Faut-il interdire la publicité pour le crédit à la consommation?

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Faut-il interdire la publicité pour le crédit à la consommation?
Faut-il interdire la
publicité pour le crédit
à la consommation?
La jeunesse débat
Rue de la Tour 16
1004 Lausanne
Fiches
argumentaires
août 2014
Adrien Rufener
+41 21 311 28 05
[email protected]
www.lajeunessedebat.ch
Le crédit est une modalité d’achat courante. Il permet d’acquérir un objet et reporter à plus tard une partie
ou l’intégralité de son paiement. En 2008, 14,1% de la population vivait dans un ménage avec au moins un
crédit à la consommation (chiffre : OFS*). Ces dernières années, le nombre de crédits à la consommation
a considérablement augmenté. Si elles sont bien gérées, les dettes permettent des investissements utiles,
mais leurs conséquences peuvent aussi être dramatiques pour les personnes et pour la collectivité si elles
ne sont pas correctement maîtrisées. En effet, le crédit à la consommation peut mener au surendettement
et contraindre la personne à vivre avec le minimum vital. Dans cette situation, de nombreuses factures
ne sont plus honorées, notamment celles des impôts qui n’entrent pas dans les normes du calcul du
minimum vital. C’est pour cette raison que des mesures sont mises en place par les pouvoirs publics pour
lutter contre les risques du surendettement. Une des propositions est d’interdire la publicité pour le crédit
à la consommation, parce qu’elle en masque les conséquences parfois dramatiques. Une telle démarche
est-elle utile ? *Office fédéral de la statistique
Le crédit qu’est-ce que c’est ?
Il s’agit d’un contrat dans lequel un prêteur (ou créancier,
le plus souvent une entreprise ou une banque) met à
disposition une somme d’argent à un emprunteur (ou
débiteur) pendant une certaine période. Sur ce laps
de temps, la personne qui a emprunté l’argent doit
rembourser progressivement sa dette et verser une
somme en plus, les intérêts, fixée à l’avance, ainsi que
des frais. Les intérêts s’apparentent à la facture payée
à l’organisme dont le service est de mettre à disposition
une somme d’argent ; un peu comme si les débiteurs
achetaient de l’argent.
Le crédit à la consommation
en quelques lignes :
Le crédit à la consommation s’applique uniquement à des
objets de consommation courants (meubles, vacances
etc.), et pas à l’acquisition de biens plus importants,
comme une maison. Pour acquérir un bien comme une
voiture, il est possible de passer par un leasing (aussi régi
par la loi sur le crédit à la consommation). Pour pouvoir
octroyer un crédit, la banque ou l’institut de crédit doit
vérifier la solvabilité du client, c’est-à-dire sa capacité à
rembourser ses dettes en 36 mois. Le crédit à la consommation, parfois nommé petit crédit, est une dette contractée généralement pour une durée de trois ans, avec un
taux d’intérêt fixe de maximum 15%.
également régies par la loi sur le crédit à la consommation.
Le détenteur effectue ses achats avec sa carte et rembourse par la suite l’institut de crédit avec un taux d’intérêt
variable. Il faut bien les distinguer des cartes de banques
(comme maestro ou postfinance) qui prélèvent l’argent
directement du compte bancaire de l’intéressé. Certains
magasins proposent également de faire crédit (partenariat
entre une banque et le magasin).
Que se passe-t-il quand
on est surendetté ?
Le surendettement survient quand on a des dettes que l’on
ne parvient plus à rembourser. Le risque est d’entrer dans
un cercle vicieux, dans lequel l’emprunt d’argent devient
un moyen de rembourser des dettes existantes: les intérêts deviennent toujours plus importants et il est toujours
plus difficile de subvenir à ses besoins. Lorsque quelqu’un
est dans l’incapacité de rembourser ses dettes après plusieurs rappels, l’office des poursuites lui saisit ses biens de
valeur et/ ou son salaire, exception faite du minimum vital.
Si la personne est insaisissable, cela ne signifie pas pour
autant que la dette est annulée, puisque le créancier reçoit
une reconnaissance de dettes (acte de défaut de biens)
valable 20 ans, que l’emprunteur devra rembourser s’il en
a la possibilité.
Les cartes de crédit (Visa ou Mastercard par exemple) sont
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Faut-il interdire la publicité pour le crédit à la consommation ?
Favoriser la prévention
Protéger les personnes vulnérables
Plusieurs actions de prévention de l’endettement non maîtrisé
sont menées en parallèle. Certains cantons proposent des sites
internet ou des manuels de sensibilisation ; certains enseignants
dans le secondaire proposent des formations ou des cours pour
apprendre à tenir un budget. De plus, le Parlement suisse a
décidé d’interdire la publicité jugée « trop agressive » du crédit
à la consommation en mai 2014 (initiative parlementaire Aubert).
Ainsi, la publicité ne peut pas être trop incitative. Il y a donc de
nombreuses possibilités de lutter contre l’endettement excessif
sans en arriver à une solution aussi extrême que l’interdiction
publicitaire.
