Le cautionnement dans le nouveau Code de la

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Le cautionnement dans le nouveau Code de la
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Lexbase La lettre juridique n˚651 du 14 avril 2016
[Garanties] Textes
Le cautionnement dans le nouveau Code de la consommation
N° Lexbase : N2235BWP
par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des
contrats spéciaux"
Réf. : Ordonnance n˚ 2016-301 du 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation
(N° Lexbase : L0300K7A)
S'il est de bon aloi de flatter les parents de nouveau-né et de ne pas leur faire remarquer que leur bambin
est disgracieux, tout juriste qui s'intéresse au cautionnement aura bien du mal à respecter cette règle élémentaire de savoir-vivre au sujet du nouveau Code de la consommation, tel qu'il résulte de l'ordonnance n˚
2016-301 du 14 mars 2016, publiée au Journal officiel du et qui entrera en vigueur le 1er juillet 2016. Cette
ordonnance a pour origine la loi n˚ 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase :
L7504IZX), plus connue sous l'appellation de loi "Hamon". Elle habilitait le gouvernement à légiférer par
voie d'ordonnance pour recodifier la partie législative du Code de la consommation (art. 161). L'idée était
"d'en aménager le plan et de l'adapter aux évolutions législatives intervenues depuis sa publication, ainsi que d'y
inclure des dispositions non codifiées".
L'article 161 de la loi de 2014 précisait expressément que l'ordonnance devrait être prise à droit constant.
Il en résulte que les principaux apports de celle-ci sont une refonte du plan du code et une renumérotation
complète.
Il faut néanmoins signaler l'enrichissement de l'article préliminaire, devenu article liminaire. Ce dernier est beaucoup
plus complet que son prédécesseur. D'une part, la définition du consommateur répare l'oubli de la loi "Hamon" :
le consommateur est la personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité
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commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. Ainsi, les activités agricoles, jusque là absentes du texte,
sont réintégrées aux activités professionnelles.
D'autre part, le nouvel article liminaire contient désormais une définition du non-professionnel et du professionnel. La
définition du non-professionnel est, au mot près, celle du consommateur, si ce n'est qu'elle concerne la personne
morale, et non la personne physique. Le professionnel est, quant à lui, défini comme la personne physique ou
morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle,
artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel.
Ce nouvel article liminaire prête le flanc à certaines critiques. En premier lieu, ainsi que l'a remarqué un auteur, l'énumération des activités professionnelles semble peu judicieuse (1). Une formulation telle que "les activités n'entrant
pas dans le cadre d'une activité professionnelle quelconque" aurait certainement été plus appropriée. En deuxième
lieu, ces définitions conduisent à écarter complètement la question de savoir si le contrat a ou non un rapport direct
avec l'activité professionnelle. Le critère du rapport direct, utilisé un temps par la Cour de cassation, avait certaines
vertus. En troisième lieu, sont passés sous silence les contrats à double finalité, c'est-à-dire ceux qui sont conclus
à des fins professionnelles et domestiques. Ils semblent exclus de la protection consumériste à la lecture du texte,
contrairement au droit de l'Union Européenne (2). Enfin, en quatrième lieu, la démarcation opérée entre consommateur et non-professionnel paraît bien rigide. A lire ce texte, la seule différence entre eux est que le consommateur
est une personne physique alors que le non-professionnel est une personne morale. S'il est incontestable que la
notion de non-professionnel permet d'appliquer le droit de la consommation à certaines personnes morales (3), il
est certainement quelque peu réducteur de limiter la notion aux personnes morales.
Pour en revenir au cautionnement, l'ordonnance du 14 mars 2016 est un festival d'occasions manquées (4). Les
anciens textes du Code de la consommation, encore en vigueur jusqu'au 1er juillet 2016, traitant du cautionnement
sont principalement les articles L. 313-7 (N° Lexbase : L1523HIA) à L. 313-10 et L. 341-1 (N° Lexbase : L6510ABQ)
à L. 341-6 (5). Ces textes organisent les obligations d'information mises à la charge du créancier, les mentions
manuscrites nécessaires à la validité du cautionnement, et l'exigence de proportionnalité entre les biens et revenus
de la caution et le montant de la garantie. Dans la nouvelle codification, ces dispositions sont devenues l'objet des
articles L. 314-15 (N° Lexbase : L1204K7Q) à L. 314-18, L. 331-1 (N° Lexbase : L1165K7B) à L. 331-3, L. 332-1
(N° Lexbase : L1162K78), L. 333-1 (N° Lexbase : L1161K77) à L. 333-2, et L. 343-1 (N° Lexbase : L1106K74) à
L. 343-6.
La réforme suscite des doutes quant à la forme retenue (I) et des regrets quant au fond (II).
