent quatre-vingt-cinq le week-end, ont été voir l’exposition - gratuite. En comparaison, à l’Orangerie où les Américains présentaient pendant trente jours des peintures françaises récupérées en Allemagne, la visite de deux mille cent soixante personnes par jour, sept mille quatre cent quatre-vingts le week-end, a été enregistrée - et l’entrée coûtait 20 francs. Ce résultat désastreux semble principalement dû au choix peu judicieux des cent vingt et une peintures. L’hétérogénéité de cet ensemble d’œuvres n’ayant en commun que la date de leur composition (les cinquante dernières années) a produit chez les critiques des réactions contrastées. Sir Eric McLagan, président du Fine Arts Committee, note : “ J’ai observé un manque d’intérêt presque unanime pour les peintures typiquement anglaises de la première moitié du XXe siècle [...].D’un autre côté il y avait un réel enthousiasme pour les peintures de Graham Sutherland, les dessins d’Henry Moore et d’autres œuvres de l’école moderne ”512. Il n’est pas certain que cette dernière remarque s’applique aussi au public mais 512 Mc Lagan à Lamb (Royal Academy), 26 juin 1946 - BW 31/29, P.R.O. 177 la première ne fait aucun doute. La presse est également tiède - à l’exception notable du Monde. L’académisme de certaines toiles est qualifié de “ copie plus ou moins servile de la nature quand ce n’est pas un plagiat de nos impressionnistes ” par La France au Combat (27 juin). Les comptes rendus les plus encourageants reflètent en l’occurence plus une indulgence pour l’Allié courageux que la reconnaissance de ses talents artistiques (Le Spectateur du 25 juin ou Fraternité du 27 juin). Frank McEwen, dans son rapport, saisit cette occasion pour déplorer un échec portant inutilement atteinte à ses efforts et pour rappeler que les expositions envoyées à Paris doivent faire l’objet d’une sélection rigoureuse car “ dans le domaine des beaux-arts, un succès remporté à Paris signifie un succès dans l’ensemble du monde civilisé ”513. Tous ces exemples illustrent les avantages logistiques, non négligeables dans ces années, que procure au Council une entente avec la DGRC. Mais pour des activités de moindre importance le Council fait preuve d’une autonomie d’action qui dénote les limites d’une coopération officieuse. 1.2 ... mais ponctuelle La relation établie entre British Council et DGRC apparaît dépourvue de friction majeure. Toutefois on ne peut pas parler d’entente totale entre ces deux organismes qui possèdent chacun une conception propre des moyens de mener une action culturelle efficace. Une note de Miss Lyons recommande un renforcement et une amélioration à terme des liens avec les services culturels français à Paris autant qu’à Londres en raison de la mauvaise coordination existant entre l’ambassade à Londres et le Quai d’Orsay514. La teneur des lettres échangées entre René Massigli et la DGRC confirme ce point. Mais en réponse à une plainte de l’ambassade qui déplore que l’envoi de conférenciers soit décidé unilatéralement par Paris sans juger utile de consulter l’ambassade sur l’opportunité de tels gestes, la DGRC met en avant l’autonomie de fonctionnement du Council qui ne l’informe pas toujours de ses initiatives515. Le dossier BW 31/29 est entièrement consacré à cette exposition. Des compléments se trouvent dans le carton 193, (Relations culturelles, années 1945-1947) ministère des Affaires étrangères. 513 McEwen, Rapport daté du 19 juillet 1946 – Ibid. 514 Miss Lyons, note du 9 mars 1945 - BW 31/10, P.R.O. 515 Massigli à DGRC, 9 avril 1945 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 191, M.A.E. Mme Durry à Massigli, 12 mai 1945 - Ibid. 178 Dans cette remarque perce un léger agacement. En effet le Council fait preuve dans la conduite de certaines de ses activités d’une grande indépendance - favorisée par le caractère non officiel de son statut -. C’est le cas pour des manifestations de petite envergure dont il peut assurer seul l’organisation et le financement sans avoir recours aux subventions de l’Association Française d’Action Artistique (AFAA) - conférences, petites expositions, distribution de publications qu’il édite... -. Cependant, cette façon de procéder rend plus laborieux les efforts de coordination tentés par la DGRC avec l’ambassade. Pour reprendre l’exemple de l’envoi de conférenciers, il est théoriquement du ressort du conseiller culturel de l’ambassade de préparer le programme de conférences prononcées par des Français prestigieux en Grande-Bretagne. L’action autonome du Council, qui traite directement avec l’invité par le biais du représentant qui l’a d’ailleurs choisi, crée un double emploi irritant pour les services français qui perdent ainsi le contrôle total d’une des composantes fonctionnelles importantes de leur stratégie d’expansion culturelle en GrandeBretagne. C’est pourquoi la DGRC insiste pour n’accorder de subventions qu’aux activités intégrées dans un plan d’ensemble cohérent et dont l’intérêt a été approuvé après une étude approfondie516. Ce manque de coordination initiale se révèle également patent lors de l’organisation d’une exposition de dessins d’enfants. A l’origine, le British Council réunit environ quatre-vingts peintures d’enfants dès avril 1945 pour une exposition dans ses locaux du 20 juillet au 9 août. Outre son caractère purement artistique, elle sert d’illustration aux théories d’éducation par l’art, auxquelles l’historien d’art Herbert Read vient alors de consacrer un livre (Education through art). Qualifiée de “ succès éclatant ” par le directeur du Fine Art Department du Council à Londres, cette exposition est envoyée en province jusqu’en mars 1946. Dans un deuxième temps, elle est de nouveau présentée à Paris, à l’Ecole des Beaux-Arts du 15 mars au 5 avril 1946, en coopération avec l’Union des Arts Plastiques et le Centre de Recherche et d’Etudes Pédagogiques. Cet appui témoigne de l’intérêt qu’elle suscite. Deux cent vingts dessins d’enfants français y ont été ajoutés. Il est ensuite question de l’expédier à Londres. La DGRC n’avait pas été informée de ce projet, alors qu’il avait été prévu d’envoyer à Londres une exposition de dessins d’enfants organisée par le ministère de l’Education Nationale. Après un voyage rapide en Angleterre, Philippe Erlanger, directeur de 516 DGRC à Massigli, 7 novembre 1946 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 195, M.A.E. 179 l’AFAA, suggère une fusion des deux expositions, en cela approuvé par Massigli qui souhaite éviter une concurrence inutile entre les deux ensembles517. Au total l’action du Council repose sur l’établissement de liens directs avec les organismes avec lesquels il travaille, ne serait-ce que parce que sa non-représentativité officielle lui interdit une officialisation systématique de ses contacts. C’est pourquoi il coopère avec la DGRC dans des domaines précis et de façon finalement peu étendue. Le plus souvent le Council lui transmet, sur sa demande, des informations qui lui permettront de juger de la viabilité de projets artistiques en direction ou issus de la Grande-Bretagne, et d’accorder ou non une subvention. La DGRC rend un service de nature analogue au Council qui peut éventuellement lui demander son opinion sur telle ou telle association en préalable à toute collaboration (ex. : Art et Tourisme). Si de son côté la DGRC peut parfois éprouver un certain déplaisir devant une telle liberté d’action, une coopération est inévitable car elle offre des avantages mutuels. Fondées sur la réciprocité, les relations culturelles impliquent par là même une telle entente. En province, les activités du Council sont d’une ampleur plus modeste et ne nécessitent pas l’assistance de la DGRC. Elles marquent la volonté du Council de donner une visibilité étendue à son action de promotion culturelle, à défaut de pouvoir disposer dès à présent des moyens indispensables à l’entreprise d’un travail plus en profondeur. 2.- ATTEINDRE UN PUBLIC ÉLARGI : UNE ACTIVITÉ FONCTIONNELLE MODESTE CONDUITE SUR L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE Le Council est attentif à tirer parti de l’atmosphère générale de bienveillance à l’égard de la Grande-Bretagne pour faire reconnaître la qualité de la culture britannique dans l’ensemble du pays, au profit d’un public socialement diversifié518. Il cherche à étendre son action en province suivant une politique de développement progressif, ce qui lui permet d’achever son organisation interne et donne des résultats très positifs. 517 Les références concernant cette exposition sont les suivantes : British Council : BW 31/20, BW 31/13. Ministère des Affaires étrangères : Relations culturelles, années 1945-1947, cartons 191 et surtout 193. 518 Selon le souhait de Duff Cooper. Duff Cooper à Bevin, 6 juin 1946 - BW 31/38, P.R.O. 180 Dans cette perspective, deux axes d’approche sont privilégiés : faire connaître les dernières tendances artistiques britanniques, et présenter la culture britannique dans toute sa complexité, au-delà des schémas réducteurs et des idées toutes faites. 2.1 La découverte de nouvelles tendances artistiques Les beaux-arts et la musique britanniques font preuve au lendemain de la guerre d’une grande vitalité, et un effort de promotion concernant ces domaines apparaît particulièrement important à faire pour donner une image dynamique de la culture d’outreManche, dans des spécialités d’accès parfois difficile pour le grand public. L’objectif consiste à convaincre les critiques d’art de la qualité de ces productions contemporaines afin que leur soutien contribue à donner une notoriété accrue à ces artistes. “ Les meilleurs éléments de la nation française sont actuellement sincèrement pro-britanniques, le moment est donc venu de commencer à former un public à l’art britannique à Paris ”, ce qui en l’occurence signifie l’art moderne pour lequel le public est “ encore inexistant ”519. Frank McEwen saisit alors cette occasion pour préparer une exposition comprenant les œuvres de quelques peintres et sculpteurs modernes. Cette manifestation, de petite envergure, a essentiellement valeur de test. Elle se tient alors dans des galeries et s’adresse d’abord aux critiques et artistes520.. Cependant s’il est nécessaire de s’attacher l’opinion favorable de la communauté artistique, le public y a également accès et ses réactions conditionneront aussi le passage à l’étape suivante : une grande exposition dans un musée parisien. Ainsi l’exposition “ Neuf artistes britanniques contemporains ” ouvre le 31 octobre 1945 à la galerie aménagée dans les locaux du British Council, en présence du critique d’art Herbert Read et du sculpteur Henry Moore. Jusqu’au 30 novembre sont rassemblées à Paris les œuvres des principaux représentants de l’école moderne britannique : Henry Moore, Paul Nash, Graham Sutherland, Frances Hodgkins, John Tunnard, David Jones, John Piper, Edward Bawden, Robert Colquhoun. Le rapport de McEwen mentionne le vif succès remporté auprès des critiques, mais le public parisien reste plutôt indifférent521. En revanche, transposée aux galeries Jouvène de Marseille du 15 au 31 décembre, l’exposition apparaît comme un événement local. Inaugurée par le Consul général britannique et le préfet 519 McEwen à Wickham, 14 mai 1945 - BW 31/20, P.R.O. Elles donnent aussi lieu à des ventes, sur le prix desquelles le Council perçoit 10 %. Note du Fine Arts Department, juin 1945 - Ibid. 521 Miss Beall, Rapport d’octobre-décembre 1945 - BW 31/13, P.R.O. 520 181 des Bouches-du-Rhône, elle a suscité l’intérêt des milieux artistiques, et malgré quelques protestations enregistrées sur le livre des visiteurs, les Marseillais l’ont dans l’ensemble assez appréciée522. L’Afrique du nord bénéficie également d’une initiation à l’art contemporain britannique avec l’organisation d’une exposition à partir du 27 décembre 1945 au musée des beaux-arts d’Alger. Les artistes sont réunis à l’initiative du successeur de McEwen en Algérie, John Harrison. L’exposition remporte un franc succès avec la venue de quatre mille visiteurs en un mois, ce qui justifie une seconde présentation523. Environ trois mille personnes vont admirer l’exposition à Oran524, qui continue sa carrière à Rabat dès avril 1946. Les comptes rendus ne mentionnent aucune réaction défavorable, en particulier de la presse, et les chiffres de fréquentation témoignent d’une grande curiosité pour la culture anglaise contemporaine dans les départements français d’Afrique. Selon une stratégie similaire à celle employée pour les beaux-arts, faire apprécier la musique britannique par le public français requiert l’éveil préalable d’un intérêt dans les cercles musicaux. Faire jouer par des musiciens français de la musique anglaise est en effet considéré comme la meilleure façon de la faire connaître. Les rapports font état de nombreuses partitions prêtées à des musiciens qui expriment un grand intérêt et une curiosité à l’égard des œuvres britanniques contemporaines, tant à Paris qu’en province525. Ainsi l’orchestre de radio Toulouse-Pyrénées inclut dans ses programmes des pièces britanniques d’Elgar (Serenade) et Jacob (Sinfonietta) début 1946, Williams (Wasps Overture) en novembre, Warlock (Capriol Suite) en décembre. Les sociétés de concerts font de même. Des tournées d’artistes sont organisées : le Zorian String Quartet se produit dans le sud ainsi qu’à Lille et Amiens début 1946. Enfin le Music Officer donne des conférences illustrées par des disques. L’objectif premier du Council est de favoriser les interprétations d’œuvres de composition récente et les morceaux plus anciens occupent une place plus réduite dans les programmations. On note seulement (outre Purcell, voir supra) un concert de musique des XIIIe/XVIIe siècles Salle Gaveau en décembre 1945 et un de musique des XVIIe/XVIIIe siècles à la Quinzaine de Strasbourg. Il est difficile d’évaluer en général l’étendue du succès rencontré par ces initiatives auprès du public - qui semble au moins apprécier les conférences - . Mais les professionnels y répondent favorablement. 522 Black, Rapport du 21 décembre 1945 - BW 31/29, P.R.O. Burrow à Miss Lyons, Monthly Report for December 1945, 11 janvier 1946. - BW 10/1, P.R.O. 524 Mason, Quarterly Report jan-march 1946. - Ibid. 525 Black, Rapport du 21 décembre 1945 - BW 31/29, P.R.O. 523 182 En Afrique du nord, le Music Officer Frank Turner, lui-même pianiste et compositeur, plaide avec beaucoup d’enthousiasme et de résultats positifs la cause de la musique contemporaine. Outre les concerts donnés avec la participation de l’armée britannique, il établit d’excellentes relations avec Radio France Alger, ce qui lui permet de préparer des émissions sur quelques compositeurs contemporains (Walton, Holst ....)526 ou de faire retransmettre des concerts527. Les relations du Council avec la radio française - au demeurant correctes - ne déboucheront jamais sur cette coopération en métropole. Les premières approches du Council pour faire découvrir une production culturelle récente et de qualité semblent augurer favorablement des initiatives qui pourront être prises par la suite pour élargir le cercle des populations sensibles à ces nouveautés, jusqu’à atteindre le grand public ultérieurement. Mais dans l’immédiat, le Council s’attache à présenter dans les provinces une image de la Grande-Bretagne reflétant sa diversité et sa complexité. 2.2 La culture britannique dans sa diversité Afin de réaliser ses objectifs, le Council utilise expositions de photos et de livres, projections de documentaires et conférences. Des expositions de livres et de photographies sont organisées. A deux reprises sont présentées des collections de livres traitant de thèmes très divers. Leur quantité n’est pas précisée dans le premier cas. En septembre 1945 le Council anime deux stands à la Foire de Paris, puis des ouvrages sont envoyés au centre du sud-ouest où de novembre 1945 à février 1946 ils sont exposés environ dix jours à Bordeaux, puis à Toulouse, à Perpignan, à Montpellier et à Pau. A Bordeaux leur venue coïncide avec la saison franco-britannique et Bertram rapporte qu’ils font fort bonne impression. En 1946 mille livres publiés pendant la guerre et rassemblés à l’occasion de la Foire de Paris sont exposés dans le sud-est et le nordest à partir d’août 1946 jusqu’à la fin de l’année. A Lyon plus de trois mille visiteurs se pressent dans les Salons Rouges de la mairie. Il est à noter que là aussi l’inauguration s’est déroulée en présence des autorités locales. 526 527 Burrow à Knowles, 31 mars 1945. - BW 10/1, P.R.O. Algérie, Rapport annuel 1945/1946. - Ibid. 183 Une exposition d’environ quatre-vingts photos consacrées à l’architecture britannique est mentionnée dans le sud-ouest ; mais celles-ci sont le plus souvent envoyées à des institutions qui en font la demande : des lycées, l’Institut britannique, ou des organismes à caractère technique. Il ressort des rapports que les séries non techniques prêtées par le Council sont de deux natures. Soit elles s’attachent à décrire la diversité des paysages britanniques, soit elles offrent un aperçu d’éléments caractéristiques de la culture anglaise, tels les universités ou Shakespeare. Ces thèmes généraux se retrouvent également dans les films du Council (ex : Julius Caesar, Westminster Abbey). La notion de culture prend en effet une signification très large, englobant le mode de vie, en particulier pour un public qui n’a jamais eu l’occasion de se rendre en Grande-Bretagne et s’en fait une image incomplète ou/et inexacte. Le Harivel en fait l’expérience. Dans son rapport d’activité de juin 1946 il insiste sur la nécessité de projeter des films montrant la campagne britannique : “ Le Français moyen pense que la Grande-Bretagne est un pays d’usines, de chantiers navals et d’aciéries ”. Cette représentation de l’Angleterre industrielle, figée à l’ère victorienne, est parfois associée à l’archaïsme économique. La projection au Mans du film The New Mine décrivant une mine moderne située en Ecosse est apparue comme une “ révélation ”. Les films présentés s’efforcent alors de donner l’image d’une Angleterre moderne (Steel, Looking through Glass) mais non mythifiée pour autant. Les difficultés présentes de la Grande-Bretagne ne sont pas occultées. En Normandie les films servent de support à une conférence prononcée sur ce thème, ce qui tend à renforcer dans les esprits une solidarité entre deux peuples qui connaissent des situations proches. Enfin la Grande-Bretagne en guerre est aussi évoquée avec émotion (London 1942). Ces deux tournées de projections de 1946 remportent un certain succès : cinq cents personnes en moyenne y assistent au Mans, environ cent soixante-dix en Normandie. Le Harivel note le grand intérêt suscité par ces activités et la chaleur de l’accueil qu’il reçoit. Outre les tournées, le Council prête ses films à des organismes de nature aussi diverse que le ciné-club de Beauvais, les socialistes de Seine-et-Oise, l’université de Strasbourg, la Fondation De Gaulle...528. En Afrique du nord, la projection de films répond d’abord à deux types de besoins particuliers : professionnel avec une demande substantielle portant sur les documentaires à caractère technique (par exemple sur l’agriculture), et éducatif avec la 528 Voir en particulier le dossier BW 31/1, P.R.O. 184 distribution de films dans les écoles primaires dès l’été 1945, et de façon plus organisée en coopération avec le COI dès fin 1946. Il ne semble pas y avoir eu beaucoup de séances “ tout public ” outre-Méditerranée. Les conférences traitent plus particulièrement - mais pas exclusivement des évolutions les plus récentes produites en Grande-Bretagne : difficultés de l’après-guerre (reconstruction) et derniers développements dans le domaine culturel. Les thèmes plus spécifiquement politiques sont placés dans une perspective historique (Le Parlement pendant la guerre...). Mais ils sont peu nombreux et plutôt abordés devant un public d’étudiants. Les conférences sont prononcées devant un auditoire de deux cents à mille personnes, selon la nature du local dans lequel elles sont organisées (clubs, amphithéâtres, mairies...), la ville et le sujet exposé. De la sorte, pour une même conférence tenue dans des endroits différents, on peut observer d’importantes variations quantitatives du public présent. Ainsi pour celle de Bertram sur la vie sociale anglaise pendant la guerre sont réunies deux cents personnes à Trouville, cinq cents à Lisieux, mille à Bayeux. Il est donc difficile de discerner les thèmes les plus appréciés. Les conférenciers sont soit les officers, soit des personnalités britanniques envoyées par Londres. Les officers sont très actifs. Ils assistent aux Quinzaines culturelles et entreprennent de petites tournées en province. Par exemple Rollo Myers donne des conférences sur la musique britannique dans le sud-ouest en mars 1946, Hackett sur l’éducation dans le sud-ouest en février 1946 et dans le sud-est en mars. Les conférenciers invités par le Council viennent d’horizons divers. On peut citer le diplomate Harold Nicolson (sur le Parlement pendant la guerre), l’acteur Robert Speaight (théâtre) ou le directeur adjoint de la Tate Gallery Robin Ironside (art moderne). En Afrique du nord, les conférences sont quasi-exclusivement assurées par les officers, à l’exception de la venue d’Eric Whelpton en mars 1946529. Les conférences sont parfois retransmises à la radio, telles celle d’Eric Whelpton sur l’Angleterre aujourd’hui à Radio-Marseille, ou celle de William Pickles sur les perspectives économiques en Grande-Bretagne à Radio-Lyon530. * 529 Les conférences portaient sur les thèmes suivants : la vie anglaise d’aujourd’hui, la vie dans les campagnes britanniques, l’Angleterre et la littérature française. Mason, Monthly report for feb 1946. - BW 10/1, P.R.O. 530 Les principales sources sont les dossiers BW 31/13 et BW 31/32, P.R.O. 185 Avec l’assistance fréquente de la DGRC - qui s’avère précieuse en la circonstance -, le British Council s’efforce d’affirmer à l’aide de manifestations de grande ampleur la réalité d’une culture britannique - en particulier contemporaine - de qualité dans un pays supposé persuadé de la prééminence de la sienne propre. Les Français, comme tout autre peuple, ont tendance à avoir des goûts conservateurs et seront a priori d’abord attirés par des “ valeurs sûres ” telles que Purcell ou Shakespeare. Mais ils n’apparaissent pas pour autant hostiles par nature à l’appréciation de talents plus contemporains. Il semble que pour susciter une curiosité les présentations artistiques soumises à leur jugement se doivent d’être perçues comme typiquement anglaises, tout en possédant une dimension universelle minimale pour être comprises et reconnues hors de Grande-Bretagne. C’est le cas de Shakespeare, ou de Purcell, décrit comme proche de Lully mais également très anglais, ce qui séduit les Français531. Parmi les jeunes artistes, Benjamin Britten appartient également à cette catégorie, ainsi que le remarque le journal Combat : “ [l’] esprit [de ses compositions] reparaît curieusement identique à lui-même après chacune de ses éclipses et [...] [sa musique] se distingue de la nôtre sans qu’on puisse jamais dire qu’elle s’en sépare formellement ”532.. En revanche les tableaux de la Tate Gallery ne remplissaient pas cette condition de façon évidente si l’on en croit la tiédeur de l’accueil qui leur a été réservé, et les remarques de La France au Combat (voir supra). C’est pourquoi les initiatives de Londres doivent généralement être approuvées par Paris où les officers doivent déterminer les aspects de la culture britannique susceptibles de répondre à ce critère. Ainsi Frank McEwen se sent fondé à rejeter l’échec de l’exposition sur une intervention extérieure : les décisions impertinentes des directeurs de la Tate Gallery. Il faut toutefois souligner la dichotomie existant entre le travail accompli en Afrique du nord et les activités menées en métropole dans le domaine fonctionnel. Le bureau algérois dispose de peu de moyens pour maintenir une action ambitieuse. De fait, le Council de Londres accorde peu d’importance à cette région française533. Les personnels du Council qui s’y trouvent affectés gèrent ce bureau tant que les ressources le permettent, mais il est clair que d’éventuelles réductions budgétaires mettraient en péril son existence. 531 The Monthly Review of the British Council n° 3, ler juillet 1946 - BW 119/1, P.R.O. Combat, 10-11 mars 1945, p. 2 533 Miss McLeod propose fn 1946 de confier à Frank Turner la direction d’un centre régional en métropole, etajoute “ Regional France is more important than Algeria ”. Miss McLeod à Johnstone, 19 décembre 1946. - BW 10//1, P.R.O. 532 186 Curiosité, intérêt : ces deux mots reviennent régulièrement dans les rapports pour qualifier l’attitude des Français rencontrés par les officers du Council. Leur travail ne consiste pas à imposer un rigide programme d’expansion culturelle mais plutôt à tenter de faire correspondre leur offre d’information à la demande de la population. Les réactions positives, enregistrées à l’égard des activités fonctionnelles qu’ils proposent, font conclure à l’existence en France d’un sentiment bienveillant diffus à l’égard de la Grande-Bretagne et de sa culture sans nul doute né du comportement britannique lors du conflit mondial. Il serait toutefois hasardeux de se prononcer sur son étendue en l’absence d’étude des initiatives culturelles franco-britanniques n’engageant pas le Council. Cette première période d’activité “ ralentie ” du Council s’avère donc très encourageante. Malgré les limitations financières et autres contretemps organisationnels, le Council a jeté les bases de son expansion future en établissant des contacts avec des professionnels et une partie de la population. Ces fondations doivent maintenant être consolidées voire élargies (le nord et la Bretagne ne bénéficient pas d’une couverture adéquate). Par ailleurs, l’action du Council comporte un volet éducatif. Dans le cas français, il est amené à composer avec un organisme qui dispose d’une légitimité antérieure et solidement établie dans ce domaine : l’Institut britannique. 187 CHAPITRE 9 L’INSERTION DE L’INSTITUT BRITANNIQUE DANS LA POLITIQUE CULTURELLE BRITANNIQUE : UNE LABORIEUSE INSOUMISSION AU BRITISH COUNCIL L’affirmation de la prééminence du British Council dans la conduite de la politique culturelle britannique en France ne se fait pas sans heurts. En effet, à la différence de pays où le Council a dû monter tout un maillage d’instituts et de relais pour y mener une action efficace, la France est déjà pourvue de structures dédiées à la promotion de la culture britannique. Dans ce dispositif d’ensemble, il convient de souligner la place particulière de l’Institut britannique de Paris. En effet, l’Institut britannique, créé en 1927 sur initiative franco-britannique et placé sous l’égide de l’université de Paris, bénéficie d’une antériorité d’implantation qui lui a permis d’acquérir une légitimité d’action dans le champ culturel, et particulièrement éducatif. Cette suprématie s’exerce alors sans réel partage (voir chapitre 2). Ce contexte semblait a priori peu favorable à la reconnaissance du British Council comme élément pivot de la promotion culturelle britannique en France après la guerre. Mais au cours de la guerre, un accord passé entre le Council et l’Institut jette les bases d’une coopération qui doit désormais être traduite dans les faits afin d’assurer une articulation des actions des deux organismes dans le domaine éducatif (voir chapitre 4). Cependant, la sujétion financière - et en conséquence potentiellement fonctionnelle- exercée par le Council sur l’Institut en vertu de cet accord, introduit toutefois d’emblée un noeud de crispation dans leurs relations. De fait, l’Institut est jugé dès les premiers mois de son activité particulièrement gourmand sur le plan financier. C’est pourquoi pour éviter d’être engagé dans une spirale incontrôlée de dépenses à couvrir, le British Council s’efforce d’étendre son contrôle sur un établissement récalcitrant. 188 1.- UNE SPIRALE DE DÉPENSES DE L’INSTITUT À LA CHARGE DU COUNCIL ? L’Institut britannique rouvre ses portes fin novembre 1944. Le British Council prévoit de lui allouer environ 10 000 £ pendant sa première année d’activité534.. Ce soutien financier massif et rapide a pour objet de tirer parti d’un contexte culturel globalement favorable à la diffusion d’informations sur la Grande-Bretagne après la réorganisation des activités des sections de l’Institut. Ainsi le Council doit s’efforcer de gérer ses fonds en fonction de deux données : son implication dans le domaine éducatif, qui subsiste et doit être coordonnée avec l’action de l’Institut d’une part, et les besoins financiers croissants de l’Institut d’autre part. 1.1 Le British Council et l’éducation : acquérir une légitimité complémentaire de celle de l’Institut Les étudiants constituent une cible privilégiée et relativement réceptive, mais étroite sachant qu’en 1950 moins du quart des dix/dix-sept ans étaient scolarisés et que les étudiants du supérieur étaient cent mille535. Si par rapport à l’avant-guerre, le British Council a accru son activité fonctionnelle, l’éducation reste un domaine dans lequel les efforts doivent être constants étant donné l’importance de l’anglais pour mieux comprendre la Grande-Bretagne. Mais dans l’immédiat, et dans le cadre du rétablissement des échanges universitaires interrompus pendant la guerre, le Council s’attache d’abord à contribuer à la réactualisation des connaissances. Ainsi, il participe à l’organisation de Quinzaines ou Semaines culturelles. Elles peuvent être franco-britanniques, telles la saison de Bordeaux (novembre 1945) ou la Quinzaine de Toulouse (premier trimestre 1946) ou d’Oran (février 1946), mais les plus importantes sont les Quinzaines anglo-américaines. Celles-ci sont d’abord destinées aux professeurs de langue, et celles de Paris se tiennent sous les auspices de l’Association des Professeurs de Langues Vivantes de l’Enseignement Public. Trois Quinzaines font l’objet de 534 535 Lane à Miss Parkinson, 3 octobre 1944. – BW 31/7, P.R.O. D. BORNE, Histoire de la société française depuis 1945, Paris, Colin, 1988, p. 153 et 156. 189 rapports détaillés : à Paris à Pâques 1945 et en juillet 1945, et à Strasbourg en avril 1946536. Pendant 15 jours se déroulent, en alternance et en nombre identique, des manifestations culturelles présentées par les Anglais et les Américains. Des groupes de discussions se forment. Le Council projette ses documentaires, expose des livres, offre des concerts de musique ou des récitals de chants. Il prépare également un programme de conférences prononcées par les officers venus de Paris ou par des personnalités britanniques. Les thèmes sont variés et se proposent de donner une image globale de la vie culturelle britannique contemporaine. Une liste représentative tant par les conférenciers que par les sujets abordés est celle de la Quinzaine de Strasbourg : Raymond Mortimer “ Aspects de la poésie contemporaine ”, Herbert Read “ L’éducation des enfants par l’art ”, Anthony Bertram “ La vie sociale d’un village anglais en temps de guerre ”, Robert Speaight “ Le théatre anglais aujourd’hui ”. Cependant la première Quinzaine ne comportait que des conférences et avait surtout pour but de faire connaître le Council (Austin Gill faisait un exposé sur ce sujet). Ce type de réunion remporte un certain succès. Deux cent cinquante professeurs sont présents lors de la première Quinzaine, cent cinquante professeurs et élèves lors de celle de Strasbourg. Miss McLeod considère ce dernier résultat comme très positif537. Et d’après Le Harivel, dans une atmosphère chaleureuse, les étudiants ont pu modifier leurs nombreuses idées préconçues sur l’Angleterre, et voir que là aussi existent de réelles difficultés. Ces Quinzaines s’avèrent d’autant plus utiles que les liaisons avec la GrandeBretagne sont encore perturbées et que la faiblesse du franc limite les possibilités de séjours de l’autre côté de la Manche. Par ailleurs, le Council dirige une partie de ses travaux vers les universités. Les besoins en livres et autres publications sont là encore les plus pressants538.. Le Council s’efforce d’y remédier en faisant don de livres et de périodiques pour permettre la mise à jour des bibliothèques. Par exemple des ouvrages portant sur la langue anglaise et l’histoire littéraire sont offerts à l’université de Caen. Il est de plus question de transmettre les livres donnés par les universités britanniques à celles qui en France ont beaucoup souffert du conflit, suivant l’exemple du lien établi entre Edimbourg et Caen. Ce geste, qui remplace une aide financière que le Foreign Office n’est pas en mesure d’apporter, prend également une 536 Voir le dossier BW 31/13, P.R.O. Comptes rendus détaillés des Quinzaines de Paris (Pâques 1945 et juillet 1945) et Strasbourg BW 31/10, P.R.O. 537 Miss McLeod à Howell, 30 mai 1946 - Ibid. 538 Voir la lettre d’Ifor Evans transmise à Coventry, 31 août 1945 - Ibid. - 190 signification politico-symbolique d’hommage au rôle des universités françaises dans la Résistance. Quant aux périodiques, ils sont distribués aux pays d’Europe libérée pour une valeur totale de 13 000 £. Sur cette somme, environ un cinquième (2 750 £) est destiné à la France, ce qui est la part la plus élevée (la Grèce suit avec 1 250 £)539. Le Council y diffuse en particulier ses publications. Deux sont présentées aux universités. British Life and Thought, la plus appréciée et la plus demandée, traite de thèmes généraux et contemporains, tels que le théâtre britannique ou le mouvement des coopératives en Grande-Bretagne. Britain Advances, plutôt destinée à de jeunes étudiants, est spécifiquement consacrée à l’étude des divers aspects de la vie britannique depuis la guerre. Autre mesure, les étudiants bénéficient d’un statut préférentiel pour emprunter les livres de la bibliothèque du Council. Et une note datée du 7 mars 1945 préconise la mise à disposition prioritaire de catalogues et d’ouvrages parus depuis 1939 dans les catégories suivantes : beaux-arts, sociologie, poésie, fiction classique et contemporaine540. En parallèle, le Council organise des conférences pour étudiants qui se tiennent dans les amphithéâtres. Les premières d’une série consacrée à la Grande-Bretagne depuis 1940 sont données par Ifor Evans à la Sorbonne (“ La littérature anglaise depuis 1939 ”) et à l’Institut d’Etudes Anglaises (“ La poésie anglaise contemporaine ”) les 13 et 15 février 1945541. Elles inaugurent également le programme de conférences destiné à la France. En province, l’Education Officer Hackett parle de “ l’Education en Angleterre aujourd’hui ” à Bordeaux, Toulouse et Montpellier fin février 1946 ; et de “ La poésie anglaise moderne ” à Toulouse le 26 février542. Enfin des documentaires sont prêtés aux universités qui en font la demande. Les étudiants semblent très désireux de découvrir la Grande-Bretagne, car le bureau de Paris enregistre de nombreuses demandes de cours de vacances et d’échanges universitaires. Le Council met en place diverses formules : camps de jeunesse, semaines ou week-ends dans des villes de province qui allient cours sur la Grande-Bretagne et dimension touristique. Il prête également une assistance fonctionnelle aux universités françaises désirant organiser des cours d’été. D’autre part une offre de bourses vise à favoriser les séjours d’étudiants en Grande-Bretagne, en les plaçant dans des universités en fonction de leur niveau d’études, en 539 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 13 novembre 1945 - BW 69/11, P.R.O. Note du 7 mars 1945 - BW 2/254, P.R.O. 541 Gill à Laugier, 8 février 1945 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 191, M.A.E. 542 Hackett, Progress Report janvier-mars 1946 - BW 31/13, P.R.O. 540 191 encourageant les visites d’une durée inférieure ou égale à un an pour mener des recherches. A cet égard, il est prévu dès la fin de la guerre une provision financière spéciale du Students Department pour l’allocation de bourses dans les territoires libérés. La répartition est faite par le Students Department, en liaison avec l’Education Division et l’European Division, et après consultation du Foreign Office. Et dès août 1945, Hackett signale l’octroi de quinze bourses (durée un an) à la France pour 1945/46. Ce financement, accordé à partir de la licence, couvre les frais de voyage, de subsistance, de scolarité543. Il est question dans un premier temps d’en proposer quinze nouvelles pour 1946/47 mais ce chiffre doit être réduit à douze puis neuf pour raisons budgétaires. Cent candidats se présentent. En outre, le Council transmet les offres venues d’universités britanniques et recueille les candidatures544. Ainsi Trinity College, à Cambridge, propose des bourses d’une durée d’une ou deux années universitaires à des étudiants de vingt à vingt-sept ans, d’un montant de 300 £ chacune (celles du Council sont de 350 £ environ par an). Trois candidatures sont retenues par le Council. Les échanges de correspondants ne requièrent pas d’intervention prolongée du Council. Au début, il fait essentiellement parvenir les demandes au bureau de la Correspondance Scolaire Internationale. Mais en 1946 il cesse d’être intermédiaire dans ce domaine. Les rapports témoignent d’une réelle attraction exercée par la GrandeBretagne sur les étudiants dont il est difficile de prendre la mesure exacte. Cependant Hackett signale un nombre toujours important de demandes d’informations sur les possibilités d’études en Angleterre auxquelles dans les premiers temps il est incapable de répondre complètement faute de disposer des renseignements nécessaires. Il faut enfin noter que l’action du Council est aussi orientée vers les écoles secondaires qui en expriment le souhait. Des publications du Council sont distribuées : Britain Advances, British Life and Thought, Britain Today545, surtout pendant l’année 1945, les envois gratuits de ces revues étant réduits en 1946. Des expositions de photographies sont organisées. Par exemple le Cultural Information Bulletin du 18 novembre 1946 mentionne une de ces expositions tenue au lycée Hélène Boucher de Vincennes du 8 au 13 novembre. D’autre part, le Council propose éventuellement des conférences, telle celle qu’Elsie Cathala 543 British Council : Finance and Agenda Committee, réunions du 11 septembre et du 13 novembre 1945 BW 69/11, P.R.O. 544 Hackett, Progress Reports, dossier BW 31/13, P.R.O. 545 Cent trente écoles reçoivent Britain Today (en version anglaise) pendant le ler septembre 1945. Par la suite il est disponible dans les kiosques, mais cent écoles en bénéficient toujours dans la 2e partie de l’année 1945 - Voir Hackett, Ibid. 192 donne sur les mouvements de jeunesse en Angleterre, à laquelle assistent cent quatre-vingts élèves du secondaire à Castres546. Enfin des films sont projetés, parfois dans le cadre de réunions de clubs de langue anglaise que des élèves ont pris l’initiative de créer ; ainsi celui d’Angers ; ou celui du lycée Henri IV fondé le 3 décembre 1946, dont la présidence d’honneur revient à André Siegfried et Anthony Bertram. Le Council cherche également à développer des activités éducatives destinées aux adultes, ce qui constitue “ pour notre action quasiment le seul moyen légitime d’accès aux masses ”547, selon l’expression de Sir Ronald Adam. Une initiative notable durant ces deux années concerne les employés de la SNCF à Paris. A partir de décembre 1944 et pendant un an, le Council finance entièrement leurs cours d’anglais, à raison de 20 000 F par mois. De décembre 1945 à juillet 1946 (au moins, en l’absence de rapports pour les mois ultérieurs) cette subvention est prolongée mais réduite à 5 000 F par mois, les employés supportant désormais une partie des frais. Une centaine d’entre eux, divisés en groupes de niveau, assistent à des cours de langue et de civilisation tenus dans les locaux de la SNCF. Outre la projection de films, le Council distribue également ses publications et transmet des demandes de correspondance à la Correspondance Scolaire Internationale548. Cette initiative bénéficie du climat de fraternité né des épreuves de la guerre, qui inspire à quelques employés de la SNCF le désir de reprendre dès que possible avec leurs homologues anglais des échanges, plus fructueux en perspective s’ils apprennent l’anglais. Ce choix est peut-être aussi en partie dicté par une volonté d’échanger à terme des informations sur les conditions de travail dans les deux pays et créer des liens à caractère plus politique. L’opération est un succès pour le Council. En effet, le nombre de participants a dépassé les prévisions, ce qui a exigé une réévaluation de la somme initialement allouée549. Le Council trouve là l’occasion d’établir de premiers contacts avec les petits employés et la classe ouvrière, - avant de collaborer avec l’association Tourisme et Travail -, catégorie jugée par Duff Cooper particulièrement perméable à l’influence soviétique. Enfin ces cours sont aussi un hommage rendu à l’activité résistante de la SNCF. 546 Cultural Information Bulletin, n° 43, 12 novembre 1946 - BW 31/32, P.R.O. British Council : Policy Committee, Paper D attaché à l’ordre du jour de la réunion du 14 janvier 1947 - BW 69/12, P.R.O. 548 Hackett, Progress Reports septembre-décembre 1945, janvier-mars 1946 - BW 31/13, P.R.O. 549 British Council : Finance and Agenda Committee, réunion du 13 mars 1945 - BW 69/10, P.R.O. 547 193 Par rapport au British Council, qui cherche à toucher l’ensemble du milieu éducatif par des actions spécifiques, l’Institut britannique est essentiellement positionné sur l’étroit segment de population universitaire, ce qui crée une certaine complémentarité. 1.2 L’Institut britannique et le milieu universitaire : des besoins financiers croissants pour un faible niveau de ressources propres En accord avec les décisions prises lors de la première réunion du comité Bessborough550 et les vœux exprimés par Eden, l’Institut britannique doit depuis la fin de la guerre poursuivre sa tâche sous les auspices du Council et en étroite coopération avec celui-ci. Pour cela, il dispose à l’origine de fonds émanant de trois sources privées. Les inscriptions aux cours composent la majeure partie de ses ressources financières. Ses fonds propres constitués par d’importantes donations (legs Esmond, legs Leverhulme) sont consacrés à l’octroi de bourses pour les étudiants. Enfin, les universités britanniques contribuent dans des proportions inégales à soutenir l’effort d’enseignement de la langue britannique réalisé par l’Institut. Pendant la guerre s’est ajoutée une subvention des autorités françaises libres. La participation du Council à l’alimentation de la trésorerie de l’Institut se fait par une délégation de crédits visant à permettre à l’Institut de mener à bien une action en matière éducative en lieu et place du Council. En acceptant cet argent public, l’Institut reconnaît la mission nationale dont il est investi. En contrepartie, il doit se soumettre au contrôle de l’autorité publique. En cette fin 1944, le British Council est le principal pourvoyeur de fonds de l’Institut, les ressources accordées par le gouvernement français ou les universités britanniques étant des plus réduites. Mais cette situation est perçue comme temporaire, et la forte implication financière du Council vise pour l’heure à positionner favorablement le seul organisme opérationnel dont dispose la Grande-Bretagne sur le sol français pour développer une action de propagande culturelle. Toutefois, il s’agit d’obtenir dans un avenir proche la réduction des contributions du British Council compensées par la part croissante de l’autofinancement (en particulier grâce aux inscriptions aux cours) pour alimenter la trésorerie de l’Institut. Au terme de l’année financière 1944/1945, les estimations de subvention de l’Institut pour les années à venir sont donc établies selon une décroissance régulière. Rédigées 550 Franco-British Cultural Relations Committee, réunion du 30 mars 1944 - BW 31/12, P.R.O. 194 pour un usage interne, elles confirment le souhait de réduction à moyen terme de l’engagement financier du Council, et indiquent l’étendue maximale des efforts que le Council est prêt à faire pour soutenir les activités de l’Institut. Pour 1946/1947, les subsides peuvent atteindre au plus 6 000 £, puis 4 000 £ en 1947/1948, et 2 000 £ en 1948/1949. Ce chiffre de 2 000 £ doit correspondre à la stabilisation de la participation du Council, donc à un large auto-financement de l’Institut551. Les subventions octroyées par le Council à l’Institut prennent pour base l’année financière du Council (fin mars - début avril), qui diffère de celle de l’Institut (année civile). Il semble que le budget total alloué à l’Institut ne lui soit pas communiqué, mais que le Council se contente de répondre aux demandes régulières qui lui parviennent, donc de distribuer le budget par à-coups552. Cette formule marque une mise en tutelle financière de l’Institut justifiée par le caractère public de l’argent qui lui est confié. Elle représente un mode de contrôle relativement fruste puisque les dépenses ne peuvent de ce fait dépasser la somme transmise, et que chaque demande s’accompagne d’une explication minimale sur l’utilisation qui en sera faite. Cependant, ce procédé apparaît humiliant pour un Institut statutairement autonome. D’autre part, il offre une certaine lourdeur d’exécution qui entrave le développement de l’Institut. En effet, le transfert des sommes vers Paris passe par le secrétariat du Comité exécutif de Londres. L’urgence du besoin nécessite parfois une demande d’avance auprès du représentant du Council à Paris. Lane remarque fin avril 1945 que le Council a la possibilité d’exercer un veto financier dans le cadre du Comité exécutif londonien si une dépense lui semble ne pas devoir être couverte par des fonds publics553. Cette mesure n’est pas évoquée auparavant, mais conditionne vraisemblablement, au moins en partie, la participation du Council au financement de l’Institut. Concrètement, 1 246 £ sont allouées à l’organisme parisien pour 1944/1945554, 10 000 £ pour 1945/1946555, et les 3 000 £ prévues pour 1946/1947 sont réévaluées à mi-parcours à 5 000 £556. Si un désengagement financier progressif du Council 551 Miss Lyons à Gill, 22 juin 1945. - BW 31/8, P.R.O. Howell à Miss McLeod, 30 avril 1946. - Ibid. Howell suggère pour 1946/1947 qu’il soit mis fin à ce mode de subvention saccadé. 553 Wickham à Finance Officer, 30 avril 1945 ; commentaire de Lane. - Ibid. 554 Lane à Miss Harris, 2 mars 1945. - BW 31/7, P.R.O. 555 Miss Lyons à Gill, 22 juin 1945. - BW 31/8, P.R.O. 556 Miss Harris à Deputy Secretary General [Seymour], 21 septembre 1946. - BW 31/9, P.R.O. 552 195 apparaît comme un objectif réaliste, son application pratique se heurte à court terme à l’accroissement régulier des besoins de financement de l’Institut qui se conjugue avec le faible niveau de ses ressources propres. Bien que les locaux de l’Institut aient été préservés pendant la guerre, la reprise d’activités normales occasionne des dépenses fonctionnelles et organisationnelles qui expliquent les fréquentes demandes d’argent émanant du directeur Sellon. Les activités proposées par l’Institut au cours des années 1944-1946 marquent une montée en puissance qui démontre et renforce ipso facto l’importance de cet organisme dans la promotion de la culture britannique. Trois directions d’actions sont en effet privilégiées par l’Institut : la reprise des cours, l’octroi de bourses pour se rendre en Grande-Bretagne, et l’actualisation de la bibliothèque557. L’organisation des cours hérite d’une situation duale, provisoirement maintenue dans l’attente d’un rétablissement des conditions financières et de transport normales entre les deux pays. Ainsi, les cours de français ont essentiellement lieu en GrandeBretagne. En 1945 des cours sont toutefois proposés aux soldats britanniques stationnés à Paris, mais cette clientèle particulière et circonstancielle ne comble pas l’absence d’étudiants britanniques dans la capitale. En revanche, la section anglaise connaît un essor mesurable par les chiffres d’inscription. Le tableau d’effectifs ci-dessous558 en témoigne, tout en marquant le décalage croissant entre les deux sections. ANNEES Section française Section anglaise TOTAL 1944/1945 0 350 350 1945/1946 153 600 753 1946/1947 250 1 300 1 550 Des bourses allouées à de jeunes Britanniques désireux de poursuivre leurs études de français sont issues principalement des fonds Leverhulme et Esmond, réservés originellement à cet usage. S’y ajoutent des versements effectués par le gouvernement français (500 £ en 1944, 300 £ en 1945). Alors que ces bourses prenaient en charge tout ou 557 Les rapports (Report by the Director on the work of the Institute during 19..) pour les années 1944 1945 et 1946 sont boîte 4, Archives du B.I.P. 558 Tableau attaché au rapport du directeur du Conseil d’administration, 20 juin 1949. - Boîte 2, dossier 1, Archives du B.I.P. 196 partie des frais d’inscription aux cours organisés par l’Institut en Grande-Bretagne, dès 1946, elles doivent permettre à leurs bénéficiaires de se rendre à Paris (quatre cette année-là). Enfin, est mené à la bibliothèque un travail de mise à jour des collections. Afin d’offrir des informations récentes sur la Grande-Bretagne, l’Institut obtient des dons de journaux de la part du ministère de l’Information (M.O.I.), de périodiques et d’ouvrages de la part du British Council. Des dons privés sont également reçus. Les signes d’un accroissement d’activité sont particulièrement visibles lorsque l’on considère les relations de l’Institut avec la province, dont il était coupé pendant la guerre. Les cours par correspondance connaissent un nouvel essor. Environ cinq cents étudiants, principalement provinciaux, y sont inscrits en 1946. L’Institut contribue également à organiser des cours de civilisation britannique dans les universités de province qui en font la demande. Ainsi à Lille en juillet 1945, ou à Toulouse à Pâques 1946. Mais malgré ces multiples activités, les ressources financières engrangées par l’Institut s’avèrent, de son point de vue, insuffisantes pour maintenir ce rythme de développement. Lorsqu’il évoque la situation financière de l’organisme dont il a la charge559, Sellon attribue l’essentiel du déficit à la faiblesse de la section française, dont les étudiants paient par ailleurs les droits en Grande-Bretagne lorsque la section s’y trouve encore. S’ajoutent à ce résultat d’activités, grevé par le manque à gagner, des difficultés liées au contexte économique de l’époque. Les salaires du personnel sont versés en livres (à montant constant quel que soit le change) pour les Britanniques et en francs pour les Français. Or l’inflation sévissant en France influe lourdement sur les charges salariales. La livre équivalente à 176 F en 1939 atteint 480 F en 1946. De plus, le coût de la vie étant en augmentation en raison de la pénurie, les salaires britanniques sont largement désavantagés. Et l’Institut ne peut compter que sur une aide limitée du Council qui doit faire face à des charges importantes pour son bureau parisien et s’efforce de réduire la part financière (par opposition à l’aide fonctionnelle) allouée à l’Institut. En effet, dans ce contexte, l’Institut n’a pas d’autre solution que d’appuyer son développement sur les ressources octroyées par le British Council, seul à même de l’alimenter en liquidités pour poursuivre ses activités. Les budgets de l’Institut pour les années 1944-1946 se situent dans le cadre fixé par le Council (voir les prévisions supra). Aussi peut-on éprouver quelque surprise en parcourant les dossiers du British Council et en 559 Memorandum de Sellon, 20 juin 1946. - Boîte 4, Archives du B.I.P. 197 observant les récriminations perpétuelles contre les dépenses “ inconsidérées ” effectuées par l’Institut, et la nécessité urgente de mettre fin à ce qui semble être considéré comme un gaspillage de deniers publics. En la matière, l’agacement du British Council s’exprime fort tôt. Dès janvier 1945, informé d’une demande d’accès de Sellon à la bibliothèque du Council en attendant que celle de l’Institut soit réactualisée, Wickham estime qu’il devient urgent d’établir dans le détail la nature des liens entre l’Institut et le Council, “ sinon le Council va simplement devenir une vache à lait ”560 pour l’Institut. Aussi le Council s’efforce–t-il d’étendre son autorité sur l’Institut, par le biais d’une coopération renforcée dont les modalités seraient précisément énoncées dans un nouvel accord plus favorable à l’exercice de son contrôle que le texte de 1943. La réalisation de cet objectif suscite une longue réflexion et l’examen de diverses solutions applicables et susceptibles d’être acceptées par les organes de gestion de l’Institut. Il s’agit en effet de briser les résistances de Sellon tout en respectant l’indépendance de l’Institut. Mais la marge de manœuvre dont dispose le Council est étroite : l’obligation de ne pas “ phagocyter ” un organisme indépendant écarte d’emblée des solutions radicales. Cette situation est du point de vue du Council particulièrement difficile à gérer parce que face aux manifestations d’indépendance de l’Institut, et dans les limites d’action qui lui sont fixées, il ne parvient à imposer ni des mécanismes de régulation financière efficaces, ni l’autorité dont il a été investi. 2.- L’ÉCHEC DES TENTATIVES DE CONTRÔLE FINANCIER ET INSTITUTIONNEL DE L’INSTITUT Le Council tente d’établir un contrôle sur l’Institut selon deux méthodes successives. Chaque terme d’année financière donne lieu à un bilan suscitant la recherche d’une solution plus efficace. En 1944-1945, le Council préconise l’instauration d’une coordination des activités de l’Institut avec les siennes. Devant les difficultés de mise en place de cette procédure, il tente d’imposer un contrôle à la fois institutionnel et financier en redéfinissant plus strictement ses rapports avec l’Institut. Mais la mise en œuvre de cette solution n’apporte aucune amélioration dans la gestion des relations Council-Institut, et dès 1946-1947 le Council entreprend d’explorer la voie du soutien ciblé. 560 Lane à Deputy Secretary General [Seymour], 5 janvier 1945 ; note Wickham. – BW 31/7, P.R.O. 198 2.1. Les impasses de la coopération British Council / Institut britannique : vers un contrôle plus ferme de l’Institut Rares sont les documents d’archives du British Council faisant état de faits précis manifestant l’esprit d’indépendance affiché par Sellon. Les signes d’impatience dont le British Council fait montre sont les principaux indicateurs dont nous disposons pour rendre compte de la tension caractérisant les rapports du directeur de l’Institut avec son nouvel organisme “ tutélaire ”. Le premier épisode aigre entre Sellon et le Council dont nous ayons trace concerne les conditions de réouverture de l’Institut. Alors qu’Austin Gill considère essentielle la présence de Sellon à Paris dès que possible pour surveiller la remise en activité rapide de l’Institut et ainsi tirer profit de l’atmosphère anglophile régnant dans la capitale, Sellon choisit de privilégier la supervision de cours organisés en Grande-Bretagne, et nomme en intérim Lucienne Francke, qui dirige originellement la section de français. Ces décisions, entérinées par le Comité exécutif, contreviennent à l’accord de 1943, dans le sens où Sellon a ignoré la stratégie d’ensemble élaborée par le Council pour organiser l’implantation des services de promotion culturelle britannique à Paris. En effet, le Council avait en premier lieu exprimé un ordre de priorités (Paris) qui n’a pas été respecté par Sellon, et d’autre part l’organisation de la coopération entre les institutions, en un moment d’installation jugé si crucial, ne comprenait aucune participation française561. Ce premier incident augure mal de la coopération prévue entre le Council et l’Institut, d’autant plus qu’Austin Gill n’éprouve pas une grande considération pour les compétences scientifiques de Sellon562. Cet aveu sous-entend que Sellon ne possède pas l’envergure estimée nécessaire pour occuper la fonction qui est la sienne en France. Ainsi apparaît le manque de sympathie entre les deux hommes. 561 Gill à Seymour, 25 novembre 1944. – Ibid. La nomination de Madame Francke au poste de directeur par intérim prend également le contrepied de l’un des objectifs de Gill, qui de “ remettre les Français à leur place avec tact et douceur ” (“ [They] have now to be coaxed back tactfully into their own place ”), maintenant que la guerre est finie. 562 Gill à Blake, 28 juin 1944. – Ibid. D’après son curriculum vitae, avant sa nomination à la tête de l’Institut, Sellon n’a pas occupé de poste particulièrement prestigieux : à la suite d’études à Oxford (M.A. en 1934), il est maître de conférences assistant puis assistant en histoire moderne à l’université de Saint Andrews, puis à partir de 1925 maître de conférence en histoire moderne et relations internationales à la Délégation extra-murale de l’université d’Oxford, et organisateur de cours de vacances. - Boîte 2, dossier 1, Archives du B.I.P. 199 Ce témoignage d’indépendance convainc le Council de faire valoir rapidement le caractère réciproque de l’accord passé : si l’Institut veut recevoir une aide, il doit accepter le contrôle qui en conditionne l’attribution. Et dans le sillage de ce premier incident, Wickham pressent des difficultés futures pour maintenir les aides financières à un niveau estimé raisonnable563 et pour la mise en place d’une procédure de contrôle financier efficace. Cependant, le Council recherche pendant sa première année d’activité à Paris à établir une simple coordination avec l’Institut. Du point de vue du Council (et de celui de Lane en particulier), la résolution des divergences de vues entre Gill et Sellon et le contrôle régulier des actions de l’Institut passent par l’existence formelle d’un comité de coordination des initiatives présidé par Gill et comprenant au moins un autre membre du bureau parisien du Council564. L’échec de la mise en œuvre de cette instance conduit à explorer une autre solution : l’imposition d’un contrôle. En effet, si les divergences entre les deux institutions ne peuvent se résoudre par la concertation, le Council doit dès lors acquérir une influence croissante dans les décisions de l’Institut pour imposer ses vues, mais toujours en procédant avec précaution pour respecter l’autonomie de l’Institut. Il cherche donc à établir des mécanismes de contrôle tant sur les plans institutionnel que financier. Le Council s’efforce d’obtenir le renforcement de sa présence au Comité exécutif de l’Institut et procède à une redéfinition des relations entre les deux organismes parisiens qui tend à accentuer considérablement l’exercice d’un contrôle direct du Council sur l’Institut. En effet, c’est devant le Comité que, en vertu de l’accord de 1943, le directeur de l’Institut est responsable. Lane mise résolument sur la primauté à long terme du Comité exécutif en matière d’administration de l’Institut, et considère le Conseil d’administration comme un organisme fantôme. Le Comité étant par ailleurs décrit comme relativement docile à l’égard des volontés du Council565, la correspondante de Gill à Londres Enid McLeod rejoint Kenneth Johnstone et Lane au Comité exécutif. Toutefois, cet 563 Il se déclare “ horrifié de découvrir les estimations budgétaires de M. Sellon pour 1945/46. [...]. [Elles] représentent plus du double de la somme inscrite dans notre budget prévisionnel. ” Wickham à Seymour, 17 février 1945. – Ibid 564 Miss Lyons à Gill, 7 mars 1945. – Ibid. 565 Wickham à Finance Officer [Davies], 30 avril 1945 ; commentaire de Lane du 2 mai. – BW 31/8, P.R.O. 200 accroissement de représentation ne se produit pas avant janvier 1946566, soit six mois après que Lane a transmis cette demande au secrétaire du Comité exécutif Sir Henry Pelham567. Six mois est un délai important qui fait s’interroger sur la nature de la subordination du Comité au Council. Si cette remarque peut être rapprochée du soutien accordé aux décisions de Sellon lors de la réouverture de l’Institut, on peut alors en conclure que le peu d’empressement mis par le Comité à accéder aux demandes du Council témoigne de sa réticence à être dépendant du Council, et a fortiori à entériner un renforcement de cette sujétion. Par ailleurs, le Council soumet à l’approbation de l’organe britannique une liste de principes devant à l’avenir régir les relations entre le représentant du Council à Paris et le directeur de l’Institut. Cette liste, produite pendant l’année 1945 (sans autre précision, vraisemblablement vers juin ou juillet), propose une extension de fait de la responsabilité du directeur devant le Council en lui faisant obligation de consulter le représentant avant de prendre toute initiative qui ne relève pas du management interne de l’Institut. Ainsi, le représentant doit avoir connaissance de toute suggestion du directeur, avant que celui-ci ne la transmette soit directement, soit indirectement par le biais du Comité exécutif, au Council à Londres. Il a libre accès à l’Institut. En cas de conflit, il peut demander à ce que sa résolution fasse l’objet d’une négociation entre le Comité exécutif et le Council. Enfin, les consultations entre le représentant et le directeur doivent être régulières sur toutes les questions concernant le travail de l’Institut susceptibles d’affecter les orientations déterminées par le Council ; en particulier, dans le cas où le directeur souhaite ponctuellement sortir de son domaine géographique (Paris) ou thématique (éducation) d’action568.. Les termes de ce document sont particulièrement durs, et astreignent le directeur de l’Institut à une autonomie des plus réduites. Aucune lettre des archives du Council ne fait état des réactions du Comité exécutif. Aucune autre version ne se trouve dans les archives, pour faire penser qu’un remaniement aurait pu être effectué sur le texte originel. Une courte correspondance de Seymour avec le Foreign Office indique qu’un soutien officiel (le soutien officieux existe) serait apprécié pour faire accepter ces conditions, ce qui montre que le Council est conscient de la sévérité des propositions, et ne s’en remet pas à la “ docilité ” supposée du Comité 566 Johnstone remplace Ifor Evans. Seymour à Pelham, 23 janvier 1946. - Ibid. 567 Lane à Pelham, 27 juin 1945. - Ibid. 568 Draft formula governing the relation of the Council’s representative in Paris and the director of the British Institute (s.l.n.d.) [1945] - Ibid. 201 exécutif. A-t-il finalement été adopté par le Comité exécutif ? Ce n’est attesté par aucun écrit trouvé dans le dossier du Council. Cependant, on peut penser que le Council possède des moyens de pression suffisamment étendus pour faire accepter son document, à partir du moment où il a pu faire accepter un accroissement de sa tutelle. L’achèvement de l’année financière 1945/1946 correspond également à une tentative de remise en ordre des relations financières entre le Council et l’Institut par la mise en place de mécanismes de contrôle dans ce domaine. Ces mesures apparaissent justifiées dans certains milieux du Council. Wickham en particulier porte un jugement très acerbe sur l’Institut, estimant que l’argent confié à cet organisme ne profite d’aucune manière au Council ; qu’il s’agit en quelque sorte de fonds perdus en matière de prestige culturel. Il reçoit l’appui objectif de la Finance Division, qui cherche à limiter au plus juste le montant de la subvention réservée à l’Institut, et accorde 10 000 £ pour l’année 1945/1946569 au lieu des 11 000 £ demandées par Lane. Cette demande paraissait-elle trop généreuse aux yeux de la Finance Division ? Elle est dans l’esprit de ses défenseurs justifiée par la prévisible faiblesse des inscriptions aux cours570, dans un contexte où la pénurie et l’inflation sont très vifs et l’apprentissage de l’anglais pas considéré comme un poste de dépenses prioritaire. Par ailleurs, les rapports font état de besoins conditionnant un bon fonctionnement de l’Institut : réactualisation de la bibliothèque, paiement de salaires en augmentation, frais de chauffage. Les règles d’octroi dont est assortie la décision de l’organe financier du Council marquent une grande prudence liée à l’attente de la preuve que cet argent est bien placé. Aussi les mécanismes de contrôle sont-ils indispensables dans cette perspective. Il est ainsi prévu que le paiement soit échelonné par trimestre. A l’issue de chacun de ces termes, un compte-rendu des dépenses effectuées doit être remis au Council. Des montants maximum sont d’autre part fixés pour chaque poste de dépense. Enfin, le comptable du bureau parisien du Council est habilité à avoir libre accès aux livres de comptes de l’Institut571. Ces conditions sont acceptées par le Comité exécutif le 21 juillet 1945572.. 569 Miss Lyons à Gill, 22 juin 1945. - BW 31/8, P.R.O. British Council : Heads of Divisions Meeting, Agenda, 30 mai 1945. - Ibid. De fait, le rapport du directeur par interim Guy Hamilton pour la période juin - décembre 1945 fait état de sept cent quatre vingt un élèves en novembre, dont 45 % inscrits à des cours par correspondance. La totalité de ces étudiants sont français. Hamilton, Report on the activities of the British Institute, june to december 1945, 26 décembre 1945. Ibid. 571 Lane à Pelham, 27 juin 1945. - Ibid. 572 Lane à Bryan, 10 septembre 1945, Note on the Council’s relations with the British Institute in Paris attachée. - Ibid. 570 202 Cependant, ces principes ne sont pas appliqués dans leur plénitude. Ou tout au moins ne produisent-ils pas l’effet final escompté - l’assainissement des finances de l’Institut. Un mois à peine après son entrée en fonctions à la tête du bureau parisien du Council, David Howell réclame un meilleur contrôle pour réduire les dépenses effectuées par Sellon573. Par la suite, lors d’une conversation privée entre les deux hommes, alors que Sellon réaffirme la nécessité de l’indépendance clairement marquée de l’Institut, à l’encontre de l’influence acquise par le Council sur sa gestion fonctionnelle, Howell reconnaît l’inefficacité des règles de conduite édictées un an auparavant574. Par ailleurs, l’application des mesures imposées par souci de contrôle financier entrave le développement de l’Institut. Cette situation est due à sa réticence à communiquer l’état de ses comptes pour l’année écoulée. Dans l’attente d’une justification des dépenses effectuées, la Finance Division refuse de donner davantage que le montant minimal prévu. Mais pour assurer la continuité de son fonctionnement, l’Institut réitère des demandes régulières d’avances auprès de David Howell qui ne se sent pas fondé à les refuser575. Ainsi l’Institut met-il le Council en porte à faux avec ses propres principes. Il n’est pas dans l’intérêt du Council de retirer son soutien financier à un organisme qui par ses atouts est une pièce maîtresse de la politique de promotion culturelle britannique, aussi les mesures de rétorsion à l’endroit d’un Institut insubordonné sont-elles limitées. Ceci explique l’embarras du Council. Aussi est-il décidé un apurement des comptes, qui doit clore une période de croissance budgétaire incontrôlée et recadrer selon des règles plus rigoureuses les relations financières entre le Council et l’Institut. Le 6 mai 1946, la procédure financière est acceptée par les parties576. Le principe d’un rapport trimestriel sur les sommes dépensées est réaffirmé, et les demandes d’avances doivent être transmises à Londres en tenant compte d’un délai d’un mois pour recevoir les fonds, sachant que le Council se réserve la possibilité de refuser de payer une somme qui n’est pas considérée comme devant être acquittée par de l’argent public577. Cependant, l’autonomie fonctionnelle de l’Institut reste entière, et ces mesures n’offrent du point de vue de David Howell qu’une garantie limitée contre un nouveau dérapage budgétaire de l’Institut. Aussi en accompagnement, Howell mène de concert avec 573 Howell à Miss McLeod, 23 avril 1946. - Ibid. Montagu-Pollock à Miss McLeod, 22 juin 1946. - Ibid. 575 Howell à Miss McLeod, 23 avril 1946. - Ibid. 576 Symonds à Howell, 7 mai 1946. - Ibid. 577 Miss Harris à Miss McLeod, 13 mai 1946. - Ibid. 574 203 l’ambassade une réflexion sur les actions envisageables pour réduire les sommes allouées. Cette initiative fait des émules au Council outre-Manche, et finit par aboutir au principe de soutien d’une action ciblée en fonction des intérêts du Council en France. 2.2 Vers un soutien ciblé En premier lieu sont évoquées des solutions radicales : la mise au pas de l’Institut par son rattachement direct au Council. Cette proposition d’Howell cautionnée par l’ambassade suggère une prise en charge financière totale de l’Institut par le Council. Pour permettre un contrôle rigoureux sur les dépenses de l’institution, l’administration de l’Institut passerait sous la houlette du bureau parisien du Council, le directeur n’étant plus responsable de sa gestion que devant le représentant. Ses activités, géographiquement limitées à Paris, seraient à la fois éducatives et informatives sur la société britannique contemporaine. La collaboration fonctionnelle avec le Council serait tenue dans le cadre strict d’une co-organisation de conférences publiques. Ce modèle de sujétion décrit les relations établies entre les bureaux du Council et les Instituts britanniques dans tous les pays où ces deux organismes co-existent578. Cependant, une caractéristique majeure de la situation française rend ce schéma inopérant : l’antériorité d’existence de l’Institut de Paris par rapport à l’installation du Council en France. Le fait même que cette solution impossible à mettre en œuvre soit prise en compte et étudiée par le Foreign Office579 montre l’étendue du désarroi du Council devant la résistance de l’Institut et son impuissance à exercer un contrôle efficace. Néanmoins, cette proposition ouvre la voie à une réflexion de fond sur l’articulation des activités entre le Council et l’Institut ; réflexion qui n’avait jamais eu lieu tant qu’une approche globale du soutien de l’Institut avait été tacitement privilégiée. L’échec de l’établissement d’un modus vivendi global est en 1946 suffisamment patent pour susciter une appréhension plus nuancée des activités de l’Institut. La complémentarité des actions des deux organismes en matière éducative nécessite leur coordination pour conserver une couverture aussi étendue que possible de ce champ d’action sans redondance. En effet, l’Institut propose des cours de français pour étudiants britanniques et des cours d’anglais de niveau élémentaire pour les Français, 578 Howell à Miss McLeod, 30 avril 1946. - Ibid. Montagu-Pollock à Miss McLeod, 22 juin 1946 ; Dépêche Foreign Office s.l.n.d. [rédigée par l’ambassade du Royaume-Uni en France] attachée. - Ibid. 579 204 créneaux sur lesquels il est la seule institution britannique à s’être positionnée. Aussi, le Council propose-t-il de traduire cette complémentarité dans l’organisation de l’Institut. De plus il opère une dissociation des activités éducatives de l’Institut selon qu’elles sont ou non couvertes par les missions du Council. En conséquence, est suggérée la nomination de deux vice-directeurs chargés de chacun de ces deux aspects. Pour superviser le domaine qui le concerne, le Council pourrait ainsi nommer un Education Officer qui appliquerait sa politique et n’aurait de responsabilité que devant lui580. Se greffent sur ces discussions de partage des compétences la question de la qualification des personnels. En effet, les professeurs confirmés dans leurs fonctions sont réputés peu au fait de l’évolution de l’actualité universitaire britannique, ayant perdu tout contact avec celle-ci durant les années de guerre. Cette vision critique portée sur la qualité des professeurs de l’Institut est présente dans la note élaborée par Howell en concertation avec l’ambassade du Royaume-Uni à Paris. Elle n’est pas nouvelle mais ressort avec d’autant plus d’insistance que le nouveau type de relation entre l’Institut et le Council, décrit par Johnstone et approuvé dans son principe par Sir Henry Pelham, suppose une refondation des bases de la collaboration entre les deux institutions. Et par voie de conséquence, la gestion peu coopérative des relations avec le Council adoptée jusqu’alors par Hugh Sellon cristallise de façon croissante les échecs des tentatives de collaboration antérieures. Aussi lorsque Miss Harris demande confirmation de la réélection de Sellon à son poste pour les trois ans à venir, Montagu-Pollock enjoint au Council de ne pas accéder à cette demande dans l’immédiat en attendant que l’audit de gestion de l’Institut commandé ait été réalisé581. Entretemps, la question financière n’est toujours pas réglée et s’affirme comme un point de friction entre l’Institut et le Council. En effet, sans tenir compte du contexte économique et financier difficile dans lequel opère l’Institut, et particulièrement des conséquences de la dévaluation du franc de décembre 1945, la Finance Division procède à un réexamen de la subvention allouée à l’Institut, et l’établit à 3 000 £ (pour 1946/1947) au lieu des 6 000 £ envisagées. Il semblerait que l’initiative de la Finance Division ait pris le contrepied des recommandations de Miss McLeod et de Randall Lane582. Le Council octroie finalement 5 000 £583, mais cet épisode démontre l’urgence de parvenir à un arrangement entre les parties. Il apparaît clairement que la Finance Division exprime par sa décision 580 Note Johnstone, 23 août 1946. - BW 31/9, P.R.O. Montagu-Pollock à Miss McLeod, 3 juillet 1946. - BW 31/8, P.R.O. 582 Miss McLeod à Johnstone, 11 juillet 1946. - Ibid. 583 Seymour à Miss Harris, 6 août 1946. - BW 31/9, P.R.O. 581 205 initiale des doutes sur les capacités de l’Institut à gérer cet argent avec rigueur, et l’assurance de pouvoir exercer un contrôle enfin efficace sur l’Institut permettrait peut-être de l’amener à des sentiments moins défavorables à son égard. L’acuité des questions financière et institutionnelle nécessite ainsi une discussion approfondie devant aboutir à une refondation des relations entre le Council et l’Institut. Aussi, le Council opte-t-il finalement pour l’introduction du Conseil d’aministration dans les discussions, pour parvenir à une solution négociée acceptable pour tous et réalisable dans les faits. * Alors qu’en cette fin d’année 1946, l’échec de la prise de contrôle du British Council sur l’Institut britannique est patent, les relations entre les deux organismes connaissent une phase de crise ouverte, cristallisée autour de la gestion de Hugh Sellon et son attitude farouchement indépendante vis-à-vis du Council. Si la consultation du Conseil d’administration de l’Institut apparaît à ce stade comme la seule solution pour tenter de dénouer la crise, plusieurs inconnues demeurent. Faire participer le Conseil d’administration aux discussions équivaut un peu à ouvrir une boîte de Pandore, dans le sens où le British Council ne sait quelles seront les réactions d’un organisme sciemment tenu à l’écart des évolutions d’une institution dont il conserve théoriquement toujours la tutelle. De fait, l’Institut intégré dans une stratégie diplomatique culturelle par les Britanniques a finalement connu une réorientation de ses objectifs à laquelle le Conseil d’administration n’a pas été invité à prendre part. Il est devenu ainsi, ipso facto, un enjeu d’influence entre les Français et les Britanniques, avec la nécessité pour le Council de composer au maximum pour ne pas mettre en péril ses relations avec le monde universitaire parisien, si crucial dans sa stratégie de développement. C’est sur un plan différent que se situe la B.B.C. Associée mais non intégrée aux plans de promotion culturelle dont la coordination et la mise en œuvre ont été confiées au British Council, elle entreprend de réaliser une contribution fondée sur le prestige dont elle jouit en France après la guerre. 