Colloque ASTTI équivalences 2013, Berne

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Colloque ASTTI équivalences 2013, Berne
Colloque ASTTI équivalences
Berne, 15 novembre 2013
LE DOUBLAGE ET LE SOUS-TITRAGE DE FILMS EN FRANCE
Jean-François Cornu
Les origines du doublage et du sous-titrage en France
Pendant la période du cinéma muet, les langues étaient déjà présentes dans les films, sous
la forme écrite des intertitres, ou cartons. Ceux-ci comportaient des informations sur le
déroulement du récit, ainsi que les dialogues prononcés (réellement ou fictivement) par les
personnages. Pour l’exploitation des films hors de leur pays d’origine, ces intertitres étaient
remplacés par des cartons dans la langue du pays d’exploitation.
La généralisation du cinéma sonore et parlant à la fin des années 1920 a accentué le
problème de la barrière des langues dans la diffusion internationale des films. Sorti aux
États-Unis à la fin de 1927, Le Chanteur de Jazz (The Jazz Singer, Alan Crosland, 1927)
est arrivé en France au début de 1929 : il n’était pas intégralement parlant, mais comportait
quelques scènes chantées et parlées. Les premiers films parlants, principalement
américains et allemands, ont été rapidement diffusés en France. En quelques mois, le
parlant a été adopté par le public, mais celui-ci réclamait de plus en plus des films qui
parlaient français. La production de films parlants français a commencé lentement à partir
de la fin de 1929, puis véritablement au second semestre 1930.
Le marché français était crucial pour les studios hollywoodiens qui ont dû rapidement
chercher des solutions pour traduire leurs films. Ils ont mis simultanément en œuvre
plusieurs méthodes, au service de stratégies commerciales variables selon l’ambition et la
taille du studio. Le sous-titrage a été utilisé assez tôt, mais de façon souvent limitée.
Pendant deux ans, en 1930 et 1931, on a réalisé des « versions multiples » : sur le plateau
d’un même film se succédaient des équipes de comédiens américains, francophones,
hispanophones ou germanophones, parfois dirigés par un seul metteur en scène ou bien par
des réalisateurs différents selon les langues. Cette stratégie a vite tourné court car les
publics des pays auxquels ces versions étaient destinées réclamaient de voir et d’entendre
les vedettes américaines originales. Les premières expérimentations de doublage ont été
effectuées à Hollywood et à Berlin, selon des méthodes variées, dès 1930.
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En France, la législation a favorisé le doublage à partir de 1932. C’est l’une des raisons
pour lesquelles le doublage est devenu, jusqu’à aujourd’hui, le moyen de traduction
dominant des films étrangers en France. Le sous-titrage s’est développé à une plus petite
échelle, grâce à des procédés techniques inventés en Europe. Aujourd’hui, le doublage
demeure le mode principal de traduction des films étrangers en France, mais le secteur du
sous-titrage est devenu relativement important, surtout par rapport à d’autres grands pays
de cinéma européens, comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne où le sous-titrage est peu
employé.
Processus et techniques
Doublage
Des années 1930 au milieu des années 1960, deux méthodes de doublage ont cohabité en
France : le « doublage à l’image » et le « doublage à la bande ». La différence repose
essentiellement sur le mode d’enregistrement des dialogues par les comédiens. Avec le
doublage à l’image, ces derniers apprenaient leur texte par cœur et se guidaient avec
l’image muette du film. Avec le doublage à la bande, les acteurs n’ont pas besoin
d’apprendre leur texte à l’avance : celui-ci est inscrit sur une bande qui défile sous l’image
du film, en synchronisme avec elle. Ils prononcent les syllabes et les mots à enregistrer au
moment où ceux-ci passent devant un index permettant d’assurer le synchronisme avec les
mouvements de bouche des acteurs du film.
Depuis le milieu des années 1960, seul le doublage à la bande est employé en France qui
est aussi le seul des pays de doublage à l’utiliser. Le processus de réalisation d’un doublage
de film est détaillé dans la communication qu’a donnée mon confrère Anthony Panetto lors
de ce même colloque (voir « Le doublage des séries TV »).
Sous-titrage
Les étapes de la réalisation d’un sous-titrage sont les suivantes :
1. Repérage : recherche des débuts et fins de toutes les répliques et/ou découpage des
monologues en fragments cohérents, afin de déterminer le placement des futurs sous-titres.
Le repérage produit des données essentielles pour l’adaptateur : chaque sous-titre a une
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durée spécifique, laquelle est convertie en un certain nombre de caractères (lettres, signes
de ponctuation et espaces compris) avec lesquels il doit rédiger son texte.
2. Traduction/adaptation à l’aide des données du repérage. L’adaptateur dispose en outre
de la transcription des dialogues originaux, ainsi que du film à traduire.
3. Simulation : dernière étape du travail de l’adaptateur consistant à visionner le film avec
les sous-titres rédigés, en ayant la possibilité de modifier à tout moment le contenu, la
forme ou le placement des sous-titres.
4. Impression des sous-titres sur pellicule, ou incrustation en vidéo.
Différents procédés d’impression, ou de gravure, des sous-titres sur la pellicule des films
ont été mis au point des années 1930 aux années 1980. Les principaux sont le sous-titrage
optique (années 1930-années 1990), le sous-titrage chimique (1933-1990), le sous-titrage
au laser (1988-fin années 2000). Depuis le début des années 2010 environ, les procédés
d’incrustation numérique se sont généralisés, avec la disparition quasi totale de la pellicule
dans la production et l’exploitation des films.
