Les coulisses du pâté Hénaff du cochon à la boîte
Transcription
Les coulisses du pâté Hénaff du cochon à la boîte
8 dimanche Ouest-France 19 février 2012 actualités Les coulisses du pâté Hénaff du cochon à la boîte La petite boîte bleue est née il y a près d’un siècle, à Pouldreuzic (Finistère). Visite guidée de cette star au secret bien gardé. Prenez un cochon jeune, rose et insouciant. Des épices. Une pincée de sel et de poivre. Une coiffe bigoudène. Mettez le tout dans un récipient. Mixez. Malaxez. Versez la mêlée obtenue dans une boîte ronde, bleue et jaune en fer-blanc. Faites cuire quatre heures à l’autoclave. Laissez reposer six semaines. Et vous obtenez la star de Pouldreuzic, l’artiste du pique-nique : le pâté Hénaff. Ah, le pur porc du bout du monde ! Quelle papille n’a pas un jour frissonné sous son fumet, qui s’insère dans les mémoires bretonnes comme les arômes de la madeleine de Proust. Mais comment le fabrique-t-on, ce leader sur le marché français des pâtés appertisés ? C’est ce qu’on a voulu vous narrer ici, en images. Du porcelet à la tartine. De la ferme à l’usine. Mais le ténor du Finistère met du mystère dans sa cocotte : la découpe, le mélange des viandes et des épices, ni vu ni raconté. On a négocié, tempêté, flatté le président JeanJacques Hénaff (photo), rien n’y a fait. Le secret est décrété et le patron indécrottable sur le sujet. Pour Patrick Jeffroy, grande toque finistérienne, la recette est « à coup sûr très simple ». Mais le mystère est bruyamment entretenu. Bonne visite ! 6 La mêlée Ça y est : on n’a rien vu. La mêlée (la pâte de viande crue épicée, salée, poivrée) sort des ateliers interdits. C’est la formule d’épices qui singularise le produit. Germaine et Jean-Jacques Hénaff, petits enfants du fondateur de l’entreprise, sont les seuls détenteurs du secret. Une noria de petits wagonnets remplis de pâté cru sont poussés manuellement vers une machine doseuse qui remplit les boîtes, cinq formats possibles de 78 g à 1 kg. À partir de là, tout est automatisé, jusqu’à l’emballage. Sur les 207 salariés de l’entreprise, 24 travaillent à temps plein sur le seul pâté Hénaff. 7 Petites boîtes Comme les porcs viennent tous d’élevages finistériens, les boîtes arrivent de chez Franpac à Douarnenez, en moyenne 100 000 par jour. 8 Les contrôles techniques et qualités Landrace (mère), croisement plutôt utilisé en élevage pour produire des reproducteurs. Ici, l’animal n’est pas « poussé ». Nourri à 75 % de céréales, il quitte l’élevage à six mois, soit 110 kg. Vingtcinq éleveurs produisent 80 % des porcs « Hénaff », la plupart sont proches de Pouldreuzic. Jean-Yves Guillerm est l’un des plus éloignés : moins le cochon fait de camion, meilleur est le pâté ! C Le grand saut D Le contrôle des carcasses En tra n t cinq par cinq dans la chaîne d’abattage, les porcs n’ont pas le temps de comprendre ce qui va leur arriver. Pas de cri, pas de stress. Le boucher leur pose une sorte de casque audio sur la tête avec deux électrodes à la place des écouteurs. Le courant passe dans le cerveau. C’est l’électronarcose. Jean-Jacques Hénaff a une jolie formule pour évoquer la fin du cochon : « On les endort, on les saigne, et ils se réveillent morts. » Les animaux passent ensuite dans l’épileuse, une énorme machine à laver à tambour, d’où ils ressortent roses et pimpants comme sur l’étal du boucher. Puis ils sont vidés, et coupés en demi-carcasse. Quarante cochons sont occis par heure. Sur le chemin de la découpe, toutes les demi-carcasses sont contrôlées. On vérifie notamment l’absence de souillure fécale. 