Paru en mai 2012 dans le n° 1855 de El Pais Semanal. © Paco

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Paru en mai 2012 dans le n° 1855 de El Pais Semanal. © Paco
Paru en mai 2012 dans le n° 1855 de El Pais Semanal. © Paco Roca et Rackham pour la traduction française
C’est
combien pour
le café et le
donut ?
J’ai la sensation que, depuis que la
peseta a disparu, la vraie valeur des
choses nous a échappé. Les prix des voitures de luxe ou les notes des restaurants chic ne m’effrayaient plus et nous
nous sommes même habitués aux
prix déconcertants des appartements.
L’immobilier était devenu un investissement sûr. C’était comme investir dans
l’or. Une baisse du marché était tout
bonnement impensable.
Ça peut paraître incroyable, mais je
continue à avoir des soucis avec l’euro
Mon ami « Sagittaire » a acheté son
appartement au moment où les prix
avaient atteint leur maximum.
Qu’est-ce que je fais, maintenant ?
Même en vendant l’appartement,
je n’arriverai pas à effacer
l’hypothèque.
Maintenant il doit le vendre car, comme
beaucoup de gens, il est au chômage et
ne peut plus payer les traites.
Qui aurait pu penser que cette splendeur
apparente allait un jour se terminer ?
Les banques nous ont généreusement
offert ce qui semblait être une démocratisation de la richesse. Quelqu’un l’a
appelée le « capitalisme populaire ».
Comment ce système,
apparemment parfait, a-t-il pu
se casser la figure ?
Que diriez-vous de prolonger
un peu votre hypothèque ? Vous
pourriez vous faire un petit
plaisir et partir en vacances
aux Caraïbes !
… vous ne pouvez pas partir comme ça,
Monsieur. Prenez, prenez plus d’argent...
n’ayez pas peur. Vous devez rénover
votre maison ? Avez-vous une
deuxième voiture ?
Il serait plus exact de dire que les
banques ont mis le gaspillage à notre
portée.
Pourquoi les banques ont-elles été
si « attentionnées » avec nous ?
Les banques nous prêtent l’argent
pour acheter notre maison
Nous devons rembourser cet argent
en échéances mensuelles auxquelles
s’ajoutent, inévitablement, des intérêts.
Dès leur création, c’était le moyen pour
les banques d’engranger des profits.
C’est
ça...
et si
on y ajoutait
une pincée de
génie financier ?
Investir
de l’argent que
nous n’avons pas
encore... J’aime
ça !
Mais il semble que les banquiers ne
furent pas totalement satisfaits des
profits ainsi obtenus.
Alors que faire pour gagner plus
d’argent ?
Avec une habileté digne des plus
grands alchimistes, les banques ont
transformé nos dettes en fonds
d’investissement à haut risque mais
aussi à haute rentabilité.
De cette façon, nos dettes leur ont
fait gagner encore plus d’argent.
Leur cupidité les a poussées à
spéculer sur du fictif.
et elles ont accumulé des profits
énormes en jouant avec notre argent.
Notre économie tenait debout grâce à une croissance
perpétuelle et impitoyable. En quelques années nous
sommes passés de la société de consommation au consumérisme, à l’ostentation et au gaspillage effréné.
On aurait
dit que tout le
monde jouait au
Monopoly
Tous ceux qui en avaient
les moyens, achetaient ou
vendaient de l’immobilier ou
investissaient dans la bourse
Moi-même,
qui considère les
tickets de supermarché
comme de la « haute
finance », j’ai fini par
investir dans je ne
sais quoi.
Ce modèle de société est une pyramide
où ceux d’en-haut maintiennent joyeusement soumis ceux d’en-bas, qui attendent
à leur tour l’opportunité de gravir
un échelon.
Est-ce
que je peux jouer
avec vous ?
Bien sûr.
Venez... ici on
traite tout le
monde d’égal à
égal.
Passez
par la case
sortie
Ce joyeux gaspillage,
encouragé par les banques,
aura fini pour nous
coûter très cher.
Oups !
Hé,
hé, hé !
Chaque nouveau lancer de dès
fissurait un peu plus le système
Jusqu’au jour où tout
est parti en sucette
Et ce système, qui semblait parfait,
s’est effondré
Aïe ! On a fait une
grosse boulette !
Fais
« F5 »
Non,
il vaut mieux
redémarrer...
J’ai l’impression de vivre dans un roman de S.F. où les gens abandonnent la planète
avant la catastrophe. On pourrait très bien affirmer que la crise est le symptôme
d’un système pourri, à bout de souffle.
Immeubles fantômes sans occupants,
lotissements abandonnés, stations de
métro non inaugurées, ponts inachevés...
La classe moyenne, grande réussite de
l’état-providence, s’effondre.
C’est la fin d’une époque
…ils nous ont presque tous
licenciés : notre client principal
est la mairie qui ne nous paye plus
depuis des mois. À quoi ça rime ?
