La fausse panacée des heures sup`

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Rebonds
Economiques
La fausse panacée des heures sup'
Par Philippe MARTIN
QUOTIDIEN : lundi 5 mars 2007
Philippe Martin est professeur à l'université Paris-I (Panthéon-Sorbonne).
F
aut-il jouer sur la législation du temps de travail pour relancer l'emploi ? Les socialistes ont essayé via les 35 heures
avec, pour objectif, la création d'emplois par le «partage du travail» . Le succès, on le sait, ne fut pas au rendez-vous.
C'est maintenant au tour de Nicolas Sarkozy de vouloir utiliser cet instrument comme politique de l'emploi : cette fois,
pour augmenter le temps de travail via l'exonération des impôts et des charges pour les heures supplémentaires. S'il est
élu, c'est une des mesures prioritaires qui sera mise en oeuvre avant le mois d'octobre. Dans un style très sarkozien, il a
même prévenu que ce principe n'était pas «négociable».
Pour comprendre pourquoi cette mesure est, au même titre que le fut la réduction du temps de travail, vouée à l'échec,
il est utile de revenir sur cette expérience. L'impact de la réduction du temps de travail sur l'emploi dépend de trois
effets contradictoires sur la productivité du travail, la durée d'utilisation des équipements et la compensation salariale.
Si la productivité du travail et la durée d'utilisation des équipements augmentent et s'il n'y a pas de compensation
salariale (et donc pas d'augmentation du coût horaire salarial), alors l'impact peut être positif sur l'emploi. Cela fait
beaucoup de si, et l'analyse des expériences en France et à l'étranger montre un effet net faiblement positif ou même
négatif, du fait qu'assez légitimement les salariés se sont opposés à une réduction de leur pouvoir d'achat et ont obtenu
une compensation salariale quasi totale. La difficulté de l'analyse dans le cas français des 35 heures vient du fait qu'elles
ont été accompagnées par de nombreuses subventions tendant à baisser le coût du travail qui, elles, ont créé des
emplois. Au vu des nombreuses études empiriques qui essaient de distinguer les différents mécanismes, la réduction du
temps de travail n'a eu qu'un effet très marginal sur l'emploi. Les effets contradictoires sur la productivité, la durée
d'utilisation des équipements et le coût salarial se sont à peu près annulés.
Si la réduction du temps de travail n'a pas créé d'emploi, on pourrait croire qu'à l'inverse son augmentation permettra de
le faire. En fait, et de manière symétrique, il est probable que faciliter les heures supplémentaires aura, comme pour
les 35 heures, des effets contradictoires sur l'emploi qui, in fine, s'annuleront. De manière négative, les entreprises
seront incitées à substituer des heures de travail aux hommes. De manière positive, le pouvoir d'achat de ceux qui
travailleront au-delà de la durée légale sera accru, même si cet effet devrait être réduit du fait qu'il faudra financer cet
allègement par une augmentation des prélèvements sur les autres salariés. La détaxation des heures supplémentaires
devrait donc avoir un impact très faible sur l'emploi.
De même que les socialistes n'avaient pas pris en compte un certain nombre d'effets pervers de la réduction obligatoire
du temps de travail, la droite ne semble pas non plus avoir beaucoup réfléchi aux conséquences de la détaxation des
heures supplémentaires. Si elle est mise en place, on observera certainement une forte augmentation de ces heures, ce
qui sera à tort interprété comme une preuve de succès. Le problème est que ces heures pourraient bien être en grande
partie fictives... Les employeurs comme les employés auront en effet intérêt à déclarer un grand nombre d'heures
supplémentaires détaxées (difficiles à contrôler) plutôt que d'augmenter la rémunération des heures normales. De fait,
les travaux existants sur les heures supplémentaires montrent que, lorsque celles-ci sont majorées, on observe un
ajustement à la baisse de la rémunération des heures normales. La durée effective du travail et le revenu n'auront pas
bougé, l'effet sur l'emploi sera vraisemblablement nul, mais le coût fiscal à terme potentiellement très important. On
peut d'ailleurs remarquer que la proposition de François Bayrou d'éliminer les charges sur deux emplois pour toute
entreprise se heurtera au même type de comportement opportuniste fiscalement coûteux : on verra naître de nouvelles
entreprises avec deux employés, ce qui sera encore une fois faussement interprété comme un succès, qui ne seront que
des découpes d'entreprises existantes.
L'expérience des 35 heures a montré que la législation sur le temps de travail ne doit pas être utilisée comme une
politique de l'emploi. Sur le sujet, Ségolène Royal reste, comme sur beaucoup de questions économiques, dans le plus
grand flou. Nicolas Sarkozy est beaucoup plus précis, mais semble emporté par des considérations plus idéologiques
qu'économiques sur la valeur morale et quasi rédemptrice du travail. Doit-on en conclure qu'il ne faut pas légiférer sur
le temps de travail ? Si, mais pas dans un objectif de création d'emploi et certainement pas en rendant encore plus
complexe la législation actuelle. Celle-ci devrait être simplifiée et se focaliser sur des objectifs clairs : éviter
l'exploitation de certains travailleurs en position de faiblesse vis-à-vis de leurs employeurs par l'imposition d'une durée
maximale et protéger leur santé en encadrant le travail de nuit. Les candidats devraient se rappeler une règle simple de
politique publique qui permettrait de clarifier le débat : un objectif pour un instrument.
05/03/2007 11:44
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