206 CHAPITRE 10 LA B.B.C. : AFFIRMER UNE AUTONOMIE D’ACTION POUR ASSEOIR L’INFLUENCE BRITANNIQUE EN FRANCE De retour d’un voyage à Paris, un journaliste de la B.B.C., William Pickles, déclare en novembre 1944 : “ Le prestige de la B.B.C. en Europe n’est dépassé que par ceux de l’Armée Rouge et de la RAF ”584. Cette popularité dont jouit la station de radio britannique est très réelle en France. S’imposant graduellement comme le contrepoids de la propagande menée sur les ondes françaises par Vichy, elle a apporté un soutien moral important à ses auditeurs en les sortant de l’isolement étouffant dans lequel les avait plongés l’Occupation. Les ondes de la B.B.C., porteuses de l’espoir qui était mis en la puissance alliée, furent aussi le lien ténu existant entre la métropole et les Français libres installés à Londres, transmettant, outre l’émission Les Français parlent aux Français, les messages à la nation du Général de Gaulle, puis ceux destinés aux groupes de Résistance. Le débarquement sur les plages normandes le 6 juin 1944 est le signal de l’entrée dans une nouvelle phase de la guerre. Et la reconquête militaire du sol européen doit s’accompagner d’une conquête culturelle. Dépendante à cette date du ministère de l’Information, la B.B.C. n’est pas moins que le British Council concernée par cet objectif que lui assigne le gouvernement de Sa Majesté. Elle occupe même une place éminente dans ces plans en raison de son prestige sur le Continent (le Council y était quasi-inconnu des populations). Désormais les Anglais vont parler aux Français, afin de contribuer à l’extension de l’influence de la Grande-Bretagne en Europe, en utilisant leur réputation d’objectivité et de sérieux en matière d’information. Mais tout en étant associée à la stratégie 584 William Pickles à C.Eur.S., 23 novembre 1944 - E2/22/3A, WAC. 207 globale de promotion culturelle définie en 1943, la B.B.C. affirme de prime abord sa complète indépendance pour y apporter son concours. 1. - CONTRIBUER À L’INSTAURATION D’UNE INFLUENCE “ MORALE ET POLITIQUE ”585 DE LA GRANDE-BRETAGNE SUR L’EUROPE La défaite de la France a terni son image en Europe. L’occupation du pays par l’ennemi et la politique de collaboration pratiquée par le gouvernement de Vichy annihilent la crédibilité politique et morale qu’elle possédait encore dans l’entre-deux-guerres. Si la Grande-Bretagne souhaite reconquérir sa prééminence en Europe, de telles circonstances sont exceptionnellement favorables. Telle est l’essence des réflexions auxquelles se livre l’état-major de la B.B.C. en 1943, essayant d’envisager le rôle futur de la station de radio britannique lorsque la paix sera revenue. Cette orientation politique constitue le reflet de l’ambivalence de la station de radio, à la fois dotée d’une mission politique (exprimer la position britannique sur l’évolution des affaires mondiales) et culturelle (projeter une image complète de la culture britannique). Elle ne peut donc être occultée lors d’une mise en lumière des activités de la B.B.C. après la guerre, mais lui est spécifique, les autres organismes ayant vocation à faire connaître la culture britannique à l’étranger en revendiquant une marge de manœuvre à l’écart des considérations politiques. La définition même par le Foreign Office de priorités en termes d’émission de programmes entrave la mise en œuvre des actions nécessaires à l’instauration de cette domination britannique de l’Europe par les ondes, tout en soumettant la B.B.C. à ses impératifs politiques. 1.1 Vers une pax britannica en Europe ? Alors que sur le plan culturel, les échanges réalisés avec le British Council sous l’égide du comité Bessborough en 1944 ont clairement validé le postulat d’une indispensable coordination des activités (voir chapitre 4), la B.B.C. définit ses orientations politiques toujours difficilement séparables de la sphère culturelle et affirmées comme telles. 585 “ Political and moral leadership ”. A.D.Eur.B. à C.Eur.S. sans date. – R34/573/1A, WAC. 208 Une note rédigée en 1943 (sans autre précision) souligne l’ampleur de la marge de manœuvre dont disposerait la Grande-Bretagne : La France ne regagnera probablement pas sa position d’influence avant longtemps. Ainsi le continent recherchera non seulement une direction politique et morale mais aussi une direction dans les arts, ce qui signifie en fin de compte dans le mode de vie. Cette direction sera d’abord recherchée à Moscou ou Londres et je voudrais faire remarquer que cette situation offre à la B.B.C. une occasion unique [...]. Le prestige de la GrandeBretagne après la guerre sera plus haut qu’il n’a jamais été et sans grand doute sa direction politique et morale sera largement acceptée en Europe. En même temps faire de Londres le centre artistique du monde ne devrait pas être difficile si la B.B.C. suit une ligne de conduite énergique et imaginative pour ses émissions à la fois en GrandeBretagne et vers l’extérieur586. L’auteur - directeur adjoint des émissions destinées à l’Europe - exprime ainsi clairement les ambitions politico-culturelles de la Grande-Bretagne. Il se situe dans la ligne générale du mémoire rédigé par Ivone Kirkpatrick pour le PWE (voir chapitre 4). Toutefois, revendiquer une primauté dans le domaine des arts n’avait encore jamais fait partie des objectifs de la Grande-Bretagne, et le British Council même, plus prudemment, ne parle guère que de reconnaissance de la culture britannique en France. Kirkpatrick ne mentionne pas non plus cet objectif parmi ceux qu’il énonce, et conserve la même modestie que le Council. La B.B.C. affiche de sa propre initiative cette ambition. Dans une tonalité similaire, plus modérée, apparaissent d’autres réflexions, qui ont cependant en commun avec la précédente une volonté d’exercer une plus large influence politique et morale en Europe. Il s’agit principalement dans cette perspective de mieux faire connaître la vie, les institutions et la culture britanniques, d’exprimer et d’expliquer le point de vue de la GrandeBretagne sur les grandes questions d’actualité. De la sorte, et en faisant accepter le règlement de paix qu’elle aura certainement très largement inspiré, l’Angleterre prendra la tête du mouvement de pacification et de reconstruction du continent européen. Une nouvelle Europe 586 “ France will be unlikely to regain her position of influence for a long time to come. Thus the continent will be seeking not only political and moral leadership but leadership in the arts, which means ultimately the art of living. This leadership will be sought in the first place in Moscow or London and I suggest that this provides the B.B.C. with a unique opportunity […]. Britains’s prestige after the war will be higher than ever before and there is little doubt that her moral and political leadership will be largely accepted in Europe. To make London at the same time the artistic centre of the world should not be difficult if the B.B.C. will pursue a strong and imaginative policy both in its home and foreign broadcasts ”. Ibid. 209 naîtra d’une plus grande compréhension des peuples qui prendront conscience de leur intérêt commun et de la solidarité dont ils doivent faire preuve587. C’est à promouvoir cette idée que la B.B.C. s’emploie : “ se débarrasser des frontières mentales et culturelles et donner à l’Europe la conscience de son unité culturelle à côté de l’unité politique ”588. Infuser à l’Europe meurtrie les saines valeurs de démocratie, de parlementarisme, de liberté qui sont incarnées par la Grande-Bretagne pour éviter le retour de dictatures, créer un sentiment de solidarité pour pallier les échecs de la sécurité collective, tels sont les objectifs à réaliser, sous l’égide de la Grande-Bretagne puissance tutélaire. La B.B.C. se présente comme le fer de lance de cette volonté d’instaurer une Pax Britannica. Cette détermination s’accorde avec les recommandations du PWE. Il est notable qu’un éventuel désir d’influence de la part des Etats-Unis n’est pas envisagé. A court terme, la libération graduelle du territoire français révèle aux Britanniques l’ampleur de la sympathie dont ils sont l’objet dans la population française589. Un observateur extérieur peut même en déduire que “ la grande majorité des Français ont été des auditeurs fidèles de la B.B.C. [La ferveur des] louanges décernées aux programmes du Service français est surprenante, même pour quelqu’un qui s’attendait à ces réactions. ”590 Cet état de fait crée une atmosphère favorable à la réalisation des objectifs de la B.B.C., d’autant plus que les Français expriment à l’égard des Britanniques une curiosité qui semble insatiable. Le directeur de la programmation Kenneth Adam aussi bien que les agents du Foreign Office présents en France constatent cette “ grande soif d’informations concernant ce que nous avons fait pendant quatre ans alors que les Français étaient complètement coupés de nous, dans toutes les classes de la population française ”591. D’ores et déjà, les intérêts commerciaux américains se réinstallent à Paris. Leur rapidité à profiter des avantages qui s’offrent à eux dans un pays dévasté et ouvert a priori à ce qui vient des pays alliés est perçue comme indécente par Adam592. Celui-ci leur oppose la légitimité morale que la B.B.C. a acquise en 587 Eur.N.E. à AD.Eur.B., 22 août 1943 - R34/357/1A, WAC. W.P. Rilla à Eur.P.S., 9 août 1943 - Ibid. 589 Kenneth Adam (P.D.) à C.Eur.S., 11 septembre 1944 - E2/22/3A, WAC. Il cite ce témoignage de sympathie : “ Une vieille femme dans un taudis de Paris offre solennellement à un correspondant de la B.B.C. un drapeau anglais confectionné en cachette à partir de morceaux de chiffons ramassés pendant ces années ”. 590 Notes on a visit to Paris sept 12 - oct 12, 1944 by H. Paniguian. - FO 898/199, P.R.O. 591 R.L. Speaight (Foreign Office) à Oswald Scott (M.O.I.), 29 septembre 1944 - E2/22/3A, WAC. 592 Par ailleurs, le Daily Mail britannique met sous presse une édition continentale. 588 210 encourageant et apportant un peu d’espoir aux Français pendant les “ jours sombres ”, et qui devrait lui valoir la première place en matière de relations avec les Français. Enfin, la situation intérieure du pays fournit également un argument de poids en faveur d’une action rapide et efficace de la B.B.C. en France. En effet, le rédacteur du service français pendant la guerre, Darsie Gillie, met l’accent sur la force du PCF tout auréolé de son rôle dans la résistance et du mythe de parti martyr qu’il s’est forgé (“ parti des cinq mille fusillés ”). Selon Gillie, il est indispensable d’entreprendre une opération de contrepropagande au plus tôt et de veiller à ce qu’aucune attaque de type idéologique ne vienne ternir le prestige britannique593. 1.2 La subordination aux priorités du Foreign Office Mais dans l’immédiat, les réflexions de la B.B.C. ne peuvent être traduites en actes. Ses actions sont étroitement subordonnées aux priorités déterminées par l’évolution du conflit, et lui sont signifiées par le Foreign Office (Political Intelligence Department) et le ministère de l’Information (M.O.I., son ministère de tutelle) en liaison avec le commandement militaire. Les lignes de communications sont pour la plupart détruites en raison des opérations de sabotage et des combats. Les Alliés invitent alors la B.B.C. à contribuer à la coordination de la diffusion radiophonique en relayant des messages destinés aux soldats et aux civils594. De fait, au 5 octobre 1944, les rapports mentionnent le fonctionnement de trois émetteurs seulement dans le nord de la France, à Villebon (région parisienne), Paris et Rennes, contrôlés par le Political Warfare Executive britannique. Les renseignements concernant la partie méridionale du pays manquent alors595. Cinq jours plus tard, il est estimé que, depuis le départ des Alliés, seulement quatre ou cinq émetteurs sur les quarante-deux existants sont en état de marche596. Mais la B.B.C. dispose de la priorité pour l’allocation des 593 Duff Cooper à Oliver Harvey, Note on the French Service of the B.B.C. D.R. Gillie, 7 décembre 1945 El/702/3, WAC. 594 C.Eur.S. (J.B. Clark) à French Editor, 31 août 1944 - E1/719/1, WAC. 595 A.P.R. à B.C. Sendall (M.O.I.), 5 octobre 1944 - E1/694, WAC. 596 Cinq émetteurs ont été complètement sauvés de la destruction. Il s’agit de Limoges-Nieul, LimogesNieul I, Bordeaux-Carreire, Agen, Grenoble. Celui de la Tour Eiffel est vraisemblablement intact bien qu’il ne figure pas dans les bilans. C. BROCHAND, Histoire générale de la radio et de la télévision en France, t. 2 1944-1974, Paris, La Documentation française, 1994, p. 514. 211 fréquences permettant de diffuser vers le théâtre des opérations597. D’autre part, les stations locales relaient une partie des programmes de la B.B.C., en particulier les bulletins d’information. Au 10 octobre 1944 il y en trois - Radio-Cherbourg ayant cessé d’émettre fin septembre 1944 - : Radio-Bretagne (en français), Lille-Libéré, Radio-Limoges598. Les nécessités de la guerre exigent qu’une forte puissance d’émission soit donnée à la B.B.C., mais celle-ci n’est que provisoire tant que la victoire n’est pas acquise. Après cela, la B.B.C. perd la priorité d’attribution des fréquences, qui de nouveau sont allouées selon le plan de Lucerne établi en 1937, et ne peuvent être changées qu’après adoption d’un nouveau plan discuté lors d’une conférence internationale. Le directeur général, William Haley, avait demandé dès le 20 juillet 1944 une deuxième fréquence pour couvrir plus facilement l’Europe. Il s’était heurté à un refus du ministère des Postes et Télécommunications599. De nouveau Haley écrit au M.O.I. dans l’espoir d’obtenir une fréquence médium qui aurait permis à la B.B.C. de réinstaller le service intérieur tout en conservant les fréquences jusque là réservées au service européen. Le M.O.I., faisant état de l’opposition du ministère des Postes à l’altération unilatérale du plan de Lucerne, rappelle que, selon les directives du Foreign Office, la priorité à cette date (juin 1945) est le service européen, et suggère de reporter la mise en opération des services intérieurs prévus600. Pour ne pas sacrifier ceux-ci aux exigences du Foreign Office, Haley doit se résoudre à restreindre le service régional. Cet épisode met bien en lumière la tutelle exercée par le Foreign Office sur la Corporation en ces temps de guerre. En outre, le ministère des Affaires étrangères britannique alimente en grande partie le budget de la B.B.C., en particulier pour les services extérieurs, et peut ainsi imposer la réalisation de ses plans601. 597 Y compris un programme élaboré à la demande du Général Eisenhower, et spécialement destiné aux forces armées, l’Allied Expeditionary Forces Programmes, en service du 7 juin 1944 au 28 juillet 1945 - (B.B.C. Annual Report 1945-46, p. 24). 598 A note on the liberation of the French radio, 10 octobre 1944 - E1/719/1, WAC. 599 Negociation for a second long wave for the B.B.C., 24 juillet 1945 - R34/577, WAC. Il s’agit de la liste de la correspondance échangée entre la B.B.C. et le gouvernement britannique à ce sujet. 600 E.St J. Banford à Haley, 23 juin 1945 - Ibid. 601 La Corporation est théoriquement un organisme indépendant, doté d’une charte royale en 1927, qui sera renouvelée en 1947. Les fonds alloués par le Foreign Office sont utilisés pour faire fonctionner les services extérieurs. En octobre 1946, le Foreign Office fait parvenir à la B.B.C. un questionnaire sur l’activité et l’audience du service français destiné au Parliamentary Committee on Estimates qui contrôle l’utilisation des fonds publics soumis au vote du Parlement (Answers to Foreign Office questionnaire, French Section B.B.C., octobre 1946 - R34/357/1B, WAC). 212 Parmi ceux-ci, la couverture de la France représente un objectif important à atteindre, mais n’est pas considérée comme une priorité absolue immédiate. A la fin de la guerre, le Foreign Office intervient auprès de la B.B.C. pour que le service européen soit conservé, si ce n’est dans son intégralité, du moins dans sa majeure partie, “ aussi longtemps que l’Europe reste dans un état instable ”.. Les services allemand et autrichien doivent être maintenus intacts. Les services italien, grec, yougoslave, espagnol, portugais doivent de préférence ne pas être réduits. Mais les services hollandais, belge, français, norvégien, danois et suédois peuvent éventuellement subir des modifications, “ si cela s’avère absolument nécessaire ”602. L’intérêt porté à l’Allemagne et à l’Autriche se comprend de lui-même. La B.B.C. s’y voit assigner un rôle rééducatif essentiel dirigé à la fois contre les restes d’idéologie national-socialiste et surtout la propagande communiste. En effet, la conférence de Yalta a eu lieu en février 1945, c’est-à-dire trois mois avant l’envoi de cette directive à la B.B.C., alors que se dessinent d’ores et déjà des zones d’influences en Europe entre le monde occidental et le monde communiste. L’Allemagne et l’Autriche apparaissent comme des pays “ tampons ” qu’il appartient d’ancrer fermement au monde démocratique en particulier par l’action de la B.B.C. Fin mars 1946, neuf heures trois quarts par jour d’émissions sont destinées à l’Allemagne, l’Autriche et la Pologne. Cette durée suit le temps d’émission en anglais, français, hollandais, belge (douze heures et demie par jour), plus important vraisemblablement en raison des liaisons militaires603. Mais par la suite, le réseau Bleu (Allemagne, Autriche, Pologne) émet onze heures par jour, le réseau Orange (France, Belgique, Hollande, Grande-Bretagne) tombant à neuf heures trois quarts604. Le choix des horaires et des fréquences donne lieu à une correspondance fournie entre la B.B.C., les autorités américaines, et le Political Warfare Executive605. En second lieu, l’Europe méditerranéenne doit continuer à bénéficier des diffusions de la B.B.C., sans diminution des programmes. Les motivations du Foreign Office sont vraisemblablement essentiellement en rapport avec l’instabilité potentielle ou réelle (Yougoslavie, Grèce en proie à la guerre civile) des pays du sud de l’Europe. Cette action peut également avoir des incidences positives sur le plan culturel, l’Europe méridionale étant en général éloignée de l’aire d’influence culturelle britannique. 602 Law à Lloyd, 14 juin 1945 - R34/577, WAC. B.B.C. Annual Report 1945-46 p. 20. 604 B.B.C. Annual Report 1946-47 p. 25. 605 Voir le dossier R34/573, WAC. 603 213 En revanche, l’Europe du nord-ouest et les pays scandinaves sont considérés comme relativement plus sûrs politiquement. La présence des armées alliées sur le sol français est par exemple une garantie sérieuse contre toute tentative immédiate de subversion. Mais il y a eu Vichy. C’est pourquoi la France, dont le peuple est parfois sur le plan politique trop aventureux au goût des Britanniques, ne doit pas être négligée au moment de l’établissement des nouveaux horaires et fréquences, même si elle ne représente pas une préoccupation immédiate. Le prestige et la puissance du PCF doivent être pris en compte. L’espoir de mieux faire connaître la culture britannique en réponse aux nombreuses demandes enregistrées justifie aussi l’action de la B.B.C. en France, alors qu’à partir de janvier 1945, elle s’émancipe du contrôle du Political Intelligence Department606, et affirme par la suite son indépendance d’action. 2.- UNE ACTION INDÉPENDANTE POUR CONFIRMER UNE RÉPUTATION D’OBJECTIVITÉ La B.B.C. s’efforce de reprendre l’autonomie de fonctionnement qui est théoriquement la sienne, mais qui avait été restreinte par la tutelle du ministère de l’Information. Dans la perspective de la fin de la guerre, la B.B.C. estime en effet essentiel de pouvoir agir suffisamment librement pour préserver sa réputation d’objectivité dans le domaine des informations. Cependant elle se veut également la voix de la Grande-Bretagne vis-à-vis de l’extérieur. Comment concilier ces deux caractéristiques apparemment difficilement compatibles ? La B.B.C. choisit de mettre l’accent sur une information aussi impartiale et complète que possible et une autonomie de fonctionnement toutefois peu aisée à établir. 2.1 Des programmes essentiellement informatifs En novembre 1944 William Haley et Sir Allan Powell consignent dans un document intitulé Broadcasting to Europe607 (Emettre vers l’Europe) les vues officielles de la B.B.C. sur son activité en Europe en temps de paix. Haley rappelle tout d’abord les objectifs des services extérieurs de la B.B.C. : offrir à ceux qui le souhaitent des informations sur la 606 607 A. BRIGGS, Sound and vision, vol. IV, Oxford University Press, 1979, p. 142 note n° 3. W.J. Haley / Allan Powell, Broadcasting to Europe, 13 novembre 1944 - R34/577, WAC. 214 Grande-Bretagne et une connaissance de la culture et du mode de vie britanniques. Puis brossant à grands traits les types de programmes proposés, il insiste sur l’importance des bulletins d’information. La B.B.C. s’est imposée comme une station d’information sérieuse ; elle doit conserver cette fonction première. L’information doit être énoncée de façon brute, “ précise, impartiale, neutre ”, et doit concerner le monde entier. Elle est complétée et appuyée par des “ discussions objectives ” à vocation explicative sur des sujets d’importance nationale (telle la Sécurité Sociale...), dont il doit être toutefois fait un usage modéré. Enfin les émissions culturelles constituent la troisième composante de ces programmes. En général, si ces émissions présentent surtout l’actualité britannique, qu’elle soit politique ou culturelle, elles sont ouvertes sur l’extérieur et ne négligent pas pour autant les événements de portée internationale dans ces deux domaines. A cet égard, une collaboration avec les stations de radio nationales est souhaitable pour l’échange de programmes608. Ces liens permettraient, outre d’améliorer la qualité de l’information - plus complète -, de faire relayer une partie des programmes de la B.B.C. par les stations locales, pour leur faire atteindre une audience plus large. Les tranches horaires privilégiées sont celles qui sont le plus susceptibles de drainer le type d’auditeurs auxquels la B.B.C. souhaite d’abord s’adresser : cadres supérieurs, hommes d’affaires avec un certain niveau d’études qui s’intéressent à la politique internationale par métier et/ou par éducation. Ces auditeurs potentiels, très actifs et pressés, devraient apprécier particulièrement des bulletins courts, précis et neutres. Parce qu’ils travaillent, les horaires de diffusion des émissions doivent donc être le matin et surtout le soir, et non pendant la journée. L’audience ainsi ciblée justifie alors le caractère secondaire des programmes culturels. Néanmoins, ceux-ci doivent dans l’esprit de Haley être de qualité, informatifs et plutôt sérieux. Enfin William Haley préconise pour ce service européen l’utilisation des trois langages : anglais, français, allemand, parce que “ toute extension au-delà de ces trois langues ferait penser que la Grande-Bretagne cherche à réaliser des objectifs spécifiques dans des pays particuliers ”. Il s’agit donc de ne pas donner prise à d’éventuelles accusations d’immixtion dans les affaires intérieures des pays, mais de mener une propagande indirecte plus fine, plus discrète, qui sera mieux acceptée par les auditeurs européens609. Ces choix permettent également à la B.B.C. d’atteindre la majeure partie de l’Europe. L’aire 608 Ces échanges s’effectueraient sur des bases commerciales. En effet, “ c’est le caractère indirect ou accessoire de notre présentation de la Grande-Bretagne tel qu’il est donné par l’objectivité de nos bulletins d’information qui semble attirer le plus grand nombre d’auditeurs ” note en 1946 le Service Français. Answers to Foreign Office questionnaire, French section B.B.C., octobre 1946 R34/357/1B, WAC. 609 215 francophone englobe la Belgique, le Luxembourg, la Suisse. L’allemand est proche du hollandais ou du flamand, et est parlé en Suisse et en Autriche. Seule l’Europe de sud se trouve désavantagée. La réorganisation du service européen est évoquée à la même époque. Il est prévu un service français dont l’importance doit être subordonnée à la question de la couverture du territoire et non à des motivations d’ordre politique610. A la fin des hostilités, l’European Broadcasts Department qui avait pour objet de superviser tous les programmes diffusés pendant la guerre est démantelé. Une European News Division prend en charge l’information pour tous les départements régionaux nouvellement créés. Le service français est dans cet organigramme un élément du West European Service, qui comprend également le Luxembourg, la Belgique, la Hollande et le service en anglais611. Il est essentiel qu’il puisse opérer de façon autonome. De fait, la B.B.C. occupe une place originale dans le dispositif de promotion culturelle britannique. 2.2 Le positionnement spécifique de la B.B.C. au sein du dispositif d’information culturelle : une contribution indépendante Bien que sous la tutelle du M.O.I., la B.B.C. s’efforce très rapidement après la guerre de dissocier son action de celle de ce ministère chargé de la propagande. Les échanges se poursuivent, mais un accord entre les deux organismes laisse une forte autonomie à la radio britannique. Ainsi alors que les grilles de programmes doivent être transmises au M.O.I., et qu’en échange il est convenu que le M.O.I. renseignera la B.B.C. sur les événements culturels français concernant la Grande-Bretagne, le chef du service européen Clark (controller of European Service) rappelle au responsable du service français Tangye Lean qu’en vertu de cet accord l’envoi des grilles doit être effectué à simple titre informatif. De même la B.B.C. se charge d’utiliser les éléments transmis par le M.O.I. sans aucune intervention de celui-ci612. Dans sa note de novembre 1944 sur l’action de la B.B.C. en Europe en temps de paix, William Haley esquisse les futurs rapports que la Corporation souhaite entretenir avec le Foreign Office avec le même souci d’autonomie. Il plaide pour une B.B.C. 610 French Service reorganisation, notes of meeting held on 23rd August 1944 - R34/573/1B, WAC. B.B.C. Annual Report 1945-46 p. 27. 612 Memo Tangye Lean, 25 février 1945 ; réponse Clark, 28 février. – E2/601/1, WAC. 611 216 indépendante dans son organisation et son fonctionnement, tout en restant en liaison étroite avec les ministères613 pour la définition éventuelle de ses objectifs. Cette ligne de conduite s’affirme dans une déclaration de politique générale du département Europe rédigée en 1946 par son directeur Sir Ian Jacob. Celui-ci précise que “ lorsque les chefs de service [de la B.B.C.] se rendent au Foreign Office, ils doivent chercher à recueillir le maximum d’informations, écouter les points de vue exprimés, mais jamais agir sur les ordres de ses responsables sans soumettre les recommandations faites à nos principes, et en me consultant si nécessaire. ”614 Les principes de la B.B.C. ainsi évoqués sont ceux d’un positionnement de la radio britannique comme agent de la projection culturelle nationale, donc soucieuse d’exprimer les tendances à long terme de l’évolution de la civilisation britannique sans se laisser influencer par les “ fluctuations quotidiennes de la vie politique ”615. Les bulletins doivent donc être aussi complets et objectifs que possible, un refus de diffusion d’information ne pouvant avoir lieu que dans trois cas : des raisons de sécurité militaire, des raisons de politique extérieure (telles qu’appréciées par la B.B.C.) et leur inexactitude. En effet, les informations doivent par leurs qualités inciter les auditeurs à accorder aux programmes suivants un préjugé favorable, et à les écouter. Ainsi les auditeurs glissent de l’information politique vers une initiation à la connaissance de la civilisation britannique. Une seconde directive établie par Jacob décrit l’image de la Grande-Bretagne que la B.B.C. doit présenter à ses auditeurs : “ une Grande-Bretagne moderne sur le plan industriel, soucieuse d’occuper sa place en Europe, ouverte aux cultures étrangères ”616.. Mais alors que la B.B.C. accepte une tutelle (discrète et légère) du gouvernement à Londres, elle refuse tout lien autre qu’informel avec les institutions et organismes britanniques représentés en France. Par conséquent se pose la question de la représentation de la B.B.C. à Paris. Kenneth Adam, en septembre 1944, suggère au vu du prestige dont y jouit la B.B.C. de nommer au plus vite un correspondant à Paris, qui aurait pour tâches de renseigner la B.B.C. sur l’état du réseau radiophonique français et d’assurer la 613 “ Alors que ceux qui ont en charge de telles émissions [destinées à l’étranger] doivent toujours être en liaison des plus étroites avec les ministères et les hommes qui dirigent la politique intérieure et surtout étrangère, la diffusion en langue étrangère en temps de paix sera plus acceptable, moins suspecte, et plus à même de réaliser ses objectifs propres si elle est clairement confiée à une Corporation indépendante ”. W.J. Haley / Allan Powell, Broadcasting to Europe, 13 novembre 1944 - R34/577, WAC. 614 Directive n° 1, Statement of Policy for the European Service, 29 juillet 1946. – E2/132, WAC. 615 Ibid. 616 “ An industrially progressive Britain, Britain is a part of Europe, a culturally liberal Britain [...] the job is to prove that our membership, culturally, in the society of nations is justified in the first place by our creativeness, but also by our appreciation of foreign works of art and scientific developments ”. Directive n° 2, 25 septembre 1946. – Ibid. 217 publicité de la station britannique (par exemple s’occuper de faire paraître les programmes dans des journaux français, distribuer les brochures éditées par la B.B.C.)617. A cette date, le journaliste Richard Dimbleby est déjà à Paris à la recherche de locaux appropriés. Mais aucune décision n’est prise dans l’immédiat et le ministère de l’Information se montre impatient. Le 4 octobre, rendant compte à William Haley d’une réunion d’information entre les délégués du Foreign Office, du M.O.I. et du British Council tenue la veille, J. Clark témoigne de l’importance accordée par le M.O.I. à une nomination rapide618. Le M.O.I. souhaite que le futur correspondant, tout en apportant une aide technique à la Radiodiffusion Française (R.D.F.) si nécessaire, renseigne la B.B.C. sur l’évolution de la radiodiffusion en France619.. Mais en ce mois d’octobre, il n’y a pas à proprement parler de correspondant. Cecilia Reeves est European liaison officer, et doit assurer la liaison entre la B.B.C. et les autorités en charge de la radiodiffusion dans les différents pays d’Europe620. John Sullivan, en charge de la supervision des productions du Service français (French Production Supervisor) maintient un contact entre la R.D.F. et l’Allied Information Service. Mais ni l’un ni l’autre n’est correspondant de la B.B.C. en France, même si les liens sont solidement établis entre la R.D.F. et la B.B.C. Clark envisage d’ailleurs rapidement de renforcer cette collaboration pour exclure toute intervention d’un organisme extérieur dans les relations entre les deux radios, c’est-à-dire toute interférence du M.O.I. qui est représenté à Paris dès juin 1944 par Jonathan Griffin621. Il en informe le directeur de la R.D.F., Jean Guignebert, le 13 octobre622. A Londres, au même moment, les tâches sont plus nettement réparties. Cecilia Reeves est confirmée dans son rôle de liaison officer avec la R.D.F., tandis que le Service français de la B.B.C. est confié à Tangye Lean (Acting French editor)623. Mais en réaction à une note ambiguë de Griffin qui, lui, semble outrepasser ses fonctions, Clark reprécise par la suite à Tangye Lean que Griffin ne devra mener aucune action pour le compte de la B.B.C., 617 618 P.D. à C.Eur.S, 11 septembre 1944 - R34/577, WAC. Clark, PS au mémorandum daté du 3 octobre 1944 et adressé au D.G. 4 octobre 1944 - E2/22/3A, WAC. 619 Speaight à Clark, 7 octobre 1944 - Ibid. J.B. Clark, Note du 12 octobre 1944 - E1/719/1, WAC. 621 Ceci alors qu’à la même date, le ministre de l’Information Brendan Bracken précise que “ la B.B.C. n’est pas un service du gouvernement [government departement] mais un organisme public contrôlé par un conseil de gouverneurs indépendant. Le gouvernement, par l’intermédiaire du ministère de l’Information, n’intervient que pour ce qui concerne les émissions de propagande à destination de l’Europe. Toutes les autres activités de la B.B.C. sont sous le contrôle direct du conseil de gouverneurs. ” Bracken à Hargest, 2 juin 1944, cité par BRIGGS, op cit., p. 29. 622 Clark à Guignebert, 13 octobre 1944 - E2/22/3A, WAC. 623 Clark à A.C.Eur.S., 20 octobre 1944 - Ibid. 620 218 particulièrement auprès de la R.D.F., et qu’il n’est chargé d’aucune mission de sondage des auditeurs pour la Corporation624.. Les notes et consignes émises dès lors visent à établir l’indépendance de la B.B.C. vis-à-vis du M.O.I. et à imposer la B.B.C. comme l’unique organisme avec lequel la R.D.F.. doit traiter. Ainsi Miss Reeves demande pour communiquer avec Paris la possibilité d’utiliser la ligne qui part du War Office et non celle qui relie le Foreign Office à l’ambassade “ puisque nous souhaitons très précisément éviter que Griffin ou Beck soient mêlés à la préparation des programmes ”625. Le directeur de la publicité de la B.B.C. suggère de fournir à Griffin les scripts qu’il pourrait placer dans les journaux afin d’éviter qu’une propagande trop voyante ne se glisse dans les textes, mais se prononce également pour des liens directs entre la R.D.F. et la B.B.C. : les informations obtenues sur les programmes de la radio française doivent faire partie de ces échanges fructueux envisagés par la B.B.C. et non le fait d’un travail de renseignement effectué par Griffin626.. La nomination à Londres du représentant de la R.D.F. Veillet-Lavallée début décembre 1944 rend de fait les contacts plus faciles627.. Et un accord conclu en janvier 1945 entre les deux stations de radio scelle la coopération directe entre Veillet-Lavallée et Miss Reeves pour les échanges de programmes628. Cependant à cette date aucun représentant de la B.B.C. n’est à Paris malgré les demandes émanant cette fois de la R.D.F. Dans une note sur le Service Français non datée, mais qu’il est raisonnable de supposer rédigée au début de l’année 1945, Darsie Gillie plaide également en faveur d’un “ observateur à temps complet ” aidé d’un assistant pour relever les attaques portées contre la Grande-Bretagne, suivre les goûts du public et s’occuper des relations entre les radios française et britannique629. Finalement J. Sullivan est nommé correspondant à partir de février 1945630, avec un budget de 6 000 £ pour faire face aux dépenses d’installation631. Ceci ne signifie cependant pas que le M.O.I. n’intervient en aucun cas dans les questions de radiodiffusion. Il suit le processus mouvementé de réorganisation de la R.D.F. et propose éventuellement à la B.B.C. des orientations pour ses programmes. Ainsi il pense des plus utiles d’y mettre à l’honneur les gens ordinaires pour “ bien faire sentir aux 624 Clark à Lean, 8 mars 1945. – E2/601/1, WAC. Reeves à A.D.Eur.O, 6 décembre 1944 - E1/719/1, WAC. 626 Direction of Publicity à D.G., 10 janvier 1945 - Ibid. 627 Dunkerley, note du 5 décembre 1944 - E2/22/3A, WAC. 628 Reeves à Veillet-Lavallée, 11 janvier 1945 - E1/719/1, WAC. 629 Note on the French Service of the B.B.C., D.R. Gillie, attaché à Duff Cooper à Harvey, 7 décembre 1945 - E1/702/3, W.A.C. 630 Dir. Eur. Org., note du 19 février 1945 - R13/147, WAC. 631 Board of governors, réunion du 11 janvier 1945. - R1/13, WAC. 625 219 Français le haut degré de mobilisation de la Grande-Bretagne et aux Britanniques les difficultés extrêmes dans lesquelles se débattent les Français ”632. Etablir clairement et faire accepter son refus d’être soumis à la tutelle fonctionnelle du M.O.I. en temps de paix était a priori peu aisé, car la B.B.C. se trouvait sous la dépendance directe de ce ministère. Il est en revanche plus simple de définir des rapports informels entre la B.B.C. et le British Council. A la suite d’une réunion d’information à laquelle assistaient les délégués des deux institutions, apparaît dans le procès-verbal une formulation ambiguë ajoutée à la demande de Richard Seymour du Council, et faisant état de “ consultation ” entre les deux organismes au sujet de leurs activités en France. J. Clark relève sèchement ce terme, précisant à l’adresse du Foreign Office qu’il n’est “ pas question de consulter le British Council au sujet de la production directe de nos divers services ”, mais d’avoir avec lui “ un contact informel assez régulier ”633. L’incident trouve son dénouement dans un entretien avec le British Council qui assure avoir simplement voulu suggérer une collaboration souple dans le champ culturel. Toutefois, cette volonté d’indépendance pose la question de l’insertion de la B.B.C. au sein du dispositif de promotion culturelle coordonné par le British Council en France. Il faut en effet remarquer que la B.B.C. occupe par définition une place spécifique liée à la multiplicité des registres dans lesquels elle exerce son action. Elle est présente d’une part dans le champ politique par sa mission d’information qui peut se déclarer objective, mais néanmoins reflète dans une certaine mesure - ou tout au moins ne contredit pas - les intérêts britanniques, même avec prudence ou discrétion. D’autre part, elle offre une image de la Grande-Bretagne et de sa culture qu’elle entend adapter aux auditoires visés et à leurs souhaits afin de préserver un taux d’écoute élevé, ce qui la situe dans le champ culturel. Cette ambivalence la place à la marge de la promotion culturelle, sur le fil ténu qui sépare action culturelle et propagande, avec peut-être la menace de voir se briser ce fragile équilibre en cas de crise internationale impliquant la Grande-Bretagne. Aussi est-il in fine préférable pour le British Council que soit définie une relation lâche avec la B.B.C., afin de ne pas risquer de compromettre sa réputation de neutralité politique en étant trop ostensiblement lié à un organisme dont l’objectivité n’est pas évidente. Par ailleurs, la B.B.C. fait usage d’un moyen d’expression dont elle possède seule la gestion, ce qui réduit les possibilités de recoupement d’activités avec le Council, et permet 632 633 Miss Gillespie à Lawrence Gillian, 15 mars 1945 - E1/719/1, WAC. Clark à Speaight, 24 octobre 1944 - E2/22/3A, WAC. 220 une complémentarité de moyens d’action qui peut être profitable. La contribution de la B.B.C. à la promotion culturelle britannique en France se situe donc a priori juste en deçà de la limite du schéma de développement coordonné par le Council, et devrait en principe pouvoir communiquer aisément avec celui-ci. Jalouse de son autonomie, la B.B.C. l’est enfin à l’égard des autorités françaises634. Dès août 1944, il est établi que le Service Français n’aurait aucune activité à caractère politique sur le territoire français. Les autorités françaises ne doivent donc exercer aucun regard sur les activités de la B.B.C. et n’avoir aucun contact régulier avec elle. * Placée à la disposition du commandement militaire et soumis à la lourde tutelle des ministères de l’Information et des Affaires étrangères en temps de guerre, la B.B.C. tente d’établir son indépendance de fonctionnement en temps de paix avec un certain succès. Elle peut désormais remplir sa mission de présentation de la Grande-Bretagne aux Français en affichant une neutralité politique si essentielle pour espérer toucher les audiences étrangères. Elle bénéficie de plus pour cela d’une atmosphère qui lui est exceptionnellement favorable. Toutefois, à la différence du British Council dont l’activité se limite au domaine culturel, la B.B.C. expose également, et surtout, le point de vue britannique sur les affaires mondiales, ce qui rend l’exercice auquel elle se livre assez périlleux. Comment conserver intacte sa réputation d’objectivité, tout en abordant dans ses programmes des thèmes à caractère politique parfois brûlant ? 634 French service reorganisation, Notes of meeting held on 23rd August 1944 - R34/573/1A, WAC. 221 CHAPITRE 11 RADIO ET TÉLÉVISION : LES ANGLAIS PARLENT AUX FRANÇAIS Pendant la durée des opérations de reconquête alliée du Continent, les communications représentent un enjeu d’importance majeure à la mesure du rôle joué par la propagande tout au cours du conflit. Pour les Français combattants, la prise des émetteurs et des stations de radio réduit au silence les voix vichyssoises, permet une meilleure coordination des actions par la diffusion de messages, dont certains sont destinés aux civils. Pour les armées alliées, le contrôle des ondes est vital pour hâter la victoire finale. Mais durant cette phase II (la phase I étant celle précédant le Débarquement, la phase III celle succédant à l’arrêt des combats), les moyens de communication disponibles se révèlent insuffisants. Endommagés, détruits lors d’engagements militaires, mis hors d’état de fonctionner par les Allemands sur le point de s’enfuir, les émetteurs opérationnels sont en nombre dérisoire, et la B.B.C. doit prêter son concours pour remédier à cet état de fait (voir chapitre précédent). Au milieu du désordre ambiant, les Résistants se saisissent des ondes et le gouvernement français procède à la réorganisation des services. Mais il se heurte aux exigences militaires (priorité donnée à leurs liaisons), ce qui rend impossible de longues diffusions, d’autant plus que l’électricité est disponible de façon aléatoire et irrégulière. Dans ce contexte, des liens se nouent entre la R.D.F. et la B.B.C. La station britannique les a appelés de ses vœux et la nomination en octobre 1944 de Cecilia Reeves pour maintenir le contact entre la B.B.C. et les radios nationales européennes témoigne de cette volonté de collaboration. Elle traduit également dans le domaine radiophonique le souhait plus généralement exprimé par le gouvernement britannique de tisser des liens culturels solides avec les pays étrangers, et en particulier la France. L’instauration de ces relations passe par des échanges professionnels, mais également par la diffusion d’informations pouvant contribuer à une meilleure connaissance de la Grande-Bretagne. 222 “ Dire la vérité avec autant d’exactitude et de sincérité qu’il est donné aux être humains d’avoir ; rendre claire la situation mondiale et les idées et actions de ce pays avec objectivité ; et réaliser une plus grande compréhension entre les pays en mettant à leur disposition intérêt, information, divertissement, dosés selon les besoins des différents auditoires ”635. Tels sont les objectifs du service de radiodiffusion externe de la B.B.C., rappelés par le Directeur Général Sir Ian Jacob à l’occasion du dixième anniversaire de l’existence de ce service. Ils n’ont pas varié depuis la formulation du prédécesseur de Sir Ian, William Haley, en 1944. Cependant les moyens de parvenir à leur réalisation sont soumis à de multiples influences. L’adaptabilité doit être la principale caractéristique des programmes de la B.B.C. diffusés à l’attention de l’étranger. En premier lieu, les programmes doivent marquer le passage de la guerre à la paix. En second lieu, leur teneur reste globalement subordonnée à deux facteurs d’inégale importance selon les pays : les suggestions du Foreign Office liées à l’évolution de la situation internationale, et les réactions des auditeurs, recueillies et analysées par un département spécifique de la B.B.C. Malgré l’ambiguïté de sa position aux marges du politique et du culturel, la B.B.C. prépare donc son “ offensive ” culturelle en direction des auditeurs français. De fait, la B.B.C. positionne son action sur deux créneaux, réalisant ainsi une contribution libre mais tacitement bien intégrée au dispositif de diffusion d’informations culturelle : une coopération avec la R.D.F. - et sa représentation est située dans le bâtiment de la R.D.F. car le bureau de Paris du Service Français se veut d’abord “ un point de liaison avec le service de radiodiffusion national français ”636 -, et une réorganisation de ses programmes afin de satisfaire les demandes des auditeurs français. 635 The European Service of the B.B.C. - Two decades of broadcasting to Europe 1938-1959 , the B.B.C., 1959 p. 9. 636 R.D. Marriot à Florence Gibbons, 8 octobre 1947 - E1/711/2, WAC. 223 1.- LES PRÉMICES D’UNE COLLABORATION ENTRE LA B.B.C. ET LA R.D.F. La collaboration entre ces deux organismes peut s’effectuer a priori avec souplesse et rapidité pour plusieurs raisons. D’une part, elle est directe. Il n’a pas été estimé nécessaire d’établir une entente ou une convention préalable négociée au niveau national. D’autre part, elle porte sur une partie bien délimitée du large champ des relations culturelles. Enfin, elle ne met pas en jeu de nombreux acteurs dont il faudrait coordonner l’action, à partir du moment où le gouvernement français exprime sa volonté d’intégrer la radio au secteur public, et que la B.B.C. est l’unique interlocutrice britannique dans ce domaine. Les années 1944-46 voient donc s’établir les bases de cette coopération qui commence à se développer malgré des conditions matérielles difficiles et l’instabilité des hommes à leur poste (surtout du côté français) qui freinent l’obtention de résultats concrets. Avant d’en analyser le contenu, il convient d’abord de préciser les modalités de reprise en main de la radiodiffusion française à la Libération. 1.1. La radiodiffusion française à la Libération : reprise en main gouvernementale au milieu de la confusion Au lendemain de la Libération, deux thèmes de réflexion relatifs à la radiodiffusion française s’imposent au gouvernement de la République : son statut futur et ses rapports immédiats avec le pouvoir politique. Dès le 26 août 1944, Pierre Schaeffer est chargé d’entreprendre une étude devant mener à la réorganisation de la Radiodiffusion de France (R.D.F.)637.. En effet, le cadre juridique de fonctionnement de la radio française est très imprécis. Fondé sur la loi du 7 novembre 1942, légitimé par les ordonnances du 30 octobre et du 30 décembre 1944 (après une annulation début août), il accordait à la radio une certaine autonomie de gestion financière. Mais à la suite des ordonnances passées en 1944 puis en 1945, la radio devient une simple administration à budget annexe, sans responsabilité morale, ni indépendance politique638. La question du statut n’est pas pour autant tranchée639, mais le gouvernement 637 Note n° 2 du 26 août 1944 - F/43/137, A.N. H. ECK, “ Radio, culture et démocratie en France, une ambition mort-née (1944-1949) ”, Vingtième siècle n° 30, avril-juin 1991, p. 56. et R. DUVAL, Histoire de la radio en France, Paris, 1980, p. 403. 638 224 inscrit dans le mode de fonctionnement de la R.D.F. le contrôle qu’il exerce de fait sur les ondes. Les quelques notes contenues dans les dossiers de la B.B.C. témoignent du suivi attentif de l’évolution de l’organisation de la radio française. Il est important pour la B.B.C. de savoir avec quel type d’organisme elle se prépare à traiter. Son attention se porte sur deux points : la dépendance de la R.D.F. à l’égard des pouvoirs publics, et la centralisation opérée au détriment des radios locales. Si Paris est libéré, la guerre n’en continue pas moins et la radio a fait la preuve de son utilité en tant qu’instrument de gouvernement. Le gouvernement français en est conscient et dès le 26 août 1944 il crée une direction politique de la R.D.F. confiée à Jean Guignebert, qui est également à cette date secrétaire général à l’Information du gouvernement provisoire640. Il s’agit alors “ d’asseoir la légitimité et l’autorité du Gouvernement Provisoire, [d’]achever la guerre, [de] préparer les prochaines élections, [de] faire face aux problèmes économiques et [d’]assurer le ‘rang’ de la France face aux alliés ”. Lorsque Pierre-Henri Teitgen est nommé ministre de l’Information en septembre 1944641, Jean Guignebert devient le 25 octobre directeur général de la R.D.F.642. L’Etat institue un monopole sur la diffusion. Début octobre 1944 le contrôle des stations ayant repris leur activité est exercé par les autorités, et les studios et l’équipement des radios privées sont réquisitionnés643. Cette mesure est rendue définitive par l’ordonnance du 26 mars 1945 qui leur retire les autorisations d’émettre accordées avant-guerre644. Katharine Musson, chargée de recueillir des informations sur la radio française, rapporte en novembre 1944 que les projets de Guignebert pour la R.D.F. sont inspirés de l’organisation de la B.B.C. : indépendance de fonctionnement et autonomie des stations régionales645. Cependant la réalité est différente. Les agents de la B.B.C. observent dès octobre une prise de contrôle des radios locales par les pouvoirs publics au nom de l’efficacité de gouvernement, mais aussi en raison de la destruction de la plupart des émetteurs - sept radios locales sont utilisées comme relais lorsque cela est possible -. Outre des programmes locaux, elles diffusent les bulletins de Paris. Ces radios sont toutes situées au sud de la Loire : Radiodiffusion française Vichy, 639 Elle ne le sera que par l’ordonnance du 4 février 1959 donnant à la R.T.F. la qualité d’établissement public d’Etat à caractère industriel et commercial. 640 Note n° 2 du 26 août 1944 - F43/137, A.N. 641 ECK, loc. cit. 642 Note n° 28 du 9 novembre 1944 - F43/137, A.N. 643 A note on the liberation of the French radio, 10 octobre 1944 - E1/719/1, WAC. 644 DUVAL, op. cit., p. 359. 645 Katharine Musson à Miss Reeves, 7 novembre 1944 - E1/719/1, WAC. 225 Radiodiffusion française Toulouse/Pyrénées, Radio de la nation française à Bordeaux, Radiodiffusion française Lyon, R.D.F. Limoges, R.D.F. Alpes Grenoble, Clermont-Auvergne. Les radios du nord de la Loire sont utilisées en priorité par la B.B.C. (Cherbourg, Lille, Rennes) ainsi que Limoges. Il est question par la suite de transformer ces stations en simples postes émetteurs relayant Paris646. Mais en octobre 1945, selon la B.B.C., la R.D.F. ne couvre encore que la moitié du territoire647. Les problèmes d’émission perdurent donc, et les fonds alloués par le Parlement à la R.D.F. ne permettent pas de reconstruction rapide des émetteurs qui font si cruellement défaut. Dans ces conditions d’exception qui empêchent la R.D.F. d’émettre dans toute la France et qui réduisent les déplacements de ses journalistes, une collaboration avec la B.B.C. représente un moyen de remédier quelque peu à ces difficultés. 1.2 Vers l’instauration d’un courant d’échange solide Dans son mémorandum de novembre 1944 sur les activités futures de la B.B.C. en Europe libérée, William Haley évoque la coopération qui devra être instaurée entre la B.B.C. et les radios continentales pour permettre une meilleure diffusion des programmes. D’ores et déjà en septembre 1944 cette collaboration s’établit avec la R.D.F. Durant les deux années qui suivent la Libération elle se déroule sur deux plans. Tout d’abord elle est d’ordre technique pour pallier en partie les difficultés de diffusion rencontrées par la R.D.F. Puis elle s’étend aux programmes et à la recherche radiophonique et télévisuelle. Dans l’immédiat, la R.D.F. s’efforce d’obtenir la possibilité d’émettre ses programmes. L’intérêt avec lequel l’Etat considère son action justifie les démarches entreprises par le chargé d’affaires français à Londres, Jacques Camille Paris, auprès d’Oliver Harvey du Foreign Office. Il en résulte un accord dont le contenu est résumé par J.B. Clark : “ Jusqu’à ce qu’un service de radiodiffusion soit plus complètement établi en France, la R.D.F. a la possibilité de conclure des arrangements avec la B.B.C. pour que des émetteurs situés sur le sol britannique diffusent certains programmes de la R.D.F., qui seront produits par des employés de la R.D.F. soit au Royaume-Uni, soit en France ”. Ces programmes 646 647 A note on the liberation of the French radio - Ibid. Herman Grisewood à Miss Reeves, 15 octobre 1945 - Ibid. 226 devront satisfaire aux exigences militaires, aux critères de la censure648 et seront donc soumis à un contrôle politique. Néanmoins la R.D.F. se voit concéder une entière liberté pour utiliser ces émetteurs (après avoir réservé les heures de diffusion des programmes), la B.B.C. se contentant uniquement de les mettre à sa disposition. Clark insiste sur la nécessité de laisser la R.D.F. agir en toute indépendance649. La mise en pratique de ces accords n’est pas immédiate en raison de la confusion qui règne toujours à la R.D.F. D’autre part, les Français doivent envoyer en Grande-Bretagne des employés possédant les qualifications requises. Il est décidé que la R.D.F. émettra trois quarts d’heure par jour (une demi-heure plus un quart d’heure), ce que celle-ci juge insuffisant650, mais ne peut discuter. Les enregistrements ont lieu l’après-midi pour les émissions diffusées le soir même, dans les studios dont la B.B.C. laisse l’utilisation aux techniciens français. De plus, à la suite d’un accord passé entre les directeurs généraux des deux radios, le personnel français bénéficie, de l’assistance de la B.B.C. pour se loger651. Une fiche de réservation de studio du 10 août 1945 donne la liste des programmes de la R.D.F. élaborés avec l’aide technique de la B.B.C. à cette date652. Outre les émissions destinées à l’Indochine, elles sont au nombre de trois quotidiennes : une émission concernant les prisonniers et déportés (un quart d’heure), Ce soir en France (un quart d’heure) et Paris vous parle (une demi-heure). Il apparaît donc qu’une heure de diffusion des programmes français sur les émetteurs britanniques avait été négociée. Ce soir en France et Paris vous parle étaient diffusées le soir, à respectivement 20 heures 29 (20 heures 45) et 21 heures 29 (22 heures). Les accords relatifs à l’utilisation des émetteurs de la B.B.C. doivent rester en vigueur tant que les autorités militaires ne jugeront pas possible de rendre les émetteurs R.D.F. aux Français. Cette situation se prolonge au delà de l’arrêt des combats, puisqu’en octobre 1945 la R.D.F. ne peut couvrir directement par ses propres transmetteurs que la moitié du territoire français. Certains endroits, tels Bayonne, Nancy ou Brest, ne sont atteints que grâce au relais de la B.B.C.653 Cependant la coopération R.D.F./B.B.C. ne se limite pas à cette assistance technique. Dès la Libération sont envisagés les premiers échanges de programmes et de 648 Mémorandum Clark, 20 septembre 1944 - E2/22/3A, WAC C.Eur.S. à A.C.Eur.S., 29 septembre 1944 - Ibid. 650 DG’s M, 27 septembre 1944 - Ibid. Par l’intermédiaire de Sullivan, la R.D.F. demande davantage de temps, ce qui ne lui est pas accordé. 651 Note d’un entretien DG (Haley) / Guignebert, 12 décembre 1944 - Ibid. 652 Watts à Hayes, 10 août 1945 - E2/22/4, WAC. 653 A.C.Eur.S. à Miss Reeves, 15 octobre 1945 - E1/719/1, WAC. 649 227 techniciens dans le domaine radiophonique. Sont également pris les premiers contacts devant déboucher sur une collaboration en matière de recherche télévisuelle. C’est en septembre 1944 que sont considérées les possibilités d’échanges de programmes, lorsque les émetteurs R.D.F. seront de nouveau contrôlés par les Français et pourront relayer à Londres des événements artistiques se déroulant en France, et réciproquement654.. La B.B.C. fait savoir à Guignebert son accord sur le principe d’une collaboration étendue655.. Les premiers échanges sont réalisés fin 1944, lorsque le représentant (alors officieux) de la B.B.C. auprès de la R.D.F. en transmet les demandes. Celles-ci portent dans un premier temps sur des publications de tous types qui permettraient de mieux évaluer l’effort réalisé par les Britanniques durant la guerre. Par l’intermédiaire de Sullivan, la R.D.F. demande donc des périodiques et brochures directement imprimés par les services du gouvernement britannique à des fins de propagande (ministère de l’Information, His Majesty’s Stationery Office), des journaux (Economist, Spectator...) ; ainsi que des publications de la B.B.C.656, qui font l’objet de nouvelles commandes début 1945 (Handbooks, Yearbooks, Calling all Nations, This is London calling)657.. Par la suite, des disques de musique anglaise pour un concert diffusé à la R.D.F. sont prêtés par la B.B.C.658. La R.D.F. est également intéressée par des documents sur la bataille d’Angleterre pour faire une émission spéciale659. Ces quelques demandes témoignent avec justesse des besoins de la R.D.F. adressés à la B.B.C. pour tenter de satisfaire la curiosité éprouvée par les Français, et les journalistes restés en France, pour l’allié britannique660. En retour, la R.D.F. enregistre pour la B.B.C. (ou à sa demande) le concert qu’Adrian Boult dirige le 1er mars 1945 au théâtre des Champs-Elysées661. Ces échanges de programmes n’ont pour l’heure qu’un caractère modeste. Les moyens techniques laissés à la libre disposition des deux stations ne permettent pas davantage. Devant l’enthousiasme des Français pour la coopération avec la B.B.C., la radio anglaise se montre plus circonspecte. Tout en tâchant de ne pas trop refroidir l’ardeur 654 Paul Bouchon (attaché à la mission de liaison militaire française) à Maurice Diamant-Berger (délégué du Gouvernement de la République française auprès de la B.B.C.), 12 septembre 1944 - E2/22/3A, WAC. 655 Clark à Guignebert, 13 octobre 1944 - Ibid. 656 Sullivan, Mémorandum, 7 octobre 1944 - Ibid. 657 Miss Reeves à Deal, 7 janvier 1945 - E1/719/1, WAC. 658 Sullivan à Miss Reeves, 21 avril 1945 - E2/22/4, WAC. 659 Watts à Miss Watson, 23 août 1945 - E1/711/1, WAC 660 Guignebert considère que les programmes doivent mettre à l’honneur des gens ordinaires pour témoigner efficacement du degré de mobilisation des populations en Grande-Bretagne et des difficultés matérielles éprouvées en France (Miss Gillespie à Gillian, 15 mars 1945 - E1/719/1, WAC). 661 Schick à Miss Reeves, 26 février 1945 - E1/719/1, WAC. 228 des Français, la B.B.C. n’oublie pas que de larges responsabilités lui incombent. Ainsi, début 1945, la R.D.F. propose de procéder à des échanges de personnel. Dans ce domaine, la B.B.C. hésite à abonder dans le sens des suggestions françaises en raison des difficultés de communication toujours présentes, et de la priorité qu’elle souhaite accorder au personnel des dominions et des colonies662. Le principe en est finalement accepté en juillet663. Mais aucun échange n’est encore réalisé, le contexte ne s’y prêtant pas dans l’immédiat. La recherche radiophonique et télévisuelle constitue également un domaine dans lequel l’existence de liens peut faire progresser plus rapidement les techniques employées. De plus, les périodes de conflit sont toujours génératrices d’expériences relatives aux armes qui pourraient procurer un avantage décisif sur l’ennemi. La Deuxième Guerre ayant établi et consacré l’importance des ondes comme moyen d’action psychologique essentiel, les recherches en la matière ont été favorisées. Mais l’interruption des communications entre la France et la Grande-Bretagne a retardé les possibilités de collaboration. Il s’agit dès lors, après la Libération, de s’intéresser aux progrès accomplis dans chacun des pays. Cette évaluation des connaissances acquises est en outre facilitée par le sentiment amical liant dans ce domaine les deux pays, qui sont volontiers désireux de développer une coopération. Celle-ci ne concerne pour l’heure que l’échange de renseignements sur les avancées réalisées. Les Français éprouvent ainsi un certain intérêt pour les techniques de diffusion utilisées en Grande-Bretagne, probablement dans la perspective de la reconstruction des émetteurs détruits et de la réorganisation de la radio française. Il est décidé lors d’une réunion d’information tenue au Foreign Office en octobre 1944 de “ donner toute facilité ” aux membres de la R.D.F. pour les étudier à loisir664.. Côté britannique, l’attention de la B.B.C. se porte plutôt sur les progrès de la télévision française. Avant la guerre, la B.B.C. disposait du service de télévision le plus ancien au monde, inauguré en 1936. Ce service émettait deux heures par jour avec une définition de 405 lignes. Il avait été interrompu pendant la guerre, alors que la GrandeBretagne comptait vingt trois mille détenteurs de licences. Les Britanniques étaient conscients que les Etats-Unis et la France avaient fait progresser leurs recherches dans le domaine audiovisuel ; ils étaient soucieux de connaître ces développements afin de les situer par 662 A.C.Overseas S. à C.Eur.S., 26 avril 1945 - E2/22/4, WAC. Haley à Guignebert, 16 juillet 1945 - Ibid. 664 Speaight à Clark, 7 octobre 1944 - E2/22/3A, WAC. 663 229 rapport à leurs propres connaissances techniques665. En France, depuis les premiers essais auxquels il avait été procédé en 1932, les expériences s’étaient multipliées. Cependant, même si à la veille de la guerre une centaine de téléviseurs avaient déjà été vendus, la télévision, diffusant deux heures de programme par jour à Paris, en était restée à un stade expérimental. Pendant l’Occupation, au centre expérimental de Montrouge, les recherches s’étaient poursuivies dans le plus grand secret666. A la Libération il existait deux définitions, 450 et 1050 lignes, dont les techniciens travaillaient à améliorer la qualité667. Mais le rythme des expériences avait dû être ralenti en raison de la pénurie et de la réquisition de l’émetteur de la Tour Eiffel à des fins militaires668. Le premier rapport conservé sur la situation de la télévision française provient d’un membre de la division de la Guerre Psychologique attaché au Commandement allié, McLean, qui fait part de ses observations au responsable des services techniques de la B.B.C. à la mi-1945. Les studios réservés aux expérimentations sont à cette date au nombre de onze, dont deux de très grandes dimensions, mais il manque des équipements. Des essais de transmission se poursuivent grâce à un émetteur installé à côté de la Tour Eiffel. Les travaux en cours portent sur le développement d’une définition de 1000 lignes environ pour obtenir une bonne qualité d’image, qui pourrait aboutir, estime McLean, d’ici à deux ou trois ans au lancement d’un service de télévision. Les récepteurs, dont la fabrication n’est guère encouragée en cette phase de tâtonnements, pourraient alors être commercialisés en quantités plus importantes669. En 1946, une séance de démonstration est organisée pour deux officiels du gouvernement britannique, Jonathan Griffin, l’attaché de presse de l’ambassade, et Geoffrey Kirk du Foreign Office à l’occasion de leur visite des studios de la rue Cognacq-Jay. Ils en ressortent assez impressionnés par les réalisations dont ils ont été les témoins. Ils notent que les interférences sur l’image sont très rares, et que la transmission est plutôt bonne même si on voit encore les lignes, ce à quoi on s’habitue d’ailleurs rapidement670. Ce compte rendu est transmis à Sir Noël Ashbridge, adjoint du directeur général de la B.B.C., ce qui dénote l’importance accordée à la question. Les notes techniques sont nombreuses sur les progrès de la télévision française, dont les débuts sont 665 BRIGGS, op cit., partie III, voir le chapitre “ The Sleeping Beauty ”, p. 175-196. Miss Reeves à C.Eur.S., 8 janvier 1945 - E1/726/1, WAC. En Grande-Bretagne, il y avait en comparaison quinze mille à vingt mille récepteurs de télévision de type d’avant-guerre. 667 Controller Engineering Bishop à E.L.O., 21 octobre 1944 - Ibid. 668 Gisèle d’Assailly, La télévision en France, 18 avril 1945 - Ibid. 669 McLean à Bishop, 19 mai 1945 - Ibid. 670 Rapport Kirk / Griffin, 15 janvier 1946 - Ibid. transmis à Sir Noël Ashbridge le 18 janvier. 666 230 considérés comme très prometteurs par les techniciens de la B.B.C.671. Ces notes peuvent ainsi concourir à orienter les propres recherches de la radio anglaise. Néanmoins les échanges sont lents à se réaliser, en partie à cause du contexte qui, nous l’avons vu, est très pesant. Mais un autre facteur, qui est l’instabilité des structures, ne facilite pas non plus une mise en pratique rapide des projets élaborés. Cette instabilité est manifeste côté français, où le gouvernement cherche à réorganiser la R.D.F. Trois représentants se succèdent à Londres : en décembre 1944 Veillet-Lavallée, en août 1945 Adalbert de Ségonzac672, et à partir d’avril 1946 Jean Castet. Toutefois à l’exception de la nomination de Castet directement liée à l’arrivée du nouveau directeur de la R.D.F. Wladimir Porché673, ces changements ne présentent aucun rapport avec les modifications intervenues à la tête de la R.D.F. (Claude Bourdet, nommé le 11 décembre 1945 reste deux mois à son poste674). Par ailleurs c’est seulement en décembre 1946 qu’est créé un Bureau Central des Echanges Internationaux dont le rôle est d’“ assurer la coordination des relations entre la R.D.F. et l’étranger en matière de distribution et d’échanges de programmes ”. Ce nouveau service regroupe deux composantes : le Service des Relations Extérieures rattaché à la Direction des Emissions sur ondes courtes, et le Service des Relations avec les Radios Etrangères qui relève de la Direction des Emissions Artistiques. Il vise donc à rationaliser les rapports avec l’étranger, en liaison avec l’administrateur général délégué de la R.D.F., Jacques Meyer qui depuis juin est le coordinateur de toutes les questions internationales. Toutefois le service des relations avec l’étranger de la direction technique reste indépendant675. La B.B.C. a longtemps hésité à envoyer en France une représentation permanente (voir chapitre précédent). Succède à John Sullivan fin juillet 1945 Imlay Watts676, puis, à partir d’avril 1946, Cecilia Reeves prend ses fonctions dans le bureau de la maison de 671 H.B. Rantzen à A.C.E., 5 juillet 1946 - Ibid. De nombreuses notes techniques se trouvent dans ce dossier. 672 D.D.M. à D.M., 14 août 1945 - E2/22/4, WAC. 673 Porché à Haley, 6 avril 1946 - Ibid. 674 Extrait du J.O.R.F. du 12/12/45 - F43/137, A.N. et Miss Reeves à A.C.Eur.S., 9 février 1946 - E2/22/4, WAC. 675 Note n° 290, 9 décembre 1946 - F43/137, A.N. La note n° 214 du 19 juin 1946 charge Jacques Meyer des relations avec les organisations internationales et étrangères de radiodiffusion (voir note n° 236, 23 août 1946 - F43/139, A.N.). 676 The B.B.C. Annual Report 1945-46, p. 29. Cependant, le 25 juillet 1945 John Sullivan était toujours représentant de la B.B.C. à Paris (note de Miss Reeves, E1/726/1, WAC). 231 la radio qu’elle occupe pour être mieux à même d’assurer son rôle de liaison avec la R.D.F. (Imlay Watts est alors en charge de ce qui concerne la télévision). En attendant de pouvoir donner un contenu concret à ces échanges, les deux stations s’accordent d’ores et déjà sur un point : il apparaît important tant d’un point de vue sentimental que sur le plan politique de prolonger en temps de paix cette fraternité vécue pendant la guerre par delà les ondes entre les deux populations, les faire se mieux connaître et s’apprécier677. En effet, le Service Français était né “ dans l’improvisation et la 678 précipitation ” le 27 septembre 1938, en pleine crise de Munich679, mais n’avait réellement été organisé que durant le conflit. A l’issue de celui-ci une reconsidération de ses programmes est nécessaire. Les Britanniques bénéficient alors de cet atout de grande valeur que représente une réputation d’objectivité et d’exactitude des faits relatés sur leur antenne. Mais répondre aux demandes des auditeurs est d’autant plus crucial que leur attention est également sollicitée par la R.D.F. La B.B.C. est donc confrontée à la concurrence, qui ne peut manquer de faire décroître le nombre de ses auditeurs. Il faut donc dès lors limiter autant qu’il est possible ces pertes potentielles, et s’efforcer de retenir et de fidéliser à nouveau un auditoire français. Ainsi afin de susciter et de conserver une audience dont l’image positive de la B.B.C. doit beaucoup à la prégnance du souvenir de la guerre, les concepteurs des grilles de programmes s’efforcent de doser intérêt, information et divertissement et d’adapter graduellement le Service français au temps de paix. 2.- D’UNE RADIO DE GUERRE À UNE RADIO DE PAIX Le passage de la guerre à la paix doit s’accompagner d’une réorientation des objectifs de la B.B.C. Ceux-ci se caractérisent par la persistance de l’ambivalence politique / culturel. L’indépendance dont fait preuve la B.B.C. au sein de la stratégie globale de projection culturelle britannique est à double tranchant : elle apparaît de facto d’une certaine 677 Voir les propos de Jean Guignebert, Miss Gillespie à Gillian, 15 mars 1945 - E1/719/1, WAC The European Service of the B.B.C., op. cit., p. 6. 679 Il se limitait à la diffusion de bulletins d’information. Voir BRIGGS, op. cit., vol 2, p. 645. 