Revue n°367 du 30 janvier 2014

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Revue n°367 du 30 janvier 2014
Revues
Lexbase Hebdo édition affaires n˚367 du 30 janvier 2014
[Concurrence] Chronique
Chronique de droit de la concurrence et de la distribution —
Janvier 2014
N° Lexbase : N0475BU7
par Pauline Le More, Avocat au barreau de Paris, LeMore Avocat,
chargée d'enseignement à l'Université Paris Ouest-Nanterre La Défense
Lexbase Hebdo — édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la
concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, Avocat au barreau de Paris, Cabinet
LeMore Avocat, chargée d'enseignement à l'Université Paris Ouest-Nanterre La Défense. L'auteur présente,
toute d'abord, l'arrêt de la cour d'appel du 20 novembre 2013 traitant de la délicate question de la réparation
des dommages fondés sur des pratiques anticoncurrentielles (CA Paris, Pôle 2, 7ème ch., 11 décembre
2013). Ensuite, Maître Le More revient sur la jurisprudence européenne ayant trait à l'imputabilité d'une
entente à la société mère en raison de l'infraction commise par sa filiale à l'occasion de l'entente sur le
marché des sacs industriels en plastique (CJCE, 26 novembre 2013, trois arrêts, aff. C-40/12 P ; aff. C 50/12
P ; aff. C 58/12 P). Enfin, est commentée l'auto-saisine de l'Autorité de concurrence sur les processus de
normalisation et de certification (Aut. conc., communiqué de presse du 21 janvier 2014).
– Réparation de la victime d'un abus de position dominante : l'interaction entre le juge civil et l'autorité de la concurrence (CA Paris, Pôle 2, 7ème ch., 11 décembre 2013, n˚ 12/03 071 N° Lexbase : A1565MDC)
Toute personne morale ou physique victime de pratiques anticoncurrentielles peut, en principe, demander au juge
civil réparation de son préjudice sur le fondement du régime général de la responsabilité délictuelle (C. civ., art.
1382 N° Lexbase : L1488ABQ), dès lors que (i) une infraction aux règles de concurrence françaises, voire communautaires, est établie ; (ii) les préjudices subis par la victime desdites pratiques, contraires aux règles françaises,
voire également communautaires interdisant les pratiques présentent un caractère certain, direct et personnel ; et
(iii) un lien de causalité existe entre la faute alléguée et le dommage subi.
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C'est sur ce fondement qu'en première instance, le tribunal de commerce de Paris a condamné Google France et
Google Inc. à réparer le préjudice causé à un de ses concurrents, la société Bottin cartographes, pour avoir mis en
place une offre gratuite de cartographie (Google Maps API — Application Programming Interface). D'après les juges
consulaires, la pratique de prix abusivement bas, prohibée par l'article L. 420-5 du Code de commerce (N° Lexbase :
L3779HBL), n'est pas établie, faute pour les clients des sociétés Google d'être des "consommateurs" au sens dudit
article. Mais un abus de position dominante contraire à l'article L. 420-2 du Code de commerce (N° Lexbase :
L3778HBK) était retenu en raison des prix prédateurs pratiqués. La position dominante sur la marché des moteurs
de recherche engendre, selon eux, une position tout aussi dominante "sur les marchés connexes que sont ceux
de la publicité et de la cartographie en ligne", et plus particulièrement sur le marché "de la cartographie en ligne
permettant la géolocalisation de points de vente sur les sites web des entreprises". Non seulement les sociétés du
groupe Google sont condamnées à payer à Bottin Cartographes la somme de 500 000 euros à titre de dommages
et intérêts en réparation des préjudices subis, mais la publication du jugement est ordonnée dans divers quotidiens
français nationaux et internationaux.