25 000 porcs, dédiés exclusivement aux petites boîtes bleues, sont abattus chaque année. La grande particularité ∂ La plupart des porcs sont élevés dans le Finistère. B éviter le stress des animaux L’usine possède son propre abattoir. Les cochons arrivent de nuit et sont abattus dans la journée. Dans la soue, ils bénéficient de douchettes pour se détendre après le transport. Et ils sont rassemblés par bande d’élevage, pas de mélange avec des cochons inconnus. Comme ils ont grandi ensemble, ils sont en confiance, restent paisibles. Quatre heures de repos minimum sont requises avant le grand saut. Ils accompagnent le boucher qui vient les chercher comme des gros toutous contents de partir en promenade, en dodelinant du derrière. Être attentif à un certain bien-être, c’est s’assurer une viande de qualité. « Le pâté Hénaff, c’est un mythe breton, au même titre que les galettes de Pont-Aven ou le caramel au beurre salé. La boîte est tellement belle et emblématique qu’elle est presque plus importante que le contenu. » Gilles Pudlowski. L’emballage Vingt millions de boîtes sont produites chaque année, soit une moyenne de 100 000 par jour. L’emballage est entièrement automatisé, sauf les « opérations spéciales », conditionnement par lots cartonnés par exemple, qui sont manuelles. ¬ Chaque jour, il sort en moyenne 100 000 boîtes de pâté de l’entreprise bretonne. A Cochon de ferme Les pâtés Hénaff naissent dans des porcheries sélectionnées. Comme celle de Jean-Yves et Malou Guillerm à Bodilis (Finistère), du groupement Aveltis. Un élevage ordinaire sur caillebotis, mais pas classique. Pour son pâté, le conserveur exige un animal différent du porc charcutier commun. Avec plus de longe et moins de jambon. Il le trouve dans un mélange de races Largewhite (père) et ¬ La pâte de viande crue à la sortie des ateliers. L’affinage du produit, depuis les origines, c’est qu’on y met tout le cochon, même les pièces nobles : jarret, rôti, jambon. Une invention du fondateur Jean Hénaff qui, en 1914, était l’un des premiers à mettre de la viande en conserve. ¬ Le contrôle goût, aspect et tenue du produit. Tout au long de la chaîne industrielle, où les petites boîtes circulent comme un petit train électrique géant, des contrôles sont effectués. Des opérateurs vérifient la quantité dosée (20 boîtes toutes les trente minutes). Puis la qualité du sertissage des couvercles est examinée : vérification visuelle 9 La cuisson ¬ Toutes les carcasses sont vérifiées avant découpe. 5 L’évolution de la viande Les carcasses sont stockées dans un frigo où la température de la viande baisse lentement, pour obtenir une chair plus ferme, plus facile à travailler. On appelle ça le ressuage. Au bout de 24 heures, destination mise en morceaux. C’est le début du secret de Pouldreuzic. Jean-Jacques Hénaff explique qu’il existe un « tour de main maison », dans la précision de la découpe et du désossage, qui fait la différence. Il assure qu’une viande est « plus saine, et meilleure, avec une découpe soignée ». Seuls les bouchers désosseurs ont accès à cet atelier, que nous n’avons pas pu visiter. Les boîtes renfermant le pâté cru sont rassemblées dans des grands paniers métalliques et placées en autoclave pour la cuisson et la stérilisation. La température monte crescendo à 116° puis redescend lentement. Pour des conserves de 1 kg, l’opération dure quatre heures. ƒ Les boîtes sont placées en autoclave pour la cuisson et la stérilisation. Textes et photos : Thierry CREUX. ƒGalerie photos sur www.ouest-france.fr permanente, mais aussi vérification informatique de six couvercles par heure. Pas le droit à l’erreur : une boîte mal sertie exploserait lors de la cuisson. Un autre contrôle est effectué sur le produit fini, dans le laboratoire de l’entreprise : goût, aspect, tenue du produit après incubation à 37° et 55°C. Nous voilà dans la « cathédrale » de l’usine. Des monceaux de boîtes en palettes y sont entreposés. Il ne s’agit pas de stockage. Mais d’affinage. Six semaines de maturation sont nécessaires pour faire ressortir les arômes et envoyer le produit à la vente. Mais la conserve est vivante et le produit évolue encore pendant les quatre ans où il reste légalement vendable. Le pâté Hénaff est présent sur les cinq continents : le résultat de nombreuses années à voyager sur les navires de la Royale…