678 232 façon comme “ paratonnerre ” des services culturels contre toute éventuelle accusation de biais idéologique, même si elle attache une importance fondamentale à sa réputation d’objectivité ; et par ailleurs elle offre un mode d’approche complémentaire pour diffuser des informations sur la culture anglaise et pour favoriser le développement de relations entre France et Grande-Bretagne. Pendant la période 1944-46, elle bénéficie d’un préjugé favorable lié au souvenir de la guerre qui crée un contexte propice à une reconversion en douceur - même si elle ne s’avère pas aisée - vers des programmes de paix. 2.1. L’audience : la prégnance du souvenir de la guerre Désireux de connaître l’accueil réservé par les auditeurs aux programmes qu’ils composent pour pouvoir les accorder (autant qu’il leur est possible) aux goûts de ceuxci, les responsables de la B.B.C. suivent régulièrement les études d’audiences réalisées. Deux départements se chargent de centraliser et analyser les renseignements, opérations à l’issue desquelles ils rédigent des rapports. Il s’agit du département de Recherche de l’Audience (Listener Research Department), subdivisé en sections géographiques dont l’une couvre l’Europe ; et du département de Renseignements (Intelligence Department) dont la structure comprend également une section Europe. Les rapports sont élaborés à l’aide de documents et témoignages dont l’origine et la quantité dépendent de la situation des communications entre le Continent et la Grande-Bretagne. A cet égard, le Débarquement en Normandie introduit une césure dont il est tenu compte dans la présentation de l’échantillon analysé pour préparer le rapport portant sur la période du 25 janvier au 30 septembre 1944680. En voici la composition : 680 B.B.C. Surveys of European Audiences - European Intelligence Papers - Metropolitan France - 2 octobre 1944 - E2/193/6, WAC. 233 Avant le Après le Débarquement Débarquement ------------------------ ----------------------. Entretiens avec des personnes ayant quitté la France .. Messages privés .. Lettres TOTAL 79 % 14 % 7% ----------100 % (364) 30 % 56 % 14 % ----------100 % (257) Avant le 6 juin 1944, les sources utilisées sont en forte majorité des entretiens, et les renseignements recueillis parviennent de presque tous les départements de France métropolitaine. Après le 6 juin, les communications physiques avec la GrandeBretagne s’avèrent plus difficiles en raison des passages des armées et de convois assurant leur ravitaillement et leur soutien logistique. Aussi les sources et surtout les entretiens sont-ils moins nombreux, et les documents écrits parvenant à la B.B.C. rendent-ils surtout compte de l’opinion des auditeurs du quart nord-ouest de la France. Dès la deuxième quinzaine d’octobre 1944681 les messages reçus de province et de Paris dans des proportions équivalentes (quarante-huit et quarante-sept respectivement) ainsi que les entretiens réalisés permettent, malgré la faiblesse de l’échantillon, de couvrir de nouveau le territoire français. S’ajoute en complément le rapport du Broadcasting officer de Suisse pour le sud-est de la France. Les études menées par les départements chargés de mesurer les audiences ne s’appuient que de façon marginale sur les sondages réalisés par des organismes extérieurs, et dès la fin 1944 ces départements composent leurs échantillons à partir de deux sources uniques : des questionnaires, et des fiches préparées à partir de l’analyse de lettres. Le premier questionnaire est élaboré après la libération de la Normandie et envoyé à six cents auditeurs dont les adresses de 1939 avaient été conservées par la B.B.C. Deux cent soixante-neuf réponses parviennent à Londres, ce qui est considéré comme un résultat satisfaisant compte tenu de l’exode et des déplacements divers de la population. Ces réponses sont la base de questionnaires ultérieurs de même type. Les questions concernent les conditions d’écoute (en 1945 seulement), la sociologie et la géographie de l’audience, les horaires d’écoute (non systématiquement), les préférences des auditeurs parmi les émissions 681 Aide-memoire on salient points from evidence received between october 16th and october 31st 1944 B.B.C. European intelligence - E1/706, WAC. 234 diffusées, les souhaits des auditeurs. Parfois s’y mêlent également des réflexions relatives à des sujets politiques. L’analyse des lettres reçues par la B.B.C. sont l’élément essentiel (mais pas unique, parfois s’y ajoutent les réponses aux questionnaires) permettant à l’Intelligence officer de préparer une fiche FRANCE faisant état de l’appréciation portée sur les programmes et les commentaires annexes concernant parfois des questions politiques. Ainsi les études d’audience reposent sur les réactions à la fois sollicitées (sur la radio) et spontanées (sur l’actualité) des auditeurs. Les limites de cette méthode apparaissent cependant. Peu de critiques sont émises à l’encontre de la B.B.C., seuls les points relatés sont susceptibles de donner lieu à des réactions plus ou moins vives. En effet les auditeurs vraiment insatisfaits auraient plutôt tendance - on peut le supposer - à écouter une autre station, Sottens (Suisse en langue française) par exemple, en attendant de s’attacher à la nouvelle R.D.F. Il reste que réponses aux questionnaires et lettres682 permettent de mieux cerner la sociologie et la localisation de l’auditoire “ actif ” ainsi que son évolution quantitative dans des conditions d’écoute encore aléatoires. Ainsi peut être réalisé un tableau d’ensemble de l’auditoire de la B.B.C. en France. Voici la description de deux échantillons analysés : 682 Le nombre de lettres reçues par la B.B.C. sur la période 1944-1946 se répartit comme suit : - Pour l’année 1945 : Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre Novembre Décembre 804 455 547 743 501 528 370 603 729 783 - Pour l’année 1946 : Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août/Septembre Octobre Novembre Décembre 643 450 575 446 587 492 281 657 846 235 Hommes Femmes - Métier : Professions libérales Classes moyennes Ouvriers Paysans Etudiants/Elèves Non spécifié - Age : moins de 25 ans 25 - 50 ans plus de 50 ans - Lieu d’Habitation : plus de 30 000 habitants 5 000 - 30 000 habitants moins de 5 000 habitants - Fréquence d’écoute du Service Français : plusieurs fois par jour une fois par jour occasionnellement du Home Service plusieurs fois par jour une fois par jour occasionnellement jamais 1/11/44 15/01/45683 (269) 70 % 30 % 32 % 50 % 10 % 8% 22 % 38 % 40 % - 90 % 9% 1% jan-fév 1945684 (200) 58 % 42 % 23,5 % 33 % 12,5 % 10 % 6% 15 % 25,5 % 42,5 % 29 % 30,5 % 22 % 47,5 % - 6% 6% 13 % 75 % Ces deux échantillons ont été établis à des dates rapprochées et sont les deux seuls à pouvoir être comparés ; ce qui ne permet pas de réaliser une analyse solide mais seulement de dégager quelques points indicatifs. Ainsi l’écrasante majorité de réponses masculines lors du premier questionnaire est corrigée dans le sens d’un rééquilibrage lors du second. Un troisième datant de décembre 1946 confirme toutefois une large prédominance de réponses masculines685. Les réponses proviennent d’individus plus jeunes en moyenne dans le second cas. Un sondage réalisé en juillet 1946 par Gallup686 fait apparaître une majorité d’auditeurs habitant les grandes villes, ce qui infirme les résultats du deuxième questionnaire. Cependant, selon des observations faites en novembre 1946, les correspondants les plus 683 Analysis of questionnaires completed by listeners in France, 1er novembre 1944 - 15 janvier 1945 E1/706, WAC 684 Analysis of questionnaires completed by listeners in France, janvier-février 1945 - Ibid. 685 Questionnaire décembre 1946 - E3/43/2, WAC. 686 Answers to Foreign Office questionnaire, French Section B.B.C., octobre 1946 - R34/357/1B, WAC. 236 réguliers habitent dans les zones rurales687.. Il confirme en revanche la prépondérance de classes moyennes et de professions libérales, classes aisées, avec un certain niveau d’études, bien que la catégorie “ classes moyennes ” soit peu précise. C’est la seule certitude qui peut être retirée de l’examen des questionnaires. Les auditeurs de la B.B.C. se trouvent dans toutes les catégories sociales, mais les catégories aisées y sont représentées en plus grandes proportions. Ce résultat correspond aux souhaits exprimés par William Haley : cette composante de l’auditoire de la B.B.C. est bien la cible prioritairement visée par les programmes. La localisation des auditeurs est plus fluctuante car elle dépend des conditions d’écoute qui sont variables. Par exemple à la mi-1946, ils se situent surtout dans le nord de la France, à Paris et dans le nord-est688. Le sondage Gallup évoqué plus haut permet enfin de préciser la part de l’auditoire potentiel et réel de la B.B.C. en 1946 par rapport à la population française qui fait d’ailleurs cette même année l’objet d’un recensement. Il appert que 30 % des Français connaissent l’existence du Service Français de la B.B.C. Sept millions de Français l’ont écouté au moins une fois dans les quinze jours précédant le sondage, soit 56 % des auditeurs potentiels689. Ce résultat est considéré par la B.B.C. comme très satisfaisant et inattendu. Le directeur du Service Européen, Ian Jacob, commente “ Ce qui est immédiatement frappant, [...] c’est d’abord que nous avons une audience considérable en France. Un cinquième de ceux qui ont écouté la radio durant les quinze jours en question nous ont écouté ”. Avant d’ajouter : “ 60 % [sic] ne savent pas que notre service existe, ce qui donne à réfléchir sur nos arrangements publicitaires ”690. En affinant un peu plus l’analyse, apparaît en juillet 1946 un noyau d’environ deux millions à deux millions et demi de personnes qui écoutent au moins une fois par jour le Service Français de la B.B.C., les quatre millions / quatre millions et demi restants sont des auditeurs occasionnels. La proportion d’auditeurs réguliers subit au cours du second semestre 1946 une brutale chute, et est estimée autour d’un million d’individus691. 687 Evidence on the French Audience for British broadcasts, novembre 1946 - E1/693 - WAC. James Monahan, Report on listener research in France, 31 août 1946 - Ibid. 689 La population française est estimée à quarante-deux millions d’individus pour ce sondage, dont douze millions et demi connaissant le Service Français de la B.B.C (le recensement donne comme chiffre total de population quarante millions trois cents mille Français). Ibid. 690 Ian Jacob (C.E.W.S.) à DG, 18 juillet 1946 - E1/693, WAC. 691 Polling the B.B.C. French audience 1946 - 1948 - E1/702/3, WAC. 688 237 L’examen des programmes et la mise en regard des souhaits des auditeurs fournissent quelques clés d’explication à ce phénomène. 2.2 Les programmes : la difficile conciliation de la gravité avec l’insouciance L’étude des grilles de programmes des années 1944 à 1946 fait apparaître les efforts réalisés par la B.B.C. pour proposer aux auditeurs français des programmes variés et répondre à leurs attentes. De façon inédite, les membres du service jouissent d’une grande autonomie d’action, le principe adopté étant celui d’une large place laissée à une production française de préférence à une production placée sous supervision britannique. En outre est prévue des interventions régulières de journalistes français, en plus de l’équipe anglaise692.. La gageure consiste pour la radio britannique à conserver son audience en conciliant l’image de station sérieuse qu’elle a imposée pendant la guerre et une diversification de ses programmes, afin de parvenir à un dosage attractif d’information et de détente. D’une manière générale, trois types d’émissions remportent particulièrement les suffrages des auditeurs français : les bulletins d’information, les programmes ayant pour thème la vie quotidienne en Grande-Bretagne, et les cours d’anglais. Mais les demandes de programmes récréatifs prennent graduellement de l’ampleur. Les nombreuses modifications observées dans les grilles traduisent les réponses apportées à ces demandes. La B.B.C. offre au 6 juin 1944 des informations (dépêches, commentaires, nouvelles de France), quelques rares intermèdes musicaux, et l’émission Les Français parlent aux Français qui gagne un quart d’heure supplémentaire après le 6 juin (de 20h30 à 21h00). Avant le Débarquement, les auditeurs commençaient à donner des signes d’épuisement nerveux. Les rapports693 relèvent des critiques portées contre les encouragements donnés par la B.B.C. à une population à bout qui veut des faits et non plus des promesses. Est observée alors une légère augmentation de l’audience des interventions de Philippe Henriot à la radio française. Mais avec le Débarquement, cette acrimonie disparaît pour faire place à 692 C’est ainsi qu’interviendront régulièrement Jacques Duchesne, Jean-Paul de Dadelsen ou Mengin (de l’AFP). C.Eur.S. à D.Eur.O., 11 septembre 1944. - R13/147, WAC. 693 B.B.C. Surveys of European Audiences - European Intelligence Papers - Metropolitan France - 2 octobre 1944 - E2/193/6, WAC. 238 l’enthousiasme et à la gratitude à l’égard de la Grande-Bretagne et de sa radio. Repliés sur l’Hexagone, soumis à une propagande intensive pendant l’Occupation, les Français respirent de nouveau et se tournent avec curiosité vers le monde qui les entoure. Les demandes des auditeurs concernent d’abord des informations sur l’étranger (l’Asie), sur les Alliés - EtatsUnis en premier, puis Grande-Bretagne - (leur effort de guerre, leurs relations avec la France, la vie quotidienne dans ces pays...). Des leçons d’anglais sont aussi souhaitées, surtout par les gens modestes, pour pouvoir communiquer avec les libérateurs. Des programmes musicaux sont enfin réclamés. Vers la fin de l’année 1944 les rapports sur la progression des fronts sont suivis avec beaucoup d’intérêt. Reprendre contact avec le monde, écouter librement des informations estimées relativement objectives, et tout connaître de leurs libérateurs, tels sont les principaux désirs des auditeurs. La première grille de programmes stabilisée après le Débarquement peut être datée du 23 octobre 1944694. A ce moment disparaît des ondes Les Français parlent aux Français. Cependant, si les programmes ne sont plus destinés à une population occupée par l’ennemi (même si celui-ci est encore présent sur le territoire français), ils restent des programmes de guerre, dominés à 65 % par les informations. Le temps d’émission quotidien dépasse les quatre heures par jour, par petites tranches horaires discontinues. Les émissions proposées font toujours suite aux actualités et à leur commentaire. Elles se situent en milieu de journée, en début et en fin de soirée. Elles font l’objet d’une rediffusion en cours de semaine. Elles traitent principalement de la Grande-Bretagne, depuis la vie à Londres jusqu’à l’actualité culturelle ou politique. Les émissions du soir ont globalement une orientation légèrement plus culturelle que politique. Cette grille vise bien à étancher la soif d’information des Français exprimée dans les sondages de la B.B.C. En 1945 se produit une nette diversification des programmes. En deux grilles successives (en juin et en octobre), le rapport informations / émissions se renverse au profit des émissions qui en octobre atteignent une proportion de 65 % des programmes. La grille de juin donne l’impression de traduire des hésitations : certains programmes sont supprimés pour être réintégrés dans la grille d’octobre. Tel est le cas des émissions consacrées à la guerre (Entente franco-britannique, l’Angleterre en guerre [et la Résistance française]) ou de l’Université des ondes. Font leur apparition des programmes liés à l’actualité de la vie économique (Chronique agricole, Chronique économique). En mars 1945 est lancé un programme promis à un bel avenir, l’Anglais par la radio, d’abord limité au 694 Voir les grilles de programmes reconstituées en annexe 11. 239 dimanche après-midi. Les émissions d’actualité politique et culturelle sont maintenues, ainsi que les plages horaires consacrées au dialogue avec les auditeurs (Courrier de l’Europe, Quatre hommes dans un studio et son successeur Six autour d’un micro). Ces modifications marquent l’attention portée par les concepteurs des grilles aux observations des auditeurs. La diversification des programmes se poursuit en octobre avec l’insertion d’émissions plus légères et divertissantes (différentes des émissions culturelles, de haute tenue intellectuelle) : les Histoires courtes et un feuilleton. Une chronique concernant la vie industrielle complète ce tableau. Parallèlement s’opère une rationalisation des tranches horaires. L’émiettement en petits programmes, observable dans la première grille, fait place à l’institution de quelques grandes plages d’émissions repérables dans un schéma d’émission par ailleurs discontinu, diffusées en milieu de journée, en début et en fin de soirée. Les informations sont toujours appréciées, ainsi que la série l’Anglais par la radio, et les programmes traitant de questions pratiques, en particulier ceux visant à répondre aux interrogations des auditeurs (Quatre hommes dans un studio, Courrier de l’Europe puis Six autour d’un micro dès octobre)695. Ces émissions sont le plus souvent citées. Cependant alors que le conflit prend fin, les demandes des auditeurs traduisent un état d’esprit plus léger. Musique et feuilletons sont vivement réclamés dès fin 1945. Les jeunes citadins souhaitent davantage d’émissions sportives ou consacrées au cinéma, et les femmes expriment un intérêt marqué pour des chroniques de la vie londonienne (janvier-février 1945). Apparaissent d’autre part des réactions d’auditeurs sur des questions politiques. Ces réactions traduisent des incompréhensions à l’égard de la politique extérieure britannique, et invitent implicitement à des éclaircissements. La B.B.C. est alors sollicitée en tant que voix de la Grande-Bretagne. Les questions ou commentaires portent en général sur les attitudes britanniques considérées comme préjudiciables à la France : lenteur et insuffisance de la contribution anglo-saxonne aux approvisionnements français, comportement jugé indûment clément vis-à-vis de l’Allemagne (réception de prisonniers de guerre allemands en Grande-Bretagne696). De façon ponctuelle, les événements syriens697 sont également évoqués. Ces thèmes sensibles font alors l’objet de controverses dans la population 695 Pour 1945, les sources sont : janvier-février 1945 : E1/706, WAC. février, mai, juin 1945 : E2/193/6, WAC. mars à décembre 1945 : E3/46, WAC. 696 Evidence ... décembre 1946. – E3/46/2, WAC. 697 La Syrie est militairement occupée par les Français libres pendant la guerre, et déclarée indépendante. Sous la double pression nationaliste syrienne et alliée la France doit mettre fin à son mandat sur la Syrie en 1945. 240 française698, en écho à celles ayant éclaté à la suite des mésententes survenues entre France et Grande-Bretagne après la Première Guerre mondiale : la victoire obtenue, les Alliés poursuivent des stratégies propres qui servent leurs intérêts, et ainsi se désunissent. Ce retour à une realpolitik s’accommode mal de la charge affective persistante dont est revêtu le souvenir encore frais de l’alliance du temps de guerre. De façon sous-jacente, la GrandeBretagne est accusée de chercher à préserver l’Allemagne au détriment du souvenir des souffrances endurées par les Français occupés, ou encore taxée d’égoïsme en raison de la lenteur de l’arrivée des charbons anglais. Jusqu’ici, la B.B.C. dispose d’une audience importante due à son prestige, à la qualité de ses programmes, mais également à l’inexistence de concurrence sérieuse. Pour pallier les difficultés d’émission de la station française, la B.B.C. lui octroie une plage horaire dans sa propre grille (une demi-heure en juin, ramenée à un quart d’heure en octobre). Or à partir d’avril 1945, la R.D.F. reprend ses émissions. Certains auditeurs se plaignent du manque de coordination entre les programmes des deux stations (juin 1945), et répugnent visiblement à faire un choix, un peu comme si l’alliance de temps de guerre qui se délitait sur le plan politique devait perdurer sur le plan radiophonique. Mais fin 1945, la concurrence de la R.D.F. commence à affecter le volume d’audience de la B.B.C.699.. S’ajoutent les effets des changements d’horaire des programmes. A partir d’octobre, les analystes de sondages font part de leur impression diffuse d’une baisse d’audience, qui coïncide précisément avec l’entrée en service de la nouvelle grille. Or la diffusion de programmes français revêt une importance stratégique certaine, le gouvernement étant encore instable et les élections de 1945 ayant fait du Parti communiste le premier parti de l’Assemblée. Sur le plan financier, nous ne disposons pas de données chiffrées antérieures, mais la répartition du budget consacré à la réalisation des programmes pour 1946 place le français juste derrière l’allemand, avec 350 £ par semaine700. Faisant le point des dépenses sur 698 Le bulletin n° 211 (janvier-février 1947) de France-Grande-Bretagne établit une liste de ces rumeurs défavorables à la Grande-Bretagne (afin de les réfuter) : les denrées alimentaires vont en Grande-Bretagne et non en France, les Britanniques reçoivent des officiels allemands, les prisonniers allemands sont très bien traités en Grande-Bretagne, la Grande-Bretagne ménage l’Allemagne et refuse de livrer son charbon à la France. (In J. ARNAVON, “ Bobards dangereux ”, p. 9). 699 D’autres facteurs contribuent à cette perte d’audience : les coupures d’électricité sont encore fréquentes, et la B.B.C. a entre-temps abandonné une fréquence d’émission qui lui apportait une audience plus substantielle dans le sud et l’est de la France. (FRANCE, juin 1945, E3/46, W.A.C.) 700 Les dépenses sont considérées en fonction du langage d’émission. Toutefois, comme la situation politique de la France est un élément pris en considération par le British Council, la B.B.C. ne peut qu’y porter attention, le Foreign Office veillant à la cohérence des choix de ces services d’information à l’étranger. Stevens à AC (Eur. S.), 27 février 1946. - R20/65/1, WAC. 241 six mois, depuis avril 1946 (début de l’année budgétaire), Richard Marriott évalue à 4 500 £ les dépenses touchant à la fabrication de programmes étrangers, dont 3 000 pour le français701. Au cours du premier semestre budgétaire, les efforts de création de programmes ont donc porté en premier lieu sur les émissions en français. Les nouveaux programmes de 1946 (avril et octobre) se caractérisent par une stabilisation des contenus. Le rapport émissions / information se maintient dans les mêmes proportions (respectivement deux-tiers / un tiers). Les émissions traitant de la guerre disparaissent à nouveau. L’Anglais par la radio prend un rythme quotidien à 21h, et de nouveaux programmes divertissants sont proposés : Odds and Ends et une Chronique des spectacles. Enfin quelques émissions faisant la liaison Paris-Londres trouvent leur place au sein des grilles. Toutefois, cette offre ne répond pas exactement aux souhaits des auditeurs, qui, encore fréquemment durant toute l’année 1946702, réclament davantage d’émissions de divertissement. Les programmes sont dans leur ensemble jugés “ intéressants, instructifs, éducatifs ” mais quasiment jamais “ amusants ou divertissants ” (mars 1946). La réputation de sérieux de la B.B.C., née de l’objectivité de ses bulletins d’information s’est étendue aux autres programmes et confère au Service Français une impression d’austérité qui s’accorde mal avec l’esprit d’après-guerre. Les programmes musicaux et les feuilletons sont de fait vivement appréciés. Une seconde constante de cette année 1946 est l’évocation de ce qui est considéré comme l’indulgence britannique à l’égard de l’Allemagne. Les auditeurs français expriment leur désaccord, leur tristesse, leur incompréhension, mais témoignent néanmoins de leur volonté de connaître le point de vue britannique et expriment le souhait d’une plus grande entente entre les deux pays. * Au total, entre la B.B.C. et la R.D.F. des échanges s’amorcent, mais particulièrement en raison du contexte de guerre, ils sont surtout informatifs. Il n’est pas question alors d’entreprendre des expériences communes. Les liens se fortifient néanmoins. Les Britanniques font preuve d’une bonne volonté circonspecte, due à l’ampleur de leurs 701 702 Marriott à E.L.O., 26 août 1946. - Ibid. Pour 1946, les sources sont : janvier à septembre, décembre 1946 : E3/46, WAC. octobre, novembre 1946 : E1/693, WAC. 242 responsabilités par ailleurs, pour coopérer avec la R.D.F. En revanche, les Français envisagent les possibilités de collaboration avec un enthousiasme mêlé de gratitude à l’égard de la radio britannique dont le soutien pendant l’Occupation a été inestimable. Parallèlement, la B.B.C. enregistre une relative désaffection des auditeurs français. Celle-ci peut s’expliquer d’abord par un “ dégonflement ” de l’audience liée à un retour progressif à des conditions normales de vie. En l’absence d’événements politiques exceptionnels desquels elle peut présenter cette vision réputée assez objective qui convient aux auditeurs et en fait une radio de référence, la B.B.C. est livrée à une concurrence qui diminue son audience. Le retour de la R.D.F. sur les ondes confirme ce point. Par ailleurs, et peut-être précisément en raison de cette volonté de préserver ce caractère sérieux et informatif qui la légitime ainsi que le souvenir de la guerre (ses voix, ses grandes heures), la B.B.C. de temps de paix que les auditeurs appellent de leurs vœux ne saurait rompre totalement avec la B.B.C. quasi-mythique du temps de guerre. Les auditeurs ne le souhaitent d’ailleurs pas : ainsi le retour de Jacques Duchesne en septembre 1945 sur les ondes du Service Français est chaleureusement accueilli ; également en mai 1946 le programme de Souvenirs de la B.B.C. figure parmi les émissions les plus appréciées. Cependant, la B.B.C. ne parvient pas de façon suffisamment perceptible à établir dans ses programmes présents un équilibre entre une insouciance immédiate et une gravité latente. TROISIEME PARTIE La consolidation des positions (1947-1948) 1 C’est du début de l’année 1947 que l’on peut finalement dater le début réel des actions culturelles britanniques en France. Les années 1944-1946 ont représenté pour les organismes chargés de cette action une période charnière de sortie de guerre, c’est-à-dire de réorganisation fonctionnelle, de réajustement de budget et du personnel, puis de préparation à l’accomplissement de leur mission dans des conditions encore inédites (avant guerre les efforts ont été assez limités, et pendant la guerre ils ont été réalisés dans un contexte exceptionnel), avec le lancement de leurs premières activités. Parce que les Communistes y sont influents, la France fait partie des pays dans lesquels l’action du Council est considérée comme prioritaire (chapitre 12). Les relations culturelles franco-britanniques s’insèrent dans un mouvement global de renforcement des échanges culturels bilatéraux par la signature d’une convention culturelle (chapitre 13). L’action du British Council se situe désormais sur deux plans : elle conserve son autonomie originelle, mais bénéficie également de la coopération formelle de la DGRC dans les domaines relevant de la convention (chapitre 14). Le Council parvient finalement à soumettre l’Institut britannique à sa tutelle (chapitre 15). La B.B.C. instaure une coopération avec la radio française tout en essayant de conserver une audience qui tend à diminuer depuis le retour à la paix (chapitre 16). 2 CHAPITRE 12 L’ENTRÉE EN GUERRE FROIDE Dans les années 1944-1945, à la faveur de l’avancée des armées Alliées, le British Council avait ouvert des bureaux dans tous les pays d’Europe où il n’était pas représenté auparavant. L’après-guerre culturelle était essentiellement imprégnée de l’esprit antifasciste au nom duquel l’Europe était de nouveau libre. La rivalité naissante entre les vainqueurs dans ce domaine n’a réellement pris un caractère idéologique marqué qu’au fur et à mesure que ceux-ci ont exprimé des positions divergentes sur le futur de l’Europe et en particulier de l’Allemagne. Le cadre dans lequel s’exerce l’action du Council en 1947-1948 subit des changements notables en relation directe avec l’évolution des données internationales. Des tensions se développent entre les ex-Alliés désormais antagonistes et l’Europe est le centre de la rupture entre l’Ouest et l’Est constatée par Churchill à Fulton le 5 mars 1946. Peut-être futur champ de bataille militaire, l’Europe (et la France) devient rapidement le lieu d’un affrontement de plus en plus net entre deux idéologies. Les rivalités culturelles prennent une dimension politique qui va à l’encontre des principes du Council, et qui explique la fermeture de ses bureaux en URSS et en Roumanie en 1947. Parallèlement, la Grande-Bretagne s’engage dans un lent processus de décolonisation qui dans l’immédiat touche l’Asie du Sud-Est, et qui laisse entrevoir des possibilités de redéploiement du travail du Council en direction du Commonwealth. Le Foreign Office s’appuie donc sur ces deux données majeures pour décider, dans les limites du budget octroyé par le Trésor, de la ligne de conduite du Council. 3 Ainsi la France fait partie des pays bénéficiaires de cet arbitrage budgétaire, ce qui autorise le Council a y consolider les résultats acquis en y poursuivant une expansion concomitante, sans se départir de ses principes affichés de neutralité idéologique. 1.- UNE REDISTRIBUTION BUDGÉTAIRE DONT BÉNÉFICIE LA FRANCE Pour l’année 1947/48 le budget du British Council enregistre une augmentation ; il passe de 2 945 000 £ à 3 500 000 £ (voir Annexe n° 3). Cet accroissement traduit une réévaluation des méthodes de conduite de la politique étrangère britannique. En effet surmontant une répugnance encore évidente dans les années 30, le gouvernement se convertit au principe d’une “ forme nationale de publicité ”1 pour promouvoir la GrandeBretagne à l’étranger en temps de paix. L’application est lente, et ce n’est qu’après la crise de Suez qu’à la “ projection ” de la Grande-Bretagne hors de ses frontières seront attribués les fonds nécessaires. Mais dès à présent, l’Angleterre cherche à donner l’image d’une puissance mondiale, dont le statut international n’a pas été affecté par la guerre. En février 1946 il est indiqué dans un rapport sur les services d’information du gouvernement que “ l’objectif de base d’une information britannique à l’étranger est d’y garantir la présentation d’une image fidèle et adéquate de la politique des institutions et du mode de vie britanniques ”2. C’est l’objet du COI et du British Council. Et en dépit de ses difficultés économiques3, la présence britannique dans les grandes conférences d’après-guerre, son intervention en Grèce et l’existence du Commonwealth font encore illusion. Toutefois, en regard de la situation internationale, les fonds du British Council enregistrent une légère réorientation appelée à s’accentuer les années suivantes. D’ores et déjà, les pays destinés à obtenir rapidement leur indépendance ou nouvellement indépendants font l’objet d’efforts accrus, alors qu’en Europe la France est toujours considérée comme un pays prioritaire pour les actions du Council. 1 P.M. TAYLOR, “ Puissance, propagande et opinion publique : les services d’information britanniques et la guerre froide 1945-1947 ”, Relations Internationales, n° 55, août 1988, p. 377. 2 Cité dans TAYLOR, Ibid. p. 385. 3 Les nationalisations opérées par le gouvernement Attlee ont induit des charges qui pèsent lourdement sur la situation financière du pays. En 1947 est adoptée une politique d’austérité qui aboutira à la dévaluation de la Livre en 1949. 4 1.1 La montée en puissance de l’aide aux pays nouvellement indépendants En calculant les taux d’accroissement des contributions versées par chacun des départements concernés, on constate que l’India Office et le Burma Office sont responsables de la majeure partie de l’effort supplémentaire. 1946/47 - 1947/48 - Foreign Office + 21 % - Colonial Office + 1,8 % - India Office + 89 % - Burma Office + 143 % En effet, l’Inde et la Birmanie sont les premiers pays concernés par le processus de désengagement progressif des Anglais en Asie du Sud-Est. La Birmanie obtient l’autonomie interne en décembre 1946 avant l’indépendance en 1948. Le British Council se prépare donc à développer dans cette région une action d’abord éducative et technique. Cependant cette aide pratique n’est pas dénuée d’arrière-pensées. L’exemple de la révolution chinoise et les thèses marxistes qui y sont liées exercent une certaine séduction sur le mouvement de libération nationale birman, avec Than Tun. Il est également à craindre qu’en Inde ces théories prennent un poids grandissant, en un rejet radical des valeurs défendues par les colonisateurs anglais. Eviter une réaction aussi brutale suppose le maintien de liens entre la Grande-Bretagne et ces nouveaux pays. L’indépendance de fonctionnement du Council et le respect du principe de non-ingérence qu’il s’est imposé dans les questions politiques le rend a priori apte à mener à bien cette tâche4. L’augmentation de la contribution du Foreign Office représente essentiellement la participation britannique à une activité de contre-propagande dirigée contre le communisme. Les partis communistes d’Europe centrale renforcent leur position au sein des gouvernements, et déjà en 1946 la Bulgarie a fait son entrée dans la sphère de contrôle soviétique, en attendant l’année suivante la Pologne et la Roumanie. L’Allemagne est en 4 En 1948, le British Council ouvre des bureaux à Hong-Kong, en Inde, en Indonésie, en Malaisie, au Pakistan, à Singapour. Il est en Birmanie depuis 1946. DONALDSON, op. cit., p. 373-376. 5 partie occupée par l’Armée Rouge et les désaccords avec les Anglo-Saxons se font de plus en plus vifs. Enfin à l’Ouest le prestige dérivé de leur rôle dans la Résistance fait des partis communistes italien et français des forces politiques majeures de l’après-guerre et des partis de gouvernement. Le danger potentiel d’une telle situation retient toute l’attention des hauts fonctionnaires les plus influents du Foreign Office, convaincus de l’hostilité profonde de l’Union Soviétique à la Grande-Bretagne et à son mode de vie, et de l’impossibilité subséquente d’arriver à un quelconque accord avec elle. Ils sont en cela approuvés par l’EtatMajor5. Vers le milieu de 1946, Bevin, dont les idées à ce sujet n’étaient pas définitives, se rallie à ces vues. Néanmoins il convient de nuancer l’ampleur de l’effort de propagande britannique en Europe. La Division Europe reçoit 733 300 £6 pour 1947/48, soit 4 800 £ de plus que l’an précédent7 ; mais en proportion ce chiffre ne représente que 21 % du budget total, contre 24,7 % en 1946/47. On peut en conclure que l’Europe n’est plus une priorité absolue en matière de projection culturelle même si elle dispose encore d’un budget plus important que les autres Overseas Divisions8. La menace soviétique, jugée réelle, n’est pas considérée comme telle dans l’immédiat à l’Ouest, et la Grande-Bretagne bénéficie d’une image positive issue du conflit. En revanche l’action à mener dans le Commonwealth est plus urgente. Cette réorientation stratégique du Council se réalise au prix d’un repli en Amérique Latine9. Elle est confirmée par les décisions budgétaires concernant les autres départements du Council. Les crédits accordés à la Production Division, dont le rôle est de fournir le matériel fonctionnel, sont diminués en 194710. Les effets s’en font sentir en Amérique Latine, au Moyen-Orient, et en Europe. Parallèlement, l’accent est mis sur le développement des services d’accueil des visiteurs étrangers et des étudiants11, dont la majeure partie sera originaire du Commonwealth. 5 R. SMITH “ Ernest Bevin, British Officials and British Soviet Policy 1945-1947 ” in A. DEIGHTON, Britain and the First Cold War Macmillan, Basingstoke, 1990, p. 32-52. 6 British Council : Policy Committee Paper, A1 attaché à l’ordre du jour de la réunion du 14 octobre 1947 - BW 68/5, P.R.O. 7 British Council : Policy Committee, réunion du 11 novembre 1947, Paper A - Ibid. 8 Il y a trois Overseas Divisions : A : Colonies et Commonwealth B : Amérique latine, Moyen-Orient, Extrême-Orient C : Europe DONALDSON, op.cit., p. 160 9 En 1947, le Council se retire de Bolivie, de l’Equateur, du Guatémala, du Paraguay ; mais garde des bureaux dans les pays voisins. DONALDSON, op. cit., p. 373-376. 10 Howell, Rapport d’activités pour août et septembre 1947, daté du 30 octobre 1947 - BW 31/10, P.R.O. 11 WHITE, op. cit., p. 72 6 Cependant au cours de l’année 1947, la Grande-Bretagne prend la mesure de son affaiblissement. La reconstruction est longue et les difficultés économiques ont été aggravées par de nouvelles charges (nationalisations et réformes sociales). Les Britanniques sont d’ailleurs les plus gros bénéficiaires de l’aide Marshall (1/4 du total). Cette situation intérieure pose des limites aux prétentions de grande puissance exprimée par la GrandeBretagne ; elle doit renoncer à assister la Grèce dans sa lutte contre le communisme. L’austérité pratiquée oblige à des choix qui sacrifient l’expansion culturelle à l’extérieur et freinent l’élan donné à une politique qui se conduit sur le long terme et donne des résultats par conséquent lents à se manifester. Ainsi le budget global du Council pour 1948/49 tombe à 3 161 500 £ (au lieu de 3 500 000 £ en 1947/48). Le calcul des taux d’accroissement des contributions à ce budget confirme les tendances amorcées l’année précédente. 1947/48 - 1948/49 - Foreign Office - 11,8 % - Colonial Office - 26,2 % - Commonwealth Relations Office + 155,8 % Les crédits affectés au Commonwealth progressent rapidement. La diminution de la contribution du Foreign Office signifie une nouvelle réduction générale des activités fonctionnelles, voire parfois du personnel en poste à l’étranger. Cependant, cette nouvelle évolution se concilie avec le maintien, voire l’expansion des activités du Council en Europe. 1.2 La France prioritaire en Europe Avec 754 744 £ les crédits octroyés à la Division Europe connaissent un léger accroissement et représentent 24 % du budget total. Cette augmentation est à mettre en rapport avec l’intensification de la lutte idéologique, notable depuis la création du Kominform en octobre 1947. 7 Les préoccupations politiques inspirant la répartition budgétaire au sein de la Division Europe offrent une garantie contre toute réduction brutale du financement des activités menées en France - du moins dans l’immédiat. Ce financement représente pour 1947/48 et 1948/49 environ 10,5 % du budget Europe total et croît donc en proportion avec ce dernier. Si l’on considère les crédits accordés par pays, la France occupe pour les deux années la troisième position, derrière l’Italie et la Grèce en 1947/48, derrière la Turquie et l’Italie en 1948/49, avec respectivement 77 600 £ et 79 202 £12. Dans son rapport13, Kenneth Johnstone met en avant les deux considérations principales guidant l’élaboration des budgets pour chaque pays : leur situation politique et leur niveau d’inflation. Dans ces deux domaines, la France justifie le statut prioritaire qui lui est assigné. Exposant les grandes lignes du programme d’expansion de sa Division pour 1947/48, Johnstone explique avoir attribué les crédits les plus élevés (plus de 40 000 £) aux pays dans lesquels l’offensive communiste est jugée la plus forte, parmi lesquels la France (avec un surcroît d’activité). La participation des communistes au gouvernement Ramadier de janvier à mai 1947, et le soutien qu’ils apportent dès octobre aux violentes grèves qui se sont déclenchées sont observés avec inquiétude au Foreign Office en raison de la proximité de la France, mais aussi de son image traditionnelle de pays politiquement instable et faible, donc imprévisible. D’autre part, la lecture des estimations réalisées en vue de la préparation du budget 1948/4914 montre la prise en compte de l’inflation qui règne en France. En effet par rapport à l’année précédente les prix de détail à Paris augmentent en 1947 de 60 %, et en 1948 de 59 % (par rapport à 1947). La France est le seul pays d’Europe occidentale pour lequel la hausse du coût de la vie justifie une demande d’augmentation de budget. 5 000 £ sont prévues pour la couvrir. Ainsi la France est le pays pour lequel le budget estimé est le plus élevé : 80 000 £, suivi par l’Italie (77 000 £). Si l’on retranche les 5 000 £, les positions sont inversées. Mais pour toutes ces considérations, l’accent n’en est pas moins mis sur les économies à réaliser localement. Elles concernent d’abord le personnel. Ainsi l’ouverture d’un nouveau centre régional est prévu à Lille en novembre 1947, mais l’établissement de son 12 A titre comparatif, Massigli estime le budget 1946/47 pour la France à environ 75 000 £. Massigli à DGRC, 21 février 1946 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 58, M.A.E. 13 British Council : Policy Committee, réunion du 11 novembre 1947, Paper A - BW 68/5, P.R.O. 14 British Council : Policy Committee, Paper attaché à l’ordre du jour de la réunion du 14 octobre 1947 Ibid. 8 budget prend cinq mois. Un premier projet présenté en novembre 194715 est refusé par le Finance Committee. La seconde version mise au point en décembre16 ramène les 5 930 £ demandées pour 1948/49 à 5 918 £. Enfin en mars 1948 le Trésor donne son approbation. La principale modification porte sur le nombre d’employés de bureau : il sont deux au lieu de trois. Mais déjà en octobre 1947, David Howell signale l’absence d’un Music Officer pour préparer le programme de la prochaine saison17. Cette compression de personnel décidée par Londres, dont se plaint Howell, peut difficilement être palliée par l’embauche de personnel de bureau français, en raison des hausses de salaires décrétées pour compenser les progrès de l’inflation. Il a été institué une réserve pour les hausses de coût (Reserve against rising costs) à laquelle il est fait appel lorsqu’en avril 1947 le Gouvernement français décide une hausse générale des salaires de 25 %18.. En octobre 1948 s’ajoute un bonus de 2 500 F, comptabilisé pour 1948/4919. Enfin en décembre 1948 sont enregistrées : une nouvelle augmentation de 1 000 à 1 500 F par employé imposée au ler septembre 1948 ; des charges supplémentaires annexes dues à la participation de l’employeur au paiement de l’impôt sur le revenu à un taux en moyenne inférieur à 5 % du salaire total ; enfin un accroissement des prix des tickets de métro et bus d’environ 500 F par mois à partir du ler octobre 194820. Ces mesures ne concernent que le personnel français du Council. Les officers voient également leur travail affecté par ces limitations budgétaires. Les provisions couvrant leurs déplacements en province sont estimées trop faibles, alors que la Production Division est moins active et qu’ils doivent en conséquence s’appuyer davantage sur les initiatives locales et renforcer leur coopération avec les organismes-relais de leur action21.. Et Howell note au passage que les employés du Press Office de l’ambassade sont mieux traités dans ce domaine. En dépit de ces difficultés, le Council se lance dans un exercice de consolidation et de développement de son activité, dans une ambiance culturelle tendue. 15 British Council : Finance Committee, ordre du jour de la réunion du 11 novembre 1947 - Ibid. British Council : Finance Committee, ordre du jour de la réunion du 9 décembre 1947 - Ibid. 17 Howell, Rapport d’activités pour août et septembre 1947, 30 octobre 1947 - BW 31/10, P.R.O. 18 British Council : Finance Committee, réunion du 15 avril 1947 - BW 68/5, P.R.O. 19 British Council : Executive Committee, réunion du 12 octobre 1948 - BW 68/6, P.R.O. 20 British Council : Executive Committee, réunion du 14 décembre 1948 - Ibid. 21 Ibid. 600 F par jour sont alloués aux officers grades I et II, 450 F par jour aux officers grades III et IV. Parallèlement le Paris Model (voir Chapitre 7) a été remplacé par un système d’indemnités locales (voir British Council : Finance Committee, ordre du jour de la réunion du 9 septembre 1947 - BW 68/5, P.R.O.) 16 9 2.- GARDER L’IMAGE D’UN ORGANISME IDÉOLOGIQUEMENT NEUTRE Au lendemain de la guerre les références de la droite classique sont discréditées par une hâtive assimilation au vichysme, et le climat culturel français est dominé par des valeurs et aspirations venues de la gauche22.. Le marxisme (orthodoxe ou non) doit d’abord sa popularité à la participation active de ses tenants (URSS, PCF) au combat antifasciste. Il a ainsi atteint un certain degré de respectabilité, et une légitimation accordée par “ le sens de l’Histoire ”. D’autre part, son contenu théorique offre une réponse aux désirs diffus de renouveau, présents en particulier au sein de la Résistance. Le marxisme devient progressivement une idéologie incontournable à partir de laquelle les intellectuels doivent se déterminer et à laquelle nombre d’entre eux se rallient. Mais cette situation prend un tournant dramatique sous l’influence des développements internationaux. Et en 1947 la culture française entre en guerre froide. Les positions se figent, les oppositions s’exacerbent. L’engagement pro-communiste particulièrement (mais pas uniquement) se distingue par son dogmatisme croissant, son manichéisme, et sa volonté d’extension à tous les domaines de la création. Dans ce climat il semble plus que jamais impératif que le Council s’en tienne à une stricte neutralité idéologique, et qu’il conserve ses distances vis-à-vis de l’ambassade et du COI. 2.1. La confirmation de l’indépendance organisationnelle vis-à-vis de l’ambassade Cette position a particulièrement pour objet d’éviter un rejet radical de son action parmi les catégories de la population considérées comme les plus susceptibles d’être sensibles à un message politique marxisant : les intellectuels, les jeunes et les ouvriers. Ces deux derniers groupes sont aussi estimés être les moins accessibles pour cette raison23. 22 P. ORY, L’Aventure culturelle française 1945-1989 Paris, 1989, chapitre V “ L’Age de toutes les guerres ”, p. 126-152. 23 Conférence des Représentants 1-4 septembre 1947, document Rép. Con. 1/1 - BW 82/21, P.R.O. 10 Cependant Johnstone insiste sur la nécessité d’élargir l’aire sociale concernée par le travail du Council24 et de renforcer les contacts déjà établis. Dans une lettre adressée aux Représentants en poste à l’étranger, Sir Ronald Adam souligne l’importance des intellectuels en France (en Grèce, voire en Tchécoslovaquie). Ces intermédiaires culturels engagés à gauche constituent une cible de premier ordre en raison de l’influence générale qu’ils exercent, en particulier sur une grande proportion de jeunes, qui les prennent pour guides. Cependant, atteindre les intellectuels ne présente pas la même urgence en France qu’en Grèce ou en Tchécoslovaquie où le danger de subversion communiste apparaît plus immédiatement menaçant25. Howell rend compte de la difficulté d’entretenir des contacts personnels avec eux étant donné les soins requis par les autres activités conduites par un personnel à peine suffisant26. Mais le Council dispose par ailleurs d’un atout important. Si son autonomie de fonctionnement rend les contacts avec les milieux officiels français parfois malaisés, elle peut faciliter l’établissement de liens avec les milieux intellectuels et artistiques. Dans ce dernier cas, le directeur de la Production Division note après une visite à Paris : “ Il est très net que les cercles artistiques comprennent et apprécient le fait que nous ne soyons pas un organisme officiel et que nos liens avec l’ambassade soient circonscrits au domaine de la politique générale [high policy] ”27. En effet début 1947 la question du statut des Représentants est résolue pour les quatre années à venir, et sera donc reconsidérée en même temps que l’existence même du Council en 195128. La solution adoptée confirme les dispositions déjà mises en pratique. Le gouvernement décide de ne pas accorder au personnel du Council le statut diplomatique, ce qui entérine l’autonomie apparente de la politique de projection culturelle britannique à l’étranger. L’action culturelle est laissée aux mains du Council, même si l’autorité informelle exercée par la mission diplomatique assure un regard officiel sur son activité. A une note dans laquelle il apparaît justement conscient des difficultés alors rencontrées par le Council pour établir des relations équilibrées avec les autorités du pays où il est en activité, le Foreign Office joint une déclaration sur les objectifs du Council destinée à faciliter la négociation 24 British Council : Policy Committee, réunion du ll novembre 1947, Paper A - BW 68/5, P.R.O. British Council : Policy Committee, Paper D attaché à l’ordre du jour de la réunion du 14 janvier 1947 BW 69/12, P.R.O. Adam note : “ La bataille pour la soumission [allegiance] des intellectuels est un élément clé dans les pays frontaliers qui pourraient passer de l’est à l’ouest ”. 26 Conférence des Représentants 1-4 septembre 1947, document Rep.Con. 1/1 - BW 82/21, P.R.O. 27 Kennedy-Cooke, Note sur une visite à Paris novembre-décembre 1946 - BW 31/28, P.R.O. 28 British Council : Policy Committee, Paper C attaché à l’ordre du jour de la réunion du ll février 1947 BW 69/12, P.R.O. 25 11 d’arrangements ad hoc nécessaires à l’accomplissement de son travail. Ce choix correspond aussi aux souhaits de la direction du Council de n’être pas formellement soumis à l’ambassade. Cette “ Déclaration sur la constitution, le travail et les buts du British Council ”29 présente les caractères de cette “ subordination indépendante ”30 du Council aux ambassades britanniques. Ce document semble toutefois laisser quelque peu perplexes les officiels français qui la rapportent au schéma qui leur est familier et qualifient par la suite le personnel du Council de “ fonctionnaires [...] à caractère dans une certaine mesure représentatif ”31. 2.2. La distanciation vis-à-vis du COI Par ailleurs, alors que se poursuit le transfert de compétences entre le COI et le Council32, l’apolitisme affiché de ce dernier, à l’heure où les débats culturels prennent une coloration idéologique en France, exige pour rester crédible une nette dissociation d’avec l’ambassade. Cependant les stocks du COI sont accessibles au Council et réciproquement. Une coordination des activités entreprises apparaît dès lors indispensable pour éviter les doubles emplois33, mais aussi pour veiller à ce que la distinction entre les deux services soit toujours effective. Ainsi lorsque les conférences prononcées sous les auspices du Council sont réutilisées par le Press Office dans une optique politique, elles doivent être organisées dans un lieu différent du précédent pour éviter les confusions34. Il est d’autre part défini que les personnalités britanniques se rendant en France pour des raisons politiques seront reçues par le COI et celles dont la visite a un caractère culturel par le Council35.. * 29 Annexe C au Paper C - Ibid. W.R.L. WICKHAM, “ Overseas service : the personal approach ” in WHITE, op. cit., p. 134. Il qualifie le Représentant de “ independant subordinate ”. Ces liens sont analysés au chapitre 5. 31 Baudet (ambassade de France) à Direction des Chancelleries et du Contentieux, 14 janvier 1950 Europe 1944-60, Europe 1949-1955 GB, dossier 121, M.A.E. 32 Il est par exemple question de transférer le BES sous l’autorité du COI. Duff Cooper à Bevin, 9 janvier 1947 - BW 31/38, P.R.O. 33 Ibid. 34 Conférence des Représentants 1-4 septembre 1947, document Rep. Con. 1/1 - BW 82/21, P.R.O. 35 Seymour à Howell, 18 juin 1947 - BW 31/38, P.R.O. 30 12 Les années 1947-1948 ne donnent lieu à aucune révision des conditions d’exercice de l’activité du Council déjà définies et pratiquées les années précédentes, mais plutôt à une confirmation de leur existence. L’implantation du Council en France avait été auparavant principalement freinée par des difficultés financières ; on peut penser que son expansion sera ralentie pour le même motif, les troubles économiques n’étant pas maîtrisés et ayant même tendance à s’aggraver. Quant aux relations avec le gouvernement britannique les arrangements antérieurs sont simplement officialisés. L’altération de l’environnement culturel dans lequel évolue le Council produit une forte réassertion des principes sur lesquels il fonde son action : l’indépendance vis-à-vis du politique et la non-discrimination politique et sociale. Ces règles doivent être d’autant plus strictement respectées que toute activité proposée par le Council est intrinsèquement dirigée à l’encontre des valeurs défendues par l’Union Soviétique. Cette dimension propagandiste inhérente à son travail doit donc être minimisée pour ne pas se transformer en élément préjudiciable aux yeux des populations les plus sensibles aux théories marxistes que le Council souhaite atteindre. Elle n’est toutefois pas négligeable et constitue à cet égard un complément objectif de l’action menée par le COI. Le gouvernement n’a donc pas à intervenir outre mesure, surtout après que les relations culturelles franco-britanniques ont reçu une bénédiction officielle. 13 CHAPITRE 13 OFFICIALISATION DE LA COOPÉRATION CULTURELLE FRANCO-BRITANNIQUE Des réunions de la Conférence des Ministres de l’Education des pays alliés tenues pendant la guerre a émergé le principe de la généralisation de conventions culturelles bilatérales (voir infra). La formalisation de rapports culturels bilatéraux existait déjà avant la guerre, mais cette recommandation entérine au niveau international le passage de l’ère des actions culturelles unilatérales à celle des relations culturelles bilatérales. Les conventions culturelles établissent en termes généraux le cadre dans lequel doivent se développer les relations entre pays signataires dans ce domaine. Dans cette optique, elles visent également à favoriser une collaboration harmonieuse entre les différents organismes chargés de leur application, à l’intérieur d’un même pays (plusieurs services sont concernés), et entre pays partenaires. Dès mars 1944 la Grande-Bretagne envisage, lorsque la France aura un gouvernement “ stable ” [sic] d’entamer des négociations en ce sens36.. Et en septembre 1944 des discussions sont en cours avec la Belgique, la Tchécoslovaquie, les Pays-Bas, la Norvège. Les pourparlers devant aboutir à l’officialisation de la coopération culturelle franco-britannique s’engagent à l’heure où le travail du Council en France semble bénéficier d’un sursis accordé par Londres. Jusqu’ici et pour le moment, malgré des relations courtoises instaurées avec la DGRC, et une aide occasionnelle, le Council n’envisageait pas un développement très étendu de leur collaboration37. Mais les réductions budgétaires pratiquées à Londres laissent planer une ombre menaçante sur la future expansion du Council. Si le 36 Memorandum on future development, mars 1944 - BW 31/38, P.R.O. Frank McEwen fait référence au “ désordre amateur de nos homologues français actuels ” pour ce qui est de l’organisation d’expositions. McEwen à Longden, 10 décembre 1946 - BW 31/28, P.R.O. 37 14 bureau de Paris obtient encore des crédits honorables, le souci d’économie (qui a déjà affecté la Production Division) laisse présager à terme une diminution probable de son activité. Or une convention prévoit l’organisation de manifestations communes et assure la réalisation d’une certaine quantité d’activités fonctionnelles. Il s’agit certes là d’une forme de promotion officielle mais qui permet de pérenniser le courant d’échanges intellectuels et artistiques existant en posant des limites aux possibles rivalités culturelles. La signature d’une convention culturelle s’avère donc a priori pertinente tant pour la DGRC qui retient du British Council l’image d’un organisme puissant et actif - et rival - que pour le Council qui, outre une reconnaissance juridique, peut ainsi affirmer l’attachement culturel de la Grande-Bretagne au continent européen. 1.- L’AFFIRMATION DE L’ATTACHEMENT CULTUREL DE LA GRANDEBRETAGNE AU CONTINENT EUROPÉEN Dès avant la Seconde Guerre, le British Council réfléchit à une application possible du principe de convention culturelle pour faciliter l’organisation des échanges culturels entre la Grande-Bretagne et l’étranger. Si la période 1939-1944 ne paraît pas très opportune pour mettre en place ce type d’accord, le travail mené par le Council sur le sol britannique peut être considéré comme une expérimentation de relations culturelles à petite échelle, mais déséquilibrée au profit des Britanniques, la réciprocité n’étant pas encore concevable étant donné les faibles moyens dont disposent les gouvernements en exil. Ce n’est qu’à partir de 1944 que le Council peut reproduire ces schémas en grandeur réelle en tenant compte des enseignements tirés de la guerre, sous l’œil des Français qui ne sauraient rester indifférents devant la rapidité d’action britannique. 1.1 Une réflexion longue et pragmatique sur les accords culturels Les premiers accords culturels, antérieurs à la Première Guerre mondiale, sont dénommés partiels selon la terminologie juridique, parce qu’ils ne sont pas entièrement consacrés à la culture. Les dispositions évoquant les liens culturels s’insèrent dans des traités plus généraux. Elles peuvent être de nature très diverse, couvrant les champs à la fois éducatif 15 et scientifique, et proprement artistique : enseignement des missions, ouverture d’écoles, équivalences de diplômes, échanges de publications officielles, conventions littéraires, fouilles archéologiques38. Il faut attendre 1919 pour trouver des conventions internationales portant exclusivement sur la culture. Les premières traces d’un intérêt particulier manifesté par le British Council en tant qu’institution pour le principe de la convention culturelle remontent à 1937. A cette date, de nombreuses conventions ont déjà été signées entre pays européens et avec des pays sud-américains, depuis la première d’entre elles liant la France et l’Italie (5 mars 1919)39. On peut schématiquement distinguer deux types d’accords conclus entre 1919 et 1940. Jusqu’en 1935, les accords couvrent presque exclusivement les échanges envisageables dans le domaine éducatif – échanges de professeurs, d’étudiants, d’élèves, éventuellement reconnaissance d’équivalence de diplômes –, les communications relatives aux autres aspects de la vie intellectuelle des pays contractants ayant une simple valeur informative. A partir de 1935, avec la convention italo-hongroise, les accords s’étendent à tous les aspects de la culture. Aux échanges éducatifs peuvent désormais s’ajouter la création de bourses d’études, des cours de vacances, l’insertion de connaissances sur le pays co-signataire dans les programmes scolaires, des échanges de publications scientifiques, une coopération scientifique globale, des échanges artistiques ou encore des transmissions radiophoniques. Ces nouveaux modèles d’accords, plus complets, sont initiés par les pays fascistes40, et servent de cadre à l’exercice d’une propagande culturelle agressive. Toutefois, en mettant de côté cet usage biaisé des relations culturelles, ils ouvrent la voie aux conventions d’aprèsguerre. Lorsque le British Council recueille différents textes de conventions qui lui permettront de réaliser une synthèse des principaux thèmes abordés dans les accords culturels, il ne prend en considération que des textes postérieurs à 1935. Aussi la liste qui en résulte estelle très étendue41. Toutefois elle n’est établie qu’en 1939, et à cette date, il n’est pas jugé 38 E. GHAZALI, Contribution à l’étude des accords culturels, thèse reproduite, Université de Paris 1, 1977, p. 88 - 99. 39 Avant 1919 des conventions portant sur des échanges éducatifs très limités existaient. A partir de 1919 le champ d’échanges couverts par la convention à tendance à s’élargir jusqu’à prendre la forme moderne que nous connaissons aujourd’hui. 40 Conference of the Ministers of Education of the Allied Governments and the French National Committee under the chairmanship of the President of the Board of Education : Report of the Commission appointed to consider conventions for the adjustment of intellectual co-operation between the British and Allied Governments, p. 5-7. – BW 2/305, P.R.O. 41 Everett à Johnstone, 15 mars 1939. – BW 2/87, P.R.O. 16 pertinent de se lancer dans des négociations42. Pendant la guerre, le mouvement de signature de conventions culturelles se limite aux pays d’Amérique, mais il se poursuit. Puis à partir de 1943, le Foreign Office décide de privilégier la préparation d’accords avec les pays européens43. En effet, dès cette année se tient, à l’initiative du Ministre de l’Education britannique, la Conférence des Ministres de l’Education des pays alliés (Conference of Allied Ministers of Education - CAME),. Aux membres d’origine, alliés représentés sur le sol britannique, s’adjoignent bientôt les Etats-Unis, l’URSS, l’Inde. Ses réflexions touchent à de multiples aspects de la redynamisation des échanges intellectuels dès le retour à la paix : insertion d’une histoire de la guerre dans les livres scolaires, étude de la restitution de trésors culturels (livres, objets d’art) et matériels scientifiques, facilitation des échanges éducatifs (personnel, matériel), proposition de contenus pour la négociation de conventions culturelles44. Au cours des discussions est accepté le principe de la généralisation de conventions culturelles bilatérales entre Alliés. Une sous-commission est alors chargée de concevoir une convention type. Toutefois, estimant cette approche trop rigide, la souscommission choisit de remettre un rapport présentant un ensemble de préconisations visant à aider les Etats à élaborer leur propre accord en fonction de leur spécificité nationale. Cette solution permet d’allier une souplesse de contenu avec une certaine homogénéité des accords conclus. Elle cherche surtout à concilier l’établissement d’une codification des relations culturelles internationales avec le respect de la souveraineté des Etats. Mais l’importance donnée au second terme de cet équilibre induit au final des recommandations générales formulées avec beaucoup de prudence, qui aboutissent à un faible degré d’homogénéisation. Les pays prennent l’initiative d’ouvrir des négociations en un temps qu’ils jugent opportun, et peuvent éventuellement entreprendre des discussions officieuses préalables (points 4 et 5). Ainsi les rencontres initiées dans le cadre de la CAME offrent un terrain favorable à la préparation de tels accords (point 7). Les Etats conservent une maîtrise totale du contenu de l’accord et de l’organisation afférente à sa mise en œuvre, considérés comme évolutifs. En effet, les préconisations se limitent à rappeler qu’un accord doit essentiellement être une liste des thèmes sur lesquels devra s’engager une coopération, les modalités d’application et les évolutions d’échanges pouvant faire l’objet d’une annexe. 42 Mémorandum Everett à Cowell, réponse de Cowell, 15 août 1940. – Ibid. Guedalla à Sir Frederick Ogilvie, 8 octobre 1943. – Ibid. 44 British Council : Executive Committee, 29 juin 1943, Paper D. - BW 69/9, P.R.O. 43 17 L’emploi de termes généraux répond au souci de ne pas limiter la nature des échanges souhaités en laissant la possibilité de modifier et d’enrichir ces accords. En outre, les textes ne doivent pas être formulés de manière trop contraignante (points 1 et 2). Ainsi le caractère de réciprocité n’est pas érigé en principe rigide, les moyens dont disposent les Etats pour appliquer la convention étant très inégaux45. Les suggestions rassemblées dans la partie abordant le détail des éléments composant une convention sont adoptées par les Britanniques pour négocier leurs accords, mais sont proposées à titre indicatif aux autres nations. Cette forme de présentation invite la libre adhésion des Etats à ces principes. Outre la Grande-Bretagne, ce rapport n’est approuvé que par la Norvège, la Yougoslavie, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Belgique, ce qui permet de conclure à l’échec global de cette tentative de mise en ordre des relations culturelles bilatérales46. Toutefois, les Britanniques disposent désormais d’un outil théorique leur servant de trame dans leurs négociations. Le schéma de convention culturelle proposé est le suivant : • Déclaration d’intention de promouvoir l’entente mutuelle entre les deux nations. Si le terme culture est employé, il l’est dans le sens large de civilisation. Il peut être précisé que cet accord n’est qu’un élément d’un ensemble plus complet couvrant chaque aspect des relations entre les deux pays. • Désignation des organismes chargés de l’exécution de la présente convention. Ceux-ci – des commissions mixtes – doivent se rencontrer régulièrement. Le British Council (qui, en la personne du professeur Entwistle, a d’ailleurs participé à l’élaboration de ce rapport, et a suggéré ce point précis) ferait partie de la représentation du gouvernement britannique. Eventuellement, les principes de répartition de coûts peuvent être évoqués dans ce paragraphe. • Liste des thèmes faisant l’objet d’une coopération culturelle. Peuvent être inclus dans la liste : le développement des études consacrées au pays co-signataire, la création de postes d’enseignement et d’instituts à cet effet, les équivalences de diplômes, les bourses d’études et de séjour, les 45 Conference of the Ministers of Education of the Allied Governments and the French National Committee under the chairmanship of the President of the Board of Education : Report of the Commission appointed to consider conventions for the adjustment of intellectual co-operation between the British and Allied Governments, p. 8. – BW 2/305, P.R.O. 46 E. GHAZALI, op. cit., p. 127 - 146. 18 contacts entre les organismes de recherche et les sociétés savantes, les encouragements aux séjours touristiques, la diffusion culturelle par voie de publications, livres d’école, films, radio, musique, théâtre, arts, conférences, expositions … • Modalités de ratification et entrée en vigueur. Eventuellement est précisé que la convention est revue après une période définie. Par ailleurs, ce rapport s’efforce de replacer les relations culturelles sur le plan d’un enrichissement culturel mutuel pour une meilleure compréhension entre peuples, s’inscrivant avec force contre les dévoiements introduits par l’utilisation de la propagande culturelle à des fins agressives ou guerrières. Ce souci est explicite dans la définition de la convention culturelle, accord “ conclu entre deux ou plusieurs Etats, conçu comme un moyen de promotion des échanges intellectuels (artistiques, littéraires, scientifiques, éducatifs) entre leurs peuples […] qui couvre un ou plusieurs aspects de la vie intellectuelle mais ne concerne pas les relations politiques, économiques, sociales, qui doivent faire l’objet d’accords spécifiques. ”47 Les recommandations générales (point 4), ainsi que le paragraphe 17 reviennent sur ce point et affirment une nouvelle fois le “ caractère strictement intellectuel ” des conventions. Cependant, le paradoxe existant entre l’énoncé de ce principe et le fait que l’apport des dictatures est manifeste dans le sens d’un élargissement du contenu des conventions à tous les aspects de la vie culturelle n’est résolu que par une référence “ neutre ”48 à cette contribution dans la partie historique des conventions (partie III). Les exemples de conventions jointes en dernière partie du rapport – conventions belgo-hollandaise et franco-norvégienne de 1927 – n’offrent que des modèles d’accords conclus sur le seul terrain éducatif. Certes, “ ils contiennent des éléments utiles pour des négociations, mais la commission insiste sur le fait qu’[ils] ne constituent pas des modèles à recopier ou adapter. ”49 … 47 “ An intellectual agreement is an instrument arranged between two or more States with a view to encouraging intellectual relations (artistic, literary, scientific, educational) between their peoples. It extends to one or several fields of intellectual life, without approaching that of political, economic and social relations, which are reserved to other negociations. ”, p. 4. – Ibid. 48 Aucune allusion n’est faite à la nature du régime italien à cette date. 49 Ibid., p. 12-15. 19 C’est en prenant partiellement appui sur ces travaux que le British Council peut dès 1944 entreprendre une politique d’établissement de liens culturels solides avec les pays européens. Les efforts de ces rivaux sont observés par les Français. 1.2. Une percée rapide et efficace en Europe à surveiller Il semble, si l’on se réfère au contenu des dossiers d’archives du Quai d’Orsay, que les rapports sur le British Council envoyés par les missions diplomatiques françaises à l’étranger parviennent surtout à la DGRC en 1947. Ils répondent vraisemblablement (mais peut-être pas uniquement) à un besoin d’information exprimé par les négociateurs français de la future convention culturelle, qui souhaitent disposer d’une vue d’ensemble sur les activités du Council dans le monde. A cette date, ils reflètent les efforts particuliers déployés par le Council en Europe, et induisent l’image globale d’un organisme doté de puissants moyens d’expansion qui permettent un développement rapide, dont il serait utile de cadrer les activités en France. Sur un plan général, l’Ambassadeur de France au Royaume-Uni René Massigli signale l’“ énorme ” subvention de 3 500 000 £ versée par le Foreign Office, malgré les difficultés financières britanniques, qui explique cette “ activité considérable et a permis à la culture britannique de gagner énormément de terrain depuis plusieurs années [...] ”50. En 1947, le British Council est en présent dans les pays européens suivants : Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Finlande, France, Gibraltar, Grèce, Hongrie, Islande, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie51. La popularité britannique représente un atout capital dûment exploité. Dans son ouvrage sur l’histoire du British Council, Frances Donaldson rapporte des faits illustrant l’immense intérêt suscité par la Grande-Bretagne dans certains de ces pays52. 50 Massigli à DGRC, 27 octobre 1947 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 191, M.A.E. DONALDSON, op. cit., p. 150. 52 En Grèce, le jour de l’ouverture de l’Institut d’études britanniques 3 500 élèves sont inscrits, et la police est appelée pour disperser les candidats qui n’ont pu être pris. En Italie, au moment de la signature du traité de paix, les instituts du Council enseignaient l’anglais à 4 415 Italiens. Ibid. p. 146-147. 51 20 Du point de vue français, seuls les comptes rendus reçus des diplomates en poste aux Pays-Bas53 et en Tchécoslovaquie54 en 1947 offrent une perspective synthétique relativement détaillée de l’action du Council dans ces deux pays. Eux aussi remarquent l’effort financier réalisé. Le Consul de France à Amsterdam note ainsi qu’“ il est évident que le budget anglais n’a pas lésiné et que les moyens d’action du nouvel organisme [le Council] seront puissants ”.. En effet, le Council dispose du matériel fonctionnel nécessaire pour mener une action efficace. A Amsterdam, il a créé une bibliothèque de quatre mille livres, et de ses bureaux entreprend des activités sur une large échelle. A Prague, il a ouvert un institut de langue et un club organisant des discussions et diffusant des publications anglaises. Par ailleurs, il travaille en collaboration étroite avec l’ambassade, en Tchécoslovaquie où leur action est convergente, et aux Pays-Bas où, étant installé dans la British House qui abrite aussi le service de presse de l’ambassade, Rivière conclut à une indépendance plus théorique que réelle. Enfin, le Council a établi des contacts et mis sur pied un réseau de relais. C’est particulièrement le cas en Tchécoslovaquie où ont été ouverts des centres régionaux à Brno et Bratislava et où “ l’action britannique se fait également sentir dans les associations de scouts et s’étend en province jusque dans leurs ramifications les plus éloignées ”. Aux Pays-Bas, il se trouve “ en étroite liaison ” avec les deux universités et les associations anglophiles d’Amsterdam. L’analyse des événements relatés est conduite essentiellement en termes d’influence économique et culturelle. Aucune hypothèse relative à la nouvelle configuration politique en train de se dessiner en Europe n’est avancée. Rivière considère que la GrandeBretagne cherche “ visiblement à prendre à Amsterdam la plus grande partie des positions détenues avant la guerre par l’Allemagne dans le domaine culturel et économique ”.. Dejean lie ces efforts “ intenses ” en Tchécoslovaquie à la conclusion prochaine d’une convention culturelle. Néanmoins, les représentants français en Tchécoslovaquie et aux Pays-Bas perçoivent également des motivations d’ordre politique à la base de l’intensification des activités du Council, ainsi que l’indique le scepticisme qu’ils affichent à l’égard de son indépendance de fonctionnement. Un lien effectif entre l’ambassade et le Council n’apparaît pas contestable dans le cas de la Tchécoslovaquie, pays prioritaire sur le plan du budget qui, 53 54 Rivière à DGRC, 2 avril 1947 - Europe 1944-60, Europe 1944-1949 GB, dossier 54, M.A.E. Dejean au Ministère des Affaires étrangères, 7 mai 1947 - Ibid. 21 en raison de la pression communiste, retient l’attention du Foreign Office. En revanche pour les Pays-Bas, il est certainement plus lâche. Le ton des rapports trahit une certaine admiration pour la rapidité de la percée culturelle britannique, gérée grâce à une organisation efficace et à l’adéquation quantitative des moyens employés (financiers et organisationnels). En particulier aux PaysBas, ces observations comportent une comparaison implicite avec les ressources dont dispose la France, comparaison qui lui est défavorable. Ainsi le directeur de l’Institut Français à Amsterdam présente la British House comme un “ très bel hôtel particulier [...] luxueusement meublé et décoré, beaucoup plus vaste que notre Maison Descartes ”. Cependant si la GrandeBretagne offre la quantité, la France propose la qualité. En Tchécoslovaquie, Dejean prédit le succès probable du Council qui mène une action fondée sur l’éducation et l’apprentissage de l’anglais. Peut-être perce-t-il à travers la résignation de cette remarque un soupçon de mépris pour cette langue commerciale par opposition à la langue française, langue de culture. En revanche aux Pays-Bas, Rivière note une réticence des Hollandais à l’égard de cette propagande “ que d’aucuns trouvent trop voyante, trop visiblement intéressée ”55. Il recommande dès lors une contre-attaque française dans les plus brefs délais, et à deux reprises56 presse la DGRC d’ouvrir une Maison Française. Ainsi le British Council apparaît dans ces rapports comme une organisation rivale dont la surveillance s’impose, particulièrement parce qu’elle favorise la diffusion d’une langue qui déjà menace les positions du français dans le monde. Cette préoccupation induit le principal argument formulé côté français en faveur de la signature d’une convention. Lors de conversations tenues le 18 décembre 1946 réunissant des représentants du Foreign Office (Montagu-Pollock), de l’ambassade du Royaume-Uni à Paris (Ashley-Clarke, Tennant), et du British Council (Howell), Louis Joxe57 déclare : “ Alors qu’il est parfaitement légitime que nous nous lançions dans une compétition amicale d’une certaine étendue [...] il y aussi un large domaine dans lequel une coopération nous apporterait des avantages mutuels ”58. Montagu-Pollock commente : “ Il pensait surtout à l’Amérique du Sud et au Moyen-Orient ”59, autrement dit les régions où le Council s’est 55 Mondon à Rivière, 31 mars 1947 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 58, M.A.E. Rivière à DGRC, 31 mars 1947 - Ibid. Rivière à DGRC, 2 avril 1947 - Europe 1944-60, Europe 1944-1949 GB, dossier 54, M.A.E. 57 Louis Joxe est Directeur général des relations culturelles au ministère des Affaires étrangères. 58 Montagu-Pollock à Johnstone, 2 janvier 1947 - BW 31/11, P.R.O. 59 Ibid. 56 22 implanté à la faveur de la guerre. Un télégramme de Massigli confirme que le vœu de Joxe est de négocier un “ engagement mutuel tendant à éviter entre les deux pays une rivalité quelconque sur le terrain culturel ”60. Les Français prêtent en effet aux Anglais l’intention d’utiliser ce principe de convention culturelle pour consolider et développer leur présence dans des pays dont la culture n’est pas utilisée comme un élément de rayonnement mondial61, en particulier en y favorisant l’enseignement de l’anglais en échange de l’accueil en Grande-Bretagne d’artistes de ces pays. Ce type de projet étant également conçu par les Français, il s’agit d’atténuer les heurts possibles62. La convention culturelle semble un instrument approprié pour cela, mais pour ce qui est de l’expansion de l’anglais dans le monde, Joxe est conscient des progrès qui ne peuvent être enrayés, ne serait-ce qu’en raison de l’influence américaine (en Amérique Latine par exemple). Ce sont en fait des argumentations voisines en France et en GrandeBretagne qui permettent de définir un terrain d’accord, sur la base duquel est négociée une convention qui se présente comme un instrument technique visant à réguler les échanges culturels entre les deux pays. 2.- LA CONVENTION CULTURELLE FRANCO-BRITANNIQUE : OFFICIALISATION DU RÔLE DU COUNCIL EN FRANCE ET RÉCIPROCITÉ DES ÉCHANGES Sur proposition française ont lieu le 18 décembre 1946 à Paris des conversations relatives aux relations culturelles franco-britanniques. Les entretiens ont porté sur les possibilités d’une meilleure coordination entre la DGRC et le Council et de la réalisation d’échanges, qui ont, selon Montagu-Pollock, inspiré à Louis Joxe des réflexions sur le contenu d’une éventuelle convention. Le Britannique livre ses impressions à l’issue de la réunion : “ J’ai trouvé que M. Joxe était surtout intéressé par la négociation d’une convention culturelle franco-anglaise. Il a suggéré que nous portions notre attention sur 60 Massigli à Joxe, 15 mars 1947 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 58, M.A.E. Massigli au Ministère des Affaires étrangères (Direction Europe), 9 février 1948 - Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. 62 Massigli à Joxe, 15 mars 1947 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 58, M.A.E. Massigli parle de “ mauvais procédés dont nous aurions à nous plaindre dans divers pays ”. 61 23 l’accord franco-belge en guise de modèle ”63. Il semble ainsi que les discussions préalables soient à mettre au crédit de la France. Mais c’est la Grande-Bretagne qui prend l’initiative d’ouvrir des négociations officielles64 afin de parvenir à la conclusion de cet accord. 