Appel était interjeté de la décision par les sociétés Google Inc. et Google France. Dans son arrêt du 11 décembre
2013, la cour d'appel refuse de surseoir à statuer dans l'attente de la décision définitive de la Commission européenne portant sur la plainte de Streetmap du 29 mars 2012, faute d'avoir établi que les pratiques en cause
étaient identiques. Concernant l'abus de position dominante, la cour admet que "les sociétés Google, en position
dominante sur le marché de la publicité en ligne, sont susceptibles d'avoir commis un abus sur le marché de la
cartographie en ligne permettant la géolocalisation de points de vente sur les sites web des entreprises où elles
détiennent une position prééminente, les deux marchés étant connexes". Toutefois, la cour estime ne pas disposer
des éléments nécessaires pour examiner le marché pertinent, le marché affecté, à savoir celui de la cartographie
en ligne permettant la géolocalisation de points de vente sur les sites web des entreprises, la position dominante de
la société Google sur ce marché et la constitution de l'abus de prédation. En particulier, la société Google ne verse
aux débats aucun élément comptable, notamment, permettant d'apporter la preuve de la prédation, et se retranche
derrière le secret des affaires. En conséquence, et en vertu de l'article L. 462-3 du Code de commerce (N° Lexbase :
L4964IUE), la cour d'appel décide de surseoir à statuer et d'interroger l'Autorité de la concurrence en l'invitant à
"donner son avis sur le caractère de pratique anticoncurrentielle, au regard des articles 102 TFUE (N° Lexbase :
L2399IPK) et L. 420-2 du Code de commerce, de la pratique alléguée par la société Bottin, et par conséquent, sur
le marché pertinent, le marché affecté, la position de la société Google sur ce marché, et la constitution de l'abus
de prédation à partir du test de coûts pertinents".
Il est intéressant de constater le recours, décidé d'office par la cour, à la saisine de l'Autorité de la concurrence,
instaurant ainsi un dialogue entre la juridiction, d'une part, et l'autorité administrative indépendante, d'autre part.
On peut toutefois se demander s'il ne s'agit pas de pallier les difficultés de la victime de la pratique anticoncurrentielle, à laquelle incombe pourtant, en principe, en sa qualité de demandeur à l'action, la charge de la preuve
devant les juridictions civiles. Cette jurisprudence s'inscrit néanmoins dans un contexte de promotion de l'action
privée, du moins au niveau communautaire, comme en témoignent la communication de la Commission relative à
la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101
(N° Lexbase : L2398IPI) ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (cf. nos obs. in Chronique
de droit de la concurrence et de la distribution — Juillet 2013, Lexbase Hebdo n˚ 346 du 11 juillet 2013 - édition
affaires N° Lexbase : N7953BTQ).
– Imputabilité d'une entente à la société mère en raison de l'infraction commise par sa filiale (CJUE, 26
novembre 2013, trois arrêts, aff. C-40/12 P N° Lexbase : A1410KQB ; aff. C 50/12 P N° Lexbase : A1411KQC ;
aff. C 58/12 P N° Lexbase : A1412KQD)
Par trois arrêts du 26 novembre 2013, la Cour de justice de l'Union européenne réitère sa position quant à l'imputabilité du comportement anticoncurrentiel d'une filiale, dont la totalité ou la quasi-totalité du capital est détenue par
la société mère.
Depuis l'arrêt "Akzo Nobel NV" (CJCE, 10 septembre 2009, aff. C-97/08 P N° Lexbase : A8899EKS), il est admis
qu'une présomption réfragable existe, "selon laquelle une société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale" dans le cas particulier où la société mère détient 100 % du capital de
sa filiale ayant commis une infraction aux règles communautaires de la concurrence, sans que d'autres éléments
de preuve soient exigés de la Commission européenne. Il revient à l'entreprise de renverser cette présomption en
démontrant la totale autonomie de la filiale, et non une autonomie à caractère suffisant, ce qui en pratique peut
s'avérer extrêmement difficile.
Malgré les critiques doctrinales, voire les positions nuancées d'Avocats généraux (cf. concl. Av. gén. Mazak, affaire
"General Quinica", point 34, CJUE 20 janvier 2011, aff. C-90/09 P N° Lexbase : A1071GQQ), force est de constater
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que les arrêts du 26 novembre 2013 ne tendent pas vers un allègement de la charge de la preuve incombant aux
groupes d'entreprises incriminées.