I — Les doutes quant à la forme
Dans le livre III du nouveau Code de la consommation, sobrement intitulé "crédit", l'ordonnance a fait le choix de
détacher les règles et les sanctions. Ainsi, les trois premiers titres énoncent les règles, respectivement relatives
aux opérations de crédit, à l'activité d'intermédiaire et au cautionnement. Enfin, le titre 4 énumère les sanctions,
en reprenant comme subdivisions internes les opérations de crédit, l'activité d'intermédiaire et le cautionnement,
comme autant de chapitres.
Cette méthode n'est guère judicieuse. Il est en effet possible de lui adresser trois reproches (6).
D'abord, les textes relatifs aux sanctions sont contraints de procéder systématiquement par renvois : "les dispositions de l'article L. [XXX-XX] sont sanctionnées par [...]" ou "sont prévues à peine de [...]" deviennent les tournures
de phrase les plus usitées du code.
Ensuite, une telle méthode oblige le lecteur à d'incessants allers-retours entre les textes relatifs à la règle et ceux
relatifs à la sanction. Le praticien apprendra qu'il a telle obligation, ou telle interdiction, mais devra se reporter à des
dispositions situées bien plus loin pour connaître la sanction encourue. Enfin, cette méthode aboutit à des répétitions
qui frisent le ridicule. C'est ainsi qu'il existe désormais des doublons dans le Code de la consommation. Par exemple,
les articles L. 332-1 et L. 343-4, relatifs à l'exigence de proportionnalité du cautionnement sont identiques, à la
virgule près ! Il en est de même des articles L. 331-3 et L. 343-3, qui concernent l'obligation de limiter le montant du
cautionnement solidaire.
Bien évidemment, ce ne sont pas les critiques les plus graves que l'on peut adresser à l'ordonnance du 14 mars, car
les défauts de forme sont tout de même moins lourds de conséquences que les problèmes de fond. Il n'en demeure
pas moins que l'ordonnance avait pour mission d'"améliorer la cohérence rédactionnelle des textes" (loi du 17 mars
2014, art. 161). Un soin particulier apporté à la forme eut donc été appréciable.
II — Les regrets quant au fond
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Les regrets quant au fond sont plus nombreux. Certes, l'ordonnance devait être prise à droit constant, aux termes
de la loi d'habilitation. Cela pourrait laisser penser que les rédacteurs de l'ordonnance n'avaient pas le choix, et ne
disposaient d'aucune marge de manœuvre quant au fond.
Néanmoins, cette même loi d'habilitation énonçait que l'ordonnance devait "améliorer la cohérence rédactionnelle
des textes, [...] remédier aux erreurs et insuffisances de codification et abroger les dispositions obsolètes ou devenues sans objet". Une certaine latitude était ainsi laissée à l'ordonnance. Elle n'a pas su en profiter.
Le "raté" le plus évident de la recodification est le maintien des textes relatifs au cautionnement dans les dispositions
communes au crédit à la consommation et au crédit immobilier (C. consom., art. L. 314-15 N° Lexbase : L1204K7Q
à L. 314-18, reprenant les anciens art. L. 313-7 N° Lexbase : L1261K7T à L. 313-10). Ces textes sont antérieurs à
la loi "Dutreil" du 1er août 2003 (loin˚ 2003-721 d'initiative économique N° Lexbase : L3557BLC) et ont un domaine
d'application limité aux crédits réglementés par le Code de la consommation. La loi "Dutreil" ayant repris ces dispositions, mais en élargissant leur domaine (C. consom., art. L. 341-2 N° Lexbase : L5668DLI et s., devenus L. 331-1
N° Lexbase : L1165K7B et s.), la question de l'opportunité de leur maintien se pose. Il serait concevable de penser
que ces textes ont subi une sorte d'abrogation par absorption : ils sont en effet englobés dans des textes identiques,
mais d'application plus étendue. La recodification était donc le moment idéal pour effacer cette erreur, et alléger
l'arsenal juridique français de quatre articles devenus inutiles.