2.1 Un outil technique entérinant la réciprocité des échanges En effet les préoccupations françaises rencontrent un écho favorable chez les Britanniques. Joxe écrit ainsi à Massigli que Bevin s’est montré très intéressé par l’article XIII de la convention franco-belge : “ Les parties contractantes se consulteront en vue de la préservation de leurs intérêts communs à l’étranger ”65. Miss McLeod considère pour sa part qu’une coopération franco-britannique serait bénéfique par exemple en Amérique du Sud, où la France conserve une réputation de “ Reine de la culture ”66, et où le Council pourrait alors essayer de réaliser une percée plus nette. Mais l’expression “ intérêts communs ” est ambiguë. Même employée dans le sens d’“ intérêts de chacun ” sans autre précision, elle peut également sous-entendre la présence d’un pays tiers influent particulièrement désireux d’étendre lui aussi ses positions, aux desseins duquel la collaboration envisagée ferait en quelque sorte office de contrepoids. Cette hypothèse s’appliquerait tout à fait aux Etats-Unis, dont les efforts dans le domaine culturel ne sont pas observés avec bienveillance par la DGRC. Quant au Council, il a intérêt à s’en dissocier pour éviter que la culture britannique ne se trouve dans l’esprit des populations noyée dans l’expression “ culture anglo-saxonne ”, et ne prenne de la sorte une dimension politique ostensible associée à l’action culturelle américaine67. De fait, Joxe autant que les Britanniques insiste sur la teneur strictement culturelle de la Convention68, ce qui ne signifie pas qu’elle ne puisse pas avoir des effets secondaires par ailleurs positifs dans les sphères économique ou politique. Miss McLeod pense ainsi qu’une coopération au Moyen-Orient pourrait favoriser un apaisement des 63 Montagu-Pollock à Johnstone, 2 janvier 1947 - BW 31/11, P.R.O. Joxe à Massigli, 25 mars 1947 - Europe 1944-60, Europe 1944-1949 GB, dossier 54, M.A.E. 65 Ibid. 66 Note de Miss McLeod, 7 janvier 1947 - BW 31/11, P.R.O. 67 En réponse à des attaques américaines lancées contre l’agence Reuter, le Manchester Guardian et le Daily Mail mettent en cause l’Office d’Information International et d’Affaires Culturelles américain et l’accusent de faire de la propagande à la manière des pays totalitaires. Massigli à Bidault (Direction Europe), 10 janvier 1946 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 58, M.A.E. 68 Joxe, Note pour le Cabinet du Ministre, 28 février 1948 - Relations culturelles, Enseignement 19481959, carton 83, M.A.E. 64 24 tensions entre France et Grande-Bretagne69. On retrouve là également la préoccupation des ministres de l’Education alliés, qui souhaitaient éviter toute collusion entre politique et culturel, à l’encontre de l’exemple fasciste (voir supra). La convention culturelle est signée le 2 mars 1948. Elle comprend onze articles établissant les principes généraux, les détails de l’exécution faisant l’objet d’un protocole complémentaire en six points. Cette structure répond au vœu français de produire un texte suffisamment court pour être compréhensible et accessible à tous70, qui “ vise moins à apporter des innovations spectaculaires qu’à reconnaître un état de fait existant et à faciliter le développement de relations étendues déjà établies dans ce domaine entre les deux pays ”71, selon le principe de réciprocité. Un mémorandum de Richard Seymour fait de la réciprocité une règle essentielle des conventions passées par la Grande-Bretagne avec des pays dont le patrimoine culturel est comparable72, auquel cas l’hégémonie culturelle d’un pays sur son partenaire n’a pas à être redoutée. Côté français, le même sentiment est exprimé par un collaborateur de Massigli qui fait remarquer à un membre du British Council que “ rien ne lui [paraît] souligner davantage l’inégalité des puissances - ou tout au moins des cultures - que la conclusion de conventions culturelles. Sans doute [...] deux vieux pays comme la France et l’Angleterre également riches du point de vue intellectuel, peuvent s’aborder de plein-pied sans que l’un ait à redouter la supériorité de l’autre ”73. La question posée est donc essentiellement celle du degré réel de pénétration de la culture de l’un chez l’autre. Dans les deux sens, il doit être à peu près semblable même s’il n’est pas nécessairement perçu comme tel. Aussi la convention revêt-elle un caractère essentiellement technique. Selon un collaborateur de Massigli, son objet est de “ résoudre certains problèmes, d’ailleurs importants, d’ordre administratif et même de régler en toute simplicité des détails matériels ”74. Les informations échangées doivent permettre de faire le point sur l’efficacité 69 Note de Miss McLeod, 7 janvier 1947 - BW 31/11, P.R.O. Johnstone à McDermot (Foreign Office), 28 août 1947 - BW 31/27, P.R.O. 71 Joxe, Note pour le Cabinet du Ministre, 28 février 1948 - Relations culturelles, Enseignement 19481959, carton 83, M.A.E. 72 Memorandum de Richard Seymour, Document Rep. Con. 9, 26 août 1946 - BW 82/21, P.R.O. 73 Massigli à Bidault (Direction Europe), 9 février 1948 - Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. 74 Ibid. 70 25 des actions entreprises de part et d’autre, et de favoriser la correction de déséquilibres rendus ainsi apparents dans les domaines concernés par la convention. Son texte75 comporte leur énumération tout au long des six premiers articles, les cinq articles suivants définissant les modalités d’application de l’accord. Les quatre premiers articles se rapportent à l’éducation : création de chaires et cours consacrés au pays partenaire, fondation d’établissements culturels à cette fin, étude de possibilité d’équivalence des diplômes, visites et échanges d’étudiants et professeurs. Le troisième article touche également au développement des échanges artistiques. L’apport de la convention à leur égard réside dans une extension de la coopération britannique avec la DGRC. Ce contenu est tout à fait conforme aux recommandations de la CAME. On peut toutefois noter l’absence de référence aux domaines professionnel et technique : la convention même ne concerne qu’une partie bien définie des échanges possibles, limitée à l’éducation et à la culture ; la formation au sens large, qui comprend des stages professionnels, n’est pas prise en compte à ce stade. On la trouve en revanche dans le protocole d’accompagnement, comme si elle avait été oubliée auparavant. Sont alors évoqués les encouragements qui doivent être apportés à l’échange de personnel technique, à l’organisation de visites réciproques de groupements professionnels, à l’attribution de bourses et subventions pour effectuer des stages (point 4). Le protocole annexe précise en outre certains points, tels la composition et le rôle de la commission mixte, ou encore la nécessité de favoriser la circulation du matériel culturel. En effet, entre la France et la Grande-Bretagne, les échanges culturels sont pluriséculaires, et l’obstacle mis à leur organisation tient plutôt à la lourdeur des procédures et aux taxes douanières qui leur sont applicables. L’évocation de ces difficultés fait de la convention un outil pratique et non un texte de principes. Un échange de notes officielles (voir Annexe n° 12) confirme la désignation du British Council comme agent du gouvernement britannique pour la mise en pratique de la Convention. Cette décision est d’une extrême importance, parce qu’elle représente avant tout la reconnaissance officielle de son rôle dans la diffusion de la culture britannique à l’étranger. C’est pourquoi Seymour insiste sur l’intérêt particulier de cette reconnaissance pour renforcer la position du Council dans les pays où son statut risque d’entraver le développement de son activité76. Bien que ce ne soit pas véritablement le cas en France, les relations entre le Council et la DGRC se ressentent des différences statutaires entre ces deux organismes. En novembre 75 76 Reproduit en Annexe n° 12. Memorandum de Richard Seymour, Document Rép. Con. 9, 26 août 1946 - BW 82/21, P.R.O. 26 1947 Howell signale à Johnstone que la DGRC a tendance à en référer à l’ambassade pour des questions culturelles au lieu de s’adresser directement au Council77. Par ailleurs, le champ d’intervention (et d’influence) du Council s’élargit. Il se trouve désormais associé à l’étude de conditions générales dans lesquelles se déroulent les échanges culturels par sa présence aux réunions de la commission mixte Permanente établie par la Convention. 2.2 Le British Council agent culturel officialisé Pour un membre du British Council dont l’identité n’est pas précisée, “ le trait essentiel de la convention [...] était la création d’une commission mixte dont le travail, pour être utile, devrait être précis, prosaïque et ressembler dans une large mesure à celui d’un secrétariat de faculté, d’un imprésario ou d’une agence de voyages ”78. C’est-à-dire s’occuper de régler des difficultés administratives et techniques et d’organiser des activités culturelles. Créée afin de permettre un suivi régulier de ces dernières (les réunions sont annuelles), cette commission est l’instrument d’exécution de la convention79.. Elle se compose de quatorze membres : sept Français et sept Britanniques80, nommés pour une durée de deux ans. Chaque section est assistée de conseillers techniques, parmi lesquels pour la section britannique le Représentant du Council en France en exercice. Sont ainsi représentées toutes les institutions concernées par l’action culturelle : - outre la DGRC et le British Council -, des organismes à vocation culturelle et scientifique (Bibliothèque Nationale, CNRS, Art Council), le ministère de l’Education, le corps enseignant, les services destinés aux étudiants (tourisme), la radiodiffusion (BBC, Radiodiffusion de France). Le rôle de la commission consiste à élaborer des propositions soumises par la suite aux gouvernements en vue de l’amélioration des échanges culturels. Une réunion préliminaire a lieu les ler et 2 juillet 1948 à Londres pour préparer la première réunion prévue à Paris fin septembre. La lecture des procès-verbaux des réunions permet de mieux cerner la réalité du travail de la commission. En premier lieu sont commandés des rapports destinés à l’informer des développements intéressant certains aspects 77 Howell à Johnstone, 3 novembre 1947 - BW 31/38, P.R.O. Massigli à Bidault (Direction Europe), 9 février 1948 - Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. 79 Voir le Protocole, Annexe n° 12. 80 Sur les sept nommés par le Foreign Office, six des membres de la Section britannique ont été proposés par le British Council. On note la présence pour le Council de Sir Ronald Adam, de Miss McLeod et d’Austin Gill qui depuis sa démission du Council est professeur de français à Magdalen College, Oxford. 78 27 précis des domaines couverts par la Convention. Ainsi sont demandées par exemple des notes concernant l’échange d’assistants, les lecteurs d’universités, l’appariement des écoles (...) ; ou encore une liste critique des manifestations artistiques organisées depuis 194681. Des études suggérant des améliorations sont aussi requises. Après discussion et approbation de la commission, elles peuvent éventuellement déboucher sur la rédaction d’un vœu destiné à l’attention des gouvernements82. Afin de faciliter le suivi de certains dossiers, sont créées, à la discrétion de la commission, des sous-commissions thématiques. Ainsi en 1949 existent quatre structures de ce type, pour l’éducation, les universités, les activités artistiques, les finances. Parallèlement, la commission entend agir sur des facteurs annexes conditionnant l’intensité des échanges, tels que le prix des voyages, l’assouplissement des règles régissant l’exportation des devises, l’offre de bourses, ou encore les difficultés de circulation des objets à caractère culturel83. Lors de la réunion préliminaire, le Council est chargé de recueillir et présenter les informations demandées côté britannique ; mais par la suite les études qu’il réalise ne concernent que les thèmes relatifs à ses activités : l’offre de bourses, l’organisation d’échanges entre professeurs, les échanges artistiques. Les notes ainsi produites sont communiquées à ses homologues de la DGRC. Une coopération suivie avec cette dernière doit précisément naître de l’accomplissement de ces tâches. D’autre part, le Council assure pour la Grande-Bretagne le secrétariat de ces réunions, dresse le procès-verbal dont la version définitive est établie en accord avec la DGRC. Par ailleurs, doit se développer une collaboration plus étendue en matière d’échanges artistiques : les deux organismes doivent préparer de concert un programme d’activités pour l’année suivante et le soumettre à la Commission. Enfin il faut signaler qu’outre une participation active aux réunions de la commission mixte, le Council prend en charge les dépenses de voyage et de logement des délégués anglais84 lorsque les rencontres se déroulent en Grande-Bretagne. 81 Commission mixte franco-britannique, réunion préliminaire des ler et 2 juillet 1948 - Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. 82 Commission mixte franco-britannique, réunion des 29, 30 septembre et ler octobre 1948 - Ibid. Voir p. 8 les échanges de courte durée entre professeurs, par exemple. 83 Commission mixte franco-britannique, réunion préliminaire des ler et 2 juillet 1948 - Ibid. 84 British Council : Executive Committee, réunion du 13 juillet 1948 - BW 68/6, P.R.O. A cette date est évalué le coût de la première réunion de la commission mixte. 28 * La signature d’une convention culturelle entre la Grande-Bretagne et la France prend une double signification. Sur le plan bilatéral, elle doit assurer une pénétration culturelle réciproque et plus facile dans les deux pays. Mais cela n’implique pas une interpénétration totale. Ainsi le Consul de France à Southampton rapporte que la convention y a été bien accueillie ; cependant il ajoute : “ [On souhaite ici] un rapprochement aussi étroit que possible avec la France, mais seulement dans la mesure où celui-ci offrirait un intérêt pratique. [...] On ne voudrait pas que nos conceptions philosophiques, idéologiques ou politiques imprègnent les esprits ”85. D’autre part, en posant des limites à l’antagonisme culturel francobritannique à l’étranger, la convention cristallise dans une certaine mesure les rapports de force, mais permet également l’affirmation d’un embryon de culture européenne (éventuellement face à des rivaux extérieurs), et traduit la volonté britannique de revendiquer un rôle actif dans la définition de celle-ci. En effet les travaux de la commission s’insèrent parfaitement dans le cadre du Traité de Bruxelles signé le mois précédent, dont l’article III stipule : “ Les parties contractantes doivent s’efforcer de conduire leur peuple vers une meilleure compréhension des principes qui constituent la base de leur civilisation commune ”. Lors de sa réunion du 8-9 novembre 1948, le Comité des Experts culturels créé par le Traité recommande un renforcement des liens établis avec les Commissions Mixtes, par la présence de quelques-uns de leurs membres lors des prochaines rencontres prévues et la communication réciproque des résultats obtenus86. 85 Blot à Massigli, 6 mars 1948 - Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. Compte rendu de la réunion des Experts culturels du Traité de Bruxelles les 8 et 9 novembre 1948 à Paris - Relations culturelles, Echanges culturels 1948-1955, carton 45, M.A.E. 86 29 CHAPITRE 14 CONSOLIDATION ET EXPANSION DES ACTIVITÉS Les années 1947 et 1948 sont marquées par un accroissement général des activités fonctionnelles du British Council en France, en dépit de moyens limités. De fait, les principales difficultés d’organisation des bureaux sont résolues, mais l’action du Council commence à se ressentir des effets de l’austérité budgétaire pratiquée à Londres. Ainsi, le personnel est en nombre insuffisant. Dans son rapport pour l’année 194787, David Howell signale l’absence d’un Music Officer, d’un Science Officer, d’un Lectures Officer. En 194888 la situation s’est encore dégradée, alors que tout en dirigeant leur département fonctionnel, les officers doivent veiller au maintien des contacts qu’ils ont établis dans la population et chercher à les élargir. Or le service administratif du bureau de Paris est estimé trop réduit pour faire face seul à l’accueil des visiteurs transitant par la capitale ou se charger des relations avec l’administration française, de manière à permettre aux officers de se consacrer uniquement à la promotion culturelle. En dépit de ces contraintes, le Council élargit encore son aire d’influence. Les années antérieures ayant été essentiellement consacrées à son implantation à Paris, il s’appuie sur les centres régionaux - dont le personnel administratif a été renforcé - pour développer son action dans les provinces. C’est dans l’atmosphère fébrile et désordonnée de l’après-guerre, et compte tenu des restrictions financières et de déplacement, qu’en 1944-46 le Council met en place les premiers éléments de sa politique éducative les plus aptes à répondre aux demandes des étudiants. Le Council se livre alors à un exercice largement improvisé, ne disposant d’aucune observation préalable concernant l’étendue et le contenu des besoins réels de la population 87 88 Howell, Rapport pour l’année 1947/48 - BW 31/34, P.R.O. Howell, Rapport pour l’année 1948/49 - Ibid. 30 française, et se concentre de fait sur ceux des étudiants plus urgents à satisfaire et plus faciles à prévoir89. Au fur et à mesure qu’il procède à ce type d’étude, il peut en 1947 réajuster ses activités éducatives en prenant en considération une amélioration des communications et la prolongation des difficultés financières. La Convention culturelle intègre dans une certaine mesure les efforts du Council. Et du point de vue méthodologique, les rapports préparés pour la commission mixte offrent une image moins floue de l’intérêt suscité par l’étude de la Grande-Bretagne dans les milieux de l’éducation (élèves, étudiants, professeurs). Le British Council oriente son action dans deux directions. Ses objectifs sont de réaliser une expansion globale d’activités, en particulier au bénéfice de la province, et d’accentuer son effort en matière d’éducation. 1.- UNE EXPANSION GLOBALE Le renforcement de l’action du Council en France est patent dans tous les domaines ; cependant trois d’entre eux en particulier sont caractérisés par un développement observable aussi bien à Paris qu’en province : les beaux-arts, les documentaires (films et séries de photos) et la musique. 1.1 Une expansion fonctionnelle globale La section des beaux-arts à Paris suit une stratégie définie qui distingue les manifestations parisiennes destinées à créer l’événement et celles organisées en province d’envergure plus modeste (ce qui est d’ailleurs regretté par la commission mixte90). Cet angle d’approche donne des résultats positifs dans le sens où aucun échec n’est à déplorer. Trois expositions, préparées chacune dans une optique différente, sont présentées à Paris sur deux ans. La première est consacrée à l’œuvre picturale de William 89 Lorsque la communication d’informations entre Londres et Paris se fait sans difficulté. Ainsi pour le ler trimestre 1946, des cours de vacances avaient été organisés pour les étudiants en Grande-Bretagne mais Hackett à Paris semblait l’ignorer - BW 31/13, P.R.O. 90 Commission mixte franco-britannique, réunion des 29, 30 septembre et ler octobre 1948 p. 12 Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. 31 Blake (1947), la seconde est une rétrospective de la carrière de Turner (1948), la troisième retrace huit siècles de vie britannique en France. L’exposition Blake est une initiative de la Production Division de Londres, qui s’enquiert en novembre 1946 de l’opportunité d’un tel projet91. Frank McEwen voit là une occasion d’effacer le souvenir cuisant de l’échec de l’exposition Tate Gallery organisée six mois auparavant, et d’asseoir solidement une réputation de compétence du Council dans le domaine artistique auprès du public parisien. C’est pourquoi il insiste longuement pour que cette fois-ci aucune intervention extérieure ne soit tolérée dans le choix des peintures ou même la préparation, et pour que le Council assume seul l’entière responsabilité de l’opération92. McEwen opte pour la Galerie René Drouin située place Vendôme, en raison du soin apporté par son propriétaire à la mise en valeur des œuvres exposées, mais aussi parce qu’il ne souhaite pas d’intervention officielle française. Drouin lui consent les mêmes avantages que les Musées Nationaux : il met gratuitement à la disposition du Council ses locaux, la lumière et le service (gardiennage...). Il va jusqu’à prendre en charge une partie des frais occasionnés par l’édition du catalogue. Le public étant moins enclin à se rendre dans les galeries privées, ce choix est également dicté par le désir d’attirer en priorité les artistes français. Et de fait quelques grands noms offrent leur soutien à la réalisation de l’exposition. Un comité d’artistes comprenant, entre autres, Braque, Breton, Camus, Gide, Léger ou Picasso, se forme en hommage à l’influence de Blake sur la poésie moderne, l’art et le surréalisme. D’autre part, le catalogue contient des textes de Gide et Soupault (...). Parallèlement, pour atteindre un large public, l’exposition bénéficie d’un appui publicitaire. Le Council collabore avec les magazines d’art souhaitant consacrer des articles à Blake, en leur fournissant reproductions photographiques de ses œuvres et informations diverses. McEwen signale un hommage à paraître en mai dans l’influente revue Les Cahiers d’Art et un numéro spécial de Fontaine sur Blake. Deux conférences complémentaires sont organisées sous l’égide du Council et de la DGRC à l’Ecole du Louvre. Sir Eric McLagan fait un exposé sur la poésie de Blake le 19 mars et Robin Ironside sur son œuvre picturale le 17 avril. Enfin McEwen participe à des discussions radiophoniques sur les ondes françaises et britanniques (par les services étrangers de la BBC)93. 91 Miss Collihole à Howell, 4 novembre 1946 - BW 31/28, P.R.O. McEwen à Longden, 10 décembre 1946 - Ibid. 93 McEwen au British Council Bruxelles, 26 mars 1947 - Ibid. Il en dénombre une demi-douzaine à cette date. 92 32 Du 20 mars au 26 avril 1947 sont présentées quarante-trois peintures et cinq gravures originales, dont les illustrations réalisées pour le Livre de Job. L’exposition étant placée sous le patronage de Duff Cooper, Joxe et Naegelen94, son caractère officiel lui a vraisemblablement valu de se voir accorder des conditions avantageuses pour le passage de la douane (mais rien n’est spécifié à ce sujet). Selon les rapports elle rencontre un franc succès auprès des artistes et du public95. Dans la presse, des critiques très favorables saluent cette initiative qui offre la possibilité de découvrir un artiste qu’elles décrivent comme un génie méconnu96. La préparation de l’exposition Turner97 obéit à de tout autres considérations. Conçue pour être présentée dans toute l’Europe et en particulier à Bruxelles à l’occasion de la signature de la Convention culturelle anglo-belge, elle se veut un événement prestigieux et exceptionnel : il s’agit, selon le Council, de la première exposition montrant l’évolution complète de l’art de Turner montée hors de Grande-Bretagne. Pour ce peintre de grande notoriété, l’organisation d’une telle manifestation à Paris relève principalement du désir d’obtenir une consécration de son œuvre auprès du public. McEwen conclut donc un accord avec Georges Salles, le directeur des Musées Nationaux, pour disposer du Musée de l’Orangerie où, depuis 1930 et la rétrospective Pissaro, toutes les expositions réalisées ont été des réussites. Il est décidé sur le plan financier98 de couvrir les dépenses par les entrées, les bénéfices éventuels étant ensuite partagés entre British Council et Musées Nationaux. Les recettes de vente du catalogue doivent revenir au Council, une partie étant versée au service commercial du Louvre (20 %). De nouveau la présentation s’accompagne d’un effort de publicité - toutefois inférieur à celui fait pour l’exposition Blake99. Du 13 février au 14 mars sont offertes aux regards du public quarante et une peintures et vingt-six aquarelles. Et McEwen prononce à l’Ecole du Louvre une conférence sur Turner à laquelle assistent huit cents personnes. 94 Naegelen est ministre de l’Education nationale. Agnès Mackay (non membre du Council) à McLagan, 4 mai 1947 - Ibid. McEwen, Message téléphonique du 18 avril 1947 - Ibid. Mais aucun chiffre n’est donné. 96 Le dossier BW 31/28 est entièrement consacré à l’exposition Blake et contient aussi des coupures de 95 presse. 97 Le dossier BW 31/30 porte dans sa totalité sur l’exposition Turner. McEwen à Watson, 3 décembre 1947 - BW 31/3, P.R.O. Par ailleurs, il s’agit d’une exposition officielle. 99 Outre les panneaux publicitaires, McEwen présente l’exposition sur la Chaîne nationale le jour de l’inauguration. 98 33 Quarante-quatre mille cinquante-neuf visiteurs se rendent au Musée de l’Orangerie, soit mille six cent trente-deux par jour en moyenne. Près de six mille catalogues sont vendus. Plus de cent cinquante articles paraissent dans la presse. L’exposition est clairement un succès. Cependant on peut noter d’une part que le directeur de la Production Division considérait qu’une exposition réussie devait enregistrer quelque mille huit cents entrées par jour100 ; et d’autre part qu’une exposition composée de toiles françaises récupérées en Allemagne tenue sur initiative américaine à l’Orangerie en 1946 totalisait deux mille cent soixante visiteurs par jour101. Mais pour un peintre étranger, les résultats sont néanmoins très satisfaisants. Exactement deux mois plus tard, le British Council prend part à l’organisation d’une exposition intitulée “ Huit siècles de vie britannique à Paris ”. Dès 1945, ces thèmes de la complémentarité des deux cultures et de la permanence des liens culturels entre les deux pays avaient été envisagés pour une future présentation artistique. Ce n’est qu’en 1948 que celle-ci a lieu, très opportunément en l’honneur de la signature de la Convention culturelle franco-anglaise. Mais la participation du Council à la préparation de l’exposition (conjointement avec la DGRC) se trouve réduite par les nouvelles restrictions budgétaires de 1948/49. Ainsi les Britanniques dissuadent les Français d’organiser une semaine culturelle qui aurait compris, outre l’exposition, la venue de l’Old Vic et du Halle Orchestra. Et Duff Cooper précise à l’intention des autorités françaises qu’aucune autre manifestation artistique de cette ampleur ne sera présentée à Paris cette année-là102.. Le British Council engage 2 000 £ dans cette entreprise pour couvrir la prise en charge de la recherche, du transport et de l’assurance des œuvres prêtées par la Grande-Bretagne103 plus un déficit éventuel. Le reste de la somme (un peu plus du double) est apporté par la Ville de Paris, l’Office du Tourisme et l’Association Française d’Action Artistique (AFAA). Au total un tiers des pièces exposées sont rassemblées par le Council. La solennité de l’occasion exige la création d’un Comité d’Honneur, composé de professionnels de la culture et de représentants des différentes parties organisatrices. Peintures, manuscrits, lettres, costumes se rapportant aux Anglais célèbres ayant habité Paris, ou dont le travail a été influencé par la vie parisienne, ou encore ayant 100 Kenneky-Cooke, Note sur une visite de novembre/décembre 1946 à Paris - BW 31/28, P.R.O. Note sur le nombre de visiteurs de l’exposition Tate Gallery, sans date - BW 31/29, P.R.O. 102 Duff Cooper à DGRC, 10 juin 1947 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 191, M.A.E. 103 Outre divers musées et galeries anglais, le duc de Wellington ainsi que le Roi George ont prêté des pièces - BW 2/373, P.R.O. 101 34 affecté le mode de vie dans la capitale depuis le Moyen-Age104 sont présentés. L’exposition est inaugurée au Musée Galliéra le 14 mai 1948 en présence de la Princesse Elizabeth, ce qui garantit dans une certaine mesure un chiffre de fréquentation honorable105. Outre ces expositions parisiennes accueillies favorablement dans l’ensemble, des manifestations itinérantes sont organisées en province. De dimension modestes, elles permettent de réaliser des économies sur le transport, voire sur les frais d’assurance des pièces ; elles font éventuellement espérer des bénéfices en cas de ventes. Installées pour une dizaine de jours en moyenne dans une ville, elles occupent les salles de musées locaux, de mairies ou de galeries. Complétées par des conférences, elles ont aussi pour objet de susciter des discussions. Enfin elles visent à s’attacher le soutien des amateurs d’art en même temps qu’à soulever l’intérêt du public. Deux expositions de ce type circulent en France. Tout d’abord les dessins d’enfants continuent leur carrière (voir chapitre 8) et s’arrêtent successivement dans le nord-est, en Normandie, dans le sud-ouest et le nord. Quatre-vingts peintures participent à une manifestation internationale de peintures d’enfants à Paris (Musée du Luxembourg) du 29 mai à la fin juillet 1948, et obtiennent trois prix. Les rapports font état d’un grand succès. Les chiffres de fréquentation sont incomplets et les lacunes peuvent cacher des écarts. Cependant à titre indicatif, à Arras l’exposition attire environ deux mille deux cents personnes, à Nancy six mille quatre cents et à Angoulême six mille106. Une nouvelle exposition de peinture contemporaine britannique analogue à celle de 1945 a également lieu en 1948, un mois à Paris (23 janvier-23 février) à la galerie Drouin, quinze jours à Marseille (28 février - 15 mars) à la salle des Antiquités du Musée des Beaux-Arts. A Paris, le nombre total de visiteurs (dix mille quatre cents) est inférieur à celui enregistré pour les dessins d’enfants, proportionnellement à la durée de l’exposition107. Comme c’était le cas en 1945, les Marseillais sont partagés entre l’admiration et la tiédeur à 104 L’exposition est divisée en sept sections : le temps des mariages royaux, la cour de Jacques II en exil, l’anglomanie des salons du XVIIIe siècle, la Révolution, le Second Empire et la IIIe République, les écrivains britanniques à Paris, et une section spéciale sur le théâtre, le cirque et music-hall. - Ibid. 105 Howell, Rapport pour l’année 1948/49 - BW 31/34, P.R.O. 106 McEwen, Rapports de la section Beaux-Arts pour les années 1947/48 et 1948/49 - Ibid. 107 McEwen, Rapport de la section Beaux-Arts pour l’année 1947/48 - Ibid. 35 l’égard des audaces artistiques exposées. Mais les résultats sont cependant jugés très encourageants108. Alors que le département des beaux-arts cherche toujours à favoriser une percée progressive de l’art britannique en France, celui des films bénéficie d’une demande qu’il lui faut satisfaire. Entre octobre 1946 et octobre 1948, cent quatre films 16 mm préparés par le Council sont envoyés à Paris109. Suite à un arrangement visant à une plus grande efficacité en évitant les duplications, tous les films du Council sont conservés dans le fonds de la section film de l’ambassade, qui se charge de répondre aux demandes de prêts. Si celles-ci émanent d’institutions ne possédant pas de projecteur, le Council organise une visite. Ainsi une tournée effectuée par Le Harivel dans le Calvados début février 1947 attire de quatrevingts personnes à Caen (public choisi) à quatre cents à Tilly-sur-Seule110. Il apparaît vraisemblable que le nombre de participants à ces séances de projection n’est pas inférieur à celui de la tournée de 1946 (voir chapitre 8). Cependant, si à l’instar des années antérieures, les prêts sont destinés à des organismes de nature très diverse, on note une orientation marquée des envois vers les écoles, voire les étudiants. Des projections sont organisées pour les professeurs ; elles sont également prévues dans les programmes des cours d’été (Summer Schools) qui se tiennent en France (par exemple à Lille du 19 au 31 juillet 1948)111. Par la suite les documentaires sont présentés dans des écoles. Mais cette activité reste ponctuelle, et la commission mixte recommande dès sa première réunion l’établissement d’échanges réguliers de matériel d’enseignement entre la France et la Grande-Bretagne112. D’autre part, les écoles reçoivent des séries thématiques de photographies. Pour 1948/49, le Council possède un choix de séries de soixante-dix à cent quinze photos en plusieurs exemplaires répartis entre les centres régionaux. Elles s’ajoutent aux photos produites par le COI et Howell rapporte qu’elles sont très demandées113.. Leur sujet, voisin de celui des documentaires, est aussi analogue aux thèmes présentés en 1945/46 : les paysages britanniques (villes, campagnes), la guerre, mais aussi les industries (en films) et le patrimoine culturel (par exemple, série de photos sur Shakespeare). 108 Ibid. Howell, Rapport pour l’année 1948/49 -BW 31/34, P.R.O. 110 Cultural Information Bulletin n° 57, 7 février 1947 - BW 31/32, P.R.O. 111 Rapports pour 1947/48 et 1948/49 - BW 31/34, P.R.O. 112 Commission mixte franco-britannique, réunion des 29, 30 septembre et ler octobre 1948, p. 6 Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. 113 Howell, Rapport pour l’année 1948/49 - BW 31/34, P.R.O. 109 36 Le travail de promotion de la musique britannique se poursuit également, mais à la différence des domaines précédemment analysés, il connaît des difficultés. Outre les conférences données par le Music Officer, le Council subventionne la venue en France d’artistes britanniques en plusieurs occasions. On peut par exemple citer les concerts du Boyd Neel Orchestra Salle Gaveau et Salle du Conservatoire en janvier 1947 ou celui du Quarter Aeolian à Paris en mars 1948. Des tournées de récitals sont organisées, telles celles de Sophie Wyss et Anthony Hopkins en mars 1947, Maggie Teyte et Ivor Newton en novembre 1947, Margaret Field-Hyde et Eric Harrison en juin 1948 ; tous respectivement soprano et pianiste. Enfin une assistance financière est offerte pour permettre la participation de certains de ces artistes à des festivals, parmi lesquels le festival anglo-belgo-français de Cannes de février 1947114. Cependant, les succès rencontrés sont inégaux. Selon Howell la musique britannique est maintenant largement connue et appréciée dans les cercles musicaux et chez les artistes français. Mais si le public de province témoigne d’un grand intérêt pour ces manifestations, la plupart des artistes éprouvent des difficultés pour s’imposer dans les salles parisiennes115. Cette situation n’est pas nouvelle. En 1945 la DGRC insistait auprès du ministère de l’Information pour que la Radiodiffusion de France fasse une place plus importante à la musique britannique dans ses programmes116. En mai 1946 Massigli constatait le déséquilibre des échanges musicaux franco-britanniques : “ Actuellement le nombre de musiciens français joués ou jouant dans le Royaume-Uni est très supérieur à celui des Anglais interprétés ou se produisant en France [...]. Si les représentants du British Council à Paris [...] se montrent insuffisamment actifs, ou rencontrent des difficultés, c’est à nous de les encourager ou d’intervenir pour aplanir les obstacles ”117. C’est d’abord pour pallier cet état de fait que le Council privilégie deux méthodes d’action qui font aussi prévoir des effets bénéfiques plus étendus. En premier lieu, faire jouer de la musique anglaise par des Français ou des musiciens anglais avec des Français118. En 1947/48 plus de deux cent cinquante partitions sont prêtées aux musiciens, et quatre vingt-quatre entre le ler avril et le ler novembre 1948. Des concerts ont lieu en province 114 Liste des activités culturelles britanniques en France octobre 1946-octobre 1948 - BW 31/26, P.R.O. Sont allouées 350 £ pour Sophie Wyss, 715 £ pour Maggie Teyte et 245 £ pour Margaret Field-Hyde. 115 Commission mixte franco-britannique, réunion des 29, 30 septembre et ler octobre 1948, p. 13 Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. 116 Souchon à Parson, 12 avril 1945 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 195, M.A.E. 117 Massigli à DGRC, 14 mai 1946 - Ibid. 118 Ce second cas est moins développé. Toutefois on peut noter à titre indicatif que l’Orchestre national de Paris a été dirigé le 3 juin 1948 par Constant Lambert. Howell, Rapport pour l’année 1948/49 - BW 31/34, P.R.O. 37 avec des musiciens locaux119. D’autre part le Council cherche à encourager la diffusion de musique anglaise à la radio sur un plan national et local. Les rapports signalent ainsi la retransmission du concert du Boyd Neel Orchestra de début 1947, ou d’un récital de chansons donné par Janet Fraser. Des disques sont prêtés, voire offerts, à la discothèque de la Radiodiffusion de France. Enfin le Council suggère l’organisation de concerts exécutés par les orchestres de radio120. Par exemple, vingt-huit programmes de musique britannique ont été joués par l’Orchestre de la radio Toulouse-Pyrénées en 1947/48. A cet effet, le Council fournit parfois les partitions. Si dans les trois domaines étudiés les progrès peuvent être enregistrés dans toute la France, le Council réalise également des efforts particuliers en province. 1.2 Un effort particulier dans les provinces Signe manifeste de l’importance accordée à la promotion culturelle en France par les instances supérieures du Council, alors que le budget subit une série de coupes induisant un ralentissement d’activités en Europe, un centre régional est ouvert à Lille, le ler mai 1948. Cette décision permet une meilleure couverture fonctionnelle du pays, le centre de Paris n’étant plus directement responsable que de la Bretagne et de la Normandie. Trois éléments déterminants peuvent expliquer le choix de la région de Lille de préférence à Rennes : la population y est plus nombreuse, l’Information Office y a cessé son activité121, et la concentration industrielle laisse entrevoir des possibilités d’action dirigée vers une large population ouvrière - ce qui prend tout son intérêt en ces temps de guerre froide. L’ouverture du centre lillois correspond à un recentrage complet de l’action du Council sur le territoire métropolitain, alors que le centre d’Alger est fermé en 1947122. On note un surcroît d’activité marqué au bénéfice de la province dans les domaines suivants : le théâtre, la diffusion d’imprimés, les conférences. 119 Voir les rapports du dossier BW 31/34, P.R.O. Mais aussi les Cultural Information Bulletins - BW 31/32, P.R.O. Ainsi Jean Witkowski a inclus dans un concert donné à Lyon le 23 février 1947 une œuvre de William Walton, Portsmouth Point (Bulletin n° 58, 24 février 1947). 120 Par exemple, dans un concert retransmis à la radio le 6 mars 1947, l’Orchestre national a interprété du Purcell. 121 Note de Miss McLeod, 30 juin 1947 - BW 31/31, P.R.O. 122 Le bureau algérien existe jusqu’en mai 1947 au moins, date du dernier rapport fonctionnel conservé dans les archives du Council. On peut supposer qu’il a fermé peu de temps après. Son ultime directeur, Frank Turner hérite de la direction du centre de Toulouse. 38 Dans le cadre d’une tournée européenne organisée par le Council, l’Arts Theatre Company présente à Strasbourg (les 27 et 28 décembre 1946), Cannes (2 et 3 janvier 1947) et Nice (6, 7, 8 janvier) des œuvres classiques de Shaw (Candida) et Shakespeare (Hamlet, Othello). Les résultats sont mitigés. A Strasbourg, le succès remporté est incontestable. Howell note la réception enthousiaste réservée aux artistes anglais, d’autant plus révélatrice que l’“ Alsacien est peu enclin à exprimer ses sentiments ”123. A Nice le succès est tardif : la première représentation se déroule devant une salle à moitié vide qui se remplit progressivement pour être pleine le troisième jour. Mais à Cannes c’est l’échec : les recettes équivalent à la moitié de celles de Strasbourg. Stephen Thomas du Drama Department du Council qualifie ce passage en France de “ désastre ”124, en particulier sur la Côte d’Azur où les bénéfices ont été insuffisants pour couvrir les frais d’organisation et d’hébergement. Pour Thomas la responsabilité en incombe au Foreign Office à l’instigation duquel la France a été choisie en remplacement de la Scandinavie initialement prévue ; et ce, après que Montagu-Pollock a exprimé des doutes sur l’opportunité de présenter une troupe dont la réputation n’est pas encore bien établie dans des pays dont le “ niveau culturel national ” est élevé. Par la suite, le choix des villes du sud a été dicté par l’impossibilité d’obtenir un théâtre à Paris. Cependant si une nouvelle fois une erreur de stratégie du Council est due à une intervention extérieure, ce qui donne l’occasion d’observer des signes d’agacement à l’égard de cette tutelle importune, il faut préciser que le Drama Advisory Committee du Council partageait aussi le scepticisme du Foreign Office125. David Howell insiste toutefois sur la qualité artistique de l’Arts Theatre (et en particulier le solide talent de son directeur Alec Clunes) et sur son effet stimulant, tout comme l’Old Vic, sur le développement de la connaissance du théâtre britannique, auteurs et acteurs126. Est-ce bien le cas ? Il reste que pour 1947/48, quatre-vingts exemplaires de pièces sont envoyés dans des collèges, chez des particuliers et dans des sociétés de lecture de pièces127. 123 Rapport sur les tournées théâtrales organisées par le British Council en 1946/47, non daté - BW 1/40, P.R.O. “ The Alsacian is unemotional ”. 124 Note de Stephen Thomas, 29 août 1947 - BW 2/407, P.R.O. 125 Ibid. 126 Howell au Drama Department, 6 janvier 1948 - BW 1/40, P.R.O. 127 Rapport général pour l’année 1947/48, section films/théâtre/presse/publications - BW 31/34, P.R.O. 39 Parallèlement la mise à la disposition d’une couche élargie de la population de livres et périodiques reste un des soucis constants du Council, et un de ses efforts les mieux appréciés. En témoigne le succès des expositions de livres organisées en 1947 et pendant le premier trimestre 1948, qui éveillent un “ intérêt considérable ”. Préparées par les centres régionaux, elles touchent entre avril 1947 et mars 1948 onze villes, dont Vichy où deux mille cinq cents personnes marquent leur intérêt et Nice où deux mille visiteurs sont comptabilisés128. Les bibliothèques enregistrent également de fortes hausses d’adhésions, calculées ci-dessous : 1947/48 - 1948/49 - Paris + 80 % - Toulouse + 208 % - Grenoble/Lyon + 186 % - Nancy + 115 % - Lille - La bibliothèque la plus fréquentée en province est celle de Lyon, dont les progrès ont d’ailleurs été très rapides (deux cent cinquante inscriptions dans les deux premiers mois d’ouverture), suivie de celle de Nancy (voir annexe n° 5). Les usagers sont dans une large mesure des étudiants. A Paris la proportion de résidents anglais inscrits tend à diminuer. Le type de livres empruntés n’est analysé que pour Paris et pour l’année 1948/49. Les résultats sont les suivants: romans 33 %, littérature 25 %, biographies 22 %, histoire et topographie 12 %, sociologie 8 %. Deux formules sont mises en place à Paris pour faciliter l’accès de groupes particuliers à la bibliothèque. Les prêts par blocs sont destinés aux bibliothèques publiques et aux associations anglophiles, qui peuvent emprunter jusqu’à trente livres à la fois pour deux mois. Ils deviennent systématiques à partir de l’été 1948 et pour l’année 1948/49 une trentaine de prêts sont effectués. Il existe également des prêts postaux, déjà mis en service à la mi-1946, et développés les années suivantes. Trois livres sont laissés pendant un mois à des professeurs enseignant hors de Paris qui, en raison du coût des envois, doivent justifier de recherches. Une soixantaine de professeurs sont dans ce cas en 1947/48, une cinquantaine en 1948/49129.. 128 129 Howell, Rapport pour l’année 1947/48 (également la section bibliothèque) - Ibid. Ibid. - voir aussi les rapports pour 1948/49. 40 Ces services s’avèrent d’autant plus utiles que, depuis la suppression du BES, aucune amélioration dans le commerce de livres entre les deux pays n’a été observée. En France la dévaluation de janvier 1948 rend les achats difficiles et l’obtention de devises est considérablement ralentie par l’Office des Changes. D’autre part, le livre, considéré comme un bien commercial, est soumis à des restrictions. Dans une lettre à Ernest Bevin, Sir Ronald Adam plaide pour l’adoption rapide par la commission économique franco-anglaise d’un régime de faveur concernant les livres à caractère culturel130. La question est également déférée à la des Experts Culturels du Traité de Bruxelles, qui doit examiner en priorité les obstacles freinant la libre circulation des livres et revues entre les pays membres. Dans le même temps le Council continue à envoyer des livres britanniques à des revues françaises pour compte rendu critique dans le cadre du Book Review Scheme, auquel il n’est plus fait allusion après les premiers mois de 1947131. Ces livres concernent trois domaines : principalement la littérature, mais aussi l’éducation et l’histoire. En ce qui concerne les périodiques, des progrès sont réalisés à l’échelon gouvernemental des deux pays. Un accord conclu début 1947 entre l’Office des Changes et le ministère de l’Education nationale autorise les souscriptions directes depuis la France à des revues britanniques pour des sommes inférieures à 1 500 F par l’intermédiaire des mandats internationaux132. Côté britannique, Bevin note en juillet 1948 une amélioration des échanges de périodiques depuis l’assouplissement de la régulation décidée par le Board of Trade133. Il reste que le Council poursuit ses distributions de périodiques, limitées aux universités et associations anglophiles. Certaines sont effectuées dans la région parisienne (s’y ajoutent la Cité Universitaire et l’Institut britannique) mais l’approvisionnement des régions est considéré comme plus important. En 1948/49, quatre cents institutions en bénéficient et la demande est particulièrement soutenue dans le sud-ouest. Enfin un effort particulier est fait en faveur des conférences. En septembre 1947 David Howell souligne l’insuffisance du budget qui leur est consacré et du nombre de conférenciers envoyés de Londres dans un pays qui semble beaucoup les apprécier134. De 1947/48 à 1948/49 le total des conférences est presque multiplié par deux passant de cent 130 Adam à Bevin, 15 juillet 1948 - BW 31/27, P.R.O. Voir les Cultural Information Bulletins, BW 31/32, P.R.O. 132 Cultural Information Bulletin n° 50, 4 janvier 1947 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 58, M.A.E. 133 Bevin à Adam, 27 juillet 1948 - BW 31/27, P.R.O. 134 Conférence des Représentants 1-4 septembre 1947, document Rep. Con. 1/1 - BW 82/21, P.R.O. 131 41 quarante-huit à deux cent cinquante (voir annexe n° 5). Alors qu’en 1947/48 les conférences données par des personnalités britanniques en visite en France représentent une large partie du total (quatre-vingt-une), l’année suivante voit le personnel du Council se lancer dans un programme chargé qui en fait le principal responsable de la hausse du nombre total de conférences (les officers en prononcent quatre-vingt-onze de plus qu’en 1947/48). Par exemple, l’Education Officer fait six conférences en 1947/48 et vingt en 1948/49), et le Books Officer respectivement trois et quatorze. Les conférenciers britanniques sont le plus souvent envoyés en tournée dans une ou plusieurs régions où ils sont pris en charge par les centres. Une liste des conférences135 données entre janvier 1947 et juillet 1948 fait état de seize conférences à Paris et vingt-six tournées en province. Mais il faut noter que la Bretagne reste en dehors de ces tournées136. En moyenne cinq villes sont visitées par région. Comme les années précédentes, les intervenants représentent des milieux divers. On citera le romancier Charles Morgan (l’artiste dans la communauté), l’actrice Martita Hunt (lecture de Shakespeare et de poètes anglais), le député de Coventry Maurice Edelman (comment fonctionne la démocratie anglaise) ou le professeur George Stephenson (la reconstruction de la Grande-Bretagne). Ces exemples témoignent également de la variété des sujets abordés. La culture (au sens de productions artistiques) est le thème le plus fréquemment traité, avec en particulier la littérature, puis viennent les conférences sur l’évolution de la société britannique et ses difficultés137, et enfin la reconstruction, l’éducation et le mode de gouvernement anglais. Le succès de ces conférences dépend du sujet traité, du public devant lequel elles sont prononcées et de l’orateur138. L’importance de l’auditoire fluctue : ainsi par exemple dans le sud-est de vingt-cinq (sur Art et industrie en Grande-Bretagne, présenté à Berliet Lyon) il passe à huit cents (Charles Morgan à Lyon devant des étudiants), ou cinq cents à Marseille (devant un public indifférencié). Les conférences considérées comme très réussies attirent environ deux cents personnes minimum. Robert Speaight parle du théâtre anglais devant quatre cent cinquante personnes à Bordeaux et cinq cents à Montpellier. Mais 135 Liste des activités culturelles britanniques en France octobre 1946 - octobre 1948 - BW 31/26, P.R.O. Cependant quelques expositions de photos y sont parfois envoyées ou quelques conférences organisées. 137 Par exemple sur la sécurité sociale en Grande-Bretagne, les problèmes de la jeunesse ou le rôle des traditions dans la vie anglaise. 138 Le directeur du centre de Nancy considère que les conférences faites dans sa région en 1948/49 étaient assez décevantes. 136 42 dans le nord la moyenne se situe à soixante-cinq personnes. Aucun chiffre n’est disponible pour le nord-est139. La radio est également utilisée en dehors d’émissions exceptionnelles destinées par exemple à promouvoir une exposition, ou des discussions auxquelles participent des officers. Entre le centre du nord-est et les radios locales se développe une coopération des plus efficaces. Pour 1947/48, le directeur rapporte l’existence d’une série de trente programmes émis depuis Nancy intitulée “ Les Anglais en Lorraine ”, et à partir du 6 janvier 1948 est proposé par Radio-Strasbourg “ Les Anglais en Alsace ”. L’année suivante trentehuit programmes jouissant de deux cent mille auditeurs potentiels présentent différents aspects de la Grande-Bretagne tôt dans la matinée sur Radio-Strasbourg. Les thèmes abordés traitent en grande majorité de la société britannique et ses traditions (les clubs, l’humour, le sport, la procession traditionnelle du Lord Maire, le Londonien...), mais aussi le milieu artistique (le théâtre à la Renaissance, Hogarth, le Sadlers Wells Ballet...) et le mode de gouvernement140. L’expansion du Council a été favorisée par des aides ponctuelles, au premier rang desquelles l’assistance de la DGRC. Celle-ci, généralement à la requête du Council, apporte un soutien technique et/ou financier (selon les cas) à certaines manifestations, selon le principe de la réciprocité. Les projets les plus coûteux et/ou les plus prestigieux en bénéficient, telles la tournée de l’Arts Theatre Company, les expositions organisées à Paris ou la venue du Boyd Neel Orchestra. L’ambassade prend en charge une partie de la distribution des films documentaires. Pour la préparation des activités dans les régions, le Council met à contribution ses contacts locaux. Ainsi Coventry (dans le sud-ouest) conclut son rapport de 1947/48 en insistant sur ce point et en signalant l’aide apportée par les sections de Pau, Bordeaux (qui a dû se réorganiser) et Biarritz de l’association France-Grande-Bretagne. Arnold dans le nord-est entretient de bonnes relations avec les stations de radio locales. Ou encore McEwen mentionne pour la mise sur pied des expositions dans le sud-est l’aide de l’Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne ou des Amis de l’Art. Ces initiatives permettent éventuellement au Représentant de réaliser des économies sur le budget alloué. La signature de la Convention culturelle permet surtout dans ce contexte de voir où doivent se porter les efforts. Dans le domaine musical le déséquilibre - d’ailleurs 139 Chiffres de 1948/49. Rapports du centre du nord-est pour 1947/48 et 1948/49 - BW 31/34, P.R.O. Une de ces émissions s’intitule “ Ce qu’est le British Council ”... 140 43 observé au préalable - doit être corrigé.. Les aides doivent également être étendues pour permettre le développement de certaines activités telles que l’organisation d’expositions prestigieuses en province ou la réalisation de tournées de compagnies théâtrales de second plan. Néanmoins ces recommandations interviennent tardivement au cours de l’année 1948 ; elles n’affectent donc pas de façon notable l’action du Council avant 1949. Par ailleurs, le British Council cherche à développer une action éducative complémentaire de celle de l’Institut britannique. 2.- LE DÉVELOPPEMENT DU VOLET ÉDUCATIF Le British Council se fixe deux domaines d’action privilégiés : contribuer au développement de l’enseignement de la civilisation anglaise sur le sol français et favoriser les échanges avec la Grande-Bretagne. 2.1. Contribuer au développement de l’enseignement de la civilisation anglaise sur le sol français Toute étude de civilisation comprend théoriquement des enseignements linguistiques et des cours portant sur la société et ses productions culturelles. Le Council combine ces deux éléments de façon variable selon le type de population visée. Pour un public général adulte, l’accent est nettement mis sur l’aspect social et culturel ; pour les étudiants, professeurs et élèves, un équilibre relatif est atteint. Pour les adultes, la politique du Council est inspirée par le Dr. A.E. Morgan, en charge de l’Education Division. Elle consiste à favoriser l’étude de la civilisation britannique par le biais de conférences et de groupes de discussion composés de dix-huit à vingt-cinq membres141. Cette méthode se démarque des recommandations antérieures qui privilégiaient une approche linguistique préalable ou tout au moins parallèle à la dimension 141 British Council : Executive Committee, réunion du 13 avril 1948 - BW 68/6, P.R.O. “ Developping education in the British way of life and British thought through study discussions and lectures among existing groups or groups specially organised ”. WHITE, op. cit., p. 67. 44 informative. En province, où elle est pratiquée142, elle représente la seule forme d’éducation pour adultes offerte par le Council. Cependant il semble qu’elle ne connaisse qu’un développement limité. Seul Coventry rapporte en 1948 l’existence de ces groupes de discussion dans le sud-ouest. Cinq ont été créés à Toulouse et se réunissent dans les locaux du Council. Des professeurs d’anglais y participent. Un autre s’est formé à Bordeaux. Mais l’année suivante il n’est question que d’activités menées dans les bureaux du Council et adaptées à l’âge des participants143. Pour les plus jeunes sont organisés jeux de questions et projections de films. Pour les adultes est prévu un programme de films et conférences. Ces réunions d’adultes ne peuvent toutefois pas être assimilées à celles de groupes de discussion. En effet la taille de l’auditoire des conférences, une cinquantaine environ, est trop élevée pour correspondre aux chiffres cités supra, qui apparaissent vraisemblables si une discussion d’une certaine qualité doit s’ensuivre. D’autre part, le rapport ne les présente pas comme des groupes spécialement organisés. Il est donc probable que ces activités se tiennent dans les locaux du Council dans le but de donner une image moins froide de celui-ci : plus qu’un simple centre d’information, le Council est aussi un lieu de sociabilité. Toutefois, en ce qui concerne les groupes de discussion, cette initiative ne paraît pas couronnée de succès. Par ailleurs, l’action du British Council en matière d’éducation tend vers l’amélioration du niveau d’enseignement de l’anglais et de la civilisation britannique pratiqué dans les écoles et universités étrangères. Dans cette optique, le Council doit participer au placement d’assistants d’anglais dans les lycées et collèges français144.. Mais les rapports de 1947/48 et 1948/49 ne mentionnent rien à ce sujet. D’un point de vue général on peut néanmoins signaler que le nombre de ces stagiaires britanniques est en constante mais très lente progression : ils sont deux cent cinquante en 1946, deux cent soixante-treize en 1947, deux cent quatre-vingt-six en 1948. Il reste très inférieur - pratiquement de moitié en 1948 au nombre de Français placés en Grande-Bretagne (trois cent cinquante-deux en 1946, quatre cent trente-sept en 1947, cinq cent soixante-trois en 1948) qui accuse une rapide progression, de 60 % entre 1946 et 1948 (+ 14 % seulement côté britannique)145. Ces chiffres donnent la 142 A Paris elle ferait double emploi avec l’Institut britannique, même si celui-ci a conservé une méthode plus traditionnelle. 143 Rapports d’activité pour le centre du sud-ouest, années 1947/48 et 1948/49 - BW 31/34, P.R.O. 144 British Council : Executive Committee, réunion du 31 juillet 1946 - BW 68/4, P.R.O. 145 Commission mixte franco-britannique, échanges d’assistants entre France et Grande-Bretagne, rapport de 1950 - 70/AJ/36, A.N. 45 mesure des efforts à réaliser dans ce domaine, mais ceux-ci ne dépendent pas essentiellement du Council. Lors de la première réunion de la commission mixte, Richardson pour le Board of Education note l’imperfection du système de recrutement. Les demandes d’assistants émanant des universités sont semble-t-il très tardives, ce qui freine le développement de ce système d’échanges en laissant trop peu de temps aux ministères de l’Education pour choisir d’autres candidats146. D’autre part, le Council mène une activité parallèle à la périphérie du système éducatif national proprement dit. Alors que le bureau de Paris dispose d’un département éducation très occupé, ses compétences sont transférées à une structure dont il garde le contrôle : la Section Spéciale de l’Institut britannique147 (voir chapitre 15). Mais lorsque l’accord entre les deux organismes prend fin le ler janvier 1948 et que la Section Spéciale est dissoute, le département éducation reprend les activités qu’il avait ainsi déléguées, et resserre une coopération directe avec l’université de Paris. Cette collaboration se traduit par la formation d’un Comité consultatif destiné à conseiller le Représentant sur le contenu du programme éducatif du Council (qui concerne aussi l’université)148. Toutefois, la création d’un poste de représentant adjoint (Assistant Representative), demandée pour faire face au surcroît de travail assigné au service éducation, est refusée au profit de la nomination d’un Administrative Officer, de grade inférieur149. La principale tâche du département éducation, qui avait été confiée à la Section Spéciale, est d’assurer la préparation de tournées de conférences dans les universités et de participer à l’organisation en France de cours de vacances pour professeurs et élèves français. En 1947 et 1948, deux professeurs de littérature anglaise se rendent en France dans le cadre de ces tournées financées par le Council. Fin janvier 1947, Bonamy Dobree, professeur de littérature anglaise à l’université de Leeds, donne des conférences sur le thème “ Lord Chesterfield et la France ” aux universités de Toulouse (le 22), Montpellier (le 23) et la Sorbonne (le 24). S’y ajoutent quelques activités informelles annexes, comme cet 146 Commission mixte franco-britannique, réunion des 29, 30 septembre et ler octobre 1948, p. 8. Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. 147 Mémorandum sur les relations entre British Council et l’Institut britannique, juin 1948 - BW 31/27, P.R.O. 148 Ibid. 149 British Council : Executive Committee, réunion du 13 avril 1948 - BW 68/6, P.R.O. 46 exposé sur la pièce Troïlus and Cressida (Shakespeare) dont l’étude était comprise dans le programme de licence à Montpellier, ou cette participation à une discussion radiophonique sur les littératures anglaise et française150. En janvier 1948, la Section Spéciale fait venir le Dr. Holloway, d’All Souls College (Oxford) pour une série de dix-huit conférences sur la littérature anglaise liées au programme de licence des universités de Bordeaux, Toulouse et Montpellier (six par université)151. D’autre part, le British Council organise en coopération avec le ministère de l’Education français des cours d’été pour professeurs d’anglais. Quatre cours payants d’une durée approximative de quinze jours chacun se tiennent à la Cité Universitaire, au lycée Michelet de Vanves, à Besançon et à Lille. Des cours traitant de sujets d’actualité et de problèmes relatifs à l’enseignement sont proposés en alternance avec des activités culturelles152 (voire des excursions). Les professeurs réalisent des exercices pratiques groupés en ateliers encadrés par des tuteurs britanniques et participent à des discussions. En 1948 la présence de Britanniques enseignant le français leur permet de prendre contact avec leurs collègues d’Outre-Manche. Le Council s’occupe des activités culturelles, de la venue des tuteurs, et en 1947 la Section Spéciale se charge de la préparation des cours à la Cité Universitaire. En dépit de quelques flottements du côté du ministère de l’Education dans l’organisation des cours et le recrutement des professeurs en 1948, ces cours donnent des résultats satisfaisants. En 1947, soixante professeurs sont réunis à la Cité Universitaire. En 1948, ils sont cent quinze au total, dont vingt à la Cité Universitaire et quarante à Lille153. Cependant, un rapport concernant les échanges interscolaires rédigé en juin 1948 observe que, pour suivre ces cours, les Britanniques sont plus enclins à se rendre en France que les Français à aller en Grande-Bretagne154. Les efforts du Council pour favoriser les échanges éducatifs entre les deux pays prennent alors tout leur sens. 2.2. Favoriser les séjours de formation en Grande-Bretagne 150 Cultural Information Bulletins n° 51à 55 - BW 31/32, P.R.O. Liste des activités culturelles britanniques en France octobre 1946 - octobre 1948 - BW 31/26, P.R.O. 152 Seul le cours organisé à Lille en 1948 fait l’objet d’un rapport légèrement moins laconique. Du 19 au 31 juillet ont lieu huit conférences, six projections de films, un récital dramatique et un concert de musique britannique. 153 Voir les rapports généraux et ceux de la section éducation pour les années 1947/48 et 1948/49 BW 31/34, P.R.O. 154 Georges Roger, Rapport sur les échanges interscolaires fin 1948 - BW 31/26, P.R.O. 151 47 Le Council offre une aide financière et organisationnelle, parfois combinée, dans des proportions variant selon la forme des séjours et leur objet pratique. Les étudiants désirant compléter leur formation ou effectuer des recherches en Grande-Bretagne peuvent obtenir des bourses. Techniquement il en existe deux sortes. Les bursaries (bourses de stages), accordées pour un séjour de trois mois, “ ne sont pas au premier chef destinées à financer des études au sens formel du terme, mais plutôt à donner à leurs bénéficiaires la possibilité de prendre part dans une certaine mesure au mode de vie britannique, soit en exerçant leur métier, soit en visitant le pays pour se familiariser avec les méthodes britanniques ”155. Les scholarships (bourses d’études) subventionnent essentiellement les séjours d’études d’une durée d’une ou deux années universitaires. Attribuées aux étudiants diplômés, les bourses d’études couvrent le prix du voyage (et éventuellement celui de déplacements annexes nécessaires), les frais d’inscription en université, et les dépenses d’entretien personnel pour lesquelles sont réservées 25 à 35 £ par mois selon le niveau de l’étudiant et le lieu d’études. Elles incluent en sus 10 £ par an pour les achats de livres et fournitures requises pour suivre les cours156.. Neuf bourses sont offertes pour 1947/48. Sur les dix proposées pour 1948/49, neuf sont allouées. Mais pour ces deux années, la qualité des candidatures françaises est jugée insuffisante par le responsable du Students Department à Londres157.. Evoquée lors de la réunion de la commission mixte, cette question suscite la formulation de propositions visant à favoriser un relèvement de la valeur des candidatures. Les deux ministères de l’Education envisagent de transmettre au Council les noms de candidats possibles (assistants français et étudiants). Il est également prévu d’intensifier la publicité donnée à ces bourses, en particulier dans les établissements d’enseignement et non plus seulement dans la presse158. Les bourses de stages peuvent être utilisées pour de courts séjours d’étude. Ainsi, en 1948, entre en vigueur un accord signé entre le CNRS d’une part, l’université de Londres, le British Council et le Medical Research Council d’autre part, afin de favoriser les échanges de chercheurs. De courts voyages d’études entrepris par de jeunes chercheurs dans le cadre de ce programme pourraient être financés grâce à ces bourses de stage, les séjours de 155 Cultural Information Bulletin n° 84, 3 novembre 1947 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 191, M.A.E. 156 Notes sur les règles d’attribution des scholarships du British Council, non daté - BW 1/158, P.R.O. 157 Directeur du Students Department au Controller, Education Division, 25 mai 1948 - Ibid. 158 Commission mixte franco-britannique réunion des 29, 30 septembre et ler octobre 1948, p. 5 Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. 48 chercheurs plus expérimentés étant pris en charge par le Visitors Department du Council à Londres. Ces bourses peuvent également être accordées à l’occasion d’organisation de stages professionnels en Grande-Bretagne. La commission mixte exprime d’ailleurs le souhait de voir ce type d’échange se développer159. Pendant l’été, les étudiants peuvent également suivre dans des universités britanniques des cours organisés sur des bases comparables à celles des cours d’été pour professeurs, avec lesquels ils ont en commun une participation financière et un schéma de déroulement alternant loisir et travail. Cependant, ce programme, moins spécialisé, intitulé University Summer Schools, peut durer jusqu’à quatre semaines. Le Council est chargé de soutenir ces initiatives des universités et éventuellement de s’occuper du recrutement. Ainsi, en 1947, une trentaine d’étudiants se rendent à Oxford, Birmingham, Cambridge et Londres. En 1948 ils sont quarante et un. Les cours pour professeurs organisés par le Council en Grande-Bretagne ont également connu un fort développement depuis 1946160. Ils se tiennent pendant les vacances d’été mais aussi de Noël ou de printemps. Les cours dispensés couvrent une plus ou moins large série de questions, et sont parfois monothématiques. Ainsi à Stratford-Upon-Avon du 23 décembre 1946 au 3 janvier 1947 sont proposés des exposés généraux sur des thèmes culturels (théâtre, poésie) et des discussions spécialisées161.. Pour illustrer le second cas, on peut citer les cours organisés à Bath au printemps 1948 traitant du gouvernement local, ou ceux qui se déroulent à Leicester en juillet 1948 consacrés à l’histoire sociale britannique. Les rapports recensent neuf cours pour l’année 1947 et six pour le seul printemps 1948. Mais ils ne contiennent aucune donnée globale, seulement quelques chiffres épars sur le nombre de participants à chaque cours. Il est toutefois indéniable que ces cours rencontrent un véritable succès. En 1948, le bureau du Council à Paris a envoyé, dans le cadre de ces séjours éducatifs en GrandeBretagne, cent dix-neuf professeurs et étudiants. La France se place ainsi en termes de participation au deuxième rang européen derrière la Suède (cent quarante-six) et devant 159 Commission mixte franco-britannique réunion des 29, 30 septembre et ler octobre 1948, p. 10 - Ibid. Les premiers cours pour professeurs sur le sol britannique apparaissent en 1946, tel celui organisé à Hillcroft College (Surbiton) dans la première semaine de septembre sur l’étude des difficultés d’adaptation de la démocratie après la guerre. 161 Il faut aussi noter ici la formation des groupes de discussion préconisés par le Dr. Morgan. 160 49 l’Italie (cent onze)162. De fait, la valeur de tels programmes est manifeste, tant d’un point de vue strictement éducatif et culturel que sur le plan humain, les contacts personnels entre Français et Britanniques étant aussi encouragés. Un tel succès est d’autant plus remarquable, indépendamment de l’intérêt suscité, que les déplacements en Grande-Bretagne sont limités. En effet, les règles de change pratiquées en France restent très strictes : les Français voyageant en Grande-Bretagne ne peuvent emporter plus de 15 £. Ceci explique la popularité chez les étudiants des cours de l’université de Londres, dont le niveau d’anglais est certes plus bas, mais dont le prix est moins élevé163. Et ce, même si le Council peut apporter une aide financière si nécessaire. Celui-ci négocie d’ailleurs avec l’Office des Changes en 1948 - alors que le Franc a été dévalué - le débloquage de 1 800 £, dont il décide de l’affectation. Enfin, pour 1948 les prix des cours pour professeurs sont réduits à 3 £ par semaine (logement et cours)164. Mais le Council ne limite pas son action à la sphère de l’enseignement supérieur. Des possibilités de séjour en Grande-Bretagne existent aussi pour les élèves du secondaire avec les camps de jeunesse, et pour ceux du primaire grâce à des formules d’échanges. Les camps de vacances ne sont pas organisés par le Council. Son rôle consiste à faire connaître leur existence et à envoyer des candidats. En 1947, soixante dixneuf jeunes participent à ces camps, dont une majorité de garçons. Dans le sud-ouest, le Council en collaboration avec l’Alliance Française, contribue au séjour de cinq jeunes dans des camps de printemps. En ce qui concerne les échanges, le Council peut offrir une assistance locale pour leur mise en application. Ainsi dans le sud-ouest, le directeur du centre régional, Coventry, est membre du comité Bordeaux-Bristol. En 1947 l’échange de deux cents écoliers est réalisé. Dans le nord-est, Arnold s’occupe d’échanges avec le Hertfordshire qui, l’année suivante, se poursuivent avec beaucoup de succès165.. 162 British Council : Executive Committee, Paper G, appendix C, réunion du 9 novembre 1948 - BW 68/6, P.R.O. 163 4 £ pour deux semaines, 7 £ pour quatre semaines, 3.30 £ par semaine pour le logement et les repas. Cultural Information Bulletin n° 59, 3 mars 1947 - BW 31/32, P.R.O. 164 A titre indicatif, pour quinze jours à Exeter au printemps la contribution demandée pour 1947 est de 20 £. Roché à DGRC, 30 janvier 1947 - Relations culturelles, années 1945-1947, carton 58, M.A.E. 165 Voir les rapports, dossier BW 31/34, P.R.O. 50 Si dans le domaine de l’éducation pour adultes, l’application des directives de l’Education Division semble donner des résultats pour le moins mitigés, les initiatives du Council concernant le milieu enseignant et étudiant sont fort appréciées. Les jeunes en particulier apparaissent désireux de se rendre en GrandeBretagne et si l’on en croit un mémorandum sur les voyages éducatifs166, la demande émanant de jeunes Français souhaitant séjourner en Angleterre est bien supérieure à celle de jeunes Anglais voulant aller en France. Ce document souligne également la netteté du flux FranceGrande-Bretagne : la première destination des jeunes Français à l’étranger est l’Angleterre, alors que les Britanniques se rendent sans préférence marquée dans toute l’Europe de l’Ouest. Les résultats de l’action du Council s’inscrivent dans ce cadre général de regain d’intérêt pour la Grande-Bretagne chez les jeunes, là aussi certainement lié au souvenir de la guerre. Cependant on ne peut réduire les échanges culturels franco-britanniques aux interventions du Council. Celles-ci constituent en fait un effort notable inséré à l’intérieur du dispositif général d’accords conclus entre les deux ministères de l’Education, en un temps favorable à l’affirmation des liens amicaux entre les deux pays. Mais on trouve également trace d’échanges franco-écossais pour lesquels le Council ne joue aucun rôle167. * Ainsi le Council a réalisé en 1947 et 1948 de grands progrès. Il bénéficie de l’anglophilie populaire ambiante pour poursuivre ses activités fonctionnelles et éducatives, dont le développement fragilisé par les menaces de réductions budgétaires est néanmoins réel. L’officialisation des relations culturelles franco-britanniques, symbolisée par la Convention culturelle de 1948, affermit son statut aux yeux de ses homologues français sans affecter son indépendance de fonctionnement. Néanmoins, il reste toujours des possibilités d’expansion, notamment sur le plan géographique en Bretagne et dans les petites villes, ou du point de vue social vers les ouvriers avec lesquels les contacts sont très ténus. 166 167 UNESCO, Mémorandum sur les échanges franco-anglais, 14 septembre 1948 - BW 31/27, P.R.O. Voir 70/AJ/38, A.N. 51 CHAPITRE 15 L’INSTITUT BRITANNIQUE THÉÂTRE D’UNE LUTTE D’INFLUENCE ENTRE LE BRITISH COUNCIL ET L’UNIVERSITÉ PARISIENNE : PROPAGANDE CONTRE ÉDUCATION ? Alors que l’Institut britannique attire un nombre d’étudiants en constante augmentation et qu’il s’affirme chaque jour davantage comme un centre culturel et éducatif d’importance pour l’apprentissage de l’anglais, son mode de gestion bi-national souffre de constants tiraillements à propos des orientations stratégiques et de la place de l’Institut dans la vie culturelle parisienne. Alors que le directeur Hugh Sellon insiste pour préserver une indépendance qu’il sent menacée par l’insertion de son établissement dans la politique culturelle britannique “ officielle ”, le British Council peine à établir l’autorité qui lui fut confiée par Anthony Eden sur cette pièce cruciale du dispositif de pénétration culturelle britannique en France. Les désaccords institutionnels et financiers persistent entre le Council et l’Institut, et deviennent l’expression d’un enjeu franco-britannique. En effet, les acteurs présentent des positions qui s’avèrent difficiles à concilier. Le British Council se doit de renforcer une légitimité toujours mise en péril dans le contexte intellectuel français marqué par l’antagonisme des influences venues de l’Est et de l’Ouest. Bien que les Britanniques adoptent un profil culturel qui se veut neutre et apolitique, la défense des valeurs qui le sous-tendent les rangent ipso facto aux côtés des Américains. Et le Council apparaît comme le bras séculier du Foreign Office. L’ambassade du Royaume-Uni en France considère ainsi la soumission stratégique de l’Institut au Council comme la condition d’une diplomatie culturelle efficace. Face à ce souci politique, l’Université de Paris se préoccupe davantage de l’aspect académique et entend préserver la qualité de l’enseignement dispensé d’une quelconque instrumentalisation, puisque l’influence des 52 Britanniques est inévitable, ne serait-ce qu’en raison de leur implication financière dans le fonctionnement de l’Institut. La volonté de part et d’autre d’atteindre ces objectifs se traduit par l’instauration d’une relation de force au sein des instances dirigeantes de l’Institut, qui se cristallise sur la gestion de Hugh Sellon. Il n’est toutefois pas réaliste d’envisager une rupture entre les parties concernées, parce que les Français ont besoin de l’aide financière britannique, et les Britanniques de l’appui universitaire français. Elles sont donc condamnées à s’entendre et à trouver des compromis. Ainsi les Français obtiennent un rééquilibrage des pouvoirs en leur faveur, mais ils ne peuvent imposer leurs vues très longtemps par nécessité d’accepter une solution médiane afin de préserver leur coopération avec le Council. 