Faut-ildiminuer la rémunération des élus ?

Transcription

Faut-ildiminuer la rémunération des élus ?
dossier
Éthique et vie publique
Faut-il diminuer
la
rémunération des élus ?
O
Par Bernard Poujade
Professeur agrégé des facultés de droit
à l’Université Paris Descartes
Avocat au barreau de Paris
Directeur du Bulletin juridique des
collectivités locales
Cette question revient
comme une antienne
et agite les médias.
Certains élus,
essentiellement locaux,
ont d’eux même décidé
de réduire leurs indemnités
voulant sans doute que
ne soit pas accréditée
dans l’inconscient collectif
la thèse de la caste de
privilégiés coupés du
peuple atteint par la crise.
Mais de quelles indemnités
parle-t-on ? Celles des
élus nationaux, locaux
européens ? Il faudrait
savoir raison garder et
ne pas céder à la facilité
et à la démagogie.
34
/ septembre 2014 / n°444
n se laisse facilement entraîner sur
le terrain de la démagogie par une
méconnaissance de la situation maté­
rielle des élus due pour partie à une
insuffisante transparence des modalités
de leur rémunération nourrissant certains
fantasmes. L’histoire nous rappelle que
la perception des élus par le peuple a
été souvent dominée par un rapport de
méfiance lié à leurs avantages matériels
supposés. On se remémorera la parole
fameuse prêtée à Jean-Baptiste Baudin
député de l’Ain à l’Assemblée de 1849 ; en
réponse à des ouvriers qui se moquaient de
lui, refusaient de le suivre sur une barricade
et l’apostrophaient ainsi « Croyez-vous
que nous allons nous faire tuer pour vous
conserver vos vingt-cinq francs par jour ! »,
il leur aurait répondu, un drapeau à la
main, juché sur la barricade: « Vous allez
voir comment on meurt pour vingt-cinq
francs ! »
Une interrogation justifiée ?
L’analyse comparative montre que nos élus
ne sont pas forcément favorisés par rapport
à ceux des autres pays. La rémunération
mensuelle des parlementaires européens
est désormais la même dans tous les pays
depuis la modification de statut adoptée en
2009 mettant fin à des écarts choquants
entre certains pays.
Les parlementaires nationaux sont dans la
moyenne de leurs homologues en termes de
rémunération de base mensuelle, inférieure
même à celle des députés allemands ou
grecs mais la comparaison n’est plus aussi
favorable si l’on intègre les indemnités
complémentaires.
Quant aux élus locaux, la situation est
variable entre collectivités territoriales ainsi
de la rémunération du maire d’une petite
commune rurale de moins de 500 habitants
et des maires de Paris, Lyon et Marseille.
En France, la grille est calquée sur celle
des fonctionnaires et varie en pourcentage
en fonction de la strate de la collectivité.
Comme l’ont fait remarquer les spécialistes
de sociologie politique la rémunération des
élus locaux n’est pas supérieure à celle
d’autres pays y compris nordiques. En
Norvège, le président d’un comté de moins
de 5 000 habitants perçoit 44 500 euros
par an, mais 200 000 euros à Bergen, avec
200 000 habitants.
Certains pays « fonctionnarisent leurs élus,
comme l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche
ou le Danemark1 » et les rémunérations sont
alors conséquentes : « Au Danemark, le
maire d’une commune de moins de 12 500
habitants touchait 7 300 euros par an en
2005, et 60 000 euros au-delà de 12 500
habitants... Les maires des 5 villes les plus
importantes perçoivent 75 000 euros par
an avec un supplément exceptionnel annuel
d’environ 10 000 euros et 20 000 euros
pour le maire de Copenhague2 ».
Les maires des grandes villes sont moins
bien rémunérés que certains de leurs
homologues étrangers. Les indemnités
ne sont pas, du moins les indemnités de
base, pharamineuses, y compris par rapport
à la haute fonction publique ; il ne faut
pas oublier d’ailleurs que le principe de
l’alignement de l’indemnité parlementaire
sur la rémunération des hauts fonctionnaires
a été retenu en France depuis 1938 et que
ce mode d’indexation a été confirmé par
l’ordonnance portant loi organique n° 581210 du 13 décembre 1958.
La question ne pousse-t-elle pas alors à une
réflexion plus globale sur la rémunération
de la haute fonction publique ? Lors de la
présentation de son rapport de 1994 sur
la politique et l’argent, Philippe Séguin
soulignait déjà que la démocratie a un
prix ; la démocratie c’est-à-dire l’accès de
tous aux charges électives dans la dignité
a évidemment son prix. L’argument que
certains jugent parfois proche de l’alibi,
à savoir garantir aux élus les moyens de
se consacrer, en toute indépendance, aux
fonctions dont ils sont investis, n’est pas
à rejeter.
dossier
On concèdera qu’il n’est pas aisé de déter­
miner à partir de quand une rému­nération
est suffisante pour exercer des fonctions qui
sont très souvent prenantes et astreignantes.