Par ailleurs, la recodification était l'occasion d'aller plus loin, même si cela devait entraîner l'ordonnance aux frontières de son habilitation. Procédons par ordre, en allant du plus simple et évident, au plus complexe.
La recodification était l'occasion de corriger la sanction, erronée, de l'obligation d'information annuelle de la caution incombant au créancier. En effet, l'ancien article L. 341-6 (N° Lexbase : L5673DLP), devenu l'article L. 333-2
(N° Lexbase : L1160K74), oblige le créancier professionnel à informer, avant le 31 mars de chaque année, du montant de la dette restant due au 31 décembre de l'année précédente. La sanction, reprise par le nouvel article L. 343-6
(N° Lexbase : L1101K7W), est la décharge de la caution des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Cette sanction procède d'une
erreur : l'information n'est pas subordonnée à une défaillance du débiteur principal. Même si ce dernier s'est parfaitement acquitté des échéances de sa dette, le créancier sera tenu d'informer la caution. Or, il n'y aura pas, en
pareille hypothèse, de pénalités et intérêts de retard. La sanction consistera alors en la décharge de quelque chose
qui n'existe pas...
La recodification était également l'occasion d'améliorer la lettre des anciens articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI)
et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7), devenus L. 331-1 (N° Lexbase : L1165K7B) et L. 331-2 (N° Lexbase : L1164K7A).
Dans l'absolu, leur abrogation pure et simple est sans doute la meilleure solution (7). Néanmoins, cette solution ne
semble pas avoir séduit le législateur. A défaut d'abrogation, il aurait au moins été judicieux de réécrire ces textes,
afin de les rendre plus opérationnels. Ainsi, il aurait été utile de préciser que la mention apposée dans l'acte n'a pas
à être rigoureusement identique au modèle légal, dès l'instant que ni le sens, ni la portée de l'engagement ne sont
affectés (8). De même, il aurait été opportun de supprimer la disposition de l'article L. 331-1 qui énonce "et uniquement de celle-ci". En effet, comment ce texte peut-il exiger que la mention qu'il édicte soit la seule reproduite dans
le contrat, quand le texte suivant (C. consom., art. L. 331-2) impose une autre mention en cas de cautionnement
solidaire ? Il y a ici une absurdité criante.
Sur le même sujet, la recodification était, en outre, l'occasion de préciser la sanction du défaut de mention manuscrite
relative à la solidarité. Il est connu que la Cour de cassation a décidé que ce défaut devait être sanctionné par
la nullité de la seule stipulation de solidarité, le cautionnement demeurant valable (9). L'ancien article L. 341-3
disposant que la mention est requise à peine de nullité de l'engagement, cette sanction, fort souple, n'allait pas
de soi. Le nouvel article L. 343-2 énonce que la mention manuscrite relative à la solidarité est "prévue à peine de
nullité". Une telle formulation permettra-t-elle à la Cour de cassation de maintenir sa jurisprudence ? Faut-il y voir
une volonté du législateur d'aboutir à la nullité du cautionnement dans son intégralité ? La seule certitude que l'on
puisse avoir, c'est que l'on n'en a aucune !
La recodification était enfin l'occasion de rapatrier les nouveaux articles L. 331-1, L. 331-2 et L. 332-1 (C. consom.,
art. L. 341-2 à L. 341-4) dans le Code civil. La jurisprudence a, en effet, précisé que ces textes ne concernaient
pas que les cautions profanes. Un dirigeant social, qui se porte caution des dettes de son entreprise, peut profiter
des dispositions relatives aux mentions manuscrites et à la proportionnalité, dès l'instant qu'il est une personne
physique (10). Pourquoi, dans ces conditions, maintenir ces textes dans le Code de la consommation ?