En l'espèce, la Commission européenne avait infligé en 2005 des amendes à hauteur de 290 millions d'euros à
plusieurs entreprises pour leur participation à une entente sur le marché des sacs industriels en plastique (décision
(2005) 4634 final de la Commission, du 30 novembre 2005, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE]
— Affaire COMP/F/38.354 — Sacs industriels — L 282, p. 41). Parmi les recours des entreprises ayant contesté
cette décision, le Tribunal rejetait celui formé en vue de l'annulation de la décision ou la réduction du montant des
amendes intentées par les sociétés Kendrion NV, Groupe Gascogne SA et Sachsa Verpackung GmbH (devenue
depuis lors Gascogne Sack Deutschland GmbH). C'est sur ces recours que la Cour se prononce dans les arrêts du
26 novembre 2013. Elle rappelle que lorsqu'une société mère détient 100 % du capital de sa filiale qui a commis
une infraction aux règles de la concurrence, il existe une présomption simple selon laquelle la société mère exerce
effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Ainsi, la Commission peut considérer la
société mère comme solidairement responsable du paiement de l'amende infligée à sa filiale. De manière classique,
et tout en reconnaissant la possibilité pour la société mère d'apporter des éléments de preuve démontrant que sa
filiale se comporte de façon autonome sur le marché, il est constaté que cette preuve n'était apportée ni par le
Groupe Gascogne, ni par le groupe Kendrion. Il en résulte que la Commission européenne était en droit d'imputer
aux maisons mères la responsabilité pour l'infraction commise par leur filiale respective, à savoir Sacha Verpackung
et Fardem Packaging.
Il demeure donc difficile, sinon impossible, d'apporter la preuve de l'autonomie de la filiale vis-à-vis de sa maison
mère pour échapper à l'imposition de sanctions pécuniaires. Les entreprises devront apporter le plus grand soin
aux indices d'autonomie structurelle et décisionnelle de leurs filiales.
– Auto-saisine de l'Autorité de la concurrence sur les processus de normalisation et de certification (Aut.
conc., communiqué de presse du 21 janvier 2014)
De sa propre initiative et en vertu de l'article L. 462-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L8178IBI), l'Autorité de
la concurrence peut rendre des avis sur toute question de concurrence. A cette occasion, elle "peut recommander
au ministre chargé de l'Economie ou au ministre chargé du secteur concerné de mettre en œuvre les mesures
nécessaires à l'amélioration du fonctionnement concurrentiel des marchés".
C'est sur ce fondement que l'Autorité de la concurrence a décidé de se saisir de la question des processus de
normalisation et de certification en vue d'analyser leur caractère pro— ou le cas échéant anticoncurrentiel pour la
période courant de 2009 à nos jours.
Selon elle, si les processus de normalisation et de certification des produits et des services peuvent promouvoir
la concurrence, en facilitant la comparabilité des produits et des services pour les consommateurs, ils peuvent
parfois constituer des barrières à l'entrée sur les marchés. L'innovation et le développement de nouveaux acteurs
peuvent s'en trouver freinés, tandis que certains secteurs font face à un alourdissement des coûts, susceptibles
d'être répercutés sur l'utilisateur final.
La norme et la certification sont deux phénomènes en forte croissance distincts.
La normalisation, d'une part, procède de l'élaboration consensuelle des documents de référence avec l'ensemble
des acteurs d'un secteur. Ces documents portent, par exemple, sur des règles, des caractéristiques techniques,
des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques encadrant la fabrication de produits, la prestation de
services, l'élaboration de méthodes ou le fonctionnement d'organisations. De nombreux types de normes existent
dans des secteurs variés, telles les normes de type NF, CE ou ISO. En France, l'AFNOR définit, avec les bureaux de normalisation agréés par le ministère de l'Industrie, ces normes officielles, tout en participant également
à l'élaboration des normes au niveau européen et international.
La certification, d'autre part, est l'aboutissement de travaux élaborés par des organismes certificateurs, chargés
d'évaluer la conformité d'une organisation, d'un processus, d'un service ou d'un produit avec les exigences d'une
norme.
Tant les pouvoirs publics que les acteurs privés sont impliqués dans ces processus, dont les mécanismes varient
largement d'un secteur à l'autre. La diversité des situations implique donc la consultation de toutes les parties
intéressées si cela était possible. Il est donc souhaitable qu'une majorité des acteurs du secteur de tout horizon soit
consultée à l'occasion de cet examen.
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