1.- LA TUTELLE DE L’INSTITUT BRITANNIQUE : UN RÉÉQUILIBRAGE DES POUVOIRS EN FAVEUR DES FRANÇAIS Avec la décision du British Council de négocier avec le Conseil d’administration de l’Institut une solution permettant de sortir l’Institut de l’impasse institutionnelle et financière dans laquelle il se trouve, le Conseil voit une occasion pour reprendre une part active à sa gestion. Cette nouvelle donne accroît les dissensions entre Français et Britanniques. Mais celles-ci se résolvent provisoirement par la création d’un organisme co-animé par le Council et l’Institut et chargé des tâches éducatives originellement dévolues au Council. 1.1 La réintroduction de l’Université dans la gestion de l’Institut britannique : une nouvelle configuration tendue Les propositions de réorganisation administrative de l’Institut avancées par le British Council en octobre 1946168 présentent la nouvelle solution envisagée par 168 Draft heads of agreement between the British Council and the British Institute in Paris, revised, 26 octobre 1946. - BW 31/9, P.R.O. 53 l’organisme londonien pour parvenir à faire accomplir par l’Institut ses missions éducatives, sans pour autant avoir à financer les activités qui ne le concernent pas directement. Il est suggéré de créer une cellule éducative spécifique qui seule ferait l’objet d’une coopération étroite entre les deux établissements. Cette formule traduit le principe selon lequel le British Council tient à être nommément et fonctionnellement associé au développement de l’apprentissage de l’anglais en France, domaine dans lequel le caractère scientifique peut annihiler tout soupçon de propagande et permettre d’ancrer son activité dans l’Hexagone. C’est en vertu de cette conception qu’a auparavant été rejetée l’idée de confier totalement l’Institut à la Sorbonne pour en faire un simple département d’anglais. De plus, une coopération avec la Sorbonne donne un gage de sérieux et revêt un prestige qui peut s’avérer profitable169. Les activités de la cellule éducative consisteraient en l’organisation de cours pour les professeurs français enseignant l’anglais et de Summer Schools pour les étudiants, le maintien de liens avec les universités, l’organisation de visites de professeurs britanniques invités en France, la préparation des examens de Cambridge et l’octroi des bourses du British Council. D’un point de vue fonctionnel, cet organe éducatif est fermement mis sous le contrôle du Council, qui nomme son directeur et son personnel, mais sur les plans administratif et politique il conserve des rapports étroits avec l’Institut. En effet, il est placé sous l’autorité administrative du directeur de l’Institut. Par ailleurs, il est prévu de mettre sous la responsabilité d’un comité de six personnes issues du British Council et du Comité exécutif de l’Institut le suivi de la politique éducative définie conjointement par le représentant du Council et le directeur de l’Institut, et validée par le Council à Londres. La cellule est alors chargée de sa mise en œuvre. Ce projet prépare une mise en retrait du Council, qui cherche à limiter au strict nécessaire ses liens avec l’Institut pour cause de désaccord avec les orientations globales prises par Sellon, et en attendant que celui-ci quitte ses fonctions. Les subventions octroyées à l’Institut sont réduites à la moitié des dépenses globales, et la moitié du salaire de Sellon est payée par le Council. Mais ce retrait volontaire ne règle aucun des points de friction observés, ainsi qu’en témoigne la reprise dans ce projet de dispositions de contrôle étroit institutionnel, et surtout financier, que le Council tente depuis 1944 de faire appliquer : l’entrée du 169 Ibid. Lane, British Institute in Paris : some notes on proposals now under discussion, 17 octobre 1946. - 54 représentant du Council au Conseil d’administration de l’Institut, son accès permanent aux livres de comptes et sa participation aux comités financiers de l’Institut. Ce schéma prétend apporter une réponse à un cas de figure particulier qui ne se retrouve pas dans les autres pays où le Council est en activité. Alors que les instituts se trouvent sous l’autorité pleine et entière du Council, l’autonomie dont jouit en France le directeur de l’Institut britannique en vertu du statut bi-national de l’établissement est une donnée que le Council éprouve d’autant plus de difficultés à intégrer que c’est précisément ce statut original qui se trouve être à l’origine des résistances qu’il rencontre pour mener une politique culturelle qui soit conforme à ses vœux. Le Council parvient d’ailleurs mal à comprendre ou/et à admettre le degré d’autonomie dont peut se prévaloir l’Institut170, ce qui se traduit par une vision du fonctionnement de l’établissement dont est systématiquement exclue l’Université, pourtant partenaire essentiel dans l’orientation académique de l’Institut. Et ce, alors même qu’un renforcement des liens coopératifs avec l’Université est considéré comme primordial pour le développement des activités du Council en France. Ainsi, dans le projet de cellule éducative, il est frappant de constater que nulle part n’est évoquée l’Université ; une réaction négative de celle-ci est dès lors prévisible. Elle s’exprime par une série de contre-propositions, transmises par Auguste Desclos171, qui font apparaître les deux préoccupations principales de l’Université.. En premier lieu, les universitaires souhaitent reprendre leur place initiale dans le processus de décision concernant la gestion de l’Institut, en évinçant le Comité exécutif estimé “ entièrement sous la dépendance du British Council ”172. Ils veulent ainsi exclure le Comité exécutif de toute question ne se rapportant pas à la nomination du directeur et du personnel de l’Institut (hors section spéciale du Council). En second lieu, les universitaires parisiens réaffirment leur primauté en matière de supervision de la politique éducative générale de l’Institut ; ils suggèrent en conséquence de modifier la composition du Comité de six proposé par les Britanniques pour en faire un organisme bipartite (trois Anglais, trois Français) sous la présidence du Doyen de la Faculté des lettres de la Sorbonne173. 170 Johnstone à secrétaire général [Seymour], 8 novembre 1946. - Ibid. Desclos est responsable de l’organisation des échanges franco-britanniques à l’O.N.U.E.F. 172 Desclos à Ashley-Clarke, 10 janvier 1947. – BW 31/9, P.R.O. 173 Johnstone à Adam, 29 novembre 1946. - Ibid. 171 55 La réaction des Français est très vive, à la mesure du sentiment de 174 dépossession qu’ils ressentent depuis que le British Council a entrepris d’associer l’Institut à la réalisation de ses missions. Dans cette perception, le Council est considéré comme un organisme de propagande, et les exigences mêmes de l’Université font ressortir cette opposition sous-jacente entre l’acception diplomatico-culturelle “ instrumentalisatrice ” des activités du Council et la dimension scientifique et sérieuse de l’Institut. L’Université est consciente de l’importance de l’appui du Council, en particulier financier, mais entend veiller à la qualité des activités de l’Institut. Dans l’absolu, la question de la nomination et de la révocation du directeur de l’Institut cristallise l’enjeu de pouvoir entre Français et Britanniques. La procédure prévoit qu’un nom proposé par le comité de liaison175 sera formellement entériné par le Conseil d’administration. Au nom du Council, Johnstone suggère de former ce comité de façon tripartite équilibrée : trois représentants du Council, trois pour le Comité exécutif, trois pour le Conseil d’administration. Mais pour Desclos l’équité de cette répartition n’est qu’apparente ; elle sous-tend en réalité la domination du Council appuyée sur le Comité exécutif qu’il contrôle officieusement depuis la guerre. Aussi pour faire pièce à cette tentative de “ coup de force ” avance-t-il pour ce comité une composition reposant sur ce qu’il considère comme un équilibre d’influences, avec le Conseil d’administration (quatre) d’une part, le British Council et le Comité exécutif (respectivement deux et deux) d’autre part176, afin de préserver - et d’imposer - un espace de négociation avec les Britanniques en cas de désaccord concernant la personne pressentie pour exercer la direction. Les divergences de vues concernant Sellon rendent ce point particulièrement sensible. Face au Council, le soutien de Sellon devient pour l’Université parisienne une question de principe. Le British Council fait finalement évoluer sa position et accepte le schéma défendu par Desclos. En adoptant une attitude conciliante, il prend la mesure de la situation : non seulement il n’est pas en position de force pour imposer ses choix, mais en se rendant aux vues de l’Université, il peut en retirer des avantages. Ainsi, puisqu’il souhaite établir un 174 Le terme est employé par Desclos dans sa lettre à Ashley-Clarke du 10 janvier 1947, op. cit. Comité de liaison = Advisory Committee. Ce comité n’est pas uniquement consultatif (voir plus loin), il est également une force de proposition, aussi m’a-t-il semblé plus exact de le traduire par Comité de liaison. Ce choix est également lié au souci de le distinguer d’un autre Comité consultatif qui se met en place en 1948. Sur l’organisation de l’Institut britannique, voir l’annexe n°7. 176 Ashley-Clarke à Desclos, 30 décembre 1946. - Ibid. 175 56 partenariat avec l’Université, cette “ crise ” fournit l’occasion recherchée pour mettre en forme une instance de coopération formelle177. 1.2 La Section spéciale : un modus vivendi fragile et provisoire La naissance de la Section spéciale marque donc la volonté de coopération entre le British Council et l’Université, selon des conditions bien définies. Cette création répond à la fois au souci du British Council de limiter son engagement financier auprès de l’Institut britannique et de contrôler la mise en œuvre de la politique éducative dont elle confie la réalisation concrète à la Section. Elle doit également satisfaire les exigences de l’Université, qui souhaite voir clairement réaffirmé son rôle dominant dans l’élaboration des orientations scientifiques que la Section devra suivre. Organe de liaison scientifique entre les deux institutions, la Section spéciale comprend également une dimension politique et doit par son existence leur offrir un espace de médiation favorable au règlement des divergences éventuelles. Les termes de l’accord du 30 avril 1947 traduisent ces préoccupations178. En premier lieu, la marge de contrôle des activités laissée aux universitaires à tous les degrés de fonctionnement de la Section est remarquable par son importance. Les Français, davantage que le British Council, semblent avoir la haute main sur les activités de la Section, particulièrement grâce à leur poids au sein du Comité de liaison. Celui-ci est finalement composé de six universitaires parisiens, dont le doyen de la Faculté de lettres qui le préside. Deux membres du Council et deux représentants du Comité exécutif y siègent également. Chargé du lien entre le Conseil d’administration, le Comité exécutif et le Council (préambule), ce comité joue un rôle central dans l’élaboration et la validation du programme annuel de la Section. Préparé conjointement par le représentant du Council et le directeur de l’Institut, ce programme doit être soumis aux avis du Comité de liaison et au Conseil d’administration de l’Institut. Il est par la suite ratifié par le Council et le Conseil de l’Université de Paris. Le Comité de liaison considère également les moyens financiers à 177 Johnstone à secrétaire général [Seymour], 6 février 1947. - Ibid. Par ailleurs, les Britanniques espèrent qu’en échange les Français assoupliront leur ligne de conduite et accepteront l’admission au sein du Conseil d’administration d’un représentant supplémentaire du Council (seul Howell y siège). 178 Agreement between the Conseil d’administration of the British Institute, University of Paris, and the British Council, [30 avril 1947]. - Dossier 1947-1964, Archives du BIP. 57 mettre en œuvre pour appliquer ce programme, et fait valider ses propositions par le Council et le Conseil de l’Université (art. 3). Les activités confiées à la Section comprennent l’organisation de cours de perfectionnement linguistique de différents niveaux, soit pour professeurs d’anglais français, soit pour étudiants britanniques en France, l’octroi de bourses d’études, l’organisation de conférences de professeurs britanniques en visite en France (art. 1). Le Comité de liaison est par ailleurs consulté par le Council pour nommer le vice-directeur qui gèrera la Section sous l’autorité du directeur de l’Institut (art. 4). Enfin il exprime son opinion avant la nomination du directeur de l’Institut. Hors comité, l’Université étend également son influence scientifique à une participation aux côtés du représentant du Council et du directeur de l’Institut au comité chargé de décider des attributions de bourses entre les candidats. Le Council et l’Université disposent ainsi de la possibilité de co-gérer la Section sur le plan fonctionnel. Mais l’accord de 1947 témoigne par ailleurs de la prudence du Council sur le plan financier (art. 5). Le Council octroie à l’Institut une subvention dont la définition établit une nette distinction entre, d’une part les dépenses de fonctionnement de l’Institut auxquelles il contribue de façon générale, et d’autre part celles de la Section qu’il prend à sa charge sous la forme du paiement des salaires du vice-directeur de la Section et des personnels qui lui sont affectés et d’une aide matérielle de fonctionnement. La Section est dotée de livres de comptes spécifiques pour permettre au Council d’effectuer un suivi précis de sa situation financière. Ainsi, le Council, en dégageant le budget de la Section de celui de l’Institut, peut vérifier que l’évolution des dépenses de la Section est conforme à ses vœux. Le mode de transfert des fonds à la Section vient renforcer ce contrôle. Dans le principe, le Council présente de fait ses recommandations au Comité de liaison qui décide de l’affectation des fonds. Le représentant du Council en France sert d’agent de liaison et effectue des versements trimestriels au vice-directeur179. Enfin, le processus de nomination et de destitution du directeur de l’Institut est abordé (art. 4). Sur ce point épineux, l’accord rééquilibre les rapports franco-britanniques, en confiant l’initiative au Comité de liaison réuni sous forme exceptionnellement restreinte (deux représentants du British Council, deux du Comité exécutif, quatre Français). Mais sous 179 Mémo MacNaghten, 15 octobre 1947. - BW 31/25, P.R.O. 58 cette configuration, les Français et les Britanniques doivent alors nécessairement parvenir à une convergence de vues. Puis la suggestion retenue est transmise au Conseil d’administration, qui prend la décision finale et la soumet au recteur de l’Université pour ratification. L’accord créant la Section spéciale se présente finalement comme un accord de coopération entre universitaires français et diplomates culturels britanniques. Il dépasse son objet initial pour prendre en considération les moyens de régler des sujets de discorde qui risquent d’influer de façon négative sur le bon fonctionnement de la Section. En réalité, le point de friction initial n’est en rien résolu : Hugh Sellon est toujours en poste et les griefs formulés par le British Council à son encontre demeurent. L’année 1947 voit les déclarations de coopération mises à rude épreuve, le climat s’alourdir entre Français et Britanniques, et les positions se figer. 2.- LA PRÉDOMINANCE DE L’UNIVERSITÉ : UNE VICTOIRE DE COURTE DURÉE En dépit d’une forte réduction de la participation de l’Institut aux projets immédiats de développement du Council, les divergences franco-britanniques concernant la gestion de l’Institut persistent, jusqu’à la crise finale et au départ de Hugh Sellon. 2.1 La suppression de la Section spéciale : le British Council en retrait L’accord de 1947 a consacré une procédure de conciliation applicable pour la résolution de questions touchant au fonctionnement de l’Institut. Le British Council est parvenu à faire reconnaître par l’Université la légitimité de son intervention dans la gestion de l’établissement en tant que bailleur de fonds. Cependant, la création de la Section spéciale ne doit pas seulement être interprétée comme résultant de l’unique volonté du Council de préserver ses activités éducatives des erreurs de gestion imputées à Hugh Sellon, mais également comme un geste de défiance à l’égard de Sellon qui pourrait préluder à une menace de retrait définitif des affaires de l’Institut. C’est pourquoi l’accord de 1947 est également une manœuvre dilatoire, prétendant assurer une coopération de principe, tout en offrant un répit à 59 l’examen du dossier Sellon qui ne peut pourtant manquer de ressurgir et exiger une prise de décision. Alors que la résolution directe de cette pomme de discorde est soigneusement esquivée, les problèmes observés auparavant persistent, tant sur les plans scientifique que financier. Si par principe les universitaires français apportent leur soutien à Hugh Sellon, leur opinion réelle sur la direction de l’Institut n’en est pas moins mitigée. Enid McLeod rapporte ainsi que les deux professeurs de la Sorbonne membres du Conseil d’administration (Delattre et Cholley) sont insatisfaits des méthodes appliquées pour l’apprentissage de l’anglais. Ils estiment que les exercices proposés sont de nature insuffisamment diversifiée (dissertations littéraires au lieu d’exercices de phonétique, thèmes et versions, débats et discussions). Par ailleurs, l’insuffisance du niveau scientifique des professeurs officiant à l’Institut est une nouvelle fois évoquée180. Par la suite, ces remarques sont tempérées par les appréciations portées sur les efforts déployés par Sellon pour faire venir les étudiants britanniques en France ou pour organiser les cours de l’Institut ; il est vrai à une date où les universitaires conservent leur ligne de conduite et choisissent de ne pas exprimer ouvertement de réserves sur le directeur181.. Toutefois, ces deux positions ne sont pas antagonistes. Plus aigu est le problème financier. En juillet 1947, Miss Harris dresse un bilan des difficultés financières de l’Institut. Le déficit de 1946/1947 se montait à 7 500 £, mais celui de 1947/1948 menace de dépasser les 11 000 £182.. Au sein du Council, ce nouveau dérapage budgétaire alimente l’opposition à Sellon, celui-ci étant estimé responsable de dépenses jugées inconsidérées par rapport aux moyens disponibles. Cette accusation concerne non seulement le fonctionnement de l’établissement, mais également le train de vie de Sellon. Et Johnstone évoque une remise en adéquation formelle des tâches de l’Institut avec le montant des subventions dont il sera susceptible de disposer à l’avenir, de pair avec une réduction de la participation financière du Council aux dépenses globales de l’Institut183. La principale préoccupation du Council est alors de préserver la Section spéciale de toute répercussion des initiatives de Sellon sur son fonctionnement. Tout d’abord, 180 McLeod à Johnstone, 7 juillet 1947. - Ibid. Howell à Johnstone, 26 août 1947. - Ibid. 182 Miss Harris à secrétaire général [Seymour], 28 juillet 1947. - Ibid. 183 Memo McLeod à Johnstone, 1er août 1947. - Ibid. 181 60 sur le plan budgétaire, il s’agit de diminuer le montant des subsides versés à l’Institut pour pouvoir conserver intacte la somme octroyée à la Section. Ainsi le projet de répartir une subvention générale de 10 000 £ en en donnant 7 000 à la Section et 3 000 à l’Institut184 subit une légère modification pour faire passer la somme prévue pour l’Institut à 2 000 £185. Par ailleurs, la procédure de transfert des fonds à la Section ne donne pas entière satisfaction au Council, qui observe qu’en raison de la responsabilité du vice-directeur de la Section devant le directeur de l’Institut, les crédits attribués à la Section sont finalement contrôlés par le Conseil d’administration186, ce que la procédure devait éviter. Aussi est-il envisagé d’ouvrir un compte bancaire séparé pour la Section187.. Mais il reste que la dépendance hiérarchique dans laquelle se trouve le vice-directeur de la Section ne garantit pas davantage l’usage autonome de ces fonds. Une fois encore, il faut constater que la présence de Hugh Sellon est incontournable et qu’un arbitrage définitif à son sujet s’impose de plus en plus nettement. En effet, sa confirmation à la tête de l’Institut pour une année supplémentaire (voir chapitre 9) était de nature dilatoire et n’a fait que reporter la décision finale. Précisément, Hugh Sellon choisit fin juillet 1947 pour évoquer son statut et la précarité qui le caractérise en raison des réserves du British Council. Il cherche à provoquer une clarification de sa position en mettant en balance sa démission s’il n’obtient pas une nomination à vie à l’Institut. Plusieurs éléments expliquent le geste de Sellon. En premier lieu, il bénéficie d’un repli possible qui rend crédible sa menace de démission : un poste lui est proposé à l’université d’Exeter, ce dont il ne fait pas mystère. En second lieu, la situation dans laquelle il travaille devient difficile : les relations avec le British Council sont tendues, avec l’ambassade du Royaume-Uni elles sont quasiment inexistantes. Sans soutien de la part des autorités britanniques, il ressent fortement le déni de légitimité qui lui est fait. Enfin, et surtout, son seul appui réel, l’Université parisienne, a repris toute l’influence qu’elle avait perdue dans la gestion de l’Institut188. A la différence de ses prédécesseurs, il semble que Sellon ait été apprécié par la Sorbonne parce qu’il ne cherche pas à se libérer de la tutelle scientifique de celle-ci189.. Aussi, pour conserver un contrôle sur l’Institut et éviter de le voir 184 Note novembre 1947. - Ibid. ADG [Shreeve] à Controller Overseas C [Johnstone], 31 décembre 1947. - Ibid. 186 Deputy Controller Overseas C [Croom-Johnson] à Finance Officer [Lane], 2 décembre 1947. - Ibid. 187 McLeod à Howell, 13 décembre 1947. - Ibid. 188 Mémo McLeod à Johnstone, 5 août 1947. - Ibid. 189 Howell à Johnstone, 20 octobre 1947. - Ibid. 185 61 confié à un directeur aux ordres du Council (voire issu du Council)190 la Sorbonne soutientelle Sellon. Sellon comprend cette crainte et dès lors tente de profiter du retour en force de l’Université pour se faire confirmer à son poste, ayant observé que le Council avait des difficultés pour imposer ses vues et finissait par se rendre aux volontés de la Sorbonne pour ne pas étouffer toute chance de coopération avec une partie importante du milieu scientifique parisien. Ainsi apparaissent deux camps distincts. L’Université, avec Sellon, plaide pour une nomination à vie, selon les règles en vigueur dans les universités françaises. Les Britanniques refusent cette option et proposent des durées déterminées diverses. L’ambassade du Royaume-Uni ne consent pas à prolonger le mandat de Sellon au-delà d’un an191.. Le British Council fixe la durée maximale du mandat de Sellon à trois ans192. Le Comité exécutif de Londres reste prudent dans cette affaire. Il se prononce pour un mandat de cinq ans193. Dans une lettre au directeur du Comité exécutif Sir Henry Pelham, le professeur Bernard Ifor Evans, membre de ce même comité, se range aux côtés de l’Université en remarquant que l’Institut connaît une période d’activités florissante, ce qui joue en faveur de Sellon. Toutefois, Ifor Evans introduit une nuance de taille dans son propos en considérant que si “ les fonds nous sont retirés, alors nous sommes déliés de notre obligation à l’égard du directeur. ”194 Autrement dit, le Britannique est conscient de l’importance vitale de l’apport financier du Council pour faire fonctionner l’Institut et de l’influence prépondérante de cet argument financier pour trancher la question Sellon. La position du Comité exécutif est en fait difficile, désormais au croisement des influences contradictoires du British Council et de l’Université parisienne. Cette nouvelle situation se traduit par la création en avril 1947 d’un Comité consultatif commun [CCC] (Joint Advisory Committee) rassemblant six membres du Conseil d’administration, cinq du Comité exécutif, et le directeur de l’Institut. Ce nouveau comité vise à favoriser une réunification des parties londonienne et française, ou tout au moins une meilleure coordination et communication entre elles ; ce qui signifie aussi une meilleure intégration du Comité exécutif dans la sphère 190 Howell à Johnstone, 26 août 1947. - Ibid. Johnstone à Howell, 10 novembre 1947. - Ibid. 192 British Institute : Minutes of the Executive Committee, 6 novembre 1947. - Ibid 193 Ibid. 194 “ [If] funds fail then our obligation to the Director ceases. ” Ifor Evans à Pelham, 27 novembre 1947. - Ibid. 191 62 d’influence de l’Université. Le CCC a pour rôle de faire des recommandations concernant les activités, l’organisation, le financement, le choix des personnels de l’Institut. Face à la détermination prévisible (puisque récompensée jusqu’à présent) des universitaires, les Britanniques - British Council, Foreign Office - adoptent une stratégie d’affrontement en lissant leurs positions respectives et en en faisant une opposition résolue au scénario de nomination à vie. Cependant, et toujours avec l’idée de ne pas compromettre les collaborations futures avec l’Université195, il est décidé de ne s’incliner devant l’éventuelle insistance des Français qu’en laissant planer la menace du retrait pur et simple du soutien financier du Council à l’Institut. Le Comité exécutif, en les personnes de Pelham, Ifor Evans et Foster, est associé à la définition de ce plan, et lui est laissée sa position de “ ludion ” entre les Britanniques et les Français. Il se range aux côtés des universitaires, sans toutefois en partager vraiment les convictions196. Il ressort de toutes ces considérations que le Conseil d’administration du 19 janvier 1948 doit se prononcer sur deux dossiers cruciaux : l’amendement de l’accord d’avril 1948 destiné à séparer la Section spéciale de l’Institut, et la durée du mandat de Hugh Sellon. Par mesure de prudence, et dans l’attente du résultat des délibérations du Conseil d’administration, le British Council décide de reprendre le contrôle complet de la Section spéciale pour empêcher à l’avenir toute ingérence du directeur de l’Institut et de l’Université dans ses activités éducationnelles197. Il prépare alors un texte à soumettre à l’approbation du Conseil d’administration. Accepté en réunion du 19 janvier 1948, cet amendement198 supprime de fait la Section spéciale au 1er février et la remplace par une Section d’action universitaire (SAU) au sein du bureau parisien du Council (art. 4). Le rayon d’action de cette SAU est élargi par rapport à la Section spéciale, et il s’étend à toute la France, mais les missions restent identiques. La complémentarité de ses activités avec celles de l’Institut est toutefois clairement affirmée. La liaison scientifique avec l’Université, essentielle pour éviter les double-emplois et concurrences involontaires nuisant à l’efficacité des actions entreprises, est 195 Howell à Overseas Division C [Johnstone], 18 décembre 1947. - Ibid. Record of an informal meeting held at the British Council on 4th december 1947. - Ibid. 197 Mémo Johnstone, 30 décembre 1947. - Ibid. 198 Dossier 1947-1964, Archives du BIP. 196 63 désormais réalisée par un Comité consultatif (Advisory Committee) auquel sont invités à siéger trois universitaires français, le représentant du Council, le responsable de la SAU, le directeur de l’Institut britannique. Son objet est de “ donner au directeur du British Council en France des avis ” sur le programme de la SAU (art. 5). Ce caractère consultatif laisse une relative indépendance d’action à la SAU. Cet organe spécifique vient s’ajouter aux liens précédemment créés par la représentation du Council aux instances de gestion de l’Institut, ici reconfirmée (art. 7). Par ailleurs, la mise en retrait du Council apparaît dans l’article consacré à son apport au budget général de l’Institut (n° 6). Le Council se limite à un engagement à verser une subvention pour le seul exercice 1948/1949. Il est manifeste qu’il refuse de s’engager plus avant dans le soutien financier des activités de l’Institut tant que Sellon demeure en place. Or le Conseil d’administration décide d’accorder à Sellon un mandat à vie pour son poste de direction de l’Institut britannique199. Ce geste marque la conclusion du processus entamé par l’Université pour regagner la place qu’elle estime devoir lui revenir dans la gestion de l’Institut. Après cette manifestation d’autorité de principe, les éléments d’une relation plus sereine avec les Britanniques peuvent se mettre en place. 2.2 Le départ de Hugh Sellon : préserver la coopération British Council / Université En effet, les universitaires espèrent développer une coopération fructueuse avec le Council, et ce souhait se traduit dans l’immédiat par la nomination de David Howell au Comité exécutif afin de lui permettre d’assurer une meilleure coordination entre le Council et l’Université.. Le Council voit là une chance de parvenir à un accord avec les Français, d’autant plus que la question financière émerge de nouveau, et que l’Université fait montre d’une vision critique de la gestion de Sellon jusqu’ici stratégiquement tue. Une convergence franco-britannique défavorable à Sellon s’avère donc désormais possible. 199 Les votes se répartissent ainsi : quatre oui (les universitaires, René Cassin, Sir Henry Pelham), deux non (le British Council), quatre abstentions (la Chambre de commerce britannique de Paris, la DGRC du Quai d’Orsay, l’ambassade du Royaume-Uni). Mémo Johnstone, 20 janvier 1948. - BW 31/25, P.R.O. 64 Les Britanniques font paraître des réticences de plus en plus marquées à couvrir les déficits de l’Institut et à lui accorder des subventions dont il semble ne pas maîtriser la dépense. Pour 1947/1948, Miss Harris annonce un déficit de 6 782 £ (la subvention initiale pour l’année était de 3 000 £)200 et le Council oppose une fin de nonrecevoir à une demande d’aide supplémentaire. Pour chercher des remèdes à ces difficultés financières, un sous-comité constitué sous l’impulsion du Council a pour mission de rechercher des sources alternatives de financement, mais aucune proposition n’a encore été faite. Par ailleurs, s’il a été garanti dans l’accord de janvier 1948, le budget de l’Institut pour 1948/1949 s’annonce maigre. Alors que le Council propose au Trésor une somme de 2 000 £, il doit intervenir auprès du Foreign Office pour que ce montant, pourtant peu important, ne subisse pas de réduction201 dictée par l’hostilité de l’ambassade du Royaume-Uni en France. En effet, celle-ci exprime désormais à l’égard de Sellon une franche défiance qui transparaît dans les rapports envoyés au Foreign Office. Ainsi aucune subvention n’est envisagée pour 1949/1950, l’ambassade refusant de faire une recommandation à ce sujet202. Cette position est cependant diplomatiquement délicate à tenir vis-à-vis de l’Université, parce qu’elle ressemble fort à l’exercice d’une pression destinée à faire renoncer le Conseil d’administration à sa décision de conserver Sellon à son poste. Cette situation avive donc des inquiétudes au sein du Council, qui pourrait voir la réussite de ses efforts de coopération compromise en cas de crise. Il est possible que cette crainte ait justifié l’envoi à l’Institut des 2 000 £ de subvention avant que l’accord du Trésor sur cette somme lui soit parvenu203. Toutefois, à cette date, l’ambassade n’escompte pas de réaction vive de la part d’une Université qui exprime de plus en plus clairement son insatisfaction à l’égard de la gestion de l’Institut. En effet, si les griefs britanniques restent inchangés, les Français, jusqu’ici publiquement discrets sur la gestion de l’Institut, font désormais entendre leurs reproches. En réunion de Conseil d’administration, les universitaires soulèvent la question des 200 Miss Harris à Johnstone, 13 février 1948. – Ibid. Il est question que les 2 000 £ soient ramenées à 1 600 £ sur insistance du Foreign Office. Mais ce sont les 2 000 £ initialement prévues qui sont transmises à l’Institut fin 1948 (McLeod à Harris, 20 décembre 1948.Ibid.) 202 Howell à Johnstone, 22 décembre 1948. – Ibid. 203 Miss McLeod prévient le Directeur du département du budget du Council que la somme a été payée à l’Institut (le 23 novembre) alors qu’une semaine plus tard (le 1er décembre), Johnstone prévient Howell que l’octroi de 1 600 £ n’est pas tout à fait sûr tant que le Trésor n’a pas examiné cette proposition. 201 65 augmentations de salaires du personnel français, considérées comme supérieures à celles appliquées dans l’Université. Le salaire de la responsable de la section Française Lucienne Francke, particulièrement, est jugé bien élevé pour une enseignante dont le diplôme semble bien peu prestigieux pour le poste qu’elle occupe204. Au-delà de la mise en évidence d’une distorsion réelle liée à l’application de deux indices différents de croissance des salaires en fonction de la nationalité des personnels, l’observation française renvoie à l’expression d’un doute persistant (voir supra) concernant la qualité scientifique de certains d’entre eux. Une seconde remarque concerne la présentation des exercices comptables, semble-t-il sévèrement critiquée lors d’un comité de coordination interne entre Londres et Paris205. Le conseil d’administration du 20 juin 1949 offre l’occasion de délibérer une nouvelle fois sur le sort de Hugh Sellon. Le contraste est marqué entre d’une part le rapport présenté par Sellon sur les activités de l’Institut pour 1948/1949, qui donne l’image d’un organisme florissant, dont les cours obtiennent un succès croissant206, et d’autre part les délibérations qui suivent, en l’absence du Directeur, lors desquelles sont exposées et approuvées les raisons pour lesquelles son maintien en poste est nuisible au développement de l’Institut. On pourrait presque penser que ce conseil n’a été réuni que pour constater l’accord des Français et des Britanniques sur la nécessité de signifier à Sellon que son maintien à la tête de l’Institut est indésirable. Cela ne 204 Cette préoccupation s’exprime lors de deux conseils d’administration, le 12 juin 1948, et en septembre de la même année. Ashley-Clarke à Finch, 16 juin 1948. – FO 924/688A, P.R.O. Ashley-Clarke à Finch, 17 septembre 1948. – BW 31/25, P.R.O. Lucienne Francke n’est pas agrégée, elle possède une licence ès lettres, mention anglais. (Dossier Madame Francke, Boîte 13, Archives du BIP). 205 Ashley-Clarke à McDermott, 12 mars 1948. - FO 924/688A, P.R.O. 206 Les effectifs des deux sections connaissent un accroissement important : ANNEES 1946/1947 (pour mémoire) 1947/1948 1948/1949 Section française Section anglaise TOTAL 250 1 300 1 550 292 628 1 858 2 610 2 150 3 238 (Conseil d’administration du 20 juin 1949, Rapport Sellon. - FO 561/124, P.R.O.) Le nombre total d’inscrits aux cours atteignait en 1946/47 son niveau d’avant guerre (1 502 étudiants en 1938/39). La croissance des effectifs se poursuit, à un rythme régulier proche de 50 % par an pour la section anglaise. En revanche, la section française connaît une brusque augmentation du nombre d’inscrits, de l’ordre de 115 % entre 1947/48 et 1948/49, vraisemblablement due (au moins en grande partie) à la dévaluation du Franc opérée en janvier 1948 qui rend les coûts français attractifs pour des Britanniques. 66 transparaît pas dans les archives, mais de fait, c’est précisément ce qui arrive. La plupart des griefs sont dirigés contre la personne même de Sellon, et sur ce point, l’Université, l’ambassade et le Comité exécutif se rejoignent. Sont mis en avant sa mauvaise gestion budgétaire (réduction importante des provisions de l’Institut pour couvrir ses dépenses et incapacité à présenter un budget clair), et son manque d’envergure scientifique incompatible avec le maintien du prestige de son institution, donc préjudiciable à son développement207. De plus, la Sorbonne en la personne du professeur Cholley réitère dans ce contexte officiel sa vive désapprobation à l’égard des choix de personnel effectués par Sellon (des professeurs qui ne sont pas tous agrégés) ; elle saisit cette occasion pour déplorer que l’Université n’ait pas de droit de regard sur cette question. A travers cette remarque qui traduit une préoccupation importante pour l’Université, point une velléité de contrôle plus étendu sur la qualité scientifique de l’Institut, finalement en accord avec ce souhait exprimé dès 1947 par les professeurs d’exercer un suivi vigilant des orientations prises par l’Institut dans ce domaine. Enfin, l’Ambassadeur Oliver Harvey fait clairement état d’une probable disparition de la contribution britannique au budget de l’Institut en cas de conservation de Sellon à son poste. La conclusion de ces débats est sans ambiguïté : Sellon doit partir208. Cet épisode confirme les nouvelles dispositions d’esprit dans lesquelles se trouve désormais l’Université : dès lors qu’elle a récupéré son pouvoir sur la gestion de l’Institut, le fonctionnement de celui-ci reprend dans ses préoccupations la priorité sur les considérations tactiques. Les directions imprimées par Sellon ne donnant pas entière satisfaction, il s’agit donc de le remplacer, en accord avec le Council et l’ambassade qui visaient cet objectif depuis longtemps déjà, d’autant plus que c’est la condition sine qua non d’un maintien de l’aide financière au fonctionnement de l’Institut. En conséquence, Hugh Sellon fait parvenir sa démission à Lord Cromer (Comité exécutif) et au recteur de l’Académie de Paris le 12 septembre 1949. Il s’explique dans une lettre postérieure sur les motifs qui justifient son geste209. L’indifférence rencontrée auprès de l’ambassade est présentée comme le principal obstacle à l’accomplissement de sa tâche. La défiance affichée par les autorités 207 Le raisonnement est le suivant. Sellon est titulaire d’un Master of Arts (maîtrise). Ce faible niveau de diplôme peut rendre difficile ses relations avec les professeurs d’université, pour des raisons psychologicocorporatistes. Or un organisme aussi central dans la politique de pénétration culturelle britannique que l’Institut doit être confié à une personnalité qui possèdera les qualifications académiques nécessaires pour être reconnu par les universitaires français et développer une relation fructueuse avec eux. 208 Conseil d’administration du BIP de Paris, 20 juin 1949. –Dossier 1947-1964, Archives du BIP. 209 Sellon à Lord Cromer, 14 septembre 1949. - Boîte 2, dossier 1, Archives du BIP. 67 britanniques le prive en effet de légitimité, tant à l’extérieur que vis-à-vis de son personnel. Cette attitude est constante dès sa première réception par Duff Cooper à son arrivée à Paris en 1944, et les relations minimales instaurées avec l’ambassade se dégradent encore sous Harvey210. Pour Sellon, cet état de fait traduit l’exercice d’une pression destinée à obtenir l’insertion de l’Institut dans le dispositif de pénétration culturelle britannique, ce qui équivaut d’une part à s’éloigner de visées éducatives politiquement neutres pour devenir un organisme de propagande, et d’autre part à perdre son autonomie de fonctionnement pour être soumis aux décisions de l’organe chargé de conduire cette politique culturelle en France – le British Council. Opiniâtre dans cette volonté de préserver l’indépendance de l’Institut, Sellon ne rencontre aucun soutien réel. Il note de façon désabusée la sujétion des organes de gestion de l’Institut aux desiderata du Foreign Office, que ce soit le Comité exécutif au sein duquel l’influence du Council est réelle, ou l’Université qui a finalement utilisé Sellon pour parvenir à ses propres fins. Le Britannique perçoit d’ailleurs les ambitions de l’institution universitaire, in fine considérée comme un autre danger pour l’indépendance de l’Institut. Sa déception à l’égard du “ lâchage ” dont il a été l’objet est profonde. Y est liée la seconde cause de sa démission, qui concerne le désavœu de ses choix de personnel, et l’inquiétude que les commentaires sur leur niveau de qualification a entraîné parmi les enseignants de l’Institut. Il porte un jugement désapprobateur sur des méthodes de gestion radicales -– employées en particulier à l’égard du Directeur -, qui détruisent la motivation de l’équipe par les craintes qu’elles inspirent et menacent ainsi l’efficacité du travail jusque-là réalisé.. De fait, Lucienne Francke, qui se sait mise en cause, craint d’être obligée à quitter ses fonctions ; Lord Cromer doit lui garantir le maintien à son poste dans l’immédiat211. Cependant, il faut désormais songer à organiser l’après-Sellon. * Peut-on finalement pour caractériser les influences respectives de l’Université et du British Council sur l’Institut britannique opposer éducation et propagande ? Derrière cette problématique simpliste se cache en réalité une lutte d’influence interne à l’Institut, découlant de son mode de gestion bi-national, qui se répercute sur ses relations avec 210 211 Sellon a Lord Cromer, 11 juin 1949. – FO 561/124, P.R.O. Lord Cromer à Ashley-Clarke, 3 août 1949. - Boîte 2, dossier 1, Archives du BIP. 68 le British Council en raison de l’implication de cette organisation dans la partie britannique de sa gestion (le Comité exécutif). Les rapports avec le Foreign Office sont alors indirects. Français et Britanniques cherchent dès lors à utiliser l’influence dont ils sont détenteurs pour réaliser leurs objectifs, mais ceux-ci sont en réalité identiques. L’Université souhaite que l’Institut conserve un bon niveau d’enseignement pour offrir un complément aux études anglaises dispensées à la Sorbonne, comme il en a toujours été depuis sa création à la fin du XIXe siècle. Le British Council ne peut que souscrire à ces vues. Rien n’est plus conforme à sa mission “ politique ” que de favoriser une bonne collaboration entre l’Institut et le milieu universitaire parisien afin d’y être un élément reconnu. L’ambassade a parfaitement compris cela ; elle est consciente pour la réussite de cette entente de l’importance psychologique de la question du standing universitaire du Directeur de l’Institut (questions budgétaires mises à part). Après la démission de Sellon s’ouvre alors une ère potentiellement sereine pour l’Institut britannique. 69 CHAPITRE 16 UNE RADIO DE GUERRE FROIDE (1947 – 1948) En ce début 1947, la B.B.C. doit faire face à la montée des tensions internationales et se trouve de nouveau mobilisée pour jouer un rôle dans la lutte qui se prépare entre deux idéologies opposées. Elle doit alors concilier cette nouvelle donne contextuelle avec son souci de véracité dans la diffusion de l’information. En France, les remous politiques liés au départ des Communistes du gouvernement Ramadier et les grèves qui agitent le pays à partir de l’automne 1947 offrent un cadre favorable à l’expression de cette ambiguïté érigée en ligne de conduite par Sir Ian Jacob (voir chapitre 10). Au delà de cette situation, sur un plan strictement culturel, la coopération franco-britannique dans les champs radiophonique et télévisuel s’appuient sur des bases théoriques posées l’année précédente, complétées par l’existence de structures dédiées de part et d’autre à la concrétisation de ces projets. Elle peut donc désormais prendre un rythme plus soutenu. Toutefois, elle ne se traduit pas dans l’immédiat par un développement important. En effet, si les échanges B.B.C. / R.D.F. apparaissent diversifiés, ils sont inégaux, alors que dans un mouvement parallèle, la B.B.C. peine à imposer ses programmes auprès des auditeurs français. 1.- DES ÉCHANGES DIVERSIFIÉS MAIS INÉGAUX AVEC LA R.D.F. Disposant d’une petite structure et de représentants chargés de faire la liaison avec la R.D.F., la B.B.C. est en mesure de donner une forme concrète aux souhaits de coopération exprimés de chaque côté de la Manche. Si le bureau parisien dirigé par Cecilia Reeves est entièrement dévolu à cette tâche et s’y consacre dans le domaine radiophonique en attendant les progrès des recherches en matière télévisuelle, des obstacles économiques et 70 politiques subsistent et expliquent le volume finalement modeste (par rapport aux potentialités) des échanges réalisés. 1.1 Une activité centrée sur le développement des liens radiophoniques Les archives du Service Français de la B.B.C. sont quasiment inexistantes pour cette période, principalement parce que n’avait pas encore été adopté le principe de l’envoi à Londres de rapports réguliers faisant le point sur les activités du bureau. Ce constat laisse penser que les actions de coopération entre la B.B.C. et la R.D.F. étaient modestes en nombre comme en envergure, puisque le service chargé à Londres de suivre l’activité du bureau de la B.B.C. en France n’avait pas jugé utile d’en être informé par synthèses périodiques. Ceci peut également amener à conclure que la B.B.C. n’avait pas établi en matière d’échanges de ligne stratégique précise, et privilégiait une approche pratique, qui se traduisait par l’organisation d’actions ponctuelles susceptibles d’être reconduites, voire pérennisées. Cette conduite n’est pas surprenante si l’on considère d’une part que la B.B.C. n’a pas l’expérience d’un British Council dans le domaine des relations culturelles, et d’autre part que la persistance d’une situation française équivoque (voir infra) incite la B.B.C. à une certaine prudence déjà perceptible au lendemain de la Libération (voir chapitre 11). Le premier rapport trimestriel d’activités, daté de janvier 1949, offre une vision globale claire des missions et des réalisations effectives à la fin de l’année précédente212. En premier lieu, le bureau de la B.B.C. est chargé d’informer régulièrement la R.D.F. de l’évolution de ses structures, de ses expériences techniques et de ses programmes. Il rassemble les renseignements équivalents sur la R.D.F. En second lieu, il organise des échanges artistiques avec la radio française. Ainsi la B.B.C. possède une collection de disques de compositeurs britanniques qui sont prêtés à la R.D.F., ainsi que des transcriptions d’émissions. La R.D.F relaie parfois des programmes britanniques extraits du Service Français ou du Light programme de la B.B.C. C’est le cas, à titre d’exemple, d’une compétition ludique entre élèves du lycée Henri IV et la Royal School of Edinburgh. Ce type d’échange est particulièrement apprécié et le succès de ce “ pilote ” prélude à la réalisation d’autres numéros. Cecila Reeves signale également l’adaptation pour la radio française d’œuvres britanniques, ainsi pour fin 1947 Kaleidoscope 212 Marriot à Reeves, Activities of the Paris office, 20 january 1949, 31 janvier 1949. - E1/711/2, W.A.C. 71 de Cronin, Le roi Lear (avec Michel Simon dans le rôle-titre), Macbeth (musicalement illustré par Darius Milhaud), ou encore un Peter Ibbetson de George du Maurier adapté par Raymond Queneau213. Enfin des émissions britanniques peuvent être échangées, comme des événements sportifs, des concerts de musique214. La chaîne “ expérimentale ” Paris-Inter ouverte le 15 février 1947 constitue à cet égard un vecteur potentiel de diffusion de programmes de radios étrangères215. Par ailleurs, le bureau parisien prépare des programmes qui seront diffusés dans le cadre du Service Français : la Chronique économique, des éditions de Six autour d’un micro avec la participation de Gilbert Nolin et Jean Hémon, un numéro de l’Angleterre d’aujourd’hui, des reportages sur des événements particuliers tels la remise d’un exemplaire de l’Ode to France par son auteur Charles Morgan à la Bibliothèque Nationale ou encore des rencontres sportives (football). L’activité du bureau parisien de la B.B.C. se concentre sur les échanges radiophoniques, mais les progrès réalisés par les Français dans le domaine télévisuel sont observés avec beaucoup d’attention par les Britanniques. En témoignent les nombreuses notes relatives au système français et à l’adoption d’une définition d’image. En effet, il existait avant la Guerre un service émettant sur 455 lignes, mais les recherches poursuivies depuis la Guerre semblent prometteuses et encouragent à développer un standard proche des 1000 lignes, dont les techniciens de la B.B.C. ont constaté la qualité (voir chapitre 11), d’autant plus que le nombre de récepteurs en service est de l’ordre de quelques centaines. Il convient donc de définir un standard officiel qui pourra être adopté par les constructeurs de télévisions afin de favoriser le développement d’un marché jusque-là très étroit pour ce nouveau mode de communication. En collaboration avec les industriels concernés, trois expériences sont menées sur des niveaux de définition différents, à 819, 1029 et 729 lignes. C’est le 819 lignes qui l’emporte, et l’arrêté du 20 novembre 1948 en fait le standard français. Les raisons de ce choix résident dans la finesse des images, la largeur raisonnable de la bande de fréquence nécessaire et l’adaptation supposée de ce standard à la couleur sans modification profonde des 213 Reeves à D.D., 7 novembre 1947. - E1/691, W.A.C. Le premier échange de concerts est prévu pour début 1948. - Searle à ADM, 11 septembre 1947. E2/22/4, W.A.C. Voir aussi Accounts with R.D.F., items for agreements [s.d.] - E1/690, W.A.C. 215 C. BROCHAND, Histoire générale de la radio et de la télévision en France, t. 2, Paris, La Documentation française, 1994, p. 344. 214 72 équipements requis. Cette décision est prise pour les dix années à venir, puisqu’il est décidé qu’un émetteur parisien conservera cette norme jusqu’au 1er janvier 1958216. Les dossiers n’ont pas gardé trace d’échanges d’émissions, mais de coopération technique pour cette “ Nuit anglaise ” du 17 octobre 1947, préparée dans les studios de la R.D.F., et censée célébrer “ ’l’Entente cordiale’ en matière de télévision lancée l’été dernier [1946] lorsqu’à l’occasion de la fête nationale française, le 14 juillet, fut retransmis la revue ‘Ici Paris’ dans les studios d’Alexandra Palace en présence de l’Ambassadeur de France et son épouse. ” Ce programme spécial comporte, outre des jeux, un reportage sur la remise des clés de Londres à la princesse Elizabeth au Guildhall217. Alors que les Français auraient souhaité relayer deux programmes, dont l’un avec Joséphine Baker, l’opposition des syndicats britanniques fait échouer ce projet218. A la différence de la télévision, qui conserve dans une certaine mesure un caractère encore expérimental, ce qui limite les liens à une information réciproque à caractère technique, les échanges en matière de radio se placent sur un plan essentiellement artistique et apparaissent diversifiés. Si les archives nous font défaut pour connaître le volume même approximatif des émissions échangées, il semble qu’une montée en charge se heurte à un certain nombre d’obstacles. 1.2 L’inégalité des échanges avec la R.D.F. Dès la Libération, la B.B.C. s’est attachée à suivre de près l’évolution des structures de la R.D.F. La main-mise du pouvoir sur la radio française s’affirme de plus en plus nettement, à l’opposé des principes de fonctionnement de son homologue britannique. Toutefois, cette différence fondamentale des rapports entre la radio et l’Etat en GrandeBretagne et en France n’a jamais semblé mettre en question la légitimité des échanges entre les deux organismes. Si le gouvernement ne parvient pas à doter la R.D.F. d’un statut, l’organigramme mis en place après l’arrivée de Wladimir Porché à la direction générale est apparemment stabilisé, ce qui crée un contexte favorable à la désignation d’interlocuteurs pour procéder à l’examen pratique des conditions de réalisation des échanges. Toutefois, cette 216 Ce choix sera largement controversé. - Ibid., p.525-530. Voir également Reeves à Marriott, 29 novembre 1948. - E1/726/1, W.A.C. 217 British TV from Paris, note du 15 octobre 1947. - T8/27/1, W.A.C. 218 Best à Castet, 20 mai 1948. - E1/726/1, W.A.C. 73 volonté de coopération ne se traduit pas par des résultats immédiats de grande ampleur. Cet état de fait peut s’expliquer par l’existence de contentieux financiers portant sur le paiement des prestations, eux-mêmes liés à un manque de réciprocité des échanges. La R.D.F. traverse une situation financière délicate en 1947. La reconstruction du réseau détruit lors des opérations de guerre est prise en charge par ses ressources propres, ce qui obère très lourdement son budget pour plusieurs années. Disposant d’un budget annexe, et non d’un budget autonome, la R.D.F. est directement soumise aux choix économiques faits par le ministère des Finances. Or en dépit d’un meilleur recouvrement des redevances, le gouvernement impose une ligne d’austérité, qui se traduit à la R.D.F. par des comptes qui ne peuvent être équilibrés qu’au prix de fortes compressions de personnel et par des annulations d’émissions. Le programme de reconstruction des émetteurs prend également du retard219. Début 1948, Griffin fait état de mesures supplémentaires de réduction d’activités touchant la chaîne parisienne et le temps d’autonomie des stations régionales de Lille, Lyon, Marseille, Rennes, Toulouse ainsi que de la suppression de six stations (Bordeaux, Limoges, Nancy, Grenoble, Clermont-Ferrand, Montpellier)220. La redevance est portée de 300 à 700 F courant 1948, mais cette mesure est insuffisante pour assurer à la R.D.F. une meilleure situation financière. Aussi est-elle très sensible aux variations budgétaires dans ses rapports avec la B.B.C. En témoigne sa décision d’interrompre la retransmission hebdomadaire de spectacles de cabarets londoniens (Rendez-vous à Londres) à partir du 28 août 1947, au motif d’un déséquilibre des comptes entre les deux radios au détriment de la R.D.F.221. Les deux radios parviennent à un accord concernant le paiement des prestations réalisées. Celui-ci prévoit un rééquilibrage périodique des dépenses des deux organismes par le versement du surplus au bénéfice de l’organisme créditeur en francs au bureau parisien de la B.B.C. ou en livres sterling au bureau anglais de la R.D.F.222 L’apuration des comptes fait apparaître fin 1947 un bénéfice d’environ 150 000 F au profit de la R.D.F.223 Par la suite, des états de compte sont régulièrement produits de part et d’autre afin de prévenir 219 C. BROCHAND, op cit, p. 463-466. Griffin à Thomson, janvier 1948. - E1/719/2, W.A.C. 221 Marriott à Reeves, 10 juillet 1947. - E1/690, W.A.C. 222 Reeves à Marriott, 15 juillet 1947. - Ibid. La R.D.F. confirme son accord fin 1947 (Marriott à Gibson, 10 décembre 1947 - Ibid.) 223 Marriott à Gibson, 10 décembre 1947 - Ibid. 220 74 un trop grand déséquilibre de dépenses. En général, celles-ci sont liées à des prestations techniques (utilisation de câbles de transmission par exemple). Toutefois, la disproportion des prestations effectuées trouve son origine dans l’inégalité des échanges d’émissions, ce qui signifie que la R.D.F. puise plus largement dans les programmes de la B.B.C. pour ses retransmissions que l’inverse. La B.B.C. accepte ce constat et invoque une certaine défiance vis-à-vis de la R.D.F. (unreliability - son instabilité fonctionnelle ?) pour justifier des difficultés d’emprunts de programmes français. C’est ainsi que la R.D.F. interrompt la diffusion d’une demi-heure d’émissions du Service Français par semaine en usage depuis deux ans224.. Le correspondant de Cecilia Reeves à Londres, Richard Marriott, incrimine également l’instabilité des devises pour déplorer que les échanges avec la France ne soient pas davantage développés225. Ces explications ne rendent que partiellement compte de la position de la B.B.C. Il faut également prendre en considération un manque d’enthousiasme diffus pour un courant d’échanges où les Britanniques ont l’impression de n’avoir que peu à gagner. Aussi le Conseil de gestion de la B.B.C. doit-il rappeler que la Corporation doit faire preuve de davantage de volontarisme, non pas nécessairement pour obtenir un gain, mais pour signifier qu’elle est convaincue de l’importance intrinsèque de ces échanges226. Cependant, si les Français se montrent insatisfaits du nombre global d’emprunts de leurs programmes par la B.B.C., il faut rappeler que la B.B.C. rejoint le British Council pour constater l’acuité du déséquilibre des échanges de musique au profit des Français227.. La première réunion de la commission mixte pour l’application de la convention culturelle enregistre d’ailleurs les plaintes de la B.B.C. concernant l’insuffisance des programmes culturels consacrés à la Grande-Bretagne relayés par les stations françaises. Les Français empruntent essentiellement des émissions de musique légère, et la commission exprime le souhait de voir cette situation évoluer vers un courant d’échanges plus équilibré, avec la retransmission de pièces de théâtre ou l’emploi d’artistes britanniques228. Au vu de ces éléments, il faut revenir sur la prudence de la B.B.C. dans ses relations avec la R.D.F. Il semble peu douteux que l’emprise de l’Etat sur la radio française 224 Monahan à DOS, 18 octobre 1948. - E1/719/2, W.A.C. Marriott à Gibbons, 8 octobre 1947. - E1/711/2, W.A.C. 226 Board of Managment, réunion du 31 mai 1948. - R2/1, W.A.C. 227 Wright à Wynn, 26 janvier 1948. - E2/22/4, W.A.C. 228 Commission mixte franco-britannique, 29, 30 septembre, 1er octobre 1948, p. 4. - Relations culturelles, Enseignement 1948/1959, carton 83, M.A.E. 225 75 constitue un obstacle aux échanges ; ceux-ci n’ont pas de caractère politique. Toutefois, l’inexistence de statut semble desservir la R.D.F. ; c’est là un signe d’instabilité potentielle, puisque les attributions des différents services qui la composent sont susceptibles de modifications, les hommes peuvent être licenciés, et les compressions budgétaires pèsent d’ailleurs lourdement sur la gestion des personnels. Il reste que cette méfiance entrave l’action culturelle que prétend mener la B.B.C. auprès des auditoires français, et peut même être considérée comme contre-productive, parce que les retransmissions de programmes britanniques sur les ondes françaises représentent un moyen d’action complémentaire pour faire connaître la Grande-Bretagne en France. Si la R.D.F. limite les retransmissions d’émissions britanniques en rétorsion contre le positionnement en retrait de la B.B.C., les échanges perdent une part de leur efficacité potentielle. Cette situation est d’autant plus dommageable que l’audience du Service Français continue à diminuer et qu’un relais local s’avère dès lors fort utile pour ce que l’on peut désormais considérer comme une radio d’appoint. 2.- UNE RADIO D’APPOINT Selon Asa Briggs dans sa monumentale somme sur la B.B.C., l’entrée en Guerre froide n’eut de réelles répercussions sur les services extérieurs de la radio britannique qu’en 1948, après le coup de Prague229.. Si cette assertion est exacte sur le plan budgétaire230, elle ne semble pas s’appliquer aux programmes dans le cas français. C’est en effet à l’été 1947 que l’on peut noter une nouvelle tonalité plus résolument informative dans les programmes du Service français dirigés vers des auditeurs qui s’y réfèrent désormais comme appoint. 2.1 Les programmes : une radio de Guerre froide Comme dans les années d’après-guerre, la B.B.C. fait fréquemment évoluer sa grille de programmes afin de l’adapter aux souhaits des auditeurs – on compte cinq grilles 229 A. BRIGGS, The history of broadcasting in the United Kingdom - Sound and vision, Londres, 1979, 230 On constate une forte réduction des subventions du Foreign Office à partir de 1948. Voir annexe n°10. p. 161. 76 sur 1947 et 1948231 -, mais il devient rapidement nécessaire de définir une grille “ optimale ”, c’est-à-dire conjuguant les préférences des auditeurs et la prise en compte de l’actualité internationale, en une organisation rationalisée au maximum imposée par des contraintes budgétaires. Le nombre d’heures d’émission fléchit constamment sur toute la période, de cinq heures trois-quarts (mars 1947) à trois heures trois-quarts (octobre 1948) par jour. Alors que le temps d’émission se réduit, l’organisation des programmes est affectée par la croissance de la proportion d’informations, qui passe d’un tiers en octobre 1946 à 46 % en octobre 1948. En fait, dans un premier temps, la diminution du nombre total d’heures émises est répercutée sur les programmes de divertissement, ce qui a pour effet automatique d’accroître le nombre d’heures consacrées à l’information. Puis la mise en service de la grille du 10 août 1947 marque un accroissement volontaire des programmes d’information, toujours combiné avec la réduction du nombre total d’heures d’émission. Ce mouvement coïncide avec l’installation de la Guerre froide. Lors du premier semestre 1947 (16 mars, puis 13 avril), les horaires subissent un déplacement global et sont plus tardifs qu’auparavant. Les émissions commencent désormais à 7h30 (au 16 mars) puis 8h30 (au 13 avril) au lieu de 6h30. Ce décalage se retrouve en fin de soirée. Ces réajustements d’horaires permettent d’atteindre un meilleur potentiel d’écoute puisqu’en août l’organisation de la grille du 16 mars est finalement retenue. En effet, les réponses à un questionnaire daté de décembre 1946 sur l’audience de la B.B.C. permettent d’identifier les trois tranches horaires les plus écoutées, dans cet ordre : 21h15–22h00, 19h30-20h30, puis 12h30-13h00232. La grille du 16 mars cible exactement les émissions dans les tranches citées, alors que ce n’est pas le cas pour la grille du 13 avril. Par ailleurs, les grilles n’enregistrent pas de bouleversements par rapport à leur organisation d’après-guerre, avec toujours trois tranches horaires principales, un matin partagé entre l’information et des émissions de détente, un après-midi récréatif et une soirée à dominante informative, soit par le biais de bulletins d’information, soit par la diffusion d’émissions culturelles. Cette programmation traduit le souhait d’atteindre des catégories diverses d’auditeurs : tout particulièrement les cadres et professions libérales avec une information commentée le matin et des informations et émissions dites “ sérieuses ” le soir, qui seront parfois passées le matin et rediffusées le soir, mais aussi une population plus 231 232 Voir les grilles en annexe n° 11. Questionnaire, décembre 1946. – E3/46/2, W.A.C. 77 diffuse recherchant des programmes d’abord pour se détendre et moins pour se cultiver ou s’informer, d’où les après-midis musicaux. La caractéristique majeure de ces grilles du premier semestre 1947 est la diversification de l’offre de divertissement. Les programmes récréatifs font une percée dans l’organisation des programmes, avec les Histoires courtes du lundi soir, remplacées par le Conte du lundi en avril. En avril également d’autres émissions de détente sont programmées : Le saviez-vous (sorte de quiz), et A bâtons rompus. Enfin apparaissent des Programmes pour enfants, diffusés le dimanche et le jeudi après-midi. Dès mars, l’Anglais par la radio fait l’objet d’une double diffusion, deux fois un quart d’heure par jour, plus un quart d’heure le samedi matin. Le succès de l’émission explique cette extension de temps de programmation ; l’entrée en Guerre froide justifiera amplement son maintien233. Les informations ne représentent pas plus d’un quart du temps d’émission total lors de ce premier semestre 1947. Les lettres parvenant à la B.B.C. font état d’une appréciation positive portée par les auditeurs actifs sur les programmes proposés : Le saviez-vous enregistre une réaction très favorable, et comme juste après la guerre, les émissions remportant le plus de suffrages sont Six autour d’un micro et les émissions sur Londres (La vie à Londres), citées par toutes les catégories socio-professionnelles lors du sondage de fin 1946. Le Courrier de l’Europe et la Chronique scientifique obtiennent aussi du succès auprès des auditeurs234. Le tournant de la programmation se situe en août 1947. A partir de cette date, les informations bénéficient d’une soudaine extension de diffusion, passant de 25 % à 42 % du nombre total d’heures émises pour la France. Cette proportion est maintenue pendant 1947 et légèrement augmentée en 1948 à 46 % (en octobre). Lorsqu’entre en application la grille d’août 1947, l’antagonisme entre l’Ouest et l’Est prend une forme structurelle de plus en plus nette. Les Etats-Unis ont annoncé en mars leur doctrine d’endiguement du communisme et en juin Marshall a dévoilé à Harvard les éléments du plan d’aide à la reconstruction destiné à l’Europe. Les Soviétiques refusent de voir les pays de leur mouvance bénéficier de cette aide, et la création du Kominform en septembre achèvera le processus de formation des blocs. On ne peut trouver de corrélation formelle entre les débuts de la Guerre froide et cette modification des grilles du service français. Depuis le 5 mai, les Communistes ont été exclus 233 Il s’agit de développer les cours d’anglais afin de favoriser l’accessibilité à la culture anglaise. Indirectement, l’accès à la culture américaine se trouve favorisé également. 234 Questionnaire décembre 1946. – E3/46/2, W.A.C. 78 du gouvernement, mais ils n’adoptent une stratégie d’opposition violente qu’à partir de l’automne. Pourtant les années d’après-guerre sont d’une façon générale marquées par de nombreuses grèves très localisées et circonscrites dans le temps235. Ce renforcement du pôle informatif des programmes a-t-il été décidé à la suite des grèves ayant affecté la presse parisienne début 1947 et ayant ainsi privé les lecteurs d’informations sur le monde ? L’éviction des communistes du gouvernement a-t-elle pesé sur la décision d’accroître la part des informations dans l’ensemble des programmes ? En l’absence de document précis sur ce point, nous en sommes réduits aux conjectures. Jonathan Griffin, qui suit les activités de la B.B.C. à l’ambassade du Royaume-Uni constate la baisse générale de l’audience de la radio britannique, mais suggère qu’il serait judicieux de faire une place plus importante à la France au sein des bulletins d’information, particulièrement en temps de crise, afin de constituer une source de renseignement fiable, sachant que “ la presse française est dans ces moment très confuse et que les informations diffusées par la R.D.F. [sont] émasculées par la censure et la crainte. ”236 En effet, les bulletins de la B.B.C. privilégient alors la relation des événements internationaux, en accord avec le principe défendu par Jacob de diffusion d’une information générale de même contenu pour tous les pays, sans introduire de distinctions nationales237, et partant, sans s’immiscer dans les affaires intérieures des pays. Outre cette importante proportion du temps d’émission consacré à l’information, est introduit dans la grille d’août 1947 le feuilleton radiophonique. Cette nouveauté, ajoutée au Conte de la semaine (qui remplace le Conte du lundi, sans changer de jour de programmation d’ailleurs) témoigne des efforts de la B.B.C. pour proposer davantage de divertissements. Le succès généralement remporté par la présentation d’œuvres de fiction laisse prévoir un bon accueil des auditeurs. Toutefois, cette grille peut être considérée comme une grille transitoire au vu des modifications enregistrées dans la grille suivante, mais déjà prévues dans celle-ci. En effet, le samedi est programmée une présentation des principales émissions musicales du Home Service. Ce renvoi des auditeurs vers le Home Service peut soit correspondre à une incitation à le découvrir par le biais des programmes musicaux, soit signifier la disparition prochaine des émissions musicales de la grille du Service Français, ou tout au moins leur très forte réduction. La seconde solution s’avère exacte, la grille d’avril 235 La Quatrième République, des témoins pour l’histoire, 1947 - 1997, coll. Histoire et archives, Paris, 1999, p. 52. 236 Griffin à Tennant, 15 janvier 1948. – E1/702/3, W.A.C. 237 A. BRIGGS, op cit, p. 155 79 1948 se caractérisant par un resserrement des programmes dont les émissions musicales sont les premières victimes. La grille d’avril 1948 est refondue afin de tenir compte de deux impératifs : une réduction du temps d’antenne à quatre heures un quart238, et la nécessité de proposer des programmes attractifs pour au minimum stabiliser l’audience, au mieux l’accroître. En effet, la B.B.C. se doit de prendre part à la lutte idéologique menée entre l’Est et l’Ouest, en fonction des orientations exposées par Sir Ian Jacob dès 1946 : “ selon le point de vue britannique, il est hautement souhaitable que les faits soient exposés dans toute leur véracité et leur exactitude ... La Grande-Bretagne doit lutter contre la calomnie et la propagande diffusées par les tenants d’un mode de pensée différent. Nous n’adopterons pas un système de défense fondé sur la réfutation, en revanche nous prendrons et nous conserverons l’initiative. ”239 Les informations représentent alors 41 % du temps d’émission, à peu près comme dans la grille précédente. La grille est resserrée sur le plan horaire. Si les émissions débutent toujours à 7h30, elles finissent désormais à 22h00 au lieu de 0h15. Sont supprimées les émissions de midi (qui étaient généralement des rediffusions), les émissions musicales ou pour enfants de fin d’après-midi. Mais l’espace vide d’une demi-heure (20h30 - 21h00) qui séparait les émissions de la soirée est comblé. Ainsi la soirée forme un bloc d’émissions compact et ininterrompu de 19h30 à 22h00, alors que les émissions en cours de journée restent entrecoupées de silence. En soirée, l’avantage de cette réorganisation est de permettre la diffusion d’émissions longues (d’une heure) ou de plusieurs émissions qui se suivent (jusqu’à trois). La musique refait son apparition sous forme d’interlude entre deux émissions (mardi et vendredi), ou d’émission à part entière (jazz le dimanche ou retransmission le mercredi d’un concert qui dure toute l’heure). Le feuilleton et le conte sont conservés. Ces modifications de programmation permettent d’offrir une soirée plus variée, où se mélangent sérieux et détente, par rapport aux grilles précédentes qui possédaient pour cette tranche horaire une tonalité à 238 Paradoxalement, la réduction du temps d’antenne ne correspond pas à une réduction du budget consacré à la préparation des programmes. Pour 1947-1948, il est de 300 £ par semaine (et c’est le maximum accordé à un service en langue étrangère), et l’année suivante il passe à 700 £ par semaine. Afin de résoudre ce paradoxe peuvent être suggérées la hausse ou l’importance des types de coûts suivants : le coût des programmes, les coûts de fonctionnement, le coût des modifications appliquées aux grilles (à titre d’exemple, la création de la tranche 18h30-20h coûte 12 000 £ [Miss Button à Lean, 14 avril 1948]). Stevens à C.Eur.S., 17 février 1947 et 17 mars 1948. - R20/65/2, W.A.C. 239 A. BRIGGS, op. cit., p. 155 80 dominante sérieuse. La B.B.C. étant surtout écoutée à ce moment de la journée, la nouvelle grille vise à satisfaire les besoins de détente autant que d’information. Enfin, l’intérêt de la grille tient également à la présence de Jacques Duchesne, de nouveau sollicité pour commenter l’actualité le dimanche midi. Les préférences des auditeurs ne montrent pas d’évolution particulière selon les courriers reçus par la B.B.C., elles vont toujours aux émissions de tribune (Six autour d’un micro), aux émissions sur Londres. Les feuilletons sont également appréciés. Les bulletins d’information représentent aussi un point fort des programmes. La grille est remaniée de nouveau en octobre 1948. Les principes d’organisation adoptés en avril sont conservés, mais le temps d’antenne est amputé d’une demi-heure. Il est désormais constitué à 46 % d’informations. Cette proportion augmente alors que la réduction du temps d’émission s’effectue au détriment des autres programmes. Ainsi les émissions de fin de soirée sont supprimées, et les émissions se concluent à 21h30 par un dernier bulletin d’informations. Par ailleurs, le conte disparaît et le feuilleton ne connaît plus qu’une seule diffusion. Alors que d’une façon générale, les notes conservées dans les dossiers relatifs au Service Français ne font pas état d’une quelconque offensive idéologique britannique contre les idées communistes, le contenu des programmes fait dans ce dernier trimestre 1948 l’objet de recommandations issues du Foreign Office. Les grèves menées sous la houlette communiste prennent en effet en 1948 un caractère insurrectionnel qui inquiète le ministère des Affaires étrangères britannique. Il est prévu que l’émission Paris-Londres, qui présente un échange téléphonique entre un Français et un Anglais, soit “ reprise en s’attachant particulièrement à combattre le point de vue communiste. ”240 L’absence de directive écrite dans les dossiers ne signifie pas que cette idée n’émane pas du Foreign Office (au moins dans son principe), mais la seule trace écrite vient du directeur du service de l’Europe de l’Ouest James Monahan. Cette orientation était insuffisamment nette du point de vue du Foreign Office, qui suggère fin 1948 à Sir Ian Jacob de pratiquer une défense plus appuyée de la Troisième Force face au Parti communiste241. Cet essai d’influence directe du gouvernement sur le contenu des programmes suscite des sentiments mêlés à la B.B.C. qui, d’une part est consciente du rôle qu’elle a à jouer dans la lutte idéologique en cours, et d’autre part 240 241 [Reeves], Visit to London, 18-22 octobre 1948. - E1/711/2, W.A.C. Warner à Jacob, 2 décembre 1948. - E1/702/3, W.A.C. 81 n’accepte pas par principe les interventions directes du Foreign Office (voir chapitre 10). De fait, évoquant cette intervention du ministère, le Conseil des gouverneurs réaffirme lors d’une de ses réunions sa conviction que le contrôle des émissions diffusées en Europe doit être du seul ressort de la B.B.C.242 Au total, la conjonction des contraintes budgétaires et de la priorité donnée à l’information explique le resserrement d’une grille composée selon ces impératifs au détriment des programmes plus légers ou culturels. En cela, la ligne politique suivie est celle exprimée par Sir Ian Jacob, qui considérait le bulletin d’informations comme “ la raison essentielle pour laquelle les auditeurs écoutent [la B.B.C.], ce qui offre une opportunité pour expliquer les vues britanniques sur l’actualité et présenter le mode de vie britannique. ”243 Ainsi, Jacob place les informations parmi les moyens de projection culturelle. Mais elles occupent une position particulière. En effet, le poids de la situation internationale et le biais idéologique qu’il induit sont tels que le Service français devient une radio de guerre et une radio de crise, qui se doit d’abord de présenter l’évolution des relations internationales accompagnée du point de vue britannique. 