Le sous-titrage : questions et problèmes de repérage, d’adaptation, d’esthétique
La particularité propre à la traduction audiovisuelle est l’interdépendance du texte, de
l’image et du son. On ne traduit pas les dialogues d’un film comme un traduit un livre ou
un texte exclusivement destiné à être lu.
En doublage, l’adaptateur doit écrire des dialogues qui seront joués par des comédiens et
qui doivent tenir compte des contraintes du synchronisme voco-labial. Sa traduction est
guidée par le rythme sonore, mais aussi par le langage corporel des personnages. En soustitrage, l’adaptateur doit effectuer un transfert de l’oral à l’écrit et tenir compte du fait qu’il
faut plus de temps pour lire une réplique que pour l’entendre. Un sous-titre satisfaisant doit
pouvoir être lu sans difficulté durant son bref temps d’apparition, tout en s’inscrivant
harmonieusement dans le rythme du film. Le moment et la durée de son apparition sont
régis par le synchronisme avec la bande son et par l’adéquation de son placement dans
l’image, tant à l’intérieur du cadre que par rapport au montage (on évite par exemple de
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faire chevaucher un changement de plan par un sous-titre, le contraire amenant le
spectateur à relire malgré lui le sous-titre déjà présent au plan précédent).
Pour cette conférence, j’ai choisi de me concentrer sur le sous-titrage, en illustrant
concrètement quelques-uns des enjeux auxquels l’adaptateur est confronté.
Projection commentée d’extraits de films :
- Mädchen in Uniform (Jeunes Filles en uniforme, Leontine Sagan, 1931 ; sous-titrage
optique sur pellicule) : sous-titrage « historique » par son ancienneté, son mode de
présentation des sous-titres (jusqu’à trois lignes horizontales, décentrage de certains soustitres afin d’éviter les zones trop claires de l’image) et son auteur, l’écrivain Colette.
- The Killers (Les Tueurs, Robert Siodmak, 1946 ; sous-titrage chimique sur pellicule et
sous-titrage vidéo pour la télévision) : deux versions sous-titrées. La première,
probablement contemporaine de la sortie du film en France (1946), est fondée sur un
repérage vraisemblablement effectué après la traduction. Dans certaines scènes, le
synchronisme des sous-titres avec les dialogues originaux est approximatif et complique la
compréhension par le spectateur. La deuxième a bénéficié d’un repérage réalisé avant la
traduction et d’une nouvelle adaptation : le synchronisme est garanti et le spectateur peut
associer facilement le sous-titre lu au personnage qui prononce la réplique.
- Smultronstället (Les Fraises sauvages, Ingmar Bergman, 1957 ; sous-titrage vidéo pour
DVD) : exemple pris ici comme « référence » pour la qualité du repérage et de la
traduction, ainsi que du placement des sous-titres (centrage dans l’image, respect des
changements de plan).
Les exemples suivants ne respectent pas ces critères :
- Some Like It Hot (Certains l’aiment chaud, Billy Wilder, 1959 ; sous-titrage pour DVD) :
alignement à gauche des sous-titres, plusieurs phrases dans un même sous-titre, non respect
des changements de plan.
- The Band Wagon (Tous en scène, Vincente Minelli, 1953 ; sous-titrage pour DVD) :
réitération excessive d’un même sous-titre sur le vers d’une chanson que répète l’interprète
(Fred Astaire). Cette répétition n’apporte aucune nouvelle information, parasite l’image et
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finit par agacer le spectateur. Ne pas prendre ce dernier pour un imbécile est l’une des règles
d’or du sous-titrage.
- North by Northwest (La Mort aux trousses, Alfred Hitchcock, 1959 ; sous-titrage pour
DVD) : scène de dialogue entre deux personnages, intégralement filmée en champscontrechamps de taille variable. La mise en scène et le montage de cette séquence sont
entièrement guidés par le contenu des dialogues, souvent à double sens, ponctués de
surprises pour le personnage masculin et, par conséquent, pour le spectateur.
Dans cette version sous-titrée, le repérage s’appuie exclusivement sur le texte, sans qu’ait
été pris en compte le montage construit par Hitchcock. Plusieurs sous-titres chevauchent
des changements de plan et ne permettent donc pas au spectateur de sentir la subtilité du
montage qui met en valeur les réactions et expressions physiques des personnages, en
fonction des paroles prononcées.
Le défaut essentiel des exemples ne répondant pas aux critères évoqués plus haut est de
rendre le sous-titrage très visible, trop visible même, car un sous-titrage satisfaisant doit
passer inaperçu afin d’être pleinement au service du film et du spectateur.
Jean-François Cornu est traducteur professionnel depuis 1985, de l’anglais vers le français,
spécialisé dans le sous-titrage de films et la traduction d’ouvrages consacrés au cinéma et à l’art,
notamment pour les Éditions du Centre Pompidou et l’éditeur international Taschen. De 1994 à
2011, il a enseigné la traduction et les études cinématographiques en France. Également chercheur,
il a publié plusieurs articles consacrés à la traduction audiovisuelle, ainsi qu’à divers aspects
historiques et esthétiques du cinéma. Il est l’auteur d’une thèse de doctorat portant sur l’histoire et
l’esthétique du doublage et du sous-titrage des films en France (2004), étude enrichie pour un
ouvrage à paraître prochainement. Adhérent de l’ATAA (Association des Traducteurs Adaptateurs
de l’Audiovisuel), il est aussi l’un des trois membres du comité de rédaction de L’Écran traduit,
revue de traduction audiovisuelle publiée sur Internet par cette association.
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