Les vrais problèmes.
pas les incompatibilités des mandats locaux
entre eux. En outre, il n’y a pas de limitation
des mandats au sein des organismes de
coopération entre collectivités territoriales.
Le mandat de maire est encore compatible
avec les fonctions de président d’un EPCI.
Une amélioration de la transparence et du
contrôle est aussi indispensable en matière
d’indemnités représentatives de frais et
notamment de moyens de travail mis à
disposition des parlementaires4.
Ils sont bien connus. Ce sont ceux du cumul
de rémunération qui est certes déjà quelque
peu réglementé.
S’agissant du cumul de l’indemnité
parlementaire avec des indemnités allouées
au titre d’autres mandats, le principe du
plafonnement général des indemnités en
Les réformes utiles.
cas de cumul des mandats a été introduit
Au-delà du cumul et de l’amélioration de
par la loi organique n°92-175 du 25 février
la transparence, la réflexion doit être plus
1992. Le député titulaire de mandats
profonde et porter sur des sujets de plus
ou fonctions électorales locales ne peut
d’ampleur. Ainsi de la réduction du nombre
cumuler les indemnités afférentes à ces
des parlementaires sujet abordé même par
mandats ou fonctions avec son indemnité
le président de l’Assemblée nationale, qui
parlementaire de base que dans la limite
proposait de revenir au chiffre de 1981.
d’une fois et demie cette dernière.
Mais, évidemment, la réforme sans doute
Dès 1982, le rapport Debarge avait posé
essentielle est la réforme territoriale
le principe d’un plafonnement des indem­
avec un acte III de la décentralisation
nités pouvant être perçues
constituant un véritable
par les élus locaux, en
tournant avec des mesures
L’analyse
proposant que leur mon­
radicales pour simplifier le
tant soit aussi limité à
« millefeuille territorial5 ».
comparative montre
1,5 fois le montant de
Le « big bang territorial »
que nos élus ne
l’indemnité parlemen­taire
ne doit pas être un simple
sont pas forcément
et ce plafonnement figure
slogan. La suppression des
favorisés par rapport conseils départementaux
dans le Code général des
col­lectivités territoriales
à l’ho­rizon 2021 est trop
à ceux des autres
(articles L. 2123-20, L.
loin­taine, la réduction de
pays
3123-18, L. 4135-18 et
moitié du nombre de ré­
L. 5211-12
gions françaises d’ici au
Mais la question centrale est celle de
1er janvier 2017 qui est enfantée dans la
l’articulation de la détermination de la
dou­leur, est une prémisse indispensable.
rémunération liée à un mandat dans la
La réflexion sur le cou­ple commune/in­ter­
problé­matique plus large du cumul des
communalité doit être pous­sée plus avant.
mandats3. Les lois ordinaire et organique du
Les projets de res­tructuration profonde des
22 janvier 2014 interdisant respectivement
intercommuna­li­tés qui devront également
le cumul de fonctions exécutives locales
fusionner entre elles d’ici à la fin 2017 et
avec le mandat de représentant au
compter au moins 10 000 habitants au lieu
Parlement européen et avec le mandat de
de 5 000 actuellement constituent une piste
député ou de sénateur constituent à partir
de même que la suppression de bons nombre
de 2017 un changement essentiel encore
de syndicats intercommunaux.
que tardif. Même l’Italie, dont le système
Mais ne faut-il pas s’engager dans un
politique souffre de beaucoup de maux,
processus de fusion des communes de
interdit le cumul d’une fonction de maire
moins de 5 000 habitants pour diminuer
de grande ville et de parlementaire depuis
réellement le nombre d’élus ; d’autres pays
longtemps.
en Europe ont eu le courage de le faire, ainsi
Mais le cumul de la fonction de parlementaire
la Suède comptait 2 532 communes dont
avec celle de conseiller municipal, conseiller
la fusion, achevée en 1974, aboutit à 290
régional, conseiller général ou de membre
communes ! On peut utiliser évidemment
d’un EPCI est encore possible. La nouvelle
la technique de fusion aboutissant à la
loi sur le cumul des mandats ne concerne
commune nouvelle issue de la loi de
réforme des collectivités territoriales du
16 décembre 2010 en incitant fermement
les élus à y recourir comme le propose
le président de l’Association des maires.
Mais il faut du courage pour réformer en
■
profondeur !
1 - Cf E Kerrouche interview au Courrier des maires, mai 2013.
2 - Ibidem.
3 - Rapport d’information Sénat sur le statut de l’élu de MM. Philippe Dallier
et Jean-Claude Peyronnet n°318, 31 janvier 2012, p 27 et s.
4 - notre article sur l’utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat
pour financer une campagne électorale in AJDA 2013 p 1062.
5 - cf notre éditorial L’acte III de la décentralisation, suite. In Bulletin juridique
des collectivités locales avril 2004 p 233.
/ septembre 2014 / n°444 35