2.2 Un appoint pour les auditeurs La B.B.C. poursuit donc ses essais de diversification de son offre radiophonique, qui pour être réussis ne devraient pas se limiter à toucher les seules catégories aisées, mais s’étendre aux couches modestes de la population qui sont également vulnérables à la propagande communiste. Parvient-elle à atteindre cette efficacité ? Pour répondre à cette question nous disposons des précieux éléments recueillis par le Département de recherche d’audience, qui sont de trois types244 : les fiches d’analyses de lettres envoyées par les auditeurs, de fréquence mensuelle puis bi-mensuelle à partir de mi-1948, un questionnaire réalisé fin 1946, ainsi que des sondages pour 1947 et 1948. Ces documents permettent à la fois de cerner le profil des auditeurs actifs de la B.B.C., et de resituer la radio britannique dans le paysage radiophonique de cette période en termes d’écoute. 242 Board of Governors, réunion du 11 novembre 1948. - R1/16, W.A..C. A. BRIGGS, op.cit., p.155. 244 Tous ces éléments se trouvent dans le même dossier Audience Resarch : France, file 2 : 1947 – 1949. – E3/46/2, W.A.C. 243 82 Par rapport aux années d’après-guerre, le nombre de lettres reçues tend à décroître. D’environ 500 par mois, en moyenne, en 1946, les analystes de la B.B.C. disposent d’un corpus d’environ 300 lettres par mois en 1947, et 400 en 1948245. L’examen de l’origine géographique des courriers fait apparaître une médiocre représentation des départements à faible densité de population, dans le Massif Central, et le sud. C’est donc une frange d’auditeurs habitant plutôt au nord de la Loire, dont le profil n’a pas évolué par rapport aux années d’immédiat après-guerre, qui exprime son opinion sur les programmes de la B.B.C., ce qui ne signifie pas qu’ils soient tout à fait représentatifs de l’ensemble des auditeurs. Ce noyau d’auditeurs actifs est composé d’industriels, d’employés, de fonctionnaires, aux troisquarts masculins. Ils se situent plus volontiers dans la tranche d’âge 50-64 ans, puis 35-49 ans246. Toutefois, à la lecture des programmes – informations, émissions politiques et économiques, ou à caractère culturel d’un niveau certain -, on peut penser que les hommes d’affaires, les professions libérales et plus généralement les classes moyennes constituent une large part de l’auditoire de la radio britannique. Les résultats de ce questionnaire de décembre 1946 sont corroborés par les éléments recueillis dans les fiches d’analyse sur toute la période 1947 - 1948. Globalement, la B.B.C. estime qu’en 1947 le nombre d’auditeurs occasionnels du Service Français (moins d’une fois par semaine) totalise environ cinq à six millions de personnes, les auditeurs réguliers (plus d’une fois par semaine) représentant environ un million. Ces chiffres ne sont pas comparables avec les données de 1946. La définition des catégories “ auditeur régulier ” et “ auditeur occasionnel ” est à la fois simplifiée et élargie, ce qui permet également la prise en compte d’une tendance générale à la diminution de l’auditoire. Ainsi d’écoute quotidienne en 1946, la régularité recouvre en 1947 245 Le détail du nombre de lettres reçues est le suivant : M J F an 1947 évrier ars L 5 ettres 98 reçues OIS M OIS Août -Sept L ettres reçues Oc t-Nov 398 35 246 A vril M ai 2 02 DécJan 1948 10 1427 J uin 1 74 J uillet 2 03 1 55 Fé Av Jui Se No v-Mars ril-Mai n-Août pt-Oct v-Déc 39 11 57 78 10 2 60 4 1 38 Questionnaire décembre 1946. – E3/46/2, W.A.C. 83 une écoute quantitativement supérieure à une fois par semaine. L’écoute considérée comme occasionnelle passe d’une fréquence d’une ou deux fois par quinzaine à moins d’une fois par semaine247. Aussi, par rapport à 1946, le nombre d’auditeurs réguliers est-il resté stationnaire en apparence ; en réalité, il a subi une diminution. Deux facteurs peuvent rendre compte de cette décroissance de l’auditoire. L’image de sérieux et d’austérité accolée aux programmes de la B.B.C. subsiste encore248. Les évolutions de la grille de programmes tiennent d’ailleurs compte de ces remarques afin d’insérer davantage d’émissions divertissantes à des heures de “ grande écoute ” (voir supra). Toutefois, il faut noter que les populations ayant répondu au questionnaire de 1946 plébiscitent les programmes dits “ sérieux ”249. La problématique de l’équilibre entre les programmes informatifs et les émissions d’un ton plus léger (musique, feuilletons) conserve son actualité. Cette contradiction de réponses laisse apparaître un noyau d’auditeurs qui recherchent d’abord des informations sur la Grande-Bretagne, pour des raisons professionnelles ou par goût personnel, alors que ceux qui écoutaient la B.B.C., en attendant que les conditions techniques de réception des radios françaises ou francophones soient meilleures, tendent à s’en détourner graduellement. La désaffection continue de la B.B.C. est en effet à mettre en relation avec la concurrence des radios francophones. Les analystes de la B.B.C. soulignent la vigueur de l’effort des Américains et surtout des Soviétiques en termes de durée d’émission. Ainsi il est observé en mai 1947 que les émissions en français occupent la plus grande part des programmes en langue étrangère diffusés par l’U.R.S.S.250.. Fin 1947, la B.B.C. conserve la première position pour ses émissions en français (31h30), suivie par les Etats-Unis (21h) et l’U.R.S.S. (15h15)251. Mais début 1948, l’U.R.S.S. accentue son effort en direction de la France et atteint un temps d’émission de 19 heures par semaine252. Si la B.B.C. suit attentivement l’évolution des potentialités de propagande radiophonique dont disposent les principaux protagonistes de la guerre froide, la forte impression du souvenir de son action pendant la Seconde Guerre lui assure toujours auprès des Français un préjugé favorable dont ne bénéficient pas ses concurrentes étrangères. Néanmoins, la radio britannique reprend progressivement une place davantage conforme aux pratiques d’écoute que l’on pourrait 247 Pour les définitions de 1946, se reporter à : Polling the B.B.C. French audience 1946 - 1948 - E1/702/3 – W.A.C. 248 Evidence, janvier 1947. – E3/46/2, W.A.C. Questionnaire décembre 1946. – Ibid. 250 Evidence, mai 1947. – Ibid. 251 Evidence, octobre-novembre 1947. – Ibid. 252 Bi-monthly report on French audience, février-mars 1948. – Ibid. 249 84 attendre des Français, c’est-à-dire après les radios francophones. En effet, un sondage réalisé par la revue Radio-Programme souligne l’attachement des Français à ces dernières, la B.B.C. s’affirmant comme la première radio étrangère captée correctement et écoutée par les Français interrogés253. * L’entrelacement entre le politique et le culturel dans les directives énoncées par Sir Ian Jacob confirme la position ambiguë de la B.B.C. dans le champ de l’action culturelle, encore accentuée par la situation internationale qui induit une domination de l’angle idéologique. Si les grandes grèves de 1947 et 1948 peuvent entraîner des inquiétudes sur l’avenir politique de la France, l’audience dont jouit la B.B.C. est trop faible pour qu’elle puisse apparaître comme une radio incontournable. Mais les suggestions du Foreign Office concernant les programmes de la B.B.C. dénotent une vigilante attention portée à l’évolution de la vie politique outre-Manche. Au delà du poids du contexte international, mais peut-être aussi en partie grâce à lui, les potentialités de coopération entre la France et la Grande-Bretagne dans les champs radiophonique et télévisuel sont encore insuffisamment exploitées et recèlent des perspectives intéressantes à concrétiser. 253 Référendum Radio-Programme 29 février – 6 mars 1948. – Ibid. L’échantillon porte sur onze mille personnes, de tous âges et de toutes CSP. Parmi les radios qui peuvent être captées avec netteté, la B.B.C. se classe quatrième, derrière la Chaîne nationale, Radio-Luxembourg et la Chaîne parisienne. Parmi les radios les plus écoutées, la B.B.C. est huitième, après Radio-Luxembourg, la Chaîne nationale, la Chaîne parisienne, Sottens (Suisse), Radio-Monte-Carlo et Radio-Andorre. QUATRIEME PARTIE Vers un repli (1949-1953) 85 En raison de la progression du mouvement de décolonisation et de la stabilisation des deux blocs idéologiques en Europe, de nouvelles priorités sont assignées au Council au détriment de son action en France (chapitre 17). Celle-ci est toutefois maintenue dans les domaines couverts par la convention culturelle (chapitre 18), mais des choix doivent être opérés dans les activités dont le Council est le seul initiateur (chapitre 19). L’Institut britannique cherche à consolider son activité (chapitre 20). La B.B.C. adopte une politique de projection culturelle plus affirmée, alors que la coopération avec la R.T.F. donne ses premiers résultats positifs (chapitre 21). Dans cette période de contraction globale des moyens budgétaires, la Grande-Bretagne conserve toutefois un champ d’intervention relativement traditionnel (éducation et arts) sans rechercher de solution de projection culturelle alternative, tel que le développement d’une politique de jumelages (chapitre 22). A l’issue de cette période, une commission d’évaluation des services culturels britanniques à l’étranger réalise un bilan officiel de la politique de projection de la culture britannique à l’étranger, et propose des réorientations liées à des considérations stratégiques au regard desquelles l’action culturelle en France apparaît désormais davantage comme un luxe que comme un défi (chapitre 23). 86 CHAPITRE 17 UNE RÉDUCTION DRASTIQUE DES MOYENS D’ACTION EN EUROPE Dès 1948 le British Council se trouvait très sévèrement atteint par les décisions du gouvernement qui, au nom des nécessaires efforts budgétaires en vue du rétablissement économique et financier de la Grande-Bretagne, avait opté pour une réduction des fonds affectés à la réalisation d’une politique de projection culturelle à l’étranger. Mais la dévaluation de 30 % de la Livre, opérée le 18 septembre 1949, s’avère insuffisante pour apaiser les tensions inflationnistes et les années suivantes voient la confirmation du choix de l’austérité budgétaire. D’autre part, la réorientation de la stratégie du Council esquissée en 1948 se précise à la faveur des derniers développements internationaux. Deux blocs idéologiques relativement homogènes s’affrontent désormais dans le monde. L’Europe de 1949 achève de se déchirer en deux : le “ coup de Prague ” a fait entrer la Tchécoslovaquie dans la sphère d’influence communiste, et les Occidentaux accélèrent la partition de l’Allemagne. Les alliances militaires conclues par la suite (traités entre l’URSS et ses pays satellites à l’Est, OTAN à l’Ouest) figent les positions de chaque camp en Europe. L’antagonisme monde libre / monde communiste s’exprime alors plus vivement dans le reste du monde, où l’allégeance des territoires en voie de décolonisation est un enjeu de poids. Mais, pour l’heure, la pression communiste s’accentue surtout en Asie où, après la proclamation de la République Populaire de Chine, l’aide apportée par les Chinois aux mouvements de libération frères donne le signal d’une internationalisation croissante des conflits s’y déroulant (Indochine, Corée dès 1950). 87 Dès lors le Council entreprend de développer son action dans les colonies et les pays du Commonwealth, au détriment de son activité dans les pays européens. 1.- “ L’IMAGE DU MONDE ACTUEL PEUT ÊTRE COMPRISE COMME UNE LUTTE POUR L’ÂME DES INNOMBRABLES POPULATIONS ‘RETARDÉES’ D’ASIE DU SUD ET D’AFRIQUE ” (Sir Charles Jeffries - 1950)254 La création d’un Commonwealth (au sens premier) est une priorité déjà affirmée en 1947/1948 qui se trouve confirmée par la suite. Ce choix stratégique s’accompagne d’une diminution des moyens consacrés à la poursuite de la promotion culturelle en Europe, au risque de céder des positions acquises les années antérieures et de mettre fin à l’engagement actif de la Grande-Bretagne dans l’Europe culturelle. 1.1 Une priorité : la création d’un Commonwealth D’un point de vue global, le montant des subventions accordées au British Council entre 1949/50 et 1952/53 diminue fortement, passant de 3 161 500 £ en 1949/50 à 2 429 000 £ en 1952/53, soit une réduction de 23 %. Pour l’année suivante (1953/54), il stagne (+ 0,7 %) (voir annexe n° 3).Cependant au-delà de cette tendance générale, l’examen de la répartition des contributions permet de confirmer les orientations observées en 1948 : un accroissement des fonds affectés au développement du Council dans les colonies et le Commonwealth, et une réduction des subsides du Foreign Office, dans les proportions calculées ci-dessous : 1949/50 - 1953/54 - Foreign Office - 34,2 % - Colonial Office + Commonwealth Relations Office + 12,5 % Les efforts réalisés en faveur de l’Inde et du Pakistan se poursuivent, sur la demande des Premiers Ministres de ces deux pays, pour maintenir des liens culturels entre la 254 DONALDSON, op. cit., p. 165. 88 Grande-Bretagne et ses anciennes possessions, les liens économiques encore très forts255 étant déjà assurés par leur adhésion au Commonwealth. La tâche du Council consistera “ probablement à aider à remplir ce qui aurait autrement pu être un vide lorsque la GrandeBretagne s’est retirée de la gestion administrative et politique ”256 de ces pays. Les colonies, dont le budget a jusqu’à présent connu une croissance faible et irrégulière, bénéficient aussi de ce redéploiement stratégique du Council. Ce dernier accroît particulièrement son activité en Afrique257. Il y est représenté dans la presque totalité des territoires contrôlés par les Britanniques, et en 1950 renforce son implantation par l’ouverture de bureaux au Nyassaland, en Tanganyika et en Nord-Rhodésie258. Selon les directives du Foreign Office et du Colonial Office, le Council est chargé d’organiser la coopération culturelle et scientifique avec les colonies. Le gouvernement britannique cherche ainsi à assurer la pérennisation de liens entre ces régions et la Grande-Bretagne par le biais d’une assistance technique qui doit aller en se renforçant et se poursuivre après que les colonies sont devenues des nations souveraines. L’aspect culturel de la mission du Council est étroitement lié à cette préoccupation. Il s’agit en effet, en dernière analyse, de faire pièce à l’influence communiste en “ montrant que la Grande-Bretagne et la tradition occidentale qu’elle défend a quelque chose de mieux à offrir que le mode de vie communiste ”259. Les nouvelles orientations imprimées par le gouvernement à l’expansion du Council procèdent de la réévaluation globale d’une action jusque là d’abord dirigée vers les pays alliés de la Grande-Bretagne ou neutres, et destinée à s’attirer leur sympathie. Mais à présent, et compte tenu des moyens limités octroyés au Council, s’impose un nouvel ordre de priorités plus adapté aux réalités internationales, qui implique une redistribution correspondante des ressources financières et surtout leur concentration relative sur les pays déclarés nouvellement prioritaires. Sir Charles Jeffries du Colonial Office soutient cette idée dans une lettre adressée à Sir William Strang. Il suggère par ordre décroissant d’importance que l’attention du gouvernement se porte sur le Commonwealth, puis sur les nations “ émergentes ” hors du Commonwealth (Chine, Indonésie, Etats Arabes...) et enfin sur les 255 Dans les années 1950, jusqu’à 40 % des échanges britanniques sont réalisés avec des pays du Commonwealth. P. SCHNAPPER, La Grande-Bretagne et l’Europe – Le grand malentendu. Paris, 2000, p. 79. 256 The British Council Review, Final Report by Organisation and Methods Division, H.M. Treasury, novembre 1950, cité dans DONALDSON, op. cit., p. 162. 257 The British Council, Annual Report 1950/51, p. 62. 258 DONALDSON, op. cit., p. 373-376. 259 Jeffries, circulaire du 28 novembre 1949 citée dans DONALDSON, op. cit., p. 155. 89 pays situés en bordure du Rideau de Fer (Yougoslavie, Allemagne, Autriche...). Afin de disposer de fonds nécessaires à la mise en œuvre de cette politique, il préconise une très substantielle réduction des activités (en particulier fonctionnelles) du Council en Europe et en Amérique Latine260. Cette lettre ne reflète pas une opinion isolée, mais l’accord n’est pas unanime sur ses vues. Cependant si l’utilité du travail du Council dans les possessions britanniques et le Commonwealth ne fait aucun doute, il s’avère nécessaire de procéder en conséquence à un repli dans d’autres pays. Cette considération explique en grande partie les diminutions successives enregistrées par la subvention du Foreign Office qui de 1947/48 (année où elle était la plus importante) à 1953/54 (année où elle est la plus basse) est réduite de 42,3 %. Par ailleurs, outre les contraintes imposées par les restrictions, s’ajoute à partir de la fin 1950 un second facteur qui rend compte de la diminution de la somme allouée par le Foreign Office au British Council pour les exercices 1951/52, 1952/53, et de la stagnation de 1953/54. A la suite du conflit coréen, le gouvernement britannique adopte un plan triennal de renforcement de la défense nationale de 4 700 millions de £, et le finance en particulier au détriment des crédits accordés aux services d’Information à l’Etranger dont fait partie le British Council261. Il reste que ces réductions successives de budget entraînent des protestations de la part du Comité Exécutif du Council. Ainsi le 6 février 1951, le ministre des Affaires étrangères Clement Attlee reçoit une délégation du Council qui attire son attention sur l’accroissement des responsabilités qui lui sont confiées par le gouvernement et l’impossibilité de les assumer si son budget se réduit dans de telles proportions. D’autre part le Council estime difficile de planifier un développement cohérent de ses activités s’il n’est jamais assuré à l’avance des ressources dont il pourra disposer262. Après examen de ces demandes, le Gouvernement pense souhaitable d’établir et de garantir un revenu minimum au Council263. Mais pour 1952/53, une nouvelle coupe dans les subventions du Foreign Office est prévue, ce qui induit de nouvelles récriminations, d’autant plus que “ la France (certainement 260 Jeffries à Strang, 17 juin 1950, cité dans DONALDSON, op.cit., p. 165-166. DONALDSON, op.cit., p. 163. 262 British Council : Executive Committee, réunion du 11 juillet 1951, Memorandum from the Executive Committee of the British Council to the Secretary of State for Foreign Affairs - BW 68/9, P.R.O. 263 Note de Richard Seymour, 20 août 1951 - BW 31/38, P.R.O. 261 90 soumise à autant de contraintes économiques que nous) semble dépenser sensiblement plus que nous et que d’autres pays se lancent alors que nous nous retirons ”. De fait, pour l’année 1949, peu de changements sont observés par rapport à l’année précédente, et la réduction de 0,7 % reproduit les économies réclamées par le Trésor. En revanche, celles de 1950/51, 1951/52 et 1952/53 sont plus importantes. Elles traduisent très largement les décisions de baisse d’activité du Council affectant les régions du monde où sa présence n’est pas jugée absolument indispensable. Les choix sont opérés au bénéfice de l’Extrême-Orient264 et dans une moindre mesure au Moyen-Orient - une représentation est ouverte en Israël - ; mais cette sélection se fait au détriment de l’Amérique Latine et de l’Europe. 1.2 Un engagement actif dans l’Europe culturelle compromis ? En effet, depuis l’année où leur dotation budgétaire a été la plus grande (1947/48 pour l’Europe jusque l’année 1952/53), la diminution des crédits par région est la suivante : Amérique Latine - 52,9 % Europe - 51,6 % Moyen-Orient - 43,3 % Extrême-Orient - 24,7 % Dominions - 16,2 % Colonies - 3 %265 En Europe orientale, le Council doit quitter la plupart des pays communistes dans lesquels il était encore en activité : la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, la Hongrie. Mais les sommes retirées de la vente des logements et bureaux (estimées à 56 500 £ en tout) ne sont pas conservées par le Council aux fins de réinvestissement ; elles reviennent directement au Trésor. Le Council n’est désormais actif qu’en Pologne (avec des moyens réduits). 264 Malgré la fermeture des centres en Chine en 1952. British Council : Executive Committee, réunion du 14 avril 1953 - Note rédigée pour le Committee of Enquiry into the Overseas Information Services : Allocation of funds by areas and activities 1946 to 1953 – BW 68/11, P.R.O. 265 91 A ce repli forcé à l’est du Rideau de Fer s’ajoute une baisse de l’activité du Council en Europe Occidentale, selon les nouvelles priorités établies par le Foreign Office. Le rapport annuel du British Council de 1950/51 fait état de coupes budgétaires en Grèce, PaysBas, Espagne et France, et d’un maintien d’activités en Yougoslavie (en partie grâce à la dévaluation du dinar)266. Une lettre de K.R. Johnstone à H. Harvey Wood confirme cette orientation et la précise, dans le cadre de la préparation du budget de 1952/53267. Est considéré de la plus haute importance le travail effectué dans les pays contigus au bloc communiste : Autriche, Allemagne (R.F.A.), Yougoslavie, Finlande. Le British Council s’affirme ainsi aux yeux de la diplomatie britannique comme un instrument essentiel de lutte contre l’expansion communiste ; ce qui rend un peu paradoxales les coupes sombres alors réalisées dans le budget de la division Europe. En second lieu les pays d’Europe méridionale, traditionnellement peu ouverts à la culture britannique, doivent faire l’objet des efforts du Council : la Grèce, l’Italie, l’Espagne, la Turquie. Enfin viennent des pays d’Europe du Nord et Nord-Ouest, avec lesquels la Grande-Bretagne entretient des liens séculaires et solides : la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, la France, la Norvège, la Suède et le Portugal. Mais la perspective de devoir dorénavant adopter un profil bas en Europe sur les instances du Foreign Office ne passe pas sans mal auprès du Comité Exécutif. Celui-ci fait valoir au ministère des Affaires étrangères que le British Council est un organisme indépendant268, qui s’accommode mal de décisions le concernant prises sans le consulter par un gouvernement qui, par ailleurs, ne conteste pas cette indépendance269, mais continue dans les faits à exercer une tutelle vue par le Council comme trop pesante, maintenant que la confusion d’après guerre n’est plus. En particulier, l’exécutif du Council insiste à plusieurs reprises sur la nécessité de conserver une représentation crédible en Europe. Stanley Unwin au nom du Comité Exécutif met en avant trois arguments : le British Council est une arme puissante (potent weapon) pour lutter contre les idées communistes ; une activité intense dans le domaine culturel peut compenser dans une certaine mesure la tiédeur que les Britanniques 266 The British Council, Annual Report 1950/51, p. 62-63. Johnstone à Harvey Wood, 31 décembre 1951 - BW 31/38, P.R.O. 268 British Council : Executive Committee réunion du 11 juillet 1951, Memorandum from the Executive Committee of the British Council to the Secretary of State for Foreign Affairs - BW 68/9, P.R.O. 269 Note de Richard Seymour, 20 août 1951 - BW 31/38, P.R.O. 267 92 manifestent à l’endroit de la construction économique et politique de l’Europe ; les engagements pris lors de la signature des conventions culturelles doivent être respectés270. Le rapport annuel du Council pour l’année 1952/53 reprend avec vigueur ces différents points. La Grande-Bretagne, puissance océanique, initiatrice du Commonwealth, reste cependant une puissance européenne, dont la culture a été façonnée par des siècles d’échanges avec les pays d’outre-Manche ; elle est une composante vivante et essentielle de la culture européenne. Il s’agit dès lors, face à l’U.R.S.S. et aux Etats-Unis, de prendre part à l’affirmation de l’identité culturelle européenne à laquelle la Grande-Bretagne a à apporter des valeurs raisonnables et modérées. Déjà insérée dans le jeu des échanges par les conventions culturelles, la Grande-Bretagne ne peut désormais s’en retirer sans risquer un isolement dommageable pour son image et ses intérêts (parce que les liens culturels induisent et pérennisent des échanges économiques). Or la curiosité à l’égard de la culture britannique est encore vivace en Europe, ce qui constitue une occasion unique pour établir plus solidement l’influence britannique dans cette partie du monde271, en étant conscient du fait que si “ la vérité doit triompher ” (devise du British Council), elle doit pour cela faire l’objet d’une promotion efficace. Richard Seymour reconnaît quant à lui, dans une note sur la politique et les objectifs du Council, la nécessité de s’adapter aux priorités politiques, mais ajoute que parallèlement les liens doivent être conservés avec les pays “ de première importance sur le plan culturel et avec lesquels la Grande-Bretagne entretient des liens multiples ” pour que son action obtienne une reconnaissance dans le monde entier272. Nonobstant ces remarques d’ordre général, il est cependant notable que la France, parmi les pays non prioritaires d’Europe, dispose toutefois d’un budget fort substantiel. C’est au 9 janvier 1951 le premier budget de la section Europe du Nord et NordOuest, mais sa part dans le total alloué à la division Europe tend à diminuer : Part du budget de la France dans le budget Europe273 : 270 Memorandum from the Executive Committee to the Secretary of State for Foreign Affairs and the Chancellor of the Exchequier attaché à une circulaire de Richard Seymour 16 janvier 1952 - BW 31/38, P.R.O. Des conventions culturelles ont été passées avec la Belgique, la France, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, l’Autriche. 271 The British Council, Annual Report 1952/53, p. 9 à 15. 272 British Council : Executive Committee réunion du 11 mars 1952. Richard Seymour : Notes on the general purposes and policy of the Council (21 janvier 1952) - BW 68/9, P.R.O. 273 Chiffres du budget alloué à la division Europe : Executive Committee, réunion du 14 avril 1953. Allocation of funds by areas and activities 1946 to 1953 - BW 68/11, P.R.O. Chiffres du budget pour la France : Executive Committee, réunion du 13 septembre 1955. Scale of activities in France - BW 68/13, P.R.O. 93 1949/50 1950/51 1951/52 1952/53 9,7 % 9,4 % 9,4 % 8,1 % De fait, les années 1949-1953 délimitent pour la représentation du Council en France une période de réajustement brutal de l’organisation et des activités sous l’effet des réductions budgétaires successives. 2.- LA RÉPERCUSSION DES COUPES BUDGÉTAIRES SUR L’ACTIVITÉ DU BRITISH COUNCIL EN FRANCE Malgré les excellents résultats des années 1947/48 et une gestion saine et rigoureuse, de nouvelles coupes budgétaires mettent fin à l’expansion du Council en France. La poursuite d’une activité implique un redéploiement complet des moyens disponibles et un appui plus prononcé sur les réseaux anglophiles locaux. 2.1 La fin de l’expansion Fin mars 1949, Sir Ronald Adam effectue en France une visite de neuf jours destinée à évaluer l’étendue du travail accompli par le Council, spécialement en province. Le rapport rédigé à son retour comporte des appréciations très positives concernant les progrès réalisés et la méthode d’organisation des activités. La gestion y est saine et rigoureuse dans la ligne des recommandations issues de Londres, et l’administration des centres de province est efficace. La France est d’ailleurs de ce point de vue considérée comme “ le terrain d’instruction idéal pour les jeunes gens qui rejoignent le Council à l’étranger ”.. Et Sir Ronald suggère l’ouverture d’un centre supplémentaire à Marseille, ce qui permettrait de soulager le centre de Lyon extrêmement sollicité. En revanche celui de Lille ne semble pas avoir le succès escompté ; et Sir Ronald propose son éventuel transfert à Rennes pour couvrir la Normandie et la Bretagne, Paris se chargeant alors du nord de la France274. 274 British Council : Executive Committee, réunion du 12 avril 1949, rapport de Sir Ronald Adam – BW 68/7, P.R.O. 94 A la satisfaction de Sir Ronald se joint celle de l’Ambassadeur du Royaume-Uni en France, Sir Oliver Harvey, qui, dans une lettre adressée à Attlee, porte un jugement similaire sur l’administration d’Howell275. De fait, 1949 est une nouvelle année d’expansion pour le Council, qui par son action atteint cent neuf villes au lieu de quatre-vingt-quinze en 1946276. Les dépenses réelles de 1949/50 ont d’ailleurs crû de 4 % par rapport à l’année précédente. Mais leur différence avec le budget alloué est très faible (872 £) - voir tableau infra -. Ainsi, si les crédits dont dispose le Council en France permettent de maintenir les activités en cours, ils sont très étirés pour cela. Sir Ronald Adam préconise dans son rapport le relèvement des indemnités de déplacement pour les officers de grades III et IV, ayant sans doute constaté leur faiblesse eu égard aux nécessaires déplacements à effectuer dans les petites villes (par exemple) et au coût de la vie. Une observation analogue a déjà été formulée par Howell en septembre 1947277, apparemment en vain en raison des économies. De fait pour Howell, “ il semble plus que probable que 1949/50 s’avèrera avoir été l’année de nos plus grandes réalisations ”. Désormais, un budget soumis à de nouvelles restrictions ne pourra pas permettre le maintien du niveau d’activité atteint. Or dès novembre 1949, l’Executive Committee envisage une diminution de la présence du Council en France pour faire face aux exigences du Trésor et au coût de la dévaluation278 intervenue le 18 septembre. De lourdes coupes budgétaires sont effectivement réalisées dans les proportions indiquées ci-dessous et mises en parallèle avec l’évolution des dépenses réelles, pour les exercices 1949/50 à 1953/54. Crédits Dépenses réelles 1948/49 - 1949/50 - 1950/51 - 1951/52 - 1952/53 - 1949/1950 1950/1951 1951/1952 1952/1953 1953/1954 - 17,8 % - 10,5 % - 24,6 % - 23,1 % + 7,8 % + 4% - 16,8 % + 1,2 % - 25,3 % - 2,2 % L’ajustement des dépenses se fait principalement en deux temps : entre 1949/50 et 1950/51, et entre 1951/52 et 1952/53. Mais dès 1951/52, le budget pour la France 275 Harvey Wood à Attlee, 20 août 1949 - BW 31/38, P.R.O. Howell, Rapport pour l’année 1949/50 -BW 31/34, P.R.O. 277 Howell ,Rapport pour août et septembre 1947, daté du 30 octobre 1947 - BW 31/10, P.R.O. 278 British Council : Executive Committee, réunion du 8 novembre 1949 - BW 68/7, P.R.O. 276 95 enregistre un déficit, qui sur les deux années suivantes n’est réduit qu’au prix de nouveaux efforts sans pour autant disparaître totalement (voir annexe n° 4). Le représentant Henry Harvey Wood mène d’âpres discussions avec le responsable de la division Europe, Johnstone, pour tenter de limiter la baisse des crédits. Une correspondance fournie témoigne de ses efforts, en particulier pour le budget de 1952/53. C’est ainsi qu’en 1952/53 la chute des crédits est, au moins provisoirement, arrêtée. Pour effectivement diminuer les dépenses, deux types de mesures sont prises par l’Executive Committee : la fermeture de centres régionaux et une réduction du personnel employé. Cette orientation se traduit par un redéploiement des moyens et une coopération plus étroite avec les anglophiles locaux. 2.2 Un redéploiement des moyens et un appui plus net sur les réseaux anglophiles locaux Début 1950, avec les estimations budgétaires pour 1950/51 sont discutées leurs répercussions sur l’activité du Council. Il s’ensuit que deux centres en France doivent être fermés. Le choix de Sir Ronald Adam est de conserver ceux du sud, parce que ces régions sont les plus éloignées de Paris et ne pourront donc être couvertes depuis la capitale ; en outre les contacts à maintenir y sont nombreux. En conséquence, pour des raisons inverses, Lille (le ler mai) et Nancy (le ler juin) sont sacrifiés279.. Puis dès février 1951, l’existence de Toulouse et Lyon est menacée280. Paris éprouvant déjà des difficultés liées au nombre réduit de personnel disponible pour organiser des activités fonctionnelles dans le nord - en plus de l’ouest -, Harvey Wood suggère dès lors de rééquilibrer la représentation du Council en province. Deux centres seraient conservés, l’un à Lyon et l’autre à Nancy281. Le mois suivant, en réponse à une proposition de Londres visant à garder les deux centres en n’y conservant qu’une seule personne, Harvey Wood émet l’idée de fermer un de ces centres mais de maintenir un personnel approprié et suffisant dans l’autre282. Cependant aucune fermeture n’intervient dans l’immédiat. C’est en 1952 que Lyon et Toulouse disparaissent, le Trésor 279 British Council : Executive Committee, réunion du 10 janvier 1950 - Ibid. Sir Ronald Adam motive son choix en réponse aux objections de Sir Eugene Ramsden qui aurait préféré conserver Lille. 280 Shreeve à Harvey Wood, 8 février 1951 - BW 31/38, P.R.O. 281 Harvey Wood à Shreeve, 15 février 1951 - Ibid. 282 Harvey Wood à Johnstone, 28 mars 1951 - Ibid. 96 ayant toutefois accordé pour le budget 1952/53 cinq mois de provision283 - donc jusqu’en septembre 1952 -. Les compressions de postes décidées ont surtout lieu au cours du second semestre 1950 et touchent d’abord les officers. Il manque un Music Officer, celui-ci ayant été nommé à la tête du centre du sud-ouest. Le poste de Films Officer est supprimé en août 1950284. Ainsi les officers dont le poste a été conservé ont un champ de responsabilités plus étendu et un surcroît de travail subséquent. Mais ils ne disposent pour cela que d’un nombre limité d’assistants et d’employés, ces catégories de personnel étant aussi atteintes par les restrictions budgétaires. C’est le cas par exemple pour le département chargé de l’envoi de séries de photos qui fonctionne désormais avec une équipe réduite. En effet, il résulte des décisions du Budget Committee285 une diminution du nombre de postes d’employés de bureau envoyés par Londres à Paris de cinq à un au ler septembre 1950, en proportion avec la baisse du nombre d’officers et d’assistants gradés. Deux de ces employés sont déjà transférés en juin, ce qui exige de trouver à Paris des assistants temporaires. D’autre part, le nombre de postes d’employés recrutés en France passe au ler août de seize à douze. L’année suivante, le Council entreprend d’aligner les salaires des membres français de son personnel sur ceux des employés de l’ambassade. Etalées sur trois ans286, ces augmentations de salaires imposent au Council des charges plus élevées. Cependant, celles-ci enregistrent une brusque diminution dans le budget 1952/53. En effet, par rapport aux crédits alloués euxmêmes fortement entamés, les dépenses réelles, dans un (vain) effort pour s’y adapter, font l’objet de la compression la plus importante depuis l’implantation du Council en France (25,3 %). De nombreux postes sont supprimés à cette occasion287, essentiellement des emplois subalternes - de bureau ou de personnel d’entretien - qui étaient confiés à des Français : neuf disparaissent ainsi. S’y ajoutent une secrétaire envoyée de Londres et le personnel des deux centres régionaux du sud qui ferment pendant le même exercice. Les officers sont eux aussi touchés : Frank Turner, directeur du centre de Toulouse qui faisait office de Music Officer à 283 Miss McLeod à Harvey Wood, 18 mars 1952 - Ibid. Rapports fonctionnels pour l’année 1950/51 - BW 31/34, P.R.O. 285 British Council : Executive Committee, réunion du 13 juin 1950 - BW 68/8, P.R.O. 286 La première est mentionnée le 10 avril 1951 dans les rapports des réunions du Comité Exécutif (BW 68/9), la quatrième et dernière le 8 avril 1952 (BW 68/10). Mais leurs effets sont prévus aussi en 1953/54. Ces charges peuvent-elles en partie expliquer le déficit enregistré pour 1951/52, la principale cause en étant vraisemblablement le déménagement de la bibliothèque dans de nouveaux locaux ? 287 Miss McLeod à Harvey Wood, 18 mars 1952 - BW 31/38, P.R.O. 284 97 Paris, et Beatrice Tripp adjointe du Représentant et accessoirement Science Officer. Le bibliothécaire Milner obtient un sursis d’un an en passant du grade E au grade F. Mais une vive controverse concerne le poste de Frank McEwen. Un avis émis par le Budget Committee en novembre 1951 propose la suppression du poste de Fine Arts Officer en France288. Harvey Wood y consent sans enthousiasme, notant que “ la suppression de nos activités dans le domaine des beaux-arts à Paris sera, de toutes les coupes budgétaires que nous devons effectuer, celle qui sera considérée de l’œil le plus défavorable par les Français ”289. Le poste est provisoirement sauvé grâce au Fine Arts Committee qui met en avant l’importance vitale des beaux-arts en France et la nécessité de confier les activités “ complexes et variées ” en ce domaine à un spécialiste. Sir Philip Hendy, de l’Arts Council appuie la résolution du Fine Arts Committee en soulignant l’efficacité du travail de l’officer pour faire connaître et apprécier l’art britannique en France, et en évoquant le soutien que Picasso et le Président de la Royal Academy (entre autres) apportent à McEwen. La division Science et Arts du Council finance dès lors le maintien du poste à Paris. Au total, en 1952/53, les activités du British Council sont centrées sur trois domaines : l’éducation, la gestion d’une bibliothèque - qui sont les priorités de l’action du Council en général -, et les beaux-arts - concession faite à ce qui est considéré comme l’essence de la sensibilité française et le reflet de la réputation artistique parisienne. Il reste cependant que si l’essentiel semble avoir été préservé, les coupes budgétaires entravent l’action menée par les officers, car parallèlement les crédits affectés à la musique, aux expositions de photos et même à l’achat de livres ont été réduits. Plus grave, la somme couvrant les frais de déplacement des officers et l’entretien des automobiles a également subi les rigueurs de l’austérité budgétaire. Les succès obtenus jusqu’alors sont ainsi fragilisés, surtout en province. La décision de nomination d’un adjoint au représentant en 1953/54 est donc un élément positif qu’Harvey Wood accueille avec satisfaction, mais tout en déplorant les pertes de contact survenues du fait de l’insuffisance de personnel290.. De fait, David Howell, dans un rapport rédigé alors qu’il allait quitter son poste de Représentant, avait insisté sur l’importance des liens personnels en France : “ Dans ce pays, le secret du succès 288 Johnstone à Harvey Wood, 31 décembre 1951 - Ibid. Harvey Wood à Johnstone, 10 janvier 1952 - Ibid. 290 Harvey Wood, rapport pour l’année 1952/53 - BW 31/44, P.R.O. 289 98 réside dans le contact personnel avec les gens bien placés ”. Il citait comme exemple-type de réussite le cas des beaux-arts, et comme exemple d’échec celui de la musique291. Pour adapter le travail du Council à cette période de contraction dont les premiers effets se font sentir particulièrement à partir du second semestre 1950, le nouveau Représentant Henry Harvey Wood développe une double stratégie visant à permettre le maintien d’un niveau d’activité crédible : un resserrement des contacts et un appui plus net sur le réseau des sociétés anglophiles et associations locales. A peine arrivé à son poste, Harvey Wood rencontre Louis Joxe et Austin Gill (directeur de l’Institut britannique) tous deux amis personnels ; il instaure au sein du Council la tenue de réunions régulières des officers pour mieux coordonner l’action à mener292. Les rapports avec les principales institutions culturelles parisiennes - DGRC, Bibliothèque nationale, CNRS, Direction Générale des Arts et Lettres... - sont bons et cordiaux. Le remplacement de Joxe par Jacques de Bourbon-Busset à la tête de la DGRC en 1953 n’affecte pas la solidité des liens établis. Par ailleurs les contacts locaux sont mis à contribution. Utilisés à l’origine comme simples relais d’activités, ils en viennent graduellement à jouer un rôle croissant dans la stratégie du Council en France. C’est ainsi que les rapports fonctionnels de 1949 portent traces de recours à une collaboration avec des personnes ou organismes locaux pour donner forme aux initiatives des officers. Du point de vue de l’éducation, les assistants d’anglais en France (placés par le Council) sont un lien précieux entre le Council et les enseignants, dans le nord-est ou le sud-est. Les branches dynamiques de l’association France-Grande-Bretagne sont jugées très utiles pour prendre en charge les arrangements locaux liés à la réception de conférenciers et de visiteurs. Des groupements spécialisés tels les Amis de l’Art assistent également le Council. Mais la fermeture des centres provinciaux donne une nouvelle impulsion à la coopération entre le Council et ces organismes locaux, vers lesquels vont désormais être transférées certaines tâches que le Council ne peut assumer lui-même. Dès mai 1951, alors que le centre de Toulouse est une première fois menacé, le directeur de la branche toulousaine de France-Grande-Bretagne offre d’accueillir dans les bureaux de l’association un secrétariat qui assurerait la représentation du Council dans la ville293. Il ne s’avère alors pas nécessaire 291 Howell au Directeur Général Adjoint, 4 février 1949 - BW 31/38, P.R.O. Harvey Wood à McLeod, 28 novembre 1950 - Ibid. 293 Pelletier à l’ambassade de Grande-Bretagne, 25 mai 1951 - Ibid. 292 99 d’envisager une telle mesure, mais l’idée d’une collaboration plus étroite entre le Council et l’association France-Grande-Bretagne est jugée pertinente dans la perspective de nouvelles restrictions budgétaires. En effet, le Budget Committee en novembre 1951 propose de verser une subvention aux sociétés anglophiles et de les associer ainsi plus régulièrement à l’action du Council. L’Executive Committee fixe à 1 000 £ le montant des subsides qui seront alloués à des associations situées dans six villes dont Lyon, Toulouse, Nancy et Lille pour permettre le maintien en activité de bibliothèques en province294. Dès lors, Harvey Wood se charge de recueillir des informations sur les sections locales de France-Grande-Bretagne qui pourraient être concernées par ces projets. Finalement pour 1952/53, la participation financière du Council à la gestion de bibliothèques par du personnel local est de 2 000 £, réparties entre Lyon (sous la responsabilité de l’Office Central des Bibliothèques), Toulouse (dans les locaux de l’ex-centre provincial), Bordeaux (par l’association France-Grande-Bretagne)295. 1953/54 voit les pleins effets de cette stratégie et les bibliothèques sont finalement implantées dans six villes : Paris, Lyon, Bordeaux, Strasbourg (en remplacement de Toulouse où le local n’était plus disponible), Marseille (grâce à France-Grande-Bretagne) et Lille (à la Faculté des Lettres). Ceci satisfait le Représentant qui constate un élargissement du public fréquentant ces bibliothèques, particulièrement aux membres des organisations en ayant la co-responsabilité. Mais surtout, l’aire couverte par l’influence du Council, directement ou non, voit sa surface s’étendre au-delà des limites atteintes lors de l’existence des centres provinciaux. Le nord, l’est et surtout le sud peuvent bénéficier de l’action du Council plus régulièrement. Plus généralement, le Council reste aussi en contact avec le centre culturel de Champagne (à Reims). Il envoie des conférenciers aux branches locales de France-GrandeBretagne et de France-Ecosse, association par laquelle le Council peut établir des liens en Normandie, et surtout en Bretagne jusqu’ici peu touchée par son activité296. * En prenant ses fonctions en 1950, le nouveau Représentant Henry Harvey Wood297 livre dans son rapport quelques remarques générales dont certaines ne sont pas 294 Johnstone à Harvey Wood, 5 février 1952 - Ibid. Harvey Wood, rapport pour l’année 1952/53 - BW 31/44, P.R.O. 296 Harvey Wood, rapport pour l’année 1953/54 - Ibid. 297 Auparavant représentant du Council en Ecosse. 295 100 dépourvues d’amertume. Il estime que malgré les efforts déployés, le travail du Council reste inconnu, ou insuffisamment connu, d’une large part de la population française - classes moyennes - et de catégories spécifiquement visées par celui-ci - professeurs de lycées -. Il reste donc beaucoup à faire pour populariser le Council (et la Grande-Bretagne) en France. Les réductions bugétaires interviennent très inopportunément alors que, selon Harvey Wood, les Etats-Unis (en particulier) ont considérablement développé leur action culturelle, avec de bons résultats enregistrés en particulier dans le domaine de l’éducation. Certes le Council doit par nécessité effectuer un repli, mais celui-ci n’est ni uniforme ni généralisé. Une modification de l’environnement dans lequel il évolue appelle une réorientation stratégique.. Avec un budget fortement diminué (environ de moitié entre 1949/50 et 1952/53) et un personnel en nombre réduit, le Council s’efforce de maintenir un niveau d’activité crédible, notamment grâce au concours d’associations locales qui représentent autant de précieux points d’appui en province et contribuent à élargir le champ d’influence du Council en France. Londres, en la personne de Miss McLeod, reconnaît que les résultats du redéploiement effectué sont encourageants298. Cependant il apparaît rapidement que l’heure n’est plus au développement tous azimuts, ni aux activités plus ou moins prestigieuses destinées à imposer une image de compétence - qui est d’ailleurs indéniablement celle du Council dans certains milieux professionnels et dans une partie de la population ayant bénéficié de ses efforts. Il s’agit désormais de procéder à des choix fonctionnels sur lesquels l’action sera d’abord concentrée. Par ailleurs, il reste l’exécution de la convention culturelle qui assure une participation toujours active du Council à la promotion de la culture britannique en France. 298 Miss McLeod à Harvey Wood, 10 novembre 1953 - Ibid. 101 CHAPITRE 18 DEUX PRIORITÉS : L’ÉDUCATION ET LES LIVRES Le choix des domaines dans lesquels doivent en premier lieu se porter les efforts du Council ne repose pas tant sur les besoins exprimés par les populations que sur l’existence de conditions permettant ou non de les satisfaire. En effet, un rapport de l’Ambassadeur du Royaume-Uni en France, Sir Oliver Harvey, présente les Français comme un peuple doté d’une inextinguible soif de culture299 ; or les difficultés financières auxquelles a à faire face le Council ne permettent plus d’accroissement général des activités. Dès lors il ressort que le secteur dans lequel le maintien de l’action du Council est primordial est l’éducation. Outre son importance parmi les objectifs initiaux du British Council, le succès rencontré par ses initiatives en la matière confirme la réalité d’une demande qu’il faut s’employer à apaiser. Sir Oliver en fait l’un des deux axes principaux du développement futur du Council, d’autant plus qu’à la date de rédaction de ce rapport - 1950 le coût de la vie en France rend difficile les voyages en Grande-Bretagne300. La seconde ligne d’action est la mise à disposition de publications britanniques, qui n’est qu’en partie liée au domaine éducatif, la situation générale des échanges franco-britanniques sur ce point n’étant pas satisfaisante. C’est dans ces circonstances que le Council élabore une politique éducative intégrée dans une large mesure aux travaux de la commission mixte, et s’applique à favoriser la diffusion d’écrits britanniques en France. 299 300 Harvey à Younger, 8 septembre 1950 - BW 31/38, P.R.O. Ibid. 102 1.- UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE DANS UNE LARGE MESURE LIÉE AUX TRAVAUX DE LA COMMISSION MIXTE FRANCO-BRITANNIQUE La politique du Council en matière d’éducation en France est essentiellement mise en œuvre sous l’égide de la commission mixte. Toutefois, de sa propre initiative, le Council mène une action complémentaire visant à améliorer l’accès à la culture britannique, de type qualitatif pour les étudiants et quantitatif pour les publics populaires. 1.1 Encourager le développement officiel des échanges éducatifs Sous les auspices de la convention culturelle, les formules déjà proposées par le Council pour permettre l’accroissement des échanges en matière d’éducation sont reconduites, voire développées. Le placement d’assistants anglais dans les établissements d’enseignement français se poursuit à un rythme comparable à celui des années antérieures, mais le large écart séparant le nombre d’assistants français en Grande-Bretagne du nombre d’assistants britanniques en France se maintient. Pour pallier ce déséquilibre, la commission mixte recommande la création de postes supplémentaires en France (une centaine en 1950) et l’intensification de la publicité donnée à l’existence de ces possibilités pour se rendre en France301. De fait, après 1950, l’écart précédemment observé tend à se réduire comme l’indiquent les chiffres reportés cidessous302 301 Commission mixte franco-britannique, Report on discussion of points listed in Appendix D of the first report of the Committee of Cultural Advisers under the Treaty of Brussels, 1948, p. 2 - BW 31/33, P.R.O. 302 Commission mixte franco-britannique, Echanges d’assistants entre France et Grande-Bretagne, rapport de 1950 - 70/AJ/36, A.N. pour les chiffres de 1948 et 1949. Commission mixte franco-britannique, réunion de la section britannique 1er décembre 1950, p. 1 BW 31/33, P.R.O. pour les chiffres de 1950. Commission mixte franco-britannique, réunion des 9, 10, 11 octobre 1952, p. 1 - BW 31/36, P.R.O. pour les chiffres de 1951. Commission mixte franco-britannique, réunion des 30 septembre, 1er et 2 octobre 1953, p. 4 - BW 31/37, P.R.O. pour les chiffres de 1953. 103 Britanniques Français en en France Grande-Bretagne - 1948 286 563 - 1949 292 640 - 1950 328 635 - 1951 349 573 468 567 - 1952 - 1953 Ainsi qu’il était souhaité, ce résultat est dû à l’augmentation, d’ailleurs constatée depuis 1948, du nombre d’assistants nommés en France. Le nombre de Français en Grande-Bretagne enregistre en revanche une baisse légère mais persistante depuis 1949. Le nombre croissant des assistants britanniques présents sur le sol français est un élément des plus positifs pour le Council pour lequel ceux-ci occupent une position centrale dans ses projets de développement en France. Après les avoir placés, il s’emploie à leur apporter une aide fonctionnelle et à rester en étroit contact avec eux. Leur présence est surtout essentielle dans les régions où les centres du Council ont été fermés. En effet, outre leurs occupations à caractère strictement éducatif, l’Education Officer envisage dès 1950 de les impliquer plus profondément dans l’action du Council303, et de leur confier une grande partie du travail de relations publiques et de publicité, ordinairement dévolu aux officers, concernant également les activités culturelles. De ce point de vue, ils feraient connaître celles qui doivent être organisées dans leur région, à charge pour les officers de Paris de s’occuper de leur préparation. Mais les assistants ne doivent pas pour autant apparaître comme des agents du Council304.. Dans cette double optique de mettre en pratique les préconisations de la commission mixte et de relayer efficacement son action en France, le Council songe à fournir aux étudiants nommés assistants en France davantage d’informations sur les services qu’il peut leur offrir sur place. Il décide à cet égard de leur distribuer par l’intermédiaire des directeurs de départements d’études françaises des universités de Grande-Bretagne, des 303 Tomlin, Rapport d’activités pour 1950/51 - BW 31/34, P.R.O. British Council : Executive Committee, réunion du 12 avril 1949, rapport de Sir Ronald Adam BW 68/7, P.R.O. 304 104 brochures sur différents aspects du mode de vie britannique305. Sur demande, les assistants peuvent recevoir Aspects of Britain, The British People, British Life and Thought, Science in Britain. Pour mieux les faire connaître, des specimens de ces revues leur sont également adressés. D’autre part, sont réalisés en 1950 les premiers échanges de maîtresassistants. L’Education Officer envisage également de les associer au Council. Cependant, dans l’immédiat, leur recrutement se heurte à des difficultés et il n’y a que trois Britanniques placés en France (quatre Français en Grande-Bretagne)306. Rebaptisés en 1951 “ professeurs d’échange du second degré ”, ils sont peu nombreux malgré une extension des conditions d’âge (limite minimale supprimée, maximale fixée à 45 ans) décidée en 1952307. Les rapports du Council ne contiennent rien de précis sur leurs liens avec l’Education Officer. Mais il est probable qu’ils bénéficient de l’envoi des publications du Council, considérées comme d’utiles supports pédagogiques. Encouragés par les gouvernements, puisque recommandés par la commission mixte, les cours d’été restent très appréciés par les Français. Les cours se déroulant en France sont au nombre de trois en 1949 et en 1950. Au total, cent six professeurs et étudiants y participent en 1949, quatre-vingt-douze en 1950. Les activités organisées ne varient pas dans leur nature. Cependant l’origine des effectifs se diversifie. Ainsi à Lille en 1949, les cours sont ouverts aux professeurs enseignant dans des cours complémentaires ou des écoles religieuses. Selon des calculs effectués en 1950, un tiers des professeurs présents ont déjà assisté à ces cours auparavant. Certains s’y inscrivent sur le conseil d’inspecteurs d’académie, ce qui témoigne de leur utilité reconnue308. Par la suite, le British Council ne peut en organiser qu’un seul par an. Mais les rapports font état du succès obtenu par celui-ci et d’un bon niveau plus homogène des participants. A chaque cours, quatre tuteurs encadrent environ cinquante professeurs (les chiffres restent stables). En 1953, un cours pour professeurs de cours complémentaire a lieu à Lille309. 305 Commission mixte franco-britannique, réunion de la section britannique ler décembre 1950, p. 1 BW 31/33, P.R.O. 306 Ibid. p. 2. 307 Commission mixte franco-britannique, réunion des 30 avril, 1er et 2 mai 1951, p. 2 - BW 31/36, P.R.O. Commission mixte franco-britannique, réunion des 9, 10, 11 octobre 1952, p. 2 - Ibid. En ont été nommés quatre en Grande-Bretagne et quatre en France pour 1951/52, trois dans chacun des deux pays pour 1952/53. 308 Tomlin, rapports pour les années 1949/50 et 1950/51 - BW 31/34, P.R.O. 309 Tomlin, rapports d’activité pour 1951/52, 1952/53, 1953/54 - BW 31/44, P.R.O. 105 Les cours proposés en Grande-Bretagne obtiennent aussi un net succès. En 1949, l’Education Officer estime dans son rapport que “ c’est la France qui a envoyé le plus grand nombre de délégués pour assister aux cours du British Council cette année ”, en réponse à de nombreuses demandes. Ces délégués représentent cent soixante et onze personnes, soit un cinquième de l’effectif total pour l’Europe310. Les cours les plus suivis concernent la littérature et la linguistique - sujet auquel la commission mixte souhaite voir consacrer davantage de conférences311 -. En 1950, cent cinquante-sept professeurs et élèves se rendent en Grande-Bretagne. Ce chiffre augmente régulièrement : cent quatre vingt-dix Français en 1951 (cent quarante-cinq selon Tomlin), deux cent huit en 1952, deux cent trente en 1953. Les cours généraux sont très demandés. Les cours proposés à Exeter aux professeurs de cours complémentaires sur recommandation de la commission attirent également de nombreux candidats. Ces cours sont essentiellement consacrés aux questions de prononciation et d’acquisition d’une connaissance pratique de la langue312. La commission mixte suggère que davantage de cours spécialisés soient prévus, mais le recrutement pour ceux-ci s’avère plus malaisé. Par ailleurs, le Council destine toujours une dizaine de bourses d’un an aux étudiants désirant inclure dans leur cursus une année d’études en Angleterre. Par rapport aux années antérieures, le système d’allocation a, semble-t-il, été amélioré. La commission mixte note en 1949 que ces bourses bénéficient d’une publicité plus étendue. Les candidats sont soumis à une sélection plus rigoureuse, car la commission relève le bon niveau des boursiers313. Y contribue la décision de réserver deux bourses à des chercheurs du CNRS en vertu d’un accord passé entre le Council et le centre de recherches français. Cependant des trois bourses prévues pour 1950, une seule est allouée selon le rapport de Tomlin, deux selon le procès-verbal de la commission. Ceci est à mettre en liaison avec les difficultés éprouvées par le Council cette année-là pour susciter des candidatures de valeur, dont Henry Harvey Wood fait état. Le représentant observe ainsi que les Etats-Unis offrent un nombre de bourses plus important que la Grande-Bretagne et attirent les meilleurs éléments. En 1951 la Ces rapports constituent la base de la documentation concernant l’activité du Council dans le domaine de l’éducation. 310 British Council : Executive Committee, Paper E, appendix B, réunion du 13 décembre 1949 BW 68/7, P.R.O. 311 Commission mixte franco-britannique, réunion des 16, 17 et 18 mai 1949, p. 5 - Relations culturelles, Enseignement 1948/1959, carton 83, M.A.E. 312 Commission mixte franco-britannique, réunion des 30 avril, 1er et 2 mai 1951, p. 2 - BW 31/36, P.R.O. 313 Commission mixte franco-britannique, Report on discussion of points listed in Appendix D..., 1949, p. 1 - BW 31/33, P.R.O. 106 concurrence américaine sur ce plan est moins efficace ; le nombre et la qualité des candidats à l’obtention de bourses du Council augmentent314. Dans l’espoir d’améliorer ces résultats, le Council relaie les offres de bourses émanant d’autres universités britanniques. Ainsi celle d’Oxford qui propose en 1951 quatre bourses d’un an d’une valeur de 100 £ à des étudiants français. Le Council porte à 300 £ le montant de deux d’entre elles, ce qui rend cette offre plus intéressante encore315. Cependant la nature des bourses attribuées par le Council tend à se modifier. Dans le domaine des arts et lettres, sept bourses d’un an (scholarships) sont accordées en 1949, dix en 1950 (dont un renouvellement), sept en 1952/53, puis trois en 1953/54. En revanche, des bourses destinées à offrir une aide matérielle dans le cas de séjours d’études plus courtes (quelques mois) en Grande-Bretagne (bursaries), sont également décernées par le Council : sept en 1949/50, quatre en 1951/52, dix en 1952/53, six en 1953/54. Cette formule, plus souple, permet de mieux répondre aux besoins des étudiants, les bourses d’un an pouvant être divisées si les projets des candidats retenus l’exigent. Dans le même temps, sous l’égide de la commission mixte se négocient des arrangements complémentaires permettant d’élargir les possibilités d’échanges éducatifs. Ainsi le Council se charge conjointement avec la DGRC de la mise au point et de l’application dès 1950/51 d’un nouveau système d’échanges concernant les professeurs d’université. Sous le nom de University Interchange Scheme, ce programme initié par les Britanniques consiste à organiser entre les deux pays des échanges de visites d’éminents universitaires (ou de brillants chercheurs) pour une durée d’environ un trimestre (cent jours maximum, est-il précisé en 1953). Ces professeurs, sur le modèle des professeurs itinérants développé avec succès par les Français en Grande-Bretagne, font des conférences devant un public étudiant dans différentes universités proches les unes des autres316. L’objectif de cette proposition est de donner un encouragement officiel à la multiplication de liens directs entre universités françaises et anglaises. A terme, il est aussi envisagé d’étendre ce principe à d’autres types d’institutions. La réalisation pratique de ces échanges revient au Council à Londres et aux autorités françaises. Cependant, le bureau de Paris intervient dans les premiers stades de la procédure. Dans le cas de visites de Français en Grande-Bretagne, il informe la DGRC du 314 Harvey Wood, rapport général 1951/52 - BW 31/44, P.R.O. Commission mixte franco-britannique, réunion des 30 avril, 1er et 2 mai 1951 - BW 31/36, P.R.O. 316 Commission mixte franco-britannique, Report on discussion of points listed in Appendix D..., 1949, p. 1 - BW 31/33, P.R.O. 315 107 choix des universités britanniques, transmet les invitations aux professeurs et fait connaître les réponses à la DGRC qui peut alors régler les questions financières relatives au voyage. Pour les visites de Britanniques en France, il communique à Londres les noms des professeurs ayant répondu favorablement aux invitations des universités françaises317. Neuf Britanniques se rendent ainsi en France et huit Français en Grande-Bretagne en 1950/51318. Alors que le nombre d’invitations prévues reste stationnaire (huit à dix selon les années), le nombre réel de professeurs faisant le voyage dans un sens ou dans l’autre reste très en deça. De fait, les Français lancent tardivement leurs invitations, ce qui a pour effet de limiter le nombre de Britanniques reçus en France à quatre en 1951/52, et à deux les deux années suivantes. Cependant certaines villes pratiquent déjà ce type d’échanges et l’organisent sans faire appel au Council ou à la DGRC. C’est le cas de Bordeaux avec Bristol (dans le cadre d’un jumelage), ou de Birmingham avec Montpellier dont l’université reçoit deux professeurs de littérature anglaise319. En marge des études et des échanges scientifiques, la commission mixte suit attentivement le progrès des échanges professionnels offrant un approfondissement technique dans le contexte d’une formation initiale ou continue. Le British Council joue un rôle très restreint dans ce domaine. Les quelques échanges de ce type qui avaient été organisés juste après la Guerre (en 1945 et 1946) étaient justifiés par les mauvaises conditions de communication prévalant alors (transports et change). Mais à l’exception de l’octroi de bourses (voir supra), le Council n’intervient pas dans l’organisation de ces liens professionnels trans-Manche. De même, la commission mixte se limite à constater l’évolution de cette question, mais aucune impulsion particulière n’est donnée à ces échanges dans le cadre de la convention culturelle. En 1950 se met en place le projet IAESTE destiné à favoriser les échanges de jeunes techniciens. Les places de stage sont proposées tardivement côté français, ce qui explique un léger déséquilibre de ce système au détriment des Britanniques : 1951 : 68 Britanniques - 79 Français 1952 : 83 Britanniques - 112 Français320 317 Commission mixte franco-britannique, note sur les échanges de professeurs, 1950 - 70/AJ/36, A.N. Tomlin, Rapport pour l’année 1950/51 - BW 31/34, P.R.O. 319 Note du 23 octobre 1950 - BW 1/99, P.R.O. 320 Commission mixte franco-britannique, réunion des 9, 10, 11 octobre 1952, p. 5. - BW 31/36, P.R.O. 318 108 Par ailleurs, des échanges entre membres d’associations professionnelles se développent au début des années 1950, dans les secteurs du chemin de fer, des transports en commun, de l’électricité ; des projets d’échanges se préparent dans des domaines aussi variés321 que la métallurgie / sidérurgie, l’hôtellerie, l’agriculture, l’architecture (en 1951). Le milieu médical est également très actif : pharmaciens dès 1950322, médecins à partir de 1952. Dans ce dernier cas, les futurs bénéficiaires du programme sont sélectionnés par une commission. Douze bourses mensuelles sont disponibles de chaque côté de la Manche. Elles ont une valeur de 50 £ ou 50 000 / 60 000 F323. Dix-sept médecins britanniques posent leur candidature324. D’un point de vue global, nous ne possédons pas beaucoup de détails sur l’organisation de ces échanges, les procédures, ou même le nombre de bénéficiaires. En périphérie des activités menées dans le cadre de la commission mixte, le Council maintient une autonomie d’action et prend des initiatives complémentaires mais dissociées des travaux de la commission. 1.2 Une politique autonome complémentaire visant à améliorer l’accès à la culture britannique Cette politique est élaborée en direction d’une part des étudiants (apport qualitatif de cours de professeurs invités) et d’autre part de publics populaires (tentatives de développement de l’éducation pour adulte). Ainsi, depuis 1947, le Council finance des tournées de professeurs britanniques dans des universités françaises. A la différence de l’University Interchange Scheme, ces tournées se déroulent sur une durée inférieure à un trimestre. En 1949, six conférences sont présentées sur le thème “ Philosophes anglais au XIXe siècle ” à l’université de Lille sous le patronage du recteur de l’académie. La même année, le professeur Bonamy Dobree est en France entre le 15 février et la fin mars. Il prononce une série de conférences en 321 Ibid. Commission mixte franco-britannique, réunion des 18 et 19 avril 1950, p. 2. - BW 31/33, P.R.O. 323 Commission mixte franco-britannique, réunion des 9, 10, 11 octobre 1952, p. 5. - BW 31/36, P.R.O. 324 Commission mixte franco-britannique, réunion des 30 avril, 1er et 2 mai 1951, p. 8 - Relations culturelles, Enseignement 1948/1959, carton 83, M.A.E. 322 109 rapport avec le programme d’agrégation et de licence à Bordeaux, Toulouse, Montpellier325.. En mars 1952, le professeur H.B. Charlton et Miss Helen Gardner, spécialistes de littérature britannique, font de même, respectivement à Aix, Toulouse, Montpellier, et à Strasbourg, Nancy, Besançon. Cette formule n’est cependant pas reconduite l’année suivante pour des raisons financières. Cette interruption n’est pas compensée par les conférences données par des membres du Council dans les universités, qui ne s’adressent pas spécifiquement aux agrégatifs et étudiants de licence. Par exemple, en 1952, Bordeaux et le Club des étudiants anglais bénéficient de conférences d’Harvey Wood sur Shakespeare (Henry V et Hamlet), et l’Education Officer entretient par trois fois les professeurs de cours complémentaire de Lille des rapports entre les institutions et la vie quotidienne en Grande-Bretagne (conférences reprises en 1953)326. Ces conférences s’intègrent dans le cadre de tournées classiques à caractère informatif et n’ont plus pour objet unique de favoriser la préparation d’examens et de concours. D’autre part, le Council organise des sessions spéciales pour permettre aux étudiants qui le désirent de passer des examens d’entrée dans des universités britanniques ou des établissements d’enseignement supérieur comme la London School of Economics. En province, ils ouvrent également des centres d’examen pour les étudiants souhaitant présenter le Lower Certificate ou le Proficiency de Cambridge327. Enfin, dans le domaine de l’éducation pour adultes, la méthode des groupes de discussion préconisée par le Dr. Morgan, qui ne donnait pas de résultats satisfaisants, est abandonnée en 1949, après intervention du ministre des Affaires Etrangères328. Le Council ne renonce pas pour autant à essayer d’atteindre “ les masses ” (selon le mot de Sir Ronald Adam). Mais la réalisation de cet objectif se heurte à l’inexistence en France d’un organisme spécifique visant la population adulte, éventuellement contrôlé par l’Etat, comme en GrandeBretagne, auquel le Council aurait pu apporter son concours (conférences et matériel fonctionnel divers). Seules des sections culturelles sont en activité dans certains services publics329.. Cette dispersion ne facilite ni les prises de contact, ni l’efficacité de l’action que 325 Cultural Information Bulletin n° 131, 30 janvier 1950 - Relations culturelles, Enseignement 1948/1959, carton 83, M.A.E. 326 Tomlin, rapports d’activités 1951/52 et 1952/53 - BW 31/44, P.R.O. 327 Tomlin, rapports pour les années 1949/50 et 1950/51 - BW 31/34, P.R.O. A Lille, Lyon, Toulouse, Nancy en 1949. A Lille, Lyon, Toulouse, Caen en 1950. 328 DONALDSON, op. cit., p. 153. 329 Idem années 1952/53 et 1953/54. 110 pourrait envisager le Council. Celle-ci serait d’ailleurs a priori limitée en raison du faible rayonnement des sections (car purement interne aux entreprises). Harvey Wood constate que l’éducation populaire est également prise en charge par les syndicats. La politisation qui les caractérise en fait des interlocuteurs à l’égard desquels le Council se doit d’être prudent pour ne pas perdre la réputation de neutralité politique qui facilite son action330.. Si les contacts sont en définitive réduits entre le Council et les syndicats, ils sont néanmoins entretenus dans l’espoir d’atteindre les ouvriers par ce biais. En effet, les cours offerts aux employés de la SNCF en 1944 avaient valeur d’hommage rendu à leur activité résistante au cours de la guerre. Par la suite se trouvaient probablement des ouvriers pour assister aux conférences du Council : quelques-unes leur étaient même spécifiquement destinées (telle celle sur “ Art et industrie en Grande-Bretagne ” présentée à Berliet Lyon). Néanmoins les efforts du Council étaient relativement faibles et dispersés, en direction d’une catégorie sociale certes réputée d’approche peu facile et peu sensible aux réalisations culturelles britanniques (réputation qui semblait confortée, dans une certaine mesure, par le peu de succès rencontré par la conférence sus-mentionnée : vingt-cinq personnes composaient l’auditoire). Le Council établit des liens avec deux syndicats non communistes : la CFTC et Force Ouvrière. Et en 1949, deux bourses spéciales sont décernées à un membre de chacun de ces syndicats. Ils sont envoyés à Londres en mars 1950 à Ruskin College et au Catholic Workers College. Cependant pour 1951/52 aucune bourse n’est allouée en raison du niveau d’anglais des candidats jugé trop faible. Le Council apporte également une aide fonctionnelle au centre d’éducation parisien de Force Ouvrière (publications, livres...)331. Un auditoire de condition modeste se trouve également chez Travail et Culture. Durant l’année 1953, Frank McEwen en entretient les membres d’art contemporain britannique, films à l’appui. Mais au total, si l’action déployée par le Council en direction de catégories sociales modestes est positive, elle apparaît d’envergure très limitée ; aussi le Council 330 Harvey Wood signale dans son rapport de l’année 1951/52 un “ sentiment anti-américain irresponsable mais croissant qui, autant que je puisse en juger, ne s’est pas étendu à la Grande-Bretagne ; et même de fait, jusqu’à un certain point, notre cote a augmenté alors que la bonne volonté à l’égard des Etats-Unis déclinait. Mais d’un autre côté, l’attitude de la Grande-Bretagne à l’égard de la CED était, et continue d’être une cause d’un certain ressentiment qui s’exprime fréquemment et librement ”. Ibid. Ceci témoigne de l’influence des relations politiques sur les relations culturelles (perçue par Harvey Wood) ; et confirme la nécessité pour le Council de préserver son image de neutralité politique. 331 Tomlin, rapports pour les années 1949/50 et 1950/51 - BW 31/34, P.R.O. 111 s’efforce-t-il surtout de donner des informations relatives aux possibilités d’éducation pour adultes lorsque la demande en est faite. En matière d’éducation, le Council parvient à assurer le maintien global de ses activités, encouragé en cela par le succès obtenu par ses initiatives - les cours en particulier sont très appréciés. Dans ce domaine, les compressions budgétaires sont minimales. Ce constat peut également s’appliquer à la seconde priorité fonctionnelle du Council : la diffusion de publications anglaises en France. 2.- FAVORISER LA DIFFUSION D’ÉCRITS BRITANNIQUES DANS UN CONTEXTE D’ÉCHANGES DIFFICILES Les échanges commerciaux reprennent leur vigueur. Des obstacles douaniers restent à lever mais, en raison du rétablissement des circuits d’échanges, la politique volontariste initiée au lendemain de la guerre par le British Council n’apparaît plus si nécessaire. A ce contexte s’ajoutent les difficultés budgétaires, qui induisent une modification des orientations du Council : la gratuité d’accès aux imprimés britanniques n’a plus lieu d’être. 2.1 Fluidifier le circuit d’échanges commercial En effet, les circuits internationaux d’échanges de livres ne sont toujours pas rétablis, comme en témoigne la mise en application en décembre 1948 d’un programme de l’UNESCO destiné à promouvoir une meilleure circulation des livres. L’UNESCO Book Coupon Exchange Scheme permet aux pays dont la monnaie est faible d’acquérir des livres par un système de coupons. Son succès en France est foudroyant : en trois semaines la France a pratiquement épuisé le nombre de coupons qui lui étaient alloués (valeur totale : 20 000 $)332.. Sur le plan franco-britannique, des entraves demeurent. Si la règlementation concernant les échanges de périodiques a été assouplie en 1948 (voir chapitre 14), il n’en a pas été de même pour les livres, biens pour lesquels la commission mixte estime les échanges insuffisamment développés. 