Au final, la recodification du Code de la consommation laisse le même sentiment que la réforme du 23 mars 2006
(ordonnance n˚ 2006-346 N° Lexbase : L8127HHH) : celui que le cautionnement, pourtant sûreté la plus utilisée en
droit français, est toujours le grand absent, le laissé pour compte des réformes.
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(1)Y. Picod, Droit de la consommation, Sirey, 3ème éd., 2015, n˚ 35.
(2) La Directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs (N° Lexbase : L2807IRE),
précise qu'en "cas de contrats à double finalité, lorsque le contrat est conclu à des fins qui n'entrent qu'en partie
dans le cadre de l'activité professionnelle de l'intéressé et lorsque la finalité professionnelle est si limitée qu'elle n'est
pas prédominante dans le contexte global du contrat, cette personne devrait également être considérée comme un
consommateur" (considérant 17).
(3) Cass. civ. 1, 15 mars 2005, n˚ 02-13.285, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2950DHQ), D., 2005, 1948, note
A. Boujeka ; JCP éd. E, 2005, 769, note D. Bakouche.
(4) Ce qui était déjà le cas en 2006 : Ph. Simler, "2006, une occasion manquée pour le cautionnement", JCP éd. N,
2016.
(5) Si l'on exclut les textes calquant le sort de la caution sur celui de l'emprunteur lors de la conclusion du contrat de
crédit (par exemple, C. consom., art. L. 311-11 N° Lexbase : L8197IMK ou C. consom., art. L. 312-7 N° Lexbase :
L6769ABC et s.).
(6) En laissant de côté la question du nombre de textes : 16 nouveaux articles contre 10 actuellement. Pour une
recodification à droit constant censée simplifier le droit, c'est plutôt étonnant.
(7) Nos obs., Lexbase, éd. privée, 2011, n˚ 442, (N° Lexbase : N2752BSQ), note sous Cass. com., 5 avril 2011,
deux arrêts, n˚ 09-14.358, FS-P+B (N° Lexbase : A3426HN9) et n˚ 10-16.426, FS-P+B (N° Lexbase : A3424HN7) ;
G. Piette et J. Lasserre-Capdeville, Portée des mentions manuscrites requises de la part de la caution, D., 2013, p.
1460.
(8) Cela ne serait qu'une prise en considération de la jurisprudence récente.
(9) Cass. com., 8 mars 2011, n˚ 10-10.699, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0443G7K), D., 2011, p. 1193, note Y. Picod ;
nos obs., Lexbase, éd. affaires, 2011, n˚ 246 (N° Lexbase : N9497BR8) ; Cass. com., 10 mai 2012, n˚ 11-17.671,
F-P+B (N° Lexbase : A1210ILE).
(10) S'agissant des mentions manuscrites, Cass. com., 10 janvier 2012, n˚ 10-26.630, FS-P+B (N° Lexbase :
A5284IAX), RTDCom., 2012, p. 177, obs. D. Legeais ; RD banc. fin., mars 2012, p. 45, obs. A. Cerles ; Rev. sociétés, mai 2012, p. 286, obs. I. Riassetto. S'agissant de la proportionnalité, Cass. com., 13 avril 2010, n˚ 09-66.309,
F-D (N° Lexbase : A0705EWZ), RLDC, juin 2010, p. 30, obs. J. — J. Ansault ; Cass. com., 22 juin 2010, n˚ 0967.814, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2722E39), D., 2010, p. 1985, note D. Houtcieff, RTDCiv., 2010, p. 593, obs. P.
Crocq, RTDCom., 2010, p. 552, obs. C. Champaud et D. Danet, RD banc. fin., septembre-octobre 2010, n˚ 172,
obs. D. Legeais, V. Téchené, Lexbase, éd. privée, 2010, n˚ 404 (N° Lexbase : N6432BPW) ; Cass. com., 19 octobre
2010, n˚ 09-69.203, F-D (N° Lexbase : A4348GCZ), RLDC, décembre 2010, p. 33, obs. J. — J. Ansault ; Cass.
com., 10 juillet 2012, n˚ 11-16.355, F-D (N° Lexbase : A8216IQD) et Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n˚ 11-20.192, F-D
(N° Lexbase : A8174IQS), Gaz. Pal., 20 septembre 2012, p. 20, obs. Ch. Albigès.
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