L’endettement permet d’obtenir des biens utiles, mais il
s’explique aussi par des difficultés dans le parcours de vie
(divorce, déménagement, chômage, bas revenus etc.) ou
par des causes psychologiques (les personnes souffrant
d’achat compulsif ou dépendantes aux jeux d’argent ou aux
drogues par exemple). Ainsi, la publicité pour le crédit est
accusée d’être une incitation à dépenser plus que ce qui
serait nécessaire. Les catégories de la population les plus
fragiles sont les premières à se trouver en difficulté à honorer
leur crédit, à cause de leurs bas revenus. Les jeunes, bien
que souvent ciblés par la publicité pour le crédit, ne sont en
moyenne pas plus endettés que les adultes (source : OFS
2008).
Un souci de cohérence
Interdire la publicité donne un message cohérent à la
population : il est paradoxal de financer des programmes de
prévention alors que des publicités invitent dans le même
temps à acheter le bien de ses rêves par le petit crédit.
Les mesures actuelles auraient une meilleure visibilité s’il
n’y avait pas d’incitations inverses. Enfin, une interdiction
complète de la publicité serait plus claire qu’une interdiction
de la publicité jugée trop agressive.
POUR
« Les cantons, les villes et communes connaissent bien cette
ambiguïté de devoir accepter que leurs murs soient couverts
de publicité vantant les petits crédits et l’argent facile,
tout en organisant des campagnes de prévention contre
l’endettement et en consacrant une partie de l’aide sociale à
des personnes enfoncées dans les dettes. »
Josiane Aubert, conseillère nationale
et vice-présidente du syndicat Travail. Suisse, www.sp-ps.ch,
7 mai 2014
« Nous avons par exemple, il y a de cela quelques années,
réussi à faire interdire la publicité pour l’alcool et le tabac
au nom de la santé publique. Et j’estime que la question du
surendettement est une question de santé publique. »
Thierry Apothéloz, conseiller administratif, Vernier (GE),
A bon entendeur (RTS),
17 décembre 2013
« Ces publicités poussent à la surconsommation et présentent
le crédit comme un acte anodin et sans conséquences. »
Florence Bettschart, juriste à la
Fédération romande des consommateurs,
www.swissinfo.ch,
4 février 2012
« (…) les collectivités publiques assument de nombreux coûts
sociaux (santé, chômage, aide sociale) et économiques (pertes
fiscales, assurance-maladie) découlant du surendettement
des particuliers. »
Dettes Conseils Suisse,
lettre aux Conseillers Nationaux, www.schulden.ch,
18 juin 2013
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Faut-il interdire la publicité
« Le Conseil fédéral veut une économie de marché libre, mais
il veut aussi une restriction de cette économie de marché
quand cela est nécessaire. Quand c’est l’Etat qui doit à la fin
passer à la caisse, si le marché échoue et la branche ne prend
pas ces responsabilités, alors cela n’a rien à voir avec un
comportement libéral, mais avec une transmission des coûts
aux contribuables. »
Simonetta Sommaruga, conseillère fédérale,
discours au Conseil national, 8 mai 2014 (Traduction de l’auteur)
« (…) ce sont majoritairement des jeunes et des ménages
pauvres qui sont sujets au surendettement, donc des
catégories de la population particulièrement vulnérables.
La clientèle jeune est souvent séduite par les messages
publicitaires postés sur les réseaux sociaux, qui font croire
que tout le monde peut réaliser son rêve en un clic de souris,
gratuitement et sans risque. »
Francine John-Calame, conseillère nationale,
discours au Conseil national, 8 mai 2014
« A certaines conditions, des jeunes de 14 ans peuvent déjà
être en possession de leur propre carte de crédit. En outre, les
promesses de la publicité pour les crédits à la consommation
ciblent tout spécialement les jeunes, consommateurs novices
qui ont encore peu d’expérience en matière de gestion de
l’argent. La CFEJ [Commission fédérale pour l’enfance et la
jeunesse] soutient de ce fait l’interdiction de la publicité en
faveur des petits crédits. »
Commission fédérale
pour l’enfance et la jeunesse, www.cfej.ch,
consultée le 20.06.2014
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Fiche
Intervention étatique ou
autorégulation du marché ?
Se retrouver dans une situation de surendettement peut
arriver à tout le monde. Il revient alors à la collectivité d’en
assumer une partie des conséquences. Pour cette raison,
certains justifient une régulation de ce marché par l’Etat.
Pour d’autres, réguler trop sévèrement le marché donnera
moins d’opportunités à des individus d’acquérir des biens,
et préfèrent croire en la responsabilité individuelle.
La liberté de commerce
Il est de la responsablilité individuelle des personnes qui
contractent un prêt de connaître la limite de leur solvabilité.
Par ailleurs, interdire la publicité du petit crédit constitue
selon certains une entrave à la liberté de commerce, un des
piliers de la société démocratique.
© Mix&Remix
pour le crédit à la consommation ?
« La publicité est un instrument indispensable de l’économie de
marché. Elle véhicule des informations, crée la transparence
sur le marché et permet la concurrence entre les prestataires.