332 British Council : Executive Committee, réunion du 14 juin 1949, Paper G - BW 68/7, P.R.O. 112 Début 1949 David Howell fait le point sur les obstacles à lever de part et d’autre, sachant que les experts culturels du Traité de Bruxelles n’ont encore pris aucune mesure pour encourager la libre circulation des publications entre les pays signataires. Il lui semble que les restrictions d’importation les plus importantes sont appliquées en GrandeBretagne, le régime d’entrée des livres en France étant plus libéral333. Mais quelles que soient les différences, le coût des importations est trop élevé, et décourage les acheteurs éventuels en particulier les étudiants et les chercheurs. Les Britanniques procèdent à des aménagements, et fin 1950 les importations sont soumises à des formalités douanières réduites au minimum. Cependant des taxes particulières frappent certains types d’ouvrages, tels les livres d’art possédant des tables d’illustrations séparées334. Côté français, depuis le 28 décembre 1949, le contingentement des importations de livres britanniques est supprimé335. Néanmoins subsistent un certain nombre de taxes dont l’éditeur Stanley Unwin déplore les effets dissuasifs sur le commerce des livres336.. Ainsi la commission mixte relève en 1950 un déséquilibre très net des exportations de livres d’un pays vers l’autre au détriment de la Grande-Bretagne337 : - Exportations de livres français en Grande-Bretagne . poids : 4 839 quintaux métriques . valeur : 175 millions de francs - Exportations de livres anglais en France . poids : 1 966 quintaux métriques . valeur : 118 millions de francs. La taxe à la production d’une valeur de 10,6 % imposée à la frontière française à toute importation d’ouvrages britanniques est particulièrement décriée. En effet, 333 Howell à Seydoux, 29 janvier 1949 - Relations culturelles, Echanges culturels 1948/1955, carton 47, M.A.E. 334 Commission mixte franco-britannique, réunion de la section britannique ler décembre 1950, p. 4 BW 31/33, P.R.O. 335 Note du Sous-Secrétariat d’Etat à l’Industrie et au Commerce à la DGRC, 31 décembre 1949 Relations culturelles, Echanges culturels 1948/1955, carton 47, M.A.E. 336 Sir Stanley Unwin est également président du Congrès International des Editeurs (International Publishers Congress) et membre de l’Executive Committee du Council. Dans un article paru dans le Times du 8 décembre 1949 intitulé “ Hinderances to the free flow of literature ” (p. 5), il recense des taxes perçues en France sur la production, l’affranchissement, parfois la transaction, le chiffre d’affaires, et une taxe locale. 337 Commission mixte franco-britannique, réunion des 30 avril, ler et 2 mai 1951, p. 5 - Ibid. Si les régimes d’importation en vigueur ne peuvent à eux seuls rendre compte de ces chiffres, la Commission considère qu’ils constituent néanmoins un facteur explicatif important. 113 son application rigoureuse et uniforme pénalise cette source précieuse d’informations sur les livres récemment publiés que représentent les critiques de presse, qui ne peuvent systématiquement acquitter des sommes parfois fort lourdes (quelquefois supérieures à 400 F.)338. En juin 1952, ils obtiennent l’exemption de cette taxe en échange de la mention Press Service apposée par l’expéditeur sur le colis envoyé. Par la suite, la commission mixte émet le vœu que les chercheurs universitaires puissent également bénéficier de cet avantage339. Deux autres obstacles s’opposant à la libre entrée de livres anglais retiennent également l’attention de la commission. Tout d’abord, est demandée la suppression d’une taxe levée sur chaque paquet dont le poids dépasse 6,5 lbs (2,9 kg), c’est-à-dire sur quasiment chaque paquet. En second lieu, les Britanniques demandent la ré-adhésion de la France au Direct Agents Bag Service, service mis en place par le British Post Office, par lequel les éditeurs anglais pouvaient envoyer directement les livres aux libraires français avec des formalités très réduites (en particulier, les sacs n’étaient pas ouverts en chemin)340. Par la suite, aucune note ni rapport n’évoque ces questions ; il n’est donc pas possible d’établir si elles ont été réglées dans un sens favorable aux souhaits de la commission. Quoi qu’il en soit, celle-ci place de grands espoirs en l’Accord sur la Libre Importation de Matériel Scientifique Culturel et Educatif conclu sous les auspices de l’UNESCO. Signé par la France et la Grande-Bretagne le 23 novembre 1950, il est vraisemblablement ratifié fin 1952. Il doit, selon la commission, permettre l’aplanissement de nombre de difficultés entravant le commerce des livres et imprimés entre les deux pays. Dès lors, les recommandations de la commission énoncées au cours de la réunion de 1953341 portent sur l’élargissement de l’accès des habitants d’un pays aux publications de l’autre pays. La commission constate tout d’abord le bon développement des échanges de textes officiels entre autorités britanniques et françaises. Puis elle suggère pour mieux faire connaître au public français (anglais) les ouvrages britanniques (français) une large distribution de bulletins d’information, l’organisation d’expositions itinérantes de livres, l’édition de compilations d’œuvres classiques. Cette préoccupation rejoint celle du Council qui, malgré ses difficultés budgétaires, s’efforce de poursuivre son action dans ce sens. 338 Projet de compte rendu de la réunion intermédiaire de la sous-commission française de la Commission mixte 3 janvier 1952, p. 5 - BW 31/36, P.R.O. 339 Commission mixte franco-britannique, réunion des 9, 10, 11 octobre 1952, p. 3 et 4 - BW 31/36, P.R.O. 340 Papier attaché au compte rendu de la réunion de la commission mixte en 1952 : A note on books - Ibid. 341 Commission mixte franco-britannique réunion des 30 septembre, 1er et 2 octobre 1953, p. 5 BW 31/37, P.R.O. 114 2.2 La fin de la gratuité d’accès aux imprimés britanniques Au cours des exercices 1949/50 et 1950/51, la bibliothèque attire un nombre de lecteurs toujours en augmentation. Cependant les taux de croissance du nombre d’inscriptions enregistrent un fléchissement par rapport à la période précédente (voir chapitre 14). 1948/49 - 1949/50 1949/50 - 1950/51 - Paris + 50 % + 15 % - Toulouse + 82 % + 19 % - Lyon + 57 % + 26 % - Nancy + 64 % - Cette tendance s’explique essentiellement par une diminution en intensité de l’intérêt éprouvé pour l’Angleterre dans l’immédiate après-guerre. Les taux reportés ci-dessus décrivent maintenant une progression régulière, de proportion plus modeste, qui reflète dans une plus large mesure (mais pas uniquement) le succès (pris au sens neutre) de l’action du Council. Faut-il mettre ce résultat en rapport avec une présence culturelle américaine plus affirmée ? Le rapport de la section bibliothèque pour 1950/51 fait défaut, mais dans sa présentation générale Henry Harvey Wood signale un net développement des services de bibliothèque américains342. En second lieu, il faut également considérer que si les échanges entre France et Grande-Bretagne sont jugés trop faibles, ils ne sont pas inexistants et ils vont en s’améliorant. Dans les années ultérieures, le réseau de bibliothèques du Council subit une complète réorganisation. Le local parisien saturé ne permet plus le maintien d’une salle réservée aux concerts, expositions et conférences au 28 avenue des Champs-Elysées. Harvey Wood obtient de Londres l’autorisation de rechercher un nouvel emplacement pour la bibliothèque. C’est ainsi qu’en novembre 1951 celle-ci est transférée sur la rive gauche, au 9 rue de Chanaleilles (7e)343. Sa fréquentation accuse une nette diminution, particulièrement en 1952/53, ainsi qu’en témoignent les chiffres suivants : . Nombre total d’inscriptions à la bibliothèque à la fin de l’exercice : 342 343 Harvey Wood, rapport d’activité pour 1950/51 - BW 31/34, P.R.O. Milner, rapports d’activité pour 1949/50, 1951/52, 1952/53 et 1953/54 - BW 31/44, P.R.O. 115 1951/1952 : 2 354 1952/1953 : 1 181 1953/1954 : 1 147 . Taux d’accroissements correspondants : 1950/51 - 1951/52 - 8,5 % 1951/52 - 1952/53 - 49,8 % 1952/53 - 1953/54 - 2,9 % Deux explications peuvent être avancées pour rendre compte de cette évolution. Tout d’abord, le déménagement a entraîné un renouvellement partiel de la clientèle des inscrits. Le rapport de Milner souligne la forte proportion d’étudiants fréquentant la bibliothèque en 1951/52 : mille, soit pratiquement la moitié. Professeurs et chercheurs sont également nombreux. En effet, la bibliothèque est maintenant plus proche de la Sorbonne qu’auparavant, l’accès y étant direct par le métro. Les résidents anglais inscrits sont en nombre plus réduit, et vont plutôt à la bibliothèque américaine (selon Milner). Ainsi la bibliothèque du Council attire une clientèle plus spécialisée, scientifique, ce qui correspond tout à fait aux souhaits du Council en la matière. Pendant l’exercice 1952/53 est mis fin à la gratuité des inscriptions. Il est certain que cette mesure est responsable de l’essentiel de la diminution du nombre d’inscrits qui intervient cette année-là.. Introduite sur proposition du Budget Committee pour offrir au bureau de Paris une possibilité de compenser les coupes budgétaires opérées dans le même temps, elle a des répercussions plus importantes que prévu sur le nombre d’inscrits. Le profit retiré estimé à 2 500 £ est en fait de 800 £ pour 1952/53344. Il est de 473 £ pour 1953/54, et non 1 500 £ comme il avait été calculé avant que les résultats définitifs de 1953/53 aient été établis. Les recettes anticipées sont donc largement supérieures aux recettes réelles. Il n’est pas précisé si ces chiffres concernent seulement Paris, mais cela est vraisemblable. Dans cette hypothèse, ils nous permettent d’évaluer le tarif en vigueur. En 1952/53, il devait être à peu près de 664 F345. Nous pouvons aussi en déduire que les responsables du Budget Committee espéraient sur 3 690 inscrits au lieu des 1 181 réels. Ils ne prévoyaient donc aucune diminution du nombre des inscrits. En 1953/54, le prix de l’inscription était pour l’année de 404 F. Selon le même mode de calcul, 3 640 inscrits étaient 344 British Council : Executive Committee, réunion du 13 avril 1954, Paper B - BW 68/12, P.R.O. Ce calcul (et les suivants) prend pour base 1 £ = 980 F, ce qui est la valeur de la £ adoptée par le Council pour calculer les budgets alloués à la France (voir Executive Committee, réunion du 13 septembre 1955 - BW 68/13, P.R.O.). Les résultats des calculs sont approximatifs. 345 116 attendus, le tarif ayant été baissé pour rendre l’accès à la bibliothèque plus aisé pour les étudiants. Ceci a toutefois échoué. Est-ce à dire qu’à mesure que les bibliothèques universitaires sont mieux pourvues en ouvrages britanniques, le British Council ne joue plus qu’un rôle d’appoint pour s’en procurer ? La dernière mention faite au sujet de dons de livres à Paris concerne en 1950 l’Institut britannique dont les étudiants se rendent probablement en priorité à la bibliothèque du Council. Les contacts sont conservés avec les provinces essentiellement grâce aux bibliothèques, très fréquentées dans les années 1949 et 1950 - en particulier celle de Lyon dont le succès ne se dément pas -. Mais en 1950 ferment les centres de Lille et Nancy, suivis en 1952 de ceux de Lyon et Toulouse. Pour pallier ce repli direct qui signifie aussi la disparition des bibliothèques, le Council s’engage dans une stratégie de redéploiement indirect en s’appuyant sur les relais locaux, avec lesquels il a établi de solides contacts. Ainsi des bibliothèques co-gérées par le Council sont ouvertes à Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Marseille et Lille (liste pour 1953/54, voir chapitre 17). Ces annexes provinciales bénéficient de prêts en blocs depuis Paris : ainsi à Strasbourg en 1950, à Lyon et à Lille en 1952/53. A ces bibliothèques est également appliquée la règle de l’inscription payante. Mais faute de chiffres, il n’est pas possible de suivre l’évolution du nombre d’inscrits en province. Les rapports sont assez laconiques et parlent seulement de “ résultats encourageants ” obtenus. Les liens de Paris avec la province sont également renforcés grâce aux formules de prêts qui connaissent un développement marqué. Les prêts en blocs doublent en 1949, passant de trente à soixante-sept. Pour les années suivantes, les chiffres font défaut. Il n’est pas possible de dire avec certitude s’ils ont été plus ou moins nombreux après la réorganisation des bibliothèques de province. On peut cependant supposer avec vraisemblance que ces centres (ou tout au moins les plus dynamiques) pratiquaient à l’échelle locale des prêts d’ouvrages destinés aux municipalités et organisations sises dans des villes alentour. Les prêts postaux aux professeurs se montent en 1949-1950 à une soixantaine. Aucun chiffre ne permet de connaître leur nombre par la suite. Les dons de périodiques sont maintenus en 1949. Le British Council distribue des brochures aux établissements scolaires de quelque quatre cents villes. Toutefois il est question de réduire le nombre d’envois de ce type en raison de l’importante maind’œuvre employée à cette tâche346. Les échanges de périodiques étant plus aisés que ceux de 346 Milner, rapport d’activité pour 1949/50 - BW 31/34, P.R.O. 117 livres, une telle mesure est surtout regrettable en termes de relations publiques. Elle est cependant appliquée en 1951/52. Les bénéficiaires de ces dons sont, outre le ministère de l’Education nationale pour information, l’Institut britannique, le Collège franco-britannique, les bibliothèques liées au Council (Lyon et Lille en 1952/53), les assistants d’anglais dans les établissements scolaires. Ces périodiques peuvent également être achetés à la librairie Didier ou chez W.H. Smith. Le rapport de 1953/54 fait état de “ faibles résultats ” pour English Language Teaching. Les ventes de Britain Today ne sont pas meilleures. Dans une optique publicitaire autant que pour écouler les invendus, le Council les offre à un prix légèrement supérieur à la moitié du prix de vente aux branches locales de l’association France-GrandeBretagne et aux professeurs d’anglais qui en font la demande, et qui éventuellement souscrivent un abonnement. Il apparaît clairement que le grand public se détourne des revues éditées par le British Council au fur et à mesure que les sources d’information sur la GrandeBretagne deviennent plus nombreuses et directement accessibles : les journaux, la radio et la télévision dont la place dans les foyers français est croissante. Les publications du Council ne concernent donc plus que ces relais culturels et éducatifs auxquels l’assistance est une priorité du Council. Enfin, le Council soutient les initiatives françaises visant à développer la connaissance de la culture britannique. C’est le cas des expositions de livres britanniques qui se tiennent aux librairies la Hune entre le 10 juin et le 10 juillet 1952 ou Didier en novembre 1952 et novembre 1953. Elles doivent par leur localisation attirer nombre d’amateurs, en majorité des étudiants. D’autre part, le Council verse en 1952 et 1953 un subside de 200 £ à la revue Etudes anglaises. Plus ponctuellement, il participe aux frais de publication d’un numéro spécial d’Art d’aujourd’hui consacré à la Grande-Bretagne, et d’une édition de Shakespeare dans la collection Belles Lettres (1953, pour 300 £). * Ainsi les compressions budgétaires ont relativement épargné les deux principales activités du Council : l’éducation et la diffusion de publications. De la sorte apparaissent les grands axes de la réorientation stratégique menée par le Council. L’action dans le domaine éducatif se poursuit avec un certain succès lié en grande partie à la souplesse et à l’efficacité des formules adoptées. 118 Mais l’évolution majeure au cours de ces années concerne la réorganisation du réseau de bibliothèques, bouleversé par la fermeture graduelle des centres provinciaux. L’assistance apportée au Council par les sociétés anglophiles privées ou les services officiels en province se révèle très précieuse ; le Council les associe (avec discernement) à son action. Néanmoins, aucun élément statistique ne permet d’évaluer le résultat de cette opération. Il est net que la fréquentation de la bibliothèque de Paris a diminué et s’est resserrée autour d’universitaires spécialisés. Dans les provinces, faute de certitudes, on peut penser que le mouvement est relativement similaire et que le noyau - en tous cas - des clientèles est le même qu’à Paris. S’y ajoutent peut-être des anglophiles en proportion plus importante qu’à Paris si les librairies ont des difficultés d’approvisionnement en ouvrages britanniques. 119 CHAPITRE 19 REPLI ET RÉORGANISATION DES ACTIVITÉS FONCTIONNELLES En 1949, le Council atteint ce qui, d’emblée dans les rapports, mais aussi par contraste avec les années suivantes, apparaît comme un sommet quantitatif dans le développement de ses activités et l’extension de son rayon d’action - l’année des plus grandes réalisations selon le mot d’Howell -. Mais ce jugement ne doit pas faire illusion : 1949 est aussi l’année de l’effort financier maximal pour maintenir un niveau d’activité comparable à celui des années antérieures. Selon les volontés de Londres, le Council doit effectuer son travail à moindre frais, et le souci d’économie sous-tend la mise en forme de toutes les initiatives des officers. Tous les domaines sont affectés à des degrés divers. Le choix stratégique consistant à privilégier le financement des activités éducatives (voir chapitre 18) au détriment croissant des secteurs strictement culturels, esquissé en 1949, se confirme en 1950 ; mais le budget alloué à la France est cette fois directement concerné par les nouvelles réductions imposées par le Trésor. 1950 - et plus précisément l’année financière avril 1950 / mars 1951 - est donc l’année du repli de l’action culturelle qui prélude à une réorganisation des activités. Ceci ne signifie pas une remise en cause de la stratégie nouvellement adoptée selon les souhaits du Foreign Office, mais plutôt sa mise en œuvre en fonction des moyens plus réduits laissés à la disposition du Council. Cependant, le Council reste attaché à une vision plus large de sa mission. C’est pourquoi, sans afficher de désaccord avec les conceptions du Foreign Office que lui présente Sir Oliver Harvey, David Howell soutient une position plus nuancée en affirmant la vocation culturelle du Council et la nécessité de continuer à financer la venue en France d’artistes britanniques, en plus des visites effectuées dans le cadre des courants commerciaux ordinaires347. 347 Howell à Miss McLeod, 27 septembre 1950 - BW 31/38, P.R.O. 120 1949 s’est donc avérée être une année de sursis avant le repli et la réorganisation des activités fonctionnelles opérés les années suivantes. 1.- UN DÉVELOPPEMENT MAXIMAL AVEC DES DÉPENSES MINIMALES Comme nous l’avons vu au cours des chapitres précédents, l’organisation d’activités fonctionnelles suppose une suggestion ou tout au moins un avis favorable (sauf cas exceptionnel) émis par les officers en poste à l’étranger et le comité consultatif du Council concerné, puis l’approbation financière de Londres. Pour le soutien des manifestations extraordinaires d’une certaine envergure, telles des tournées et des expositions, la décision est prise en réunion de l’Executive Committee ou du Finance Committee, ou encore par le président de l’Executive Committee si les dépenses prévues sont inférieures à 500 £. Le département fonctionnel (Production Division) se charge par la suite de l’envoi du matériel nécessaire. Ces mesures visent à éviter des engagements budgétaires estimés trop lourds, et plus généralement toute prise de risque, ce qui limite les possibilités de soutien d’œuvres artistiques audacieuses et d’actions de prestige. La poursuite des activités fonctionnelles dépend étroitement de la bonne qualité des rapports de coopération établis localement. 1.1 Eviter les prises de risques financiers ... Les procédures de contrôle financier laissent les officers sous l’entière dépendance de Londres pour préparer des activités qui, par leur nature, excluent toute assistance locale autre que périphérique et organisationnelle. C’est en l’occurence le cas des beaux-arts, du théâtre, du prêt de séries de photos et des films documentaires. Début 1949, Frank McEwen dispose de l’autorisation du Fine Arts Department pour négocier l’exposition d’une cinquantaine de sculptures exécutées par Henry Moore au Musée d’Art Moderne. Cette initiative couronne cinq ans d’efforts inlassables du Fine Arts Officer pour faire découvrir l’art moderne britannique aux Français en général, aux 121 milieux artistiques et intermédiaires culturels en particulier. Cette exposition vise maintenant à obtenir la consécration d’un des plus brillants représentants de cette école moderne par le public parisien éclairé348. En effet, c’est cette “ strate plus élevée et plus limitée du public parisien qui sera vivement enthousiasmée par un haut degré de qualité, mais numériquement inférieure à celle qui avait visité l’exposition Turner ”349 que McEwen cherche à attirer en faisant placer des affiches publicitaires dans des lieux le plus souvent fréquentés par des amateurs d’art (musées, magasins de luxe, antiquaires, galeries d’art) ou dans les universités350.. Les arrangements financiers sont conclus sans l’aval préalable de Londres qui, après avoir un instant envisagé de ne pas la subventionner, avait finalement constitué une enveloppe de 450 £ pour organiser cette manifestation. Ces accords prévoient le partage égal des frais d’exposition entre le Council et l’AFAA, le déficit final étant supporté par le Council seul. Cette dernière clause est très froidement accueillie à Londres351. En effet, d’une part, le Council n’accepte généralement de financer les déficits qu’à concurrence d’une somme déterminée. D’autre part, Moore étant un artiste encore peu connu, un déficit apparaît certain, et en cas d’échec total son montant pourrait être très substantiel, ce qui serait tout à fait mal venu en ces temps d’économie. C’est pourquoi Howell s’est, semble-t-il, engagé un peu à la légère. Mais en définitive, l’exposition est considérée comme une réussite, compte tenu de sa faible durée (18 novembre 1949 - 1er janvier 1950)352. Avec deux cent cinquante-quatre visiteurs par jour, elle a attiré un public plus nombreux que Matisse et a réalisé le second meilleur chiffre d’entrées derrière Chagall (deux cent soixante-trois). Pour McEwen ce succès artistique est aussi une victoire psychologique, les Français étant considérés par nature très “ tièdes ” à l’égard de l’art moderne étranger353.. Par ailleurs, une exposition itinérante d’art moderne circule dans six villes de France354. Cette politique d’éveil à l’art moderne britannique en province porte dans une certaine mesure ses fruits, car les visiteurs de l’exposition Moore355 ne sont pas tous parisiens. 348 D’où le choix du Musée d’Art Moderne. McEwen, Rapport du 16 janvier 1950 - BW 31/43, P.R.O. 349 McEwen à Mrs Sommerville, 8 avril 1949 - Ibid. 350 Howell à Erlanger, 26 juillet 1949 - Ibid. 351 Mrs Sommerville à Kennedy-Cooke, 20 octobre 1949 - Ibid. 352 Les comptes de l’exposition ne sont pas dans le dossier Moore. 353 McEwen, Rapport du 16 janvier 1950 - BW 31/43, P.R.O. 354 A Perpignan, Carcassonne, Grenoble, Toulon, Aix-en-Provence, Bordeaux. Durant le premier trimestre 1950, cette exposition s’arrête à Nancy, Mulhouse, Metz. 355 Mrs Sommerville à Gainsborough, 2 janvier 1950 - BW 31/43, P.R.O. 122 Outre les amateurs d’art, les jeunes constituent une population dont le soutien est très recherché. Ainsi, dans son compte rendu sur l’exposition Moore, McEwen oppose “ la jeunesse, la vigueur, l’enthousiasme des visiteurs ” qui accueillent favorablement les audaces artistiques aux critiques établis dont les appréciations sont dépourvues d’une quelconque ardeur356. De même, il note qu’à Mulhouse l’exposition d’art a été visitée par des écoles, parfois à la demande des élèves357. Le souci d’économie manifesté par Londres se traduit par une volonté de limiter les déficits encourus, ainsi que le démontre la réprobation consécutive à la conclusion du contrat British Council / AFAA pour l’organisation de l’exposition Moore. Cette observation s’applique également au financement de la tournée de la compagnie Norman Marshall en France. Selon les recommandations de la commission mixte, cette troupe de théâtre est formée pour jouer des extraits de pièces devant des étudiants français. Ce choix, de préférence à l’envoi d’une troupe de premier plan (autre que l’Old Vic, est-il précisé)358, permet au Council de limiter les sommes engagées et les risques de dépenses imprévues. En effet, les tournées de compagnies prestigieuses requièrent un financement important sans qu’un succès suffisamment étendu pour couvrir les frais soit assuré (sans compter les pertes possibles - voir l’exemple de l’Arts Theatre Company). Ici, le Council prend moins de risques. Les objectifs sont plus modestes : ils sont éducatifs plus que lucratifs ; l’assistance est a priori favorable à l’activité proposée. D’autre part, cette tournée étant approuvée par la commission mixte, elle bénéficie d’une détaxe. Elle se déroule en février et mars 1950. La troupe joue des scènes de pièces appartenant au répertoire anglais classique, dont certaines sont étudiées en année de licence : Taming of the Shrew (La Mégère apprivoisée), Tempest (La Tempête), Antony and Cleopatra (Antoine et Cléopâtre), Macbeth, Merchant of Venice (Le Marchand de Venise) de Shakespeare, et School for Scandal (L’Ecole de la médisance) de Sheridan. Le nord, le nordest et le sud sont visités et partout l’accueil réservé aux acteurs est chaleureux359. 356 McEwen, Rapport du 16 janvier 1950 - Ibid. “ weak official appreciators ” - “ weak ” peut signifier “ sans vigueur ” mais également “ médiocre ”. 357 McEwen, Rapport de la section beaux-arts pour 1949/50 - BW 31/34, P.R.O. 358 Commission mixte franco-britannique, réunion des 16, 17, 18 mai 1949, Résolutions p. 4 - Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. 359 La tournée s’arrête à Lille, Strasbourg, Lyon, Grenoble, Bordeaux, Toulouse ; mais aussi à Tourcoing, Arras et Compiègne. 123 En ce qui concerne les photos et films documentaires, les économies sont assurées en Grande-Bretagne par le transfert d’une partie des unités techniques au COI et par une collaboration en France avec cet organisme. Commencées après la guerre, les réorganisations se poursuivent. Ainsi, dans le Visual Aids Department chargé de la production de séries de photos, le service photo est intégré au COI début 1949360. Cette modification structurelle a-t-elle eu un effet négatif sur le travail de ce service, par exemple du fait de réductions de postes précédant le transfert ? Toujours est-il que Sir Ronald Adam enregistre des plaintes relatives à la qualité des photos du Council, des diapositives et des petites bandes filmées utilisées pour illustrer l’art moderne361. Les photos du COI sont plus fréquemment prêtées que celles du Council (trois cent cinquante par mois - soixante-quinze par mois pour le Council). Mais les séries du COI sont aussi peut-être en nombre supérieur à celles du Council. Les unes et les autres sont envoyées aux écoles qui le souhaitent, aux associations anglophiles, ou encore sont exposées dans les locaux du Council (ainsi dans le nord-est). Mais les rapports ne sont pas suffisamment détaillés pour voir si des changements sont intervenus dans les thèmes. Seul le rapport du centre du nord-est mentionne quelques sujets présentés. Tout au plus, il semblerait que les séries sur la société et la vie quotidienne (sécurité sociale, traditions) sont maintenant plus régulièrement exposées que celles sur la guerre362. C’est en 1948 que sont conclus entre le COI et le Council les arrangements portant sur la distribution des films du Council en France (voir chapitre 14). Les comptes rendus des officers contiennent donc peu d’éléments sur le déroulement de cette activité, puisque la diffusion des documentaires est en grande partie assurée par le COI. Cependant, le Films Officer du Council ne reste pas inactif. Il organise des séances de projection sur des sujets variés analogues à ceux des séries thématiques de photos, pour professeurs, étudiants et associations diverses situées dans la région parisienne, mais aussi dans le nord. En effet, le Press Office de Lille a été fermé deux ans auparavant et l’action du COI n’est donc plus relayée dans cette région. Dans les locaux des centres du sud sont également projetés des documentaires ; par exemple, à Lyon, dans le cadre des réunions du Club d’Anglais363. 360 British Council : Executive Committee, réunion du 8 février 1949 - BW 68/6, P.R.O. British Council : Executive Committee, réunion du 12 avril 1949, rapport de Sir Ronald Adam – BW 68/7, P.R.O. 362 Rapport d’activités générales et rapports régionaux pour 1949/50 - BW 31/34, P.R.O. 363 Ibid. 361 124 Toutes les activités évoquées précédemment reposaient exclusivement sur la quantité de matériel envoyé de Londres, ce qui ne laissait pas aux officers la possibilité d’accroître leur contenu en faisant appel à une aide locale. Mais il en est autrement pour la musique et les conférences. 1.2 ... et s’appuyer sur les ressources locales Pour l’organisation de manifestations musicales convergent les efforts du Council, des sociétés de concerts et de la Radiodiffusion de France (R.D.F.), en application des recommandations de la commission mixte. Il avait en effet été décidé en 1948 de faire jouer en France les œuvres de compositeurs britanniques signalés par le Council et de faire inviter des artistes anglais par les sociétés de concerts et la R.D.F.364. Ainsi, non seulement le Council se charge de promouvoir la musique britannique de sa propre autorité, mais il coopère également avec les Français dans ce sens. A son initiative, des musiciens viennent se produire en France. Londres finance la tournée du pianiste Noel Mewton-Wood en février-mars 1949. Paris reçoit aussi la St John’s Oxford Madrigal Society fin mars. Mais Sir Ronald Adam se prononce plutôt pour l’interprétation d’œuvres anglaises par des artistes locaux, formule plus économique dont les résultats lui apparaissent plus probants365. Ainsi Howell mentionne un concert donné par l’Orchestre National au Théâtre des Champs-Elysées comprenant des extraits d’œuvres britanniques. Parallèlement, la DGRC informe Howell des décisions prises par les sociétés de concerts - après d’insistantes interventions de sa part366 - en faveur des artistes britanniques. Les Concerts Colonne invitent Sir Adrian Boult les 8/9 janvier 1950, les Concerts du Conservatoire accueillent le chef d’orchestre Eugene Goossens le 19 février. Les Concerts Pasdeloup s’assurent la venue du pianiste Albert Ferber367. Cet insuffisant enthousiasme à l’égard de la musique anglaise s’observe aussi à la RDF malgré les efforts du Council. La DGRC écrit à son Directeur Général à ce sujet et lui signale le mécontentement 364 Commission mixte franco-britannique, réunion des 29, 30 septembre, et ler octobre 1948, Résolutions p. 5 - Relations culturelles, Enseignement 1948-1959, carton 83, M.A.E. 365 British Council : Executive Committee, réunion du 12 avril 1949, rapport de Sir Ronald Adam – BW 68/7, P.R.O. 366 Voir DGRC au ministère de l’Education nationale, 22 septembre 1949, et les lettres envoyées aux différentes sociétés de concert le 13 septembre 1949 - Relations culturelles, années 1945/1957, carton 46, M.A.E. 367 DGRC à Howell, 20 octobre 1949 - Ibid. 28 novembre 1949 - Ibid. 125 des artistes anglais à cet égard. Cependant, avec les radios locales se poursuit une coopération fructueuse (en particulier dans le nord-est). De même que celui des concerts, le programme des conférences n’est qu’en partie réalisé par les personnalités envoyées par Londres ; les officers sont appelés à en prononcer eux-mêmes un certain nombre. David Howell insiste particulièrement, en présence de Sir Ronald Adam, sur le goût des Français pour les conférences et sur la nécessité de faire un effort en ce domaine368. Car tel n’est justement pas le cas. Le nombre de conférences pour 1949/50 a augmenté depuis l’année précédente, passant de deux cent cinquante à deux cent quatre-vingt-trois (voir annexe n° 5), mais Londres n’est pour rien dans cette progression. De fait, la diminution du nombre de Britanniques envoyés en France rend les seuls officers responsables de l’accroissement du nombre total de conférences. Ce résultat est d’autant plus méritoire que le personnel du Council en France travaille avec des effectifs réduits (il manque par exemple un Music Officer)369. C’est surtout dans les provinces que l’effort est considérable, les officers des centres régionaux donnant quarante-huit conférences supplémentaires. En revanche la contribution des officers de Paris décroît (vingt-deux conférences en moins). Ce chiffre reflète, probablement en grande partie, une limitation de leurs visites en province décidée pour économiser des indemnités de déplacement déjà considérées comme maigres. Par ailleurs, il faut noter l’augmentation du nombre de conférences organisées localement, c’est-àdire faites à l’invitation des officers par des personnalités non désignées par Londres. Ainsi Pierre Emmanuel, lors d’une tournée effectuée dans le sud-ouest en février 1950, parle de l’esprit civique en Grande-Bretagne. Les sujets abordés se diversifient un peu. La littérature reste le thème dominant avec des exposés sur les auteurs britanniques (Joyce, Yeats, Donne...) ou les genres littéraires (roman, théâtre poétique...). L’éducation, l’art, les films, la vie quotidienne sont toujours abondamment traités. Mais en outre, deux thèmes font une percée dans le programme de 1949. Tout d’abord, des conférences générales sur l’Ecosse sont prévues dans le sud-est et le nord-est (avec Sir Robert Bruce Lockhart). Selon le rapport, elles obtiennent un franc 368 British Council : Executive Committee, réunion du 12 avril 1949, rapport de Sir Ronald Adam – BW 68/7, P.R.O. 369 Howell, Rapport d’activité pour 1949/50 - BW 31/34, P.R.O. 126 succès. En second lieu, les exposés d’histoire politique sont plus nombreux (la constitution britannique, le Commonwealth, T.E. Lawrence...)370. Après ces développements de 1949, l’année 1950 apparaît comme une année creuse. Les difficultés financières de la Grande-Bretagne conduisent à la dévaluation de la Livre, répercutée dans le budget 1950/51 du Council. En France, le repli fonctionnel est dès lors très sensible et une réorganisation des activités s’avère nécessaire. 2.- REPLI ET RÉORGANISATION DES ACTIVITÉS CULTURELLES371 Le retrait du Council est plus ou moins marqué selon les domaines. Lorsqu’il peut être compensé, il aboutit en général à une définition plus restreinte du public cible (sociale pour les conférences ou géographique pour les beaux-arts) ou à une large prise en charge locale (théâtre, musique). Si aucun palliatif ne peut être trouvé, le retrait apparaît soit partiel (diffusion de séries de photos) soit total (films). 2.1 Des réaménagements stratégiques visant à compenser le retrait du Council La réduction des activités culturelles est générale mais n’atteint pas tous les secteurs avec la même intensité. Ainsi, dans certains domaines tels que les conférences, les beaux-arts, le théâtre et la musique, le retrait du Council est quelque peu atténué pour des raisons tenant à la stratégie culturelle aussi bien qu’à leur contexte de développement. Les vingt-quatre semaines composant la saison de conférences prévues pour 1950/51 sont réduites à quinze. En 1951/52, les 430 £ attribuées au département des conférences ne permettent d’en assurer que pendant huit semaines372. Ces chiffres donnent une idée de l’ampleur des coupes budgétaires pratiquées. Londres envoie peu de conférenciers - une dizaine tout au plus -, et en 1953/54 seul R.B. Lockhart se rend en France pour 370 Ibid., en plus des rapports régionaux. Les sources sont lacunaires pour 1950 ; les rapports régionaux manquent, mais pour les comptes rendus d’activités, le dossier de référence reste BW 31/34, P.R.O. 372 Rapports annuels pour 1950/51, 1951/52, 1952/53 - BW 31/44, P.R.O. Ces rapports sont les dossiers de base concernant les activités fonctionnelles. 371 127 reprendre son cycle de conférences sur la Reine et le Commonwealth, sujet qui se trouve être en prise directe avec l’actualité (1953 est l’année du couronnement d’Elizabeth II). Autre exemple de conférences liées à un événement important, culturel cette fois, celles prononcées par le directeur d’une galerie d’art de Birmingham, Trenchard Cox, à l’occasion de l’exposition Le Paysage anglais de Gainsborough à Turner se tenant à l’Orangerie en févrieravril 1953. Cox présente en complément fin février / début mars les peintres paysagistes d’East Anglia à l’Ecole du Louvre, mais aussi à Lille, Reims, Nancy, Lyon. Cependant, ces envois de conférenciers ne sont pas systématiquement en rapport avec l’actualité culturelle. D’un point de vue global, on constate par ailleurs la contraction d’une offre de conférences désormais centrée sur le milieu de l’enseignement, en liaison avec l’action éducative du Council et les associations anglophiles (clubs d’étudiants, association FranceGrande-Bretagne). A partir de 1952, le Council a de plus en plus recours à celles-ci, qui réservent un accueil des plus chaleureux aux conférenciers et dont l’assistance pour organiser les tournées est fort utile373. Outre les bibliothèques, les conférences constituent donc un second domaine dans lequel la coopération entre le Council et les associations anglophiles s’affirme et s’épanouit. C’est d’ailleurs à ces catégories de population, et sur leur demande, que sont destinées les interventions des officers de Paris. Ces derniers ont fort à faire pour maintenir une certaine diversité dans les thèmes proposés. Aussi traitent-ils parfois de sujets sans lien direct avec leur spécialité. Par exemple, l’Education Officer aborde successivement la littérature, les penseurs politiques, le langage, la vie en Grande-Bretagne, le caractère anglais à travers les institutions et l’intellectuel dans le monde moderne. Très prolifique sur des sujets variés, il est responsable de nombreuses conférences, surtout secondé à partir de 1953/54 par le vice-représentant Arnold Hawkins nouvellement nommé à Paris. Austin Gill, outre ses fonctions de directeur de l’Institut britannique, assure également quelques conférences (sur Edgar Poe en France, la poésie de T.S. Eliot). Par les thèmes abordés, on note une prédominance de sujets artistiques, puis littéraires (surtout Shakespeare et ses pièces), devant les questions économiques et sociales ou institutionnelles. Ainsi, dans ce domaine, le Council privilégie l’entretien de relations avec des groupes clairement identifiés comme anglophiles qu’il considère comme des relais naturels de son action. Ce choix tactique s’opère au détriment d’une activité dirigée vers un public indifférencié. 373 Voir chapitre 7. 128 A la tête du département beaux-arts, Frank McEwen poursuit ses efforts de promotion de l’art moderne britannique. Selon une méthode qui a fait la preuve de son efficacité, il oriente son action à la fois vers les professionnels de l’art, avec lesquels il entretient des relations amicales et étendues, et vers le public auquel il s’efforce de présenter les artistes britanniques jugés les plus susceptibles d’être appréciés. Dans un premier temps, il convient de susciter l’intérêt du monde de l’art pour les artistes anglais et leur permettre d’exposer. Ainsi McEwen assure la participation de la Grande-Bretagne à des expositions transnationales régulièrement organisées à Paris comme le Salon des Réalités Nouvelles, le Salon de la Jeune Sculpture, le Salon de Mai. En mars 1952, il sélectionne les œuvres présentées dans la section britannique du Salon International de la Jeune Gravure Contemporaine tenu au Musée d’Art Moderne de Paris. Ces manifestations, reconnues et fréquentées par les critiques d’art et les galéristes, ont la valeur d’opérations promotionnelles importantes. Par ailleurs, que cela en soit la cause ou la conséquence, certains artistes ainsi exposés le sont aussi dans des galeries. Par exemple, le jeune Michael Ayrton, présent à l’exposition de la Foire de Mâcon en mars 1952, accroche ses tableaux en mai de la même année à la Galerie Galanis de Paris avec l’aide de McEwen. Plus intéressant est le cas de Graham Sutherland, dont le succès international est très lié à l’action du Council (Henry Moore en étant un autre exemple), et dont la reconnaissance en France est effective en 1952. A plusieurs reprises, depuis 1945, les œuvres de Sutherland étaient exposées en France : dans les locaux du British Council (1945), ou, plus solennellement, parmi les peintures de la Tate Gallery présentées au Musée du Jeu de Paume (1946), ou lors de la Conférence Générale de l’UNESCO (1946), ou encore à la Galerie Drouin en 1948374. En avril 1952375, Jean Cassou, directeur du Musée National d’Art Moderne, exprime le désir de voir présentées à Paris les toiles choisies pour la Biennale de Venise qui se tiendrait au mois de juin. Georges Salles, directeur des Musées du Louvre, qui avait rencontré Sutherland en mars lors d’un dîner organisé par McEwen, approuve ce projet, qui est également entériné par la commission mixte lors de sa réunion en octobre 1952. Il semble que le soutien de Salles ait été déterminant pour en permettre la réalisation. C’est ainsi que du 8 novembre au 14 décembre 1952, au Musée National d’Art Moderne, sont exposées les cinquante toiles de G. 374 375 R. BERTHOUD, Graham Sutherland - a biography, Londres, Faber and Faber, 1982, p. 131. BERTHOUD, op.cit., p. 156-157. 129 Sutherland précédemment récompensées par le Grand Prix de la Biennale. S’y ajoutent vingt et une peintures et gouaches. McEwen note le “ grand intérêt ” soulevé par cette exposition “ tout du long de sa durée. Les revues de presse sont des plus favorables ainsi que les commentaires de la radio ”.. Selon le biographe de Sutherland, Roger Berthoud, environ deux cents personnes par jour sont venues admirer les œuvres du peintre britannique, ce qui est correct mais non impressionnant. Cependant, les professionnels ont été fort intéressés. Le Musée d’Art Moderne fait en cette occasion l’acquisition d’une peinture de Sutherland. Mais celui-ci n’ayant pas suffisamment d’œuvres disponibles, aucune exposition en galerie ne peut être réalisée. La presse, de son côté, se montre enthousiasme. Par exemple, André Warnod, pour Le Figaro376, le décrit comme un peintre “ typiquement anglais, passionné de nature, [qui] transpose plastiquement en les animant d’un souffle poétique les éléments essentiels mais [qui] se défend d’aller jusqu’à l’abstrait ”. Combat qualifie l’exposition de “ magnifique panorama de l’œuvre de l’un des peintres britanniques les plus importants ”. Bernard Dorval pour Arts fait un compte rendu également admiratif377. C’est donc un succès personnel pour Sutherland dont le talent artistique est désormais apprécié à Paris (même si la prééminence artistique de Paris a fortement décliné au profit des Etats-Unis). C’est aussi une réussite pour McEwen qui, après avoir longtemps plaidé la cause de l’art moderne britannique auprès des directeurs de musées parisiens, a, par son entremise et son entregent, favorisé la réalisation effective de l’exposition, et a ainsi eu la satisfaction de voir l’un des plus brillants peintres britanniques de sa génération couronné à Paris de son vivant. Parallèlement, McEwen s’efforce d’assister les artistes exposant sur une échelle plus modeste à Paris378. Il collabore régulièrement avec les organisations qui font appel à ses compétences d’expert telles l’UNESCO ou l’Arts Council. Le deuxième volet de son action concerne la promotion de l’art britannique auprès du public. La lecture des rapports permet d’observer que l’art moderne fait l’objet d’une publicité constante mais peu appuyée. En effet, l’exposition Sutherland envoyée par Londres dans un contexte spécifique - la Biennale de Venise, manifestation artistique prestigieuse - a certainement dû mobiliser des fonds importants pour le transport jusqu’à Paris et l’assurance. Alors que le Council connaît des difficultés budgétaires, et que le Foreign 376 Le Figaro, 10 novembre 1952 - “ Graham Sutherland au Musée d’Art Moderne ” André Warnod. BERTHOUD, op. cit., p. 157. 378 Les rapports de McEwen contiennent des listes d’artistes auxquels il a apporté son aide. Parmi ces artistes, se trouve par exemple John Harrison, qui a succédé à McEwen à Alger lorsque celui-ci a été nommé à Paris. En 1951, McEwen apporte son assistance à Harrison qui expose ses œuvres à la galerie Saint Germain. (Rapport annuel 1951 / 1952 - BW 31/44, P.R.O.) 377 130 Office est peu favorable à ce type d’activité fonctionnelle qui lui semble superflue, cet effort financier ne peut être réitéré fréquemment. Les autres formes d’introduction à la connaissance de l’art moderne utilisées par McEwen sont moins onéreuses. En premier lieu, McEwen collabore de temps à autre à des revues d’art telles que XXe siècle (en 1951, article sur H. Moore), Formes et Vie, Architecture d’aujourd’hui, Art d’aujourd’hui, Art et Style, Art et Industrie, Le Soleil Noir. D’autre part, il prépare de petites expositions dans les locaux du British Council, ainsi en 1951 celle de l’édition de luxe du Prométhée de Goethe illustrée par H. Moore. Sous les auspices des Amis de l’Art, il présente le 26 février 1952 au cinéma Luxembourg le film Shapes and Forms réalisé par l’Institut des Arts Contemporains (Institute of Contemporary Arts). Par ailleurs, il se rend quelquefois en province. A l’occasion de la semaine britannique organisée au Puy en novembre, ou encore dans le nord-est (à Nancy, Mulhouse et Metz), il expose tout ou partie des quelques pièces de la collection permanente du British Council qui lui ont été confiées pour illustrer ses conférences. Il s’occupe de la section Grande-Bretagne de la Biennale Internationale de Menton de juillet-septembre 1951 (où un prix est décerné au peintre Roger Colquhoun), choisit les œuvres exposées lors de la foire de Mâcon en mars 1952. Pour la semaine britannique organisée à Luchon en juin 1953, il fait parvenir une série de livres d’art et reproductions. Toutefois l’effort du Council ne porte pas uniquement sur l’art moderne, parfois difficile d’accès pour un public profane. En témoignent deux expositions prestigieuses présentées à Paris en 1951 et 1953. Entre le 16 novembre 1951 et le 14 janvier 1952 se tient dans la Galerie Mazarine de la Bibliothèque nationale l’exposition Le Livre anglais. Entreprise sous le patronage du Président de la République et du Roi George VI, elle rassemble quelque quatre cent soixante-dix pièces, dont des manuscrits enluminés, des autographes littéraires, des éditions de luxe, et une soixantaine de portraits littéraires issus du Fine Arts Department du Council. Inaugurée par Vincent Auriol et T.S. Eliot, cette manifestation obtient un franc succès noté par la commission mixte379 : entre vingt et vingt-cinq mille visiteurs viennent admirer les pièces et plus de mille exemplaires du catalogue sont vendus. Les commentaires de la presse sont très enthousiastes. Ils soulignent la beauté et la valeur de ces livres qui “ recèlent une telle puissance qu’ils sont encore aussi vivants que cette âme dont ils sont 379 Commission mixte franco-britannique réunion des 9, 10, 11 octobre 1952, compte rendu p. 7 et 8 BW 31/36 - P.R.O. 131 issus ”380. En liaison avec cette exposition, à la même date et “ dans l’intention d’en stimuler l’intérêt ”381, est organisée une Quinzaine Franco-Britannique à Paris. Celle-ci comprend la présentation dans différentes galeries, de peintures et estampes de William Hayter, d’exemples d’art traditionnel de pays du Commonwealth, de planches d’un fac-similé de Jerusalem de W. Blake ; en outre sont donnés trois récitals d’œuvres françaises et britanniques, des conférences et un débat sur Blake. Les vœux de la commission mixte sont à l’origine de l’exposition sur le paysage anglais de 1700 à 1850 sous-titrée “ De Gainsborough à Turner ”. Tenue au Musée de l’Orangerie du 7 février au 12 avril 1953, elle rassemble quatre-vingt-dix-huit pièces, choisies pour la plupart parmi les réserves de la National Gallery. Les œuvres de Gainsborough, Constable, Stubbs, Wilson, Turner (...) occupent cinq salles dont une pour les aquarelles et dessins. Les chiffres des visiteurs manquent ; tout au plus McEwen parle-t-il de succès obtenu par cette exposition dont le thème est peu original. En effet le goût des Anglais pour la nature est un lieu commun, ainsi que le note Yves Dartois pour Le Figaro382 : “ On peut dire que tout Anglais était paysagiste. L’Anglais aime la nature et surtout la nature anglaise, ses prairies vertes, ses champs, ses bois ”, que les représentations en soient plus contemporaines - tel Sutherland - ou plus anciennes - tels Turner ou Constable -. Néanmoins il est indéniable que les toiles présentées sont de grande qualité, et leur intérêt dérive essentiellement de la faible présence de cette école du paysage anglais dans les fonds des musées français. Aucune note ne permet d’établir si McEwen a joué un rôle spécifique dans ce cas, autre que la simple supervision de l’exposition ; il est vraisemblable que le caractère purement officiel de celle-ci (choix de la commission mixte) n’a pas rendu nécessaire une intervention particulière. A première vue, les restrictions budgétaires ne semblent pas avoir affecté de façon très sensible le département des beaux-arts du Council à Paris. Une exposition que l’on peut qualifier “ de prestige ” a lieu chaque année, sauf en 1950. McEwen assure la participation de la Grande-Bretagne à plusieurs expositions internationales ; de jeunes peintres britanniques exposent leurs œuvres dans des galeries parisiennes. Le bilan est donc loin d’être négatif. Cependant, il convient de le nuancer. Tout d’abord, il faut observer que les grandes expositions ont obtenu le soutien préalable de la commission mixte, ce qui les fait entrer parmi les manifestations officielles franco-britanniques. La charge financière qu’elles 380 J. Milton, cité par Les Lettres Françaises, 22 novembre 1951, supplément Tous les Arts, “ l’exposition du livre anglais à la Bibliothèque Nationale ” Lucien Scheler. 381 Commission mixte franco-britannique, réunion des 9, 10, 11 octobre 1952, compte rendu p. 7 et 8 BW 31/36, P.R.O. 382 Le Figaro, 6 février 1953 “ Le paysage anglais à l’Orangerie ” Yves Dartois. 132 représentent se trouve ainsi allégée par des avantages douaniers : elles bénéficient généralement en outre de subventions de l’AFAA383. Par ailleurs, il est notable que l’activité de Frank McEwen se concentre sur Paris. Il n’entreprend pas de tournées de conférences en province. Il ne participe finalement qu’aux manifestations de type Semaine Britannique qui s’y déroulent : Le Puy en 1950, Mâcon en 1953, Luchon en 1953 ; c’est-à-dire vraisemblablement sur sollicitation (le cas de la Biennale de Menton étant à part). Mais son activité de relations publiques avec le monde de l’art se déroule à Paris et occupe une place croissante au sein de son action - son rapport en témoigne - d’autant plus qu’elle ne doit pas occasionner de frais excessifs, dès lors que les indemnités de déplacements ont été rognées. Si, pour ces deux domaines, l’accent est mis sur le renforcement des points d’implantation de la culture britannique dans des milieux intermédiaires entre le grand public et les expressions et représentants de cette culture - d’où, après avoir été assimilée, elle pourra être plus largement diffusée -, la réorientation des activités musicales obéit à un moindre degré à de telles considérations pour deux motifs. Tout d’abord, en application des résolutions de la commission mixte, la DGRC contribue aux efforts visant à promouvoir la musique britannique en France. A cet égard, le Council est invité à fournir des listes d’artistes britanniques qui pourront se produire en France dans le cadre du programme d’échanges officiels384.. Cette action est insuffisante, mais elle seconde celle du Council à Paris rendue plus difficile en raison de la vacance du poste de Music Officer. David Howell estime en 1949 que la musique britannique “ n’a jamais eu de vraie chance [pour s’imposer], bien que notre succès a été infiniment plus important qu’aucun obtenu par un autre pays dans ce domaine très ouvert à la concurrence ”385. En effet, Henry Harvey Wood relève l’action menée par l’Italie dès 1951, à laquelle s’ajoutent celle des Pays-Bas (en 1952) et celle du Brésil (en 1953). Pour 1952/53 le budget alloué à la musique, atteint par les économies budgétaires, est fixé à 300 £ par décision du Trésor386, ce qui est très peu. Le Council ne peut donc accorder son soutien (financier) qu’à des projets précis de haute valeur artistique. Il organise la venue du National Youth Orchestra au Palais de Chaillot, qui obtient “ un succès surprenant quand 383 384 Mais pour ces expositions, il semble qu’il n’y en a pas trace. Commission mixte franco-britannique, réunion des 16, 17, 18 avril 1950, Résolutions p. 5 - BW 31/33, P.R.O. 385 386 Howell, note sur le Committee on Functional Activities, 4 février 1949 - BW 31/38, P.R.O. Miss McLeod à Harvey Wood, 18 mars 1952 - Ibid. 133 on considère combien il est difficile de présenter un orchestre inconnu ici ”387, et dont le concert est ultérieurement retransmis à la radio. Par la suite, la venue d’artistes britanniques n’est, semble-t-il, plus subventionnée par le Council, qui se borne à les assister à Paris si besoin est, non sans regretter cet état de fait. Prenant bonne note de la décision des autorités françaises d’engager un soliste britannique pour jouer avec un orchestre français courant hiver 1953/54, la commission mixte “ espère que des noms et peut-être une petite subvention seront fournis par le British Council ”388.. Cette formulation prudente est révélatrice des difficultés d’action du Council dans ce domaine. S’efforcer de faire engager des artistes britanniques par la R.D.F. n’est pas non plus chose aisée. Après avoir obtenu l’accord d’Henri Barraud pour passer Balshazzar’s Feast de Walton dans le programme de concert hebdomadaire diffusé par la Chaîne Nationale, Howell confie à Christopher Holme de la B.B.C. que “ les cachets payés par la R.D.F. sont si maigres qu’aucun artiste britannique qui se respecte n’accepterait leur invitation, et le résultat est que trop d’artistes de second ordre, que nous ne pouvons recommander, obtiennent les contrats ”389. La présence de musiciens britanniques en France, hors circuit traditionnel, est donc liée aux efforts de la commission mixte par l’intermédiaire de la DGRC. La musique britannique ne fait plus l’objet d’une promotion spécifique, souvent jouée par des musiciens français qui tirent ainsi profit de l’absence de leurs collègues britanniques. Celle-ci, selon les rapports, “ trouve son chemin jusqu’aux programmes de concerts français à un rythme qui décroît régulièrement ”390. C’est le cas par exemple des œuvres de Benjamin Britten. Généralement très apprécié dans les milieux musicaux français, Britten s’impose comme l’un des principaux musiciens contemporains britanniques. Le 26 mai 1952 dans le cadre du Festival “ l’Oeuvre du XXe siècle ” est créé son opéra Billy Budd, qui déçoit beaucoup. Harvey Wood rapporte que “ la presse [y] a été ouvertement hostile (pour des raisons purement artistiques) [...] et l’opinion musicale française, qui fait généralement grand cas de Britten, a été amèrement déçue ”. A l’image du critique Bernard Gavoty qui le considère “ long et ennuyeux ” malgré une direction assurée “ avec autorité ” 387 Rapport d’activités, section musique, pour 1950/51 - BW 31/34, P.R.O. Commission mixte franco-britannique, réunion des 30 septembre, 1er et 2 octobre 1953, Résolutions p. 6 - BW 31/37, P.R.O. 389 Howell à Christopher Holme, 20 décembre 1949 - E1/709, W.A.C. Henri Barraud est le directeur de la musique à la R.D.F. 390 Rapport annuel, section musique 1952/53 - BW 31/44, P.R.O. 388 134 par Britten lui-même et le talent de l’interprétation. Et il cite en contraste Peter Grimes, Le viol de Lucrèce, Albert Herring, qui lui semblaient “ bien mieux que des promesses ”391. En revanche, le Council peut toujours fournir des partitions ou des disques à ceux qui en font la demande, telles trente-huit écoles en 1951. La même année, l’œuvre de William Walton, Façade, est prêtée à Toulouse pour la création d’un ballet au Théâtre du Capitole. Jusqu’en 1952 le Council fait également porter ses efforts sur les deux centres régionaux toujours en activité, dont l’un est dirigé par un Music Officer. C’est donc dans le sud-est, et surtout le sud-ouest, que sont organisées des conférences illustrées au piano, telle cette tournée de Frank Turner à Nîmes, Toulouse, Bordeaux en 1951. Sont également (et particulièrement) encouragés les concerts de musique anglaise interprétée par des musiciens locaux, tel le Quartet de Toulouse en tournée dans le sud-ouest. Sept concerts de ce type pour les deux centres sont recensés jusqu’à la fin 1950, mais aucun par la suite. Après la fermeture des centres provinciaux, le Council s’efforce, dans ce domaine aussi, de tirer parti du réseau d’associations culturelles et anglophiles avec lesquelles il a noué des liens. Ainsi des concerts sont organisés à Strasbourg (avril 1953), Rouen (juin 1953), Nancy (France-Grande-Bretagne, décembre 1953), Reims (même date, Centre Culturel de Champagne). France-Ecosse reçoit en novembre 1953 le pianiste Bryden Monteith. Après le sud de la France, c’est désormais le nord qui bénéficie des efforts de promotion de la musique britannique en France. C’est cependant dans le domaine du théâtre que le retrait effectué par le Council est le mieux compensé par le dynamisme de la scène française et son ouverture aux pièces étrangères. Le théâtre n’est pas mentionné dans les rapports pour 1950/51 et 1951/52, ce qui laisse supposer qu’aucune troupe britannique professionnelle d’importance ne s’est rendue en France à ces dates. Or les tournées théâtrales ne seraient vraisemblablement pas organisées en dehors du cadre officiel franco-britannique auquel sont attachés quelques avantages douaniers appréciables en ce domaine. Cette hypothèse est confirmée par les procès-verbaux des réunions de la commission mixte qui ne prévoient pas de manifestations théâtrales, et qui jusqu’en 1953 ne s’intéressent qu’aux questions annexes de taxes à acquitter et de transport des décors à faciliter. Les rapports de la section théâtre reprennent pour l’année 1952/53. Ils concernent, soit la venue de compagnies britanniques subventionnées par la 391 Le Figaro, 28 mai 1952 “ Billy Budd ”, Clarendon (pseudonyme de Bernard Gavoty). 135 DGRC et pour lesquelles aucune aide du Council n’est indiquée, soit les productions locales les plus intéressantes montées pendant l’année. Deux spectacles de troupes britanniques sont cités. Il s’agit de l’Oxford University Dramatic Society en juin 1952 et du London Ballet Festival Company en janvier 1953. L’Oxford University Dramatic Society, troupe amateur de haut niveau recommandée par le British Council, fait une tournée annuelle en France depuis 1948392 dans le cadre de l’accord culturel franco-britannique, avec l’appui moral et matériel de la DGRC. Celle-ci lui attribue une subvention et facilite son passage à la douane (détaxe, dispense d’estampillage). C’est ainsi qu’en 1949 les acteurs ont pu présenter une pièce de Ben Jonson, en 1950 Richard II, en 1951 La Duchesse d’Amalfi de John Webster (à Tours, Poitiers, Bordeaux, Aix et Paris)393.. Le 28 juin 1952, dans la cour de la Sorbonne, ils interprètent La Nuit des Rois. La représentation a “ beaucoup de succès ” et selon Harvey Wood “ [leurs] visites annuelles [...] sont de plus en plus appréciées et le degré de qualité de leur production est invariablement élevé ”. Du 12 janvier au 15 février 1953, le London Festival Ballet se produit au théâtre de l’Empire qui a reçu pour l’occasion une avance remboursable de 800 000 F de l’AFAA394. Cette jeune compagnie, dirigée par Anton Dolin, reçoit l’approbation du public malgré des débuts hésitants. Les exemples de productions locales mentionnés traduisent la diversité des pièces et de leurs lieux et cadres de présentation. Shakespeare est l’auteur britannique le plus joué en France, presque autant que Molière, plus que Racine selon Jean-Louis Barrault. Dans une conférence prononcée à Edimbourg en septembre 1948395, celui-ci analyse les raisons de l’intérêt porté à l’auteur élizabéthain. Outre son universalité, deux explications plus circonstancielles sont développées. D’une part Shakespeare est d’actualité. Il évoque une société troublée : il “ a vécu en effet au milieu des meurtres, des révolutions et des catastrophes ”. Aussi “ [à] nous qui avons encore dans nos cœurs le souvenir de Buchenwald, d’Auschwitz ou la retraite de Dunkerque ou l’horreur de la ‘coventrisation’396 et même 392 Seydoux à l’Inspecteur des Douanes de Boulogne-sur-Mer, 1er juillet 1948 - Relations culturelles, Echanges culturels 1948-55, carton 46, M.A.E. 393 Erlanger à l’Inspecteur des Douanes de Dieppe, 23 mars 1951 - Ibid. 394 Erlanger au ministère des Finances, 16 février 1953 - Ibid. 395 J.-L. BARRAULT, Nouvelles réflexions sur le théâtre, Paris, Flammarion, 1959, “ Shakespeare et les Français ”, p. 116-128. 396 Ce néologisme fait référence à la ville de Coventry, qui fut détruite par les bombardements pendant la Guerre. 136 Hiroshima [...] ne trouvez-vous pas que ce cri de douleur résonne particulièrement, cruellement dans notre âme ? ”. D’autre part, les héros de Shakespeare ont une lucidité et une exigence morale qui les font douter, remettre en question le monde dans lequel ils vivent. De ces scrupules, le héros, après avoir éprouvé une grande lassitude, triomphe et renaît. Le parallèle avec le retour à la vie d’un pays dévasté et humilié par l’Occupation est ici suggéré. Toujours est-il que Shakespeare retrouve sa place à la Comédie Française, où entre 1945 (Antoine et Cléopatre) et 1950 (Othello) aucune de ses pièces n’avait été (re)montée. A propos de Roméo et Juliette dont la première a lieu de 22 octobre 1952, Harvey Wood insiste sur l’intérêt présenté par la création de productions prestigieuses et souvent bien traduites de la nature de celles offertes par le Théâtre Français : “ Etant donné que les compagnies professionnelles britanniques ne viennent pas présenter Shakespeare en version originale, ces somptueuses productions de pièces de Shakespeare traduites ont de notre point de vue la plus grande valeur ”. Il s’agit ici de la dernière d’une série de pièces shakespeariennes comprenant Othello (11 janvier 1950), Le Conte d’hiver (31 octobre 1950) et Comme il vous plaira (6 décembre 1951) ; à cela s’ajoute la réalisation d’un “ rêve ” pour l’administrateur Pierre-Aimé Touchard. Celui-ci justifie son choix, outre par son souci d’ouvrir le répertoire de la Comédie Française aux “ littératures dramatiques étrangères ”, par “ la disparition de Dullin [en 1949] qui fut, pour les hommes de ma génération, l’initiateur du théâtre élizabéthain ”397. Par ailleurs, Shakespeare est régulièrement représenté dans les programmes de festivals de théâtre tenus en province généralement pendant les mois de juin, juillet et août, pour permettre à de grands noms d’y participer, la plupart des théâtres parisiens faisant relâche l’été. Ainsi le Festival de Lyon-Charbonnières où Véra Korène (de la Comédie Française) produit une version de Coriolan en juillet 1953 (l’année précédente Le Songe d’une nuit d’été avait été choisi). Le T.N.P. reprend à partir de novembre 1953 au Palais de Chaillot Richard II qui avait été monté pour la première fois en septembre 1947 lors du Festival d’Avignon398. Avec Jean Vilar, le British Council a d’ailleurs établi des liens. Vilar assiste à la conférence donnée par Hugh Hunt (administrateur de l’Old Vic) dans les locaux du Council le 27 novembre 1951 sur le thème “ la production shakespearienne dans le théâtre moderne ”. La troupe du T.N.P. qui s’affirme, avec la Compagnie Renaud-Barrault, comme une des meilleures privées, tout en présentant des spectacles classiques, ne dédaigne pas de 397 P.-A. TOUCHARD, Six années de Comédie Française - Mémoires d’un administrateur, Paris, Seuil, 1953, p. 112-113. 398 Richard II, créé à Avignon en septembre 1947, y sera repris en juillet 1948, 1949 et 1953. 137 monter des pièces contemporaines au style plus audacieux. Ainsi, la création de Meurtre dans la cathédrale au théâtre du Vieux-Colombier sous la direction de Jean Vilar avait fait découvrir un dramaturge en la personne du poète T.S. Eliot, et avait été une des productions marquantes de l’immédiat après-guerre399. Cette pièce, qui fait désormais partie du répertoire du T.N.P., est jouée dès décembre 1952 au Palais de Chaillot. Elle est considérée par Harvey Wood, les deux fois où il a été la voir, comme “ sincère et très émouvante ” et “ [...] très bien reçue par le public français ”. En juin 1953 elle est présentée à l’abbaye du Bec-Hellouin. Le théâtre de boulevard puise aussi assez largement parmi les pièces britanniques, choisies et adaptées avec plus ou moins de bonheur. Le rapport du Council mentionne comme exemple La puissance et la gloire de Graham Greene créée au théâtre de l’Oeuvre qui connaît un succès honnête. Ces comptes rendus démontrent que l’intérêt éprouvé à Paris pour le théâtre anglais est très grand400, qu’il soit classique ou de boulevard. Cependant, tout comme dans le cas de la musique, la venue d’artistes britanniques en France manque. L’acteur de théâtre classique le plus connu et le plus apprécié reste Laurence Olivier et, depuis sa dernière visite en France en 1946, il n’y a pas la stimulation que représente pour des acteurs français une confrontation de leur style avec celui des artistes d’outre-Manche. Confrontation qui fut des plus fructueuses en 1946 puisque de solides liens amicaux et professionnels s’étaient noués entre Laurence Olivier et Jean-Louis Barrault. A côté de ces secteurs, il en est d’autres pour lesquels le retrait opéré, plus nettement marqué, ne peut être compensé par un quelconque réaménagement stratégique. Il est soit partiel (diffusion des séries de photos), soit total (films). 2.2 Des secteurs abandonnés Le département photo du Council à Paris dispose pour 1950/51 de cinquante-deux séries produites par le Council et deux cent huit fournies par le COI. Au cours du premier semestre 1950, les séries du Council sont prêtées à un rythme moyen mensuel de soixante-treize, celles du COI de trois cent soixante-cinq. Par rapport à 1949, on enregistre 399 Créée le 15 juin 1945 au théâtre du Vieux-Colombier. La province n’est pas prise en compte dans les rapports, malgré les nombreuses tournées effectuées par les jeunes compagnies issues du mouvement de décentralisation théâtrale qui passent souvent par Paris et y jouent des pièces classiques dont Shakespeare. 400 138 une tendance à la baisse de la demande pour les séries du Council et à la hausse pour celles du COI ; ceci laisse penser que, sur les thèmes les plus demandés, soit la qualité des collections de photos du Council n’est toujours pas satisfaisante, soit le Département Aids and Displays de Londres n’en envoie pas à Paris en quantité suffisante. L’année suivante le bureau de Paris recense cinquante-trois séries du Council et deux cent vingt du COI. L’écart a donc tendance à s’accroître entre les deux types de séries. Une note de Milner à Harvey Wood fait clairement état des difficultés d’approvisionnement en séries de photos ressenties à Paris401. Celles-ci sont imputables aux restrictions budgétaires. Ainsi de 1946 à 1953, le département des services spécialisés et du matériel (Specialist services and material) a vu son budget diminuer de 62,3 % !402. Une réduction du personnel entraîne par la suite une perturbation dans la distribution lorsque sont supprimés les services postaux, pour les clichés du COI en juin et pour ceux du Council en juillet 1950. Cette compression des services affecte très sérieusement le Council qui, par exemple en 1950, ne prête plus que seize séries par mois aux usagers qui viennent les chercher (diminution de 78 %). En revanche, le prêt de clichés du COI se maintient relativement mieux - la baisse est de 28 %403.. Par ailleurs, le service chargé d’obtenir des photos destinées à l’illustration de livres cesse également son activité. De ces mesures résulte une pénalisation des établissements scolaires de province auxquels étaient envoyées les séries thématiques. A partir de 1951 aucun envoi en province n’est plus effectué. Les prêts sont donc limités à la région parisienne, aux professeurs qui viennent chercher eux-mêmes les photos. En 1950 une centaine d’écoles de la région parisienne continuent à présenter des expositions de photos. Les clichés représentant la campagne anglaise sont toujours très appréciés. En revanche, le Council prépare de petites expositions destinées à circuler dans plusieurs villes de province. En effet, à Paris elles ne pourraient guère éveiller d’intérêt que si elles étaient présentées dans des musées. Or à part une exposition de photos aériennes de restes archéologiques tenue au Musée de l’Homme du 9 au 29 avril 1951, aucune autre n’est accueillie par un musée parisien (en raison de leurs dimensions réduites ?). C’est donc éventuellement le British Council qui abrite ces petites expositions lorsqu’il est prévu qu’elles soient offertes aux regards du public parisien. Ainsi en 1952/53 le Council apporte son aide à 401 Milner à Harvey Wood, 1er décembre 1953 - BW 31/44, P.R.O. British Council : Executive Committee, ordre du jour du 14 avril 1953, Appendice C - Allocation of funds by areas and activities 1946 to 1953 - BW 68/11, P.R.O. 403 Est-ce une nouvelle preuve de la qualité des photos du COI ? En 1951/52 dix-huit par mois pour les clichés du British Council, quatre-vingt-dix-huit pour ceux du COI. Les chiffres manquent pour les années ultérieures. 402 139 la Regency Society de Brighton pour faire circuler une exposition sur l’architecture Regency. Alors qu’à Paris (au Council) le nombre de visiteurs est “ très faible ”, l’intérêt suscité en province est très net. A Biarritz les chiffres de fréquentation sont “ raisonnablement bons ”, à Lyon ils sont “ considérables ” (public et spécialistes) et à Falaise “ où l’exposition durait le moins de temps possible, elle ne désemplit pas ”. L’année suivante, photos et documents illustrant les relations entre Elizabeth Ire et Henri IV, à l’occasion du 400e anniversaire de la naissance du roi de France, sont présentés avec succès puis offerts à la ville de Pau. Ils sont également prêtés à France-Grande-Bretagne Toulouse qui organise une Semaine Anglaise. En ce qui concerne le département films de Paris, son activité déjà altérée lors de la suppression du poste de Film Officer en août, prend fin en septembre 1950, date à laquelle le service d’information de l’ambassade interrompt la distribution des films du British Council. En octobre 1951, United World Films, de la firme Rank, est changé en Educafilms et reprend cette distribution pour la France, en déchargeant complètement le Council. Cette solution permet de se passer d’un Film Officer ; aucune nomination n’est envisagée à ce poste. Cependant, le Council ne peut de la sorte établir de liens avec les cinéclubs. * Le réajustement brutal opéré à partir de 1950 interrompt une période d’expansion poursuivie avec constance depuis 1944. Cependant, les nuances qui caractérisent la baisse des activités dans chaque secteur ne signifient pas que s’est produit un rétrécissement de l’aire d’influence géographique du Council en France. Bien au contraire, dans des domaines tels que les conférences ou la musique, les relais, assurés en partie par les associations culturelles et les sociétés anglophiles, permettent au Council d’atteindre des lieux et des publics auparavant laissés en dehors de son champ d’action. Cependant, en général, la fermeture des centres régionaux oblige le Council à replier ses activités sur Paris, qui devient le lieu principal de ses efforts dans des domaines dont ne s’occupent pas ou peu les relais locaux : par exemple les beaux-arts ou les expositions de séries de photos. Par ailleurs, en termes de population atteinte, il est indéniable que le Council privilégie ses liens avec les intermédiaires culturels au sens large - professionnels, 140 associations à caractère culturel, enseignants -, et les jeunes étudiants et écoliers ; même parfois au détriment d’une action visant le grand public. Enfin, l’existence d’une convention culturelle a des effets positifs, mais limités, sur l’organisation des activités. Les recommandations ne sont pas des obligations, et leur réalisation dépend du budget disponible. Ainsi la partie du programme proposée par le Council se ressent de sa situation financière. Il reste que les membres des instances dirigeantes du Council siégant à la commission mixte peuvent négocier de meilleures conditions d’échange ou travailler à la mise en rapport direct d’institutions françaises et anglaises. Le bureau de Paris est alors essentiellement un centre d’informations et un intermédiaire. 141 CHAPITRE 20 L’INSTITUT BRITANNIQUE : LES RÉAJUSTEMENTS D’UNE GESTION APAISÉE Le départ de Hugh Sellon de la direction de l’Institut britannique et son remplacement par Austin Gill marquent une nouvelle étape dans l’histoire de l’organisme franco-britannique. En effet, malgré des réussites dans le domaine éducatif, la gestion de l’ère Sellon se trouvait empoisonnée et contrainte par de mauvaises relations entre l’Institut et ses autorités de tutelle britanniques. Les archives de la période 1947 - 1948 apportent d’ailleurs un éclairage presque quasi-exclusivement concentré sur les coulisses politiques de la vie de l’Institut, au détriment parfois d’informations substantielles sur ses activités. En revanche, les archives de la période 1949 – 1953 ne sont pas toutes accessibles, et seul le fonds de l’Institut permet de brosser le tableau d’une institution placée face à une nécessaire réorganisation de ses moyens. Gill parvient ainsi à réorienter l’Institut grâce au soutien de l’ambassade et du British Council, avec lesquels il a établi des relations de travail fructueuses. Gill bénéficie alors de conditions institutionnelles relativement favorables pour affronter une situation financière particulièrement précaire et reprendre en mains le fonctionnement de l’Institut, de façon à lui faire trouver, au sein du dispositif de diffusion de la culture britannique en France, des points d’équilibre qui lui avaient jusque-là fait défaut, et le mettre en mesure de poursuivre son expansion. 142 1.