Vices et vertus du déficit public

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Economiques
Économiques Chaque mardi
Vices et vertus du déficit public
PAR PHILIPPE MARTIN
QUOTIDIEN : mardi 27 mai 2008
L
e soutien du gouvernement à la proposition d’inscrire dans la Constitution une règle d’équilibre budgétaire est celui
d’un pyromane favorable à des règles anti-incendies. Après le paquet fiscal de l’été 2007, notre déficit public dérape et
va nous valoir d’être sermonnés par la Commission européenne. Ce gouvernement n’est pas responsable de la situation
de notre dette publique mais n’a rien fait pour inverser la tendance. Il est donc sain d’ouvrir le débat. Pourquoi, depuis
trente ans, le budget français n’a-t-il été équilibré qu’une seule fois ? Pourquoi notre pays est il plus affecté que
d’autres ? Les travaux existants montrent que deux mécanismes expliquent bien pourquoi certains pays peinent à
équilibrer les comptes publics de manière récurrente.
Le premier est stratégique : en creusant le déficit aujourd’hui, un gouvernement limite les marges de manœuvre des
gouvernements futurs. La tentation est irrésistible lorsque, comme c’est le cas en France depuis trente ans, chaque
élection produit une alternance entre opposition et majorité. Une autre manière de le dire est que lorsque la droite fait
des cadeaux fiscaux à sa clientèle politique, elle rend plus difficile pour la gauche d’augmenter le nombre d’enseignants
dans le futur. Cet objectif de lier les mains de ses successeurs explique pourquoi la gauche a aussi creusé les déficits
dans le passé même si, pour les pays industrialisés, les gouvernements de droite sont davantage responsables de
l’augmentation de la dette publique.
L’autre explication est que pour un lobby, une profession ou un secteur économique, le bénéfice d’une subvention ou
d’une niche fiscale est direct alors que le coût est partagé par le pays dans son ensemble et des générations futures qui
ne sont pas représentées politiquement.
Deux questions se posent alors : l’introduction de règles budgétaires contraignantes telles que celles envisagées
aujourd’hui sont-elles efficaces et le remède est-il pire que le mal ?
Il est utile d’analyser les expériences étrangères puisque, depuis une quinzaine d’années, de nombreux pays, en
particulier en Europe, ont introduit de telles règles. La réponse des travaux existants est que ces règles sont efficaces,
elles amènent bien à une réduction des déficits. Mais ces règles peuvent aussi inciter à une certaine gymnastique
comptable plutôt qu’à une vraie réduction de la dette publique. Certaines sont plus contraignantes que d’autres. Par
exemple, inscrire la règle dans la Constitution, comme envisagé aujourd’hui en France, plutôt que dans la loi, augmente
fortement la contrainte et son efficacité. Pourquoi alors ne pas proscrire tout déficit dans la Constitution ? C’est que
tous les déficits et toutes les dettes publiques ne sont pas mauvaises. En particulier, laisser les déficits filer lorsque la
conjoncture est mauvaise (ce qu’on appelle les stabilisateurs automatiques) est une bonne chose car cela permet à la
puissance publique de se substituer à la demande privée (la consommation et l’investissement) quand celle-ci est
défaillante et donc permet de stabiliser l’économie. Une trop forte contrainte fait donc peser le risque que les
gouvernements soient obligés de baisser les dépenses pendant les phases de ralentissement lorsque les recettes fiscales
sont mécaniquement plus faibles. Même si la proposition actuelle prend en compte les variations du cycle économique
et n’imposerait pas l’équilibre chaque année, elle n’est pas sans risque. L’expérience des pays qui ont mis en place ces
règles suggère qu’il existe un arbitrage entre l’efficacité de ces règles à réduire les déficits et la capacité de la
politique budgétaire à stabiliser l’économie. Le véritable défi est d’obliger le gouvernement à présenter un budget en
excédent lorsque la croissance prévue est au-dessus de la moyenne ce qui permettra de ne pas aborder un
ralentissement conjoncturel complètement démuni. Aucun travail préparatoire (par exemple dans la commission
Balladur) prenant l’expérience des autres pays sur le sujet n’a été effectué. L’inscription d’une règle budgétaire dans le
marbre constitutionnel ne devrait pas se faire avec tant de désinvolture et se limiter, pour plaire aux députés du
Nouveau Centre, au vote d’amendements de dernière minute.
Enfin, si une règle est adoptée - dans la Constitution ou dans la loi -, elle devrait, contrairement à ce qui est maintenant
prévu, s’imposer avant la prochaine élection. La proposition actuelle laisse les mains libres au gouvernement actuel et
sert surtout à lier celles du gouvernement de 2012. Le débat économique et politique sur une règle budgétaire renforcée
mérite mieux que ce stratagème et cette précipitation.
Philippe Martin est professeur à l’université de Paris-I Panthéon Sorbonne.
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