Un choc de défiance généralisée

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Economiques
Un choc de défiance généralisée
Par PHILIPPE MARTIN, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ PARIS-I-PANTHÉON-SORBONNE
QUOTIDIEN : lundi 17 septembre 2007
En quelques semaines, l’horizon macroéconomique s’est considérablement assombri. Nicolas Sarkozy n’était pour rien
dans ce qui ressemblait, juste après son élection, à une baraka économique - une croissance mondiale vigoureuse et un
rebond européen qui devaient doper nos exportations. Il devra maintenant gérer les conséquences macroéconomiques
encore incertaines de la crise financière. On en connaît certes l’origine - le marché américain des prêts immobiliers à
risque -, mais on ne sait pas encore dans quelle mesure la crise va affecter notre croissance ou restera, comme la
plupart des crises financières du passé, essentiellement confinée à la sphère financière. L’Europe ne pourra pas
cependant demeurer complètement à l’écart de la tourmente, même si elle est dans une meilleure situation que les
Etats-Unis du fait de comptes public et extérieur en meilleur état. Rappelons aussi que la France fait figure d’exception
en Europe avec un déficit budgétaire et commercial élevé. La crise financière pourrait être aussi l’élément déclencheur
de l’ajustement tant attendu du déficit commercial américain.
En poussant brutalement les Américains à consommer moins et à épargner plus, la crise va privilégier le scénario d’un
ajustement dur. Dans ce cas, un crash du dollar n’est pas impossible, et on a déjà vu cette semaine un nouveau record à
la hausse de l’euro. Un tel scénario aura nécessairement un impact négatif sur nos exportations et notre croissance. Les
conditions de crédit se sont déjà détériorées, et la perte de confiance qui vient du fait que personne ne sait qui détient
les mauvaises créances touche aussi les banques européennes. Dans ce contexte où la croissance mondiale devient plus
incertaine, quelle devrait être la réponse des politiques économiques ? La Banque centrale européenne a bien
évidemment eu raison de ne pas augmenter ses taux d’intérêt, car le risque majeur porte aujourd’hui sur la croissance
et non sur l’inflation. En revanche, sa communication laisse encore une fois à désirer : pourquoi dire qu’elle augmentera
ses taux dès que les remous financiers se calmeront, alors que l’anticipation d’une telle hausse rendra plus difficile le
retour au calme ? Sans parler de la cacophonie parmi les banques centrales : la Banque d’Angleterre reproche ainsi à la
Federal Reserve et à la Banque centrale européenne de vouloir - par leurs injections massives de liquidités - sauver la
mise aux institutions financières et aux spéculateurs responsables de cette situation. Ainsi assurés, ils seraient
implicitement encouragés à réitérer leurs méfaits en prenant des risques excessifs.
C’est ce que les économistes appellent un problème d’aléa moral où les spéculateurs prennent en otage les banques
centrales : pour sauver la croissance de la crise, il faut aussi sauver ceux qui en sont la cause.
Le problème, avec cette thèse, est qu’elle oublie que les bulles spéculatives ne sont pas un phénomène récent de
l’histoire financière et existaient avant même que les banques centrales n’aient pris l’habitude de réagir pour limiter les
dégâts réels des crises financières. Si le gonflement au niveau mondial des liquidités explique à lui seul la bulle
immobilière, il est aussi difficile de comprendre pourquoi celle-ci n’est pas globale (certains pays ou certaines régions y
échappent). N’exagérons donc pas le problème d’aléa moral dans ce cas précis : l’augmentation des liquidités ou une
baisse de taux ne suffiront pas à sauver de la faillite certaines institutions qui ont pris trop de risques. Et c’est tant
mieux. L’objectif prioritaire à ce stade doit être de limiter les dommages sur l’économie réelle plutôt que de punir les
spéculateurs même si cela doit heurter notre sens de la justice.
Et le gouvernement français ? Il devra faire face à plusieurs difficultés. La première, qu’il a lui-même créée, est qu’il a
déjà tiré ses cartouches budgétaires en octroyant des cadeaux fiscaux sans grand intérêt économique. Cette imprudence
signifie qu’il n’y aura plus grand-chose à utiliser si la crise financière se transforme en crise économique et qu’une
relance s’avère nécessaire. Nous n’en sommes cependant pas là, et ce n’est pas le scénario le plus plausible.
Un problème plus grave est que le choc de confiance voulu par Nicolas Sarkozy, s’il a jamais existé, pourrait être balayé
par la crise financière qui n’est rien d’autre qu’un choc de défiance généralisée. La croissance française est
particulièrement vulnérable parce qu’elle dépend trop de la consommation et du secteur de la construction, tous deux
très sensibles à un renversement de la confiance.
Du coup, les dernières révisions à la baisse de la croissance pour 2007 et 2008 ont été plus sévères pour la France que
pour les autres pays européens, et d’autres révisions pourraient venir. La croissance devait à la fois faire passer la pilule
des réformes et apparaître comme un résultat rapide de l’action du gouvernement. Il faudra maintenant changer de
discours et expliquer que c’est la faiblesse de la croissance qui démontre la nécessité des réformes.
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Lundi prochain, «Economiques» avec Thomas Piketty
17/09/2007 11:35
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