- TROUVER DES POINTS D’ÉQUILIBRE AU SEIN DU DISPOSITIF DE PROMOTION CULTURELLE L’Institut britannique est de fait une pièce essentielle de cette organisation de diffusion de la culture britannique en France. Mais, en raison des réticences de Hugh Sellon, il n’y a pas réellement trouvé sa place. Gill tente donc de renouer avec les autres éléments qui la composent. En un temps de restrictions budgétaires, une coopération entre les pièces du dispositif s’impose comme indispensable afin de poursuivre avec davantage d’efficacité la mission de projection culturelle qui leur est dévolue. 1.1 De meilleures relations avec l’ambassade et le British Council Proposé par le Comité de liaison pour remplacer Hugh Sellon, le nom d’Austin Gill fait l’unanimité parmi les membres des organes de gestion de l’Institut404. Aussi est-il nommé en conseil d’administration, le 12 juin 1950, pour cinq ans renouvelables405. Ce choix est judicieux à plus d’un titre. Gill possède en effet une double qualification qui en fait un bon candidat pour le poste : une envergure scientifique et une stature de professionnel des relations culturelles. L’autorité scientifique est une condition sine qua non pour occuper le poste de directeur de l’Institut, particulièrement aux yeux des universitaires français. Il était estimé que Sellon en manquait, ce qui lui fut reproché par les professeurs de la Sorbonne siégeant au conseil d’administration de l’Institut. Le premier candidat envisagé était le professeur Bonamy Dobree, qui enseignait la littérature anglaise à l’université de Leeds, et qui avait déjà fait des séjours en France dans le cadre d’échanges universitaires organisés par le Council (fin 1947 et début 1949). Mais celui-ci refusa406.. Austin Gill fut maître de conférences au département de français de l’université d’Edimbourg et fellow de Magdalen College (Oxford) ; il se trouvait ainsi qualifié pour diriger l’Institut. Il combinait cette compétence scientifique avec une expérience préalable de la France et de connaissance du milieu culturel liée à son passage à la tête du bureau parisien du British Council au lendemain de la guerre. Il avait, à cette occasion, démontré des capacités de gestionnaire et 404 Comité exécutif, 31 mai 1950. - Boîte 13, Archives du B.I.P. Comité d’administration, 12 juin 1950. - Ibid. 406 Ifor Evans à Miss Harris, 6 avril 1950. - Boîte 2, dossier 2, Archives du B.I.P. 405 143 d’organisateur. Enfin, il était conscient de l’importance stratégique attachée au développement de l’Institut407. De fait, sa nomination s’accompagne de l’instauration de relations cordiales avec l’ambassade du Royaume-Uni et le British Council. Les archives de l’Institut britannique font état de cet assouplissement des relations408. De même avec l’université de Paris, le Council ou la DGRC, les contacts sont empreints de bienveillance409. L’Institut entretient par ailleurs des liens de coopération fonctionnelle avec le Council ou la DGRC. Ainsi, les acquisitions de la bibliothèque de l’Institut sont axées sur la préparation des concours de la Sorbonne et des concours d’Etat, afin d’éviter d’inutiles doubles-emplois avec la bibliothèque du Council. Des invitations de conférenciers britanniques, en coopération avec le Council, sont également envisagées410. Le Council, comme la DGRC, travaille également avec l’Institut afin de présenter de petites expositions tenues dans le club411. D’une façon générale, et un peu dans la manière dont il rédigeait son rapport d’activités lorsqu’il était employé par le Council, Austin Gill fait état de coopérations extérieures variées, mentionnant, outre ses relations avec les autorités françaises ou britanniques, les activités des professeurs de l’Institut pour d’autres établissements, témoignant ainsi d’une ouverture de l’Institut vers l’extérieur qui n’était jamais évoquée par Sellon. Toutes ces réalisations ne peuvent que concourir à la réputation de l’Institut et in fine aboutir éventuellement à un accroissement du nombre d’étudiants inscrits. Ainsi, par l’intermédiaire de son réseau de relations et en vertu d’une méthode de communication qui a fait ses preuves auparavant, Gill cherche à se concilier les autorités et à élargir le rayon d’action de l’Institut. Celui-ci combine une dimension proprement éducative avec une coloration plus “ propagandiste ” (au sens neutre) acquise sous l’ère Gill. C’est donc en bénéficiant d’un soutien institutionnel que Gill peut rechercher des solutions permettant de remédier au déséquilibre des sections. 407 Le rapport du directeur pour 1949 / 1950 fait état à propos de Gill de “ son carnet d’adresses - dans les milieux culturel et officiel - concernant les relations franco-britanniques ” (His connections generally with Franco-British affairs - cultural and official). - Boîte 4, Archives du B.I.P. 408 Conseil d’administration, 18 juin 1951. - Dossier 1947-1964, Archives du B.I.P. 409 Comité exécutif, 24 février 1953. - Ibid. 410 Comité consultatif commun, 29 mars 1952. - Boîte 13, Archives du B.I.P. 411 Comité exécutif, 29 avril 1954. - Boîte 4, Archives du B.I.P. 144 1.2 Poursuivre la croissance de l’Institut en corrigeant le déséquilibre des sections La prédominance du nombre d’inscrits en section d’anglais constatée depuis les années d’après-guerre se confirme et s’accentue. Ce constat est aisé à faire dans ses grandes lignes, mais le détail chiffré comporte des imprécisions qui invitent à n’approfondir l’analyse qu’avec prudence. En effet, nous disposons de tableaux de l’Institut britannique mais d’aucun récapitulatif, et les chiffres qui y sont consignés ont pu être établis selon une clé de calcul qui ne nous est pas connue (voir notes attachées à ce tableau). Les chiffres présentés ci-dessous forment une synthèse établie à partir de tableaux complémentaires, mais doivent être pris en considération davantage pour les tendances qu’ils marquent que pour l’exactitude des quantités qu’ils donnent. ANNEES Section de français Cours sur place Cours par Cours sur place correspondance 189 1254 1949 / 1950 1950 Section d’anglais / Cours par correspondance 1175 233 - 1476 1276 1951 / 1952 274 33 2671 2184 1952 / 1953 380 28 2610 2651 281 30 2893 3416 1951412 1953 / 1954413 L’écrasante domination de l’anglais dans l’enseignement dispensé par l’Institut britannique se lit dans le pourcentage d’étudiants inscrits en section d’anglais par 412 Les chiffres des années 1949 / 1950 et 1950 / 1951 sont tirés de L’Institut britannique de l’université de Paris (The British Institute in Paris), publié par l’Institut britannique à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa Fondation, 1952, p. 32. 413 Les chiffres des années 1951 / 1952 et 1952 / 1953 sont extraits du rapport d’inspection Collins : Report of an inspection held on jamuary 11 – 15 1954 by Herbert F. Collins (CMG, MA) formerly HM Staff inspector for modern languages, Minister of Education. Ils ont été complétés et mis à jour pour l’année 1953 / 1954 par un second rapport d’inspection : le Rapport de M. Charles Bruneau à la suite d’une inspection faite au cours du mois de mai 1955, annexé au compte rendu du Conseil d’administration du 20 juin 1955. – Boîte 4, Archives du B.I.P. Le tableau de 1955 propose des totaux qui n’équivalent pas à la simple addition des chiffres concernés. C’est pourquoi ils n’ont pas été reportés ci-dessus. L’absence de commentaire écrit ne permet pas de comprendre à quoi correspondent les écarts observés. 145 rapport au nombre total d’inscrits calculable à partir de ce tableau : 92 % en 1949 et 95 % en 1954414. Elle se situe dans le prolongement de la tendance déjà observée pour la période 1947 – 1949. Cependant, il faut noter, par rapport à ces années antérieures, un tassement du nombre d’étudiants de la section d’anglais (2 429 en 1949 / 1950, pour 2 610 en 1948 / 1949). Pour le nombre d’inscrits en section de français, se produit en revanche une chute, avec un passage de 628 à 189 étudiants. Cette brusque diminution s’explique par la dévaluation de la livre, survenue en 1949, qui crée des conditions difficiles pour les Britanniques qui souhaitent se rendre sur le continent et en dissuade la plupart de poursuivre des études en France. A cette date, 621 Britanniques sont inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur français415. Par un raisonnement identique à celui suivi au chapitre 2, on peut suggérer qu’environ un tiers d’entre eux au plus sont inscrits à l’Institut. Par la suite, le recul apparent de l’étude du français est dû en fait au rythme d’augmentation du nombre d’élèves en section d’anglais, bien supérieur à celui du nombre d’étudiants en français. Sur la période 1949 – 1954, le nombre d’élèves de la section d’anglais augmente de 160 %, alors que le taux d’accroissement pour la section de français est de 65 %. Ces chiffres ne sont pas surprenants ; la fréquentation de l’Institut est majoritairement le fait de Français qui désirent apprendre l’anglais. Toutefois, le public originellement visé par la restauration de la section de français se réduit considérablement à partir de 1952. Austin Gill prévoit en 1951 la nécessité de réorganiser la section de français jusque-là principalement occupée par la mise en place de cours pour les vétérans américains, qui, dès 1952, commencent à retourner aux Etats-Unis pour être envoyés en Corée. Outre cette cause majeure, Gill attribue également la diminution de fréquentation des cours de la section de français à la baisse du nombre d’étudiants libres britanniques inscrits, et à celle du nombre de professeurs envoyés par le ministère de l’Education nationale416. Par ailleurs, il estime que l’organisation de cours de vacances “ concurrents ”, sous la houlette de Miss Williams, patronnés par la DGRC, l’Education nationale, l’Alliance française et l’Office du tourisme universitaire (OTU), porte préjudice à la notoriété des cours de l’Institut417. Aussi l’Institut doit-il trouver de nouveaux publics pour consolider l’existence de sa section de français. Gill suggère, en compensation de ce mouvement, de faire 414 Il est à noter que les cours de vacances organisés dans le cadre de la section de français ne sont pas pris en compte dans ces chiffres ; toutefois le nombre d’étudiants concernés par ces cours ne renverse pas la tendance générale. 415 Annuaire statistique de la France, vol. 61, tableau XIV, p. 48. 416 Comité consultatif commun, 13 février 1954. – Boîte 16, Archives du B.I.P. 417 Comité consultatif commun, 29 mai 1952. – Boîte 13, Archives du B.I.P. 146 porter l’effort sur les cours de vacances et la préparation de cours spécifiquement destinés aux étudiants des universités britanniques. Pour marquer l’importance de ces orientations dans sa politique générale, il confie dès 1951 à Monsieur Truffert la gestion de la section de français et la mise en œuvre de son évolution stratégique418.. En outre, il charge le professeur Desseignet des cours de vacances et du suivi des relations avec les universités d’outreManche419. Ainsi en 1952, une série de cours de vacances est organisée en septembre, en plus des cours de Pâques et de juillet. Dès 1952, l’Institut cherche à promouvoir des cours visant des publics d’origine anglo-saxonne : des cours d’initiation destinés aux assistants d’anglais nommés dans des collèges français420, et en 1953, des cours du soir pour les ressortissants britanniques travaillant à Paris421. Ces initiatives n’apportent toutefois pas les résultats escomptés422. En complément des chiffres généraux sur la fréquentation des cours de l’Institut britannique, nous disposons pour les années 1952 / 1953 et 1953 / 1954 d’un tableau distinguant, pour la section d’anglais, les étudiants issus de la Sorbonne des “ autres étudiants ”423. Nous ne possédons pas beaucoup de détails sur la composition de ces chiffres, toutefois, et avec les réserves déjà énoncées sur la rigoureuse exactitude des chiffres, en voici les proportions424 : Section d’anglais : ANNEES Etudiants de la Sorbonne Cours sur place Cours par correspondance 1952 / 1953 553 2129 418 TOTAL Autres étudiants TOTAL 2682 Cours sur place Cours par correspondance 2057 522 2579 Rapport du directeur au Conseil d’administration du 18 juin 1951. – Ibid. Ibid. 420 L’Institut britannique de l’université de Paris (The British Institute in Paris), publié par l’Institut britannique à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa Fondation, 1952, p. 33 – 34. 421 Comité exécutif, 24 février 1953. – Boîte 4, Archives du B.I.P. 422 Ainsi au conseil d’administration du 20 juin 1955, il est constaté que les déséquilibres entre sections demeurent. - Dossier 1947-1964, Archives du B.I.P. 423 Ces “ autres étudiants ” ne sont pas définis. Sont-ils inscrits à l’Institut britannique en complément de cours qu’ils suivent dans d’autres universités ? Sont-ils seulement inscrits à l’Institut britannique ? 424 De même que pour le tableau précédent, les chiffres de l’année 1952 / 1953 sont extraits du rapport d’inspection Collins : Report of an inspection held on jamuary 11 – 15 1954 by Herbert F. Collins (CMG, MA) formerly HM Staff inspector for modern languages, Minister of Education. Ils ont été complétés et mis à jour pour l’année 1953 / 1954 par un second rapport d’inspection : le Rapport de M. Charles Bruneau à la suite d’une inspection faite au cours du mois de mai 1955, annexé au compte rendu du Conseil d’administration du 20 juin 1955. – Boîte 4, Archives du B.I.P. 419 147 1953 / 1954 639 2619 3258 2254 797 Les étudiants de la Sorbonne sont majoritaires parmi les inscrits, mais globalement leur nombre s’équilibre avec celui des autres étudiants. On observe une prédominance chez les étudiants de la Sorbonne des cours pris par correspondance (80 %), alors que la tendance inverse caractérise les autres étudiants (cours suivis par correspondance à 20 % et 25 %). Pour les inscrits à la Sorbonne, les cours de l’Institut ont vraisemblablement conservé leur fonction complémentaire originelle. Toutefois, si l’on en juge par le faible nombre d’élèves qui suivent les cours sur place, l’intérêt des cours de l’Institut ne réside plus essentiellement dans une possibilité de pratiquer la langue anglaise, ce qui était leur principal objectif lors de la création de l’Institut. Les autres étudiants suivent en grande majorité les cours sur place, ce qui fait conclure à un rayonnement quasi-exclusivement parisien pour l’Institut, que ces étudiants poursuivent des études à Paris ou qu’ils aient quitté la province pour suivre les cours de cet organisme. Et il n’est pas certain que parmi les autres étudiants suivant les cours par correspondance, il n’y ait pas de Parisiens. L’Institut souffre donc d’un défaut de notoriété en province, puisque les possibilités des cours par correspondance y semblent très peu exploitées. La commission mixte de la convention culturelle ne semble pas se pencher sur ces déséquilibres ; aucun passage des comptes rendus ne s’y rapporte si ce n’est sous l’angle financier. En effet, la faiblesse de la section de français revient à amoindrir les ressources financières de l’Institut, alors que celles-ci, principalement composées des droits d’inscription, accusent une nette insuffisance de diversification. Cette caractéristique participe plus largement d’une fragilité des moyens dont dispose l’Institut pour se développer. 2.- RATIONALISER ET CONSOLIDER DES MOYENS D’ACTION FRAGILES Lors de son départ, Hugh Sellon laisse un compte financier en relatif mais très précaire équilibre, en raison du déséquilibre de la fréquentation des sections aggravé par l’insuffisante diversité des sources financières de l’Institut. Par ailleurs, l’exiguïté des locaux et la qualité du personnel enseignant restent des obstacles à la pleine exploitation des potentialités que recèle l’Institut en matière de projection culturelle. 3051 148 2.1 Une insuffisante diversité des sources financières La croissance de l’Institut repose presque toute entière sur la définition d’une offre suffisamment diversifiée pour attirer un public plus nombreux et de motivations diverses. En effet, la principale source de financement des activités de l’Institut est à 92 % les recettes de droits d’inscription. Les subventions du British Council et des universités britanniques ne représentent qu’un appoint. Le budget de l’Institut n’a aucune élasticité ; il est sensible aux variations de fréquentation. Cette situation n’est à proprement parler nouvelle que par son acuité. Si, après la guerre, le budget de l’Institut ne marquait pas un tel déséquilibre des recettes, les droits d’inscription ont prédominé parmi les sources de financement. Toutefois, les “ commandes officielles ” (organisation de cours à la demande des ministères de l’Education britannique et français et de l’ambassade des Etats-Unis) ont permis de diversifier un peu les apports budgétaires. Lorsque le ministère français diminue sa participation pour subventionner des cours offerts sous son propre patronage et que les militaires américains quittent la France (voir supra), il résulte un repli des contributions sur les organismes britanniques qui ne versent pas suffisamment par rapport aux besoins estimés par l’Institut pour poursuivre son expansion. Au moment de son départ, Hugh Sellon laisse un bilan financier un peu désordonné (une réorganisation des comptes est en cours) mais relativement sain425. Les difficultés financières ont jusqu’ici été réduites par une vente de capital - 9 000 £ pour couvrir les déficits des années 1945 - 1948 -, ce qui explique un équilibre budgétaire précaire mais réel en 1948 / 1949426. Toutefois des dépenses importantes concernant des réparations et des réajustements de salaires (voir infra) ont fait l’objet d’un report jusqu’à ce qu’il devienne urgent d’y procéder : l’équilibre financier est donc très fragile, ce que Sellon signale dans son ultime rapport427. La situation des années suivantes confirme cette fragilité. Ainsi dès 1950 / 1951, l’excédent de recettes disparaît en raison de l’exécution de certaines réparations, d’une augmentation des charges salariales (rattrapages et coût des assurances sociales) et de la croissance du prix des fournitures428. L’année suivante, les dépenses sont juste couvertes par 425 Comité exécutif du 31 mai 1950. - Boîte 13, Archives du B.I.P. Rapport du directeur pour l’année 1949 / 1950. - Boîte 4, Archives du B.I.P. 427 Ibid. 428 Rapport du directeur au Conseil d’administration du 18 juin 1951. - Boîte 13, Archives du B.I.P. 426 149 l’excédent dégagé, mais le capital vendu auparavant ne peut être reconstitué rapidement. Après Sellon, Gill souligne rapport après rapport les problèmes latents liés à cette situation financière instable. Et il en vient à envisager une réduction des activités dans un futur proche, si un appel à fonds ne donne pas un peu de répit à l’Institut. En effet, face à ces difficultés, les organismes britanniques traditionnellement bailleurs de fonds ne peuvent, par leurs versements, assouplir la tension budgétaire de l’Institut. Le British Council, dont la participation financière s’était réduite du temps de Sellon à 1 000 £, trouve rapidement les limites des efforts qu’il est en mesure de faire pour consolider les finances de l’Institut. Certes, le désaccord fondamental du Council avec les orientations et la personnalité de Sellon, qui justifiait la réduction d’une subvention dont l’utilisation était contestée par le Council, n’a plus cours depuis l’arrivée de Gill. Toutefois subsiste le second facteur rendant compte du retrait financier du Council : la réorganisation de ses activités dans le monde. A partir du début des années 1950, la situation internationale et les priorités assignées au Council (consolidation des relations avec les pays décolonisés ou engagés dans un processus de décolonisation) font perdre à l’Europe de l’Ouest le statut prioritaire que lui avait valu sa position à la limite du Rideau de fer qui venait d’être abaissé. Aussi, dans ce contexte, et par rapport aux priorités fixées à un bureau français qui voit par répercussion sa dotation diminuer, les vicissitudes de l’Institut suscitent-elles objectivement un intérêt relatif. La subvention du Council se maintient donc à 1 000 £. Cette faible contribution n’est pas compensée par celle des universités britanniques, dont les efforts sont néanmoins patents. En 1951 / 1952, les universités versent 1 190 £429 à l’Institut, et l’année suivante 1 300 £430. Outre ces sources financières, le capital de l’Institut reste disponible, ainsi que les dons. C’est ainsi que le don Esmond, originellement réservé au financement de bourses, est également utilisé pour mener une opération d’achat de locaux en 1953431. Ce type d’usage des dons est toutefois exceptionnel, et n’intervient qu’en cas de nécessité absolue avec l’accord des exécuteurs testamentaires. On peut observer qu’en matière de soutien financier à des initiatives de projection culturelle, ces bailleurs de fonds très actifs dans l’entre-deux-guerres que représentaient les firmes britanniques installées en France - en 429 L’Institut britannique de l’université de Paris (The British Institute in Paris), publié par l’Institut britannique à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa Fondation, 1952, p. 34. 430 Report of an inspection held on january 11 – 15 1954 by Herbert F. Collins (CMG, MA) formerly HM Staff inspector for modern languages, Minister of Education. - Boîte 4, Archives du B.I.P. 431 Comité consultatif commun, 23 février 1953. - Boîte 16, Archives du B.I.P. 150 particulier par l’intermédiaire de la Chambre de commerce britannique - n’est pas évoquée avant 1955432, ce qui peut paraître surprenant car la Chambre de commerce britannique est membre de droit du conseil d’administration de l’Institut britannique (article 11 des statuts), et à ce titre aurait pu apporter une aide financière plus tôt. Austin Gill doit donc s’efforcer de tracer les grandes lignes d’une réorientation stratégique pour l’Institut britannique, afin de diversifier son activité et d’atténuer le déséquilibre des sections qui met constamment en péril une stabilité financière bien précaire. La réussite de ses efforts pour le développement de l’établissement dont il a la charge est également conditionnée par la qualité de l’accueil et des cours qui sont dispensés. 2.2 Des locaux agrandis et un personnel enseignant de qualité L’exiguïté des locaux et la qualification du personnel enseignant sont, dans des registres différents, des questions qui ont atteint une certaine acuité lorsque Gill prend ses fonctions. En premier lieu, le dernier rapport Sellon fait état d’une tension croissante entre la surface disponible pour organiser des cours et le nombre d’étudiants en constante augmentation, avec la nécessité concomitante de dédoubler certains cours de la section d’anglais433. En second lieu, les débats suscités autour de la personnalité de Sellon ont mis en lumière les inquiétudes des professeurs de la Sorbonne concernant ce qu’ils estiment être l’insuffisance des qualifications de certains membres du corps enseignant de l’Institut (voir partie précédente). Les possibilités de croissance de l’Institut se trouvent ainsi limitées par ces insuffisances. La recherche de superficie supplémentaire s’avère aisée : en effet l’université de Paris administre pour son compte un bâtiment de six étages situé au 6 rue de la Sorbonne, dont le rez-de-chaussée est à cette date loué aux librairies Didier et Hermann. Ces espaces doivent donc être récupérés par l’université434. La décision est prise en 1950, mais ne peut être effective immédiatement. En 1952 les loyers de Didier et Hermann sont 432 Conseil d’administration, 20 juin 1955. - Dossier 1947-1963, Archives du B.I.P. L’Institut a perdu son annexe de la rue des Ecoles, ce qui fait que par rapport à l’avant-guerre, le nombre d’étudiants a plus que doublé pendant que la capacité d’accueil de l’Institut se trouvait réduite de moitié. Rapport du directeur pour 1949 / 1950. - Boîte 4, Archives du B.I.P. 434 Comité exécutif, 31 mai 1950. - Boîte 13, Archives du B.I.P. 433 151 considérablement augmentés435 afin de financer les futurs travaux. Toutefois, alors que dans un premier temps il était question de ne pas renouveler les baux des libraires, on s’achemine finalement vers une solution qui permettrait de procéder à une extension des locaux sans préjudice pour les commerces. Le comité de liaison approuve en 1953 la reprise de l’immeuble pour en faire des salles de cours et l’aménagement du sous-sol pour le transformer en club. Cette dernière opération suppose la construction d’un escalier d’accès au sous-sol en prenant un peu d’espace sur la boutique d’Hermann, et d’une sortie de secours dont l’issue serait située sous la vitrine de Didier436. Le financement serait assuré en partie par le legs Esmond (500 000 F), mais le coût des travaux, estimé à plus de sept millions de francs, suppose des apports complémentaires. Comme il est justifié pour des travaux concernant des bâtiments appartenant à l’Université, le ministère de l’Education nationale prend à sa charge sept millions et demi de francs, et, puisqu’il s’agit d’agrandir une institution à vocation franco-britannique, une aide du gouvernement britannique est requise437. Mais devant les résistances de Hermann, le projet est abandonné et le cinquième étage de l’immeuble, à l’origine prévu pour faire des salles de cours supplémentaires, est attribué au club. L’organisation finale de l’Institut rue de la Sorbonne est la suivante : ETAGE FONCTION 6e étage Bibliothèque 5e étage Club 3e étage / 4e étage Salle des professeurs Salles de classe 2e étage Comptabilité Salles de classe, auditorium 1er étage Administration Rez-de-chaussée Librairies Didier et Hermann Entrée de l’Institut britannique 435 Les loyers passent respectivement pour Didier et Hermann de 12 000 F à 150 000 F, et de 5 000 à 135 000 F par an. Comité consultatif commun, 29 mars 1952. - Ibid. 436 Comité de liaison, 23 février 1953. - Boîte 16, Archives du B.I.P. 437 Il est vraisemblable que le coût des travaux est couvert par l’Education nationale, et que la subvention demandée aux Britanniques est d’ordre symbolique. Comité consultatif commun, 13 février 1954. - Ibid. 152 L’inspecteur général Collins estime dans son rapport que d’ores et déjà les étudiants se trouvent à l’étroit, ce qui laisse présager la réapparition à terme du problème des locaux438. Le recrutement du corps professoral reste un sujet sensible. Les difficultés financières que traverse l’Institut ne permettent pas d’offrir un salaire estimé décent à un directeur, or, s’il faut que ce directeur possède de hautes compétences scientifiques, il ne pourra être attiré par les maigres offres de l’Institut. Cette question est abordée par la section britannique de la commission mixte pour l’application de la convention culturelle en 1953. Il est suggéré d’explorer la possibilité éventuelle de rattacher un directeur à une université britannique qui prendrait en charge le versement de son salaire439. Outre le directeur, les professeurs n’ont pas un niveau de salaire comparable à celui des agrégés, ce qui ne favorise pas le recrutement440. Cette note sur les conséquences de la fragilité financière de l’Institut a été rédigée en avril 1953, alors que, depuis son arrivée, Gill a procédé à des réajustements de salaires. En 1951 sont effectuées des augmentations de salaires441. En 1952 les rémunérations des chefs de sections sont mises au même niveau, et les congés payés sont introduits442. Mais malgré les efforts réalisés, il reste encore de la marge pour poursuivre une revalorisation salariale, prévue, mais dont l’application est freinée par l’incertitude des recettes. En particulier, les cotisations pour les retraites ne sont pas encore prises en compte. Dans le même ordre d’idées, les recrutements se font désormais sur des contrats d’un an renouvelables. Dans son rapport sur la section d’anglais, Collins note que seul un contrat porte sur une durée de trois ans. Mais en dépit de ces conditions peu attractives, il souligne la bonne qualité générale de l’enseignement et la compétence des professeurs443. D’une façon générale, Gill cherche à introduire l’Institut dans le système d’enseignement supérieur français, afin de lui faire bénéficier des avantages qui y sont liés, principalement d’ordre financier (subventions et entretien global des locaux). En effet, l’Institut dispose d’un statut de fondation privée, et le rôle de l’université de Paris se situe sur 438 Report of an inspection held on january 11 – 15 1954 by Herbert F. Collins (CMG, MA) formerly HM Staff inspector for modern languages, Minister of Education. - Boîte 4, Archives du B.I.P. 439 Report of the interim meeting of the British Section of the Mixed Commission, 24th April 1953, § 3. Boîte 13, Archives du B.I.P. 440 Note on the financial situation of the British Institute in Paris, Appendix A. - Ibid. Collins note dans son rapport que les salaires à l’Institut sont même inférieurs à ceux de professeurs du secondaire. 441 Rapport du directeur au conseil d’administration du 18 juin 1951. - Ibid. 442 Comité consultatif commun, 29 mars 1952. - Ibid. 443 Report of an inspection held on january 11 – 15 1954 by Herbert F. Collins (CMG, MA) formerly HM Staff inspector for modern languages, Minister of Education. - Boîte 4, Archives du B.I.P. 153 un plan purement scientifique. Une subvention régulière permettrait une expansion sur des bases plus solides. Par ailleurs, pour le personnel, une mise à niveau des rémunérations pourrait alors être envisagée avec davantage de sûreté. Aussi Austin Gill cherche-t-il à faire accorder à l’Institut le statut d’établissement d’enseignement supérieur, qu’il posséda un temps semble-t-il et qui lui fut retiré par le ministère de l’Education444. Il n’apparaît pas que cette initiative ait été couronnée de succès. D’autres problèmes spécifiques se posent. Ils incitent Gill à entreprendre des démarches auprès des administrations françaises, afin de s’approcher le plus près possible de l’assimilation tant recherchée à un établissement d’enseignement supérieur. Ainsi, le personnel de l’Institut est en partie composé de Britanniques, qui rencontrent des difficultés à obtenir facilement une carte de travail, le ministère de l’Education n’autorisant pas formellement l’emploi d’étrangers dans l’enseignement. Le ministère du Travail accepte la garantie du recteur de l’Université, mais il est précisé que cette solution n’est que temporaire. Autre progrès réalisé, il est accordé aux inscrits des classes les plus avancées dans les deux sections un statut d’étudiants pour pouvoir bénéficier des assurances sociales en 1951445. * En 1953, la fragilité financière de l’Institut britannique reste lancinante et interdit tout investissement à long terme qui permettrait de créer des conditions favorables à la poursuite d’une expansion fonctionnelle. Ainsi les ressources financières dont dispose l’Institut ne sont pas susceptibles d’attirer un directeur possédant l’envergure scientifique requise. Dans un autre registre, les travaux d’agrandissement de l’Institut semblent surtout destinés à soulager la pression portant sur des locaux devenus trop exigus pour accueillir les étudiants, mais sont finalement estimés insuffisants dans une perspective à long terme. Dans ce contexte, Austin Gill cherche à développer encore les activités de l’Institut, mais cela s’avère délicat en raison de la tension et de la fragilité du support logistique dont il a la maîtrise. 444 Rapport du directeur sur la situation de l’Institut britannique au début de l’année scolaire 1950 / 1951. – Boîte 13, Archives du B.I.P. 445 Raport du directeur janvier – avril 1951. – Boîte 4, Archives du B.I.P. 154 En revanche, les conditions d’expansion sont plus aisées dans le domaine de la coopération franco-britannique audiovisuelle ; les travaux communs portent leurs fruits. 155 CHAPITRE 21 B.B.C. ET R.T.F. : LE TEMPS DES RÉALISATIONS En pleine Guerre froide, la B.B.C. poursuit son œuvre d’information et d’expression de l’opinion britannique sur l’actualité internationale. Le Service Français reflète globalement cette orientation, mais s’efforce également de diversifier l’offre de programmes proposés, afin de traduire l’importance du lien franco-britannique en une période de divergences politiques entre les deux pays (par exemple au sujet de la Communauté européenne de défense). En accompagnement doit s’effectuer un travail en profondeur, et, afin de faire comprendre les positions britanniques, apparaît plus explicitement l’objectif d’une projection culturelle qui doit déjouer les pièges de la superficialité. Les années 1949 - 1953 sont également marquées par l’épanouissement de la coopération franco-britannique dans les domaines radiophonique et télévisuel, dont l’apogée est la retransmission du couronnement d’Elizabeth II en 1953, à la fois événement culturel et prouesse technique ouvrant la voie à la constitution du réseau Eurovision. Au cours de cette période, la B.B.C. joue pleinement sur le registre de l’ambivalence, affirmant plus nettement son rôle dans la promotion de la culture britannique, sans pour autant négliger son rôle propagandiste ; ce qui fait apparaître les réalisations francobritanniques comme un succès à mettre au crédit du dispositif d’échanges officialisé par la convention culturelle de 1948. 156 1.- LA RADIO : UN OBJECTIF DE PROJECTION CULTURELLE PLUS AFFIRMÉ Comme tous les organismes culturels britanniques, les services extérieurs de la B.B.C. sont soumis à des réductions budgétaires conséquentes446 qui conduisent à l’établissement de priorités concernant leurs différentes missions, en préalable à une réduction de leurs activités. Ainsi, le bureau parisien se concentre désormais essentiellement sur la réalisation de programmes destinés à promouvoir les relations culturelles franco-britanniques, alors que les grilles du Service Français cherchent à concilier un temps d’antenne de plus en plus réduit avec une offre d’informations et de détente de qualité continue. . 1.1 Une promotion accrue de la coopération culturelle franco-britannique en province La préparation des émissions s’avère problématique jusqu’à ce que la B.B.C. dispose d’un studio aménagé dans un ensemble de bureaux loués rue Hoche447.. Cependant, à partir de 1949 le budget programmes du Service Français, jusque-là épargné en termes absolus (mais non en termes relatifs, voir chapitre 16), est à son tour touché par les compressions budgétaires. De 700 £ par semaine en 1948/49, il passe à 550 £ pour 1949/50448 et s’y maintient à peine en 1950/51. James Monahan obtient pour 1949 une modulation des sommes allouées en fonction des baisses (l’été) et des surcroîts (l’hiver) d’activité, toujours en conservant la moyenne de 550 £ par semaine. Le budget se monte ainsi à 550 £ par semaine d’avril à juin, 400 £ de juillet à septembre, 625 £ d’octobre à mars449. Qui plus est, le Service Français enregistre un déficit dont la réduction nécessite l’octroi de 500 £ supplémentaires, refusées450. Ce découpage est réajusté et affiné en 1950 avec la répartition suivante : 540 £ d’avril à juin, 440 £ de juillet à septembre, 590 £ d’octobre à décembre451. Ensuite nous ne disposons plus de chiffres après décembre 1950. En outre, Cecilia Reeves estime qu’elle ne dispose ni de locaux, ni d’un personnel quantitativement suffisants452. Sa demande 446 Voir annexe n°10. Paris Report, juillet-septembre 1950. - Ibid. 448 E.Eur.S. à DDOS, 28 juillet 1948. - R20/65/2, W.A.C. 449 Monahan à Lean, 1948. - Ibid. 450 Lean à DOS, 22 décembre 1948. - Ibid. 451 Note [s.d., postérieure à mai 1950]. - Ibid. 452 [C. Reeves] à Richard [Marriott], 23 juin 1949. - E1/711/2, W.A.C. 447 157 d’affectations supplémentaires n’est pas satisfaite. La mise à disposition du bureau parisien d’un ingénieur de la R.D.F. en 1950 vient quelque peu soulager cette tension de personnel453. De nouvelles coupures budgétaires interviennent en 1952. Elles touchent particulièrement - de manière jugée excessive par Cecilia Reeves - la ligne dédiée au paiement du loyer des bureaux et du studio et le poste visiteurs454, alors que le nombre de programmes réalisés à Paris, donc le nombre de techniciens à accueillir, est en augmentation455, résultat du développement de la coopération franco-britannique. En application des économies budgétaires, le bureau de la B.B.C. à Paris voit ses missions réduites à son activité essentielle : la confection de programmes radiophoniques pour le service456.. De plus, en maintenant un effectif réduit, le Conseil de gestion cherche à réaliser des économies sur les productions britanniques en favorisant les retransmissions directes d’émissions depuis la France ou la réalisation de programmes par les Français457. Néanmoins les tâches incombant au bureau parisien sont fort lourdes : maintenir les relations avec la R.D.F. afin de préparer le relais de leurs programmes vers la GrandeBretagne, organiser le séjour en France de personnels britanniques envoyés pour réaliser des émissions (sur le plan professionnel). Londres prend à sa charge les aménagements annexes à la préparation des émissions : publicité, contrats avec les participants, gestion des droits d’auteur, organisation des déplacements des personnels en France sur le plan pratique458. On peut s’étonner de constater que cette redéfinition ne semble tenir aucun compte du cadre officiel des relations culturelles franco-britanniques dans lequel elle est aussi appelée à opérer. La B.B.C. est représentée dans la commission mixte chargée de l’application de la convention culturelle signée en 1948, qui évoque très régulièrement les questions de radiodiffusion. Cette configuration confère des obligations de réciprocité et de mise en œuvre d’un programme ayant reçu l’aval de la commission. On considèrera donc que les programmes de projection culturelle proposés par la B.B.C. entrent implicitement dans ce dispositif. 453 Board of Managment, réunion du 4 septembre 1950. - R2/3, W.A.C. Visit to London, 3-10 juin 1952. - E1/711/3, W.A.C. 455 84 programmes sur la période janvier-mars, 104 pour avril-juin 1952. Paris Report, avril-juin 1952. - Ibid. 456 Visit to London, 7-16 novembre 1949. - E1/711/2, W.A.C. 457 Board of Managment, réunion du 17 octobre 1949. - R2/2, W.A.C. Décision confirmée lors de la réunion du 17 juillet 1950. - R2/3, W.A.C. 458 Waterfield à Miss Burton : note de Marriott du 2 décembre 1949. - Ibid. 454 158 Dans ce contexte difficile de budgets globalement tendus, sont principalement arrangés deux types de programmes : les chroniques et programmes pour le Service Français et les liaisons locales de part et d’autre de la Manche. Les programmes du Service Français sont en grande partie composés de causeries thématiques (“ chroniques ”), qui sont le type même d’émissions enregistrées dans les studios parisiens. Lorsque ce ne sont pas les collaborateurs réguliers de la B.B.C. qui présentent seuls un sujet (chronique économique ou agricole), des personnalités sont invitées. Dans ce cadre sont intervenus par exemple l’écrivain Pierre Emmanuel (sur Yeats), le musicien Ivry Gitlis, l’historien Johan Huizinga (sur l’Europe et l’Afrique), les comédiensfrançais Renée Faure et Julien Bertheau. Les rencontres sportives sont également suivies et commentées : football, rugby, athlétisme, jeux olympiques (1952). S’y ajoutent quelques reportages : l’inauguration du mémorial Haig à Montreuil-sur-Mer (1950), la couverture de l’internationale socialiste de 1953, la visite du président Auriol à Londres (1950, commentaires mixtes). Enfin, se développe l’organisation commune d’émissions (variétés en 1949, enregistrement de conversations Paris-Londres)459. Outre ces programmes que l’on peut considérer comme “ classiques ” du Service Français, sont créés des programmes franco-britanniques. Ainsi des compétitions ludiques entre lycées de part et d’autre de la Manche sont adaptées, pour le Service Français, d’un programme britannique460. Ces jeux ne sont pas diffusés régulièrement, l’écoute n’est pas très élevée, et l’émission n’est plus mentionnée après 1951. On peut également citer l’émission Des deux côtés de la Manche.. Plus réussie et originale, est la formule du programme mettant en scène Français et Britanniques échangeant leurs points de vue sur un thème d’actualité donné à partir de questions posées par le public. Un test est effectué à Strasbourg au cours du second trimestre 1949, mettant en présence un professeur anglais (Dennis Brogan), un professeur français, une ménagère et un homme d’affaires. Les questions portent sur les affaires intérieures et étrangères britanniques. Cecilia Reeves fait état d’un “ public [de 400 personnes] dynamique et intéressé [...] Lorsque l’enregistrement a été terminé, il est resté une demi heure de plus à poser des questions intelligentes qui dénotaient une bonne connaissance des sujets abordés et a finalement dû être renvoyé avant que l’équipe ne soit complètement épuisée. ” Le concept de Tribune franco-britannique est né, et semble un bon moyen pour 459 460 Voir les rapports des dossiers E1/711/2, E1/711/3, E1/711/4, W.A.C. Paris Report, avril-juin 1949. - E1/711/2, W.A.C. 159 mieux faire connaître la Grande-Bretagne en France461. Cette variation des émissions de type Six autour d’un micro, très appréciées par les auditeurs de la B.B.C., permet des échanges avec la salle, peut être enregistrée en province, ce qui élargit considérablement sa popularité potentielle, et peut finalement constituer un moyen de projection culturelle de premier ordre. Cette expérimentation n’a pas de suite dans l’immédiat. En revanche, le concept s’enrichit de la programmation de l’émission française Tribune de Paris. Réalisée en coopération avec la B.B.C., elle fait évoluer le principe de l’émission vers sa forme définitive en constituant une équipe de quatre personnalités - deux Français et deux Anglais -. La première a pour sujet le Plan Schuman et réunit William Pickles et Paul Bareau côté britannique, Raymond Aron et Jacques Gascuel côté français. Elle est également perçue comme un test de liberté de parole en raison de l’actualité brûlante de certains sujets462. Deux autres Tribunes de Paris sont prévues, sur le réarmement allemand (1950), puis sur les élections britanniques de 1951463. Le programme est annoncé comme un élément régulier de la grille du Service Français à partir de mai 1951. C’est en 1952 que les Tribunes francobritanniques sont lancées. Enregistrées sous forme de séries de trois émissions, elles mettent à contribution tous les principaux acteurs des relations culturelles franco-britanniques, soulignant ainsi leur enjeu. En effet, quelques personnalités actives dans ce domaine sont sollicitées pour choisir les questions qui seront soumises à l’équipe de journalistes. Pour Paris (décembre 1952) font partie de ces personnalités Cecilia Reeves, Harvey Wood (British Council), Wieder (secrétaire de l’association France-Grande-Bretagne) et Dana (R.T.F.). En province, la branche locale de France-Grande-Bretagne prend en général largement en charge les questions d’organisation. Le coût élevé de chaque série (860 £ pour la première) se justifie par son succès. La première série, en janvier 1952, est enregistrée à Toulouse, Bordeaux, Lille464 ; la seconde (avril) à Grenoble, Montpellier, Clermont-Ferrand ; la troisième (septembre) à Caen, Rennes, Reims ; la quatrième (décembre) à Paris, Le Havre, Bruxelles. Ces émissions sont très appréciées : environ 6 à 7 000 personnes assistent à la première série, 3 à 4 000 sont réunies pour l’émission de Paris, 600 pour celle du Havre, et généralement au moins 250 personnes composent le public. Les chaînes françaises retransmettent le 461 Ibid. Paris Report, avril-juin 1950. – E1/711/2, W.A.C. 463 Paris Report, juillet-septembre 1950. - Ibid. Paris Report, juillet-septembre 1951. - Ibid. Lors de cette Tribune de 1951, Jacques Gascuel est remplacé par André Philip. 464 Mémorandum Monahan, 8 janvier 1952. - E2/601/2, W.A.C. 462 160 programme465. En 1953 sont enregistrées les séries Marseille / Avignon / Nice466, Arras / Liège / Metz et une série en Normandie467. Toujours dans la perspective de faire découvrir la Grande-Bretagne aux Français (et inversement), sont envisagés dès 1949 des échanges de programmes entre régions. Après accord de la R.D.F. sont noués les premiers liens, entre Bristol et Bordeaux, puis entre Limoges et Worcester, Birmingham et Marseille. Par ces relais sont en définitive couvertes des régions entières. Ainsi en novembre 1949 sont échangées des émissions entre Midlands et Rennes, Pays de Galles et Strasbourg (puis Lille), Irlande du Nord et Paris. Ces liens sont ponctuels ; ils concernent en général des émissions musicales, et permettent d’appréhender un aspect bien précis et limité des traditions régionales, mais ils connaissent beaucoup de succès. Les rapports de Cecilia Reeves ne mentionnent qu’un programme “ sérieux ” sur toute la période : une tribune enregistrée en partie à Nottingham et à Lille portant sur une thématique industrielle468. Ces échanges faiblissent globalement en 1950 en raison des compressions budgétaires touchant (aussi) les stations françaises. Toutefois l’intérêt dans ces relations régionales se maintient. En 1950, sont réalisés les premiers échanges de cours de langue entre Bordeaux / Lille et les Midlands / l’Ecosse. Les deux villes françaises retransmettent hebdomadairement l’Anglais par la radio, et les deux régions britanniques proposent The French have a word for it469. Ces bonnes relations régionales incitent la B.B.C. a réfléchir à une exploitation plus large de ce filon : la préparation de “ vignettes ” de vie quotidienne (portraits de villes, présentation d’événements locaux, conversations dans les bars ...) visant à offrir de la Grande-Bretagne une “ image dynamique de traditions qui évoluent ”470. Les évaluations critiques réalisées en interne par la B.B.C. sur les programmes du service471 soulignent leur bonne qualité générale. Un équilibre s’établit entre les programmes de projection culturelle et les temps d’information. Les programmes culturels ont parfois des difficultés à trouver le ton juste, entre les émissions estimées “ intellectuelles ” 465 Rapport de Robin Scutt, 2 janvier 1953. - E2/601/3, W.A.C. Paris Report, janvier-mars 1953. - E1/711/3, W.A.C. 467 Paris Report, octobre-décembre 1953. - E1/711/4, W.A.C. 468 Visit to London, 23-27 janvier 1950. - E1/711/2, W.A.C. 469 Paris Report, octobre-décembre 1950. - Ibid. 470 “ [...] conveying a dynamic picture of changing traditions ” Memorandum Camacho, 18-22 septembre 1953. - E2/601/3, W.A.C. 471 Output report / Critical notes, 20 novembre - 3 décembre 1950 (24 janvier 1951) ; Output report / Critical notes 27 juillet - 23 août 1952. - E2/120/5-6, W.A.C. 466 161 (c’est le cas pour la Chronique des lettres) et des présentations jugées parfois trop superficielles sur des tranches de vie quotidienne, mais le résultat demeure globalement de qualité. Les informations sur l’actualité mondiale ne sont pas négligées. Dans ce domaine, de même que les années précédentes, l’évaluateur note la grande liberté d’expression laissée aux commentateurs français, et qui ne se retrouve dans aucun autre service étranger de la B.B.C.. Cette caractéristique peut même à l’occasion s’avérer embarrassante, en particulier en 1950, lorsque perce dans les commentaires sur l’Asie du sud-est une opposition constante à la politique américaine. Non seulement cette position ne reflète pas le point de vue britannique, mais encore elle fait apparaître des divergences au sein du camp occidental, et jette le discrédit sur l’action alliée. Sans développer davantage, l’évaluateur cite également le cas du réarmement allemand, sujet sensible s’il en est pour les Français, et qui suscite les mêmes “ dérapages ”. Ainsi le Service Français de la B.B.C. n’est pas exactement, de son propre aveu, l’expression du point de vue anglais. Reste la promotion culturelle, où les objectifs sont tenus grâce à la variété des sujets présentés et à la diversité des modes d’approche employés (interviews, reportages, discussions, pièces). Les efforts de projection culturelle sont toutefois ralentis par la lancinante question de la réciprocité des échanges avec la R.T.F. Les données ne varient pas : la radio française se plaint du peu d’emploi fait par la B.B.C. de musiciens français472. Mais la radio anglaise estime que la R.T.F. ne diffuse pas beaucoup d’œuvres de compositeurs anglais. Par ailleurs, la B.B.C. éprouve des difficultés à relayer les programmes de la R.T.F., en raison de leur planification tardive et parfois un peu aléatoire, ce qui a pour conséquence une diminution des relais de la R.T.F. qui reste très attentive à ne pas déséquilibrer les échanges outre mesure473. L’arrivée dans les grilles de l’émission Point de vue, qui rapporte des opinions françaises, favorise un assouplissement de l’attitude française et augure favorablement de ce qui est estimé, côté français, être un raisonnable degré de réciprocité d’échanges474. Tout est question de perception, car les échanges portent sur de gros chiffres ; on estime par exemple en 1950 que la B.B.C. a pris 585 programmes de la R.T.F., et la R.T.F. 296 programmes de la B.B.C.475 472 Miss Reeves à Marriott, 22 janvier 1951. - E1/711/2, W.A.C. Visit to London, 25 janvier - 2 février 1954. - E1/711/3, W.A.C. 474 Paris Report, octobre-décembre 1953. - E1/711/4, W.A.C. 475 Conner à MacNaghten, 11 septembre 1951. - BW 31/40, P.R.O. 473 162 En revanche, la simplification des règlements financiers aboutit à la prise en charge par chaque radio des prestations techniques réalisées sur son territoire, avec effet rétroactif à partir du 1er juillet 1952476. Ce système remplace l’équilibrage des comptes effectué depuis 1949 à la fin de chaque année en fonction des dépenses faites par chaque radio pour le compte de l’autre, plus lent et qui donnait lieu à des approximations chiffrées et des retards de paiements477. 1.2 Les programmes : vers l’équilibre optimisé Une dizaine de grilles se succèdent pendant la période 1949 - 1953. Suscitées par la nécessité de définir une grille optimale parce que réduite en raison des diminutions budgétaires, et par l’obligation stratégique de faire varier les programmes proposés pour garder la curiosité des auditeurs en éveil, ces grilles traduisent l’influence de ces deux facteurs dans des proportions qui évoluent sans cesse. Ainsi les grilles de 1949 sont modifiées pour des raisons d’écoute, mais celles de 1950 et 1951 répondent essentiellement à la pression budgétaire (voir supra), pour parvenir à une stabilisation à partir de 1952. De même le temps d’antenne quotidien passe de 4h30 en 1949 à 3h en 1952 ; un étiage est atteint. Les réductions horaires les plus brutales ont lieu en 1951 (moins trois quarts d’heure) puis 1952 (moins une demi-heure). Dans ce contexte, la proportion informations / émissions culturelles ou divertissantes ne varie plus de façon significative et reste à peu près à moitié moitié.. Les principales innovations portent alors sur la disposition des programmes dans la grille et sur leur contenu. La tendance globale de cette période est le resserrement progressif de la grille autour de la tranche de soirée qui draîne le plus d’auditeurs. Les réductions opérées se font ainsi au détriment des diffusions de la journée, que pouvaient suivre les auditeurs professionnellement inactifs. Sans se démarquer de la grille d’octobre 1948, celle du 2 janvier 1949 reprend les mêmes principes d’organisation : une tranche matinale d’une heure en discontinu, une tranche de milieu de journée d’une demi-heure elle aussi en discontinu, l’Anglais par la radio en fin d’après-midi, une tranche de soirée continue de 2h30, et le bulletin d’informations de nuit. Dans la grille du 18 juin 1950, le quart d’heure de nuit 476 477 Miss Reeves à ELO, 29 janvier 1953. - E1/719/2B, W.A.C. Voir les échanges de correspondances de 1949 à 1951. - E1/690, W.A.C. 163 disparaît. Dans celle du 21 mai 1951, les tranches du matin et du midi perdent chacune un quart d’heure, l’Anglais par la radio de fin d’après-midi disparaît (il s’agissait d’une rediffusion), et seule la tranche du soir reste intacte. Le 19 octobre 1952, la grille est stabilisée à un quart d’heure d’antenne (informations) le matin, un quart d’heure le midi, et les 2h30 de soirée478. Les programmes proposés sont essentiellement ceux qui composent le Service Français depuis son origine (voir supra). Les modifications du contenu des grilles visent en général à programmer, déprogrammer ou reprogrammer des émissions au gré des demandes des auditeurs et des responsables des programmes pour éviter de lasser l’auditeur. Dans le même ordre d’idées, certaines tranches présentent des émissions en alternance. Quelques nouveautés sont toutefois introduites. Il faut noter l’apparition en 1950 d’un Quart d’heure de la femme, catégorie jusqu’alors négligée par la programmation. De diffusion discrète le vendredi soir en seconde partie de soirée, cette émission est déplacée en première partie de soirée en 1951. S’y ajoute une causerie féminine qui dès 1951 prend la place libérée par l’Anglais par la radio de fin d’après-midi. Des programmes visant à faire se rencontrer des points de vue français et britanniques apparaissent également en 1951. Tribune franco-britannique est programmée dans la grille du 21 mai 1951 avec trois diffusions ! Elle est interrompue pendant 1952 et reprend en 1953. D’autres programmes offrant des points de vue comparés sur un thème donné sont proposés à partir de 1951 : Deux opinions une histoire dans la grille de mai 1951, ou encore Justice française, justice anglaise dès octobre de la même année. Les émissions proposant une mise en parallèle des points de vue ou opinions français et britanniques sur un sujet donné ont pour objet de satisfaire une demande des auditeurs, qui souhaitent voir la B.B.C. sortir quelque peu de son rôle exclusif de voix de la Grande-Bretagne en introduisant une comparaison avec la France. Cette demande coïncide avec les obligations de la coopération culturelle induits par la convention de 1948. Elle se fait plus pressante alors qu’approche le cinquantenaire de l’Entente Cordiale (1954) et est alimentée par quelques événements comme la visite de la princesse Elizabeth en France en 1948 (première visite à l’étranger de la princesse), ou le voyage de Vincent Auriol en GrandeBretagne en 1950, celui de George VI en France la même année, sans oublier le couronnement d’Elizabeth II en 1953. Elle confirme et prolonge l’appréciation positive portée 478 Et encore, dans la grille du 29 mars 1953, rien n’est programmé le mercredi entre 20h00 et 21h00. (Voir annexe n°11). 164 sur les programmes de ce type déjà diffusés : Six autour d’un micro ou Des deux côtés de la Manche sont des émissions très populaires. Les chroniques tenues par des journalistes français tels Duchesne ou Dadelsen (Propos du vendredi) sont aussi très écoutées479. Aussi les programmes sont-ils ajustés en conséquence. D’autant plus que la B.B.C. dispose d’une source spécifique permettant d’orienter le contenu des programmes proposés : des synthèses de réponses apportées par les auditeurs à des questionnaires sur les programmes. Ces documents, qui ne portent malheureusement que sur l’année 1950, présentent les centres d’intérêt des auditeurs concernant la civilisation britannique ; ils permettent de connaître leur propre représentation de la Grande-Bretagne à cette date480. Toujours pour réaliser un parallèle avec la France, les trois thèmes de la vie britannique plébiscités par l’auditoire sont les régions (vie quotidienne, traditions, histoire), le progrès social, l’éducation et la vie intellectuelle. Les réponses dénotent “ des préjugés très favorables à l’égard de la Grande-Bretagne, parfois implicites parfois exprimés, particulièrement en ce qui concerne le progrès social, la discipline civique et l’administration générale du pays ”.. Les analystes insistent sur le haut degré d’appréciation de la Grande-Bretagne enregistré dans les réponses, qui leur semble remarquable même pour un auditoire a priori sensible aux réalisations britanniques. Se lit en creux un jugement défavorable porté sur l’administration centralisée de la France, qui a déséquilibré le développement du pays, réflexion d’actualité puisque l’ouvrage Paris et le désert français date de 1948. De la Grande-Bretagne apparaît une image à la fois traditionnelle (victorienne) d’un pays de contrôle social dont les habitants sont disciplinés, et moderne d’un pays ouvert aux évolutions sociales (les travaillistes sont au pouvoir entre 1945 et 1951). Outre pouvoir comparer avec la situation française, les auditeurs, que l’on peut estimer avoir un préjugé favorable vis-à-vis des Britanniques, témoignent d’une volonté de remettre en question les jugements négatifs habituellement portés sur la Grande-Bretagne, et de mieux comprendre leurs voisins d’outre-Manche : l’Anglais est-il xénophobe ? Le climat anglais influe-t-il sur la vie quotidienne ? Ou tout simplement, ils recherchent davantage d’informations, sur l’histoire britannique, les règles du cricket ... Interrogés sur les personnalités dont ils souhaiteraient entendre parler, les auditeurs établissent un panthéon de grands hommes anglais, ayant en général (eu) un destin 479 480 Voir les rapports 1950 - 1953. - E3/46/3, W.A.C. Ces synthèses (9 avril 1951 et 24 mai 1951) sont dans les deux dossiers de E3/122, W.A.C. 165 exceptionnel ou ayant géré avec succès des situations difficiles. Les deux guerres (et non seulement la seconde) imposent leur forte prégnance dans les souvenirs : Churchill domine les réponses, suivi de Montgomery, mais aussi Lloyd George, Eden, Neville Chamberlain, Attlee. Les auditeurs souhaitent également mieux connaître des personnages controversés en France : Chamberlain, Pitt, Cromwell, Lawrence, Kitchener, Nelson. Le roi suscite un grand intérêt, ainsi que sa famille et ses prédécesseurs sur le trône : Henry VIII, Elizabeth Ire, Charles Ier, Mary Stuart, Victoria. Parmi les savants, reviennent les noms de Fleming, Russell, Newton, Wyatt. Les personnalités du monde artistique sont largement évoquées en relation avec l’actualité : Shakespeare, G.B. Shaw, Graham Greene, Carol Reed (Le troisième homme est sorti sur les écrans en 1949) essentiellement, puis Rudyard Kipling, Charles Dickens, Benjamin Britten, Edward Elgar, William Turner, Inigo Jones, Richard Wallace, Noel Coward, Charlie Chaplin. Cette inflexion des programmes du Service Français vers l’affirmation du lien franco-britannique a-t-elle des effets positifs sur l’audience recueillie par la radio britannique ? Le service d’analyse de l’audience produit désormais des rapports généraux annuels, ce qui traduit vraisemblablement une décroissance importante du nombre de lettres reçues par la B.B.C. portant sur l’appréciation des émissions (il ne serait par conséquent plus nécessaire de faire une analyse trimestrielle). Aussi un panel est-il constitué chaque année afin d’être sûr d’obtenir une évaluation qualitative des programmes proposés et de suivre l’évolution des centres d’intérêt des auditeurs. Il croise les variables suivantes : catégorie socio-culturelle, âge, lieu de résidence. Nous en avons des données incomplètes481, toutefois il peut être fait un certain nombre de remarques. La représentation des différentes catégories socio-culturelles varie légèrement d’un panel à l’autre (donc d’une année à l’autre) mais pas fondamentalement. La B.B.C. construit son échantillon en fonction de niveaux intellectuels supposés : les catégories définies sont d’abord d’ordre culturel et non de type professionnel, la variante professionnelle étant sous-jacente. On peut donc schématiquement faire correspondre degré de culture et CSP482. D’une façon générale, l’objet du panel est de voir comment sont 481 482 Rapport général 1950 et rapport général 1954. - E3/46/3, W.A.C. Pour 1950 et 1954 à titre comparatif en voici les principales : CATÉGORIES SOCIO-CULTURELLES Cadres supérieurs / profs libérales (higher intellectual) REPRÉSENTATION REPRÉSENTATION 1950 1954 21 % 16 % 166 reçus les programmes dans tous les types de population, et particulièrement chez les catégories cibles.. Ainsi celles-ci sont clairement identifiables. Le panel de 1954 est constitué à 72 % d’hommes. Cette forte présence masculine ne signifie pas que les auditeurs sont aux trois-quarts des hommes. En effet, une enquête IFOP de 1953483 révèle que les auditeurs sont pour moitié seulement des hommes. Il semble que les femmes ne sont pas considérées comme une population cible, malgré l’insertion d’une chronique féminine dans les programmes (voir supra), qui dénote seulement le souhait de prendre en compte cette catégorie d’auditeurs. En outre, la tranche d’âge 30 - 49 ans est privilégiée. Pour ce qui est des lieux de résidence, les endroits à forte présence britannique et / ou à bonne réception de la B.B.C. sont sollicités : région parisienne, littoral méditerranéen, Normandie, Nord / Nord-Est. L’enquête réalisée par l’IFOP en février 1953484 sur l’audience réelle du Service Français dessine un groupe composé pour moitié d’hommes ; un tiers est sans-emploi (ou inactifs) ; la moitié vit économiquement à l’aise dans des villes de plus de 5 000 habitants dans toutes les régions de France. Les deux-tiers ont moins de 50 ans. Ce rapide tableau suggère un léger rajeunissement des auditeurs et une féminisation du public par rapport au profil réalisé auparavant, qui n’était fondé que sur les lettre reçues, et s’avère avoir été décalé vis-à-vis de la réalité de 1953. Les professions libérales ne dominent pas davantage l’auditoire, puisqu’elles en représentent un cinquième, et sont dépassées, outre par les inactifs, par les employés. Les ouvriers composent 15 % de l’auditoire. Selon cette même enquête IFOP, les auditeurs occasionnels sont environ quatre millions et les auditeurs réguliers un million sept cent mille. Il semblerait que le déclin de l’audience régulière ait été enrayé (environ un million auparavant), si les définitions d’écoute régulière ou occasionnelle n’ont pas évolué. Le nombre d’auditeurs occasionnels diminue légèrement, ce qui signifierait un resserrement de l’auditoire autour d’un noyau de fidèles auditeurs. Ce résultat paraît vraisemblable. Les programmateurs ont fait porter leurs efforts sur une plus grande prise en compte des souhaits exprimés par les auditeurs. On peut penser que la diffusion de programmes “ mixtes ” franco-britanniques, en réponse à la demande des auditeurs, a eu le résultat escompté. Une étude menée par la B.B.C. en 1951 Enseignants et chercheurs (academic and scholastic) 22 % 25 % Employés (lower intellectual) 19 % 25 % Petits employés / ouvriers qual. (higher manual) 12 % 11 % Inactifs (unemployed) 13 % 16 % 483 484 External Broadcasting Audience Research, octobre 1953. - Ibid. Ibid. 167 permettait déjà de faire un constat similaire, en fixant le nombre d’auditeurs quotidiens à environ un million quatre cent mille personnes, ce qui est proche, en tenant compte d’une définition plus étroite de la régularité d’écoute (“ quotidien ” et non “ plus d’une fois par semaine ”)485. En revanche, la place de la B.B.C. parmi les écoutes de radios étrangères marque un certain déclin. Cette observation se traduit peut-être en partie dans la baisse du nombre d’auditeurs occasionnels. Le sondage IFOP situe la B.B.C. à la quatrième place, derrière Radio-Luxembourg, Sottens (Suisse) et Voice of America (VOA). Il faut souligner la percée de VOA, qui, dans un sondage effectué en 1948, était, derrière la B.B.C., parmi les radios étrangères les plus écoutées486. Selon l’enquête, par rapport à 1950, les auditeurs de VOA et de l’URSS ont augmenté, alors que ceux de la B.B.C. ont légèrement décru (- 4 %). Il est par ailleurs précisé que le profil des auditeurs de la B.B.C., centré sur les employés et les professions libérales, les citadins d’un niveau économique confortable, apparaît plus étroit que celui des radios américaine et soviétique. Ces observations peuvent se justifier par l’importance des tensions internationales (guerre de Corée particulièrement) et le besoin d’informations issues de sources diverses qui en découle, ce motif étant récurrent tout au long de la Guerre froide. Mais il faut également noter que le temps d’émission de la B.B.C., en constante décroissance (voir supra), ne facilite pas la tenue d’une audience française compte tenu de la concurrence francophone par ailleurs réelle (programmes français ou luxembourgeois et suisses). On peut toutefois considérer, malgré une perte globale d’audience, que la B.B.C. s’est efforcée avec succès de constituer un public au moins en voie de fidélisation, si ce n’est déjà fidèle, en mettant l’accent sur le lien franco-britannique dans ses programmes. Ce lien donne précisément lieu à des réalisations importantes dans le champ télévisuel en ce début d’années 1950. 2.- LES PREMIÈRES RÉALISATIONS CONCRÈTES DANS AUDIOVISUEL 485 486 Jacob à Malcolm, 16 février 1951. - E1/702/3, W.A.C. Référendum Radio-Programme 29 février - 6 mars 1948. - E3/46/2, W.A.C. LE CHAMP 168 La technique audiovisuelle progresse, et la stabilisation du standard français à 819 lignes ouvre la voie à de riches perspectives de développement. L’existence d’une convention culturelle offre, là encore, un cadre stimulant. Quittant le domaine confidentiel du quasi - expérimental, la télévision fait ses preuves au cours de la période 1949 - 1953 et séduit le public. Les échanges franco-britanniques sont décisifs sur ce point : ils prennent une forme régulière et active, et débouchent rapidement sur des résultats concrets, dont la retransmission simultanée du couronnement de la reine Elizabeth II constitue le plus beau succès. 2.1 L’institutionnalisation des échanges L’intérêt de la B.B.C. pour le développement du secteur télévisuel connaît un surcroît d’intensité repérable dans la liste des lourdes dépenses approuvées par le Conseil des Gouverneurs à partir de 1950. Le budget consacré à la construction d’émetteurs, l’acquisition de matériel et de locaux, suit une évolution ascendante très appuyée487. Lors de la visite de Wladimir Porché à Londres en 1951, William Haley propose au directeur de la R.T.F. une coopération étroite entre la France et la Grande-Bretagne en matière télévisuelle. Outre la proximité géographique entre les deux pays, susceptible de faciliter la mise en place technique d’échanges, Haley envisage le marché français comme potentiellement prêt à recevoir les programmes britanniques, la France étant le seul pays ouest-européen (à part la Grande-Bretagne) à avoir développé une télévision nationale à cette date. A l’origine, l’idée britannique est d’instaurer avec les Français un courant d’échanges : échanges de films documentaires principalement, mais aussi échanges de suggestions de noms d’artistes pour les programmes ; et par ailleurs, la B.B.C. souhaite obtenir pour ses cameramen l’autorisation de filmer librement en France, sans être accompagnés de cameramen français comme le veut la règle en vigueur. L’organisation de relais en direct est considérée comme un objectif à terme seulement488. Afin d’étudier ces questions est constitué un comité de télévision franco-anglais qui tient sa réunion inaugurale les 21 et 22 avril 1949. Sont présents, pour la B.B.C., Richard Marriott, qui suit le dossier français à Bush House, et Imlay Watts, correspondant à Paris chargé de l’audiovisuel, côté français Jacques Armand (directeur de la télévision) et Paul Gilson (programmes). Le rapport de Marriott et Watts donne l’image d’une coopération sans illusions, qui peut apporter des 487 Un nombre croissant de dépenses liées à la télévision sont approuvées par le Conseil des Gouverneurs. Voir les dossiers R1/18 et suivants. 488 Collins à Watts, 7 avril 1949. - T8/27/1, W.A.C. 169 avantages à la B.B.C., mais qui, de leur point de vue, sera davantage profitable à la R.T.F.489 Le principal résultat de cette rencontre est un accord sur l’échange de films d’actualité en 35 mm (standard de la B.B.C. alors que la R.T.F. produit des films 16 mm). D’autres échanges d’information sont prévus : les plans de production des films, les programmes, les développements techniques. Enfin, des séjours d’études pour les personnels sont suggérés. L’éventualité de relais directs est évoquée pour l’avenir490.. L’activité autonome des cameramen britanniques en France ne sera réglée favorablement qu’en juin 1949491. Les échanges de documentaires portent a priori sur des bobines libres de droits (par exemple sans musique d’accompagnement), afin d’éviter les complications liées au respect des droits d’auteur. Ainsi qu’il se produit lors de la naissance d’un nouveau moyen de communication, la diffusion d’œuvres d’auteurs nécessite un réajustement des règles d’application du droit de la propriété intellectuelle, et autant le département chargé de gérer les questions de copyright de la B.B.C. que la R.T.F. en sont conscients492. Néanmoins, des progrès ponctuels sont accomplis. Jean Arnaud (responsable de la télévision à R.T.F. ayant succédé à Jacques Armand) obtient de l’industrie du film la possibilité de diffuser un film, avant toute sortie commerciale, dans une version réduite à moins de 40 minutes par son réalisateur. Les pièces de théâtre peuvent être télévisées493. Par ailleurs, la rémunération des auteurs pour la diffusion audiovisuelle n’obéit pas aux mêmes principes des deux côtés de la Manche : en France, elle s’applique aux œuvres inédites et ne reposent pas sur le nombre de diffusions, alors que les droits de radiodiffusion sont calculés d’après le nombre de diffusions494.. Finalement, les Français et les Britanniques se désaisissent du règlement de ces questions auprès de l’Union européenne de radiodiffusion495. Les échanges ne se limitent pas aux films d’actualité496, mais concernent aussi des programmes de divertissement. Ainsi le voyage du Président Auriol en Grande489 Cette réflexion s’applique en particulier aux échanges d’expériences de programmes et de programmes, pour lesquels la B.B.C. estime qu’elle aura plus à apporter qu’à retirer. Anglo-French TV Committee, 21-22 avril 1949 ; report Marriott / Watts. - Ibid. 490 Comité de télévision franco-anglais 21-22 avril 1949. - Dossier Pons, F43/148, A.N. 491 Anglo-French TV Committee, 28-29 juin 1949. - E2/31, W.A.C. 492 En juillet 1949, la R.T.F. est en conflit avec la société des auteurs et le syndicat des acteurs. Cette situation rend incertaine la programmation du film Gaslight pris à la B.B.C. - McGivern à Arnaud, 21 juillet 1949. - T8/27/1, W.A.C. Miss Candler (Dep. Copyright) à Collins, 10 juin 1949. - E2/32, W.A.C. 493 Watts, notes for D. Tel., 16 avril 1951. - T8/27/2, W.A.C. 494 Pons à Watts, 23 octobre 1951. - Ibid. 495 Communiqué du 19 janvier 1952. - T8/27/2, W.A.C. 496 Ces films sont envoyés à la R.T.F. à partir du 29 juin et la B.B.C. à partir du 15 juillet 1949. 170 Bretagne en 1950 est l’occasion, outre de réaliser des commentaires communs, pour la B.B.C. d’enregistrer Othello alors joué à la Comédie-Française, et pour la R.T.F. de présenter l’opéra Paillasse à Paris497. Autres exemples, la chanteuse Joyce Grenfell se rend à Paris alors que le musicien Anton Karas enregistre à la B.B.C.498.. Pour la R.T.F., la B.B.C. obtient de J.B. Priestley l’autorisation de réaliser une version télévisée de sa pièce An inspector calls, qui triomphe à la Comédie des Champs-Elysées499. Plus généralement, les programmes éligibles pour un échange doivent comporter cet élément d’universalité qui les rend intelligibles et susceptibles d’être appréciés hors de leur pays de production ; c’est-à-dire des spectacles, de la musique, des ballets, des cérémonies, des compétitions sportives. Ce sont éventuellement des émissions dont les acteurs sont connus outre-Manche. Pour le responsable du service télévision Norman Collins, ces deux types de programmes sont recherchés par les Français, en plus des reportages d’actualité. Les Britanniques s’en tiennent essentiellement à la première catégorie de programmes. En faisant cette analyse, Collins laisse percer sa conviction que les Français ont beaucoup à prendre de la télévision britannique, la télévision française n’étant pas de très bonne qualité500. Les Français ne partagent pas ces conclusions. En mission à la B.B.C. en 1951 avec Sabbagh, Leschi (services techniques) et D’Arcy (attaché à la direction), Eugène Pons, adjoint du responsable du service télévision et lui-même directeur de Lille Télévision, met en perspective les acquis anglais et français. De son point de vue, les points forts britanniques sont les décors, l’équipement technique, “ le pourcentage considérable du temps d’émissions ‘bon marché’ ”, l’importance du direct (“ [la B.B.C. a su] exploiter largement le critère d’instantanéité de la télévision ”), la bonne organisation des programmes. Mais il estime que les productions de la R.T.F. sont de meilleure qualité pour les reportages, les dramatiques, le journal télévisé, et que sur le plan quantitatif, le rendement de la R.T.F. est supérieur501.. Dans son propre compte rendu, le responsable du service technique Leschi confirme la prééminence des moyens techniques britanniques en quantité comme en qualité et l’efficacité de leur méthode de travail dans ces conditions favorables502. Collins à Marriott, 23 juin 1939. - E2/31, W.A.C. Luc à McGivern, 17 mars 1950. - T8/27/1, W.A.C. 498 Gilson à Bennett, 12 janvier 1950. - Ibid. 499 Arnaud à McGivern, 14 août 1951. - T8/27/2, W.A.C. 500 Notes Collins, 19 juin 1950. - E2/32, W.A.C. 501 Compte rendu de la mission d’E. Pons à Londres, 20-24 novembre 1951. - Dossier Pons, F43/148, 497 A.N. 502 Compte rendu 3 décembre 1951. - Dossier TV 1951-1952, Ibid. 171 Des échanges de personnels ont également lieu dès 1952. La présentatrice Jacqueline Joubert se rend à Londres, alors que son homologue anglaise Sylvia Peters vient à Paris. Le réalisateur Frank O’Donovan est appelé à Paris, sur requête de Wladimir Porché, afin de produire trois pièces en collaboration avec Claude Barma : September Tide, Rebecca, Les Hauts de Hurlevent503. En échange, Gilles Margaritis réalise un travail de production à la B.B.C.504. Sur le plan financier, les échanges sont fondés sur une compensation technique (le métrage des films fournis) davantage que sur une compensation financière, sauf pour de très importantes dépenses505. Le système appliqué est celui de la radio, selon le schéma : commande de film, accord sur les estimations financières, exécution de la prestation et paiement en francs en France ou en livres en Grande-Bretagne506. En