Beaucoup d’entreprises qui prennent
l’eau, coulent à cause d’une dette publique qui atteint 40 milliards d’euro.
Oups !
Oups !
Oups !
hypothèques qu’on ne peut plus payer,
arrêt de la consommation, fermeture
des entreprises qui aggrave
le chômage...
À quoi ça rime, si même les
administrateurs ne respectent plus
les règles du jeu ?
Au beau milieu de la crise, quand les
familles se serraient la ceinture depuis
un moment, les élus dépensaient avec
insouciance toutes leurs ressources.
fastueuses salles polyvalentes, spa
ultramodernes dans de petites communes,
rond-points énormes et absurdes
Nous avons naïvement fait confiance
aux hommes politiques pour qu’ils s’occupent de nous et nous protègent ;
ils se sont démontrés bien moins
sensés que leurs administrés.
Puis sont venues les œuvres pharaoniques, les parcs thématiques, les TGV
sans passagers et les aéroports
sans avions
Tout cela a provoqué l’arrêt de la croissance …
… ma famille a dû quitter la maison
parce que la banque l’a saisie. Mon père
est au chômage et nous avons
déménagé chez mes
grands-parents...
mais
mes parents
doivent continuer à payer
les traites de
l’appartement...
...et la pyramide du capitalisme s’est effondrée.
Si l’argent ne se crée ni ne se détruit...
mais change simplement de main...
Dans quelles mains est-il maintenant ?
Les directeurs et les hauts
fonctionnaires qui ont ruiné leur
banque par leur mauvaise gestion, continuent à percevoir des salaires et des
retraites de millionnaire.
Ce ne sont que des miettes, entendonsnous bien. Si nous continuons à gravir
la pyramide, nous y trouvons les spéculateurs qui ont gagné des fortunes en
achetant et vendant la dette grecque.
Seulement 10% de la
population mondiale...
...détient 85% des
richesses
Selon la même étude
de l’UNESCO, 2% des plus
riches...
.. et les riches
veulent continuer à
être riches. Coûte
que coûte.
Attention, je ne parle pas que
des très riches mais aussi de toi,
de nous tous... Tu crois vivre
mal à cause de la crise ?
...détiennent la moitié
de la richesse mondiale
Demande donc à quelqu’un qui vit
dans le tiers-monde.
Dans la Corne de l’Afrique, la famine
a provoqué 1 million de morts,
dont 800 000 enfants
Ne parlons pas des régimes dictatoriaux
arabes qui ont été soutenus pendant des
années par les occidentaux, à cause d’intérêts énergétiques et géo-politiques...
La crise n’est pas simplement économique.
ça concerne tout le système,
à l’échelle mondiale.
Et que faisons-nous pour
sortir de la crise ?
Dans beaucoup de pays européens,
les gouvernements baissent les salaires
et les retraites. En vérité, je ne
comprends pas comment cela peut
favoriser l’emploi...
Mais, tous les sacrifices que nous
sommes en train de faire vont-ils servir
à nous sortir de cette situation ?
… sans parler des coupes dans
l’éducation. L’argent qui arrive à
mon lycée ne suffit même pas à
acheter du papier. Nous sommes en
train d’hypothéquer les générations futures...
Est-ce que notre argent va servir à
autre chose qu’à payer les erreurs de
politiciens mégalos et la faillite du
système financier ? Est-ce que nous ne
courrons pas le risque de perdre pour
toujours nos droits sociaux,
si durement acquis ?
Nous ne pouvons pas entièrement laisser cette responsabilité aux mains des politiques.
Mademoiselle, à
quelle heure servezvous le repas ?
Avez-vous
une carte des
eaux minérales ?
Mais qui les a
laissé monter à
bord ?
… au moins, cela a pour effet d’inciter
les étudiants à défendre leurs droits.
C’est un moment crucial. Une opportunité pour changer de système et
commencer un nouveau voyage.
Dans ce voyage, allons-nous nous encombrer des mêmes aberrations
que celles qui nous ont
menés à ce point ?
Une croissance infinie est impossible dans
une planète où les ressources sont
limitées. Nous devons construire une
économie juste et soutenable.
Nous devons rappeler aux politiques que
l’équilibre du budget ne peut être obtenu
uniquement par la réduction des services
et des prestations sociales.
Il faut contrôler les banques, éliminer
les paradis fiscaux et les opaques
agences de notation. Il faut davantage
taxer les grandes fortunes, lutter
contre la corruption, faire une
profonde réforme électorale...
En fin des comptes,
ce qui est immoral doit être illégal.
C’est un défi pour tout le monde.
Le monde que nous allons créer...
va dépendre de nous et des valeurs que
nous allons porter dans ce voyage.
Gilles Lipoetsky a écrit : « Le XXI siècle sera éthique ou ne sera pas »
Merci à Vicente P., au professeur Quintanilla et à tous ceux qui m’ont fait part de leur point de vue sur la crise.

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