L’interdire reviendrait à mettre les citoyens sous tutelle et à
les empêcher de prendre leurs propres décisions. »
Fédération des entreprises suisses,
www.economiesuisse.ch, décembre 2011
« Les jeunes sont aujourd’hui constamment exposés aux
possibilités de consommation. Une interdiction de la publicité
en faveur des petits crédits est donc, au mieux, une goutte
d’eau dans la mer. »
Stephen Oetiker, directeur de Pro Juventute,
www.projuventute.ch, décembre 2013
« Une étude de la Haute école spécialisée de Lucerne (...)
confirme qu’il est plus efficace de lutter contre l’endettement
des jeunes par des mesures préventives. »
Pro Juventute, www.projuventute.ch, décembre 2013
« La publicité sert à la différenciation et au positionnement
des marques et produits sur le marché et n’a pas d’influence
sur la demande totale de petits crédits. »
Bernhard Schmid, porte-parole de Bank Now,
deuxième plus grand institut de crédit suisse,
www.swissinfo.ch, 4 février 2012
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CONTRE
« (…) Les crédits à la consommation ne sont pas la principale
cause d’endettement chez les jeunes : leurs dettes se
présentent surtout sous la forme de factures impayées, en
premier lieu celles relatives aux impôts. »
Résumé de l’enquête « La prévention de l’endettement fonctionnet-elle ? », réalisée par la Hochschule Luzern, décembre 2013
« Rappelons que du point de vue de la liberté d’expression
qui constitue un droit fondamental dans toute société
démocratique, nous considérons que tout produit ou service
en accès libre doit pouvoir bénéficier de la liberté de se faire
connaître de la population ; c’est le fondement même d’une
économie de marché basée sur la liberté et la responsabilité
individuelle. »
Claude Miffon, vice-président de Publicité Suisse,
www.publicitesuisse.ch, 1er octobre 2013
« Eternel paradoxe de la paille et de la poutre : ceux qui
condamnent le petit crédit et voudraient protéger les
consommateurs de toute tentation sont souvent aussi ceux
pour qui la dette est une facile solution de financement des
dépenses publiques. Or, le poids des petits crédits privés n’a
aucune commune mesure avec celui des dettes publiques »
Philippe Meyer, in Le Temps,
18 décembre 2013
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Faut-il interdire la publicité pour le crédit à la consommation ?
Vernier, première commune de Suisse
sans publicité sur le crédit
Vernier, ville du canton de Genève, est la première commune
helvétique à avoir banni la publicité du crédit dans ses rues.
Cette décision a été notamment justifiée par les frais que
la collectivité doit prendre en charge lorsque quelqu’un
est en situation de surendettement. Précisons que cette
interdiction ne s’applique qu’à l’affichage sur les panneaux
de publicité, sans conséquence sur la publicité sur internet
ou à la télévision.
Argent plastique
L’argent plastique est apparu avec les cartes bancaires et de
crédit. Notre argent apparaît désormais sous forme virtuelle,
et non plus physique. L’utilisation des cartes bancaires
rend plus difficile le contrôle des sommes effectivement
dépensées, puisque il faut consulter son relevé de compte
plutôt que de simplement compter l’argent dans son portemonnaie. C’est pourquoi ce mode de détention de l’argent
est parfois critiqué, même si son impact sur le risque de
surendettement reste difficile, voire impossible à évaluer.
Fiche
Lexique
Endettement : ce terme englobe les crédits effectués, mais
aussi les arriérés de paiement (factures non-payées), et les
découverts bancaires (quand le compte en banque est en
négatif). C’est aussi l’état d’une personne qui a contracté
des dettes et dont le budget est équilibré alors même
que chaque mois, la personne rembourse ses dettes. Cet
équilibre est contrôlé et maîtrisé.
Leasing : crédit accordé par une société (banque ou
organisme spécialisé) à un individu qui souhaite acquérir un
bien qu’il ne peut pas acheter avec son argent. L’individu
en question choisit le bien, puis la société de crédit le paie
et le lui loue sur une longue durée. Le contrat prévoit une
option d’achat pour laquelle le particulier doit débourser
une somme supplémentaire.
Office des poursuites : service cantonal auquel un prêteur
s’adresse pour contraindre un emprunteur qui n’a pas payé
sa dette à s’en acquitter.
Surendettement : étape après l’endettement, quand on
a beaucoup de dettes, qu’on est incapable de les payer
à temps. Il y a surendettement lorsque les engagements
financiers sont supérieurs à la fortune et au surplus
de budget. Beaucoup de personnes ont alors l’idée
d’emprunter pour rembourser d’autres emprunts, empirant
encore leur situation.
Liens internet:
Dettes Conseil Suisse, organisme regroupant la
plupart des associations actives dans le domaine du
surendettement : www.dettes.ch
Page sur la prévention du surendettement
du Centre social protestant :
www.csp.ch/vd/prestations/prevention
Ciao, le site pour les jeunes : www.ciao.ch/f/argent
Section sur le budget du site Iconomix :
www.iconomix.ch/fr/materiel/a036
Site du Canton de Vaud pour lutter contre le
surendettement : www.vd.ch/dettes
Avec le soutien de:
© 2014 - La jeunesse débat
Fiche réalisée en partenariat avec:
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