Thème 7: Besoins des clients et création de valeur

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Thème 7: Besoins des clients et création de valeur
Thème 7: Besoins des clients et
création de valeur
Serghei Floricel
Tout projet d’innovation crée de la valeur en répondant à un ensemble de
besoins de ses clients. Tout produit est un vecteur de bénéfices évalués par
les clients à la lumière de ces besoins. Parlant simplement, la valeur d’un
produit se mesure par la somme en argent (le prix) que ces clients seraient
prêts à payer pour obtenir les bénéfices que ce produit rapporte. Les
recherches du programme MINE confirment que cette valeur ne provient pas
seulement des fonctions et des performances du produit, mais aussi de sa
capacité d’interopération avec d’autres produits et systèmes, de sa qualité,
fiabilité et économie, de la précision avec laquelle il répond aux problèmes
concrets rencontrés par chaque client dans ses activités etc. Comme nous
avons vu au Thème 1, les différentes joutes d’innovation vont accentuer de
façon distincte ces dimensions.
La valeur du produit est réduite par les «coûts» et les « risques » que les
clients associent à l’achat et l’utilisation du produit. Des exemples incluent
les coûts réels et les efforts dépensés pour s’informer et évaluer le produit,
pour le transporter, pour apprendre comment l’utiliser, pour acheter des
fournitures et des produits complémentaires, pour l’installer, l’assurer,
l’opérer, l’entretenir, le réparer et même d’en disposer ainsi que des risques
associés aux délais de livraison, au mauvais fonctionnement, à une mauvaise
image du produit etc. La valeur est aussi diminuée par les alternatives dont
le client dispose (produits concurrents ou substituts), surtout les alternatives
peu dispendieuses ou gratuites.
La compréhension des besoins concrets des utilisateurs devient donc un
élément critique au succès de tout projet d’innovation. Pour les innovations
moins radicales la littérature recommande de dresser des listes de
comprenant des dizaines et même centaines de besoins, grouper ces besoins
en plusieurs catégories plus générales et établir des priorités entre les
différentes catégories (et même entre les besoins plus spécifiques). Ces
catégories plus générales serviront à l’élaboration d’une stratégie marketing
(voir thème 9). La figure 7.1 présente un exemple de regroupement de
besoins, présenté sous forme d’arbre ou hiérarchie, pour un service tel qu’un
programme de formation. Cette figure illustre bien l’idée centrale que les
besoins reliés à tout produit ou service sont multiples et reflètent plusieurs
dimensions de l’expérience des clients par rapport aux produits.
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Les besoins peuvent être identifiés à l’aide d’entrevues individuelles semidirigées ou de focus-groupes avec 8 à 10 personnes; les deux sont des
conversations plutôt libres autour de quelques thèmes identifiées
préalablement. Parfois, on utilise aussi des techniques qui sondent les
représentations subconscientes des clients, en les incitant d’associer des
images et des métaphores à leurs propres désirs et aux produits. Dans les
marchés industriels, l’identification des besoins est une discussion technique
d’expert à expert, et nécessite parfois des études techniques approfondies.
Toutefois, un obstacle devant une telle compréhension des besoins est la
nouveauté des produits, un problème qui concerne surtout les innovations
plus radicales. La nouveauté empêche les clients de comprendre leurs
besoins concrets et de les exprimer, car ils doivent s’imaginer des situations
inconnues, souvent atypiques. Les besoins extraits par des simples entrevues
avec des clients risquent dans ce cas de produire une image des besoins, qui
reste générique, partielle et souvent fausse. On ne peut pas non plus se fier
à l’idée qu’un nouveau produit qui est techniquement supérieur, créera ses
besoins. D’innombrables « bijoux techniques », basés sur des technologies
qui semblaient révolutionnaires, ont échoué sur le marché car ils n’avaient
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pas le bon dosage entre les attributs qui répondaient aux différents besoins
ou ne répondaient tout simplement pas à une exigence ou inquiétude
importante des clients. Même si on peut influencer et façonner les besoins,
cette influence a des limites. Il est donc utile de voir les besoins comme des
forces psychologiques et sociales cachées, dont le potentiel se manifestera
en contact avec les nouveaux produits.
Comme peut-on découvrir ces besoins réels mais cachés ? Une solution peut
être d’utiliser la « conception empathique » dans laquelle les concepteurs
observent ou « chaussent leurs chaussures » des clients, en essayant de
comprendre comment le nouveau produit pourrait s’insérer et produire des
bénéfices dans la vie de ces clients. Une autre possibilité c’est de faire des
entrevues avec des « utilisateurs précurseurs » -- des clients qui ont des
besoins plus avancés que l’ensemble du marché et qui, pour satisfaire ces
besoins, ont dû se développer eux-mêmes, de façon plus ou mois artisanale
un produit similaire. La figure 7.2 présente les différentes options disponibles
pour l’identification des besoins, en fonction du degré de nouveauté du
produit. Il faut comprendre, toutefois, que plus le produit n’est nouveau,
moins les informations produites sur les besoins sont fiables.
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La solution peut être aussi une séquence itérative de découverte des besoins.
Elle consiste à faire tester successivement des concepts, des maquettes, des
prototypes et des versions préliminaires du produit par les clients en vue de
produire, à chaque fois, des versions améliorées, basées sur un feedback de
plus en plus détaillé et précis des utilisateurs. Ces approximations du produit
permettent aux utilisateurs de se rendre compte de leurs besoins et de les
exprimer pour les concepteurs. En pratique, le projet peut conclure des
partenariats avec des entreprises qui sont des clients potentiels et impliquer
leurs représentants dans l’équipe de projet, demander à leurs employés de
tester en utilisant le produit, utiliser leurs installations comme site de
première implantation et de test en conditions « commerciales », etc. La
joute appelée « appreneur en tandem » consiste justement à s’associer avec
des clients qui ont des besoins de plus en plus avancés pour migrer vers des
applications de plus en plus exigeantes d’une même technologie de base.
Finalement, si on ne peut pas anticiper de façon fiable les besoins des
utilisateurs, on peut lancer un grand nombre de produits-sondes et de
versions sur le marché, sans les perfectionner au plus haut degré, et de
laisser émerger quelques « gagnants » qui seront ensuite améliorés. La joute
des « nouvellistes pressés », qui inclut par exemple les secteurs des
publications et l’industrie du vêtement, utilise souvent cette approche. Sur
des centaines de livres ou des dizaines de journaux publiés seulement
quelques-uns deviendront des succès. À la limite, on peut fournir aux clients
un « kit » qui leur permet de s’assembler eux-mêmes le produit qui répond
mieux à leur besoins, les transformant ainsi en concepteurs de produit (ou
co-concepteurs de l’équipe de projet).
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